Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 14 – Chapitre 4

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Chapitre 4

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Chapitre 4

Partie 1

« Il semblerait que les dégâts dans notre région d’origine soient également très importants. »

Félicia avait lu la lettre qu’elles avaient reçue de Linéa, son expression s’assombrissant au fur et à mesure.

Près d’une semaine s’était écoulée depuis le tremblement de terre.

Une lettre était arrivée aujourd’hui par messager à cheval de Gimlé, mais son contenu était loin d’être agréable pour Yuuto.

« Pas seulement Iárnviðr et Gimlé, mais même Nóatún… »

Son commentaire ressemblait à un gémissement.

Alors que Gimlé et Iárnviðr étaient situées près du centre d’Yggdrasil, Nóatún était l’ancienne capitale du Clan du Sabot — c’était une ville située à l’extrémité ouest d’Yggdrasil.

Cela signifiait que le tremblement de terre n’avait pas seulement touché Glaðsheimr, mais aussi une grande partie d’Yggdrasil.

« Alors, Grand Frère, ce doit être… »

« Oui… J’espérais que j’exagérais, mais cela semble assez certain à ce stade. »

À la question de Félicia, Yuuto acquiesça avec une expression rigide.

Il avait commencé. Le compte à rebours de la disparition d’Yggdrasil.

« D’après le Timée de Platon, il y aurait de multiples tremblements de terre et inondations inhabituels avant que l’effondrement ne se produise. Je doute que cela se produise immédiatement, mais maintenant que les choses ont commencé, nous devons faire avancer mon ascension au trône en tant que Þjóðann. »

Forcer la question de la succession et être qualifié d’usurpateur réduirait son autorité et nuirait à sa légitimité, c’est pourquoi il avait voulu suivre les procédures appropriées dans la mesure du possible, mais il semblait maintenant qu’il n’aurait plus le temps de le faire.

« En fait, il se peut que nous devions faire pression pour que cela se produise dans les prochains jours… »

On frappa soudain à la porte du bureau. Vu le sujet qu’il venait d’aborder, Yuuto ne put s’empêcher de se crisper.

Après avoir pris une profonde inspiration pour se calmer, il appela le visiteur.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« C’est Kristina. Il y a un problème qui requiert ton attention immédiate, mon Père. »

« Ah ! Entre. »

Yuuto fit entrer Kristina dans la pièce sans hésiter.

Kristina était à la tête du groupe de renseignements de Yuuto, les Vindálfs — la Bande des Elfes du Vent — et bien qu’elle soit encore très jeune, elle était dotée d’un esprit extrêmement vif.

C’était quelque chose qui, selon elle, nécessitait une attention immédiate de sa part. Même s’il était très occupé, cela signifiait qu’il devait l’écouter.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Yuuto dès qu’il la vit entrer.

Kristina hocha la tête une fois et prit la parole : « Des rumeurs indésirables se répandent dans la population. À ce rythme, les gens pourraient bien se révolter. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

Même Yuuto était abasourdi.

C’était un coup dur à encaisser alors que, juste avant, il discutait de la nécessité de devenir Þjóðann le plus rapidement possible.

Le Þjóðann était une figure bien-aimée des habitants de Glaðsheimr. S’il prenait ce titre alors qu’ils étaient déjà au bord de l’émeute, cela reviendrait à jeter de l’huile sur le feu.

La population de Glaðsheimr était d’environ cent mille personnes. S’il y avait des émeutes…

Le simple fait d’y penser, fit frissonner Yuuto.

Il devait écouter les détails, mais il semblait qu’il ne pourrait pas faire avancer les choses comme il le souhaitait.

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« Hein ? L’énorme tremblement de terre est de ma faute ? »

L’affirmation était si inattendue que Yuuto ne put que répéter les mots qu’il avait entendus.

Il était vrai que la rumeur disait que Yuuto était une sorte de dieu de la guerre incarné, ou un serviteur des dieux, et beaucoup n’y croyaient qu’à moitié.

Il était également vrai que les diverses choses qu’il avait accomplies grâce aux connaissances du XXIe siècle, telles que l’augmentation du rendement des récoltes de blé et d’autres aliments en un clin d’œil, dépassaient de loin ce que la personne moyenne d’Yggdrasil pouvait comprendre, donnant l’impression qu’il s’agissait de l’œuvre des dieux.

Ceci étant dit, cependant…

« Je n’ai pas la capacité de provoquer des catastrophes naturelles. »

Il avait utilisé des trébuchets pour simuler des météorites pendant le siège d’Iárnviðr, et avait provoqué une inondation artificielle en combattant le Clan de la Foudre, mais tous deux avaient des astuces derrière eux.

Pour ce qui est de provoquer un tremblement de terre de cette ampleur, il ne savait même pas par où commencer pour essayer d’orchestrer une telle chose.

« Non, ce n’est pas toi qui l’as causé, père, mais plutôt une punition divine pour avoir désobéi aux souhaits du Grand Dieu Ymir. »

« Hein ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« On dit que le premier Þjóðann, Wotan, a reçu d’Ymir le droit de régner sur Yggdrasil. Les runes jumelles étaient la preuve de ce droit divin. Tu connais ce mythe, mon père ? »

« Oui, j’ai entendu cette histoire plusieurs fois. »

En temps normal, il aurait considéré qu’il s’agissait d’une histoire inventée pour justifier le règne des Þjóðann, mais le fait que le mystérieux pouvoir des runes jumelles se transmettait de génération en génération donnait au mythe une base factuelle, et il était donc accepté comme une vérité à Yggdrasil.

« Ce châtiment divin a été infligé par Ymir sous le coup de la colère, parce que tu as manqué de respect à la famille qu’Ymir lui-même a désignée comme les souverains d’Yggdrasil et que tu as tenté d’usurper leur autorité. Cette rumeur s’est répandue dans la population à un rythme effréné. »

« Hm… »

Il n’y avait aucune base scientifique à cela, mais il ne pouvait pas dire que c’était ridicule. À cette époque, la politique et la religion étaient intimement liées.

Même dans les territoires du Clan de l’Acier, bien que cette pratique soit désormais interdite, les procès qui ressemblaient à une mauvaise blague — comme jeter les accusés dans la rivière et déterminer leur culpabilité en fonction de leur noyade ou non — étaient monnaie courante.

Le commun des mortels avait été conditionné à croire que tout était le résultat de la volonté des dieux.

« Eh bien, cela va certainement être une tâche difficile. »

Yuuto poussa un soupir découragé.

Étant donné que Yuuto était généralement un rationaliste, ce genre de problèmes était le plus difficile à gérer pour lui. Ils ne pouvaient tout simplement pas être résolus par la logique.

« Je suppose que nous pouvons commencer par demander à Lady Rífa de faire une annonce publique. »

Si la rumeur disait qu’il avait manqué de respect à la Þjóðann, il serait utile que la Þjóðann elle-même démente avec force que c’était le cas. C’était simple, mais cela semblait efficace.

« Il ne fait aucun doute qu’ils croiront simplement qu’elle a été forcée de le dire. Le fait qu’elle ait rendu visite aux blessés et qu’elle ait servi de la nourriture a été interprété de cette manière. »

« Sérieusement !? Oui, je suppose que c’est possible… je n’y avais pas réfléchi avant ça. »

L’action caritative des membres de la famille royale était une chose normale au 21e siècle. Les êtres humains ne remettent pas en question les choses qu’ils considéraient comme normales.

C’est dans cet esprit qu’il avait proposé ces activités à Rífa, car elles semblaient relativement inoffensives, mais en y réfléchissant bien, il s’est avéré qu’en faisant accomplir à la Þjóðann des tâches que des personnes d’un rang bien inférieur étaient habituellement censées faire, la population pourrait interpréter cet acte comme un exemple de leur nouveau souverain abusant de son nouveau pouvoir pour contrôler la Þjóðann comme il l’entendait.

« Alors que faire ? As-tu des propositions ? »

« Ce qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est d’utiliser les Vindálfs pour répandre des rumeurs qui te sont favorables, mon père. »

« Je vois. »

Yuuto acquiesça avec intérêt.

C’est ce que l’on pouvait attendre d’une fille qui avait hérité du sang de Botvid et qui avait été éduquée selon ses méthodes.

Yuuto ayant lui-même tendance à privilégier les stratégies qui consistaient à s’attaquer aux problèmes de front, il était reconnaissant de la présence de Kristina dans ces moments-là.

« Alors, allons-y. Franchement, c’est un peu gênant de devoir le faire, mais ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. »

Il devait penser à l’avenir, après tout. Il devait épouser Rífa et obtenir le titre et l’autorité de Þjóðann coûte que coûte.

Cependant, au vu des rumeurs qui circulaient, s’il essayait de forcer le mariage maintenant, les chances qu’une émeute éclate seraient extrêmement élevées. S’il devait être considéré comme un usurpateur à la suite de cela, le mariage lui-même serait complètement inutile.

Étant donné qu’ils étaient dans une situation critique, il devait remédier à ce problème rapidement.

« C’est entendu. Quand on sait que tu as mis en place plusieurs politiques publiques qui améliorent le bien-être de ton peuple, cela ne devrait pas être difficile à réaliser », dit-elle, avant d’ajouter : « Cependant… Il y a une chose qu’il faut garder à l’esprit. »

« Y a-t-il autre chose ? » demanda Yuuto avec un soupir troublé.

Franchement, il se sentait dépassé par le nombre de problèmes qui s’accumulaient devant lui.

Bien qu’il soit généralement considéré comme une sorte de dieu de la guerre ou de grand souverain, la réalité est qu’il n’était encore qu’un garçon de dix-sept ans. Il n’était pas sûr de pouvoir en supporter davantage.

« Les rumeurs donnent l’impression d’être propagées intentionnellement. »

« Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Yuuto, son expression se durcissant.

Cela signifiait que quelqu’un essayait de manipuler l’opinion publique. En tant que dirigeant, c’était une information qu’il ne pouvait pas laisser passer.

« Glaðsheimr est une très grande ville. Pour que la visite de charité de la Þjóðann soit connue aux quatre coins de la ville trois jours seulement après qu’elle ait eu lieu… Cela me semble anormalement rapide. »

« Je suis d’accord. Ce n’est pas tout à fait normal. »

« Oui. Ce n’est pas quelque chose qui aurait pu arriver tout seul. Quelqu’un a intentionnellement essayé de diffuser l’information. »

Kristina étant une professionnelle de l’information, ses paroles avaient beaucoup de poids. Si elle pensait que c’était le cas, il était presque certain que c’était vrai, et Yuuto avait une bonne idée de qui était ce manipulateur.

« On dirait qu’il va me causer encore plus d’ennuis, hein… »

Il s’agissait d’une présence fondamentalement gênante.

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Partie 2

« Qu’est-ce que c’est ? Quelle sorte de rumeur ridicule est-ce là ? »

Rífa écarquilla les yeux sous le choc et ne put s’empêcher de haussé la voix.

Yuuto lui manquait de respect ? Non, si quelqu’un avait fait ça, c’était bien Hárbarth. D’ailleurs, pourquoi cette rumeur se répandrait-elle sur Yuuto en ce moment même ? Cela n’avait aucun sens.

Elle s’était assoupie dans sa chambre après le départ de Fagrahvél, lorsque Yuuto était venu lui rendre visite. Elle l’avait accueilli avec joie pour lui annoncer cette nouvelle. Voilà un bel exemple de passage du paradis à l’enfer en un clin d’œil.

« Eh bien, il est presque certain que c’est l’œuvre de Hárbarth. »

« Quel culot de suggérer une telle chose ! Quel odieux hypocrite ! » cracha Rífa avec colère.

D’ordinaire, il ne devrait pas arriver que les coupables restent impunis et que les innocents soient blâmés à leur place. Cette situation était suffisamment déroutante pour que l’on ait envie de demander aux dieux pourquoi ils laissaient passer de telles injustices.

« En effet. Je ne suis pas non plus vraiment content, mais il n’en reste pas moins que ces rumeurs se sont répandues. »

« Alors je vais faire une déclaration. On ne m’a pas manqué de respect. Au contraire, Seigneur Yuuto, tu m’as bien traitée ! »

Alors que Rífa criait, l’expression de Yuuto s’était légèrement adoucie et il avait souri.

« Je comprends ce que tu ressens, mais je ne pense pas que cela résoudra le problème. »

« Vraiment ? »

« Oui. Les gens ne pourront pas dire si ta déclaration est sincère ou si elle a été contrainte. »

« … »

Rífa fit la moue. Le fait qu’elle n’ait même pas le pouvoir de corriger ce malentendu la frustrait au plus haut point.

« Par ailleurs, même si j’aimerais ne pas avoir à te le demander, j’aimerais que tu t’abstiennes d’effectuer d’autres visites de bienfaisance. »

« Pourquoi ? »

« Il semblerait que ce soit ce qui attise les flammes du malentendu. Que je force la vertueuse Lady Rífa à effectuer des tâches subalternes contre sa volonté. »

« Qu’est-ce que tu dis ? Es-tu sérieux ? » Sa voix se brisa sous l’effet de la surprise.

Ces rumeurs n’étaient pas seulement sans fondement, elles étaient aussi à l’opposé de ce qui se passait réellement ! Elle ressentit même un peu de rage envers son peuple pour s’être laissé berner si facilement. Puis, l’instant d’après, elle eut envie de pleurer. Elle se sentait coupable d’avoir causé tant d’ennuis à Yuuto.

« Je suis désolée… Je suis vraiment inutile. J’ai causé tout cela simplement parce que j’ai insisté pour faire quelque chose… »

Cela devait être ce que l’on ressent quand on a honte au point de vouloir se cacher dans un trou.

Pour elle, cela avait été la plus grande liberté qu’elle ait jamais eue dans sa vie. Bien sûr, cela lui avait aussi montré à quel point elle savait peu de choses — et elle s’était battue avec ce savoir — mais même cela lui paraissait précieux. Jusqu’à présent, après tout, elle avait été un oiseau en cage qui n’avait pas eu le droit de vivre quoi que ce soit.

Elle ressentait une immense honte à l’idée de ne pouvoir rendre tous les cadeaux que Yuuto lui avait faits en la libérant qu’en lui posant encore plus de problèmes.

« Lady Rífa, tu n’as rien fait de mal. Tout cela est dû aux manigances de Hárbarth. Même si tu étais restée à l’écart des projecteurs et que tu te serais terrée dans le palais, je suis sûr que des rumeurs similaires se seraient répandues. »

« C’est peut-être vrai, mais… »

Elle appréciait le réconfort de Yuuto, mais cela ne lui remontait pas le moral.

Elle voulait se montrer à l’homme qu’elle aimait. Elle voulait être utile, mais elle ne lui avait causé que des problèmes. Elle ne put s’empêcher de se détester pour cela.

« Nous avons déjà pris des mesures pour y remédier, ne t’inquiète pas. »

« Eh bien… Si tu le dis… »

Il s’est avéré que la situation ne s’était pas améliorée et qu’elle avait même continué à se dégrader.

+++

« Il semblerait que la réputation de Yuuto souffre encore… »

« C’est bien cela. Les gens traitent maintenant le Seigneur Yuuto comme rien de plus qu’un méchant. »

« Guh… »

En entendant le rapport de Fagrahvél, Rífa se mordit la lèvre inférieure en signe de frustration.

Dix jours s’étaient écoulés depuis le tremblement de terre, et la vitesse de propagation des mauvaises rumeurs entourant Yuuto n’avait pas ralenti, elle s’était même accélérée.

« Sors de Glaðsheimr, Suoh-Yuuto ! »

« Cette ville appartient au Þjóðann ! »

« Libérez le Þjóðann ! »

Ces cris résonnaient maintenant dans toute la ville.

« Ce sont des gens si ingrats, puisque la vérité est exactement le contraire », murmura Rífa, tremblant de rage.

Sans lui, nombre de ces citoyens seraient en train de mourir de faim et d’être exposés au rude hiver d’Yggdrasil.

En fait, s’il partait maintenant, les habitants de Glaðsheimr ne passeraient certainement pas l’hiver.

« Pourquoi ne comprennent-ils pas que… ? »

Elle était embarrassée en tant que représentante de Glaðsheimr.

Elle pouvait comprendre leurs griefs en termes rationnels. Il est certain que le fait d’être contraint de vivre dans les couloirs avec des étrangers, tous entassés les uns sur les autres, serait à la fois mentalement et émotionnellement épuisant.

Quant à la nourriture, ils ne pouvaient pas manger ce qu’ils voulaient, et ce qu’ils pouvaient manger, il n’y en avait pas beaucoup. Par rapport à ce qu’elle était avant le tremblement de terre, leur qualité de vie s’était dégradée.

Étant donné que cela avait coïncidé avec la prise de contrôle de la ville par Yuuto, il était compréhensible que les gens veuillent lui en faire porter la responsabilité.

Elle l’avait compris, mais elle ne pouvait toujours pas l’accepter.

« Je veux montrer aux gens le vrai Seigneur Yuuto — n’y a-t-il rien que je puisse faire, Fagrahvél ? »

« J’en ai discuté avec Bára, mais ce genre de guerre de l’information est ce que Hárbarth fait de mieux, et nous avons du mal à trouver des solutions… Lady Kristina fait de son mieux, mais étant donné qu’il s’agit de son terrain d’origine, elle ne peut qu’être désavantagée… »

« Je vois… »

Rífa affaissa les épaules.

Bára était la conseillère de confiance de Fagrahvél et le maître stratège du Clan de l’Épée. Elle avait entendu dire que Bára possédait un esprit vif, mais apprendre que les choses seraient difficiles même avec son aide, fit sombrer le cœur de Rífa.

« Ma dame. Votre Maaajetééééé. »

En frappant à la porte, on entendit une voix extrêmement calme et languissante.

En parlant de diablesse, c’était Bára elle-même.

« Qu’y a-t-il, Bára ? »

« Nous avons un problème. Les personnes rassemblées dans la place sont en train de créer des émeutes. »

« Qu’est-ce que tu dis ? »

Fagrahvél et Rífa tombèrent dans un silence choqué.

Bien que le ton de Bára minimise la gravité de la situation, il était clair qu’il s’agissait d’une urgence.

+++

« Seigneur Yuuto ! »

Sentant le besoin de commencer quelque part, Rífa se dirigea vers le bureau de Yuuto, où elle le trouva en train de se frotter le front avec une expression extrêmement troublée.

« Oh, bonjour Lady Rífa. »

Après un moment de pause, il tourna les yeux vers elle. Son visage était en lambeaux, chacun de ses traits lourds de fatigue.

« J’ai entendu dire que mon peuple avait déclenché une émeute… »

« Oui, il y a environ cinq mille émeutiers », dit Yuuto sans détour. « Ils ont profité du fait que je n’avais pas assez de soldats en poste à cause des opérations de sauvetage. Ils ont attaqué simultanément les cinq entrepôts de stockage de nourriture et continuent de les occuper. Il semble qu’ils aient reçu l’aide des réfugiés du palais, et nous n’avons pas eu le temps de réagir. »

« Par les dieux ! »

La situation était bien plus grave qu’elle ne l’avait imaginé.

Il va sans dire que les gens ne pouvaient pas vivre sans manger. Le fait que les émeutiers contrôlent les réserves de nourriture de la ville rendait la situation très dangereuse.

« Les émeutiers ont ignoré tout le reste et se sont dirigés directement vers eux. Ils sont manifestement dirigés par quelqu’un qui connaît très bien la disposition du palais. »

« Ce maudit Hárbarth. Attiser les flammes de la sorte alors que le pays est soumis à une menace sans précédent… C’est un homme vraiment pourri. Si seulement il avait choisi de prendre sa retraite et de passer ses derniers jours à siroter du thé… »

C’était un homme qui comprenait que cette situation risquait d’éroder la position du peuple. Si cela devait continuer, un grand nombre de personnes allaient mourir de faim.

Malgré cette dure réalité, il avait quand même choisi de mettre en œuvre son plan pour servir ses propres ambitions tordues. Il semblerait que cet homme n’ait pas la moindre trace de conscience.

« Pour l’instant, nous avons envoyé l’armée et nous avons terminé le bouclage de chaque site. Nous tentons actuellement de négocier avec eux, mais aucun ne semble vouloir nous écouter… »

Yuuto se pinça l’arête du nez entre l’index et le pouce et soupira.

Elle avait pu constater d’un simple coup d’œil qu’il avait du mal à gérer cette situation.

D’ordinaire, aussi intelligent que soit Hárbarth, Yuuto n’aurait pas été pris dans une position aussi désavantageuse. Cependant, Hárbarth avait su tirer parti de ce désastre soudain, manipulant l’amour de Yuuto pour le peuple à son propre profit.

« Il serait facile d’y mettre fin par la force, mais si nous le faisons, nous ne ferons qu’aggraver les tensions entre nous et les habitants. Mais si la situation continue de s’aggraver, nous n’aurons peut-être pas le choix. »

« C’est ça ! »

« Lady Rífa !? »

Ne pouvant plus rester inactive, Rífa tourna les talons et sortit du bureau en courant.

Rífa connaissait bien le plan du palais de Valaskjálf. Elle arriva au magasin d’alimentation le plus proche sans se perdre.

Comme l’avait dit Yuuto, des soldats armés bloquaient le hall.

« V-Votre Majesté !? Vous n’êtes pas en sécurité ici ! »

« Cela n’a aucune importance ! Poussez-vous ! Je vais convaincre les émeutiers de se retirer ! »

Rífa avait tenu bon et avait élevé la voix.

Ce qui l’animait maintenant, c’était la colère pure.

Colère contre Hárbarth qui avait interrompu les efforts de Yuuto pour aider son peuple sans autre raison que de satisfaire sa propre cupidité, et aussi contre les émeutiers qui avaient été utilisés par Hárbarth.

Plus que tout, cependant, vers la cause fondamentale de cette situation — son propre manque de pouvoir.

« M-Mais… »

« Ne faites pas de bruit et écartez-vous du chemin ! »

« Ah !? »

Le soldat hésita, mais il tressaillit devant l’aura intense de Rífa et s’écarta rapidement du chemin.

***

Partie 3

Née avec une faible constitution, elle était incapable de marcher sous le soleil et son apparence inhabituelle suscitait la méfiance des autres.

Ce handicap ne l’avait pas arrêtée pour autant, et elle s’était concentrée sur l’apprentissage de la politique, de la gouvernance, des arts martiaux et des seiðrs aussi régulièrement qu’elle le pouvait, si sa santé le lui permettait, bien sûr.

C’était une chose facile à dire, mais ce n’était pas quelque chose qui pouvait être fait avec une volonté qui n’était pas remarquable.

Contrairement à son apparence frêle, elle possédait une incroyable volonté.

Il est vrai qu’elle avait perdu un peu de cette confiance en voyant de ses propres yeux le peu d’expérience qu’elle avait, mais maintenant qu’elle avait été submergée par la colère, elle n’était pas quelqu’un qu’un simple soldat pouvait arrêter.

Le bruit de déglutition des soldats était audible, car l’un après l’autre, les soldats étaient écartés par le formidable regard de Rífa, lui ouvrant la voie.

« O-Oh, Votre Majesté ! »

« Vous étiez en sécurité ! »

« Regardez, Votre Majesté, nous avons sécurisé les réserves de nourriture ! »

« Si nous en avons autant, nous n’aurons plus faim ! »

Les émeutiers, en voyant Rífa, avaient commencé à parler de leurs réalisations avec fierté.

Leurs expressions indiquaient qu’ils n’avaient rien fait de mal — en fait, ils semblaient croire qu’ils avaient travaillé dur pour le bien du peuple de Glaðsheimr.

Cela suffit à briser la dernière barrière qui retenait le flot de rage de Rífa.

« Vous… PAUVRES FOUS ! »

Ce qui vint ensuite, c’était une voix tonitruante, pleine de rage, une voix dont personne n’aurait pu imaginer qu’elle puisse venir d’une femme aussi jeune et d’apparence aussi frêle.

« Ah ! »

Les émeutiers, qui avaient cru qu’on les féliciterait, avaient soudain reculé, comme si quelqu’un les avait frappés au visage.

« Vous n’avez pas la moindre idée de ce que vous avez fait ! Le seigneur Yuuto a travaillé et lutté sans relâche pour vous sauver, et c’est ainsi que vous le remerciez ? Comment osez-vous ! »

Rífa avait commencé à sermonner les émeutiers avec une aura de fureur brûlante.

Sa colère était telle que les émeutiers, mais aussi les soldats qui se trouvaient derrière elle, tressaillirent et reculèrent.

« V-Votre Majesté, vous êtes trompée ! »

L’un des émeutiers tenta désespérément d’argumenter malgré la peur.

En entendant cela, les émeutiers intimidés semblèrent également avoir retrouvé leur calme.

« C’est vrai ! Votre Majesté, vous êtes trompée par cet homme ! »

« Il nous a fourré dans cet horrible espace ! »

« Et il nous empêche d’être correctement nourris ou réchauffés du froid ! »

« Au rythme où vont les choses, nous serions bientôt morts de faim ou de froid ! »

« Et regardez ça ! Regardez la quantité de nourriture qu’ils ont volée pour eux-mêmes ! »

Ils avaient commencé à se plaindre et à exprimer tous les griefs qu’ils avaient accumulés. Tout cela était probablement vrai de leur point de vue. Ils avaient probablement tous souffert des circonstances actuelles.

Malgré cela, Rífa ne pouvait contenir sa confusion et sa frustration face à la bêtise dont ils faisaient preuve.

« Vous ne comprenez rien… »

Sa voix avait dépassé le stade de la colère et était remplie de tristesse.

« Alors pourquoi êtes-vous encore en vie, ni affamés, ni gelés ? C’est parce que le seigneur Yuuto a résisté aux objections des courtisans et vous a ouvert le palais ! C’est parce qu’il vous a fourni à tous les denrées qu’ils avaient apportées pour vous nourrir ! »

Elle avait essayé de rassembler sa volonté et de crier, mais…

« Ce n’est pas possible. »

« Alors pourquoi avons-nous si faim ? »

« V-Votre Majesté, il ne faut pas vous tromper ! »

« C’est vrai ! Allez-vous croire un étranger plutôt que nous !? »

Il semblerait qu’elle n’ait pas pu atteindre le cœur des émeutiers. Eux aussi essayaient désespérément de survivre et avaient tout risqué pour agir. Ils n’avaient tout simplement pas le luxe d’écouter le point de vue d’autrui.

« Pourquoi ne comprenez-vous pas… ? »

Quelle que soit la sincérité avec laquelle elle s’engageait auprès d’eux, elle ne parvenait pas à apaiser leurs âmes figées par la douleur et la colère. Elle n’était finalement qu’une petite fille inutile.

Elle affaissa les épaules.

Et puis, alors que son esprit était sur le point de se briser —

« Lady Rífa ! »

En entendant la voix de Yuuto, elle serra les dents et se força à supporter sa frustration, sa déception et sa colère. Il supportait tellement plus qu’elle.

Il avait dû surmonter toutes sortes de peines et de luttes en contraste avec ses succès. Dans cette optique, elle ne pouvait pas vraiment abandonner ici.

Peu importe à quel point elle était tombée, elle était toujours la Þjóðann. Comment pouvait-elle se tenir à ses côtés sans pouvoir faire quelque chose pour son propre peuple ?

« Je suis le Þjóðann — Hm ? »

Une idée incroyable lui vint soudain à l’esprit. Le clan de l’acier de Yuuto était doté d’une quantité remarquable de talents. Qu’est-ce qu’elle, et personne d’autre, avait dans ce groupe ?

Ce devait être le titre de Þjóðann, et ce qui en découlait était…

Elle prit une profonde inspiration et chanta, laissant la magie l’emporter sur sa chanson.

C’était un galldr d’apaisement.

Le galldr lui-même n’était pas difficile. Elle avait entendu dire que Félicia le chantait pour aider Yuuto à s’endormir.

D’ordinaire, ce chant n’apporterait qu’un peu de réconfort, mais il devient tout autre lorsqu’il était chanté par Rífa, une Einherjar aux runes jumelles, déjà très talentueuse, qui avait également passé des années à se perfectionner dans le maniement du seiðr.

Les émeutiers s’étaient mis à écouter attentivement sa belle voix, comme s’ils étaient envoûtés.

Au fur et à mesure que sa chanson envahissait l’espace, l’hostilité disparut rapidement des visages des émeutiers. Ils commencèrent à se calmer.

Finalement, lorsque Rífa avait fini de chanter…

« M-Mes excuses, Votre Majesté ! »

« Nous nous sommes trompés ! »

« Nous avons ressenti vos pensées, Votre Majesté ! »

« Oui ! Nous comprenons vraiment que vous vous inquiétiez pour nous ! »

Les émeutiers avaient tous jeté leurs armes et pleuré, s’agenouillant sur place, s’excusant comme s’ils se réveillaient d’un cauchemar.

L’art pouvait, parfois, dépasser toute raison.

La chanson de Rífa leur avait communiqué ses sentiments mieux que n’importe quel mot.

+++

« V-Votre Majesté ! Nous sommes vraiment désolés ! Nous… »

« Ce n’est pas grave. À partir de maintenant, considère le Seigneur Yuuto comme mon égal et écoute ses paroles. C’est tout ce que je demande », dit doucement Rífa en s’adressant au chef des émeutiers qui s’était prosterné devant elle.

Lui aussi avait manifestement été ému par le chant de Rífa, avait senti son cœur et regrettait ses actes.

« Bravo, Lady Rífa. Honnêtement, vous nous avez vraiment tirés d’affaire », dit Yuuto en lui offrant sa sincère gratitude.

« C’était incroyable. J’ai été tellement ému que mes larmes ne s’arrêtent pas. »

À côté de lui se tenait Fagrahvél, qui sanglotait sous le coup de l’émotion.

Elle se sentait légèrement timide, mais ce n’était pas un mauvais sentiment.

« Héhé, je n’ai pas eu beaucoup de travail. »

Contrairement à ce qu’elle disait, Rífa bombait le torse avec fierté.

Elle avait la mauvaise habitude de s’emporter, mais personne n’avait pensé à la corriger aujourd’hui, pas même dans leur cœur.

« Non, non, c’était vraiment impressionnant. Je ne l’aurais pas cru si tu m’avais dit que nous serions capables de libérer pacifiquement les cinq sites. »

Profondément ému, Yuuto l’avait félicité sans réserve.

Oui, le fait qu’ils aient pu reprendre les cinq magasins d’alimentation sans recourir à la force — et sans verser une goutte de sang — était certainement dû aux efforts de Rífa.

Les émeutiers n’avaient pas écouté, même si les gens du Clan de l’Acier avaient essayé de les persuader, mais après avoir entendu la chanson de Rífa, ils ont jeté leurs armes et se sont rendus.

C’était un exploit miraculeux qui n’avait été possible que grâce à la capacité de Rífa à manier efficacement la magie d’un Einherjar à deux runes. C’était un exploit que personne d’autre ne pouvait réaliser.

« Heh… Avec mon pouvoir, c’est assez simple. Si quelque chose d’autre arrive, n’hésite pas à me demander de l’aide. Mais bon, c’était fatigant, même pour moi. Je vais retourner dans ma chambre pour me reposer. »

« Oui, c’est vrai. Merci beaucoup pour ton travail aujourd’hui. »

« Mm. »

Rífa fit un léger signe de la main, tourna les talons et tourna à l’angle du couloir.

En un instant, elle sentit ses forces quitter son corps et elle vacilla sur place.

Elle réussit à garder pied et à ne pas s’effondrer, mais elle sentit une toux inquiétante s’échapper de sa bouche.

Elle pressa la paume de sa main contre sa bouche pour retenir le son de sa toux.

« Rí… »

« Ah ! »

Fagrahvél, qui l’avait suivie, tenta d’élever la voix en voyant l’état de Rífa, mais celle-ci la fit taire immédiatement en pressant sa main sur la bouche de Fagrahvél.

« Ne crie pas. Cela va alerter le Seigneur Yuuto, » dit Rífa d’une voix calme, en regardant lentement Fagrahvél.

Elle attendit que Fagrahvél acquiesce avant de relâcher sa main.

« L-Lady Rífa. C’est… ! »

Fagrahvél avait baissé la voix, mais son ton était tendu.

Ses yeux allaient de la bouche de Rífa à sa main et vice-versa. Rífa sourit avec autodérision et jeta un coup d’œil à sa main droite.

Sa main était couverte de son propre sang.

 

***

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