Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 15 – Chapitre 5

***

Chapitre 5

***

Chapitre 5

Partie 1

Jetant un coup d’œil sur la Sainte Capitale depuis le sommet de l’un de ses châteaux de siège, Nobunaga se gratta le côté de la joue et soupira.

« Bon sang, cette ville va être plus pénible que je ne le pensais. La capturer va prendre un certain temps. »

Un mois entier s’était déjà écoulé depuis que le Clan de la Flamme avait commencé son attaque contre la Sainte Capitale.

Pendant ce temps, ils n’avaient lancé que des attaques intermittentes. Afin de remonter le moral des soldats, ils avaient essayé toutes les tactiques de siège conventionnelles, mais ils n’avaient pas eu grand-chose à se mettre sous la dent.

Après tout —

« Cette ville est trop grande ! »

C’était en tout cas ce sur quoi tout le monde s’accordait et qui était à l’origine de tous leurs problèmes.

Leur premier problème était que les murs du château étant très hauts — et les projectiles du Clan de l’Acier plus puissants que ceux du Clan de la Flamme — si les forces de Nobunaga s’approchaient des murs de la ville sans prendre trop de précautions, elles risquaient de perdre quelques-uns de leurs propres soldats sans pouvoir abattre le moindre de l’ennemi. Ce n’est pas ainsi qu’ils allaient progresser.

Leur deuxième problème était que, comme ils ne pouvaient pas s’approcher des murs et que les bâtiments de la ville étaient très dispersés, ils ne pouvaient pas compter sur les clameurs des soldats à l’extérieur des murs qui provoquaient une détresse mentale chez les habitants de la ville.

Leur troisième problème était qu’ils ne pouvaient pas permettre à leurs soldats d’encercler l’ensemble de la ville. S’ils l’avaient fait, leurs forces auraient été trop dispersées pour repousser une attaque concentrée des forces de défense.

Ce dernier problème était particulièrement évident lorsque la grande rivière Ífingr, qui coulait à l’est de la ville, était librement utilisée par les habitants de la ville. Les forces de Nobunaga n’avaient pas la force de mettre en place un blocus formel sur les eaux de la rivière, de sorte que les habitants avaient pu recevoir des cargaisons de nourriture et d’armes des bateaux qui passaient à travers les murs de la ville, comme ils auraient pu le faire avant le début du siège.

C’était comme si la ville n’était pas du tout assiégée.

Les patrouilleurs qui marchaient sur les remparts de la ville semblaient toujours aussi sains et vifs, ne montrant aucun signe d’inquiétude ou d’insomnie, malgré les soldats ennemis qui les attendaient juste derrière les murs.

« Eh bien, la vraie bataille est encore à venir. Nous n’avons fait qu’achever les préparatifs grâce à nos efforts jusqu’à présent. »

La construction de châteaux de siège devant les portes sud et ouest avait pour but d’empêcher d’autres régiments de soldats ennemis d’arriver de leurs avant-postes dans la région de Múspelheim. En fait, les châteaux de siège avaient été construits non pas pour attaquer la ville, mais plutôt pour défendre les forces de Nobunaga et leurs positions autour des portes.

Le commandant en second Ran était venu faire son rapport.

« Seigneur Nobunaga, les renforts du Clan de l’Acier arrivent maintenant de Gimlé. Ils sont environ dix mille. »

C’était presque exactement ce que Nobunaga avait prédit. Il hocha calmement la tête, puis dit : « Vraiment ? Très bien. Préparons le campement à la porte nord et attendons-les là-bas. »

C’était peut-être une évidence, mais si l’on contrôlait une position idéale pour attaquer les forces ennemies, il est possible pour la force de défense de tenir face à un ennemi plus nombreux.

Et avec ce surplus de soldats résultant du rationnement minutieux de leur force à la porte nord, ils pourraient facilement procéder à leur prochaine attaque.

Telle était la stratégie de Nobunaga. C’était la stratégie d’un homme du pays du soleil levant.

++

« Les forces principales du Clan de la Flamme ont commencé à se déplacer vers les murs nord de la Sainte Capitale. Elles contiennent environ trente mille soldats. »

« Ils ont donc l’intention de nous empêcher de rejoindre nos renforts ? Bon sang, j’ai l’impression d’être enfermé dans un tirage de cartes éternel par Nobunaga. C’est mon tour ! Encore mon tour ! Et encore ! »

Yuuto renifla d’exaspération et de dégoût devant le contenu du rapport de Kristina.

Dans les jeux au tour par tour, on ne peut attaquer qu’à son tour — mais si vous parvenez à faire en sorte que ce soit toujours votre tour, vous disposez alors d’un tirage de cartes éternel (c’est du moins ce que l’on a dit en ligne à propos d’un manga particulier).

« Les châteaux de siège qu’ils ont là sont vraiment très résistants. S’il y a dix mille soldats à l’intérieur de chacun d’eux, nous ne pourrons jamais en prendre le contrôle avec les forces dont nous disposons actuellement. »

Même s’ils décidaient d’attaquer un seul des châteaux de siège, ils ne seraient pas en mesure de l’abattre avant que l’armée du Clan de la Flamme, qui se dirigeait vers le nord, n’arrive pour lancer une attaque en tenaille contre les forces de Yuuto.

Yuuto pouvait difficilement ordonner à ses soldats de foncer tête baissée dans un tel danger.

« Dans ce cas, pourquoi ne pas attaquer le groupe principal de soldats ? Nous pourrons nous coordonner avec nos propres renforts et les prendre en tenaille. Nous ferons jeu égal, je pense, et serons peut-être même assez forts pour remporter la victoire », suggéra Kristina.

« Cela semble aussi effrayant à envisager. C’est comme si c’était ce qu’ils voulaient que nous fassions », répondit Yuuto.

Yuuto regarda vers le nord. S’ils envoyaient leurs unités pour mener une telle attaque en tenaille, Nobunaga serait sûrement préparé à cette éventualité et les repousserait. Quelle que soit la direction qu’ils prendraient, Nobunaga aurait déjà prévu une contre-attaque, d’après son expérience passée.

Pour l’instant, il était trop optimiste d’espérer que le Clan de l’Acier puisse écraser le Clan de la Flamme, étant donné la qualité de leurs armes, l’entraînement sophistiqué de leurs soldats et les capacités du général qui les dirigeait.

Pendant ce temps, alors qu’ils étaient tous blottis dans la ville à réfléchir à ce qui se passait, ils se faisaient encercler par les renforts du Clan de la Flamme qui arrivaient du sud et de l’ouest.

Ils n’avaient rien d’autre à faire que de croiser les bras et de regarder le Clan de la Flamme manœuvrer autour des murs de la ville. Mais même dans ce cas, le Clan de la Flamme se contentait de s’approcher de la porte nord et de construire un nouveau château de siège pendant qu’ils essayaient de résoudre les problèmes qui se posaient sur d’autres fronts. La situation ne faisait qu’empirée, prisonnière d’un cycle négatif.

« Bon sang, qui a bien pu dire “si l’oiseau ne chante pas, tue-le” ? Ils se sont complètement trompés sur cette idée, » cracha Yuuto avec dégoût.

La stratégie de Nobunaga était délicate, prudente et extrêmement logique. Il avait utilisé des méthodes sophistiquées pour arriver à sa position actuelle, et ce faisant, il avait forcé Yuuto à se retrouver dans le dilemme actuel — mais Nobunaga n’avait pas l’air de se débattre du tout.

Au cours des dix années qui s’étaient écoulées depuis son arrivée à Yggdrasil, il avait pris soin, oh combien, de préparer ses troupes à la conquête du monde. Il n’avait pas gaspillé le moindre effort.

Sun Tzu a dit qu’« un soldat victorieux cherche d’abord à gagner et ensuite à se battre, un soldat vaincu doit d’abord se battre et ensuite chercher la victoire ».

Et il avait tout à fait raison.

Yuuto était douloureusement conscient de la vérité de ses paroles.

Il était absolument nécessaire de créer les conditions de la victoire avant même que la bataille ne commence.

Même lorsqu’il s’agissait de batailles de siège, il était évident qu’il était toujours important de faire de tels préparatifs pour la victoire. Personne ne s’y opposerait. Mais en général, les préparatifs étaient limités par la quantité d’argent et la disponibilité d’autres ressources.

Le fait que Nobunaga ait réussi à prendre toutes ces dispositions malgré les limites qui lui étaient imposées montrait la véritable terreur que lui inspiraient ses capacités.

Ce qu’il avait fait, la révolution qu’il avait menée, le territoire qu’il avait rendu grand, tout cela avait nécessité son ingéniosité. Et il l’avait fait en seulement dix ans !

Nobunaga avait clairement dépassé tout ce que Yuuto avait connu de lui.

Il avait profité de son expérience et en avait fait encore plus, augmentant ses capacités et sa force pour atteindre sa pleine puissance avec le temps.

« En fin de compte, il était vraiment capable de déplacer ses forces de manière rapide et décisive. Étonnamment, en fait. »

Se retrouvant face à un danger soudain et inattendu, Yuuto se rappela la fois où il avait encerclé le Clan de la Flamme lui-même, et tous ses préparatifs minutieux et précis ne servirent à rien puisqu’il se retrouva obligé de pousser fort pour prendre l’avantage sur son adversaire.

À tout le moins, lorsque le Clan de la Flamme combattait le Clan de la Lance, le Clan de l’Acier avait certainement un atout dans sa manche, un atout qui le plaçait au-dessus des autres : il avait le Þjóðann.

À un moment donné, cependant, cet avantage s’était retourné contre eux et avait dissuadé d’autres personnes de s’allier au Clan de l’Acier.

Il s’agissait d’un plan astucieux, certes.

« “Frappez fort contre tout signe de faiblesse, mais restez prêt pour les attaques les plus dures”. Il est surréaliste qu’il ait si bien réussi à ne laisser aucune ouverture pour une attaque. »

Yuuto n’avait rien d’autre à faire que de claquer la langue en voyant à quel point il avait été submergé.

Malgré tout, c’était une chose qu’il devait surmonter.

Il n’avait pas l’intention de rester les bras croisés pendant que ses ennemis l’encerclaient.

++

« Oho ! Il y a longtemps que je n’ai pas été dans une atmosphère aussi positivement piquante. »

Jörgen, au milieu de l’enceinte du camp, se croisait les bras en s’asseyant sur son siège, tremblant d’excitation pour la bataille à venir. En tant que patriarche du Clan du Loup, qui était la force centrale du grand Clan de l’Acier, il avait été chargé par le commandant en second, Linéa, de mener dix mille soldats à Glaðsheimr.

« Eh bien, ne sommes-nous pas en train de nous surexciter un peu ? Es-tu sûr que ça va aller ? Ces derniers temps, tu as laissé tous les combats aux jeunes et tu as commandé depuis l’arrière, mais ça ne te ressemble pas du tout. »

L’homme qui se tenait à côté de lui le taquinait.

Il s’agit de Botvid, patriarche du Clan de la Griffe, père biologique d’Albertina et de Kristina.

Les cheveux sur sa tête étaient clairsemés et avaient reculé bien au-delà de son front. Il forçait un sourire sur son visage face à cette pauvre plaisanterie, ce qui contrastait avec son attitude généralement sombre et maussade. Cet homme d’âge moyen n’était autre que le quatrième plus haut placé dans la hiérarchie du Clan de l’Acier, un véritable intrigant. Il jouissait d’une excellente réputation en tant que chef ingénieux des forces armées.

Par le passé, c’est lui qui avait réuni en secret les clans de la Cendre et du Croc pour s’assurer de leur coopération et vaincre Hveðrungr, l’homme qui s’appelait auparavant Loptr — autrefois le second du Clan du Loup. C’était en partie grâce à de tels succès qu’il avait été nommé commandant en second de la force de renfort.

« Hmph ! Ils devraient savoir qu’il ne faut pas me sous-estimer. Certes, j’ai dirigé de loin ces trois dernières années, mais ma lance va bien plus vite que celles de ces vieux fous ! Je suis encore jeune ! »

« Oho ! En vérité, je ne ressens pas la moindre aura de décrépitude émanant de toi. La dernière fois que je t’ai vu sur le champ de bataille, c’était il y a cinq ans, n’est-ce pas ? Tu sembles plus vif aujourd’hui que tu ne l’as jamais été ! »

Les yeux de Botvid étaient à moitié fermés, comme s’il était pris par un bon souvenir.

***

Partie 2

À l’époque où le Clan du Loup et le Clan de la Griffe étaient encore ennemis, ils s’étaient rencontrés à plusieurs reprises sur le champ de bataille — ou avaient été contraints de s’affronter autour d’une table de négociation.

Aujourd’hui, ils se battaient côte à côte. La vie peut être vraiment étrange.

« Haha ! Avec Père, je me sens un peu plus jeune… Mais je dois dire que j’ai aussi l’impression que ma durée de vie s’est considérablement raccourcie. »

« Haha ! Bravo, bravo ! Je peux certainement imaginer pourquoi tu te sens comme ça. »

« Vraiment ? On dit que c’est l’action qui fait tout, ce qui est une question de bon sens, mais j’aurais aimé qu’il se prépare un peu plus avant de passer à l’action. »

Jörgen avait l’air amusé en disant cela.

Il n’avait pas travaillé si dur qu’il attendait une grande récompense ou un sentiment de satisfaction de ses efforts.

« Mais nous sommes allés très loin, et très vite, grâce à lui. Jusqu’à ce qu’il devienne patriarche, nous avions tout au plus deux mille hommes dans nos rangs, mais maintenant Père contrôle vingt mille hommes dans la force principale, et une fois que nous l’aurons rejoint, ses rangs gonfleront jusqu’à trente mille ! En quatre ans, il a augmenté ses forces d’un ordre de grandeur. »

« Le monde a changé, c’est certain. »

Botvid avait hoché la tête en signe d’approbation.

Lorsqu’il avait facilité la coopération entre les forces des clans de la Cendre et du Croc, il avait entendu dire que le coût de cette coopération était assez élevé.

Pendant cette période, le Clan de la Flamme n’avait réussi à rassembler qu’environ cinq mille soldats, soit un dixième de ce qu’il possédait aujourd’hui.

« Allez, il est temps de revenir au présent. Tu auras le temps de raconter tes histoires de guerre plus tard. »

Celui qui avait (gentiment) jeté un voile humide sur leurs souvenirs était le second adjoint de la force de renfort, le patriarche du Clan de la Cendre, Douglas.

Et il avait raison. Ce n’est pas le moment de penser au « bon vieux temps » et de raconter des histoires d’autrefois.

« Haha ! Pardonne-moi. Maintenant, revenons à nos moutons… »

Avec un rire rapide pour cacher son état d’esprit distrait, Jörgen regarda à nouveau la carte étalée sur la table sous lui. Il s’agissait d’une carte des environs du château. Une figurine d’argile, représentant la position des principales forces du Clan de l’Acier, se tenait à l’endroit où la carte indiquait que se trouvait la Sainte Capitale.

Au sud et à l’ouest de la capitale se trouvaient des marqueurs indiquant la présence de châteaux de siège, sur lesquels étaient posées des figurines d’argile portant le symbole du Clan de la Flamme.

La taille des figurines indiquait la puissance des forces en présence à un endroit donné de la carte.

« Ces deux châteaux de siège comptent chacun dix mille hommes, et au nord, le patriarche du Clan de la Flamme dirige une force de trente mille hommes. Ses troupes sont vraiment dans des positions terribles pour nous, tactiquement parlant. »

Jörgen fronça profondément les sourcils et gémit.

« En effet, » déclara Botvid en hochant la tête.

Les forces du Clan de la Flamme avaient pris position dans de vastes champs vierges, pleins d’herbes sauvages et de fleurs — le terrain parfait d’où l’on pouvait voir loin.

Il n’y avait pas de meilleur endroit pour le campement d’une grande armée.

Ils pourraient engager toutes leurs troupes dans la bataille avec facilité, sans gaspiller un seul soldat pour des raisons d’inefficacité territoriale.

D’autre part, il y avait un grand nombre d’inconvénients à combattre sur un tel terrain si l’on disposait de moins de troupes que l’ennemi.

Plus il y a d’ennemis, plus il est facile de les encercler, car le terrain facilite les mouvements de troupes. En raison de la platitude et de la visibilité de la zone environnante sur un tel terrain, il serait également difficile de créer une quelconque ouverture à l’aide d’une embuscade ou d’une autre tactique astucieuse.

« Ont-ils déjà commencé à bouger ? »

« Non, pas de mouvement du tout. Notre ennemi doit connaître les avantages qu’il possède. »

« Notre ennemi est des plus inquiétants, en effet, » dit Jörgen en poussant un long soupir.

D’après les tendances des mouvements de troupes qu’il avait observées au cours du mois passé, s’ils ne bougeaient plus leurs propres troupes, les forces du Clan de la Flamme verraient sans doute là une opportunité de construire un autre château de siège.

S’ils faisaient cela, la Sainte Capitale serait complètement coupée, et les forces de Jörgen auraient encore plus de mal à rejoindre la force principale du Clan de l’Acier à l’intérieur de la ville.

Mais en même temps, même s’ils tentaient d’ouvrir une brèche dans les forces ennemies massées à l’extérieur de la Sainte Capitale en ce moment même, ils seraient écrasés en une seule bataille. Tout le monde pouvait le constater.

« … Hm. Qu’en est-il des mouvements des autres clans environnants ? N’ont-ils rien fait ? »

Le regard de Jörgen se porta sur Botvid alors qu’il lui posait cette question.

Botvid est le père biologique de Kristina et c’est lui qui lui avait appris à analyser et à utiliser les informations stratégiques.

C’est parce qu’il avait construit son propre réseau de renseignements qu’il avait été choisi pour être promu commandant en second.

« Ils ne montrent absolument aucun signe de vouloir bouger. Les Clans de l’Armure, du Bouclier et du Casque ont chacun rallié leurs forces, mais ils n’ont toujours pas tenté de les faire marcher au-delà des frontières de leurs territoires. »

Ces trois clans avaient juré fidélité au Þjóðann, Yuuto.

On les avait déjà exhortés à se joindre à la bataille pour protéger la Sainte Capitale à plusieurs reprises, mais ils avaient dit qu’ils attendraient le « moment opportun » ou une autre faiblesse dans les forces du Clan de la Flamme. Des excuses pour ne rien faire, en somme.

Jörgen laissa échapper un grognement de dérision.

« Ils attendent une journée claire et ensoleillée, n’est-ce pas ? Comme les puissants sont tombés. N’étaient-ils pas autrefois fiers d’être des guerriers très honorés ? »

Oui, ils s’étaient montrés très fiers d’avoir obtenu des positions héréditaires en tant que serviteurs de l’empire, mais qui étaient-ils pour être fiers alors qu’ils ne pouvaient pas se lever pour aider le Þjóðann lorsqu’il était en danger ? Des gens méprisables, tous autant qu’ils sont.

Ils attendaient simplement de voir quel camp apparaîtrait comme victorieux avant d’entrer dans la bataille.

Pour le moment, il semblait que le Clan de la Flamme pourrait être celui qui prendrait l’avantage. Il était peu probable que l’un d’entre eux choisisse d’unir ses forces à celles du Clan de l’Acier s’il se trouvait dans une position particulièrement désavantageuse.

Après tout, si un clan choisissait de se battre aux côtés du Clan de l’Acier, il pourrait très bien devenir la prochaine cible du Clan de la Flamme.

« Oui, nous sommes en effet dans une situation difficile. Si les trois autres clans se joignaient à nous, le nombre serait de notre côté et nous aurions de grandes chances de gagner, mais tant que nous ne donnions pas l’impression de gagner, ils ne se joindront pas à nous ! Un vrai dilemme ! »

« Tu as raison. Laissons à Père le soin de résoudre ce problème. »

Et sans hésiter, Jörgen avait cessé de réfléchir à la question.

Leur adversaire était assez puissant pour vaincre le monstre qu’était Dólgþrasir, le Tigre assoiffé de batailles, un homme qui pouvait tuer des dizaines d’ennemis sans la moindre hésitation. Avec un tel adversaire, il était important pour le Clan de l’Acier de se mesurer à lui à armes égales. C’est du moins ce que pensait Jörgen en examinant la situation dans laquelle se trouvait le Clan de l’Acier.

« En tout cas, faisons le travail qui nous a été confié. »

++

« Ils n’ont toujours pas bougé contre nous. »

Dans le campement construit pour le patriarche (une hutte temporaire, en fait), Nobunaga était assis les jambes croisées, l’air de s’ennuyer, la tête appuyée sur sa main.

Environ deux semaines s’étaient écoulées depuis l’arrivée des renforts du Clan de l’Acier. Pendant ce temps, les renforts et les forces principales du Clan de l’Acier à l’intérieur de la ville s’étaient contentés d’observer les armées de Nobunaga, sans montrer le moindre signe qu’ils étaient sur le point d’attaquer.

« Peut-être ne veulent-ils tout simplement pas bouger, quoi qu’il arrive ? »

« Ils ont certainement aligné leurs forces pour nous faire face, mais il semblerait qu’ils n’aient pas l’intention de nous attaquer. »

À la question de Ran, Nobunaga répondit avec une certaine assurance.

Il savait que son adversaire n’allait certainement pas s’asseoir et attendre patiemment que la mort vienne à lui.

Alors même qu’il tenait cette conversation, Nobunaga savait que son adversaire surveillait les mouvements de ses propres forces d’un œil d’aigle, attendant le moment opportun.

Il était également conscient que Yuuto savait qu’il le savait — que s’ils agissaient maintenant, cela entraînerait leur défaite.

« Est-ce donc ainsi ? Notre adversaire est tout à fait capable de se retenir, n’est-ce pas ? »

« En effet. Quel sale gosse que d’attendre ainsi la fin des temps. »

Plus le temps passait, plus son adversaire était sûr de savoir que cela le mettrait dans une position tactiquement désavantageuse.

Le grand malaise provoqué par une attente aussi longue, l’anxiété induite par cette attente, tout cela était indescriptible.

L’anxiété avait tendance à rétrécir le champ de vision, elle poussait à agir de manière irréfléchie, impulsive.

Cela dit, son adversaire aurait été bien incapable d’attendre qu’une telle négligence se manifeste chez Nobunaga.

Nobunaga résisterait au désespoir qui l’envahissait, repousserait l’impatience qui lui montait à la tête, et croirait que le moment opportun viendrait. Il calmerait sa respiration rapide, préserverait son pouvoir et se contenterait d’attendre le bon moment pour agir.

Nobunaga se connaissait suffisamment bien pour savoir que ce que son adversaire attendait était, en fait, un miracle.

« Il peut attendre, » dit Nobunaga, « Mais ce morveux ne trouvera pas la moindre faille dans mon armure pour s’y faufiler. »

Nobunaga dénuda ses canines, laissant un sourire des plus obscurs se dessiner sur son visage.

C’était le visage d’un homme qui avait atteint l’âge adulte il y a près de cinquante ans. C’était le visage d’un homme qui avait combattu, combattu et plus combattu. C’était le visage d’un dieu de la guerre.

« Le perdant de cette bataille sera celui qui paniquera le premier, en effet. »

Le Clan de la Flamme conservait pour l’instant sa position stratégique dominante — mais on ne pouvait pas dire que la position actuelle de Nobunaga soit facile à conserver indéfiniment.

L’équilibre général des forces en présence sur le grand champ de bataille de la ville, de ses murs et des champs environnants restait à déterminer. C’est pour cette raison que Nobunaga ne pouvait pas manœuvrer facilement ses forces face à une telle incertitude, tout comme son ennemi.

D’après la position actuelle des forces du Clan de la Flamme, Nobunaga pourrait les déplacer jusqu’au château de siège près de la porte ouest en six heures environ, ou jusqu’à la porte sud en une demi-journée.

Pour atteindre le château de siège le plus au sud tenu par le Clan de l’Épée, qui était allié au Clan de l’Acier, il faudrait environ une journée entière pour y parvenir depuis leur position actuelle.

***

Partie 3

Un voyage aller-retour de deux jours.

Il y avait aussi, bien sûr, le nombre inconnu de jours nécessaires pour prendre le contrôle du château de siège lui-même.

Si, pendant ce temps, l’un des châteaux de siège du Clan de la Flamme, au sud ou à l’ouest, était pris par ses adversaires du Clan de l’Acier, les lignes d’approvisionnement du Clan de la Flamme seraient coupées et sa force principale serait isolée de ses forces de soutien. Les diverses forces alliées du Clan de l’Acier qui attendaient leur heure ne manqueraient pas d’intervenir pour tirer parti de cette situation si elle se produisait.

En d’autres termes, l’équilibre stratégique du champ de bataille pencherait vers le Clan de l’Acier, et le Clan de la Flamme serait celui qui se trouverait en danger.

Les châteaux de siège ne tombaient généralement pas aux mains des forces ennemies en l’espace de quelques jours, mais on disait que le Clan de l’Acier possédait de puissantes armes de siège. Nobunaga ne pouvait baisser sa garde sous aucun prétexte.

Cependant, si les forces principales du Clan de l’Acier ou leurs renforts s’impatientaient et décidaient d’être les premiers à lancer une attaque, le Clan de la Flamme en sortirait presque certainement vainqueur.

« Nous sommes si près de réaliser le rêve qui nous a été refusé au pays du soleil levant. Nous ne répéterons pas nos échecs précédents. Maintenant, jeune garçon, voyons qui gagnera ce test d’endurance ! »

C’est à ce moment-là, cependant, que Nobunaga ne s’était pas rendu compte de quelque chose.

Yuuto avait en effet prédit que Nobunaga agirait exactement comme il l’avait fait jusqu’à présent, et il avait déjà fait des préparatifs pour faire face à la situation actuelle.

Plus un siège durait, plus la situation s’améliorait pour les forces assiégeantes — le Clan de la Flamme, en l’occurrence. Il le savait très bien, car il avait lui-même réussi à utiliser cette technique.

Ironiquement, c’est cette fausse promesse de succès qui avait aveuglé Nobunaga sur les faits réels de l’affaire : le but de Yuuto n’était pas de l’emporter sur Nobunaga, mais simplement de gagner du temps pour mettre en place sa plus grande stratégie.

++

« Encore un peu de temps et le vent changera de direction ! Il viendra de cette direction », dit Albertina avec confiance, en informant l’équipage.

« Alors, c’est parti ! Vous l’avez entendue, matelots ! Le vent tourne au nord-nord-ouest. Remettez les voiles à zéro ! Dites aux deux autres navires de faire de même ! » aboya le capitaine du navire.

« Aye-aye ! »

Sur l’ordre de la jeune femme, les hommes se mirent tous à courir pour faire ce qu’elle disait. Quelques instants plus tard, le vaisseau avait accéléré au point que l’on pouvait le sentir dans son corps.

Tout cela parce qu’ils avaient ajusté les voiles carrées du navire pour profiter pleinement des vents arrière.

« Tante Albertina, vous êtes vraiment quelque chose. »

« Oh, tu crois ? Je ne fais pas grand-chose. C’est le capitaine qui donne les vraies indications, ainsi que les marins qui ajustent les voiles », dit Albertina, l’air peut-être un peu timide, mais pas tout à fait mécontente du compliment. Elle se gratta l’arrière de la tête comme si elle était timidement reconnaissante.

« Oho ! Vous avez de belles choses à dire, n’est-ce pas, Miss Amiral ! »

« Ah, si c’est pour Miss Amiral ici présente, je ferai n’importe quoi ! »

« C’est sûr ! C’est parce que Miss Amiral est là que nous pouvons être là aussi. »

Les marins applaudirent à tout rompre.

En tant que commandant de la marine du Clan de l’Acier, Albertina avait reçu le rang d’« amiral », mais en raison de sa personnalité, la plupart des membres de l’équipage l’appelaient plutôt « Miss Amiral ».

« Oi ! Je vous l’ai déjà dit à chaque fois, mais vous feriez mieux de vous adresser à elle correctement ! Pour vous, c’est “Amiral” ! »

Les hurlements du capitaine ne changèrent pas grand-chose à leurs habitudes.

« C’est quoi cette attitude super formelle, Capitaine ? »

« Vous devez savoir que l’appeler “Miss Amiral” signifie que nous l’aimons et la respectons, n’est-ce pas ? »

« C’est vrai ! Je ne mourrai pas pour vous, Cap'taine, mais pour Miss Amiral, je donnerais ma vie ! »

« Oui, je suis d’accord avec toi ! Oui, je suis d’accord avec toi sur ce point ! »

Les membres de l’équipage ne montrèrent aucun signe de culpabilité en criant « Miss Admiral ! Mlle Amiral ! », en plaisantant et en riant.

Ils avaient peut-être pris la situation à la légère, mais ils n’avaient pas pris Albertina ou l’autorité de son poste à la légère.

La journée ne faisait que commencer, mais ils étaient sur un bateau. Ils étaient tous conscients de l’importance de profiter d’un vent favorable.

Quelqu’un comme l’amiral, qui pouvait lire les changements de vent, était digne de leur adoration — d’autant plus facile que l’objet de leur affection était une fille charmante, joyeuse et mignonne.

Les longs voyages en mer pouvaient devenir ennuyeux, mais l’équipage se sentait différent lorsqu’elle était là.

Depuis un mois qu’ils étaient en mer, elle était devenue une sorte d’idole populaire dans leurs rangs.

 

 

« Bon sang… L’honorable amiral a le privilège d’être l’enfant adoptif de Sa Majesté Suoh-Yuuto, et pourtant ils la traitent ainsi… »

Le capitaine était le seul à bord à ne pas accepter cette façon « inconvenante » de s’adresser à elle. Il se plaignait, sans se soucier des applaudissements qui l’entouraient.

Contrairement aux autres membres de l’équipage qui avaient été engagés pour cette expédition, il était un enfant juré de Skáviðr du Clan de la Panthère et avait été élevé dans le strict respect de la hiérarchie des rangs.

« Inutile de vous énerver, capitaine. Cela ne me dérange pas du tout qu’on m’appelle “Miss Amiral”. »

« La question n’est pas de savoir si cela vous dérange, madame. Maintenant, en ce qui concerne la punition pour un tel manque de respect… »

Le capitaine refusa catégoriquement de lâcher le morceau.

« Ce n’est pas que je ne comprenne pas ce que vous ressentez à propos de ce surnom, Capitaine, mais il n’est pas problématique au point de mériter une punition. »

« Pourquoi, si ce n’est pas tante Sigrún ! »

Le capitaine se mit au garde-à-vous à l’apparition soudaine de la jeune femme aux cheveux argentés.

Elle et ses gardes du corps de Múspell étaient montés à bord du vaisseau sur ordre de Yuuto.

Derrière Sigrún, une autre jeune femme, les cheveux relevés en nattes, se penchait sur la rambarde du bateau et vomissait ses tripes en nourrissant les poissons frénétiques des eaux en contrebas — mais tout le monde faisait semblant de ne pas la voir. Il était impoli d’attirer l’attention sur une dame qui avait été forcée de succomber à une indignité telle que le mal de mer.

« Regardez, tout le monde est si vif dans son travail ! S’ils peuvent remplir leurs fonctions comme ça, il n’y a pas de raison de s’attarder sur des formalités comme les formules de politesse, n’est-ce pas ? »

« Oui, madame ! Si c’est votre avis sur la question, je comprends tout à fait. »

C’est du moins ce que disait le capitaine, le visage rouge d’embarras.

Sigrún était l’un des rares enfants assermentés du Þjóðann, Suoh-Yuuto. Elle était l’une des plus grandes guerrières du Clan de l’Acier et avait réalisé d’impressionnants exploits militaires au nom de son père assermenté.

Elle avait également hérité du titre de Mánagarmr — le loup d’argent le plus fort — de celui qui était désormais le patriarche du Clan de la Panthère, Skáviðr.

Même s’il était un enfant juré de Skáviðr, il était encore relativement bas dans la hiérarchie. Être confronté à un enfant du Þjóðann comme Sigrún était comme un être céleste qui lui était envoyé d’en haut.

« Bouh ! Même si je dis au capitaine que ça ne me dérange pas qu’on m’appelle ainsi, il ne m’appellera toujours pas lui-même “Mlle Amiral”… »

« Ah, madame, ce n’est pas — ce n’était pas mon — eh bien… »

Albertina gonfla les joues de mécontentement devant l’hésitation du capitaine à l’appeler par son surnom plus familier. Le capitaine, réalisant que son commandant était mécontent de sa conduite, fut ramené à la réalité par ce fait et chercha une bonne excuse pour expliquer pourquoi il ne pouvait pas le faire — mais finit par se contenter de grimacer silencieusement devant le reproche de l’amiral.

« Ouais ! Vous êtes méchant avec elle, Capitaine ! »

« Peut-être que le capitaine méprise Miss Amiral ? »

« Excusez-vous à Miss Amiral ! »

« Retirez vos paroles horribles, Monsieur Gros Nez ! »

L’ensemble de l’équipage s’était soudain lancé dans une tempête de railleries, sentant là l’occasion de corriger ce qui avait été perçu comme un affront à l’égard de leur bien-aimée Miss Amiral.

Peut-être que le terme « raillerie » n’était pas tout à fait approprié pour décrire ce qu’ils faisaient, car ils avaient tous le sourire aux lèvres.

Tout le monde savait que sans les compétences de coordination du capitaine, le navire ne fonctionnerait jamais correctement. Lui aussi était la cible de l’affection de l’équipage, mais d’une manière différente.

« Oh ! Qui est l’imbécile qui a dit cette dernière chose à propos de mon nez ! Je peux passer outre tout ce que vous avez dit, vous les marins, mais je ne permettrai à personne de faire de tels commentaires sur des choses qui me gênent ! »

« A-Ah ! Merde ! »

« Désolé de vous interrompre au milieu de tout cela. »

« Eeep ! De quoi avez-vous besoin, madame ? »

Le capitaine avait retroussé ses manches et saisissait les membres de l’équipage à gauche et à droite, les hissant par le col. Mais lorsque Sigrún s’adressa à lui, il relâcha rapidement les membres de l’équipage, tournoya sur lui-même et balbutia une réponse.

Sigrún ne sembla pas particulièrement perturbée par ce manque de professionnalisme et revint simplement au sujet qui nous occupe.

« Combien de temps nous reste-t-il avant d’arriver à Helheim ? »

Helheim était la région la plus méridionale d’Yggdrasil.

Bénéficiant d’un climat assez tempéré, elle était connue dans les régions septentrionales du bassin de la rivière Vana-Kvísl comme un lieu « fertile depuis des temps immémoriaux ». Grâce aux réformes mises en place par Oda Nobunaga, elle avait acquis la réputation d’être la meilleure région céréalière d’Yggdrasil, avec une marge assez impressionnante.

En d’autres termes, il s’agissait du bastion du Clan de la Flamme.

***

Partie 4

« C’est donc ça, Helheim ? C’est aussi chaud que les histoires le disent. »

Erna débarqua du navire. Alors qu’elle marchait sur la terre ferme de leur destination, elle regarda autour d’elle le nouveau paysage avec intérêt.

Ses cheveux, longs comme les épaules, pendent librement jusqu’à son col, fluides et lâches — un symbole parfait de la belle et joyeuse jeune femme qu’elle est.

Autour de sa taille, cependant, elle portait un fourreau dans lequel était rangée son épée.

« Il nous aurait fallu un demi-mois pour arriver ici à pied, mais nous voilà trois jours plus tard… Il est difficile de croire qu’ils fabriquent ce genre de choses… »

À côté d’Erna se tenait Bára, qui poussa un long et profond soupir.

Avant d’arriver, ils étaient passés devant des bains publics, des roues hydrauliques, des maisons en argile, des postes chargées de chevaux et d’innombrables autres inventions révolutionnaires qui avaient changé la civilisation. Le long soupir de Bára était dû au fait qu’elle était submergée par les innombrables innovations dont elle était témoin.

Lorsqu’elle apprit que toutes ces choses avaient été proposées par Yuuto, elle tomba immédiatement dans un profond marasme de haine de soi.

« A Yggdrasil, on dit de moi que je suis l’une des trois personnes les plus sages du monde… et pourtant on m’a fait passer pour un vantard prétentieux face à tout cela… Je ne suis vraiment… rien… même pas du menu fretin. Plutôt un moustique, ou peut-être une libellule… »

« Ne dites pas de telles choses à votre sujet ! Sa Majesté vient des cieux, n’est-ce pas ? Toi, un humain, tu n’as pas à t’inquiéter si tu n’es pas à sa hauteur. »

« Grande sœur Thír, merci… »

Bára s’était retournée pour faire face à une belle jeune femme, dans la fleur de l’âge, qui avait de longs cheveux argentés qui lui tombaient jusqu’à la taille.

C’était une femme délicate et gracieuse qui dégageait une aura apaisante. Derrière elle se trouvaient six autres jeunes filles, toutes âgées d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années, chacune portant une arme à la ceinture. Elles débarquèrent du bateau l’une après l’autre.

Au milieu d’un groupe aussi nombreux d’hommes grossiers et incultes, elles portaient en elles une douceur rayonnante qui se distinguait des autres personnes qui les entouraient.

Aussi gentilles et mignonnes qu’elles puissent être, chacune d’entre elles était une Einherjar. Si elles dégageaient actuellement une aura de calme, elles n’étaient pas pour autant des individus à prendre à la légère.

Ensemble, elles étaient la fierté et la joie du Clan de l’Épée, elles étaient les neuf Einherjars d’élite, les Demoiselles des Vagues.

« Concentre-toi sur le sujet, Bára. Nous sommes en territoire ennemi. »

« Oui, madame… »

Bára grimaça devant le ton froid et dur de Thír et acquiesça docilement.

À première vue, Thír semblait avoir une vingtaine d’années, mais elle avait en réalité déjà dépassé la quarantaine. C’était la chef des « Ogres » qui avait enseigné à ses Demoiselles des Vagues les rudiments du combat.

Bára savait, bien sûr, à quel point Thír pouvait être terrifiante, et savait aussi qu’elle n’était pas d’humeur à plaisanter ou à bavarder.

En ce sens, Bára était beaucoup plus perspicace qu’Erna ou les autres lorsqu’il s’agissait de repères sociaux.

« Nous devons nous racheter pour nos échecs à Vígríðr, quel qu’en soit le prix. »

Au mot « Vígríðr », un éclair d’angoisse pétrifiante balaya les visages de toutes les Demoiselles des Vagues.

Ce mot était, pour elles, la racine d’un traumatisme grave et amer qu’elles partageaient toutes.

Même si elles étaient réputées pour être l’une des plus puissantes bandes d’Einherjars, elles n’étaient, après tout, que des humains — et cela se voyait à la manière dont leur peur les saisissait.

Même Bára, connue pour être une brillante stratège, ne pouvait rivaliser avec Yuuto dans une bataille intellectuelle.

Lors de la bataille que les demoiselles des vagues avaient livrée contre lui, le nom de leur groupe, autrefois si fier, avait été réduit à néant.

« Cet appel des bannières est l’occasion parfaite pour nous de retrouver notre honneur en tant qu’Einherjar ! »

 

 

Aussi réticentes qu’elles puissent être à le faire, les neuf élites hochèrent la tête à ces mots de Thír, dociles et sans résistance.

Chacune d’entre elles connaissait bien les particularités de la situation dans laquelle il se trouvait, après tout.

Les trois galions ne pouvaient transporter que quinze cents personnes au maximum.

Si l’on soustrait le nombre de marins non combattants, il ne restait qu’un peu plus de treize cents combattants.

Seul leur groupe, le corps d’élite, avait été choisi pour aller affronter cet ennemi arrivant par la mer.

Si elles n’étaient pas capables de répondre aux attentes de ceux qui les avaient envoyées combattre ici, les « Demoiselles des Vagues » ne verraient jamais la restauration de leur gloire d’antan.

« Très bien, tout le monde, nous partons ! Montrons à ces gens du “Clan de l’Acier” la véritable force des demoiselles des vagues, une fois pour toutes ! »

« Oui, madame ! » disent-elles toutes à l’unisson.

++

Le jour où Maripas représentait son seigneur à Blíkjanda-Böl, il entendit un grand fracas et un grondement qui le secouèrent jusqu’au plus profond de lui-même. Quelque chose s’était effondré et le bruit l’avait réveillé.

« Qu’est-ce que c’était ? Un tremblement de terre !? »

Il bondit de son lit et chercha à gauche et à droite la source du vacarme.

Il n’était pas déraisonnable pour lui de penser que le grand vacarme avait été provoqué par un tremblement de terre. Après tout, le souvenir de cet autre tremblement de terre était encore frais dans son esprit.

Pourtant, ni le matériel ni les meubles de sa chambre n’avaient été ébranlés. Alors qu’il s’apprêtait à se rendormir, considérant le bruit comme un rêve, le phénomène s’était reproduit.

Une fois de plus, un rugissement terrifiant lui perça les tympans, les laissant sonnés. Il était si fort qu’il en vint à croire que des météores s’abattaient sur la ville, mais Maripas n’avait jamais entendu parler de météores tombant deux fois au même endroit.

« Hé ! Hé ! Est-ce que quelqu’un m’entend ? »

« Oui, par ici ! »

« Quel est ce vacarme monstrueux ? »

« Je vais aller inspecter la source du bruit immédiatement ! »

Paniqué, Maripas convoqua l’un de ses serviteurs et l’envoya au pas de course pour en savoir plus.

Mais avant que l’assistant ne puisse revenir avec d’autres nouvelles, il entendit un grand cri de guerre se répercuter dans ses appartements.

Maripas, abasourdi par la tournure inattendue des événements, resta bouche bée. Il était incapable de comprendre la situation soudaine et incroyable dans laquelle il se trouvait.

« Aïe. Pourquoi ça fait mal ? »

Maripas essaya de se pincer les joues, mais cela lui fit mal, comme d’habitude.

En d’autres termes, ce n’était pas un rêve.

Pourtant, la réalité de tout ce qui se passait devant lui était tout simplement trop irréelle pour qu’il y croie.

« Seigneur Maripas, nous sommes en danger ! Un ennemi nous attaque ! La ville est attaquée ! »

Alors que Maripas s’efforçait de tout assimiler, le préposé qu’il avait envoyé à la recherche d’informations supplémentaires fut enfin de retour.

Le rapport d’une attaque ennemie lui ayant été présenté, Maripas pu finalement accepter que tout ce qui se passait fût bien réel. Quelqu’un — quelque chose — avait attaqué la capitale du Clan de la Flamme, Blíkjanda-Böl.

« Hmph. S’agit-il de bandits des montagnes ou d’une autre bande de ruffians ? Ils sont stupides de penser que c’est l’occasion rêvée pour eux d’attaquer notre ville. »

En raison de la campagne en cours contre la Sainte Capitale, presque tous les soldats de Blíkjanda-Böl avaient quitté la ville.

Afin de préserver la paix et l’ordre dans la ville et de veiller à ce que toutes les fonctions gouvernementales se poursuivent sans interruption, seuls mille soldats étaient actuellement stationnés dans l’enceinte de la ville.

Ils n’étaient peut-être qu’un millier, mais ces hommes avaient été parfaitement entraînés aux tactiques de combat de masse et étaient bien plus compétents qu’une bande de bandits sans formation. La différence entre leurs compétences était flagrante.

Alors que Maripas réfléchissait à tout cela, qu’il repoussait son angoisse des explosions et qu’il sentait l’exaltation d’une soif de sang couler dans ses veines, il entendit quelque chose d’autre :

« Ce sont des combattants du Clan de l’Acier ! Ce sont les forces spéciales de Múspell, dirigées par Sigrún ! »

« Qu’est-ce que c’est ? »

Les yeux de Maripas sortirent de leurs orbites et il poussa un cri de surprise.

Les noms de Sigrún, Mánagarmr et du « Loup d’argent le plus fort », ainsi que les forces spéciales de Múspell, étaient connus loin à la ronde, même à Blíkjanda-Böl.

D’après les récits, ils formaient le noyau des forces d’avant-garde du Clan de l’Acier qui se déplaçaient rapidement.

D’autres histoires racontent que Sigrún avait vaincu Yngvi du Clan du Sabot et Sígismund du Clan du Croc, ainsi que plusieurs autres généraux de renom. Elle était à la tête du groupe de chevaliers le plus puissant d’Yggdrasil, c’est du moins ce que l’on disait.

« Ce n’est pas possible ! Il n’y a aucune chance qu’ils soient là ? D’où peuvent-ils bien venir ? » Maripas cria d’une voix aiguë, comme si lui, un adulte, était sur le point de faire une crise de colère.

Il avait des raisons d’être contrarié. La capitale du Clan de la Flamme était loin du territoire ennemi. Jamais, en un million d’années, un ennemi n’aurait pu venir les attaquer chez eux !

« Je ne sais pas comment ils se sont approchés — ils sont simplement apparus, soudainement, dans l’obscurité de la nuit… »

« Quelle bêtise ! En tout cas, que les gardes de la ville défendent leurs postes ! Envoyez des messagers à cheval au seigneur Nobunaga et aux villages environnants, tout de suite ! Appelez à l’aide ! »

C’est dans des moments comme celui-ci que l’on comprend pourquoi Nobunaga avait laissé Maripas à la tête de la capitale du clan pendant son absence. Même dans des situations aussi inimaginables que celle-ci, il était capable de reprendre son sang-froid en un rien de temps et de donner les ordres appropriés à ses subordonnés. C’était un homme digne d’admiration.

Même dos au mur, il avait su faire preuve de discernement.

Il l’avait fait comme si c’était une seconde nature pour lui, alors que c’était en fait une chose très difficile à faire.

« Ce sont peut-être les forces spéciales de Múspell, mais les murs de la ville de Blíkjanda-Böl ne seront pas franchis si facilement ! Il ne sera pas si difficile de tenir jusqu’à l’arrivée de nos renforts… »

« Monsieur, les murs du château… ont déjà été franchis. »

« Quoi — !? »

Maripas resta sans voix. Il fixa le préposé avec une stupéfaction totale sur le visage. Cette situation n’était pas seulement inimaginable, elle était impossible. Il venait juste de recevoir son premier rapport sur l’attaque.

***

Partie 5

En d’autres termes, il y a moins d’une heure, l’ennemi avait commencé à attaquer la ville.

Malgré la brièveté du temps écoulé depuis le début de leur attaque, les murs de Blíkjanda-Böl avaient déjà été percés. Maripas ne pouvait pas croire ce qu’il entendait.

« Y a-t-il un traître parmi nous ? »

C’était la seule réponse à laquelle il pouvait penser. Un traître qui s’était faufilé dans les ombres de la nuit, avait ouvert les portes du château et guidé l’ennemi à l’intérieur.

Cette idée était certainement l’explication la plus logique de ce qui s’était passé, mais cette possibilité avait été complètement démentie par le fait que —

« Non, monsieur. L’ennemi a franchi les murs de la ville et nous a attaqués par là ! »

« Qu’est-ce que tu dis ? »

La mâchoire de Maripas s’était décrochée si rapidement et si brusquement qu’elle aurait pu se détacher complètement de son visage.

« C’est absurde ! L’ennemi a franchi les murs de la ville !? »

« Oui, oui. L’agitation précédente semble avoir été liée à leur assaut sur les murs… »

Mais comment quelqu’un, un simple humain, a-t-il pu franchir ces murs massifs en un instant comme ils l’ont fait ?

L’idée même était impensable.

Cette fois, le bruit était beaucoup plus proche.

Le sol sous les pieds de Maripas a tremblé sous la force de l’assaut.

« Qu’est-ce que ces brutes font à notre ville ? » hurla Maripas avec une pointe de panique dans la voix.

Les gens ont en effet peur de l’inconnu.

Et à ce moment-là, quelque chose d’inconnu était en train de se produire. Quelque chose qui était très certainement extrêmement mauvais pour toute la ville.

Aussi mauvais que cela ait pu être, ils n’étaient pas du tout conscients de ce qui se passait exactement.

Sans se préoccuper de l’image que son comportement pourrait donner à ses subordonnés, il se laissa secouer par la peur qu’il sentait monter au plus profond de lui. Il ne peut arrêter les tremblements.

« J’ai des nouvelles à annoncer ! »

Un nouveau soldat se hâta d’entrer dans ses appartements.

« Qu’est-ce que c’est cette fois-ci ? »

« Les murs du palais ont été franchis ! »

Non seulement les murs extérieurs qui protégeaient la ville avaient été détruits, mais les murs qui protégeaient le palais avaient également été percés.

Tout s’était passé trop vite.

« Comment ont-ils fait ? »

« Les ennemis ont lancé d’énormes rochers sur les murs ! Ils les ont pulvérisés, ne laissant plus aucune trace de nos défenses. »

« Des rochers massifs ? Nos ennemis ont-ils dans leurs rangs les géants des montagnes de la légende ? »

« Nous ne savons pas. Mais… c’est vrai, des rochers ont pulvérisé notre ville ! »

« Oh non… »

Maripas se tenait la tête entre les mains.

La situation qui se dessinait devant lui était particulièrement malheureuse pour lui. Nobunaga l’avait choisi pour ses qualités d’administrateur et non de chef militaire.

C’est logique, étant donné qu’on lui avait confié le contrôle d’un territoire très éloigné de toute menace d’attaque ennemie.

Son maître, Nobunaga, lui avait seulement demandé de veiller au bon fonctionnement du gouvernement de la capitale pendant son absence, de prélever les taxes appropriées sur toutes les récoltes et de continuer à envoyer des armes et des provisions aux principales forces du Clan de la Flamme pendant qu’elles étaient en campagne.

C’est parce qu’il était un politicien — un chef civil, par opposition à un chef militaire — qu’il n’avait pas été mis au courant des informations concernant les armes de siège capable de lancer des blocs de pierre inventées par le Clan de l’Acier.

Pourtant, alors que Maripas s’affolait de ce nouveau développement, un nouveau tumulte se faisait entendre de plus en plus fort.

L’ennemi, semble-t-il, s’était infiltré dans le palais proprement dit.

En un clin d’œil, l’ennemi s’était rapproché de plus en plus de l’endroit où il se trouvait.

« Rassemblez tous les soldats dans la grande salle, immédiatement ! C’est là que nous engagerons le combat avec l’ennemi ! »

Maripas, agité, donna ses ordres et ses assistants s’empressèrent de les exécuter.

Cependant, il était déjà bien trop tard pour une telle action.

Ce n’est que quelques instants plus tard que —

« Sto — ! »

« Tu ne pa — »

« Ils sont trop forts… ! »

« Qu’est-ce que c’est que ces… monstres ? Gah ! »

Les derniers cris des soldats avant leur mort commencèrent à résonner à travers les portes de la chambre de Maripas.

L’ennemi s’était frayé un chemin jusqu’au sanctuaire le plus intérieur du palais.

Avec un grand bruit, les portes de la chambre avaient été enfoncées, et un groupe de femmes belles et élégantes les avait franchies.

La suite des événements était trop insensée pour que Maripas puisse la comprendre.

« Hah ! Ce n’est manifestement qu’un rêve… Rien de plus qu’un cauchemar ! »

Ce furent ses derniers mots.

++

« Blíkjanda-Böl est tombé, dis-tu ? »

Cela faisait un peu plus de deux mois que le siège de la sainte capitale de Glaðsheimr avait commencé.

Nobunaga n’en croyait pas ses oreilles et poussa un cri de surprise.

Il ne s’attendait certainement pas à cela. Il ne s’y attendait pas du tout.

Bien qu’il soit un guerrier expérimenté, il était toujours déconcerté par la tournure des événements.

Il s’agissait d’une évolution que l’on ne pouvait absolument pas laisser se produire. Nobunaga avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour l’empêcher — du moins le croyait-il.

« Impossible ! Que faisait Kuuga pendant que cela se passait ? »

Pour aller de la région d’Álfheimr, où se trouvait le Clan de l’Acier, à la région de Múspelheim, où se trouvait le Clan de la Flamme, il fallait passer par la région de Vanaheimr.

C’est pour cette raison que Nobunaga avait déployé dix mille soldats dans le nord de Vanaheimr bien avant d’entamer le siège de la Sainte Capitale. Ces troupes étaient dirigées par des généraux en qui il avait confiance et patrouillaient actuellement sur l’ancien territoire du Clan de la Foudre, prêtes à empêcher toute tentative d’assaut surprise de la part de l’ennemi sur sa ville natale.

Nobunaga n’avait cependant reçu aucun rapport sur la défaite de ces forces par le Clan du Loup, et encore moins sur une attaque du Clan de l’Acier. L’ancien territoire du Clan de la Foudre faisant office de barrière naturelle entre les terres du Clan de la Flamme et celles de ses ennemis, il était impossible qu’une force assez puissante pour raser sa capitale ait pu passer sans être détectée.

Pourtant, au milieu de tout ce silence, il avait reçu ce rapport — que Blíkjanda-Böl était tombé.

Un véritable coup de tonnerre.

« Je ne comprends pas comment cela a pu se produire. Il y a trois jours, le seigneur Kuuga a fait savoir que rien ne sortait de l’ordinaire. Qu’est-ce qui a bien pu se passer depuis… ! »

À côté de lui, Ran fronça également les sourcils.

Nobunaga était un homme qui croyait fermement qu’il était important d’agir rapidement.

Naturellement, il utilisait lui aussi un système de poste similaire à celui de Yuuto. La lettre qu’il avait reçue de Kuuga était datée d’il y a sept jours.

Il fallait environ deux jours pour atteindre l’emplacement actuel de Nobunaga depuis Blíkjanda-Böl.

En d’autres termes, si Bilskírnir était vraiment tombé, les forces du Clan du Loup avaient traversé Vanaheimr et pris Blíkjanda-Böl en cinq jours seulement.

« Il y a manifestement quelque chose de très étrange dans tout cela, » Nobunaga mit une main sur sa bouche, marmonnant pour lui-même.

La quantité d’informations qu’il pouvait transmettre était limitée, mais le Clan de la Flamme entretenait également un réseau de feux de fumée qui pouvait être utilisé pour avertir d’une telle attaque. La nouvelle d’un assaut sur Bilskírnir aurait déjà dû parvenir à ses oreilles.

Et pourtant, il n’avait rien entendu.

Sur la base des seules informations dont il disposait, il put en déduire ceci : les forces du Clan de l’Acier n’étaient pas passées par Vanaheimr, mais étaient tout de même apparues soudainement à Blíkjanda-Böl.

C’est alors que Nobunaga comprit ce qui s’était passé.

« C’est ça ! Ils ont voyagé par la mer ! »

Nobunaga se passa la main sur le front.

À ce stade, il ne pouvait tout simplement pas imaginer une autre possibilité.

« C’est vrai — lors de cette réunion, ils ont parlé d’un déménagement vers une “nouvelle terre”, n’est-ce pas ? Ils se préparaient donc secrètement à cela depuis le début. Bon sang, on s’est fait avoir. »

À cette époque, il fallait des siècles pour que des technologies telles que la sidérurgie et le transport par chariot soient transmises d’un pays à l’autre.

Nobunaga avait envoyé des espions dans les principales villes de Gimlé, Iárnviðr et Fólkvangr, mais n’avait aucune source régulière de nouvelles des autres villes du royaume de son ennemi.

Dans toutes les batailles que le Clan de l’Acier avait livrées jusqu’à présent, il n’avait jamais utilisé de bateaux pour transporter ses troupes, du moins c’est ce que les rapports avaient affirmé. On n’avait même jamais entendu parler de la construction de navires par le Clan de l’Acier.

C’est justement à cause de cette idée préconçue que de tels mouvements de troupes n’étaient pas possibles qu’il ne s’était pas préparé à cette éventualité, et ce manque d’imagination avait été parfaitement exploité par son ennemi.

« Je comprends maintenant… Au fond, ces renforts n’étaient qu’un leurre destiné à nous faire porter notre attention sur Ásgarðr. »

« Il semblerait que ce soit le cas. »

Ran cracha de dégoût, tandis que Nobunaga se contenta de hocher la tête, appréciant silencieusement la logique qui sous-tendait la stratégie.

Lorsque les renforts du Clan de l’Acier n’étaient tout simplement pas apparus sur le champ de bataille, Nobunaga avait trouvé la situation particulièrement suspecte.

Il savait qu’il y avait quelque chose d’anormal dans la façon dont la bataille se déroulait — ou plutôt ne se déroulait pas.

Le but de Yuuto ne semblait pas être de protéger la Sainte Capitale, mais peut-être quelque chose de tout à fait différent.

C’était la raison de la présence des renforts du Clan de l’Acier au-delà de l’horizon — ils étaient là pour le rassurer sur le fait que Yuuto massait ses troupes autour de la Sainte Capitale, et aussi pour l’empêcher d’envoyer une partie de ses propres troupes à Blíkjanda-Böl afin d’aider à sa défense.

Si les forces à l’intérieur de la ville et les renforts stationnés dans les plaines n’avaient pas bougé, ce n’est donc pas parce qu’ils attendaient le moment opportun pour frapper. Ils avaient simplement été placés là pour gagner du temps pour les autres opérations qui se déroulaient simultanément.

Dans ce siège, plus le temps passait, plus la situation du Clan de la Flamme devenait avantageuse. Cette hypothèse était si profondément ancrée dans son esprit que Nobunaga ne s’était pas rendu compte qu’il avait été amené à penser précisément comme Yuuto voulait qu’il pense.

« Ce petit effronté ! »

Nobunaga était forcé d’admettre qu’une fois de plus, le flux de la bataille s’était retourné contre lui.

La capitale du Clan de la Flamme, Blíkjanda-Böl, était après tout la base de soutien la plus importante pour les cinquante mille soldats du Clan de la Flamme qui attaquaient actuellement la Sainte Capitale.

Autour de Blíkjanda-Böl se trouvait la grande région céréalière que Nobunaga avait mis dix ans à cultiver. La dernière récolte de blé d’hiver était d’ailleurs presque prête. Si cette terre et ses ressources lui avaient été enlevées, il ne serait pas exagéré de dire que les fondations de son armée avaient été brisées.

Si les forces du Clan de la Flamme continuaient leur siège, l’armée qui mourrait de faim en premier ne serait pas celle du Clan de l’Acier, mais celle du Clan de la Flamme.

« Notre prochaine action est évidente. Nous devons nous retirer pour l’instant. »

Sa décision avait été immédiate.

Quelle que soit leur position actuelle, s’ils avaient perdu la guerre, ils devaient accepter cette réalité sans délai et agir en conséquence.

C’était bien sûr facile à dire, mais c’est dans la nature humaine d’être indécis. Les humains avaient tendance à s’inquiéter.

Malgré cela, Nobunaga était capable de surmonter toute hésitation et de prendre rapidement la bonne décision. Cette capacité d’Oda Nobunaga était vraiment sa plus grande et sa plus redoutable qualité.

***

Partie 6

« Père, les troupes du Clan de la Flamme ont commencé leur retraite. »

« Enfin. »

Yuuto poussa un long soupir en entendant le rapport de Kristina.

Même pour quelqu’un qui avait déjà traversé autant d’épreuves que Yuuto, ces deux derniers mois avaient été particulièrement stressants pour lui. Après tout, il était impossible de savoir quand Yggdrasil finirait par disparaître.

Malgré le stress de l’attente, Yuuto n’avait pas pu penser à un autre moyen de gagner. Le malaise constant et le poids des décisions pratiques qu’il devait prendre chaque jour avaient menacé de le rendre fou.

« On dirait qu’ils ont entendu la nouvelle de la chute de Blíkjanda-Böl. »

Yuuto en avait déjà entendu parler par le biais d’un rapport envoyé par pigeon voyageur depuis Sigrún.

Il s’était bien préparé à affronter le Clan de la Flamme une fois qu’il aurait appris la nouvelle.

Une fois les préparatifs terminés, il ne leur restait plus qu’à attendre.

« Kristina ! »

« Oui, Père ? »

« Informe les Vindálfs qui se cachent dans les clans voisins que nous avons pris Blíkjanda-Böl et que les armées du Clan de la Flamme battent en retraite ! Fais savoir à Jörgen qu’il doit agir immédiatement. »

« Très bien, Père. »

Rapide et légère comme une brise, Kristina disparut. Sa disparition n’était bien sûr qu’une illusion causée par la suppression de sa présence, mais il s’agissait tout de même d’un habile déplacement.

« Félicia ! »

« Oui, Grand frère ! »

« Nos troupes sont déjà en position, oui ? »

« Oui, Grand Frère ! Toutes les troupes du Clan de l’Acier se sont rassemblées à la porte ouest, comme tu l’as ordonné. »

« Parfait ! »

Yuuto se leva si vite que son siège faillit se renverser, et se dirigea vers la sortie si rapidement que sa cape s’agita dans les airs.

En sortant du palais, il monta sur son char favori et descendit la rue principale qui menait à la porte ouest. Comme Félicia l’avait dit, ses vingt mille soldats se tenaient là, en formation serrée, prêts à exécuter ses ordres au pied levé.

« Bravo, les hommes ! Vous avez supporté le stress de ces deux derniers mois avec grâce ! »

Utilisant le pouvoir de Gjallarhorn, l’Appel à la Guerre, qu’il avait emprunté à Fagrahvél, le patriarche du Clan de l’Épée, pour amplifier sa voix, Yuuto s’adressa à ses troupes.

Si le pouvoir d’amplifier la voix était utile en soi, cette même rune fut utilisée par Fagrahvél elle-même lors de la bataille de Vígríðr pour transformer les soldats de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier en berserkers sans peur — une perspective tout à fait terrifiante à n’en pas douter. Il n’était donc pas étonnant que Gjallarhorn ait été surnommée la Rune des Rois.

« Comme vous l’avez certainement déjà appris, l’unité des forces spéciales de Múspell, commandée par le Mánagarmr, Sigrún, a pris la capitale du Clan de la Flamme, Blíkjanda-Böl ! »

« Huzzah ! Huzzah ! Huzzah ! »

Les acclamations des troupes éclatèrent par vagues.

Ils savaient déjà à quoi s’attendre pour la bataille à venir. S’ils devaient se battre de toute façon, ils préféraient gagner la bataille et rentrer triomphants.

Toute nouvelle susceptible de leur remonter le moral avant la bataille était accueillie à bras ouverts.

« L’ennemi a lui aussi entendu cette nouvelle. En ce moment même, ils tremblent de panique et ont commencé à battre en retraite ! Si nous voulons les écraser, c’est maintenant qu’il faut agir ! »

Les acclamations s’amplifièrent tandis que Yuuto continua de parler.

« Enfin, j’ai quelques nouvelles personnelles à partager avec vous tous… En ce jour, ma seconde épouse officielle, Sigrdrífa, a donné naissance à notre petit garçon tant attendu ! Cela ne peut être qu’un bon présage pour la bataille à venir ! »

« Sieg Þjóðann ! Sieg Þjóðann ! »

L’excitation était palpable au sein des troupes.

Il avait été annoncé à l’avance que si un garçon naissait, ce serait le jour où les troupes partiraient affronter l’ennemi sur le terrain.

Utiliser le sexe du nouveau-né pour décider de ce genre de choses, c’était un peu comme décider de son avenir en le devinant dans les fissures de la carapace d’une tortue jetée au feu, mais personne ne pouvait leur reprocher d’agir ainsi — c’était une époque où la politique et la religion n’étaient que les deux faces d’une même pièce.

Juste avant le début de la bataille, le successeur tant attendu du souverain de l’empire était né. Il ne pouvait y avoir de meilleur signe de leur bonne fortune.

Yuuto souffrait d’impliquer ses enfants dans des machinations politiques, mais il n’avait pas le droit à l’erreur dans son combat contre Nobunaga. S’il tombait, il avait maintenant un garçon de son propre sang pour monter sur le trône.

« Hommes du Clan de l’Acier ! Nous sortons ! Prenez toute votre colère et votre frustration d’avoir été piégés dans ces murs ces deux derniers mois et jetez-les sur l’ennemi ! »

++

« Signal de fumée confirmé. L’armée du Clan de l’Acier est sortie de ses murs. »

« C’était rapide, en effet. Ce garçon est certainement d’un calibre différent de celui du paisible Asakura Yoshikage », dit Nobunaga, laissant échapper des mots d’admiration.

Il se souvenait alors de la bataille de Kanegasaki.

Si je me souviens bien, j’étais plutôt fier de la rapidité et de l’ordre avec lesquels nous nous sommes retirés du champ de bataille, mais nos pertes ont été étonnamment faibles, non pas en raison de la discipline de nos troupes, mais parce que l’armée d’Asakura avait été tellement prise dans des conflits internes qu’elle avait été lente à nous poursuivre.

Yoshikage n’avait pas répondu à la demande de Yoshiaki de venir à Kyoto, et il n’avait pas non plus pris de mesures décisives pendant le siège. Dans tous les cas, c’était un homme incapable d’agir, même lorsque l’occasion se présentait.

Nobunaga avait, en un sens, été sauvé par cette indécision.

Si Takeda Shingen ou Uesugi Kenshin s’étaient trouvés sur le champ de bataille d’Echizen, à ce stade du conflit, Nobunaga aurait très bien pu être mis à genoux avant même d’avoir établi le siège.

Il n’était pas approprié de comparer Yuuto à un imbécile comme Yoshikage, mais par rapport à l’indécision de ce dernier, les actions du jeune garçon avaient été vraiment rapides.

Trop rapide, presque.

« Signaux de fumée en provenance du nord, confirmés. Le fort du clan de l’épée, occupé par dix mille soldats du Clan de l’Acier, semble également montrer des signes de mouvement », déclara Ran d’un ton détaché, comme l’aurait fait un réceptionniste.

Ran était un homme capable de rester calme et de penser clairement, même dans les situations les plus extrêmes. C’était la raison pour laquelle Nobunaga s’était assuré de le garder près de lui, et pourquoi il avait si bien pris soin de lui. Il n’y avait personne d’autre sur qui il pouvait compter autant en cas de besoin.

« Vraiment ? Leur plan consiste donc à nous piéger dans une attaque en tenaille, en effet… »

« À en juger par l’évidence de leurs mouvements, il a probablement déjà demandé de l’aide aux clans environnants », déclara Ran, ne perdant pas une miette des commentaires de son seigneur.

« C’est probable en effet. En d’autres termes, il nous a coincés, » déclara Nobunaga, rendant évident ce que les deux savaient déjà à ce stade.

« Oui, monsieur. Bien sûr, Suoh Yuuto doit penser la même chose », répondit Ran.

« C’est ainsi. Et voilà, Ran, notre ouverture pour une attaque. »

Les coins de la bouche de Nobunaga se retroussèrent tandis qu’un sourire des plus féroces se faufilait sur ses lèvres.

Nobunaga savait par expérience que l’opportunité se cache au milieu de la crise. Comme le dit le vieil adage, « même dans la mort, on peut trouver la vie ».

Il avait compris la vérité de ce dicton, et c’est grâce à cela qu’il avait presque réussi à unir tout le Japon sous son règne.

« Oho ? »

Il regarda ce qui était tombé dans la paume de sa main et rit.

Il semblerait que les cieux considèrent toujours Nobunaga comme un allié.

« C’est de bon augure. Nous avons déjà perdu beaucoup de terrain, mais c’est maintenant à notre tour de faire un pas en avant. »

Normalement, le Clan de la Flamme aurait été forcé de battre en retraite, étant donné les circonstances. Mais il n’y avait rien d’autre à faire.

Quiconque comprendrait ne serait-ce que les bases de la stratégie militaire serait d’accord.

Et c’est précisément à cause de la force écrasante de ces idées préconçues concernant son prochain mouvement que Nobunaga sera capable de renverser la situation.

« Keh heh heh… Suoh Yuuto ! Tu vas voir le pouvoir du Roi-Démon, Oda Nobunaga ! »

++

L’eau glacée se brisait en gouttelettes sur les joues de Yuuto au fur et à mesure que ses forces avançaient. Il posa une main sur sa joue, leva les yeux et vit le ciel entièrement rempli de nuages sombres.

À peine a-t-il fait cela qu’une nouvelle goutte d’eau perla sur son visage.

« La pluie, hein… »

En regardant les gouttes tomber sur la paume de sa main, Yuuto fronça les sourcils, dégoûté.

Son visage était celui d’un homme qui avait déjà fait la guerre des dizaines de fois. Il avait marché et combattu sous une pluie battante. À ce stade, il n’avait pas l’intention de s’inquiéter d’être mouillé.

La pluie en elle-même ne le préoccupait pas particulièrement, c’était tout autre chose qui le préoccupait.

« Bon sang, ça a vraiment commencé à tomber. Et ça n’a pas l’air de vouloir s’arrêter de sitôt. »

En quelques instants, la pluie tombait partout, à perte de vue. C’était devenu une véritable tempête.

« Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi. Cela va causer de véritables ravages dans notre poursuite. »

Les fortes pluies rendaient souvent la vue plus difficile, les vêtements et les armures étaient mouillés et refroidis, et les troupes étaient beaucoup plus susceptibles de tomber malades.

Selon une théorie, ce n’était pas les soldats ennemis, mais les maladies qui avaient tué la plupart des troupes au cours de l’histoire ancienne et médiévale.

***

Partie 7

Par un temps pareil, Yuuto demandait généralement à ses troupes d’installer des bâches pour les abriter de la pluie et de se regrouper pour conserver leur chaleur corporelle — mais s’il leur demandait de le faire maintenant, ils risquaient fort de manquer leur chance d’écraser le Clan de la Flamme.

« Grand Frère, comment allons-nous procéder ? »

« Je me sens mal pour les troupes, mais nous ne pouvons pas relâcher notre poursuite. Nous sommes face à Nobunaga, après tout. Si nous ne le frappons pas durement ici et maintenant, nous n’aurons peut-être plus jamais l’occasion de le faire. »

Le plan de Yuuto avait bien fonctionné, mais il n’était pas d’humeur à se réjouir.

Neuf fois sur dix, Nobunaga le battait sur le champ de bataille.

Il avait juste eu la chance que cette fois-ci soit le rare cas où il pourrait gagné — ou du moins c’est ce qu’il pensait.

C’est pourquoi il voulait battre Nobunaga de façon décisive, afin de ne plus avoir à se battre contre lui.

« En y réfléchissant, je suis presque sûr qu’il a aussi plu à Okehazama, n’est-ce pas ? »

C’était peut-être parce que son adversaire était Oda Nobunaga que Yuuto s’était souvenu de cette partie de l’histoire.

Oda Nobunaga avait écrasé l’armée d’Imagawa Yoshimoto, forte de vingt-cinq mille hommes et considérée comme le plus grand général de tout le Tokaïdo, avec seulement trois mille hommes. Cette bataille était l’une des trois embuscades les plus célèbres de l’histoire du Japon.

C’est cette victoire qui avait élevé le nom d’Oda Nobunaga au rang de célébrité nationale. Profitant de l’occasion pour poursuivre ses conquêtes, Nobunaga avait lancé ses invasions de Mino et d’Ise, élargissant rapidement son territoire.

« Mais cette fois, c’est nous qui lancerons une attaque-surprise contre toi, Nobunaga », dit Yuuto en riant.

De ce point de vue, c’était une chance que la pluie tombe. Après tout, cela signifiait que les nombreux tanegashima du Clan de la Flamme ne pouvaient pas être utilisés.

Yuuto croyait sincèrement que les dieux lui avaient accordé leur bénédiction.

Malheureusement pour lui, il ne connaissait pas encore la vérité.

Il avait étudié un bon nombre de philosophies de Nobunaga sur divers sujets tels que la tactique, la politique, la diplomatie et la pensée logique. En revanche, il n’avait rien étudié de l’intérêt de Nobunaga pour l’occultisme.

Un certain romancier avait un jour donné à Nobunaga un nom spécial, étant donné qu’à chaque fois qu’il y avait un tournant dans ses batailles, il pleuvait toujours. Yuuto, bien sûr, était né à une époque où peu de gens lisaient encore ce romancier, il ne pouvait donc pas le savoir, mais le nom avait été donné :

« Le général de la saison des pluies. »

S’il l’avait su, il aurait peut-être pressenti l’issue inquiétante qui l’attendait sur le champ de bataille et abandonné sa poursuite, préférant retourner dans la Sainte Capitale. Il était également possible qu’il n’ait pas pu se débarrasser complètement du soupçon que cette pluie soudaine n’était pas une coïncidence.

Malgré tout, face à une telle opportunité, la meilleure chose à faire était de poursuivre son ennemi. Il serait stupide de ne pas le faire.

C’est pour cette raison que Yuuto avait pris la décision malheureuse de poursuivre son plan initial. Il avait été forcé de le faire tant l’opportunité était invitante.

++

La pluie tombait plus fort…

Un certain temps s’était écoulé depuis qu’il avait décidé de continuer sa poursuite. L’émetteur-récepteur qu’il tenait dans sa main bourdonna.

« Père, nous sommes dans le pétrin. Nous devons nous préparer au combat immédiatement ! La force principale du Clan de la Flamme fonce droit sur nous ! »

« Quoi — !? »

Le rapport qu’il venait de recevoir de Kristina, qui agissait actuellement comme l’un de ses éclaireurs, l’avait laissé complètement abasourdi.

La pluie tombait peut-être tout autour de lui, mais c’était vraiment un coup de tonnerre.

« Ce n’est pas seulement leur arrière-garde qui charge, n’est-ce pas ? »

« Pas du tout ! C’est toute l’armée ! »

« Ce n’est pas possible… C’est impossible… ! »

L’armée du Clan de la Flamme devrait s’effondrer sous le poids de la perte de sa capitale, Blíkjanda-Böl.

Maintenant que la balance avait penché en faveur du Clan de l’Acier, les clans environnants se joindraient également à l’offensive du Clan de l’Acier contre l’armée du Clan de la Flamme. Tout le monde pouvait s’en rendre compte. Ils devaient donc se retirer du champ de bataille le plus rapidement possible afin de regagner leur capitale.

Et pourtant, malgré tout ce qui s’était passé, l’armée du Clan de la Flamme s’était réorientée pour faire face aux forces du Clan de l’Acier et avait commencé à leur foncer dessus. C’était une véritable folie.

Si Yuuto ne s’occupait pas de cela de manière appropriée, les forces du Clan de l’Acier risquaient fort d’être encerclées et donc anéanties.

C’était justement parce que les actions du Clan de la Flamme étaient à la limite de la folie que Yuuto avait été rendu muet par ce développement inattendu.

« Dépêchez-vous, s’il vous plaît. Non seulement ma découverte a été retardée par la pluie, mais l’ennemi se déplace rapidement ! » hurla Kristina d’un ton paniqué dans l’émetteur-récepteur.

« Bon sang ! Tous les soldats, mettez-vous en formation de combat immédiatement ! L’ennemi arrive ! »

Yuuto fit claquer sa langue de frustration et donna des ordres en toute hâte.

Cependant, le fait d’ordonner à ses hommes de faire quelque chose ne signifie pas nécessairement qu’ils étaient en état de suivre ces ordres.

Les longues colonnes de troupes en marche avaient essentiellement formé une file d’attente sinueuse pour se frayer un chemin sur le champ de bataille. Faire en sorte que cette ligne de troupes se transforme en une formation de combat adéquate prendrait pas mal de temps.

S’il s’était agi de l’armée du Clan de l’Acier qui avait combattu lors de la bataille de Vígríðr, ils auraient pu se mettre en formation à temps, mais plus de la moitié des soldats de l’armée actuelle du Clan de l’Acier étaient issus de clans plus récents. Ils n’avaient pas beaucoup progressé dans leur entraînement depuis le peu de temps qu’ils avaient rejoint l’armée.

« Oui, Reginarch ! »

Alors qu’ils n’étaient pas encore préparés à l’assaut des soldats ennemis, un cri de guerre retentit devant eux. C’est ici et maintenant que le rideau allait enfin tomber sur la bataille entre les clans de l’Acier et de la Flamme.

++

Les forces du Clan de la Flamme auxquelles l’armée du Clan de l’Acier se trouvait confrontée brandissaient de longues lances d’une taille inhabituelle et leurs forces étaient alignées de telle sorte qu’il n’y avait pas la moindre faille, même sur leurs flancs.

Les soldats du Clan de l’Acier tentèrent de se cacher derrière leurs boucliers, mais les lanciers ennemis étaient tout simplement trop nombreux.

Plusieurs des boucliers des soldats furent inévitablement transpercés, laissant les hommes blessés ou pire —, ils tombèrent au sol et s’enfoncèrent dans la boue marécageuse qui les entourait.

« Bon sang, je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’ils nous donnent autant de fil à retordre en tant qu’ennemis. »

Skáviðr, qui commandait les troupes sur la ligne de front, avait maudit inconsciemment les événements qui se déroulaient autour de lui.

L’utilisation de longues lances pour créer une formation en phalange était une spécialité unique du Clan de l’Acier.

Cependant, les cœurs des soldats du Clan de l’Acier étaient pleins d’inquiétude, leurs rangs étaient en désordre et leurs mouvements étaient irréguliers.

Tout cela les empêchait de rester unis. C’est pourquoi ils se faisaient écraser à droite et à gauche.

« Ne cédez pas à la panique ! Mettez-vous en formation ! Si nous gardons la tête froide, nous, soldats du Clan de l’Acier, ne pouvons pas perdre ! »

Skáviðr donna ses ordres et tenta de revigorer ses troupes, mais ses paroles n’avaient que peu d’effet.

Ses paroles, après tout, étaient celles de la « faucheuse de la mort » du Clan de l’Acier, Níðhǫggr, l’Abatteur narquois.

En temps normal, ses troupes tremblaient de peur et obéissaient à ses ordres, mais aujourd’hui, ses réprimandes semblaient tomber dans l’oreille d’un sourd.

« Gahh ! »

« Aghh ! »

« Ahhh ! »

Alors que Skáviðr restait là à regarder, des cris d’agonie fatale s’élevèrent de ses troupes.

« Bon sang… Ce n’est pas bon. »

Suffisamment bas pour que personne d’autre ne puisse l’entendre, Skáviðr poussa un nouveau juron.

Cette charge inattendue du Clan de la Flamme était extrêmement malvenue.

Les guerres se gagnent et se perdent sur un coup de tête. Si le Clan de l’Acier continuait à être repoussé de la sorte, les mouvements ordonnés des troupes changeraient le cours de la bataille.

Une fois que ce serait le cas, le moral des troupes s’effondrerait et il serait impossible d’inverser les pertes. Même Yuuto, qui semblait trouver des tactiques dignes d’un dieu les unes après les autres, ne serait pas capable de trouver un moyen de s’en sortir.

« Si la pluie continue ainsi, nous ne pourrons plus utiliser nos armes à feu, ni même nos arcs. »

Skáviðr regarda le ciel qui continuait à l’arroser.

Avant la bataille, Yuuto avait dit que l’avantage du Clan de l’Acier sur le Clan de la Flamme était leurs arcs.

Cependant, à cause de la tempête actuelle, les arcs, les cordes et les plumes des flèches avaient été trempés, ce qui avait entraîné une tournure des événements bien différente de ce que Yuuto avait prévu.

Tout ce qu’ils portaient était devenu lourd, et la pluie battante menaçait de noyer les soldats à chaque nouvelle averse.

Les pluies réduisaient considérablement la portée de leurs arcs, en plus de perturber leur visée.

En mettant Yuuto de côté pour le moment, s’il devait prendre le commandement de toutes les forces du Clan de l’Acier, comment pourrait-il faire en sorte que les troupes se regroupent ?

Au moment même où il envisageait cette idée — !

« Hein !? »

Son moral s’était soudainement amélioré et il avait senti la force surgir de quelque part au plus profond de son corps.

Il avait d’abord cru qu’il s’agissait simplement de l’énergie folle d’un fou pris dans un incendie, mais ce n’était pas tout à fait cela. C’était presque comme si quelque chose d’extérieur à lui lui avait remonté le moral. Il ne pouvait se défaire de l’impression que ses sentiments n’étaient pas entièrement les siens.

Un rugissement féroce, semblable à celui d’un animal, avait alors jailli de l’armée.

Les soldats qui, il y a quelques instants, semblaient prêts à être avalés par l’ennemi, avaient maintenant les yeux injectés de sang, ressemblant à des démons cannibales alors qu’ils fonçaient sans crainte sur les forces du Clan de la Flamme.

La crise avait été évitée, mais il était clair que quelque chose d’étrange se produisait.

Mais ce n’est pas une raison pour ne pas profiter de l’opportunité qui s’offre à lui.

« Bien, nous les repoussons ! A toutes les unités, attaquez ! »

***

Partie 8

« Ouf. Je suppose que nous parviendrons à leur tenir tête… pour l’instant. »

Au campement qui avait été mis en place pour les forces principales du Clan de l’Acier, Yuuto s’affaissa sur le sol et poussa un long soupir.

Pour être tout à fait honnête, ils se trouvaient dans une situation plutôt délicate à l’heure actuelle.

Sans elle, il n’aurait rien pu faire du tout, et ses forces auraient été balayées par une avalanche de soldats du Clan de la Flamme.

« C’est dans ces moments-là que je me souviens à quel point la guerre peut être terrifiante. Tu m’as vraiment aidé, Fagrahvél. »

Yuuto se retourna pour faire face à la beauté blonde derrière lui et la remercia du plus profond de son cœur.

La rune que portait Fagrahvél — Gjallarhorn, l’appel à la guerre — stimulait le moral des troupes et était également capable de faire ressortir leurs capacités latentes.

Le fait que son utilisation ait permis de renverser instantanément le cours de la bataille montrait que son efficacité sur le champ de bataille était vraiment impressionnante.

Honnêtement, l’avoir encore comme adversaire serait tout à fait terrifiant. Je suis heureux qu’elle soit devenue l’une de mes alliées les plus fiables. Ce n’est pas étonnant que tout le monde appelle sa rune la Rune des rois… se dit Yuuto.

« Je suis… juste content d’entendre… que mon pouvoir… ait été utile… »

C’est du moins ce que Fagrahvél avait essayé de dire, ses poumons se gonflant tandis qu’elle parlait d’une voix tendue.

Son front était couvert de perles de sueur, et elle semblait lutter énormément pour ne serait-ce que parler.

« Ah — ne te force pas à parler. Concentre-toi sur le sort. »

Yuuto paniqua un peu lorsqu’il réalisa à quel point il avait été distrayant, agitant ses bras comme pour repousser la conversation.

La rune de Fagrahvél était d’une puissance écrasante, mais elle n’était pas sans faiblesse.

Plus il y a de soldats dans une armée, plus l’utilisation intensive de la rune vide son porteur de toute endurance, c’est une arme à double tranchant.

Appliquer ses effets aux vingt mille soldats de la force principale du Clan de l’Acier semblait impossible, comme il s’y attendait.

« Ah… A ce propos… Pour être honnête… J’ai déjà… atteint ma limite… Un seul instant… c’est tout ce que je peux faire sans me préparer… »

« Alors ? Deux heures… hein. »

Cette application des pouvoirs de sa rune avait duré beaucoup moins longtemps que lorsqu’elle l’avait utilisée contre Yuuto à Vígríðr, et la différence l’avait choqué — mais il en comprenait tout de même la raison.

Le rituel qui avait permis à Yuuto d’être convoqué à Yggdrasil en utilisant le seiðr Gleipnir nécessitait des offrandes spéciales, ainsi que des outils magiques pour canaliser son ásmegin sous une forme plus concentrée.

En outre, les lanceuses de seiðr — Félicia et Mitsuki — avaient passé beaucoup de temps à effectuer des purifications rituelles et s’étaient également livrées à des séances de méditation pour tenter d’affiner à l’extrême leur pouvoir de concentration.

Toute cette préparation avait été faite pour lancer ce seul sort.

Dans une situation comme celle-ci, où il lui avait demandé d’utiliser le pouvoir de sa rune assez soudainement, il y aurait bien sûr des limites à l’efficacité du sort.

« Pendant ces deux heures, nous devrons nous regrouper et prendre tous les avantages possibles. »

Il regarda l’armée du Clan de la Flamme au loin et serra les poings.

Sans le talent de tricheur de Fagrahvél, ils n’en seraient pas sortis vivants.

En d’autres termes, même s’il avait eu la chance de bénéficier d’une pluie torrentielle, en tant que général, Yuuto avait perdu face à Nobunaga.

Complètement et totalement.

« C’est un sacré vieillard, c’est sûr. »

Un homme qui avait presque réussi à réunir tout le Japon sous son autorité allait bien sûr être un type de personne tout à fait différent.

« Être soldat, c’est être trompeur. »

Yuuto avait l’impression qu’on lui avait démontré la véracité de ce dicton.

C’est justement parce qu’il avait fait quelque chose de si inattendu que l’ennemi avait pu être plus malin que lui.

Cependant, savoir comment on fait quelque chose est très différent de le faire soi-même.

Cette leçon, il l’avait apprise à fond dans la situation de mort imminente à laquelle il avait échappé il y a quelques instants à peine.

Il ne put s’empêcher de s’étonner de l’audace de son ennemi.

Le Clan de l’Acier avait réussi à survivre à la première attaque, mais cela n’avait pas changé le fait qu’ils étaient désavantagés sur le champ de bataille.

Il devait rassembler ses troupes et les amener à affronter l’ennemi une fois de plus, en tant que soldats.

++

Nobunaga écarquilla les yeux en voyant l’armée du Clan de l’Acier revenir à la charge. Il poussa un soupir d’admiration en regardant la bataille se dérouler.

« Oho, il n’est pas aussi facile à manipuler que je le pensais. Il sait se battre. »

Nobunaga avait presque parfaitement réussi à frapper le Clan de l’Acier à son point le plus faible.

Il y a quelques instants, les soldats du Clan de l’Acier tremblaient dans leurs bottes face aux soldats du Clan de la Flamme qui arrivaient — ils n’étaient absolument pas en état de se battre.

Même pour Nobunaga, il aurait été extrêmement difficile de faire revenir ses soldats de cet état d’esprit.

« Il y a quelque chose d’étrange dans ce changement soudain d’attitude. D’après les rapports, il semble que les soldats du Clan de l’Acier se comportent de façon plutôt inhabituelle. Toute cette situation sent le pouvoir divin propre à ce monde : l’ásmegin. Quelle horreur ! »

Ran, le second de Nobunaga, fronça les sourcils et cracha en disant cela.

En tant qu’homme pratique et rationnel, il méprisait le galdr, l’alchimie et toutes les autres formes de mysticisme suspect.

Nobunaga laissa échapper un rire brutal devant le dégoût évident de Ran.

« Obstiné comme toujours, n’est-ce pas ? »

« C’est vous qui prêtez trop facilement l’oreille aux histoires de ces magies, mon seigneur. Sans ces sorts étranges, la victoire serait déjà nôtre. »

« Haha ! Ces ennuis sont inévitables. Il est inutile de nier ce qui existe. »

« Mais monsieur… »

« Pour gagner, il faut utiliser tout ce qui est à sa disposition, non ? Cet effronté a joué l’atout de sa manche, rien de plus. La sagesse que nous partageons, lui et moi, est inhabituelle dans ce monde, n’est-ce pas ? Nous arrivons sur le champ de bataille avec les mêmes avantages, » déclara Nobunaga d’une manière très objective.

C’est cette conversation qui avait vraiment montré la différence d’expérience entre Ran, qui n’était venue au service de la famille Nobunaga qu’après avoir vaincu presque tous ses ennemis, et Nobunaga lui-même, qui avait traversé de nombreuses situations dangereuses dans lesquelles il avait risqué de tout perdre.

La victoire emporte tout, la défaite perd tout.

C’est pour cette raison qu’un général devait gagner par tous les moyens, quelles qu’en soient les conséquences. Même si cela signifiait qu’il serait traité de chien, de porc ou pire pour les méthodes qu’il employait.

Nobunaga le savait bien.

« Monseigneur ! Je suis porteur d’un message du seigneur Shiba ! L’ennemi avance dans nos rangs, et il demande une assistance immédiate ! »

« Oh là là ! Même le courageux Shiba ne peut arrêter leur avancée ! Keh… C’est ce que j’attendais depuis longtemps. Une guerre n’a pas vraiment commencé tant que vous ne sentez pas la tension de la bataille vous piquer l’échine ! »

Un sourire féroce sur le visage, la soif de sang commençait à sortir de tous les pores de Nobunaga.

« Ce n’est qu’en survivant chaque jour à la morsure du destin que la lumière du sens peut briller. »

C’était du moins la philosophie de Nobunaga.

Et maintenant, il avait enfin trouvé l’adversaire qui l’obligera à « survivre de justesse ».

Bien sûr qu’il allait s’enthousiasmer pour cette perspective.

« Ran ! Je sors ! Soldats, suivez-moi ! »

Nobunaga sauta sur la selle de son cheval et le fouetta pour le faire avancer.

Ses mouvements étaient tout à fait fluides, agiles même — il ne montrait aucun signe de plus de soixante ans.

Nobunaga se dirigea vers l’endroit où l’unité de Shiba était attaquée.

Tandis qu’il installait certains de ses généraux les plus féroces aux premières lignes de l’armée, il faisait aller et venir son cheval dans les rangs de son armée principale, excitant ses troupes combattantes, déplaçant l’armée comme s’il s’agissait de ses propres bras et de ses propres jambes.

Il était terriblement dangereux pour lui de le faire (Nobunaga avait d’ailleurs subi un nombre non négligeable de blessures lors de cette pratique), mais les risques encourus par le patriarche d’un clan lorsqu’il s’approchait aussi près des lignes de front valaient la peine d’être récompensés : sa présence avait un effet considérable sur le moral de ses troupes. Il pouvait également recevoir des informations détaillées et donner des ordres précis concernant les mouvements ultérieurs des troupes.

Curieusement, on raconte qu’Alexandre le Grand préférait lui aussi se battre en première ligne pour encourager ses troupes. Un grand souverain doit se battre aux côtés de ses hommes, après tout.

++

Une heure s’était rapidement écoulée depuis l’ouverture des hostilités.

Pendant ce temps, les armées du Clan de l’Acier et du Clan de la Flamme avaient alterné attaques et défenses — les marées de la bataille poussaient un camp à avancer, l’autre à reculer, et vice-versa, encore et encore.

Pour l’instant, ce sont les soldats du Clan de l’Acier qui attaquaient. Malgré cela, le cœur de Yuuto était plein d’inquiétude face à la façon dont la bataille progressait.

« Bon sang, ce vieux monsieur est un vrai monstre… ! »

Un patriarche ne devait pas montrer de faiblesse devant ses hommes. Il le savait, mais il ne pouvait s’empêcher de cracher de dégoût devant les dernières manœuvres ennemies.

« Nos troupes sont beaucoup plus fortes, c’est certain. »

Pourquoi ? Ils avaient utilisé le pouvoir de la rune de Fagrahvél — Gjallarhorn, l’appel à la guerre — pour les transformer en héros de guerre intrépides. En fait, il avait drogué ses propres soldats pour augmenter leurs capacités.

« Nos unités devraient être beaucoup plus rapides à coordonner et à réagir à l’évolution du champ de bataille. »

Sans parler du fait qu’il trichait franchement en se coordonnant avec ses subordonnés via son émetteur-récepteur. Ses ennemis n’en disposaient certainement pas.

Malgré tous ces avantages, le Clan de l’Acier n’était toujours pas en mesure de submerger complètement les forces du Clan de la Flamme.

Même contre les soldats du Clan de l’Acier, qui étaient remplis d’une soif de sang folle, les hommes du Clan de la Flamme tenaient bon et se battaient aussi durement qu’avant.

Ils avaient suivi les ordres de Nobunaga à la lettre, et ce sans hésitation.

La différence entre leurs deux armées illustrait la différence entre une armée composée de paysans conscrits et une armée composée de soldats professionnels.

Et puis il y avait Nobunaga lui-même — il incarnait vraiment les vieux mots utilisés pour décrire un commandant compétent : « Mieux vaut être rapide et brutal que lent et prudent. »

Si vos formations sont au bord de l’effondrement, renforcez-les avec des soldats supplémentaires et reprenez l’offensive.

Il avait vu toutes les faiblesses des lignes de front du Clan de l’Acier et avait immédiatement envoyé ses soldats pour pénétrer ces faiblesses.

Non seulement il était « rapide et brutal », mais il déplaçait ses forces si rapidement que c’était presque comme s’il avait le don d’une véritable prévoyance — chaque mouvement qu’il faisait était précisément le bon.

***

Partie 9

Ses compétences en tant que commandant provenaient probablement du fait qu’il avait apporté avec lui des décennies d’expérience sur le champ de bataille. Tous ces combats avaient sûrement aiguisé son intuition au point qu’elle était presque divine.

Pour tout dire, Yuuto ne pouvait pas dire qu’il avait revendiqué le haut du pavé dans cette bataille. Il venait de pousser ses troupes vers l’avant, et elles étaient repoussées tout aussi durement. Au mieux, il pouvait décrire la situation actuelle comme une situation d’égalité.

« Ça va mal finir à ce rythme… »

Les effets du Gjallarhorn étaient limités à deux heures, et une fois que sa magie se serait dissipée, qui savait ce qui se passerait alors…

Le simple fait d’y penser donnait des frissons à Yuuto.

« Que dois-je faire... Que dois-je faire… ! »

L’esprit de Yuuto s’emballa en essayant de trouver une bonne idée, mais il ne trouvait absolument rien.

Dans ces moments-là, il utilisait souvent son groupe de cavaliers d’élite pour renverser le cours de la bataille. Grâce à leur capacité à se déplacer rapidement sur le champ de bataille, ils pouvaient perturber l’ennemi avant qu’il n’ait le temps de réagir.

Mais l’unité des forces spéciales de Múspell se trouvait actuellement à Helheim, loin d’Ásgarðr. Le Régiment de Cavalerie Indépendant dirigé par Hveðrungr avait été presque détruit lors de la bataille précédente, et Hveðrungr lui-même portait encore de sérieuses blessures non guéries sur ses bras et ses jambes. Yuuto n’avait pas eu d’autre choix que de le laisser dans la Sainte Capitale.

« Oh ! c’est vrai ! Jörgen ! J’ai aussi les unités de Jörgen ! »

Yuuto se rappela soudain l’existence de ses unités de renfort, et il serra les poings d’impatience.

En sortant de la Sainte Capitale, il avait déjà donné l’ordre à Jörgen d’attaquer les forces du Clan de la Flamme.

Le plan initial prévoyait que Yuuto prenne le plus gros de l’attaque ennemie en utilisant l’hôte principal, tandis que les renforts menés par Jörgen attaquaient les forces du Clan de la Flamme depuis l’arrière.

Il s’était senti tellement acculé par tout ce qui se passait qu’il en avait oublié ses propres projets.

La pression induite par le fait d’avoir à affronter un homme aussi grand que Nobunaga le submergeait complètement.

« Même si nous ne pouvons pas le battre nous-mêmes, tant que nous maintenons nos lignes de front, Jörgen finira par les frapper par-derrière. Il faut juste tenir le coup jusque-là… »

De manière inattendue, Yuuto entendit une salve de statiques provenant de l’émetteur-récepteur fixé à sa taille.

Pour une raison ou une autre, il avait un mauvais pressentiment sur ce qui allait se passer ensuite, et son instinct lui donnait généralement raison sur ce genre de choses.

« Þjóðann, nous sommes dans le pétrin ! »

Une voix paniquée lui perça les oreilles par son urgence.

Bien que la voix soit stridente, elle lui semblait familière.

Il appartenait à Rikka, l’une des espionnes de Kristina chargée de gérer les communications entre les unités du flanc gauche.

« Les renforts ennemis arrivent droit sur nous ! En très grand nombre ! »

« Qu-Quoi !? Ce n’est pas possible… ! »

En entendant ces mots, Yuuto réalisa enfin qu’il s’était lourdement trompé.

Nobunaga avait d’abord été contraint de battre en retraite parce que Yuuto avait attaqué Blíkjanda-Böl. Yuuto pensait que ce changement soudain de position et l’attaque subséquente de Nobunaga avaient été motivés par le désir de faire en sorte que la retraite soit la plus réussie possible.

Il ne pouvait pas se tromper davantage.

Nobunaga n’avait pas du tout reculé.

Il avait fait semblant d’agir comme Yuuto l’avait prévu et l’avait attiré sur le champ de bataille.

C’était la seule explication à la situation. Il n’y avait pas d’autre moyen pour que des renforts ennemis arrivent à la porte ouest si tôt dans la bataille.

Nobunaga avait ordonné aux soldats postés dans le château de siège près de la porte ouest de ne pas battre en retraite, mais plutôt d’attaquer les soldats du Clan de l’Acier qui émergeaient de derrière les murs de la ville.

« Comme l’a dit Sun Tzu : “Le meilleur moyen d’amener l’ennemi à agir dans le sens que vous souhaitez est de faire croire à son chef qu’il a l’avantage. Le moyen le plus important d’amener l’ennemi à s’arrêter est de lui faire croire qu’il est désavantagé.” »

Les mots de Sun Tzu résonnaient faiblement dans l’esprit de Yuuto.

« L’homme qui fait aller un ennemi dans une certaine direction l’a fait parce qu’il a montré que l’ennemi peut tirer profit d’un tel mouvement », voilà ce que signifiaient ces mots.

Yuuto avait mordu à l’hameçon proposé par Nobunaga.

Il connaissait l’astuce.

Il ne le savait que trop bien, mais tout de même…

« C’est un geste bien trop fou, même pour lui ! »

Plein d’indignation, Yuuto abattit ses poings sur le bord du char.

L’ennemi n’avait plus beaucoup de provisions après son long siège de la Sainte Capitale, sans parler de l’approvisionnement réduit suite à la prise de leur propre capitale. Si Yuuto n’avait pas mené la charge dans la bataille, ils auraient été encerclés par les forces des autres clans et coupés de leurs chaînes d’approvisionnement.

S’ils avaient fait le moindre faux pas, ils auraient risqué l’anéantissement total.

D’un autre côté, Yuuto savait que dans la situation qui lui avait été présentée, il aurait toujours choisi d’appuyer sur l’attaque.

Nobunaga devait le savoir aussi. C’est pourquoi il avait choisi d’entreprendre une manœuvre aussi risquée.

« Argh ! C’est affreux ! Une défaite totale ! Que tout cela soit maudit ! »

Yuuto se gratta l’arrière de la tête en signe d’irritation et donna un coup de pied au bord du char.

Depuis qu’il avait quitté la Sainte Capitale, jusqu’à aujourd’hui, il avait agi exactement comme Nobunaga l’avait voulu.

« G-Grand Frère !? »

« Il ne nous reste plus qu’une seule option, » déclara Yuuto calmement, contrairement à Félicia qui était complètement paniquée.

Le fait d’avoir été si bien manipulé par Nobunaga l’avait en fait revigoré et lui avait permis de se débarrasser complètement de son anxiété et de ses doutes.

L’élan général de la bataille avait été décidé. La possibilité d’une victoire du Clan de l’Acier était presque nulle.

Dans cette optique, il n’y avait qu’un seul ordre que tout bon chef peut donner à ses hommes :

« La discrétion est la meilleure partie du courage — nous nous enfuyons ! »

++

« Nous avons réussi à gagner. »

Nobunaga poussa un long soupir en regardant les forces du Clan de l’Acier battre en retraite. La soif de sang qui brûlait dans son cœur s’éteignit lentement.

Si l’on se contente de regarder comment les choses se sont déroulées, Nobunaga avait clairement gagné cette bataille —, mais il avait été poussé dans ses derniers retranchements pour remporter cette victoire, et cela n’avait certainement pas été facile.

En réalité, il n’avait gagné que par la plus petite des marges.

« C’est un combattant à la hauteur de sa réputation. Qui sait comment cette bataille aurait pu tourner si nous avions commandé le même nombre de soldats. »

L’armée permanente du Clan de l’Acier était composée de vingt mille soldats, tandis que la force principale du Clan de la Flamme que Nobunaga commandait était forte de trente mille hommes, mais si l’on y ajoute les renforts stationnés dans le château de siège à l’extérieur de la porte ouest de la Sainte Capitale — une force de dix mille hommes — alors sa force était facilement deux fois plus importante que celle de son ennemi.

Le moment le plus frappant de toute la bataille avait été la soudaine montée en puissance des forces du Clan de l’Acier lorsqu’elles avaient pris l’offensive.

Non seulement ils avaient soudainement pris de l’élan, mais leurs mouvements étaient parfaitement précis.

Ce n’est que parce que les troupes du Clan de la Flamme étaient bien plus nombreuses qu’elles avaient pu résister à l’attaque.

Pourtant, la guerre n’est pas un jeu.

Un commandant devait utiliser tout ce qui était à sa disposition pour s’emparer de la victoire — afin de remporter ce match à mort qu’était la guerre.

Il n’y avait rien de lâche à faire cela.

Le but était d’envoyer plus de soldats sur le champ de bataille que l’ennemi. C’est le principe le plus élémentaire de la stratégie.

« Il a également battu rapidement en retraite, n’est-ce pas ? Presque trop vite, tu ne crois pas ? »

Son second, Ran, avait l’air déçu en regardant les forces du Clan de l’Acier qui battaient en retraite.

S’ils avaient retardé leur retraite de quelques instants, les renforts du Clan de la Flamme à la porte ouest auraient attaqué le flanc du Clan de l’Acier, assurant l’effondrement total de leurs forces.

« L’une des caractéristiques nécessaires pour devenir un grand général est la capacité de porter des jugements rapides et précis. Ce garçon continue à m’amuser, en effet. »

Ils avaient frappé l’armée du Clan de l’Acier de plein fouet… mais ils n’avaient évité le coup fatal que de justesse.

C’est ainsi que Nobunaga aurait décrit la bataille en cours.

Cette « faible marge » avait cependant fait toute la différence. Le contraste entre ceux qui pouvaient gagner une bataille et ceux qui ne le pouvaient pas était aussi marqué que la distinction entre le jour et la nuit. C’est vrai et présent partout où l’on se bat.

En d’autres termes, Nobunaga avait confirmé dans cette bataille que Suoh Yuuto avait cette qualité particulière : il était l’un des vainqueurs.

« Mais je ne suis pas assez gentil pour te laisser t’enfuir comme ça, mon gars ! Ran ! Ordonne à toutes les unités de passer à l’attaque ! J’accorderai un royaume au soldat qui me rapportera la tête du jeune homme ! »

« C’est extrêmement généreux de votre part, monsieur. »

Les yeux de Ran s’écarquillèrent à l’ordre de Nobunaga.

Certes, capturer le commandant ennemi serait un exploit glorieux, mais un royaume entier ? C’était certainement trop.

« Si nous le laissons nous échapper ici, nous nous retrouverons en danger d’ici peu. »

Ran pâlit et frissonna en entendant la glace dans le ton de Nobunaga.

C’était vraiment comme il l’avait dit.

Les forces du Clan de la Flamme étaient toujours encerclées par les guerriers des clans environnants. Rien n’avait changé.

Tant qu’ils ne parviendraient pas à contrôler le Þjóðann, ils ne pourraient pas résoudre leurs autres problèmes. L’avenir du Clan de la Flamme dépendait en grande partie de leur capacité à capturer Suoh Yuuto. Son destin déciderait du leur.

Malgré les enjeux, et au milieu de tous les combats, Nobunaga n’avait jamais oublié son sens de l’humour ni perdu son sang-froid.

Son visage s’était illuminé d’un sourire et il avait dit : « Et maintenant ! C’est l’heure de jouer au chat et à la souris ! »

++

Derrière lui retentissent les cris d’agonie et les hurlements de ses soldats.

La douleur qu’ils ressentaient était palpable. Yuuto, lui aussi, la ressentait. Il se mordit la lèvre inférieure de frustration et son cœur se serra à chaque cri.

« Je suis désolé, tout le monde… »

La culpabilité l’envahissait par vagues.

Il avait l’impression que chaque cri d’angoisse qu’il entendait était le résultat d’une erreur personnelle qu’il avait commise sur le champ de bataille.

« Grand frère, ne te laisse pas troubler si profondément. La victoire et la défaite sont les compagnes constantes de tous ceux qui s’aventurent dans la guerre. »

« Je le sais, mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir seul responsable de cette… »

« Aucun des grands généraux n’est mort invaincu — ne me l’as-tu pas toi-même dit, il y a tant d’années ? »

« Bien sûr, c’est vrai, mais quand même… »

« Il n’y avait tout simplement rien d’autre à faire cette fois-ci. »

« … »

Yuuto était heureux que Félicia soit là pour le réconforter, mais ses paroles n’atteignaient pas son cœur.

***

Partie 10

Il pouvait comprendre la vérité de ce qu’elle disait, mais cela ne changeait rien à ce qu’il ressentait.

Il avait réussi à rester calme lorsqu’il avait décidé de donner l’ordre de retraite au Clan de l’Acier, mais les cris de ses soldats blessés le déchiraient de l’intérieur.

Il aurait fallu, il aurait fallu, il aurait fallu…

Si seulement j’avais fait ceci, si seulement j’avais fait cela —

J’aurais pu sauver tous ces gens.

Ils auraient pu quitter ce champ de bataille en vie.

Yuuto ne pouvait empêcher ces regrets de tourner en rond dans son esprit, de hanter son cœur.

« C’est vrai… Hum… Grand Frère, pardonne-moi. »

« Hm ? »

Au moment où Yuuto se demandait pourquoi la voix de Félicia était inhabituellement basse et sévère, c’était arrivé…

Bam !

Pendant un instant, il n’avait eu aucune idée de ce qui venait de se passer.

Très vite, il sentit une douleur cuisante lui envahir la joue gauche. Il réalisa tardivement qu’il venait de recevoir une gifle.

« Fe… licia… ? »

L’esprit complètement vide, Yuuto l’appela par son nom.

Félicia le regarda avec une expression sévère.

« Reprends-toi, Grand Frère ! C’est la guerre ! Nous n’avons pas le temps d’avoir des regrets ou des chagrins ! N’as-tu pas d’autres choses auxquelles tu devrais penser en ce moment ? », hurla-t-elle.

« — ! »

Yuuto fut complètement pris au dépourvu par ses paroles tranchantes.

Il commença à se sentir gêné par sa stupidité. Il serra les poings et, sans plus attendre, se donna un coup de poing sur le front.

« Grand Frère ! »

Félicia poussa un cri d’inquiétude.

Sa sévérité d’antan avait complètement disparu, et elle avait maintenant l’air troublée et inquiète. Yuuto ne put s’empêcher de bafouiller de surprise.

D’un ton plus soulagé qu’autre chose, il dit : « Merci, Félicia. Tu m’as vraiment ramené à la raison. J’en avais besoin. »

Elle avait tout à fait raison. Plus tard, il y aura du temps pour les regrets et les chagrins. Il y avait d’autres choses qu’il devait faire maintenant.

Son front et sa joue palpitaient encore de douleur, mais son esprit s’était éclairci. Cette gifle avait chassé une grande partie des sentiments qu’il avait laissés le distraire.

« Le premier problème que nous devons régler est cette pluie. Descendons de ce char et passons à nos chevaux. »

 

 

Yuuto se caressa le menton de la main alors qu’il se mit à réfléchir à la meilleure façon de procéder.

Le sol étant complètement détrempé par la pluie, le char ne pouvait pas avancer très vite. Il risquait même de s’enliser dans la boue.

Il l’utilisait depuis qu’il était devenu patriarche. Il y était plutôt attaché, mais ce n’était pas comme s’il y tenait plus qu’à sa vie.

« Heureusement pour nous, je suppose, la Sainte Capitale n’est pas très loin. Si nous parvenons à nous replier vers le château, nous pourrons nous regrouper en formations de combat. Le problème, cependant, c’est que l’équipement du Clan de la Flamme est plus léger que celui du Clan de l’Acier. C’est pourquoi ils sont un peu plus rapides à pied que nous. Hm, que faire... »

« De retour au Yuuto que je connais et que j’aime, je vois, » dit Félicia chaleureusement.

« Tout cela grâce à toi. Pourtant, je dois admettre… Je n’aurais jamais pensé que toi, parmi tous les gens, me frapperais comme ça. »

« Oh, mon cher, as-tu perdu ton affection pour moi ? »

« Non, je suis retombé amoureux de toi. Tu es l’adjudante parfaite, et la meilleure femme. »

« Ah… Je vois… »

Félicia avait une réputation à défendre, et elle ne savait pas comment répondre à ces commentaires trop affectueux que Yuuto lui adressait. Elle était incapable de faire plus que marmonner et rougir devant les compliments.

Elle était si mignonne qu’il avait envie de la prendre dans ses bras à ce moment précis, mais cela devait attendre qu’ils soient tous les deux rentrés à la maison — en vie.

++

Un certain homme se trouvait à cet instant à l’arrière de la ligne des soldats du Clan de l’Acier qui fuyaient.

Il s’était battu en première ligne, il était donc logique qu’il se retrouve à l’arrière lorsqu’ils avaient commencé à battre en retraite.

L’homme était heureusement accompagné de son fidèle partenaire équin. S’il était monté sur son cheval, il aurait pu fuir bien plus vite que les autres.

Il avait toutefois choisi de ne pas le faire.

Il convenait peut-être de noter que l’ennemi s’était montré exceptionnellement rapide dans sa poursuite.

L’homme avait participé à une retraite feinte lorsqu’il s’était battu contre l’armée du Clan de la Foudre, mais la poursuite du Clan de la Flamme était bien plus rapide que la sienne.

Il l’avait senti en combattant les soldats du Clan de la Flamme, qui avaient subi un entraînement assez rigoureux.

Cependant, lorsqu’il s’était battu avec le Clan de la Foudre, celui-ci avait laissé une grande quantité d’armes en fer de grande valeur sur le sol pour distraire les soldats ennemis lors de leur retraite.

Cette fois-ci, ils n’avaient pas d’armes coûteuses qu’ils pouvaient simplement laisser tomber aux pieds de l’ennemi. À ce rythme, les pertes du Clan de l’Acier allaient être considérables.

Si rien ne change, leur projet d’unir tous les clans sous la domination du Þjóðann risquait fort de devenir impossible.

Si les choses tournaient vraiment mal, son seigneur pourrait se retrouver entre les mains de ceux qui les poursuivent en ce moment même.

Quelqu’un, d’une manière ou d’une autre, devait absolument arrêter l’avancée de l’ennemi, et il avait décidé depuis longtemps que ce serait lui.

Ce choix avait été fait le jour où le garçon avait miraculeusement sauvé Iárnviðr. Il avait décidé que sa vie était destinée à être vécue au service de son seigneur.

L’homme décrit n’était autre que Skáviðr. Il regarda ses subordonnés et leur posa une question qui allait changer leur vie.

« Équipe Suicide ! Êtes-vous prêts à mourir ? »

L’Équipe Suicide était une unité qu’il avait formée en secret, à l’insu de Yuuto.

Ils étaient environ cinq cents. Ce n’est pas beaucoup, certes, mais il les avait triés sur le volet. Ils étaient la crème de la crème.

« Oui, monsieur ! »

Les soldats avaient répondu à l’unisson.

De même que leurs voix étaient unies, leurs cœurs l’étaient aussi : pas un seul individu n’avait montré la moindre trace de peur.

Il fallait s’y attendre. Après tout, le critère pour rejoindre l’Équipe Suicide n’était pas la force des bras, mais la férocité des cœurs.

Seraient-ils prêts à mourir, le sourire aux lèvres, pour leurs camarades ?

Oui, ces soldats le feraient.

Si leur armée devait se retrouver dans une situation périlleuse, ils sacrifieraient leur vie au service de leur seigneur.

Et maintenant, ce moment était arrivé.

À aucun moment, Skáviðr n’avait douté des capacités de Yuuto en tant que commandant.

Même si le Clan de l’Acier devait subir une défaite totale, la foi et l’admiration de Skáviðr envers Yuuto resteraient absolument inébranlables et inaltérées.

Skáviðr en avait lui-même fait l’expérience, après tout. C’est en prenant les graines de l’échec et en les plantant que l’on est le plus capable de grandir.

Skáviðr savait aussi que l’esprit du garçon était immensément fort, qu’il possédait une grande quantité d’ambition et s’efforçait de s’améliorer, et surtout, qu’une défaite comme celle-ci ne servirait qu’à alimenter son désir de devenir encore plus fort.

Yuuto n’était pas le genre de jeune homme dont l’éclat s’évanouissait avec une seule défaite. Sa force n’était pas si fragile.

Des graines de cette défaite, le garçon deviendrait plus fort de corps, d’esprit et d’âme. Il sortira grandi de cette expérience, cela ne fait aucun doute.

Cela étant, il ne lui restait plus qu’une chose à faire… Il devait devenir le bouclier de ce garçon pour que cette défaite n’ait pas pour conséquence de lui ôter la vie.

Il devait se sacrifier pour le peuple du Clan de l’Acier — non, pour tous les peuples d’Yggdrasil. Il devait aussi sauver la vie d’un maximum de soldats de Yuuto.

C’est avec cette détermination que Skáviðr avait formé l’Équipe Suicide, dans le cas improbable où cela s’avérerait nécessaire.

Skáviðr sortit son épée de son fourreau et cria : « Équipe Suicide, entendez-moi ! L’heure est venue pour vous de donner votre vie pour le Clan de l’Acier ! Vous devez vous débarrasser de votre humanité ! Vous devez devenir des dieux de la mort ! Attaquez ! »

++

« Gahh ! »

« Ahh ! »

« Gwahh ! »

« Trois soldats, tous en même temps… !? Ce bâtard est bien trop fort — ngh ! »

« Qu’est-ce que c’est que ce type — gah ! »

Devant les soldats paniqués du Clan de la Flamme se tenait un homme qui ne pouvait être décrit que comme une sorte de Dieu de la Mort.

Sa peau était d’un bleu blanchâtre pâle, lui donnant l’apparence d’un fantôme.

Il était trop maigre, ses joues étaient creuses, et tous ceux qui le regardaient tremblaient de peur.

Seuls ses yeux semblaient vivants. Ils étaient aussi aiguisés que ceux d’un faucon, et l’aura qu’il dégageait était celle de quelqu’un qui cherchait à causer des ennuis.

Dans tous les sens du terme, on sentait que sa seule présence était plutôt inquiétante.

Il n’allait tout de même pas rester là à se faire du mauvais sang…

« Ha — ! »

« Uwa — ! »

Un autre, puis un autre, tués par l’épée du Dieu de la Mort. Les soldats du Clan de la Flamme perdaient la vie à un rythme effréné.

Il était également évident pour tout observateur que ce type était fort. C’était un Einherjar, après tout.

En fait, il aurait été trop étrange qu’il n’en soit pas un. Malgré tout, il était bien plus fort qu’un Einherjar moyen.

L’homme poussa un rugissement animal en menant ses soldats assoiffés de sang au combat, sans qu’aucun d’entre eux ne craigne la mort.

En clair, rien ne pouvait les arrêter.

« Attention à ne pas les laisser s’approcher trop près ! Les lances sont prêtes ! Empalez-les ! Qu’aucun ne vive ! »

Le commandant apparent de l’unité hurla ses ordres.

Les soldats du Clan de la Flamme reprirent rapidement leurs esprits en entendant leur commandant les appeler.

Même les plus petites unités d’infanterie de l’armée du Clan de la Flamme avaient été rigoureusement entraînées à garder la tête froide face à un tel danger.

« Oui, monsieur ! »

Ils avaient crié à l’unisson en plantant leurs lances dans les flancs de l’ennemi, comme un hérisson qui s’était enfin décidé à piquer son agresseur.

Aussi monstrueux soit-il, personne n’aurait pu éviter leur attaque.

Personne n’aurait dû pouvoir s’en défendre.

Personne n’aurait dû le faire.

Mais les soldats ennemis assoiffés de sang se jetèrent sur leurs lances et devinrent des brochettes humaines avançant sur le champ de bataille.

Mais le « Dieu de la mort », le noyau de leur force d’assaut, était différent. Il se servit de ses bras, de ses coudes, de ses genoux et de toutes les autres parties de son corps d’une manière très intelligente et adroite en détournant légèrement les lances, avant de se glisser dans les fissures de la phalange et d’appuyer sur l’attaque.

À ce stade, la longueur des lances importait peu : elles n’étaient que des bâtons inutiles face à quelqu’un d’aussi puissant que ce soi-disant « Dieu ».

« Gahh ! »

« Gwahh ! »

« Arghh ! »

Ne pouvant plus se défendre, les soldats du Clan de la Flamme devinrent autant de vies à récolter pour le Dieu de la Mort. Trois autres d’entre eux furent abattus en succession rapide.

« Ce type… il n’est pas humain ! »

« C’est un m-monstre… ! »

« Non, c’est un dieu… un dieu de la mort… ! »

Même les soldats du Clan de la Flamme, hautement entraînés, se trouvaient incapables de rester calmes face à une telle terreur.

Les soldats assoiffés de sang étaient plus faciles — les blesser mortellement et ils seraient bientôt morts, même s’ils pouvaient claquer des mâchoires pendant quelques instants avant de finalement laisser échapper un râle d’agonie. Ils pouvaient être vaincus.

Cependant, le « Dieu de la Mort » ne serait pas aussi simple à vaincre. Il parvint à se faufiler dans la forêt de lances acérées qui faisaient la fierté du Clan de la Flamme comme s’il s’agissait de simples mauvaises herbes à écarter sur son chemin.

Comment étaient-ils censés vaincre un adversaire aussi puissant que lui ?

« N’ayez pas peur, messieurs ! Regardez-le ! Regardez ses vêtements ! Regardez ses bras et ses jambes ! » cria le commandant de l’unité d’une voix stridente en désignant le dieu de la mort.

C’est alors que les soldats poussèrent des soupirs de surprise.

***

Partie 11

Les vêtements du dieu de la mort étaient couverts d’entailles et de déchirures, des dizaines, voire des centaines. De plus, du sang s’écoulait des nombreuses blessures visibles sur tout son corps.

Ses mains, ses pieds et même ses genoux. Aucune de ces blessures n’était proche de mettre sa vie en danger, mais on ne pouvait pas dire qu’il était « indemne ».

De plus, il était évident que le sang qui coulait dans ses veines était rouge, cramoisi même.

Il était humain, tout comme eux. Il pouvait être vaincu.

Cette prise de conscience permit aux soldats du Clan de la Flamme de retrouver leur esprit combatif.

« Attaquez ! »

Une fois de plus, ils plantèrent leurs lances sur le dieu de la mort.

Le Dieu les évita une fois de plus, et trois autres soldats du Clan de la Flamme tombèrent morts dans la boue. Pourtant, les blessures du dieu étaient plus nombreuses qu’auparavant.

« Regardez ! Ce bâtard est aussi un humain. Si nous le blessons davantage et que nous le faisons saigner, il ne pourra plus se déplacer aussi rapidement ! Continuez à attaquer ! »

« … Tu sais, tu commences vraiment à me taper sur les nerfs. »

Le dieu de la mort jeta un regard sévère au commandant qui hurlait ces ordres.

Un frisson parcourut l’échine du commandant.

« Tuez-le ! Tuez-le tout de suite ! »

« Oui, monsieur ! »

Trois, quatre, cinq fois — encore et encore — les soldats plantent leurs lances sur leur ennemi, sous l’impulsion stridente du commandant.

Cependant, à chaque fois, le Dieu de la Mort se faufilait dans la volée de lances et prenait vie après vie à l’armée du Clan de la Flamme.

Puis, enfin…

« E-Eeep ! Ne vous approchez pas ! Partez ! Quelqu’un, tuez ce — ! »

Enfin, la lame du dieu de la mort trancha la gorge du commandant.

Lentement, le dieu reprit sa position de combat, tint son épée à portée de main et fixa les soldats du Clan de la Flamme.

Sans même se rendre compte de ce qu’ils faisaient, chacun d’entre eux se mit à trembler de peur.

Selon toute vraisemblance, l’homme couvert de sang qui se tenait devant eux, sa lame à la main, devait ressembler à un démon envoyé directement des profondeurs de l’enfer.

Le nombre de combattants aussi féroces dans tout Yggdrasil se comptait sur les doigts d’une main.

Et pourtant, face à tant de lances serrées, le combattant ennemi avait des blessures sur tout le corps.

Si vous attaquez un seul homme avec une unité entière, il finira par tomber, quelle que soit sa puissance.

Les soldats l’avaient compris, mais ils ne parvenaient pas à se débarrasser des idées noires qui s’immisçaient dans leur esprit.

Des choses telles que : nous avons gagné la guerre. Je ne veux pas mourir maintenant ! et Si je me bats contre cet homme, je mourrai sûrement…

Les soldats étaient figés par la peur.

++

« Le seigneur Takiasu est tombé au combat ! »

« … Tué par ce soi-disant “Dieu de la mort”, je suppose ? »

« Oui ! »

« C’est bien cela ? Très bien. Merci pour le rapport. Repos, soldat. »

Après avoir appris la nouvelle, Nobunaga appuya son visage contre sa main et poussa un long soupir.

Même sans en savoir plus sur ce « Dieu de la mort », il était clair qu’il servait le commandant de l’armée du Clan de l’Acier.

Le fait que cette horde de soldats possédés par une soif de sang insensée apparaisse juste devant son unité de poursuite était une gifle, littéralement. Non seulement son unité de poursuite s’était heurtée à une résistance, mais elle avait été tellement terrifiée par les soldats ennemis qu’elle s’était figée sur place ou avait commencé à battre en retraite.

Depuis qu’il avait donné l’ordre de battre en retraite, plusieurs de ses plus valeureux guerriers et l’un de ses généraux avaient été tués. C’est pour cette raison que son unité de poursuite ne parvenait pas à progresser en temps voulu.

Même s’ils étaient les ennemis de Nobunaga, il ne pouvait en aucun cas dénigrer leurs mouvements. Ils avaient été d’une efficacité redoutable.

« Hmph. Ce morveux a rassemblé de très bons combattants pour en faire ses subordonnés, en effet. »

D’une part, il était le commandant du guerrier hautement qualifié qui, avec une petite force, avait pris la capitale du Clan de la Flamme à Blíkjanda-Böl — le Mánagarmr, Sigrún.

Puis il y avait eu cet homme masqué qui avait dirigé la cavalerie, ainsi que cet utilisateur de magie qui avait plongé toute l’armée du Clan de l’Acier dans une soif de sang frénétique.

Puis, enfin, il y eut ce « Dieu de la mort ».

Tous semblaient être des Einherjars, mais il était clair qu’il ne s’agissait pas d’Einherjar ordinaire. Nobunaga aurait bien aimé qu’un seul d’entre eux travaille pour lui.

Si tel avait été le cas, il aurait sans doute pu remporter une victoire décisive.

« Ah, » soupire-t-il, « inutile de penser à ces choses-là. »

Nobunaga laissa échapper un grognement et secoua la tête en constatant à quel point il avait été stupide.

La capacité à attirer des généraux qualifiés était une qualité nécessaire pour ceux qui souhaitaient devenir souverains.

Ce morveux avait été doté de cette qualité, de toute évidence.

« Tsk ! Je l’ai déjà laissé filer, n’est-ce pas ? Cette fois, c’est moi qui perds. »

Techniquement parlant, Nobunaga a gagné la bataille.

Mais ce n’était qu’une victoire tactique, une victoire tactique. Rien de plus.

En fin de compte, non seulement il n’avait pas réussi à prendre la Sainte Capitale, mais il n’avait pas non plus réussi à s’emparer de la tête du Þjóðann. De plus, sa plus importante base d’opérations militaires, la capitale de son clan, lui avait été volée.

En d’autres termes, l’armée du Clan de la Flamme n’avait d’autre choix que de se retirer complètement du territoire entourant la Sainte Capitale.

En ce sens, d’un point de vue stratégique, il était clair que le véritable vainqueur était le Clan de l’Acier.

« Ils nous ont eus cette fois-ci, mais tu n’auras pas la vie facile lors de notre prochain combat, sale gosse. Ou devrais-je dire, Suoh Yuuto. »

Nobunaga avait estimé les talents de Yuuto à leur juste valeur, mais une partie de lui ne considérait pas le jeune souverain comme une grande menace.

Il était peut-être inévitable qu’il pense ainsi.

Même si Yuuto ressemblait beaucoup à un lionceau, l’attention de Nobunaga se portait sur le lionceau, pas sur le lion.

Étant donné qu’il était un lion adulte, il ne pouvait s’empêcher de sous-estimer les tentatives d’un simple lionceau d’établir une forme de supériorité sur lui.

Il n’en reste pas moins qu’insulter un adversaire qui l’avait battu sur le champ de bataille en le traitant de « sale gosse » lui donne une mauvaise image. Il avait senti la force de la main de son adversaire lors de leur petit combat — le garçon était fort, en effet. Nobunaga ne pouvait pas nier ce fait. Il était forcé de voir son adversaire sous un nouveau jour : Yuuto n’était pas un enfant. Il ne pouvait pas s’amuser à le combattre plus longtemps.

Le jeune homme n’était en rien inférieur aux adversaires que Nobunaga avait affrontés par le passé — en fait, il pourrait même être un adversaire encore plus redoutable. Yuuto était sans aucun doute un adversaire puissant.

++

« Nous sommes les… seuls… à rester en vie… ? »

Skáviðr regarda autour de lui. Il eut un sourire ironique en posant cette question.

Au premier coup d’œil, il ne restait plus que treize de ses soldats.

Il était probable qu’une partie des soldats ennemis restants ait réussi à s’échapper. Au moins, il ne voyait pas d’autres troupes du Clan de la Flamme les poursuivre.

Ils avaient fait un excellent travail.

« Oui, Seigneur Skáviðr. C’est grâce à votre combat acharné. »

« Haha ! Le contraire, en fait. Je vous ai conduits, vous les membres de l’Équipe Suicide, jusqu’aux portes de la mort ! La seule raison pour laquelle nous avons survécu — toussa toussa — n’était pas grâce à moi… mais parce que nous avons eu de la chance. C’est tout. »

S’appuyant sur les épaules de l’un de ses enfants jurés, Skáviðr toussait en disant cela, tout en souriant.

Il pensait sincèrement qu’ils avaient tous été extrêmement chanceux d’avoir survécu jusqu’ici, compte tenu de la façon dont ils avaient traversé les batailles les unes après les autres. Il n’aurait pas été étrange qu’ils soient déjà morts.

Ils n’avaient certainement pas l’obligation de le remercier d’être encore en vie.

« Eh bien, vous savez, le reste… »

Bzzap !

Alors qu’il commençait à parler, l’émetteur-récepteur qu’il portait à la taille avait émis un puissant signal sonore.

C’était Yuuto lui-même qui lui avait donné ce précieux appareil. Malgré ses blessures, il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger l’appareil au péril de sa vie.

« — ! J’ai enfin réussi à passer ! Ská, tu es là ? Ská !? »

La voix qu’il souhaitait le plus entendre en ce moment s’échappa de l’émetteur-récepteur.

« Oui, mon seigneur. Vous êtes-vous bien débrouillé dans la bataille ? Je m’inquiétais pour vous. »

« Espèce d’imbécile ! C’est moi qui m’inquiétais pour toi ! Mais vraiment, je suis heureux d’entendre que tu es en vie. C’est ce que j’attendais de l’immortel Skáviðr. »

« Hah… »

Skáviðr ne put s’empêcher de laisser échapper un rire en entendant les paroles de Yuuto.

« Je suis déjà de retour à la Sainte Capitale. Dépêche-toi de revenir ici toi aussi. »

« Toutes mes excuses, monseigneur — ngh ! — Je crains que cela ne soit pas possible… »

« Wôw, attends, c’est quoi ce bruit que tu viens de faire !? Es-tu blessé ? »

Il y avait une forte note de panique dans la voix de Yuuto.

Skáviðr avait tendance à prétendre qu’il allait toujours bien, surtout quand ce n’était pas le cas. Yuuto savait qu’il était ce genre d’homme. C’est pour cette raison qu’il s’était rendu compte que quelque chose n’allait pas.

Si Skáviðr laissait sa douleur s’insinuer dans sa voix, c’est qu’il y avait vraiment quelque chose qui n’allait pas.

« Euh, eh bien… C’est embarrassant à dire, mais mon côté a été pratiquement ouvert. »

Appuyant sur la coupure remontant le long du côté gauche de son torse, le visage de Skáviðr se tordit de douleur, mais parvint aussi à se contorsionner en un sourire d’autodérision.

Il n’y avait certainement pas de façon plus honteuse de se comporter pour un guerrier.

Même s’il avait participé à de nombreuses batailles aujourd’hui, même si les saignements et les blessures l’avaient fait trembler, il n’avait jamais cru qu’il serait tué par un soldat lâche.

« Ton côté ? Ouvert ! Hé ! Ça va aller ! »

« C’est une blessure mortelle, je le crains. Pour l’instant, j’applique du coton sur mon flanc pour tenter de stopper l’hémorragie, mais — gah ! — Je ne pense pas qu’il me reste beaucoup de temps… »

« N-Non ! N’abandonne pas ! Reviens ici ! Tu es censé être immortel ! Si nous te soignons, alors… »

« Trop tard pour cela, je le crains. Je crois que j’ai versé un peu trop de sang… Rester conscient est devenu… assez difficile… »

« Nous envoyons une unité de secours immédiatement — »

« Non, vous ne le ferez pas ! »

Son cri soudain lui fit mal au côté, mais il serra les dents et se força à continuer à parler.

« Vous ne pouvez pas envoyer les personnes indemnes en danger pour sauver celles qui sont déjà en train de mourir. Cela signifierait que tous nos sacrifices n’auront servi à rien. »

« Mais quand même — ! »

« Hah ! Pouvoir entendre votre voix dans mes derniers instants, mon seigneur, et savoir que vous êtes en sécurité… Cela me suffit pour être satisfait. Je n’ai aucun regret. »

« C’est ridicule ! Ne dis pas des choses comme ça ! C’est comme si tu me disais au revoir ! »

La voix émise par l’émetteur-récepteur devint un peu plus difficile à comprendre. On aurait dit que Yuuto pleurait en parlant.

Lui, le père juré qu’il aimait du fond du cœur, pleurait pour Skáviðr. Skáviðr était en paix avec cette connaissance.

C’est pourquoi il pouvait dire, avec un sourire qui reflétait vraiment son cœur —

« Oui, il s’agit bien d’un adieu. J’ai été sincèrement heureux de pouvoir vous servir, mon seigneur. Être votre frère juré… a été le plus grand honneur de ma vie. »

Il n’y avait pas l’ombre d’un mensonge dans ces mots.

Skáviðr pensait sincèrement qu’il avait été béni de servir sous les ordres de Yuuto. Il se sentait extraordinairement chanceux d’avoir vécu à la même époque que lui, d’avoir combattu à ses côtés.

Plus important encore, il était mort en protégeant son seigneur, ce qui était le plus grand privilège qu’un guerrier puisse demander.

Il ne pouvait pas souhaiter plus.

Rempli d’émotion, Skáviðr prononça ses derniers mots…

« Adieu, mon seigneur. Puissiez-vous être chanceux dans les batailles à venir ! »

Sur ce, Skáviðr éteignit l’émetteur-récepteur. Il ne souhaitait pas que quelqu’un d’aussi gentil que Yuuto l’accompagne jusqu’à sa mort, même si ce n’était que par l’intermédiaire de l’appareil. Sa fierté ne le permettrait jamais.

« Remettez ceci au Seigneur Yuuto. »

Il tendit l’émetteur-récepteur à l’un de ses enfants.

Il avait fait tout ce qu’il devait faire. Il sentait qu’il pouvait mourir sans regret.

« Haha, vous êtes venu après tout… Elín, Iarl. Je ne pensais pas vous revoir un jour. J’ai tant de choses à vous dire. »

En murmurant les noms de sa femme et de son enfant bien-aimés, Skáviðr ferma doucement les yeux.

Portant les vêtements qui lui ont valu le surnom de « La Mort en Cape », le visage du mort affiche un sourire lumineux et satisfait, le sourire d’un homme qui était mort heureux.

 

 

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire