Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair
Partie 6
« Eh bien, même moi, je peux dire que ces deux-là s’intéressent l’un à l’autre », dit Nephteros en soupirant. « Et pourtant, ils sont restés indécis pendant si longtemps. Je crois que Grand Frère voulait simplement leur mettre le feu aux poudres. »
« Alors c’est bien », déclara Kuroka. « J’étais prête à en finir avec ce sorcier s’il le fallait. »
Kuroka n’aimait pas vraiment insulter l’intérêt amoureux de quelqu’un d’autre, mais l’homme que Chastille affectionnait — le sorcier nommé Barbatos — était la pire espèce d’homme. D’un point de vue extérieur, elle ne pouvait le voir que comme un méchant homme qui profitait d’une jeune fille ignorante. Elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.
« Le sorcier qui est récemment venu mon Grand Frère a dit la même chose, » dit Nephteros en posant sa tasse et en souriant. « Vepar, je crois qu’il s’appelle ? Il a l’air d’avoir vécu beaucoup de choses. »
« Vepar… Je crois que c’est le nom d’un ancien candidat au rang d’Archidémon. Est-ce qu’il pourrait s’agir de la même personne ? »
Il avait été l’un des candidats lorsque Zagan était devenu Archidémon, il y a un an. Kuroka avait été blessée et avait abandonné le côté obscur de l’Église à l’époque, mais elle avait eu l’occasion d’entendre ce nom rien qu’en étant dans l’Église.
« C’est probablement lui, » confirma Nephteros.
Zagan s’efforçait actuellement de contacter tous les Archidémons vivants et les anciens candidats au rang d’Archidémon. Forneus, l’homme avec lequel Kuroka et Shax avaient été envoyés pour négocier, avait été l’un de ces cas.
On dirait que les autres négociations se déroulent bien.
Kuroka avait cafouillé en ne protégeant pas Forneus, mais le plan dans son ensemble semblait progresser.
« Hum, sans vouloir mettre le feu aux poudres, fais attention, » marmonna maladroitement Nephteros.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Kuroka.
« À propos de ton état, » expliqua Nephteros. « Tu vas probablement bien, puisque tu as quelqu’un qui s’inquiète pour toi, mais, quelle que soit ta force, il y a des moments où tu es complètement impuissante, n’est-ce pas ? »
Elle était apparemment préoccupée par la prédisposition de Kuroka à la malchance. Les cait sith étaient une race qui portait chance, mais en conséquence, leur vie quotidienne était remplie de malheurs. Kuroka traversait actuellement un énorme pic de bonheur, et c’était justement à ce moment-là que les mauvaises choses avaient tendance à se produire.
« C’est vrai. Je ferai attention », répondit Kuroka en hochant la tête.
« Cela me rappelle quelque chose », ajouta Nephteros. « Kuroka, il y avait un message pour toi de la part de l’Église. Quelque chose à propos de te conférer le titre de Saint de l’épée ? »
« Oh, ça… » soupira Kuroka. Honnêtement, elle n’était pas particulièrement intéressée. Elle avait utilisé l’Église pour se venger des sorciers, et pour pousser les choses encore plus loin, elle avait juré le reste de ses jours à son amant sorcier. Comment était-elle censée recevoir des titres ou des honneurs de l’Église dans cet état ?
Cela pourrait tout à fait gêner l’oncle Hypnoël et aussi les autres. Ils pourraient finir par organiser une protestation bizarre.
De plus, ceux qui tentaient de lui conférer ce titre n’étaient pas les Chevaliers angéliques, mais les cardinaux de l’Église. Depuis l’incident avec Chastille, il semblerait que des disparités soient apparues entre les intentions des Chevaliers angéliques et celles de l’Église. Si l’Église faisait pression pour cela, cela signifiait qu’elle espérait attirer Kuroka de son côté. Et franchement, elle n’avait aucune envie de se laisser entraîner dans leur lutte de pouvoir.
De plus, le seigneur du meurtre Glasya-Labolas s’était vu accorder ce titre par le passé… et elle refusait d’avoir le même titre que ce sorcier. L’Église devait savoir à quel point ce titre était inquiétant à cause de lui, c’est pourquoi il n’avait été accordé à personne depuis si longtemps.
« Tu as l’air mécontente », fit remarquer Nephteros.
« Eh bien, oui. »
« Compris. Je refuserai pour toi. »
Kuroka la dévisagea avec confusion. Nephteros avait pris cette décision de façon si naturelle.
« Es-tu sûre ? » demanda Kuroka.
« Tu n’en veux pas, n’est-ce pas ? »
« Je ne… »
« Alors je refuserai. Ce n’est pas la peine de te forcer à prendre quelque chose dont tu ne veux pas. »
Nephteros était la successeur de Lady Oberon — la créatrice de l’armure de l’Église. Sa voix avait plus d’influence que nécessaire.
Pourtant, Kuroka ne s’attendait pas à ce qu’elle lui offre cela si facilement.
« Hum, merci beaucoup », dit Kuroka en s’inclinant profondément.
« Arrête ça. Tu m’aidais même quand tu ne pouvais pas voir », lui dit Nephteros. « Laisse-moi au moins te rembourser quand je le peux. »
Richard était toujours aux côtés de Nephteros, mais Kuroka l’accompagnait aussi assez fréquemment. C’était une chose très banale, mais Nephteros n’allait jamais l’oublier. Kuroka se sentait à la fois heureuse et embarrassée, les oreilles au sommet de sa tête se rabattant à plat.
« J’ai l’impression que c’est la première fois que je te vois réagir ainsi, » dit Nephteros en plissant les yeux et en souriant.
« Vraiment ? »
Maintenant que Kuroka y pensait, elle se rendait compte qu’elle ne réagissait pratiquement comme ça qu’en présence de Shax. Contrairement à Kuroka, qui était complètement obsédée par Shax, Nephteros était curieuse de tout ce qui l’entourait.
« Ah oui, à propos de Chastille, » dit Nephteros en tapant dans ses mains. « Elle est actuellement absente de Kianoides pour d’autres affaires. »
« Hein ? Elle est loin ? » demanda Kuroka.
« Oui. C’est pourquoi je suis ici pour faire du travail de bureau jusqu’à ce qu’elle revienne. Richard s’occupe aussi des patrouilles. »
Bien qu’il vienne à peine d’accéder aux rangs des archanges, les compétences de Richard rivalisaient désormais avec celles de Chastille.
« Tu es devenu très fort », dit Kuroka à Richard en souriant.
« Mais je suis loin d’être aussi fort que toi…, » répondit Richard.
« Tu n’en sais rien. Nous n’avons pas eu de combat avec toi utilisant ton épée sacrée. »
Richard convoitait plus de force. C’est pourquoi Kuroka l’avait accompagné plusieurs fois pendant son entraînement. Bon, en raison de son absence prolongée, ça n’avait pas été si souvent que ça.
« S’il vous plaît, restez-en là », déclara doucement Nephteros. « Je sais très bien à quel point tu es extraordinaire, Kuroka. »
« Ce n’est pas vraiment… Oh, c’est quoi cette affaire dont s’occupe Lady Chastille ? » demanda Kuroka.
Même Kuroka pouvait voir que laisser Kianoides au milieu d’un gros scandale était plutôt dangereux.
« Oh, à ce propos…, » commença Nephteros, un ton d’exaspération dans la voix.
Elle continua à expliquer les choses, et Kuroka ne put pas s’empêcher de porter une main à sa bouche.
« Tu veux dire que dame Chastille passe à la contre-offensive ? »
On s’était tellement moqué d’eux qu’il était normal que Chastille et Barbatos se vengent une fois ou l’autre.
◇
« Fais-tu vraiment ça, Bato ? »
À l’intérieur d’une grotte-canyon effondrée qui n’avait vu personne y mettre les pieds depuis des centaines d’années se trouvait un laboratoire de recherche lugubre. Au centre de ce laboratoire, éclairé par les faibles lanternes suspendues au plafond, Marchosias interrogeait son vieil ami.
Devant lui se trouvait un homme attaché à un lit. Les traits de l’homme ne permettaient pas de dire s’il était jeune ou vieux, et il avait des yeux très fins. Ses cheveux étaient attachés et un peu longs pour un homme, et il était actuellement torse nu.
Il s’agissait d’une table d’opération. Non seulement cela, mais la chirurgie qu’ils tentaient avait un taux de réussite extrêmement faible.
« Recules-tu à ce stade, Marchosias ? » dit l’homme avec un sourire amer. « Toi et moi sommes les seuls à avoir des aptitudes pour cela. De plus, c’est toi le chef ici. Nous ne pouvons pas te laisser faire quelque chose d’aussi dangereux, alors c’est le seul choix possible. »
C’est précisément parce qu’il le savait — et selon toute vraisemblance, il avait lu jusqu’ici immédiatement après la bataille entre Zagan et Shere Khan — qu’il avait rejoint le camp de Marchosias.
« Dame Alshiera nous a dit quelque chose », poursuit-il d’un air satisfait. « Peu importe comment nous avons été créés, nous sommes maintenant des humains vivants. »
Il fit une pause, puis sourit.
« Elle a plus qu’assez de raisons de me détester à mort. Et pourtant, elle m’a dit que c’était normal que je continue à vivre. »
Marchosias sentit son expression s’adoucir. C’était tout à fait dans l’esprit de sa petite sœur de dire une chose pareille.
« C’est pourquoi je ne fais pas ça pour toi », poursuit Bato. « Je donne ma vie pour elle, alors ce n’est pas la peine de t’inquiéter pour moi, mon bon ami. »
« Me vois-tu toujours comme ça ? » demanda Marchosias, ses yeux s’écarquillant derrière ses lunettes rondes.
En mille ans de vie, cet homme était le seul à l’avoir désigné ainsi.
« Après tout, tu n’as jamais eu d’amis », ajouta Bato d’un ton taquin.
« Ne commence pas… » marmonna Marchosias avec un soupir agacé.
« Je ne prévois pas que les choses se terminent ici », dit Bato en souriant. « Alors s’il te plaît, fais-le vite. Il ne reste plus beaucoup de temps. »
« Je te dois beaucoup… mon bon ami. »
Plusieurs heures plus tard, un seul homme sortit de la grotte lugubre. Il s’appuya contre le mur et glissa jusqu’au sol.
« Tu ferais mieux de t’occuper du reste, Eligor… »
Au bout d’un moment encore, lorsque l’homme se releva enfin et partit, des cris continuèrent à résonner dans la grotte.
◇
« L’archange Salvarra a non seulement rejoint la faction de Lillqvist, mais il se range même du côté de l’Archidémon Zagan. De plus, le successeur de l’Archidémon Forneus, le dieu du tonnerre Furfur, est devenu la subordonnée de Zagan. Il n’existe plus aucune force capable de le défier dans une confrontation directe. »
Dans une taverne éloignée de Kianoides, un homme parlait d’un air élégant. Il portait un chapeau de feutre et une veste élégante avec un mouchoir cramoisi dans sa poche de poitrine. La fumée s’élevait du tabac roulé entre ses doigts, et chacun de ses gestes semblait exagérément théâtral. S’il n’y avait pas son épais manteau hors saison, il semblait être le type d’homme qui attirerait facilement le sexe opposé.
Assise en face de lui, reposant son menton sur ses mains, se trouvait une femme dont les yeux étaient couverts de breloques. Elle portait des vêtements originaires de Liucaon qui mettaient son décolleté à nu et avaient un grain de beauté près des lèvres. Sa silhouette envoûtante et lascive était durement contrastée par le collier et la chaîne en métal qu’elle portait au cou. L’astrologue Eligor tira une bouffée sur une fine pipe orientale — un kiseru — et sourit.
« Tu as l’air d’être terriblement enjoué, Gaoler Acheron, » dit-elle.
« Dandy », corrigea l’homme en levant un doigt tout en gardant la main sur sa fumée. « Si tu veux ajouter un titre à mon nom, alors utilise Dandy. Je n’aime pas le nom de Gaoler. »
Eligor secoua la tête.
« Oh ? N’est-ce pas un merveilleux surnom ? En tout cas, je crois que Phenex te l’a accordé avec beaucoup d’affection. »
« C’est justement ce que je veux dire », répondit Acheron en claquant des doigts. « En tant que compagnon Archidémon, tu dois savoir à quel point ma maîtresse a une sale personnalité. Elle m’a donné ce nom en sachant que je le détesterais. »
merci pour le chapitre