Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 16 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Acte 5

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Chapitre 5 : Acte 5

Partie 1

« Comme c’est ennuyeux. »

Utgarda posa sa joue contre sa main. Un soupir d’ennui s’échappa de ses lèvres.

Cela faisait déjà quinze jours que son armée était enfermée dans une lutte acharnée avec l’armée du Clan de l’Acier. Elle avait passé les premiers jours de l’affrontement à torturer les membres restants de l’armée du Clan du Tigre, mais elle s’était rapidement lassée de cette diversion.

Pour Utgarda, les jours qui avaient suivi avaient été une bataille contre l’ennui. C’était un véritable enfer pour elle. La seule raison pour laquelle elle avait choisi de ne pas agir malgré son ennui intense était qu’elle avait compris qu’un geste entraînerait des pertes désastreuses pour ses forces. Bien qu’Utgarda soit connue pour son impulsivité et son manque de caractère, elle était capable de se retenir lorsque l’occasion l’exigeait.

« On aurait pu s’attendre à ce qu’ils réagissent maintenant… »

Elle regarda attentivement en direction de l’armée du Clan de l’Acier.

L’ennui est la chose qu’elle déteste le plus au monde. Bien sûr, elle avait déjà pris des mesures pour essayer de changer la situation.

« Mais pas un mot de leur part. Nous aurions pensé que les insultes vers le Þjóðann auraient eu l’effet escompté. »

Utgarda leva les mains au ciel en signe d’exaspération et soupira en haussant les épaules.

« C’était peut-être trop évident. »

Bien sûr, Utgarda savait elle-même que son stratagème avait peu de chances de réussir, mais elle avait espéré que même si elle ne parvenait pas à faire bouger les officiers, elle aurait au moins réussi à faire mordre à l’hameçon à quelques soldats de base.

Utgarda pensait que les informations étaient parfois plus précieuses que des joyaux rares, c’est pourquoi ses techniques de collecte d’informations étaient incroyablement minutieuses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire.

Suoh-Yuuto, le Þjóðann, était connu pour être un souverain bienveillant. C’était un homme qui se donnait beaucoup de mal pour améliorer le niveau de vie de son peuple, et il était extrêmement populaire parmi ses sujets. Beaucoup d’entre eux le vénéraient pratiquement.

Un flot constant d’insultes et de manque de respect à l’égard du Þjóðann, bien que peut-être inefficace pour forcer le Þjóðann lui-même à réagir, enragerait certains de ses subordonnés et les forcerait à lancer une offensive irréfléchie. Pourtant, malgré ses efforts, il n’y avait aucun signe de réponse, même après deux semaines d’abus constants. Il semblerait que ce stratagème ne fonctionnerait pas. Suoh-Yuuto avait bien dressé ses chiens.

« Alors, il est temps d’en faire un autre — ! »

« Un rapport à Sa Majesté… »

Alors qu’elle commençait à réfléchir à d’autres solutions, un soldat entra dans sa tente, essoufflé. Si Utgarda ressentit une pointe d’irritation à l’idée qu’un simple soldat vienne interrompre ses pensées, la curiosité et sa maîtrise de soi en tant que général l’emportèrent sur cette colère.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« L’armée du Clan de l’Acier a commencé à avancer dans notre direction. »

« Oh ? »

Les lèvres d’Utgarda se tordirent en un sourire sadique. Il semblait qu’ils aient finalement mordu à l’hameçon. Elle supposa que Suoh-Yuuto n’avait pas pu contenir plus longtemps la colère de ses subordonnés.

« Comme il doit être difficile d’être un roi aimé de tous. Cet amour devient finalement une malédiction…, » déclara Utgarda avec un regard de pitié.

Bien sûr, tout cela n’était que de la comédie. Intérieurement, elle était aux anges.

« Pas encore. Il est encore trop tôt. »

Elle espérait depuis longtemps que ce moment arriverait. Submergée par l’envie d’ordonner à toute son armée de charger, Utgarda serra fermement son genou et lutta contre les ordres qui faillirent jaillir de ses lèvres. Le Clan de l’Acier s’échapperait si elle attaquait maintenant.

Elle devait attendre.

Attends que l’ennemi se rapproche.

« Dépêchez-vous… Dépêchez-vous maintenant. »

Tel un aspic attendant que sa proie s’approche, Utgarda attendit patiemment le bon moment.

Fwoosh ! Whoosh ! Fwip !

« Ils sont là ! »

D’innombrables flèches plurent depuis les lignes ennemies. Le souffle criard des flèches qui fendaient l’air annonçait que la bataille avait commencé.

« Oui, maintenant ! Que toutes les forces chargent ! Écrasez l’ennemi ! »

Utgarda se leva et cria ses ordres, pointant son fouet vers l’ennemi. L’escarmouche initiale était terminée. Les ordres d’Utgarda marquaient le début du véritable affrontement entre les deux armées.

« Ngh… »

Plusieurs minutes après le début de la bataille, Utgarda se rongeait l’ongle du pouce de frustration. Ce n’était pas un geste particulièrement digne pour une « impératrice » autoproclamée, mais personne dans le Clan de la Soie ne pouvait la réprimander pour son manque de grâce.

« Le vent souffle ! Qu’est-ce qu’il fait, cet imbécile de Rhyton ? » cria-t-elle en faisant une crise de colère.

Rhyton était un général du Clan de la Soie considéré comme l’un des plus grands. Elle lui avait confié le commandement de ses troupes de première ligne en raison de la réputation qu’il avait acquise, mais malgré cela, l’armée du Clan de la Soie était repoussée sur tous les fronts.

Bien qu’elle ait ordonné à ses forces de charger, l’armée du Clan de l’Acier avait facilement freiné leur élan, ce qui ne faisait qu’accroître l’irritation d’Utgarda.

« Pitoyable. Pourquoi tous nos enfants sont-ils si incompétents ? »

Incapable de contenir sa colère plus longtemps, elle frappa le sol de son fouet à plusieurs reprises. Les serviteurs qui se trouvaient à proximité se turent, tremblant de terreur. Ils comprenaient que s’ils disaient quelque chose maintenant, ils risquaient de subir le poids de sa colère et d’être torturés pour le mal qu’ils s’étaient donné. Tout ce qu’ils pouvaient faire était de se cacher jusqu’à ce que la tempête soit passée. Il valait mieux laisser dormir les chiens. Malheureusement pour les subordonnés d’Utgarda, la Þrymr était une chienne enragée, capable de mordre n’importe qui à n’importe quel moment. Même lorsqu’elle était laissée seule, elle se mettait en colère.

« Pourquoi êtes-vous silencieux ? À quoi servent vos têtes et vos bouches ? Soyez au moins utiles pour une fois et apportez une solution à ce problème ! »

Fwip ! Son fouet traversa l’air et frappa un serviteur au visage tandis qu’elle haussait la voix d’irritation. Elle ne se souciait pas de savoir sur qui ses coups de fouet tombaient, tant qu’elle avait un exutoire pour sa colère. Celui qui recevait son coup de fouet ne pouvait que maudire sa malchance.

« Je vous demande pardon, Votre Majesté, si je peux prendre la parole. Nos renforts sur les flancs droit et gauche devraient bientôt apparaître. Dès qu’ils le feront, nous devrions pouvoir commencer à inverser le cours de la bataille. »

« Nous en sommes déjà bien conscientes ! »

Fwoosh ! Crack !

Avec un cri de colère, Utgarda fit claquer son fouet contre le seul serviteur qui avait eu le courage de commenter la situation. En même temps, dans son esprit, elle était d’accord avec son observation. Son comportement n’avait rien d’équitable. Cependant, elle pensait qu’en tant que dirigeante des masses, elle ne pouvait pas se permettre de suivre aussi facilement les recommandations d’un de ses subalternes. Cela nuirait à son autorité en tant que dirigeante. Elle devait s’attribuer tous les mérites de ses réalisations. Sinon, à quoi bon diriger l’armée en personne ?

« Hrmph. Très bien. »

Utgarda retira son fouet et l’enroula, le remettant sur sa hanche alors qu’elle se rasseyait, un peu plus calme que tout à l’heure. Il semblait qu’elle avait été satisfaite de pouvoir décharger sa colère sur ses subordonnés. Une fois de plus, elle estimait qu’il valait mieux déverser sa colère sur les autres plutôt que de la laisser s’accumuler à l’intérieur. Après tout, cela lui permettait d’exprimer rapidement et efficacement ses frustrations. Pour elle, c’était à peu près la seule façon pour ces bouffons incompétents d’être utiles. Utgarda pensait sincèrement qu’ils devraient être reconnaissants qu’elle se serve d’eux comme cibles de sa rage. Son arrogance ne connaissait pas de limites, et elle croyait sincèrement que les cieux et la terre lui appartenaient.

« … Hm. Ces longues lances sont une nuisance, » admit Utgarda à contrecœur, une expression aigre sur ses traits.

Les troupes du Clan du Tigre les lui avaient décrites auparavant, mais sa première impression avait été que ces longues lances étaient trop longues pour être maniées avec précision et qu’elles ne seraient d’aucune utilité au combat. Elle s’en était même moquée. Cependant, en combat réel, ces armes étaient extraordinairement difficiles à affronter. En formation serrée, il n’y avait aucun moyen de percer le mur de pointes de lances.

« Aussi gênants soient-ils, il est bien connu que les objets d’une force extrême ont souvent des faiblesses tout aussi extrêmes — si l’on sait les trouver. »

La longueur des lances et la concentration serrée des formations dans lesquelles elles étaient utilisées rendaient probablement les manœuvres extrêmement difficiles. Les lances n’étaient utiles que parce qu’elles étaient utilisées en formations serrées. Une fois que la bataille se serait transformée en une mêlée serrée, soldat contre soldat, peu d’armes étaient aussi inutilement encombrantes que ces longues lances.

« Très bien, profitez donc de votre avantage pour l’instant. Il est d’autant plus agréable de voir leur désespoir lorsqu’ils passent du bord de la victoire à la défaite totale une fois encerclés. »

Utgarda imagina ce moment, et elle gloussa avec une sombre malice.

Mais elle avait beau attendre, aucune de ses unités de flanc n’apparaissait sur le champ de bataille.

« Le vent souffle ! Que font ces imbéciles de Logi et Huginn !? »

Utgarda poussa à nouveau un cri de frustration. Elle voulut continuer à attendre, mais les soldats n’apparaissaient toujours pas. Il n’y avait même pas le moindre signe de leur présence. Il était clair qu’il s’était passé quelque chose dont elle n’était pas du tout informée.

« Bon sang, ce n’est pas bon ! Ils nous ont complètement débordés ! »

Logi ne put cacher sa panique lorsque ses forces furent soudainement attaquées par-derrière. Logi était un Einherjar et l’homme réputé pour être le plus grand guerrier individuel du Clan de la Soie. Il était notamment connu pour sa capacité à mener des charges, et c’est pourquoi Utgarda l’avait choisi pour diriger l’aile droite de l’armée du Clan de la Soie. Même lui n’aurait pas pu prévoir cette attaque soudaine contre ses forces.

« Tch, d’où est-ce qu’ils sortent ? »

Entre l’armée du Clan de l’Acier et le Clan de la Soie se dressaient les monts Þrymheimr, l’une des trois grandes chaînes de montagnes qui constituaient le Toit d’Yggdrasil. Même si c’était l’été et qu’il n’y avait pas de neige sur les montagnes, les soldats étrangers qui ne connaissaient pas le territoire n’auraient pas pu les traverser. La réalité, cependant, était que l’ennemi était là, et qu’il attaquait ses forces. Logi ne comprenait pas ce qui se passait.

De même, Huginn, placé à la tête de l’aile gauche de l’armée du Clan de la Soie, fut pris de court par l’attaque soudaine et impossible des forces ennemies. Contrairement à Logi, Huginn n’était pas connu pour ses capacités de combat individuelles, mais c’était un homme choisi pour diriger son unité en raison de sa ruse. Il était connu pour être un tacticien flexible qui pouvait s’adapter à n’importe quelle situation dans laquelle il se trouvait. Mais même pour lui, cette attaque des forces du Clan de l’Acier ne pouvait être décrite que comme un coup de tonnerre.

« Ils ont franchi les montagnes de Galdhøpiggen !? Impossible… »

Les monts Galdhøpiggen étaient la chaîne de montagnes qui divisait les clans du Tigre et du Bouclier. Ce n’était pas un endroit qu’une grande armée pouvait franchir. Toute armée qui s’y serait essayée aurait été frappée par la colère des dieux. Mais il était inutile de nier la réalité de sa situation.

« Les tours de magie de Suoh-Yuuto, le dieu de la guerre, hein ? »

Son nom était connu même dans les lointaines terres de Jötunheimr. Il utilisait d’étranges magies pour rendre possible l’impossible. Les rumeurs disaient même qu’il n’était pas un homme, mais un serviteur des dieux. Huginn, l’archiréaliste et pragmatique, n’était pas du genre à croire de telles rumeurs, mais dans ces circonstances, la magie était le seul moyen d’expliquer ce qui s’était passé.

Plusieurs jours avant la bataille, les dirigeants de l’armée du Clan de l’Acier avaient tenu un conseil de guerre.

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Partie 2

« Passez les montagnes !? »

En entendant la proposition de Yuuto, Félicia poussa un cri de stupeur et se tourna vers les montagnes derrière elle. Les monts Þrymheimr les surplombaient, s’étirant vers les cieux. Félicia était peut-être la plus fervente des subalternes de Yuuto, mais même elle estimait qu’escalader ces montagnes serait une tâche difficile.

« Oui. J’y ai pensé en regardant ton collier en Álfkipfer », dit Yuuto avec un sérieux mortel.

Le mot Álf — le son que font les fées — vient de la même racine que le nom des Alpes, ce qui a fait penser à la traversée des Alpes par Hannibal, l’un des exploits militaires les plus célèbres de l’Antiquité.

« J’ai pu les traverser, mais je ne pense pas que des soldats ordinaires puissent en faire autant », répondit Kristina, une certaine dose de doute dans la voix. Elle enchaîna avec un rire sec.

Étant donné qu’elle a elle-même effectué la traversée, ses paroles sont très convaincantes.

« Oui, nous devons encore déterminer si c’est possible. Mais nous ne devrions pas considérer que c’est impossible avant d’avoir essayé. »

Le brainstorming est une méthode importante pour résoudre toutes sortes de problèmes. De nombreuses personnes et entreprises ont intégré les séances de brainstorming comme moyen de trouver des solutions novatrices à leurs problèmes. La principale caractéristique des séances de brainstorming est d’éviter de conclure à la faisabilité d’une idée au moment de la proposer. En effet, les conclusions préconçues limitent le nombre d’idées potentielles. En réalité, même les idées qui semblent impossibles à réaliser peuvent l’être une fois qu’elles sont proposées et étudiées.

« Les conditions sont réunies pour que cela soit possible. Tout d’abord, nous sommes en plein été. »

Cela signifiait que la neige ne serait présente que sur les plus hauts sommets. Même Yuuto n’avait pas l’intention de faire quelque chose d’aussi difficile que d’envoyer ses troupes en marche forcée dans la neige. Il y avait de fortes chances qu’ils trouvent des chemins qui n’étaient pas enneigés à cette époque de l’année.

« Deuxièmement, de nombreux clans dans nos rangs, dont le Clan du Loup, sont originaires de régions montagneuses. »

« … Oui, c’est vrai. »

Félicia acquiesca après un moment de réflexion.

Les Clans de la Griffe, du Frêne et du Croc étaient à l’origine des clans affiliés au Clan du Loup, et tous étaient basés dans la région du Bifröst, qui était entourée par les Trois Grandes Chaînes de Montagnes. Ils comptaient dans leurs rangs un bon nombre de soldats ayant l’expérience du travail en terrain montagneux. Quant au Clan du chien de montagne, ses soldats étaient des montagnards nés et élevés dans la région septentrionale d’Álfheimr, de la base à la moyenne montagne des monts Himinbjörg. C’était l’une des forces de leur armée, et il serait dommage de ne pas en profiter.

« Troisièmement, et c’est ce qui m’a décidé, il y a un chasseur qui a élu domicile dans ces montagnes parmi les prisonniers que nous avons faits. Il semblerait qu’il en veuille beaucoup au Clan de la Soie, et il s’est porté volontaire pour nous aider à guider nos forces. »

« Hrm… Il semblerait qu’il connaisse des zones relativement faciles à traverser et des sentiers de chasse », dit Kristina, sa curiosité piquée.

Les montagnes de cette région étaient presque totalement vierges de l’homme. C’était une région totalement inexploitée, et il n’y avait pratiquement aucun chemin digne de ce nom. Les montagnes et les forêts étant extrêmement faciles à perdre et traîtresses à parcourir, elles emportaient souvent les soldats qui tentaient de les traverser. Il est facile d’imaginer qu’une avancée à travers de telles montagnes serait beaucoup plus facile avec un guide connaissant bien la région.

« Enfin, il sait comment gérer le mal de l’altitude. »

« Le mal de l’altitude… ? Ce sont les maux de tête et les nausées qui surviennent lorsqu’on grimpe trop haut dans les montagnes, oui ? »

« Oui, c’est celui-là. »

Yuuto pointa Félicia du doigt lorsqu’elle fit son observation. Elle connaissait bien le mal de l’altitude, ayant grandi près des trois grandes chaînes de montagnes.

« Nos traditions nous enseignent qu’il faut éviter de s’aventurer sur les sommets interdits des montagnes. Les dieux maudissent ceux qui s’y aventurent. Même au sein du Clan du Loup, il y a au moins une personne qui est maudite par les dieux toutes les quelques années. »

« Ah, oui, je me doutais bien que ce serait quelque chose comme ça. »

Yuuto gloussa, les épaules tremblantes alors qu’il se retenait de rire.

On raconte que les Grecs de l’Antiquité croyaient que le mont Olympe était la demeure des dieux et qu’ils évitaient d’y monter, car ils pensaient que les dieux puniraient les mortels qui pénétreraient dans leur royaume.

C’était une époque où les dieux faisaient partie de la vie quotidienne. Après tout, il y avait même des Einherjars à qui les dieux avaient accordé des pouvoirs. Il semblerait que les habitants d’Yggdrasil aient des croyances similaires à celles des Grecs de l’Antiquité.

« C’est aussi ce qu’ils penseront des montagnes. »

Yuuto fit une grimace sur ses lèvres.

Il n’était peut-être pas nécessaire de le répéter, mais la guerre exigeait de prendre l’adversaire au dépourvu. Plus la tactique est invraisemblable, plus elle a de chances de prendre l’ennemi au dépourvu. C’était une dure leçon que Yuuto avait tirée de sa douloureuse défaite face à Nobunaga.

« Par ici, patron. C’est un peu raide ici, pouvez-vous le supporter ? »

« Hrmph. Pas de problème. »

Fundinn, patriarche du Clan des chiens de montagne et commandant de la division des montagnes de Þrymheimr, se mit à sourire à la question du guide.

Il ne bluffait pas. Malgré la montée d’un sentier escarpé, son pied était léger et il ne montrait aucun signe de fatigue. Il en était de même pour les soldats du Clan du Chien de Montagne qui le suivaient. Leur aisance en terrain montagneux était tout à fait naturelle. Le Clan du Chien de Montagne était un clan qui vivait dans les montagnes et descendait rarement dans les plaines. La seule fois où ils quittaient leurs montagnes, c’était pour vendre des herbes sauvages, des plantes médicinales, ainsi que les peaux et la viande des animaux qu’ils attrapaient dans les montagnes. Il n’y avait aucune raison pour qu’ils trouvent pénible une avancée aussi tranquille à travers les montagnes.

« Nous allons bien, mais nous avons des membres des autres clans avec nous. Il est peut-être temps de se reposer », dit Fundinn avec un haussement d’épaules exaspéré.

Alors qu’il voulait continuer à avancer, Yuuto lui avait strictement ordonné d’y aller doucement, en laissant leurs corps s’adapter à l’altitude avec des arrêts fréquents en cours de route. Yuuto était même allé jusqu’à donner l’ordre de rester sur place et de demander aux hommes de Fundinn de faire quelques exercices en chemin une fois qu’ils seraient à plus de la moitié de la montagne. Fundinn était franchement perplexe face à ces ordres, mais il s’agissait des paroles du grand Réginarque qui avait déjà accompli d’innombrables et magnifiques exploits. Il n’avait pas l’intention d’ignorer ses ordres.

« Héhé, mais c’est un plaisir. »

Bien qu’il ait ordonné aux hommes de se reposer, Fundinn lui-même n’arrivait pas à contenir son excitation et avait commencé à faire tourner ses bras en rond.

Fundinn avait eu trente-trois ans cette année. Il était à son apogée en tant que guerrier, où son enthousiasme et ses capacités physiques étaient encore proches de leur apogée, mais étaient renforcés par les connaissances acquises grâce à l’expérience. Il était également un Einherjar, et ses capacités physiques et ses talents de guerrier étaient de premier ordre. Cependant, s’il avait obtenu de bons résultats dans ses combats jusqu’à présent, il n’avait encore rien accompli de particulier en tant que guerrier.

« Père s’est donné la peine de me confier des responsabilités. Je dois produire des résultats dignes de sa confiance. »

Sa voix était ferme et son ton était empreint d’une grande conviction.

Le Clan du Chien de montagne était un petit clan qui comptait peut-être deux mille membres dans ses rangs. La seule raison pour laquelle lui, en tant que patriarche d’un clan aussi minuscule, était encore considéré comme faisant partie de la haute direction du Clan de l’Acier — même si le Clan de l’Acier comptait maintenant plusieurs clans puissants dans ses rangs — était que lui et son clan étaient avec le Clan de l’Acier depuis le début. S’il ne faisait pas ses preuves ici, il était possible qu’il soit rétrogradé de la tête du Clan de l’Acier aux rangs subalternes. C’était une raison suffisante pour qu’il soit si motivé.

+++

« Sniff, sniff. Oui, par ici. L’ennemi se rapproche. »

« Impressionnant sens de l’odorat », dit Kristina avec un mélange d’exaspération et d’admiration tandis qu’Hildegarde indiquait le chemin à suivre avec son nez.

Si le ton de Kristina n’était pas aussi amical qu’avec Albertina et Éphelia, elle semblait tout de même plus attachée à Hildegarde qu’à la plupart des autres. Lors de l’audience de Yuuto avec Nobunaga à Stórk, elles avaient été mêlées à quelques problèmes, et comme elles étaient proches en âge — sans compter qu’Hildegarde était aussi une cible parfaite pour les taquineries de Kristina — elles s’étaient un peu rapprochées.

 

 

« Héhé, c’est facile si nous suivons leur odeur. »

« Comme un chien, hm ? »

« Pas un chien ! Un loup ! »

Dès qu’elle entendit le commentaire de Kristina, Hildegard aboya une correction. Hildegard n’avait pas encore réalisé que sa réaction était exactement ce que Kristina espérait et qu’elle était à l’origine de nouvelles taquineries.

« Blague à part, tes pouvoirs d’Úlfhéðinn sont toujours aussi utiles. »

C’était l’opinion honnête de Kristina sur les capacités d’Hildegard.

Elle savait qu’Hildegarde avait un odorat et une ouïe équivalents à ceux d’un loup, mais elle n’avait pas réalisé qu’elle avait aussi un sens de l’orientation tout aussi impressionnant. Si Hildegard avait été désignée pour servir de guide à l’unité des monts Galdhøpiggen dirigée par le patriarche du Clan de la Griffe, Botvid, c’était en raison de ces capacités. Contrairement à la force des monts Þrymheimr, il n’y avait pas de guide local approprié pour les diriger. C’est pour cette raison que Kristina et Hildegard, avec leurs capacités d’éclaireuses, avaient été choisies pour les guider. En pratique, leurs capacités, en particulier les capacités physiques d’Hildegard, semblables à celles d’un loup, semblaient montrer leur véritable force dans les montagnes, et leur progression à travers les montagnes s’était faite en douceur, sans problème majeur en cours de route.

« Très utile. Peut-être voudrais-tu rejoindre mes Vindálfs ? J’en ferais un meilleur usage. »

« Pas question. Tu as manifestement l’intention de m’épuiser. »

« Oui, mais cela te donnera plus d’occasions de faire tes preuves. »

« Euh… »

Hildegarde resta silencieuse, car elle n’avait pas de réponse à la remarque de Kristina. Après tout, Hildegard voulait avant tout avoir l’occasion de faire ses preuves. Bien sûr, Hildegard était maintenant commandante de compagnie dans l’unité Múspell et chef des subordonnés du Clan de la Panthère, mais elle ambitionnait un poste bien plus élevé que cela. En clair, elle voulait le calice de Yuuto. Pour l’obtenir, elle avait besoin de plus d’accomplissements à son nom.

« Et, honnêtement, j’ai l’impression que je pourrais mieux utiliser tes capacités que la grande sœur Sigrún. J’ai beaucoup d’estime pour toi. »

Hildegarde se faisait toujours sermonner et réprimander par Sigrún, il y avait donc quelque chose d’agréable à se faire dire par quelqu’un qu’il la tenait en haute estime. Il y avait aussi une lueur étrange dans les yeux de Kristina.

« Pour preuve, je suis même prête à t’offrir le poste de seconde. »

« Ton second !? »

« Oui. Ceux qui contrôlent l’information contrôlent le monde. Ce sont les mots de Père. En tant que second des Vindálfs, tu pourrais régner sur les ombres du Clan de l’Acier. »

« 'Régner sur' !? »

Les yeux d’Hildegarde brillaient d’intérêt tandis qu’elle répétait les mots de Kristina. Il était clair qu’elle hésitait à accepter ou non l’offre.

***

Partie 3

Kristina esquissa un sourire en sentant qu’elle n’était plus qu’à un pas de convaincre Hildegarde. Cependant…

« Hmm… Gah ! Je… Je refuse ton offre ! Je n’ai pas l’intention de servir sous les ordres de quelqu’un d’autre que Sa Majesté et Mère Rún ! » s’écria Hildegarde en secouant la tête, comme si elle essayait de se convaincre.

Elle semblait avoir repris ses esprits, rappelée au dernier moment par sa loyauté envers Sigrún.

« D’ailleurs, je ne peux pas me fier à ce qui sort de ta bouche, mégère ! »

« Oh ! Ça fait mal. Crois-moi, s’il te plaît. »

« Pas convaincante du tout ! »

« Bon, d’accord. C’était divertissant tant que ça a duré. »

« Tu dis la vérité, mais je ne voulais pas l’apprendre ! »

« Tu es vraiment adorable. Je t’aime bien, Hilda. »

« Hrmph ! Je ne t’aime pas du tout ! »

« Quel dommage ! Comme il est pénible d’être éconduit par toi. »

Kristina s’esclaffa, son expression contrastant fortement avec ses paroles décevantes.

Elles continuèrent à avancer, Kristina taquinant Hildegarde sans pitié. Une fois qu’elles eurent parcouru une certaine distance…

« Arrêtez-vous. Je sens un grand nombre de personnes devant nous. »

Hildegard tendit la main sur le côté, stoppant l’avancée de la force. En entendant le commentaire d’Hildegard, Kristina se concentra sur ses sens, sentant la présence mentionnée par Hildegard.

« Oui, ils sont là. »

« Hm, environ quatre ou cinq mille. »

« Peux-tu le dire avec autant de détails ? Es-tu sûre de ne pas vouloir travailler pour moi ? »

Il n’y avait pas beaucoup de personnes plus aptes à détecter les ennemis que Kristina. Elle se surprit à vouloir Hildegard pour ses Vindálfs.

« Aucune chance. »

Mais la réponse d’Hildegarde était claire. Hélas, l’amour de Kristina était condamné à ne pas être réciproque.

« On dirait que tu as trouvé une amie amusante, Kris. »

« Oh, mon Père. Comment te sens-tu ? »

Kristina se retourna en riant. L’homme qu’elle avait en face d’elle n’était pas son père juré, Yuuto, mais son père biologique, Botvid, qui avait été placé à la tête de la division des monts Galdhøpiggen.

« Haha, c’était un peu éprouvant, mais c’était une petite randonnée tranquille. Pas de problème. »

« Je suis heureuse de l’entendre. Ce serait une honte pour le Clan de la Griffe si tu étais inutile quand il s’agit de quelque chose d’important. »

« Toujours aussi sévère. »

« Bien sûr, c’est un clan qui finira par m’appartenir, après tout. Je ne veux pas que tu ruines notre nom. »

« Haha ! Je suis heureux de l’apprendre. »

Botvid avait ri de la remarque désinvolte de sa fille.

Si Botvid était considéré comme un adversaire rusé, souvent décrit par ses amis et ses ennemis comme une vipère ou un vieux renard, il était relativement doux avec ses propres filles.

« Fundinn est-il arrivé à bon port ? »

« Il a un guide et on lui a dit de prendre des mesures contre le mal des montagnes, donc il devrait aller bien », répondit Kristina avec désinvolture.

Bien qu’ils puissent facilement vérifier à l’aide de sa radio, la distance est telle qu’elle était à la limite de sa portée.

« Alors la seule chose à faire est de lui faire confiance et d’attendre. »

Botvid acquiesça et s’assit.

Oui, il ne reste plus qu’à attendre. C’est trois jours plus tard que le signal est arrivé, leur annonçant que la bataille avait commencé.

Tels furent les événements qui menèrent à la bataille actuelle entre les armées du Clan de l’Acier et du Clan de la Soie.

« Dépêchez-vous ! Où sont Logi et Huginn ? »

Utgarda piqua une colère noire alors qu’elle attendait avec le gros de l’armée du Clan de la Soie. Bien sûr, c’était en partie parce que les forces qu’elle avait affectées aux ailes droite et gauche ne donnaient aucun signe d’apparition depuis les montagnes, mais une grande partie de son irritation venait du fait que ses propres forces étaient repoussées par les longues lances de l’armée du Clan de l’Acier.

C’était une femme dont l’ego atteignait les cieux. Elle ne supportait pas l’idée de perdre.

« Merde, merde, merde ! »

Sa colère était telle qu’elle poussa de grands jurons, sans se soucier de l’indignité de ses paroles, tout en frappant le sol de son fouet à plusieurs reprises. Ses serviteurs ne pouvaient que la regarder, tremblant de peur.

« S’ils survivent à cette bataille, ils regretteront de ne pas être morts. Ils seront rétrogradés… Non, ils seront exécutés ! Nous leur couperons la tête et les exposerons, ainsi que les têtes de leurs proches, devant les portes ! »

Ces mots firent trembler encore plus ses serviteurs. Aussi cruelle soit-elle, elle ferait tout ce qu’elle déclarerait faire. C’est ce qui rendait Utgarda si terrifiante.

« Messager du Seigneur Logi ! »

« Un messager ? S’il a le temps d’en envoyer un, alors il devrait attaquer ! »

Elle grogna sur le messager qui apparaissait devant elle, déversant sa colère sur lui. Le messager se figea de peur devant la fureur de sa voix. Cela ne fit qu’accroître la colère d’Utgarda.

« Sois maudit ! Parle ! Qu’est-ce que c’est ? »

Utgarda pensait chaque mot qu’elle avait lancé au messager, mais elle voulait aussi savoir ce que le messager était venu dire. Elle voulait — non, elle avait besoin — de savoir ce qui se passait. En tant que chef suprême du Clan de la Soie, elle voulait cette information plus que quiconque.

« Oui, Votre Majesté ! Actuellement, les forces du Seigneur Logi sur l’aile droite sont engagées avec un ennemi qui est soudainement apparu à l’arrière. Elles sont actuellement pressées et ne peuvent plus bouger ! »

« Quoi ? Un ennemi !? D’où viennent-ils ? »

« Il semble… qu’ils ont traversé les montagnes de Þrymheimr… »

« Comment ? C’est impossible ! » grogna Utgarda en jetant un coup d’œil sur les montagnes qui se dressaient au-dessus d’elle à sa droite.

Les montagnes de Þrymheimr comportaient des zones considérées comme sacrées et intouchables par les mortels. Il n’est pas certain que les dieux en soient à l’origine, mais il est de notoriété publique que ceux qui pénètrent dans ces zones tombent malades. Parfois, certains mouraient après avoir pénétré dans ces lieux. Traverser de telles montagnes relevait de la folie. Même s’ils parvenaient à les franchir, les soldats seraient inutiles à la fin de leur voyage. Quoi qu’il en soit, les soldats du Clan de la Soie étaient pressés par l’attaque-surprise du Clan de l’Acier.

« Message du Seigneur Huginn ! »

« Quoi ? Ont-ils eux aussi été attaqués ? »

« Oui, Votre Majesté ! Impressionnante perspicacité, Votre Majesté ! »

« Silence ! »

« Guh !? »

Le messager essaya de la flatter malgré son état de choc et reçut pour cela un grand coup de fouet d’Utgarda sur le visage. Elle était parfaitement consciente qu’il n’essayait pas de se moquer d’elle, mais la flatterie, alors qu’elle avait été complètement prise à revers par l’ennemi, ressemblait moins à un éloge qu’à une moquerie. L’homme méritait sa punition, cet incompétent et insensible !

« Raaah ! »

« Gah ! »

Toujours en colère, Utgarda s’élança à nouveau, son fouet frappant le dos du messager qui se recroquevillait en position fœtale.

Elle s’était encore emportée. Et encore.

« Graah… Urrgh… P-Pardonnez-moi… Pardonnez-moi… Pardonnez-moi… »

Le messager était recroquevillé en boule, sa voix tremblait alors qu’il implorait sa pitié. Le voir se tortiller apaisa la fureur d’Utgarda, qui retrouva un peu de son calme.

« Pfiou… Vous êtes tous inutiles. Il semblerait que nous devions mener le combat nous-mêmes. Apportez le palanquin ! » demanda vivement Utgarda en se levant.

Son palanquin avait été conçu spécialement pour elle. Lorsqu’il apparut sur la monture qui lui avait été attribuée, Utgarda retroussa les lèvres dans un sourire.

« Nous aurions dû l’utiliser dès le départ. »

Si elle avait déployé cette arme dès le début, elle aurait anéanti l’armée du Clan de l’Acier, peu importe ce qu’ils avaient tenté devant le col de la montagne. Elle se serait épargnée tous ces jours d’ennui.

Bien sûr, la création de cette arme n’avait pas été simple. Elle nécessitait beaucoup de temps, d’efforts et de richesses. Elle avait gardé ces forces en réserve parce qu’elle voulait éviter toute perte qui pourrait servir d’obstacle à sa conquête du reste d’Yggdrasil. C’était un mauvais calcul de sa part. Quelle frustration !

« Héhé, cela donne une bonne vue sur l’ennemi. »

Après avoir grimpé sur son palanquin, Utgarda regarda la scène qui s’offrait à elle et son expression se transforma en un sourire satisfait. La conviction de sa victoire, le désespoir que l’ennemi allait ressentir face à cette arme, tout cela effaçait la dernière parcelle de déception qui couvait dans son cœur. D’un air triomphant, Utgarda éleva la voix pour donner son ordre.

« Skrýmirs ! Suivez-nous ! Il est temps de piétiner l’ennemi ! »

+++

« Poussez ! Poussez ! Il est temps d’en finir ! »

Yuuto poussa un cri assez fort pour lui serrer la gorge. Les cris d’un général aidaient ses hommes à avancer.

Les deux ailes de flanc de l’armée ennemie étaient aux prises avec les forces qu’il avait envoyées par les montagnes, tandis que le corps principal de son armée submergeait le corps principal de l’ennemi grâce à ses phalanges. Yuuto y voit une opportunité de victoire et passe à l’action.

« Il semble que le seigneur Fundinn et le seigneur Botvid se soient bien débrouillés », nota Félicia.

« Oui, cela a dû être difficile, mais ils ont fait leur travail », répondit Yuuto.

« Héhé, ce n’était peut-être pas si difficile grâce à tes mesures contre le mal de l’altitude, Grand Frère. En fait, une marche normale aurait été plus difficile pour eux. »

Félicia s’esclaffa.

« Je suppose que oui. » Yuuto haussa les épaules avec un rire sec.

Le mal d’altitude décrit généralement les effets de la privation d’oxygène qui se manifeste à des altitudes supérieures à 2400 mètres. S’ils ne montaient pas plus de cinq cents mètres d’altitude par jour et prenaient les précautions nécessaires pour s’adapter à l’altitude, même les personnes ayant une faible capacité d’adaptation aux environnements à faible teneur en oxygène pouvaient éviter les symptômes du mal des montagnes. Bien entendu, personne à cette époque n’envisageait une progression aussi lente et tranquille. C’est pourquoi personne n’avait encore découvert qu’il s’agissait d’une méthode viable pour lutter contre le mal de l’altitude.

« C’était il y a longtemps, mais je suis content de m’en souvenir. »

Le Clan du Loup, dont Yuuto avait été le premier patriarche, avait élu domicile sur des terres entourées par les trois grandes chaînes de montagnes. Il avait cherché des méthodes pour lutter contre le mal de l’altitude au cas où il devrait faire passer ses armées par ces montagnes, mais comme il n’en avait pas eu besoin, les plans avaient été enfermés dans les recoins de sa mémoire. Yuuto n’aurait jamais imaginé que cela puisse être utile à ce stade.

« Très bien, il était temps. Rún ! Es-tu prête ? »

« Oui, quand tu le souhaites ! »

La voix confiante de Sigrún revint vivement de l’autre bout de la radio.

Elle avait déjà accompli d’innombrables exploits. Elle était la personne en qui Yuuto avait le plus confiance sur le champ de bataille. Les lèvres de Yuuto se retroussèrent en un sourire à l’idée de déployer ses forces.

« Très bien ! Chargez ! Apprenez-leur à craindre vos Múspells ! »

« Oui, Père ! »

Elle ferma la ligne avec sa réponse et, un instant plus tard, le bruit d’innombrables sabots tonna sur le champ de bataille.

Les Múspells étaient passés à l’action — la stratégie du marteau et de l’enclume.

C’était la tactique gagnante de Yuuto, celle qu’il employait depuis l’époque où il dirigeait le Clan du Loup. Elle utilisait les défenses imprenables des phalanges pour retenir la force principale de l’ennemi et utilisait la vitesse de l’unité Múspell de Sigrún pour l’entourer.

Face à des phalanges pour la première fois, sans leurs renforts sur les flancs qui plus est, l’ennemi était clairement en retrait. Même le prudent Yuuto se sentait au bord de la victoire et commençait à se détendre quand… Son émetteur-récepteur radio s’activa avec un râle désagréable.

« Père ! »

« Qu’est-ce qu’il y a, Rún ? »

Yuuto se crispa en entendant la tension dans la voix de Sigrún. Sigrún laissait rarement transparaître sa tension dans son ton. Le fait qu’elle soit si audible fit comprendre à Yuuto que la situation était désastreuse.

« Ils ont sorti leur arme secrète ! Les chevaux ne bougent plus de peur ! »

« Quoi ? »

Yuuto fronça les sourcils de surprise.

***

Partie 4

Il est vrai que les chevaux sont, par nature, des animaux timides, mais il s’agissait de montures de cavalerie entraînées à foncer sur les formations ennemies. Les chevaux utilisés par l’Unité Múspell étaient entraînés à ne pas se recroqueviller devant l’ennemi. Qu’est-ce qui pouvait bien les rendre si effrayés qu’ils ne bougeraient pas ?

« Qu’est-ce qu’il y a ? Quelle est leur arme secrète… ? Non, attends, je les vois d’ici. »

La voix de Yuuto était également tendue.

Les objets qui apparaissaient dans son champ de vision suffisaient à le faire trembler, même s’il avait déjà connu d’innombrables champs de bataille.

Ils étaient grands. Énormes, en fait.

Yuuto se souvenait avoir été intimidé par la taille d’un cheval la première fois qu’il en avait vu un, mais ces animaux étaient tellement plus grands que les chevaux qu’il pouvait sentir leur présence même à cette distance. La taille était, en soi, une force.

D’un coup de museau gris, l’animal renversait les fantassins lourdement armés comme s’ils étaient des quilles de bowling. C’était la première fois depuis ses batailles avec Steinþórr, le Dólgþrasir, qu’il voyait ses phalangites repoussés aussi facilement. Trente de ces monstres étaient alignés et fonçaient sur son armée. Il ne savait pas comment réagir.

« Des éléphants de guerre… Bon sang, je ne m’attendais pas à ça… »

La joue de Yuuto tressaillit et il laissa échapper un rire sec.

Les éléphants de guerre étaient, comme leur nom l’indique, des éléphants dressés pour la guerre. La domestication des éléphants aurait commencé dans la vallée de l’Indus vers 2000 avant notre ère. Ils avaient d’abord été utilisés comme bêtes de somme pour l’agriculture, tirant parti de leur force écrasante, mais vers 1100 avant notre ère, ils avaient commencé à être utilisés pour le combat.

L’utilisation d’éléphants de guerre par Utgarda était en avance de plusieurs siècles, surtout si l’on considère le niveau technologique actuel d’Yggdrasil, mais c’était là un autre exemple de sa remarquable créativité et de son talent de commandante.

« Bon sang, c’est bien la peine de sortir de nulle part. »

Yuuto cracha ces mots avec amertume.

Le Clan de la Soie était un clan très éloigné des régions qui entouraient étroitement la sphère d’influence du Clan de l’Acier. Le Clan de l’Acier avait également limité le temps qu’il pouvait consacrer à la collecte d’informations sur le Clan de la Soie. Kristina n’était pas non plus omnipotente ou omnisciente.

Il comprenait toutes ces choses. Du moins, son esprit les comprenait. Cependant, face à la réalité des éléphants de guerre qui s’abattaient sur ses forces, Yuuto ne pouvait s’empêcher d’émettre des plaintes.

« Bahahahaha ! »

Sur son palanquin, au sommet de son Skrýmir, Utgarda battait joyeusement des pieds tandis que l’éléphant fendait les lignes ennemies. Les phalangites qui repoussaient l’armée du Clan de la Soie se recroquevillaient de peur à l’approche de Skrýmirs et étaient facilement repoussés par la charge des animaux. C’était le spectacle le plus divertissant qu’elle ait jamais vu. Elle sentit toute la frustration qu’elle avait accumulée s’évanouir au fur et à mesure qu’elle la regardait se dérouler.

« Faible ! Faible, Clan de l’Acier ! Est-ce tout ce que vous avez ? »

Elle riait d’un air moqueur, regardant gaiement l’ennemi.

Même un dieu de la guerre ne pouvait rivaliser avec son éclat. Les rangs de l’armée du dieu de la guerre se dispersaient face à son arme secrète. Utgarda se sentait toute puissante, estimant que c’était elle, et non Suoh-Yuuto, qui méritait d’être considérée comme un dieu de la guerre.

« Haha, une telle puissance ! Avoir créé une telle arme… Notre brillance nous effraie nous-mêmes ! »

Elle fit l’éloge sincère de son propre génie.

La première chose qui rendait les éléphants de guerre si puissants était la force de leur charge. Ils étaient capables d’écraser l’infanterie ennemie sous leurs pieds et de l’écarter. Les lignes ennemies qui avaient été si difficiles à briser auparavant s’effondraient sous le poids de ces animaux. C’était une démonstration de force écrasante.

Les flèches étaient également envoyées depuis le haut de ces corps géants. Les archers montés sur les éléphants avaient l’avantage de la hauteur. Ils pouvaient voir clairement leurs cibles tout en restant difficiles à atteindre en retour, et leur hauteur leur donnait également une plus grande portée. Il n’y avait peut-être pas de meilleure plate-forme pour les archers.

Les volées de flèches lancées depuis le sommet des éléphants avaient semé la panique parmi les soldats de l’armée du Clan de l’Acier.

« Les chars sont la plus grande arme ? Les héros du champ de bataille ? »

C’était le cas à l’époque précédente. Ce n’était plus le cas aujourd’hui.

« C’est donc l’ultime unité de cavalerie du Clan de l’Acier, les Múspells ? Ces pitoyables rejetons incapables de bouger à la vue de nos Skrýmirs ? Haha ! Ils sont si pathétiques qu’ils méritent la moquerie ! Bahahahaha ! »

Utgarda ne se contentait pas de grogner de dérision, elle éclatait de rire. Elle savait que les éléphants de guerre étaient puissants, mais cette bataille avait renforcé sa conviction. Elle n’aurait jamais pu croire le contraire. Ses Skrýmirs étaient la force ultime sur le champ de bataille.

« Suoh-Yuuto ! Vos forces seront écrasées, et vous serez traîné devant Nous ! »

 

 

« Bon sang… Qu’est-ce que je suis censé faire face à quelque chose comme ça… ? »

Bien qu’il y ait encore une bonne distance entre sa position actuelle et l’avancée des éléphants, Yuuto se sentait désespéré en regardant les éléphants faire des ravages. Les soldats de l’armée du Clan de l’Acier qui étaient rassemblés près de leurs jambes ressemblaient à des soldats de plomb lorsque les éléphants les renversaient. C’était peut-être de l’humour de potence déplacé, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que les éléphants faisaient passer ses hommes pour de simples puces en leur présence.

« Grand Frère, si les choses continuent ainsi… »

« J’en suis bien conscient ! »

Yuuto répondit promptement à la remarque déchirante de Félicia, mais il ne put cacher l’inquiétude qui montait dans sa voix. C’est dire à quel point la situation était grave à ce moment-là.

Si Yuuto avait vu des éléphants un nombre incalculable de fois au zoo, les soldats du Clan de l’Acier en voyaient pour la première fois. Quelque chose d’une taille inimaginable fonçait sur eux à toute allure. De plus, les flèches pleuvaient du haut de ces éléphants qui chargeaient.

La combinaison de leur entraînement quotidien, de la stricte discipline militaire qui leur avait été inculquée et de leur confiance en Yuuto en tant que chef empêchait les soldats du Clan de l’Acier de craquer. Ils maintenaient miraculeusement leur discipline et leur moral face à ces bêtes de guerre écrasantes, mais ils étaient clairement sur le recule, ne sachant pas comment faire face à ce nouvel adversaire. Yuuto pouvait facilement imaginer la panique qui gagnait les rangs. Il devait y remédier au plus vite.

« Tch. Si seulement nous avions des tetsuhaus avec nous. »

Yuuto fit claquer sa langue en signe de frustration.

Les éléphants étant des animaux, ils auraient été effrayés par les bruyantes détonations des tetsuhau. Cependant, pour leur plus grand malheur, le gros de l’armée de Yuuto n’en avait pas à sa disposition. Ils étaient déjà à court de poudre à canon à cause de leur récente série de batailles, et le petit nombre de tetsuhau que l’armée avait apporté pour cette campagne avait été distribué aux forces envoyées pour s’occuper des ennemis de flanc. Il avait pris cette décision parce qu’ils étaient l’arme parfaite pour une embuscade. Sa décision n’était pas une erreur, surtout si l’on tient compte de ce qu’il savait à l’époque, mais il était tout de même pénible de ne pas les avoir sous la main en ce moment.

« … Mon téléphone ne capte pas non plus de signal ici. »

Il sortit son fidèle smartphone et jeta un coup d’œil à l’écran, mais l’icône de puissance du signal était barrée. Cela allait de soi — il n’avait pas apporté le miroir divin, après tout. Et même s’il l’avait emporté, il n’aurait pas pu se connecter à quoi que ce soit, car la lune n’était pas dans le ciel.

« Tch. Si j’avais su que cela arriverait, j’aurais aussi cherché comment faire face aux éléphants de guerre. »

Il était trop tard pour avoir des regrets. Cette situation était quelque chose que même Yuuto n’avait pas prévu. Il avait beau fouiller dans sa mémoire, il ne trouvait aucune référence aux éléphants de guerre.

Que doit-il faire ? Que peut-il faire ? Doit-il retirer ses forces pour l’instant et se regrouper ?

Cependant, si le Clan de la Flamme parvenait à remédier à sa pénurie de nourriture, il ne pourrait pas maintenir ses forces ici, à l’est. À ce rythme, cependant…

Alors que Yuuto était sur le point de s’enfoncer dans un labyrinthe mental qu’il avait lui-même créé, un coup sec retentit. Le coude de Yuuto avait apparemment heurté quelque chose, le ramenant à la raison.

« Hm ? »

Son regard se tourna en direction de l’objet et il gloussa d’autodérision.

« Haha… “Le commandant d’une armée doit être capable de garder son sang-froid en toutes circonstances”, c’est ça ? Cela me semble tout à fait juste », s’était dit Yuuto en essayant de retrouver son calme et de se préparer à ce qu’il avait à faire. Il posa sa main sur la poignée de l’épée qui ornait désormais sa hanche. Cette épée avait appartenu à Skáviðr, et il la portait maintenant en hommage à son ami disparu. Il semblait que Skáviðr soit venu à lui depuis le Valhalla. Même la mort ne pouvait l’empêcher de servir son seigneur.

Bien sûr, ce bruit n’était probablement qu’une coïncidence, mais Yuuto était certain que Skáviðr lui parlait. Après tout, si Skáviðr l’observait, il ne pouvait pas très bien se ridiculiser devant lui. Dès qu’il pensa à la présence de Skáviðr, il sentit les eaux agitées de son cœur se calmer.

« Si je ne peux pas m’en occuper moi-même, je ne pourrai certainement pas battre Oda Nobunaga. »

Yuuto acquiesça et rangea son smartphone.

Nobunaga avait montré à plusieurs reprises qu’il était capable de faire des coups que Yuuto n’avait pas pu anticiper lors de leur dernier combat. S’ils devaient s’affronter à nouveau, Yuuto savait qu’il était probable qu’il se retrouve dans une situation imprévue. Il ne pouvait pas très bien chercher des réponses dans une situation où il devait prendre une décision en quelques secondes. Bien sûr, il était toujours important de développer ses connaissances à l’avance, mais il ne pouvait pas compter uniquement sur sa capacité à le faire. Il ne pourrait pas vaincre le monstre qu’était Oda Nobunaga s’il n’était pas capable de réfléchir et de s’adapter à n’importe quelle situation. Il n’avait d’autre choix que de réfléchir à la question et de trouver une solution par lui-même. Après tout, Yuuto était le commandant suprême de l’armée du Clan de l’Acier.

« Dans… ce cas… Maintenant, que faire… ? »

Il fit le vide dans son esprit en respirant profondément et se concentra sur ses pensées. Dès qu’il le fit, les bruits de la bataille s’éloignèrent. Les cris des soldats, le choc des armes, le grondement du sol — même s’il pouvait encore les entendre, ils lui semblaient lointains. Il sentit quelque chose de familier — quelque chose de chaud — lui effleurer le cœur. C’est à ce moment-là que des images commencèrent à apparaître dans sa tête.

Il y eut d’abord la photo du terrain que le subordonné de Kristina avait prise plus tôt. Ensuite, d’innombrables bannières indiquant ses forces étaient apparues sur cette photo. Les bannières des forces ennemies apparurent également sur le terrain. C’était une image qu’il avait formée en combinant les rapports des messagers, la vitesse d’avance connue de ses forces et sa propre expérience de la bataille.

Bien que Yuuto lui-même n’ait aucun moyen de le savoir, il possédait une carte mentale extrêmement précise du champ de bataille actuel. Bien sûr, cela ne signifiait pas qu’il saisissait les positions avec une précision totale, mais les différences entre sa carte mentale et la réalité étaient minimes — des erreurs d’arrondi mineures au mieux. Il avait une compréhension remarquable du champ de bataille.

S’il était difficile de commander des soldats au combat, c’est parce que comprendre les positions relatives des alliés et des ennemis depuis le sol était une tâche extrêmement difficile. La possibilité de surveiller les positions de ses forces depuis le ciel était un outil remarquable à sa disposition. C’était le genre d’informations que tout commandant souhaitait obtenir, mais c’était aussi le genre d’informations sur lesquelles il était le plus difficile de mettre la main.

« Rún est là… Rún ! Recule pour l’instant et contourne l’ennemi ! Si vous vous éloignez des éléphants, vous devriez pouvoir utiliser vos chevaux ! » Il cria dans la radio, ce qui provoqua une réponse perplexe de la part de Sigrún.

« … C’est vrai. Tu as raison, père. Je ne peux pas croire que je n’ai pas… »

Si les chevaux sont inutiles avec les éléphants parce qu’ils en ont peur, la première chose à faire est de les en éloigner. À première vue, cette réponse semblait évidente. Cependant, face à une situation inconnue, en particulier lorsqu’il s’agit de vie ou de mort, les gens ont tendance à avoir l’esprit vide, ce qui les rend incapables de trouver la moindre solution, même la plus élémentaire et la plus évidente. Même Sigrún, d’ordinaire imperturbable, ne faisait pas exception à la règle. Le simple fait de voir des éléphants de guerre pour la première fois avait un impact psychologique énorme, même pour elle.

« Compagnie Claes, Compagnie Alrekr, Compagnie Gale, faites cent pas à gauche. Compagnie Thír, Compagnie Erna, Compagnie Hrönn, cent pas à droite ! »

Yuuto continuait à donner des ordres à toute vitesse aux différentes compagnies sous son commandement. Félicia resta d’abord bouche bée devant la précision de ses ordres, mais elle commença rapidement à comprendre ce qu’il essayait d’accomplir.

***

Partie 5

« F-Fantastique… »

Les éléphants de guerre qui chargeaient traversaient les espaces entre les compagnies. Comme les phalanges, les éléphants de guerre n’étaient pas capables de changer rapidement de direction. Ayant perdu les cibles qu’ils étaient censés écraser, les cavaliers essayèrent en toute hâte de faire tourner leurs éléphants, mais il leur fallut du temps pour réagir aux événements qui se déroulaient devant eux. Ils n’étaient probablement pas encore habitués à les contrôler au combat.

Yuuto n’était pas du genre à manquer une telle occasion.

« C’est vrai, les éléphants se sont arrêtés. Profitez-en pour frapper leurs pattes ! »

Rapidement après que Yuuto ait donné ses ordres, les soldats commencèrent à foncer sur les éléphants de guerre. Leur court contact avec les Skrýmir avait suffi à leur montrer le danger qu’ils représentaient. Ils n’auraient pas d’autre occasion de s’en occuper. La peur des éléphants les poussait à aller de l’avant. Quelle que soit l’épaisseur des pattes des éléphants et la solidité de leur peau, même eux ne pouvaient résister aux attaques simultanées de dizaines de longues lances qui les assaillaient. Des bruits sourds retentirent sur le champ de bataille. C’était le bruit des éléphants qui s’effondraient sous le poids des attaques.

« Là ! »

Yuuto brandit un poing en signe de triomphe.

Bien sûr, il n’avait aucun moyen de le savoir, mais c’est la méthode que Scipion l’Africain, le commandant suprême de l’armée romaine à la bataille de Zama, avait utilisée pour vaincre les quatre-vingts éléphants d’Hannibal. La différence, cependant, c’est que Scipion l’Africain savait qu’Hannibal avait des éléphants de guerre et qu’il avait préparé ses unités. Yuuto n’en savait rien et n’avait pas non plus entraîné ses unités à les affronter. Il avait trouvé cette solution à la volée, en déplaçant ses compagnies d’infanterie pour s’occuper des éléphants.

« Oh là là… Tu es capable de commander tes forces avec une telle finesse, c’est vraiment stupéfiant, Grand Frère. C’est comme si tu les déplaçais comme tu le ferais avec tes bras ou tes jambes — non, peut-être même avec autant de précision que le bout de tes doigts ! Si je ne connaissais pas mieux, je dirais que tu es capable de voir le champ de bataille d’en haut ! »

 

 

Bien que Félicia ait compris l’étendue des capacités de Yuuto en tant que tacticien, elle ne pouvait que rester bouche bée devant la précision de ses manœuvres tactiques.

Cependant, son observation était, en un sens, correcte. Yuuto voyait le champ de bataille d’en haut, ce qui aurait été impossible pour un commandant au sol. D’une certaine manière, cela ressemblait aux pouvoirs de Hárbarth, le patriarche du Clan de la Lance, mais c’était une bête complètement différente.

Parmi les joueurs d’élite de basket-ball et de football, il existe de rares exemples de joueurs ayant une conscience spatiale qui donne l’impression qu’ils observent le jeu d’en haut. Lors d’une expérience télévisée, un célèbre joueur de football avait démontré qu’il savait exactement où se trouvait chaque joueur sur le terrain. Bien sûr, il va de soi que, quel que soit le talent de l’individu — puisqu’il s’agit en fin de compte d’un être humain —, il ne peut pas littéralement voir le terrain depuis le ciel.

Cependant, certains joueurs avaient une compréhension si précise des événements qui se déroulaient que la seule façon de l’expliquer était de dire qu’ils voyaient effectivement les jeux d’en haut. Ils pouvaient le faire grâce à leur capacité à traiter l’information. Ils recueillaient constamment des informations sur l’évolution de la situation autour d’eux, les combinaient avec une modélisation des tactiques et des comportements individuels, de la vitesse de course et d’autres variables qu’ils saisissaient par pure expérience. Ils traitaient ensuite ces informations par des calculs subconscients et créaient des cartes mentales extrêmement précises de la zone qui les entourait.

Yuuto faisait la même chose. C’était une compétence qu’il avait développée grâce à ses expériences intenses sur le champ de bataille au cours de son adolescence — l’étape de la vie d’une personne où ces expériences ont le plus façonné et contribué à la croissance d’une personne.

« C’est probablement grâce à Rífa. »

Yuuto toucha doucement son œil gauche et sourit avec nostalgie. Lui aussi avait compris qu’il avait grandi rapidement. Les yeux de Félicia s’écarquillèrent de surprise.

« Serait-ce... Que tes capacités d’Einherjar se soient manifestées ? Mais attends, tes pouvoirs ne sont-ils pas scellés à cause du Gleipnirs… ? »

« Oui, ils sont encore scellés. »

Tout ce que Yuuto pouvait faire avec ses runes jumelles scellées était d’avoir une vague idée du flux d’ásmegin. Lorsqu’il avait regardé à l’intérieur de lui en saisissant son ásmegin, il avait vu que l’immense ásmegin en lui était encore retenu par d’innombrables couches de chaînes.

« Cela dit, la petite force qui s’est dégagée des sceaux m’a donné le coup de pouce dont j’avais besoin. »

Yuuto jeta un coup d’œil à sa paume et serra le poing, comme s’il s’agrippait à quelque chose.

Yuuto avait émis l’hypothèse que les capacités d’un Einherjar étaient des compétences innées, déjà présentes chez un individu, qui avaient été mises en valeur par l’étrange pouvoir d’Álfkipfer. Cela signifiait que ce pouvoir était en Yuuto depuis toujours et qu’il avait été nourri par les expériences qu’il avait vécues jusqu’à présent. Le talent avait toujours été là. C’est l’impulsion donnée par sa défunte épouse, Sigrdrífa, qui l’avait fait éclore. Yuuto regarda le ciel bleu clair et parla comme s’il s’adressait à sa défunte épouse.

« Merci, Rífa… J’ai reçu le cadeau que tu m’as laissé. »

+++

« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas faisable ! C’est impossible ! Tout à fait impossible ! »

Le Þrymr du Clan de la Soie Utgarda, assise sur son éléphant bien-aimé, s’arrachait les cheveux comme si elle était devenue complètement folle et se hurlait dessus à plusieurs reprises. La confiance inébranlable qui avait survécu à tous ses échecs précédents sur le champ de bataille avait été brisée, et elle était complètement paniquée. D’une certaine manière, c’était compréhensible.

« Nos Skrýmirs… Nos Skrýmirs… Tous perdus !? »

Comme elle venait de le dire très clairement, cela n’aurait pas dû être possible.

Elle s’était préparée à perdre au moins un ou deux éléphants. Même si elle en avait perdu cinq, elle aurait probablement pu accepter ses pertes avec amertume, mais son esprit refusait catégoriquement d’accepter le fait que chacun de ses Skrýmirs ait été anéanti.

Mais ce n’était pas tout. L’armée du Clan de l’Acier s’était regroupée et chargeait maintenant l’armée du Clan de la Soie. Les forces du Clan de l’Acier, qui s’étaient manifestement ressaisies après avoir vaincu les redoutables Skrýmirs, semblaient avoir encore plus d’élan qu’auparavant. Les unités de cavalerie qu’elle pensait avoir fuies le champ de bataille par peur des Skrýmirs s’étaient regroupées et attaquaient maintenant son flanc arrière. L’armée du Clan de la Soie s’était soudain retrouvée au bord de la défaite.

« Pourquoi ? POURQUOI ! POURQUOI ? »

Utgarda ne comprenait pas ce qui venait de se passer. L’armée du Clan de l’Acier avait manifestement été plongée dans le chaos le plus total après avoir rencontré des éléphants pour la première fois et s’était retrouvée à reculer. Leurs soldats avaient été à deux doigts de se briser et de s’enfuir en une populace désorganisée, du moins c’est ce qu’il semblait. C’était la seule façon dont elle pouvait interpréter les événements qui s’étaient produits jusqu’à présent.

Comme pour lui reprocher son excès de confiance, l’armée du Clan de l’Acier avait soudainement séparé ses compagnies, laissant passer les éléphants, et les avait tués alors qu’ils luttaient pour changer de direction. C’est exactement ce qui s’était passé, et ce dont Utgarda avait été témoin, mais elle n’arrivait toujours pas à croire ce qu’elle avait vu.

Tout d’abord, il n’aurait pas dû être possible pour quelqu’un de trouver une méthode aussi précise pour vaincre des Skrýmirs aussi rapidement. L’armée du Clan de l’Acier n’en avait jamais vu auparavant !

De plus, elle n’arrivait pas à croire que des soldats confrontés à des monstres géants qui écrasaient leurs alliés sous leurs pieds et les balayaient avec leurs trompes puissent maintenir leur discipline. La panique que les Skrýmirs avaient semée dans leur sillage aurait dû réduire les soldats du Clan de l’Acier à un amas de corps confus.

Pour Utgarda, les gens sont tous des êtres faibles et fragiles. Lorsqu’ils étaient poussés à l’extrême limite de la peur, et surtout lorsqu’ils étaient confrontés à une mort imminente, ils sombraient dans une panique mortelle. C’est ainsi que les gens étaient censés se comporter dans le monde d’Utgarda. Elle ne pouvait même pas imaginer comment développer chez ses soldats la discipline et la confiance dont ils auraient eu besoin pour garder leur sang-froid face à une mort certaine.

« Est-il vraiment un dieu de la guerre… ? »

Le corps d’Utgarda se mit à trembler et ses dents claquèrent tandis qu’elle frissonnait. C’était la première fois de sa vie qu’elle ressentait la peur.

« Il n’y a aucun moyen de gagner contre lui ! »

Utgarda laissa échapper un cri de désespoir, sa voix tremblant de peur. C’était la première fois qu’elle était mise en déroute par quelqu’un de plus puissant qu’elle, et l’expérience avait brisé son esprit.

Yuuto et Nobunaga avaient été marqués par leur expérience, ayant subi d’innombrables échecs et déceptions dans leur vie. Ils auraient réagi différemment d’Utgarda, redoublant d’efforts et se remettant de leurs défaites avec une énergie renouvelée. Mais Utgarda avait écrasé ses adversaires jusqu’à présent, en s’appuyant presque entièrement sur ses talents naturels, sans jamais être mise à l’épreuve. Tout ce qu’elle voulait accomplir, elle le faisait avec facilité. Cela lui venait naturellement. Elle n’avait jamais connu d’échec notable dans sa vie ni de déception cuisante, ce qui la rendait trop vulnérable lorsqu’elle était confrontée à la réalité de ses propres lacunes.

« R-Re… Re… Re… »

Elle avait du mal à formuler les mots. Sa bouche était sèche, sa langue plombée. Son cœur battait la chamade et elle se tenait la poitrine, mal à l’aise. Utgarda n’avait pas fait d’effort, mais elle avait du mal à respirer. Elle avait beau avaler de l’air, elle se sentait toujours à bout de souffle. Son visage s’était vidé de ses couleurs, ses lèvres étaient devenues violettes et son visage s’était figé dans un rictus de peur. Il n’y avait plus aucune trace de sa beauté altière habituelle. Pourtant, elle s’était ressaisi juste assez longtemps pour crier ses ordres.

« Re-Re-Retraite ! RETRAITE ! »

« Père, un de ces monstres gris quitte le champ de bataille. Il porte un palanquin élaboré sur son dos. Je crois que c’est Utgarda, la patriarche ennemie. »

Le rapport de Sigrún était arrivé par radio au moment où le vent avait complètement tourné en faveur de l’armée du Clan de l’Acier et où la bataille était pratiquement décidée. C’était le bon moment pour que le commandant suprême de l’ennemi prenne la fuite. Yuuto eut l’impression que la panique gagnait rapidement les rangs ennemis. C’était probablement le résultat du départ du commandant suprême de l’ennemi. C’était l’occasion rêvée.

« Très bien, poursuivons — ! »

Les mots moururent dans la bouche de Yuuto alors qu’il tentait de donner l’ordre de poursuite. Il se souvenait de la dernière fois qu’il avait ordonné une poursuite. Ses forces avaient poursuivi l’armée du Clan de la Flamme qui battait en retraite, tombant directement dans le piège de Nobunaga. Son erreur d’appréciation avait coûté la vie à Skáviðr. Yuuto savait bien que la victoire et la défaite faisaient partie de la vie d’un général, et il avait appris à l’accepter au fil des ans, mais la perte de l’un de ses plus fidèles subordonnés avait laissé un traumatisme durable dans sa psyché. La blessure était encore fraîche, et elle était loin d’être guérie. Le fait que l’armée du Clan de la Soie ait utilisé une feinte de retraite lors de l’escarmouche initiale jouait sur son hésitation. Yuuto sentit son pouls s’accélérer et de la sueur perler sur son front.

« G-Grand Frère !? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Remarquant le changement soudain de Yuuto, Félicia l’interpella avec inquiétude.

Yuuto se tenait la poitrine, la respiration difficile. Il avait peur, il était mortellement effrayé à l’idée qu’une erreur d’appréciation puisse lui faire perdre un autre membre de sa famille jurée. Un simple rappel de ce qui s’était passé suffisait à déclencher une crise de panique.

Cependant, les batailles de poursuite étaient les moments où les armées pouvaient transformer une victoire proche en une déroute complète. Il n’est pas exagéré de dire que sans poursuivre et détruire l’ennemi, une bataille ne peut être qualifiée de gagnée. S’il ne surmontait pas son traumatisme, il n’y avait pas d’avenir pour lui ou son peuple. Yuuto serra fermement la poignée de l’épée à sa hanche et inspira profondément. Il fléchit les muscles de son ventre et, à force de volonté, maîtrisa la peur qui menaçait de s’emparer de son corps.

« Tout va bien. Je vais bien. »

Sur ce, Yuuto sourit à Félicia.

***

Partie 6

Les symptômes physiques de son anxiété disparurent rapidement, comme si rien ne s’était passé. Il se concentra à nouveau sur sa carte mentale et retourna dans son royaume mental. Maintenant qu’il y était entré une fois, il avait compris le secret qui lui permettait d’entrer dans cet état d’esprit à volonté.

Il revit le territoire dans sa tête. Toutes ses pensées inutiles s’évanouirent et il sentit ses sens s’aiguiser. Il se mit dans un état de concentration intense. Dans le monde du sport, cet état d’esprit est souvent appelé « être dans la zone ». Le « Royaume de la Vitesse Divine » de Sigrún était basé sur les mêmes principes.

« Il y a beaucoup de confusion et de peur dans les voix et les expressions de l’ennemi. Les circonstances, le nombre de soldats, le terrain… Oui, il n’y a pratiquement aucune chance que ce soit une feinte », murmura Yuuto, comme pour lui-même, en vérifiant les informations qu’il avait recueillies.

Sa nouvelle capacité ne lui permettait pas seulement de voir le champ de bataille d’en haut. C’était simplement un effet qui accompagnait son nouveau pouvoir. En réalité, cette capacité lui permettait d’augmenter considérablement sa capacité à recueillir des informations grâce à ses sens aiguisés, et de les traiter et de les analyser rapidement grâce à sa concentration améliorée. Yuuto pouvait désormais capter les moindres informations qui auraient pu échapper à d’autres, les ajouter à son analyse en cours, et trouver une solution plus précise et plus exacte à la situation en cours.

L’augmentation de la quantité d’informations dont il dispose augmentait considérablement la précision de ses conclusions. C’était comme si une pyramide pouvait être plus haute en fonction de la surface de ses fondations. Par essence, les capacités que Yuuto avait affinées au fil des années d’expérience étaient maintenant massivement renforcées par le fait d’être dans la zone.

« Très bien ! Poursuivons-les, Rún ! Ne les laisse pas partir ! Nous te suivrons ! »

Surmontant son traumatisme, Yuuto donna ses ordres. Il n’y avait pas la moindre trace de peur ou de doute dans sa voix. Il énonça son ordre avec une conviction totale.

+++

« Sniff… Pourquoi… ? Pourquoi devons-nous subir cela ? »

Utgarda se cacha sous une couverture dans la section cargo d’un char d’officier, marmonnant pour elle-même, les larmes aux yeux. Elle avait rapidement remplacé le palanquin de son Skrýmir par le char peu après avoir quitté le champ de bataille. Un Skrýmir était bien trop visible, ce qui en faisait une cible parfaite pour l’ennemi. Être au sommet d’un Skrýmir, c’était demander à l’ennemi de s’en prendre à elle et de lui couper toute possibilité de retraite. Son Skrýmir était son précieux compagnon, qu’elle adorait depuis sa naissance, mais il n’était pas plus important pour elle que sa vie.

Elle avait placé un leurre sur le palanquin du Skrýmir. Cela devrait au moins lui permettre de gagner un peu de temps. Elle prévoyait d’utiliser ce temps pour s’échapper. Bien que la défaite ait ébranlé son calme et sa confiance, sa ruse innée jouait encore en sa faveur.

« Vite ! Plus vite ! », lança Utgarda au conducteur de son char.

Bien qu’elle ait gagné du temps avec son leurre, il n’y avait aucune garantie de s’échapper. Le Clan de l’Acier avait ses unités de cavalerie, après tout. Elle s’était moquée d’eux lorsque sa victoire semblait acquise, mais ils représentaient la plus grande menace pour elle à l’heure actuelle.

Il va sans dire que les unités de cavalerie sont rapides. Elles étaient de loin les unités militaires les plus rapides d’Yggdrasil. Utgarda jeta un coup d’œil inquiet vers l’arrière, craignant de voir bientôt apparaître l’ennemi à ses trousses. Elle sentait monter la panique à la perspective de leur approche.

« Nous allons aussi vite que possible ! Plus vite et les chevaux ne tiendront pas le coup ! »

« Faites-le quand même ! Tout ce que nous avons à faire, c’est d’atteindre la forteresse la plus proche ! »

Prise par sa propre survie, Utgarda hurla les ordres. Elle ne voulait pas mourir. C’était la chose qu’elle voulait le plus éviter. Elle ne pensait qu’à sa survie.

« … Eep ! »

Utgarda recula en tremblant de peur en entendant le son qu’elle redoutait le plus. D’abord lointain, il s’amplifia au fur et à mesure que l’on s’approchait de sa source. C’était le tambour régulier des sabots, c’était le grondement des montures de cavalerie galopant sur la terre dure.

« N-Non ! C’est le bruit de nos chars ! C’est ce qu’il doit être ! » se dit-elle à haute voix.

Elle comprenait la situation au fond de son cœur. Elle se couvrit de sa couverture et espéra contre toute attente que son observation soit vraie.

Elle jeta un coup d’œil hésitant hors de la couverture. La première chose qu’elle vit fut un éclat d’argent.

« Le M-Mánagarmr !? »

C’était le pire spectacle qu’elle aurait pu imaginer. Elle voyait les cheveux argentés de la plus grande cavalière du Clan de l’Acier, la guerrière qui avait pris d’innombrables têtes des ennemis vaincus du Clan de l’Acier. Utgarda était elle-même une Einherjar, et avec son immense talent inné, elle avait confiance en ses capacités au combat. S’il s’était agi d’un simple cavalier à ses trousses, elle l’aurait immédiatement abattu, mais dans ces circonstances, elle n’avait pas l’intention d’affronter celle qui était réputée être la plus grande guerrière d’Yggdrasil. De plus, il y avait plus d’une centaine de soldats dans le sillage de Sigrún. En comparaison, la garde d’honneur d’Utgarda se résumait à une douzaine de chars. Ses forces n’avaient aucune chance de l’emporter.

« Dépêchez-vous ! C’est pour cela que nous vous avons dit de vous dépêcher ! »

« Il n’y a rien que j’aurais pu… »

« Soyez maudits ! On n’a plus besoin de vous ! Hors de notre chemin ! »

« Hein !? Noooon ! »

Utgarda poussa le conducteur hors du char et prit elle-même les rênes. Le char était nettement plus léger, ayant perdu le poids d’un homme adulte. Grâce à cette réduction de poids, elle pensait que son char devrait avancer beaucoup plus vite. L’heure n’était pas aux demi-mesures.

« Vous êtes nombreux ! Tuez cette chienne aux cheveux argentés ! Retenez la poursuite ! Vous aurez tout ce que votre cœur désire si vous le faites ! »

Utgarda cria des encouragements à son escorte. En tant que membres de sa garde d’honneur, les guerriers des chars qui l’entouraient étaient compétents, mais ils étaient trop peu nombreux pour faire la différence. Elle ne s’attendait pas à ce qu’ils tuent le Mánagarmr. Utgarda essayait seulement de gagner du temps pour s’échapper. Mais ses espoirs furent anéantis en un clin d’œil.

« Au diable ! »

« Je vais me rendre ! »

« J’ai fini ! »

Son escorte perdit immédiatement l’envie de se battre et commença à jeter ses armes. Utgarda avait bien mérité ce sort. Elle s’était complue dans son rôle de tyran. Il lui arrivait tous les jours d’asséner des coups de fouet à ses subordonnés pour évacuer sa frustration. Elle avait parfois tué des membres de la famille et des amis de ses subordonnés sur un coup de tête. À l’instant même, Utgarda s’était débarrassée de son conducteur pour sauver sa peau et tentait de s’enfuir en utilisant ses subordonnés comme bouclier. Quel sentiment de loyauté pouvait-on éprouver envers une telle femme ? Le Serment du Calice était absolu à Yggdrasil, mais même cela avait ses limites. Tandis que la scène se déroulait, la terrifiante louve à la crinière argentée réduisait rapidement la distance qui le séparait d’Utgarda.

« Hah ! Vous n’avez aucun soutien, semble-t-il ! Bien différent de Père ! Le leurre sur votre palanquin s’est rendu sans combattre et a décrit votre char et la direction dans laquelle vous avez fui ! »

Tout en se moquant du patriarche du Clan de la Soie, la louve argentée lança la lance qu’il tenait dans sa main. La lance se planta dans l’une des roues du char et l’arrêta avec force. L’autre roue continua à tourner. Le char déséquilibré se retourna immédiatement, projetant Utgarda au sol.

« Guh ! »

Elle parvint à rouler et à amortir sa chute, mais la perte de son char fut un coup dur. Elle n’avait aucune chance d’échapper à autant de soldats à pied.

Que faire ? Que faire ? Que faire ?

Les mêmes mots se répétèrent dans l’esprit d’Utgarda tandis que la louve argentée descendait de sa monture. Elle dégaina l’étrange lame qu’elle portait à la hanche et s’approcha d’Utgarda à pied.

« Héhé, j’attendais ce moment. »

À cette remarque, les traits de la louve argentée prirent un sourire d’une froideur effrayante. Sa voix était remplie d’une fureur indéniable.

« Vos insultes à l’égard de Père sont allées trop loin », poursuivit la louve argentée, une pointe de froideur dans la voix.

Pendant un instant, Utgarda n’avait aucune idée de ce dont elle parlait, puis elle s’en rendit compte. Elle se souvint de ce qu’elle avait fait. Elle avait envoyé ses soldats crier toutes les insultes possibles et imaginables envers Suoh-Yuuto pour tenter d’attirer le Clan de l’Acier. Elle avait été frustrée par le fait que cela ne semblait pas avoir d’effet, mais elle apprenait maintenant que cela avait énormément irrité les enfants de Suoh-Yuuto. Comment les choses pouvaient-elles empirer ?

« Faites-moi un duel. J’ai juré de vous tuer de ma propre main. »

La louve argentée se mit en position de combat, son épée à la main. Un battement de cœur plus tard, la louve avait réduit la distance.

« Ahh ! »

Utgarda réagit en dégainant l’épée qu’elle avait à la hanche pour bloquer le coup du loup. Le coup était lourd.

Alors que la détermination d’Utgarda avait été brisée par la force du coup de la louve, elle entendit le bruit désagréable du métal qui se déchire.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Utgarda bondit en arrière, paniquée. Son épée était fendue sur toute sa longueur.

« Qu’est-ce que c’est ? Impossible ! » hurla Utgarda. « Quelle est cette arme ? Pour qu’elle soit d’une force supérieure au métal des dieux… De quoi était faite cette épée !? »

Pour autant qu’Utgarda le sache, le fer fondu était plus résistant que le métal météorique. Mais malgré cela, sa lame s’était brisée d’un seul coup. L’épée d’Utgarda était un chef-d’œuvre qui avait été fabriqué par le plus grand forgeron du Clan de la Soie, mais même elle ne résisterait qu’à deux ou trois coups contre la lame de la louve.

Mais ce n’est pas tout…

La louve argentée qui maniait la lame était d’une habileté époustouflante avec son épée. En un seul échange, Utgarda s’était rendu compte de l’abîme qui les séparait. Elle ne pouvait pas gagner. Elle ne pouvait en aucun cas vaincre un tel monstre. Chaque fibre de son être le lui criait.

« C’est fini. »

« Restez à l’écart ! »

Utgarda jeta son épée et sortit le fouet de sa hanche. Dans des mains exercées, le fouet est nettement plus rapide que l’épée, mais la louve argentée évita facilement le coup de fouet. Utgarda sut que c’était fini à ce moment-là. Elle était face à un monstre imbattable. Utgarda ne voyait aucun espoir de victoire.

***

Partie 7

Les déesses du destin sont inconstantes. Elles punissent souvent ceux qui méritent la gloire et récompensent ceux qui méritent la punition. Ce genre de choses est relativement courant. L’instant présent en était un nouvel exemple : le fouet d’Utgarda avait frappé le cheval de son char abandonné. Choqué par la douleur soudaine au visage, le cheval enragé fonça sur la louve argentée.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Cette tournure des événements sembla même surprendre la louve argentée, dont les yeux s’écarquillèrent de stupeur. Pourtant, elle était une guerrière dont le nom était redouté dans tout Yggdrasil. Elle bondit sur le côté et évita le cheval qui chargeait.

« Argh, merde ! »

Si le corps de la louve argentée avait évité le cheval qui chargeait, son épée n’eut pas cette chance, et elle fut projetée dans les airs lorsque les sabots du cheval la repoussèrent. Les lèvres d’Utgarda se tordirent en un sourire malicieux.

« Bahahaha ! Il semble que les dieux nous aiment après tout ! »

Elle n’avait pas pu tirer d’autres conclusions. C’était une chance inouïe. Elle recula son fouet pour attaquer…

… et c’est là que la chance tourna. Utgarda aurait dû en profiter pour sauter sur le cheval et s’enfuir. Si elle l’avait fait, elle aurait pu s’échapper. Utgarda avait fait une grossière erreur d’appréciation. Elle n’avait aucune chance, même contre la louve argentée désarmée.

« Qu’est-ce que c’est ? Elle a dis… guh ! »

Un instant après que la louve argentée ait disparu de son champ de vision, une main la saisit à la gorge. Quelque chose attrapa ensuite la jambe d’Utgarda, qui s’effondra sur le sol.

« Gâcher une telle occasion en or… Vous n’êtes vraiment rien comparé à Père. »

En entendant les mots de dédain, Utgarda sentit l’emprise sur sa gorge se resserrer. Paniquée, elle tenta de retirer la main de sa gorge à deux mains, mais l’étreinte ne se desserra pas. Elle allait mourir. La louve argentée allait la tuer ici. Cette prise de conscience déclencha un flot d’émotions chez Utgarda.

« A-Aide ! Ne me tuez pas ! »

Les larmes coulèrent de ses yeux et elle sanglota, paniquée, toute trace de dignité ayant disparu. Le tyran maléfique était introuvable. Toute sa fierté, toute sa confiance en elle s’était évanouie. Il ne restait plus qu’une femme pathétique qui tremblait face à sa mort imminente.

« Je ne parviens pas à me… Aidez-moi ! S’il vous plaît ! Ayez pitié ! … Je ferais n’importe quoi ! »

Utgarda continuait à supplier pour sa vie, même si elle luttait pour respirer. Cependant, son adversaire n’était pas du genre à se laisser bercer par de telles supplications. Alors même qu’elle plaidait pour sa vie, l’emprise sur la gorge d’Utgarda se renforçait.

« Gah… Sto… Ne peut pas… respirer… »

Elle commença à perdre conscience et sa voix devint rauque. Alors qu’elle approchait de sa limite et que les ténèbres se rapprochaient…

« Hm ? Quoi !? »

La louve argentée poussa un cri de surprise.

« Elle s’est mouillée !? » cracha la louve argentée avec aigreur.

Maintenant que la louve en parlait, Utgarda sentait effectivement une chaleur autour de son entrejambe. Cependant, sa conscience lui échappant, elle ne comprenait pas ce que cela signifiait. Tout ce qu’elle comprenait…

« Bon sang, c’est elle qui m’est revenue à l’esprit… Tch. Je n’ai plus envie de vous tuer. »

… c’est que la main qui lui serrait la gorge s’était soudainement relâchée.

Cependant, il n’était pas facile de se remettre d’un étouffement presque mortel. Utgarda perdit connaissance et fut plongée dans les ténèbres.

+++

« Vous êtes donc le patriarche du Clan de la Soie, Utgarda. »

Yuuto posa sa joue contre sa paume et regarda la jeune femme que les Múspells avaient fait entrer dans la tente. Elle n’était pas très différente de lui en termes d’âge. Au premier coup d’œil, elle semblait être une belle femme. Elle avait une beauté froide et ciselée, plutôt que des traits mignons ou jolis. Cependant, peut-être était-ce l’idée qu’il se faisait d’elle, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que son expression était empreinte de sadisme et de méchanceté.

« Aïe ! »

Utgarda poussa un léger glapissement, son corps se crispant. Yuuto la regarda d’un air sceptique, pensant un instant qu’il s’agissait d’un acte pour attirer la sympathie, mais cela ne semblait pas être le cas. Utgarda tremblait. Elle avait manifestement peur.

« Ne me tuez pas, s’il vous plaît ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! »

Il avait presque pitié d’elle, car elle répétait les mots comme un mantra.

La femme devant lui ne ressemblait pas du tout à celle qui avait maté une rébellion, conquit un clan voisin, et qui avait presque mis l’armée du Clan de l’Acier de Yuuto dans les cordes. Elle ne ressemblait pas non plus au tyran arrogant qu’on lui avait décrit. Il avait pris un air intimidé pour s’assurer qu’elle ne le sous-estimerait pas, mais son apparition avait été pour le moins décevant.

« Je suis prête à tout. Vous pouvez apprendre à fondre le fer, à élever des éléphants et à fabriquer de la soie. Alors, s’il vous plaît… Juste… S’il vous plaît, ayez pitié. »

« Soupir… »

Yuuto ne put s’empêcher de pousser un soupir d’exaspération. Tous les objets qu’Utgarda avait proposé de lui apprendre étaient des secrets d’État pour le Clan de la Soie. Les offrir avant même que Yuuto ne dise quoi que ce soit… Utgarda était clairement une amatrice en matière de négociation.

« U-Um… Oh ! Je sais ! Q-Qu’en est-il des femmes de mon clan ? Elles ont une peau souple et sont connues pour leur beauté ! Vous pouvez en avoir autant… Autant de centaines que vous le souhaitez ! »

Elle était manifestement très effrayée par le soupir de Yuuto, et elle continua à blablater, offrant de nouvelles concessions. Sans doute l’offre venait-elle du fait qu’elle prenait au pied de la lettre la réputation de coureur de jupons de Yuuto. Il trouvait ce fait quelque peu irritant, mais il n’avait pas vraiment la possibilité de le nier, alors il laissa tomber pour le moment.

« Alors, les rumeurs selon lesquelles vous ne vous souciez que de vous-même étaient vraies, hein ? » dit Yuuto avec un mépris sincère, la seule réaction qu’il trouva étant un rire sec.

Utgarda n’avait fait aucun effort pour sacrifier quoi que ce soit venant d’elle, offrant son clan et son peuple sans la moindre hésitation. Elle était un exemple méprisable de patriarche. Utgarda était tout le contraire de Linéa, la femme qui avait essayé de faire tout ce qui était en son pouvoir, y compris de s’offrir en sacrifice, pour le bien de son clan et de son peuple.

« Quelle déception ! » Yuuto soupira à nouveau, incroyablement déçu par la femme en face de lui.

Les rapports avaient indiqué que le patriarche du Clan de la Soie était une personne extrêmement compétente, et il avait eu l’impression que son expérience en l’affrontant sur le champ de bataille n’avait fait que confirmer ces rapports. Bien qu’elle soit une souveraine excessivement tyrannique et qu’elle puisse être décrite comme une personne malveillante, le fait d’être une souveraine requiert la capacité d’être impitoyable lorsque c’est nécessaire. Il avait espéré que cela fasse partie de son caractère. La malice était là, mais il n’y avait rien d’autre de valable chez cette femme.

« Eep ! Je suis une Einherjar et l’un des grands élus des dieux ! Il ne fait aucun doute que je serai d’une grande utilité par rapport aux autres ! Je ne suis pas comme ces incompétents inutiles ! Je ferai tout ce que vous me demanderez ! Si vous voulez que je vous lèche les pieds, je le ferai ! Alors, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! Épargnez-moi la vie ! »

Effrayée par le regard froid de Yuuto, elle le regarda en suppliant, avant de baisser la tête et de la frotter contre le sol dans un appel à la pitié. Elle tenait à sa vie par-dessus tout.

Bien sûr, on pouvait en dire autant de Yuuto. Il n’avait pas l’intention de nier qu’il accordait de la valeur à sa propre vie. C’est ce que signifie être humain. Malgré tout, il voulait que les gens aient une certaine dignité, une certaine fierté. Il ne pouvait pas faire confiance à une personne comme Utgarda, une personne qui offrirait si facilement de vendre les gens de son clan, ou même son clan dans son ensemble. Et sans cette confiance, elle ne lui était d’aucune utilité. Yuuto n’avait aucun moyen de le savoir, mais c’était justement les mots qu’Utgarda avait utilisés pour écarter froidement Þjazi, le traître du Clan du Tigre.

« Ah, je vois. Cette fille ne s’investit dans rien du tout. »

Ces mots lui parvinrent comme une révélation divine. Il se souvint que Sigrún lui avait dit quelque chose de semblable lorsqu’il était venu pour la première fois à Yggdrasil. Il se souvenait d’avoir été en colère à l’époque, mais il comprenait maintenant ce qu’elle voulait dire. Yuuto voulait croire qu’il n’était pas aussi mauvais qu’Utgarda, mais dans tous les cas, il ne pouvait pas utiliser une telle personne.

« Souvenez-vous de ceci, mon garçon. Ce qui sépare le succès de l’échec, la vie de la mort, ce n’est pas le cerveau, les muscles, le pouvoir ou la richesse. Ce ne sont que des outils. Ce qui compte en fin de compte, c’est la force de la volonté de poursuivre ses objectifs jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. »

Il se souvenait bien de ces mots, ceux de son défunt père assermenté, Fárbauti. Il était d’accord avec ces mots. La femme, non, la fille devant lui, n’avait pas cette force de volonté.

« Si je n’avais jamais connu l’échec, et si tout s’était passé comme je l’avais espéré… Peut-être aurais-je fini comme elle. »

Yuuto repensa au garçon qu’il avait été et ne put s’empêcher de laisser échapper un rire d’autodérision. Cette fille aurait pu être lui. Le moins qu’il puisse faire était de lui donner l’opportunité de changer. Il prit sa décision.

« Très bien. J’épargnerai ta vie. »

« Vraiment ! Merci ! Merci beaucoup ! »

Les traits d’Utgarda, jusqu’alors pâles d’effroi, s’éclaircirent rapidement et elle leva les yeux vers lui avec soulagement. Apprendre qu’elle vivrait était apparemment un grand soulagement pour elle.

« Mais tout ce que j’épargne, c’est ta vie. À partir d’aujourd’hui… Tu es une esclave. J’espère que tu apprendras ce que c’était que d’être à l’extrémité réceptrice de ta tyrannie. »

« Hein !? N-Non ! Une esclave… !? »

Dès qu’elle avait appris qu’elle ne mourrait pas, sa fierté avait commencé à reprendre le dessus. Son expression montrait clairement qu’elle voulait éviter l’esclavage à tout prix. Elle était née fille de patriarche, avait été gâtée dès sa naissance, et elle s’était offert du luxe depuis qu’elle était devenue Þrymr. Sans doute pensait-elle qu’elle ne supporterait pas la vie d’esclave. Mais c’était justement pour cette raison que Yuuto pensait que c’était la bonne décision à prendre.

« C’est une affaire réglée », dit Yuuto sans ambages, la finalité étant évidente dans sa voix.

Le fait de toucher le fond est souvent ce qui est nécessaire pour que les toxicomanes, tels que les joueurs et les alcooliques, cherchent à se rétablir. Le fait de toucher le fond motive l’individu à améliorer sa situation et à se changer lui-même. En fait, beaucoup pensent que l’expérience est une condition préalable à la guérison d’une dépendance. Yuuto pensait qu’Utgarda avait besoin d’une expérience similaire. Il n’avait aucun moyen de savoir si Utgarda se briserait en touchant le fond ou si elle en profiterait pour réparer ce qui n’allait pas.

La balle était entièrement dans le camp d’Utgarda. Il pouvait veiller sur elle pendant quelques années et décider de ce qu’il ferait d’elle par la suite. Il n’avait rien d’autre à lui dire.

Yuuto se leva et déclara d’un ton tranchant : « Bien ! Il est temps de libérer la capitale du Clan du Tigre, Gastropnir ! »

***

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