Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 17 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Les hommes deviennent stupidement imprudents devant la fille qu’ils aiment

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Chapitre 4 : Les hommes deviennent stupidement imprudents devant la fille qu’ils aiment

Partie 1

« Néphy, viens ici une minute. »

À l’intérieur du palais de l’Archidémon, Zagan frappa à la porte de la chambre de Néphy.

« De quoi as-tu besoin à cette heure-ci ? »

Il était tard dans la nuit, alors Néphy était en train de se préparer pour aller se coucher. Elle avait une serviette sur l’épaule et portait sa chemise de nuit. De l’eau dégoulinait de ses cheveux blancs, laissant une tache sur la serviette.

Hnnngh ! Néphy n’est pas seulement mignonne juste après avoir pris un bain, il est aussi érotique !?

Maintenant qu’il y pensait, même lorsqu’elle sortait à cette heure-ci, Néphy commençait au moins par se sécher les cheveux. C’était un spectacle frais et rare que ses cheveux soient encore mouillés après avoir pris un bain. L’attaque-surprise avait fait battre son cœur et il ne pouvait plus la regarder dans les yeux, mais il s’agissait d’une urgence. Il avait donc fait appel à toute sa sorcellerie pour retrouver son calme.

« Le contact avec Shax a été coupé », déclara-t-il. « Il s’est passé quelque chose. »

Il restait vague, mais ils s’étaient présentés à temps pour informer Zagan de l’attaque de Glasya-Labolas, et rien depuis…

Une vieille blessure… Le malheur de Kuroka est terrifiant.

Les cait siths étaient une race qui invoquait la chance, mais dont le recul apportait le malheur dans leur vie quotidienne. Elle était différente de Chastille en ce sens. La malchance de Kuroka était essentiellement une fatalité. Elle avait beau s’y préparer, elle se manifestait au moment où elle s’y attendait le moins.

Cette fois-ci, elle s’était manifestée d’une manière horrible. À ce stade, il devait envisager le pire. C’est exactement pour cela qu’il avait veillé à ce qu’ils restent en contact avec lui toutes les demi-heures, même si c’était tard dans la nuit. Cependant, quelque chose s’était produit pour les en empêcher.

« Et ce fut la lune de miel tant attendue de Kuroka… », dit Néphy en portant tristement une main à son cœur.

« Était-ce une lune de miel ? »

« Hein ? »

« Hm ? »

Le silence avait suivi.

Zagan s’était rapidement rendu compte qu’il n’avait qu’une faible compréhension de la situation.

Il a été accepté par son père et est parti en voyage dans sa ville natale… Cela ressemble à une lune de miel !

Quelque chose le dérangeait. Ils étaient clairement tous les deux bien ensemble, plus que Néphy et lui. Zagan était à la traîne. Bon, il était aussi parti en voyage de noces ou en vacances prénuptiales avec Néphy, mais cela n’avait duré que trois jours et deux nuits. Il ne l’avait jamais emmenée dans un voyage d’un mois.

Quelle négligence ! Je ne lui ai toujours pas donné l’alliance !

Il ne pouvait pas réfuter le fait d’être traité d’imbécile pour cela.

« Néphy ! »

« Oui !? »

Il avait saisi la main de Néphy et avait parlé avec toute la majesté d’un Archidémon.

« Dès mon retour, partons en vacances pendant au moins un mois ! »

Zagan agissait comme s’il marchait vers sa mort.

« Maître Zagan, as-tu oublié ta promesse avec Lily ? » demanda Néphy en souriant ironiquement. « Je crois bien qu’un mois de vacances sera difficile à prendre. »

« Argh… ! »

Voyant Zagan ressentir de la vexation au plus profond de son cœur, Néphy posa une main sur chacune de ses joues, puis frotta son front contre le sien en souriant.

Qu’est-ce que c’est ?

Il se sentait euphorisé par l’attaque-surprise, son cerveau n’arrivant pas à suivre la situation.

« Il n’est pas nécessaire de se précipiter, maître Zagan. Prenons notre temps et partons en vacances une fois que les choses se seront calmées, d’accord ? Avec nous deux seulement, en tout cas. »

Le bout de ses oreilles pointues était devenu légèrement rouge. Zagan avait l’impression que son sourire timide lui apportait une joie immense.

« Tu me consoles toujours, Néphy. »

« Ce n’est pas vrai… D’habitude, c’est moi qui reçois des encouragements de ta part. »

« Je m’en vais maintenant pour me débarrasser immédiatement de ses gêneurs », dit Zagan en la regardant droit dans les yeux.

« S-S’il te plaît, soit indulgent avec eux. »

Zagan ne s’était pas contenté d’agir avec bonne humeur.

Un homme incapable de protéger ses sujets ne mérite pas d’être appelé roi.

Dans le cas de Gremory — même si la mamie avait magnifiquement redressé la situation —, c’est précisément parce qu’il n’avait pas su la protéger que Kimaris l’avait considéré comme un ennemi. Il ne pouvait pas permettre qu’une telle chose se reproduise. Zagan devait donc s’occuper personnellement de cette affaire.

« De toute façon, j’ai besoin que Shax travaille davantage pour moi », dit Zagan. « Cela m’évite de devoir le rappeler. »

« Oui. Fais bon voyage, maître Zagan. »

Zagan agita son manteau et quitta la chambre de Néphy. Une fois qu’elle ne put plus le voir… Néphy finit par se couvrir le visage et s’effondra sur le sol.

« Hwaaah… »

Elle se sentait gênée à retardement par ce qu’elle avait fait. Elle avait besoin d’un peu de temps avant de pouvoir se relever.

Et comme il n’avait aucun moyen de le savoir, Zagan gémit pour lui-même.

« Je… ne peux pas me téléporter à Aristocrates ? »

Le cercle magique que Shax était censé avoir préparé pour la téléportation ne s’activait pas.

« Qu’est-ce qu’une malédiction au juste ? »

À l’intérieur de l’une des chambres d’hôtes du palais de l’Archidémon, Alshiera marmonna d’un air sinistre.

« Hein ? Qu’est-ce que tu racontes tout à coup ? »

Elle ne put cacher une grimace alors qu’Asura se prélassait, la tête sur ses genoux, comme si l’endroit lui appartenait. C’était bien sa faute si elle s’était assise sur le lit. Il avait pris cette position sans lui laisser une chance de refuser et avait ensuite commencé à jeter des cerises dans sa bouche.

« Asura », déclara Alshiera en soupirant. « As-tu entendu parler des malédictions ? »

« N’est-ce pas comme ça que les gens appellent les pouvoirs des séraphins maintenant ? »

Alshiera acquiesça et répondit : « Oui, c’est une réponse. C’était probablement une étape nécessaire pour que Marchosias oblitère les séraphins. »

« Ha ha. Il a toujours eu une personnalité horrible. »

« Je suis tout à fait d’accord. »

« Alors ? Qu’en est-il d’eux ? » demanda Asura avec curiosité.

« Ce dont tu parles s’appelle aussi le mysticisme. Il s’agit d’une puissance miraculeuse que l’on appelle par une simple prière. Peux-tu vraiment appeler cela une malédiction ? »

« C’est Marchosias qui a fait ça, hein ? Y a-t-il un problème avec ça ? »

Alshiera choisit soigneusement ses mots avant de poursuivre.

« Alors pourquoi Salomon a-t-il été maudit ? »

Le premier roi aux yeux d’argent avait été effacé de l’existence sans laisser la moindre trace. Si le mysticisme était une malédiction, Néphy serait capable de faire la même chose rien qu’en priant.

Le mysticisme emprunte de la puissance à la nature, rien de plus. C’est la seule façon de voir les choses. Même le mysticisme céleste n’est pas censé posséder un pouvoir aussi grotesque.

En d’autres termes, même si le mysticisme et les malédictions se ressemblaient, ils n’étaient pas nécessairement identiques. Et pourtant, de nombreuses malédictions terrifiantes existaient dans ce monde.

Salomon avait été effacé de l’existence. Léviathan et Behemoth s’étaient transformés en monstres alors que le jour se transformait en nuit et vice versa. Zagan avait changé d’âge avec Foll. L’Œil d’argent du roi avait transformé non seulement la personnalité de Stella, mais même son corps en celui de son frère. Même Forneus avait été privée de sa capacité à transmettre sa volonté aux autres. Ils étaient trop nombreux pour être énumérés, mais ils avaient tous un point commun.

« L’humanité qualifie de malédiction tous les événements anormaux qui dépassent sa compréhension, mais pourquoi de telles choses se produisent-elles même dans notre monde ? »

Asura commençait enfin à comprendre où Alshiera voulait en venir.

« Je comprends…, » dit-il en écarquillant les yeux. « Ils n’existaient pas à notre époque, hein ? »

Les phénomènes créés par les malédictions se trouvaient un peu partout, mais ils semblaient tous reliés par leurs racines.

« Par ailleurs, pourquoi Marchosias a-t-il qualifié le mysticisme de malédiction ? » poursuit Alshiera. « C’est un homme tordu, mais pas le genre à être mal informé. »

« Hmmm, peut-être parce que le mysticisme est aussi hors de portée de l’homme ? », s’était dit Asura avec désinvolture.

Alshiera était restée sans voix.

Le mysticisme est un moyen de tordre les lois du monde… ? Si c’est pour cela que Marchosias a mis le mysticisme et les malédictions dans le même sac, alors… sont-ils des fragments du cauchemar !?

La mort-vivante millénaire fut horrifiée par sa conclusion.

« Hey, Ashy, » dit Asura juste au moment où elle terminait ses pensées.

« Qu’est-ce que — Oh ? »

Au moment où elle ouvrit la bouche pour parler, il y jeta une cerise. La queue dépassa entre ses lèvres, lui donnant un air plutôt idiot.

« Tu vas vieillir si tu continues à froncer les sourcils comme ça. »

Que faisait cet homme alors qu’elle était si sérieuse ? Elle voulait se plaindre, mais n’en était pas capable tant qu’elle n’avait pas fini de manger la cerise dans sa bouche.

Le noyau est encore là. Je ne peux même pas l’avaler.

Même si elle voulait la jeter, la tête d’Asura était posée sur ses genoux et cela l’empêchait de se lever. Comme elle restait désemparée, Asura arracha la tige qui dépassait encore entre ses lèvres, puis la jeta dans sa bouche.

« Ha ha, tu es si inutilement dextre, Ashy. La tige et le noyau étaient encore attachés. Ah oui, tu peux faire un nœud sur la tige avec ta langue, n’est-ce pas ? »

Elle ne l’avait pas fait consciemment, mais c’est ainsi qu’Alshiera avait mangé des cerises par le passé.

« Est-ce que c’est vrai que les gens qui peuvent faire ça font de bons baisers — gwah !? »

Alshiera lui lança un regard glacial et lui pinça le nez.

« Peux-tu seulement imaginer que les morts-vivants vieillissent ? » dit-elle avec indignation.

« C’est ça le but », dit Asura avec un sourire satisfait. « Tu dois te détendre. Tu faisais cette tête que tu fais quand tu essaies de tout faire toute seule. »

« Haaah… Cela ne te concerne pas. »

C’est ce qu’elle avait dit, mais elle se sentait un peu plus détendue maintenant.

« Eh bien, je ne crois pas qu’il soit juste de tout laisser aux autres, même si c’est simplement ainsi que les choses ont progressé. »

« Parles-tu des démons ? » demanda Asura. « Quel est le rapport avec les malédictions ? »

Alshiera s’était arrêtée un instant avant de répondre.

« Salomon a été maudit pour avoir scellé les démons. »

« Sérieusement ? » demanda Asura sous le choc.

« Oui. Mais je n’étais pas là pour en être témoin. »

Cela dit, Alshiera s’était laissée entraîner et ne savait pas ce qu’il avait fait exactement ni comment il avait scellé les démons. Asura joua avec la queue de cerise dans sa bouche en haussant la voix d’un air perplexe.

« J’ai entendu dire que Salomon était maudit parce qu’il avait découpé Azazel. »

« Oh, qui t’a dit ça ? »

« Batou. Je me demande ce qu’il prépare maintenant. »

Alshiera plissa les yeux.

***

Partie 2

« Salomon ne l’a pas fait. »

« Alors qu’est-ce que — ! »

Alshiera posa un doigt sur ses lèvres pour le faire taire.

« Nous ne pouvons plus en parler », dit-elle d’une voix à glacer le sang.

Asura grimaça face à cet avertissement soudain.

« Bon, peu importe », dit-il, voulant changer de sujet. « De toute façon, si tu as un indice, ne peux-tu pas le transmettre à cette fille Asmodée ? »

« À propos de ça… »

Alshiera avait du mal à interagir avec elle.

Elle n’écoute jamais les autres et c’est aussi l’amie de Foll.

Cette petite fille ramassait les gens sans se soucier de leur situation. Et Alshiera ne pouvait pas non plus ignorer purement et simplement ces personnes.

« Haaah… » soupira Asura, l’air vraiment exaspéré. « Tu n’as pas changé du tout quand il s’agit de ce genre de choses. Si tu continues à résister, tu vas te mettre à pleurer. »

Il avait raison, mais elle n’aimait pas qu’on le lui fasse remarquer. Les joues d’Alshiera se contractèrent alors qu’elle parvenait tant bien que mal à lui rendre un sourire.

« Dans ce cas, j’ai simplement été traumatisée par ton incapacité à écouter les autres », déclara-t-elle.

« Ha ha, c’est toi qui parles. Tu dis ça maintenant, mais tu m’as toujours suivi partout. »

Maintenant qu’il avait marché sur une deuxième mine, Alshiera lui adressa un sourire rafraîchissant.

« Ah oui, tu as mentionné quelque chose tout à l’heure, n’est-ce pas ? Comme quoi être capable de faire un nœud avec une queue de cerise dans ta bouche fait de toi un bon embrasseur. »

« Hm ? Oui, je l’ai fait. »

« Veux-tu le tester ? »

« Hein… ? »

Sans attendre de réponse, Alshiera planta un baiser sur ses lèvres.

« Hmmm !? »

Non seulement cela, mais elle avait forcé l’entrée de sa langue, l’avait fait tourner et avait joué avec lui à satiété. Après s’être concentrée entièrement sur cette activité pendant un moment, elle se retira et s’essuya les lèvres avec un mouchoir.

« Tes impressions ? » demanda-t-elle.

« F-Fantastique… »

« Si tu as appris ta leçon, alors abstiens-toi d’être aussi impertinent. »

« O-Oui madame… »

Asura se recroquevillant timidement, Alshiera fut enfin libre de se lever et de se débarrasser du noyau de cerise.

« Je ne savais pas qu’Ashy était aussi lubrique… » s’était dit Asura en chuchotant.

En fin de compte, celui qui se trouvait à la réception n’avait pas pu échapper à son destin.

 

 

« Nous avons été séparés…, » gémit Kuroka avec agacement. Elle s’était retrouvée à l’intérieur d’une taverne, mais était maintenant seule sur un chemin inconnu au milieu de la nuit. La ville en bois construite autour d’anciennes ruines avait disparu, remplacée par un paysage urbain en pierre bien organisé. Des pavés de pierre sans le moindre interstice recouvraient le sol. Des lanternes de verre alimentées par la sorcellerie bordaient les deux côtés du chemin. Cette ville ressemblait un peu à la ville sainte de Raziel, mais les bâtiments étaient bizarrement uniformes. À cause de cela, il y avait un étrange sentiment d’oppression dans l’air.

« Alors, mesdames et messieurs, commençons le deuxième acte. »

À la suite de cette déclaration, l’ancienne cité d’Aristocrates s’était transformée en un tout autre endroit.

De la sorcellerie qui peut refaire une ville entière… ? Non, une barrière ?

Qu’est-il arrivé à tous les autres ? Il n’y avait pas beaucoup de monde à l’intérieur de la taverne, mais il y avait un bon nombre de piétons dans la rue. Elle ne les voyait nulle part. Mais même sans les voir…

C’est bizarre. Je peux encore les sentir.

Même si elle sentait la respiration et les pulsations autour d’elle, il n’y avait personne. Si Kuroka n’avait pas encore la vue, elle ne pourrait pas distinguer le haut du bas, et encore moins la gauche de la droite.

Avons-nous été téléportés ? Non, j’ai bien vu la ville se briser physiquement.

Se faire entraîner dans le sous-espace par Barbatos, ça ne ressemble pas à ça. Alors, que se passe-t-il ? Malheureusement, Kuroka n’avait pas le temps de réfléchir lentement à sa situation. Shax l’avait soignée, mais les séquelles du Rideau de la Nuit étaient encore profondément ancrées. Elle ne pouvait se lever qu’avec le soutien de son bâton. Elle n’allait pas s’en plaindre, mais elle n’était pas en état de combattre un Archidémon. La douleur palpitait profondément derrière ses globes oculaires.

Oh non… Mes yeux…

Elle pouvait encore voir, mais il y avait clairement quelque chose qui n’allait pas dans son champ de vision. Elle voyait quelque chose comme des images rémanentes superposées les unes aux autres. Certaines ressemblaient à des silhouettes humaines, tandis que d’autres étaient des spirales sans signification. De plus, quelque chose comme une lumière pâle et brillante courait le long des bâtiments. Si un ennemi se cachait ici, elle ne pourrait pas le repérer. C’était comme si son œil droit et son œil gauche voyaient des images différentes, ce qui la rendait malade au point de vomir.

« Je dois trouver les autres… »

Elle doutait d’être la seule à être piégée de la sorte. Les autres devaient également se trouver quelque part dans cette ville. Et au moment où elle fit un pas en avant, elle regarda soudain le mur contre lequel elle avait la main. Elle eut l’impression d’y voir une brume ayant la forme d’une personne.

Il tient une épée… ?

Elle ne pouvait pas sentir sa présence ou une quelconque soif de sang. Il était clair qu’il n’y avait rien. Mais lorsqu’il sembla brandir son épée vers elle, le corps de Kuroka bougea de lui-même.

« Argh ! »

Elle roula au sol alors qu’un sifflement aigu du vent passait à l’endroit où se trouvait le cou de Kuroka il y a un instant.

Ce n’est pas du vent. C’est une lame !

Elle se poussa immédiatement avec son bâton alors que le torse d’un vieux monsieur jaillit du mur.

« Hmm, tu as donc réussi à l’esquiver ? » dit-il. « C’est bien approprié pour le plus grand samouraï de cette époque. »

Glasya-Labolas était sorti du mur pendant qu’il chantait ses louanges. Il avait en main une épée sans lame — qui devait être le Katana Hex.

« Comment trouves-tu cette ville ? N’est-elle pas belle ? » demanda-t-il en prenant une profonde inspiration, comme s’il savourait l’air. « Les séraphins régnaient autrefois sur ces terres. Ceci est une imitation de leur ville. »

« Les séraphins… ? »

Kuroka savait que c’était un nom pour les hauts elfes comme Néphy, mais personne ne savait quel genre de vie ils avaient menée il y a mille ans.

« Est-ce votre barrière ? » demanda Kuroka, tout en surveillant attentivement ce qui l’entourait.

« C’est en effet le cas. Métropole sombre, la cité des épées — tout ici est sous mon contrôle. »

Kuroka avait frémi.

« Alors la raison pour laquelle je n’ai rien sentit… »

« Oui. C’est une caractéristique de la cité des épées. Quel que soit le maître, il est impossible d’esquiver une lame invisible que l’on ne peut pas sentir. »

Kuroka avait vu Glasya-Labolas juste devant elle, mais n’avait rien senti de sa part. Même lorsqu’il parlait, on pouvait se demander s’il était vraiment là. Elle ne pouvait pas esquiver indéfiniment ce genre d’attaques.

S’il s’en prend à Monsieur Shax ou aux autres…

Il leur serait impossible de s’échapper.

« En tout cas, c’est censé être le cas, ma dame, » dit Glasya-Labolas en haussant les épaules d’un air troublé. « Tu as esquivé après avoir confirmé l’attaque à vue, n’est-ce pas ? »

Kuroka n’avait pas répondu. Ou plutôt, elle ne pouvait pas répondre.

Parle-t-il de cette brume… ?

Elle avait juste vu quelque chose par hasard. Elle doutait de pouvoir réitérer l’exploit. Et pourtant, Glasya-Labolas hocha la tête en signe de compréhension.

« Tes yeux… Je vois, ce sont donc les yeux du quatrième. »

« De quoi parles-tu ? »

Elle jeta un coup d’œil à l’épée courte qu’elle avait à moitié dégainée. Elle reflétait son visage, mais au lieu de ses habituels yeux rouges, elle avait des yeux argentés comme Zagan.

L’argent… ? Qu’est-ce qui se passe ? Mes yeux sont différents…

Était-ce un effet secondaire de l’ouverture de sa vieille blessure ? Non, en y repensant, Shax avait semblé plutôt inquiet pour ses yeux. Elle avait eu l’impression qu’il craignait une mauvaise réaction à son traitement, mais c’était peut-être la raison.

Glasya-Labolas se caressa la moustache en contemplant, puis sourit comme s’il avait eu une idée merveilleuse.

« Pow ! Mon cœur n’a pas dansé comme ça depuis mon jeu avec le roi sans visage ! »

Le Roi sans visage Bifrons — Kuroka avait autrefois été utilisée comme un outil dans leurs plans, aussi ce nom lui rappelait-il d’abominables souvenirs. On disait que Bifrons et Glasya-Labolas avaient un jour expérimenté en utilisant une ville entière comme jouet. Le côté obscur de l’Église ne connaissait pas tous les détails de l’événement, mais les histoires racontaient à quel point cela avait été répugnant.

« J’avais l’intention de commencer par toi, ma dame, mais j’ai changé d’avis », poursuit le Seigneur du meurtre avec délectation. Il sortit complètement du mur et s’inclina respectueusement. « Que dirais-tu de jouer à un petit jeu avec moi ? »

« Un jeu… ? »

Kuroka avait résisté à l’envie de lui hurler dessus pour avoir suggéré une telle absurdité.

Je dois faire durer cette conversation…

Telle qu’elle était dans cet état, Kuroka ne pouvait pas esquiver sa prochaine frappe, elle devait donc gagner le plus de temps possible pour récupérer son endurance.

« Oui », dit Glasya-Labolas, la joie transparaissant dans son expression. Il n’était pas clair s’il avait compris ou non les tergiversations de Kuroka. « Je vais tuer tous les autres un par un. »

« Quoi — !? »

Le sang s’écoula du visage de Kuroka à sa suggestion effroyable.

« Ma dame, tu vas essayer de m’arrêter. Si je les tue, je gagne. Si tu m’arrêtes, tu gagnes. C’est assez simple, non ? »

« Arrête de dire des conneries ! »

Furieuse, Kuroka lui lança un couteau, mais celui-ci traversa Glasya-Labolas et se planta dans le mur.

Il n’est pas encore sorti du mur…

La silhouette floue d’une personne que Kuroka avait vue pour la première fois semblait se trouver à l’intérieur du mur, comme auparavant.

« Alors tu le vois vraiment ? » dit-il. Et laissant ce murmure derrière lui, la brume commença à se dissiper. « Viens maintenant, il est temps de lever le rideau sur ce concours amusant. »

« Stop ! Glasya-Labolas ! »

Elle lança un deuxième couteau, mais il rebondit en vain sur le mur.

C’est pathétique !

Telle que Kuroka était maintenant, elle n’avait même plus la force de faire planter son couteau dans le mur.

***

Partie 3

« Labolas, espèce de salaud. Tu es allé jusqu’à utiliser la métropole sombre ? »

Un jeune homme portant des lunettes rondes marmonna pour lui-même. La zone était extrêmement sombre, un grondement inquiétant résonnait en arrière-plan.

Je croyais que Forneus n’avait plus la force de se battre…

Et tel qu’il était maintenant, il était incapable de demander de l’aide aux autres. Cela signifiait que Zagan ou quelqu’un d’autre, l’avait prévu et avait envoyé quelqu’un pour le protéger.

« Non, c’est impossible… »

Sans traître dans les rangs du jeune homme ni prophète dans les leurs, il était impossible de lire ses mouvements à ce point. Asmodée était la plus susceptible de le trahir, mais il ne lui avait pas donné plus d’informations que nécessaire. Il avait déjà confirmé que tous les prophètes à part Eligor, y compris le Nephilim Ipos, étaient morts. Zagan n’avait donc aucune raison de rechercher Forneus. Ou du moins, c’était censé être le cas.

Cependant, le Nephilim de Lucia était apparemment aussi de mèche avec Zagan. Deux rois aux yeux d’argent pouvaient rendre l’impossible possible.

« Qu’y a-t-il, Marchosias ? » demanda l’homme qui se tenait à côté de lui. Les yeux de cet homme étaient anormalement fins. Il avait l’air jeune et vieux à la fois.

« Il semble que Labolas ait des difficultés », répondit le jeune homme en secouant la tête. « Il est allé jusqu’à utiliser un tabou. »

Il y avait clairement du dégoût dans sa voix.

« Cela sonne de façon inquiétante », répondit l’autre homme, dont l’expression devint sinistre. « De quelle sorte de sorcellerie s’agit-il ? »

« L’un d’eux s’appelle la métropole sombre. Il crée un espace qui lui convient parfaitement. »

L’autre homme pencha la tête et demanda : « Est-ce quelque chose comme ce que les sorciers appellent leur domaine ? C’est un peu exagéré de qualifier une telle chose de tabou. »

Le domaine d’un sorcier amplifiait les défenses et le mana du lanceur de sorts tout en affaiblissant tout intrus dans la zone. Tout sorcier qui possédait un territoire exerçait naturellement un tel pouvoir. Ce jeune homme ne ferait pas tant d’histoires à propos de la métropole obscure du seigneur du meurtre Glasya-Labolas s’il s’agissait cependant de quelque chose d’aussi banal.

« Pour faire simple, c’est une barrière qui transforme Labolas en une ville entière », expliqua le jeune homme. « À l’intérieur, il est invulnérable, il peut apparaître n’importe où, et ceux qui y sont piégés sont considérablement affaiblis. »

La construction de la barrière nécessitait l’Emblème de l’Archidémon à plein régime. Cependant, si la métropole sombre était considérée comme tabou, c’est parce que son processus de création était abominable.

« La métropole sombre nécessite une énorme quantité de mana et de masse. Les faibles sont absorbés par son processus de création et ils deviennent une partie de la métropole sombre elle-même. »

C’était la plus répugnante des expériences qui avaient été menées par le Seigneur du meurtre et le Roi sans visage, nécessitant le sacrifice d’une ville entière. Ici, Glasya-Labolas l’avait mise en pratique.

« C’est pitoyable », dit l’autre homme. « Mais il pourra certainement abattre sa cible de cette façon. Je ne vois pas où est le problème. »

« Ça ne te ressemble pas… S’il est allé jusqu’à l’utiliser, c’est qu’il a été acculé au point de devoir l’utiliser. »

Il était insensé d’être sûr de sa victoire.

Forneus ne devrait pas avoir autant de vie en lui, mais cela le rend d’autant plus imprévisible.

Le jeune homme leva les yeux au-delà de l’obscurité. Il y avait là un énorme morceau de métal. Il grondait de façon inquiétante et ressemblait à une armure. Elle était plus grande que la grande cathédrale de Raziel. Si seulement il y avait quelqu’un pour la porter.

« Batou, occupe-toi de ce qui se passe ici », dit le jeune homme en tournant sur ses talons. « Je vais à Labolas. »

« Oh ? Comme c’est gentil de ta part. Vas-tu le sauver ? »

« Il est impossible de discipliner Asmodée sans Labolas. »

« Discipliner, dis-tu ? » répéta l’autre homme avec incrédulité.

« Il n’est pas nécessaire de lui ôter la vie. La dresser pour qu’elle fasse ce que nous disons, c’est la définition de la discipliner, n’est-ce pas ? »

« Je sympathise un peu avec elle… » répondit l’autre homme sans vergogne, puis il ouvrit ses yeux minces comme des fentes. « Eh bien, c’est cependant seulement si nous la capturons. »

Sa voix grave donnait l’impression qu’il était prêt à mourir. Il sourit ensuite sans une once de malice dans son expression.

« Bien qu’il te vienne des idées aussi épouvantables, tu es doux jusqu’à la surprotection quand il s’agit de tes proches. Zagan et toi vous vous ressemblez beaucoup. »

« Hmph. Quelle pitié pour Zagan ! »

Le jeune homme n’était pas gêné par le fait d’être comparé à Zagan. Au contraire, il remonta ses lunettes rondes et sourit avec satisfaction.

« Eh bien, je vais m’occuper des choses ici », dit l’autre homme. « Qu’est-ce que tu comptes faire pour que les choses se passent bien à l’extérieur ? »

Les sorciers et les chevaliers angéliques devaient être en conflit. C’est ainsi que ce monde avait été mis en place, mais un incident avait tout fait s’écrouler. Toute la solennité du jeune homme disparut alors qu’il baissait les épaules avec découragement.

« Je n’en ai aucune idée… Que penses-tu que nous devrions faire ? »

« Ne me demande pas… »

L’homme aux yeux bridés ne l’avait jamais vu aussi perdu, même il y a mille ans.

« B-Bien, je suis à peu près sûr que nous n’avons pas d’autre choix que de laisser faire », dit-il en tapant sur l’épaule du jeune homme. « De toute façon, le plan a déjà atteint ce stade. N’est-ce pas plus pratique de cette façon ? »

« Je l’espère… »

Le jeune homme était parti et, dans un changement complet par rapport à son attitude précédente, il avait l’air complètement déprimé.

« J’en ai fini, Forneus… Non pas que j’ai vraiment résolu quoi que ce soit. »

Dans une autre partie de la métropole sombre, Shax s’était fait jeter dans cet espace mystérieux aux côtés de Forneus. Il y avait des taches de sang claires et collantes sur le sol. Aucun des deux n’avait été coupé par Glasya-Labolas. Forneus avait vomi le sang.

« Est-ce que c’est une blessure d’avoir utilisé tes “mots” contre Glasya-Labolas ? Oh, tant pis, tu n’es pas obligé de me répondre. »

« Va-t’en, Glasya-Labolas. »

Les mots que Forneus avait prononcés ne sortaient pas d’un livre et avaient repoussé la première attaque de Glasya-Labolas. Kuroka était tombée elle aussi, et si le combat avait continué, quelqu’un aurait pu mourir.

Est-ce là le pouvoir de l’Emblème de l’Archidémon ?

Ayant soigné Forneus, Shax l’avait vu. Le sceau de Forneus n’était pas situé sur sa main droite, mais à l’intérieur de sa bouche. Était-il placé là comme moyen d’attaque ? Ou bien son pouvoir lui permettait-il enfin de communiquer par fragments ?

Shax avait une tonne de questions, mais Forneus n’avait aucun moyen d’y répondre. Il secoua donc la tête et concentra ses pensées sur le présent. Le pouvoir de Forneus était étonnant, mais le prix à payer pour cela était rude. Après avoir tenté de soigner la blessure, Shax ne savait plus où donner de la tête. La gorge de Forneus avait été physiquement écrasée comme si une énorme main l’avait serrée.

A-t-il réparé Furfur dans cet état ?

Il s’était probablement donné un traitement d’urgence, mais la blessure était bien plus grave que ce genre de mesures. Et pourtant, il avait agi comme si rien ne sortait de l’ordinaire. C’était comme si sa volonté l’avait abandonné une fois que Furfur avait disparu loin de lui.

« On dirait que cette petite dame est assez importante pour toi. »

Forneus ne répondit pas, mais son silence en disait long. Même après avoir fait soigner sa blessure, son expression était restée sinistre.

« Ne t’inquiète pas. Moi aussi, je me suis séparé de ma partenaire. Et puis, que tu aies une dette envers moi serait une énorme aubaine, alors je vais certainement trouver Furfur. Il en va de même pour le petit Micca. »

Alors même qu’il prononçait ces mots, la tête de Shax était remplie de pensées concernant Kuroka.

Sois prudente, Kurosuke…

Normalement, il aurait cru en elle même lorsqu’elle affrontait un Archidémon, mais elle était loin d’être en parfait état à cause de sa vieille blessure qui s’était rouverte.

Il faut aussi tenir compte de ses yeux argentés…

Les trois familles royales de Liucaon étaient les descendantes du roi aux yeux d’argent. Cette lignée était particulièrement forte chez les Adelhide. On ne savait pas si le fait d’être un quatre oreilles déclenchait une sorte d’atavisme ou si c’était propre à cette fille en particulier. Son sang s’éveillait non seulement aux pouvoirs d’un cait sith, mais même à ceux du Roi aux yeux d’argent.

Je l’ai aussi vu lors du combat contre Andrealphus.

Elle avait croisé le fer avec cet Archidémon — même s’il était manipulé — sans faire un seul pas en arrière. Lors de cet échange, ses yeux n’avaient pas été rouges, mais argentés. Ceux que l’on appelle le Roi aux yeux d’argent — dont Zagan — étaient apparemment capables de percevoir le flux de mana. La capacité de Zagan à dévorer la sorcellerie était basée sur cela. Cela dit, Zagan était probablement la seule personne capable de reconstituer des cercles magiques avec une telle précision.

Les yeux argentés de Kuroka ne possédaient probablement pas un tel pouvoir. Qui plus est, il pouvait s’agir d’un simple effet secondaire de sa vieille blessure. C’est pourquoi il ne lui avait rien dit et avait décidé d’attendre de voir comment les choses allaient se dérouler. Zagan avait également donné son accord, si bien que seules quelques personnes triées sur le volet étaient au courant.

C’est une idée effrayante…

Les rois aux yeux d’argent s’étaient jetés dans des batailles qui mettaient en jeu le destin du monde et y avaient probablement tous perdu la vie. Zagan se lançait également dans des combats où il pouvait facilement mourir à tout moment. Shax avait peur que Kuroka soit forcée de participer à de telles batailles. C’est pourquoi il avait essayé de devenir plus fort pour pouvoir la protéger, ne serait-ce qu’un peu.

J’ai juré de la protéger. J’ai juré de le faire juste devant la tombe d’Adelhide. Et pourtant, j’échoue déjà de façon grandiose.

S’il perdait Kuroka, Shax était sûr de perdre tout but dans sa vie. Il était soutenu par l’existence même de Kuroka. C’était la seule chose qui le maintenait à peine en vie. C’est exactement pour cela qu’il devait la protéger.

Tout d’abord, je dois me calmer.

C’est en pensant à cela qu’il prit une grande inspiration. C’était exactement dans ces situations qu’il devait rester calme pour pouvoir sauver ceux qu’il pouvait. Shax essaya de toucher son visage.

« Il ne semble pas que ce soit une illusion. Cela dit, nous n’avons pas non plus été téléportés… ce qui signifie que la ville a été refaite ? »

Si c’est le cas, il s’agissait d’une démonstration de puissance terrifiante. Était-ce là la force d’un véritable Archidémon ? La sorcellerie télépathique de Shax ne fonctionnait plus non plus. Elle était probablement entravée par cette barrière. Il ne pouvait pas contacter Kuroka, et encore moins Zagan au palais de l’Archidémon.

« Hah ! »

Shax essaya de rassembler son mana et de donner un coup de poing sur le sol. Le pavé de pierre se brisa, mais c’est tout. Même cela s’était rétabli en peu de temps.

Je peux utiliser la sorcellerie, mais c’est remarquablement plus faible.

***

Partie 4

Même si on ne pouvait pas comparer sa force à celle de Zagan, n’importe quel sorcier était capable de créer un grand cratère dans le sol avec un coup de poing. Shax avait déployé bien plus de force que ne le laissait supposer cette pitoyable démonstration. Il semblait qu’il était à environ un dixième de sa puissance habituelle. On pouvait se demander s’il serait capable d’ébrécher les murs ici.

« On dirait qu’il est inutile d’essayer de le casser de l’intérieur… »

Il était impossible de franchir cette barrière sans le pouvoir anormal de Zagan ou d’Asmodée.

Même si Kurosuke a le pouvoir des rois aux yeux d’argent, ce sera toujours impossible.

Les yeux argentés de Zagan étaient indispensables à sa capacité à dévorer la sorcellerie, mais ils n’étaient rien de plus qu’une composante de l’ensemble. Ses yeux lui conféraient simplement la capacité de prévoir tout le tracé d’un circuit pendant sa construction. Le facteur vraiment important était la vitesse et la précision surhumaines avec lesquelles il effectuait des calculs dans son cerveau. Kuroka n’était pas une sorcière, elle ne pouvait donc même pas commencer à reproduire cet exploit.

Les sorciers sont essentiellement à sa merci ici.

Cela dit, un chevalier angélique ne pouvait pas non plus battre l’ancien Saint de l’épée. Glasya-Labolas était le roi ici.

Dit autrement, si nous sommes proches, nous pourrions utiliser la télépathie.

Ce n’était toujours pas fiable, mais c’était mieux que rien. Après avoir passé en revue tous les faits, Shax avait gémi.

« Les coordonnées que j’avais préparées ont également été détruites… »

Shax et Kuroka étaient venus ici pour entrer en contact avec un Archidémon. Comme on ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer, ils avaient préparé un cercle magique pour se téléporter.

Le patron est surprotecteur.

Shax était le sujet d’un Archidémon. Il était plus que prêt à assumer une mission dangereuse, mais Zagan était si généreux en matière d’assurance qu’il était difficile de croire qu’il s’agissait d’un Archidémon. Si quelque chose arrivait, Zagan ne manquerait pas de venir en volant avant les renforts. Ce n’était pas un signe de méfiance pour autant, et c’est la raison pour laquelle aucun individu n’avait déjà songé à quitter son service après s’être engagé.

Le cercle magique avait été installé à l’intérieur de l’auberge d’Aristocrates, mais vu l’état des choses, il avait probablement disparu maintenant.

Barbatos peut se téléporter sans avoir besoin de coordonnées comme ça, mais c’est un monstre.

Même aujourd’hui, Shax pense que son Emblème aurait dû aller à Barbatos. Cependant, le cours des événements l’avait amené à Shax à la place, et il avait donc une responsabilité à assumer. Pour protéger Kuroka… non, pour pouvoir être à ses côtés, il devait devenir plus fort. Shax secoua ses pensées parasites et revint au problème qui se présentait à lui.

Les coordonnées les plus proches que nous avons préparées sont assez éloignées de la ville.

Leurs communications habituelles ayant été coupées, Zagan ne manquait pas de passer à l’action. Cependant, il allait encore lui falloir du temps pour arriver jusqu’ici. Était-il possible que tout le monde survive aussi longtemps ?

Non, je ne peux pas être pessimiste. Je dois me battre. Je dois le vaincre. Ensuite, je prendrai Kuroka et je rentrerai chez moi.

Au moment où il se motiva et se leva… quelque chose siffla juste à côté de ses yeux.

Huh… ? Il y a quelque chose dans le mur…

L’identifiant par instinct, Shax poussa un cri.

« Éloigne-toi du mur, Forneus ! »

Shax repoussa Forneus d’un coup de pied sur le moment et s’éloigna du mur en sautant.

« Hmmm ? Dire qu’on m’aurait évité deux fois. »

Glasya-Labolas était sorti du mur où Shax venait de se trouver. Shax avait eu des sueurs froides.

Si je ne m’étais pas levé par hasard, j’aurais perdu la tête.

Même sans les sens experts de Kuroka, il pouvait dire que Glasya-Labolas était indétectable. Le vieil homme avait sa canne rangée sous son bras et commençait à applaudir.

« Je commence à perdre confiance après avoir vu ma lame esquivée deux fois dans cette cité des épées. »

Contrairement à ce qu’il disait, il était de très bonne humeur. En fait, il avait l’air positivement extatique.

Je ne l’ai pas esquivé. Kurosuke m’a protégé.

Kuroka elle-même était très malchanceuse, mais les cait siths étaient des fées qui portaient chance. Il était souvent protégé par d’étranges coïncidences lorsqu’elle était dans les parages. C’était comme si Kuroka lui cédait toute sa chance.

« Tu as l’air terriblement content de ça », dit Shax en restant sur ses gardes.

« Pardonne-moi. C’est la première fois que je ressens un tel picotement sur ma peau depuis cinq cents ans que je suis devenu un Archidémon. Je suppose que la dernière fois, c’était lorsque j’étais en service actif. »

« Service actif… ? Oh, à propos du fait que tu sois un ancien Saint de l’épée ? »

« Oui. Cela fait si longtemps que j’ai oublié que j’étais un épéiste. Je ne peux pas m’empêcher de ressentir de l’excitation lorsque je me bats contre des adversaires puissants. »

Ce que cet homme aimait vraiment, c’était le meurtre. Peu importe que son adversaire soit faible ou fort. Ce qui était le plus important pour son excitation, c’était l’acte de tuer lui-même.

« Désolé, mais je ne peux pas sympathiser avec toi sur ce point », dit Shax en souriant amèrement. « Je suis un faible lâche. Je meurs d’envie de tourner les talons et de m’enfuir, mais je ne peux pas le faire, alors je suis coincé ici à me battre. »

« Non. C’est un mensonge », dit Glasya-Labolas en souriant comme s’il trouvait cela infiniment attachant. « Un vrai lâche ne se battrait pas dans cette situation. Regarde, tu as même un sacrifice juste derrière toi que tu peux abandonner. »

Shax haussa les épaules, puis leva les poings.

« Tu sais ce qu’on dit des rats acculés », déclara-t-il. « Il faut faire attention quand on conduit un lâche au bout de sa corde. »

« Oui. Il n’y a rien de plus terrifiant qu’un homme comme toi. »

Le seigneur du meurtre s’inclina respectueusement, puis dégaina son épée invisible.

« Maître… encore perdu ? Lieu inconnu. »

Micca ne savait pas quoi dire en regardant la jeune fille baisser les épaules. Après tout, il avait cru qu’elle n’était qu’une fille perdue, mais c’était en fait une ancienne candidate Archidémon scandaleuse — et même pas humaine. Lorsqu’elle pencha la tête, il put entendre une sorte de craquement. Il avait déjà entendu ce bruit plusieurs fois lorsqu’il était en sa compagnie, mais il avait supposé qu’il faisait partie de l’agitation de la ville. C’est elle qui avait dû les faire pendant tout ce temps.

J’ai peur…

Il y a un an à peine, Micca n’était rien de plus qu’un civil ordinaire qui gagnait de la petite monnaie en portant des boîtes. S’il n’avait pas été choisi par une Épée Sacrée, il ferait probablement encore cela pour subvenir aux besoins de sa famille.

Il n’était pas fait pour balancer une épée et il n’y avait aucune chance qu’il puisse se battre contre un Archidémon. Et pourtant, il s’était retrouvé piégé dans cet espace inexplicable. C’était une ville inconnue. Micca tremblait à cette idée quand quelque chose de chaud l’enveloppa soudainement.

« Hein… ? »

Son cerveau n’avait pas tout de suite compris que la fille le prenait dans ses bras. Sa poitrine était dure. Sous ses vêtements souples se cachait un corps fait de quelque chose qui ressemblait à de la porcelaine. Peu importe l’élaboration de son design, cela soulignait le fait qu’elle était une marionnette. Et pourtant…

Elle est si chaleureuse…

D’où vient cette chaleur ? Elle ne respirait pas et il ne sentait pas son pouls. Malgré tout, elle dégageait de la chaleur. Même si elle avait le corps d’une marionnette, il avait l’impression qu’elle était vivante.

Pour une raison ou une autre, ce fait lui fit monter les larmes aux yeux. Il devait être si petit la dernière fois que quelqu’un l’avait serré dans ses bras comme ça — à l’époque où son père était encore en vie. C’était une marionnette, mais cette chaleur lui rappelait sa mère. Micca enroula ses bras autour de son dos et pleura sans se soucier des apparences.

« T’es-tu calmé ? » demanda-t-elle au bout d’un moment, en caressant la tête de Micca.

Pourquoi est-elle si gentille avec moi ?

« Pourquoi essaies-tu de m’aider ? » demanda Micca un peu tardivement, en essayant de cacher ses larmes.

Elle était censée protéger cet Archidémon appelé Forneus. Et pourtant, au moment où Glasya-Labolas avait activé cette barrière, elle avait à la place saisi la main de Micca.

« J’ai reçu ton aide », dit-elle en penchant la tête avec curiosité. « Alors cette fois… Je t’aide. »

Ce sont les mêmes mots qu’elle avait prononcés tout à l’heure. Micca avait honte de lui.

Elle n’a pas du tout changé.

Elle n’avait pas menti sur quoi que ce soit. Depuis le moment où il l’avait trouvée perdue en ville, elle était restée exactement la même. Micca avait eu peur d’elle à cause de ses propres idées préconçues et égoïstes.

« Désolé… » dit-il. « Même si tu essaies juste de m’aider… »

« Tu n’as rien fait de mal. »

Elle n’avait montré aucun signe d’offense. Micca essuya ses larmes et finit par relever la tête.

« U-Um, je m’appelle Micca. Peux-tu me dire ton nom ? »

« Oui. Je m’appelle Furfur. »

« Furfur… » Micca sourit. « C’est un joli nom. »

« Vraiment ? »

La fille — Furfur — avait l’air perplexe. Ses yeux violets se promènent sans but précis. Ce geste était exactement celui d’une fille mignonne. Cependant, Micca y avait également décelé de l’anxiété.

« Je vais bien maintenant », lui dit-il. « Tu veux aller sauver ton maître, n’est-ce pas ? »

Furfur secoua la tête et répondit : « Même si j’y vais… Je ne peux pas le protéger. J’ai été vaincue… complètement. Dans cet espace, mon pouvoir… a encore diminué. Je ne ferai qu’être… un obstacle. Le maître… sera obligé d’agir de façon imprudente. »

Après la défaite de Furfur, son maître avait fait quelque chose. Cela avait suffi pour que Glasya-Labolas se retire temporairement, mais cela semblait avoir imposé un fardeau au corps de Forneus. Si Furfur allait l’aider maintenant, il se passerait la même chose. C’est pourquoi elle ne bougeait pas d’ici.

Je suis tellement nul…

Elle était si désespérée de faire quelque chose, tout en étant si gentille avec Micca et en essayant de le protéger. En réponse, Micca n’avait ressenti que de la peur à son égard et ne l’avait même pas considérée comme vivante.

Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ?

Maintenant qu’il y pense, personne ne lui avait demandé de se battre. Au contraire, on lui avait offert une protection.

Mais ces personnes doivent être déjà à leur limite en essayant simplement de se protéger.

Il ne connaissait rien à la sorcellerie, mais il avait au moins compris qu’ils étaient tous scellés dans un espace anormal. Il ne pouvait pas rester les bras croisés et laisser les autres le protéger.

« Les gens ont des choses pour lesquelles ils sont bons et mauvais, Micca. Tu peux simplement t’améliorer dans ce pour quoi tu es fait. »

C’est ce que Stella Diekmeyer lui avait dit. Il n’avait aucun talent pour le maniement de l’épée, mais il décida de croire en ses paroles. Ce n’est pas comme s’il pouvait faire grand-chose de toute façon. Il jeta un coup d’œil à l’épée sacrée qu’il portait dans son dos. Même s’il la brandissait, il ne parviendrait pas à égratigner ce terrifiant Archidémon. Il avait suffi à Micca de regarder le court échange qu’il avait eu avec Furfur pour comprendre que l’Archidémon était d’un tout autre niveau.

En plus, parce que j’ai fait quelque chose sans qu’on me le demande, j’ai fini par blesser cette fille tabaxi.

Le pouvoir de purification contenu dans l’épée sacrée de Micca se manifesta sous forme de son. Le son était invisible à l’œil nu et il était impossible de le concentrer sur une seule cible. Il pouvait lui donner une direction, mais cela ne faisait que renforcer et affaiblir ses effets sur ceux qui l’entouraient. Au minimum, tout le monde serait quand même affecté. C’était la raison pour laquelle Kuroka avait reçu un coup perdu.

« Oh. »

Après y avoir réfléchi, Micca s’était rendu compte de quelque chose.

Peut-être qu’il y a quelque chose que je peux aussi faire.

« Dis, Furfur. Je ne connais pas grand-chose à la sorcellerie, mais si nous battons ce Glasya-Labolas, pourrons-nous nous échapper d’ici ? »

« C’est très probable. »

Sa réponse lui avait donné un élan de confiance.

« Furfur, peux-tu me donner un coup de main ? »

« Pourquoi ? » demanda-t-elle en penchant à nouveau la tête.

« À nous deux, nous allons tabasser le méchant », répondit-il en réussissant tant bien que mal à sourire.

Il vaut mieux être prudent lorsqu’on accule un lâche dans ses derniers retranchements. C’est l’Archidémon Shax qui avait prononcé ces mots, mais personne ne s’était rendu compte que le véritable lâche montrait maintenant les crocs.

***

Partie 5

« Je ne retiens rien contre toi — Vide. »

Shax avait commencé par jouer son atout dès le début. Toutes les couleurs avaient disparu du monde. Le vieux monsieur s’arrêta de bouger, un sourire dément plaqué sur son visage, et même tous les sons cessèrent d’être transmis. Il s’agissait d’une accélération à tel point qu’on avait l’impression que le temps s’était arrêté. C’était l’exact opposé du rideau de la nuit, qui arrêtait les sens d’autrui.

Je ne peux probablement le faire que pendant un instant.

Dans la Cité des épées, Shax n’avait eu que le temps de donner un seul coup de poing. Cependant, le coup de poing d’un Archidémon était suffisant pour entraîner une mort certaine. Shax fit voler en éclats le pavé de pierre et fonça droit sur Glasya-Labolas. Il recula son poing et tissa le Poing de l’Archidémon, une sorcellerie qui imitait le coup de poing de Zagan. Il pesa de tout son poids pour donner un coup plus rapide que l’éclair.

Je l’ai eu.

Bien sûr, le coup de poing de Shax transperça de manière infaillible le visage du vieil homme.

« Quoi !? »

Cependant, Shax haussa la voix en signe d’incompréhension. Même affaiblie, la frappe avait été assez forte pour atomiser un crâne humain. Et pourtant, il n’avait rien senti lorsque son poing avait traversé la tête de Glasya-Labolas.

Le temps s’était remis à bouger. La couleur était revenue dans le monde. Le trottoir s’effondra dans un bruit de tonnerre. Shax s’empêcha tant bien que mal de tomber après avoir mis tout son poids dans un coup de poing manqué.

Glasya-Labolas se tenait juste là, mais n’était pas vraiment là.

« Une illusion !? »

« En effet. »

Shax entendit la voix derrière lui, mais n’a rien senti.

« Le Vide — l’art secret du seul et unique dieu de l’épée Andrealphus. Tu as donc vraiment hérité de cet art. Si tu ne l’avais pas fait, ce n’aurait même pas été un combat contre un si grand homme. »

C’est ce qu’il avait prédit.

Shax avait senti quelque chose de froid couler le long de son dos. Glasya-Labolas savait que cela arriverait et avait déjà mis en place une contre-mesure.

« Guh ! »

« Trop lent. »

Shax tourna pour faire face à Glasya-Labolas, mais une lame invisible le traversa. Il ne ressentit aucune douleur, mais eut la sensation que quelque chose lui traversait le corps de l’épaule à la taille.

« Hein… ? »

Le temps qu’il élève une voix stupéfaite, le sang avait jailli de sa poitrine comme une fontaine.

« Cela en fait un de moins. »

Shax l’avait vu en s’effondrant sur le sol. Glasya-Labolas n’était pas là. À la place, seule une poignée sans lame flottait dans les airs.

Non, ce coup n’était pas si doux qu’il pouvait provenir d’une épée manipulée par la télékinésie.

Même s’il ne pouvait pas voir l’homme, Glasya-Labolas était bel et bien en train de saisir l’épée. Alors que la conscience de Shax s’évanouissait, il tripota l’air avec sa main restante. Il n’allait rien accomplir avec ce geste. C’était une vaine démonstration de résistance. Cependant, ce geste futile divisa le rideau de sang en cinq parties.

« Hm !? »

L’épée sans lame s’envola dans les airs pour bloquer.

« Gaaaaaaaaargh ! »

Et cette fois, Glasya-Labolas poussa un cri d’agonie. Le bras droit du vieil homme dégringola sur le sol dans un bruit sourd et humide. À côté, Glasya-Labolas tomba à genoux. Il semblait que les dégâts avaient dévoilé sa présence.

« Hah… Je suppose que je t’ai touché cette fois », dit Shax en souriant faiblement.

« Argh… Dire que je serais abattu au sein de la cité des épées ! »

Glasya-Labolas leva les yeux vers le ciel. Des centaines de fils étaient tendus au-dessus de leurs têtes, suffisamment fins pour n’être visibles qu’à cause des gerbes de sang qui les avaient colorés. Il était impossible de les percevoir sans les toucher.

« Ne me dis pas… » dit Glasya-Labolas en ouvrant les yeux. « Ce sont les fils de marionnettes de Shere Khan ? »

« Il était… mon professeur et tout ça… » répondit Shax entre deux respirations rauques.

Je déteste le pouvoir que m’a donné Shere Khan.

Il avait été utilisé pour détruire le village d’Adelhide, après tout. C’est pourquoi Shax avait évité de s’en servir.

Mais ça ne va pas marcher maintenant.

« Alors, je vais faire en sorte que tu deviennes assez fort pour me battre tout seul. »

C’était l’épreuve qu’Andrealphus avait imposée à Shax lors de son accession au siège d’Archidémon — vaincre Andrealphus en trois jours. Jusqu’à ce que l’épreuve commence, Shax avait eu l’impression qu’il s’agissait d’une déclaration exagérée destinée à lui mettre le feu aux poudres. Andrealphus n’avait pourtant rien d’exagéré. Shax avait frôlé la mort à plusieurs reprises. Andrealphus avait sérieusement essayé de le tuer. C’est à ce moment-là qu’un choix s’était présenté à Shax. Continuer à débiter de belles paroles et mourir, ou s’accrocher avidement à la vie quitte à commettre d’autres péchés.

Tout ce que j’ai fait, c’est détourner les yeux de mes péchés.

Il n’avait pas eu le courage d’affronter ses propres pouvoirs — la preuve de ses péchés. Il avait besoin de détermination pour le faire. Il avait besoin de la détermination de survivre même s’il devait commettre d’autres actes diaboliques.

Shax s’était vu conférer le statut d’Archidémon, mais il pensait que cela le dépassait. Ce serait de la négligence s’il ne menait pas une lutte plus désespérée que les autres. Il n’était plus seul. Ses propres échecs conduiraient directement à accabler Kuroka. C’était pour cela que Shax avait décidé d’accepter son pouvoir répulsif. Et dans cette situation désespérée, cela avait conduit à une frappe de représailles contre Glasya-Labolas.

« Kuroka n’est pas si faible… qu’elle perdra contre quelqu’un à qui il manque son bras dominant. »

Échanger sa vie contre le bras dominant du Seigneur du meurtre n’était pas un mauvais échange. Cependant, Glasya-Labolas se leva sans émotion et balança son moignon droit, régénérant son bras instantanément.

« Il est impossible de me tuer dans cette Cité des épées », dit-il. « Quelle que soit la blessure que je subis, elle est rétablie en un instant. »

Le désespoir avait empli les traits de Shax.

« Non… pas possible… »

Alors que la conscience de Shax s’évanouit, Glasya-Labolas donna un coup d’épée impitoyable. Laissant derrière lui un son métallique clair lorsqu’il quitta son fourreau, le Katana Hex traversa l’air… mais il ne frappa pas le corps de Shax.

« Combien de temps exactement prévois-tu de maintenir cette farce ? » demanda Glasya-Labolas.

« Ah, mec… J’ai fait beaucoup d’efforts. Ne peux-tu pas au moins être imbu de ta personne et faire une erreur ? »

Shax, qui était censé avoir été coupé en deux, se leva d’un bond comme si de rien n’était.

« Non. Je t’ai déjà dit que les hommes comme toi sont terrifiants. »

Il fit une pause, regardant de plus près le corps de Shax.

« Quel mécanisme rend possible une telle régénération au sein de cette cité des épées ? »

Le coup de Glasya-Labolas avait été mortel. À l’intérieur de cette barrière, où toute sorcellerie était affaiblie, une telle blessure ne pouvait pas être soignée. Shax rabattit son col et dévoila la cicatrice. Une coupure y subsistait, recousue par d’innombrables fils.

« Incroyable. Tu as recousu chaque cellule et chaque nerf à l’aide des fils de marionnettes en un instant !? »

« J’ai toujours été un médecin avant tout. »

Il avait eu l’idée de cette astuce grâce à la coquille de prière de l’écaille du ciel de Zagan. Il avait utilisé les fils de marionnettes pour réarranger sa biologie dans son état d’origine. Ce qui était nécessaire pour un tel exploit, c’était la précision, pas le mana.

Mais je ne fais que me maintenir en vie. Je n’ai pas récupéré ma force.

Normalement, son corps devrait se régénérer, mais la partie curative de sa sorcellerie était clairement affaiblie. En d’autres termes, il était toujours en vie, mais la douleur demeurait.

« Alors très bien », dit-il, la sueur coulant sur son front. « Tu vas continuer à jouer avec moi ici. Je ne peux pas te laisser combattre Kuroka telle qu’elle est en ce moment. »

Des centaines de fils s’étiraient à partir des doigts de Shax. Ils avaient dès le début été installés un peu partout pour protéger Shax et Forneus. C’était la raison pour laquelle Glasya-Labolas n’avait pas pu s’approcher lors de l’attaque dans la taverne.

Peu importe d’où il attaque, s’il touche à un seul fil, je devrais pouvoir le localiser.

Avant même d’avoir besoin d’y penser, il suffisait de toucher un fil pour se couper un membre avec facilité. Pourtant, Glasya-Labolas était soudainement apparu derrière Shax sans toucher un seul fil.

« J’ai d’abord pensé que cette Cité des épées était une sorte de barrière », dit Shax en prenant tout cela en considération. « On dirait que j’avais tort. Nous avons été engloutis dans ton ventre. »

La cité des épées était le seigneur du meurtre en personne. Toute cette ancienne ville était devenue une partie de Glasya-Labolas. C’est pourquoi il était impossible de sentir sa présence. Tout, du sol sous leurs pieds aux bâtiments qui les entouraient, et même le ciel, était Glasya-Labolas.

« Alors, tu es prêt ? Allons-y. »

Shax déplaça son bras. Les fils attachés à ses doigts servaient d’innombrables lames.

Ce dont j’ai besoin, ce n’est pas de mana, mais de précision.

Chaque fil était mille fois plus fin qu’un brin de soie et possédait la solidité d’un rocher. Il suffisait d’enchevêtrer une cible pour la couper en deux.

« Argh ! »

Le corps du vieil homme fut déchiré en lambeaux, mais il se régénéra en un instant. Ce qui se tenait devant Shax était un minuscule fragment qui n’existait que pour brandir une épée. L’autre jour, Zagan avait combattu un démon appelé Samyaza. Son corps était composé de dix mille démons, alors Zagan avait beau frapper ces petits fragments, il n’avait pas pu porter un vrai coup à Samyaza lui-même. Il en allait de même ici. Tant que toute la Cité des épées subsisterait, il serait impossible de porter un coup à Glasya-Labolas.

Naturellement, une contre-attaque invisible était venue du Katana Hex. Glasya-Labolas s’était enfoncé dans le sol, et avant que Shax ne s’en rende compte, il était apparu derrière lui et l’avait tailladé à la taille. Sur le deuxième mouvement, Glasya-Labolas lui prit le bras droit, puis termina par une coupe impitoyable de l’épaule à l’aine. Les trois coups avaient semblé simultanés pour les sens de Shax.

Ha ha, comment diable suis-je censé esquiver cela ?

Kuroka était un maître, mais Shax n’était qu’un médecin — même si son corps était renforcé. Il ne possédait ni l’instinct ni les réflexes nécessaires pour esquiver une épée invisible.

« On dirait que je peux au moins en détourner un sur trois. »

Shax aurait dû être tranché trois fois, mais il n’avait que deux blessures — une en travers de la taille et une sur le bras droit. L’un des fils de marionnettes qu’il avait déployés sur la défensive avait légèrement détourné une seule frappe. C’est une grande révélation. S’il continuait à croiser le fer avec Glasya-Labolas — qui pouvait se régénérer à l’infini —, Shax finirait par perdre à l’usure.

Mais il faut que je gagne du temps.

Si on lui laissait suffisamment de temps, Zagan était sûr d’arriver ici et de faire voler en éclats la Cité des épées. Pouvoir bloquer une attaque sur trois signifiait qu’un tiers des centaines de coups qu’il faudrait pour le terrasser ne le frapperait pas.

Shax recousit ses deux blessures tandis que les yeux de Glasya-Labolas s’écarquillèrent.

« Oooh… Comme c’est magnifique ! » s’exclama-t-il avec joie.

« Je suis assez confiant quand il s’agit d’un concours d’endurance. »

Shax avait vécu sa vie comme un cadavre. Il avait toujours cherché un endroit où mourir, mais n’avait pas réussi à trépasser. Alors, au moins, il avait essayé d’être médecin pour pouvoir être utile à quelqu’un.

Mais je ne peux plus le faire.

***

Partie 6

Au début, il avait cru que tout irait bien tant que Kuroka serait heureuse. Sa vie avait enfin un but : soutenir cette fille. Et pourtant, sans qu’il s’en rende compte, un désir avait pris racine en lui. Kuroka était la dernière survivante de l’une des trois familles royales. Elle devait épouser quelqu’un un jour et laisser derrière elle un descendant.

Oui, c’est vrai. Je n’ai pas l’intention de confier une telle femme à quelqu’un d’autre !

Elle était à Shax. Elle était son trésor le plus précieux. Il ne laisserait personne l’avoir, et ne permettrait à personne de lui faire du mal. Quoi qu’il arrive, il refusait de la laisser partir. Cet homme, qui était responsable de son état actuel, était particulièrement impardonnable. Une fois qu’il l’avait admis, Shax avait trouvé en lui un puits de force et de volonté mystérieusement inépuisable.

« Tel que je suis maintenant, je ne vais pas tomber même si tu me coupes pour me transformer en viande hachée. »

« Je suis très fier de pouvoir te combattre ici. »

Shax s’était surpris à sourire devant la réaction de Glasya-Labolas.

Il semblerait qu’il soit beaucoup plus facile de l’énerver qu’il ne le laisse paraître.

Plus Glasya-Labolas s’investissait dans ce combat, plus il était facile de gagner du temps. Cela reposait bien sûr sur l’hypothèse que Zagan viendrait l’aider, mais il n’y avait pas lieu de remettre cela en question.

Shax enfonça ses fils de marionnettes, déchirant le corps original ou le clone du Seigneur du meurtre, ou ce qui se trouvait devant lui. Les contre-attaques invisibles coupèrent Shax en deux ou étaient détournées par d’autres fils.

« Oh ? Je suppose que je commence à m’y habituer. »

Il était passé d’un détournement d’une frappe tranchante sur trois à parfois deux détournements sur trois.

Le truc est de se dire que Katana Hex doit être son noyau.

C’était comme une incarnation de la conscience de Glasya-Labolas. Elle était trop spéciale pour être un simple fragment. Si la Cité des Épées était Glasya-Labolas lui-même, il pourrait tout simplement écraser celui qui s’y trouve. Et pourtant, cet Archidémon était allé jusqu’à fabriquer un fragment de lui-même en forme humaine pour brandir une épée. Cette obsession pouvait faire partie de la folie du Seigneur du Meurtre, mais il pouvait aussi s’agir d’une des limites de la barrière. En d’autres termes, seul ce fragment était capable de « tuer » en son sein. Cet espace bien trop commode ne pouvait s’expliquer que si de telles limites existaient.

Le problème, c’est qu’il n’y a toujours aucun moyen de vaincre ce type…

Mais ce problème serait résolu en détruisant la barrière elle-même. En fin de compte, attirer l’attention de Glasya-Labolas était le meilleur moyen de gérer cette situation.

« Quel homme vraiment terrifiant », dit Glasya-Labolas. « Il semblerait que je ne puisse pas te tuer ici et maintenant. »

« C’est vrai que tu me flattes. »

« Je ne fais que dire la vérité. Dans cette Cité des épées, tu es le seul que je n’arrive pas à faire reculer. Et pour le dire franchement, tu m’as même entraîné dans une confrontation tête-nue dont je suis obligé de m’éloigner. »

« Quoi… ? »

Shax n’aurait pas pu imaginer que de telles paroles sortiraient un jour du seigneur du meurtre alors que sa proie se trouvait juste devant lui.

« Ainsi, je vais plutôt donner la priorité à mon travail », dit Glasya-Labolas en retirant soudainement son épée et en reculant.

« Merde ! »

La lame du seigneur du meurtre avait plongé dans la poitrine de Forneus.

« Forneus ! »

Shax déplaça ses fils de marionnettes, mais Glasya-Labolas s’était enfoncé dans le sol avec Forneus.

Bon sang ! Il s’échappe !

Shax n’avait pas cru que Glasya-Labolas lui tiendrait compagnie jusqu’à la fin du temps imparti, mais il ne s’attendait pas non plus à ce que Glasya-Labolas recentre aussi facilement ses priorités.

« Hrk ! »

Shax essaya de se lancer à sa poursuite, mais son visage s’écrasa sur le sol.

Ce n’est pas bon. Je ne peux pas bouger…

Combien de fois avait-il été coupé ? Le nombre était peut-être à trois chiffres. Peu importe la rapidité surhumaine avec laquelle il avait recousu les plaies, il était impossible que son corps rafistolé bouge comme il le souhaitait.

« Désolé… Le reste dépend de toi. »

Un seul fil s’étira du doigt de Shax. C’était presque comme s’il poursuivait Forneus.

 

« Là-bas, espèce de démon ! »

Juste après son arrivée à Aristocrates, Shax avait entraîné Kuroka dans une ruelle sombre pour une raison inconnue. C’est alors qu’elle avait senti que quelqu’un les observait. Elle n’avait pas réussi à la toucher avec son couteau de lancer, mais elle savait qu’elle ne s’était pas trompée. Kuroka réfléchissait à tout cela alors qu’elle errait dans la cité des épées avec le soutien de son bâton.

Si ce n’était pas Glasya-Labolas…

Si c’était lui, alors tout cela pourrait être leur carte maîtresse au sein de cette barrière.

« Trouvé ! Le fil de Monsieur Shax ! »

Un seul fil était épinglé au pavé de pierre, s’étirant au loin. C’était un panneau de signalisation que Shax avait laissé pour elle. Il scintillait légèrement pour que Kuroka puisse le voir.

Il se bat quelque part là-bas.

Presque une demi-heure s’était écoulée depuis que Glasya-Labolas avait déclaré le début de son jeu. Dans un environnement aussi désavantageux, il n’aurait pas été étrange que tout le monde soit déjà mort avec autant de temps.

Non. Monsieur Shax est toujours en train de s’accrocher.

Ce fil était issu du mana de Shax. S’il mourait, l’approvisionnement en mana serait rompu et il disparaîtrait. Le fait qu’il soit encore là était la preuve qu’il était toujours en vie et qu’il se battait.

« Monsieur Shax, s’il te plaît, emmène-moi à tes côtés ! »

Kuroka avait attrapé le fil, l’avait enroulé autour de sa main et avait serré fort. Sentant sa volonté, le fil se rétracta à une vitesse effrayante, emportant Kuroka avec lui. Les bâtiments de pierre passèrent comme le vent et Kuroka put voir une brume pâle concentrée en un point.

C’était comme si deux silhouettes humaines étaient enfouies sous le sol. L’une était si fugace qu’elle pouvait disparaître à tout moment, tandis que l’autre se gonflait d’une excitation inquiétante. Il n’était pas nécessaire de confirmer laquelle des deux était sa cible.

« Glasya-Labolas ! »

Kuroka dégaina son épée courte et la planta dans le sol.

« Gyaaaaaargh ! »

Elle plongea sa lame en plein dans son dos. Glasya-Labolas cria et bondit hors du sol. Il portait un Forneus ensanglanté. Forneus était pâle et souffrait d’une horrible blessure, mais Kuroka pouvait « voir » qu’il était encore en vie.

Dans l’état où je suis, je n’ai pas la force de croiser les lames avec lui.

Kuroka brandit son autre épée courte et s’élança vers le cou de Glasya-Labolas.

« Je t’arrache la tête ici et maintenant ! »

C’était une approche vicieuse à laquelle on ne se serait jamais attendu de la part du fier samouraï de Liucaon. Malgré tout, Kuroka mit toute la force qui lui restait dans cette seule frappe.

« Oh ! Hak ! Gah ! M-Merde ! »

Son précieux Katana Hex était coincé dans le corps de Forneus.

« Hnnngh ! »

Glasya-Labolas lutta pour le dégager, mais Forneus avait saisi la lame invisible à mains nues.

« Laisse-toi aller ! »

Glasya-Labolas utilisa sa main libre pour attraper Kuroka et lui enfonça l’arrière de son crâne contre le sol. Du sang coula de la bouche et du nez de Kuroka tandis que sa conscience s’estompait. Néanmoins, la force derrière son coup n’avait pas faibli une seule seconde.

Je peux le tuer !

Encore une poussée et elle lui tranchera la colonne vertébrale. Et alors qu’elle était sûre de sa victoire…

« La lame enflammée du diable. »

Le vieux monsieur sortit une canne de sa poche de poitrine et d’innombrables lames prirent forme autour d’elle. Elles se balançaient comme une flamme vacillante, formant une épée sans substance. Les coups s’abattirent comme une pluie battante, frappant même Glasya-Labolas.

Oh non… !

Même dans son état actuel, il n’était pas particulièrement difficile pour Kuroka d’esquiver cette frappe, mais il n’en allait pas de même pour toutes les autres personnes présentes.

« Forneus ! »

L’Archidémon se trouvait également sur la trajectoire de l’épée vacillante. Comme il utilisait son propre corps pour immobiliser le Katana Hex, il n’avait aucun moyen de l’esquiver. Et comme Kuroka avait une épée courte dans chaque main, elle ne pouvait pas l’atteindre. Cependant, juste au moment où le coup allait frapper…

« Papillon. »

Des papillons arc-en-ciel s’enroulèrent autour du corps de Kuroka. Non, ce n’était pas tout à fait exact. Son corps s’était transformé en papillons et ils se séparèrent. Les papillons glissèrent à travers la lame du diable flamboyant et plongèrent dans le dos de Glasya-Labolas.

« Tu reviendras… mon maître. »

Soudain, une voix retentit de nulle part. Kuroka se concentra pour voir que la servante était soudainement apparue et qu’elle fonçait sur leur ennemi commun. Kuroka ne l’avait pas du tout sentie. La servante utilisa ses armes blanches pour couper la main droite de Glasya-Labolas.

« Mlle Furfur ? »

« Flash éclair. »

Le corps de Furfur avait émis des éclairs pendant un instant. Elle attrapa un Forneus mourant, puis balança son bras armé. Elle était si rapide que même les yeux de Kuroka ne pouvaient pas la suivre.

Sa vitesse rivalise même avec celle de Lady Chastille.

Il semblerait s’agir d’une sorte de sorcellerie d’accélération. Sa lame traversa l’air comme de la lumière, interceptant complètement les flammes de la Lame du Diable.

« Incroyable ! »

Glasya-Labolas haussa la voix, excitée. Furfur bondit en arrière, mais elle dût mettre tout ce qu’elle avait derrière ses frappes, car elle ne réussit pas à atterrir correctement et dégringola sur le sol avec Forneus dans les bras.

Au moins, Forneus est en sécurité maintenant.

Cependant, les épées courtes de Kuroka lui glissèrent des mains. Parce qu’elle avait utilisé les papillons, sa prise s’était affaiblie un instant. Incapable de résister, elle fut secouée par le dos de Glasya-Labolas.

« Agh ! »

Elle frappa le sol et glapit de façon pathétique. Cependant, ce n’était pas le principal problème qui se posait.

Mes épées !

Elle n’avait pas réussi à arracher les épées courtes du dos et du cou de Glasya-Labolas. Elle ne pouvait utiliser les Papillons que lorsqu’elle maniait Ciel sans lune. En revanche, Glasya-Labolas avait perdu son Katana Hex, mais avait toujours sa canne — des lames de sorcellerie l’enveloppant à nouveau.

Le voilà qui arrive.

Kuroka tenta de se relever, mais ne parvint pas à insuffler la moindre force à ses membres. Et alors qu’elle se résolvait à la mort, la poitrine de Glasya-Labolas éclata dans un éclaboussement sourd.

« Hein… ? »

Le monocle tomba de son visage. Il n’avait aucune idée de ce qui venait de se passer. Une épée incandescente et cendrée sortait de sa poitrine.

« Hurle, Haniel ! »

Dans un boum comique, le torse de Glasya-Labolas fut envoyé en l’air. Deux épées courtes tombèrent au sol avec un bruit sourd. Le jeune archange se tenait au-dessus d’eux. Des fragments de viande éparpillés éclaboussèrent le sol tandis que le reste de la moitié inférieure de l’Archidémon fou tombait à genoux. Comme pour annoncer la fin de la bataille, quelque chose se brisa dans les airs. C’était le bruit de la cité des épées qui se brisait. Des fissures parcoururent les bâtiments de pierre, les pavés et même la nuit inquiétante, et tout commença à s’écrouler en un instant.

« J’ai réussi ! Je l’ai battu ! »

Le garçon sourit et se tourna vers Furfur. Elle se mit elle aussi à sourire et le salua d’un signe de tête. Même Forneus poussa un soupir de soulagement. Parmi eux, seule Kuroka voyait que ce n’était pas encore fini.

« Ce n’est pas fini ! Éloignez-vous d’ici ! »

« Hein ? »

Le garçon se retourna avec une expression hébétée sur le visage. D’innombrables lames vacillantes se rapprochaient de lui. Le sang gicla dans l’air et ce qui avait été un garçon fut éparpillé un peu partout.

« Aaaaaaaaah ! »

Kuroka cria. Furfur se figea, comme si elle n’avait aucune idée de ce qui venait de se passer. Glasya-Labolas — qui était censé avoir explosé — se tenait à nouveau devant eux. Du sang coulait de son cou et il haletait, mais les blessures qu’il avait subies aux mains du garçon avaient disparu.

« Comme je le pensais, ce garçon était le plus terrifiant ici », dit le vieux monsieur en s’inclinant, les yeux pleins de respect. « L’épée sacrée Haniel manipule le son. Sa véritable valeur vient du fait qu’elle est capable de couper tous les sons. Même moi, je n’étais pas capable de percevoir ta présence jusqu’à ce que tu me frappes. »

C’était la raison pour laquelle Kuroka n’avait pas non plus pu le sentir. La capacité de couper tout son rendait impossible la détection de sa présence. Kuroka avait déjà perdu la vue, elle le savait donc très bien. Les gens perçoivent leur environnement par le son bien plus que par la vue. Même les personnes dotées d’un excellent odorat étaient loin d’égaler un animal à cet égard. Le sens du toucher ne fonctionnait que lorsqu’on était en contact avec quelque chose. C’est pourquoi il était impossible de détecter quelqu’un qui s’approchait à l’abri des regards et qui était complètement silencieux. Le jeune archange n’était peut-être pas très doué pour manier l’épée, mais il avait réussi son coup. Malheureusement, le premier à s’en apercevoir et à s’en méfier n’était autre que Glasya-Labolas.

C’est pourquoi il s’y était déjà préparé !

Il avait probablement anticipé le moment où le garçon frapperait et avait échangé sa place avec une illusion de lui-même.

« Alors maintenant, peux-tu me rendre mon katana hex ? »

« Argh ! »

Glasya-Labolas leva la main et le Hex Katana se retira du corps de Forneus. Il se tourna ensuite vers les restes du garçon.

« Tu es mort en vain, mais c’était une frappe magnifique. »

« Il n’a pas… » gémit Kuroka. « Il n’est pas mort en vain. »

Elle ramassa Ciel sans lune et se leva. Ses genoux tremblaient et elle n’arrivait pas à mettre de la force dans sa prise. Néanmoins, elle se leva.

« S’il n’était pas venu, je serais morte. »

Elle n’était capable de manier ses épées que maintenant, car le garçon avait rejoint la mêlée. Kuroka retira ses bandeaux de cheveux et les utilisa pour attacher ses épées à sa main. Elle prit une respiration calme et expira jusqu’à ce que ses poumons soient vides. Elle cessa de trembler. Elle pouvait maintenant brandir ses épées.

Les deux derniers à être restés debout, les deux saints de l’épée, s’affrontaient à l’intérieur de la cité des séraphins en ruine, chacun brandissant deux épées.

« Je suis la représentante des samouraïs Adelhide, Kuroka Adelhide. Prépare-toi. »

« Moi, seigneur du meurtre Glasya-Labolas, je relève ton défi. »

 

 

Les deux maîtres de l’épée avaient décollé du sol d’un coup de pied en même temps. Glasya-Labolas avait l’avantage de la portée. Lui seul connaissait la longueur de la lame invisible ou si la lame avait même une longueur fixe.

Glasya-Labolas brandissait le katana hex dans sa main droite. Kuroka intercepta la lame invisible avec l’épée courte de sa main gauche.

« Chasseur d’épée ! »

En même temps, elle fit descendre l’épée qu’elle avait à droite sur elle.

« Mrgh ! »

Elle ne réussit pas à briser l’épée, mais l’impact envoya un choc dans le bras de Glasya-Labolas, l’arrêtant un instant. Profitant de cette ouverture, Kuroka s’avança, mais elle n’était toujours pas à une portée pour le frapper.

Glasya-Labolas déplaça la canne dans sa main gauche. La sorcellerie l’enveloppait déjà, s’avançant vers le cou de son adversaire.

« Trop lent ! »

Kuroka plia les genoux, s’abaissant presque entièrement au sol pour l’esquiver. Elle se redressa ensuite pour réduire la distance. Elle se déplaçait si vite qu’elle laissait une image rémanente. Elle était enfin à portée de main pour prendre la tête de Glasya-Labolas.

« Splendide. Mais tu n’iras pas plus loin. Rideau de la nuit. »

Kuroka se figea au milieu de sa course. Elle ne pouvait plus percevoir le monde. Seul autorisé à se déplacer dans ce paysage urbain en ruine, Glasya-Labolas brandit son épée pour porter le coup de grâce.

« Adieu, ma forte et belle dame. »

Son coup impitoyable sépara la tête de Kuroka de son corps.

« Oui, adieu, espèce de meurtrier répugnant. »

Des papillons arc-en-ciel s’enroulèrent autour du cou de Kuroka.

« Quoi… ? »

Les yeux de Glasya-Labolas s’ouvrirent en grand lorsque l’épée courte de Kuroka se dirigea vers son cou. Laissant derrière elle le cliquetis des ornements de sa garde, la tête du vieil homme s’envola.

« Je savais que tu t’en prendrais à ma tête. »

C’est pourquoi elle avait préparé sa capacité Papillon. Sous une pluie de sang, le corps du seigneur du meurtre s’effondra finalement.

« Comme c’est vraiment merveilleux ! »

Avant de toucher le sol, sa tête semblait fredonner ces mots. Ainsi, le rideau était tombé sur ce long, très long cauchemar.

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