Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 17 – Chapitre 2 – Partie 5

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Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour

Partie 5

Incapable de réprimer complètement son mana, des décharges électriques s’étaient manifestées autour de lui, faisant s’éparpiller dans toutes les directions les clients qui se trouvaient à proximité. Il était quelque peu préoccupé par le fait que certains d’entre eux tenaient des jumelles, mais il se rappela alors avoir vu un panneau à l’entrée qui disait « N’hésitez pas à utiliser ceux-ci », pour une raison ou une autre.

Néphy avait compris qu’elle ne pouvait plus reculer. Elle avait donc retenu ses cheveux blancs qui flottaient dans le vent artificiel et avait approché son visage de la cuillère avec un air déterminé, comme si elle affrontait une tempête.

« Nom ! »

Elle engloutit la cuillère avec enthousiasme.

« C-Comment est-ce… ? »

« T-Très doux… »

Les clients environnants laissèrent échapper des soupirs de soulagement et commencèrent à applaudir.

« Hum… quel genre de spectacle m’offrez-vous ici ? », demanda Asmodée, qui ne savait plus où donner de la tête, incapable de comprendre ce qui se passait.

Zagan eut l’impression de sentir le regard d’une vampire sortie de nulle part qui sous-entendait : « Je comprends ce sentiment à un point douloureux », mais il n’y prêta pas attention.

Maintenant que j’y pense, nous n’avons pas eu le temps de faire ce genre de choses ces derniers temps.

On s’était enfin occupé de Shere Khan, mais avec les conséquences et à cause de cet idiot de Marchosias, il avait été plus occupé que jamais. Grâce aux efforts de ses subordonnés, les choses s’étaient enfin calmées. Il avait pu s’en rendre compte à quel point le temps passé à se prélasser dans le bonheur avec Néphy était précieux. En les regardant de loin, une certaine mamie était émue aux larmes.

« En se donnant en spectacle, ils portent leur puissance amoureuse à un niveau encore plus élevé… Haaah, j’ai gravé cette démonstration dans mon âme, mon seigneur. »

« Je crois que j’ai choisi les mauvaises personnes à consulter…, » marmonna Asmodée, donnant l’impression de vouloir partir. Ce n’est qu’à ce moment-là que Zagan se souvint qu’elle était présente.

« Ah oui, c’est vrai. Avais-tu quelque chose à me demander ? Alors, va y maintenant. »

« Désolé. Est-ce que je peux avoir un peu de temps pour y réfléchir ? » marmonna Asmodée.

Il ne savait pas ce qui lui était arrivé, mais la fille normalement insensible baissait faiblement la tête.

« Une amitié qui commence par un sourire n’est en aucun cas une mauvaise chose. Si elle est liée par ce sourire, alors tu ne peux pas demander plus. »

Le sorcier parlait d’une voix qui n’était ni masculine, ni féminine, ni jeune, ni vieille, ni stridente, ni profonde, ni dure, ni douce. C’était comme si sa voix n’avait aucune caractéristique, tout en étant un mélange de toutes. On aurait dit un homme tout droit sorti d’un opéra. Malgré la fin du printemps, il portait un manteau noir à l’ancienne avec une écharpe nouée autour de son col. Il avait l’air d’avoir une cinquantaine d’années. Il y avait de légères rides sur le visage et ses yeux étaient verts. Il avait des cheveux noirs ondulés fendus de façon parfaitement régulière sur son front, soulignés par des mèches grises. Ses traits ciselés étaient surmontés de petites lunettes à pince-nez sur le bout de son nez. Il tenait une canne à deux mains, toutes deux recouvertes de gants blancs. L’un de ces gants devait cacher un certain Emblème. Un Emblème de l’Archidémon que Shax pouvait sentir.

Le Marionnettiste Forneus — maintenant que Shere Khan avait été vaincu et qu’Andrealphus avait pris sa retraite, il était l’Archidémon le plus âgé. Il était assis en face de Shax, derrière lequel se tenait Kuroka, le visage crispé par la tension. Leur mission était d’obtenir la coopération de cet Archidémon, ou celle de son disciple Furfur.

L’un des objectifs de ce voyage était bien sûr de visiter la maison de Kuroka à Liucaon, mais ils n’y avaient pas consacré un mois entier. Grâce au réseau de renseignements de Liucaon, ils avaient cherché à localiser cet Archidémon. Ils l’avaient localisé il y a quelques jours, et Forneus avait désigné Aristocrates comme lieu de rencontre. Et pourtant, lors de leur rencontre, c’est la première chose qu’il avait dite.

Qu’est-ce que cela signifie ? Veut-il que nous le fassions sourire ?

Cela ne sonnait pas juste, même pour une demande adressée à un jeune Archidémon. Il devait y avoir une autre signification, mais Shax sentait qu’il était inutile d’essayer de comprendre par lui-même.

« Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » demanda Shax.

« De nos jours, les gens comprennent le prix des marchandises, mais pas leur valeur », répondit Forneus. On aurait dit qu’il marmonnait sans bouger les lèvres.

Est-ce une sorte d’énigme ?

Il ne pouvait pas non plus lire les intentions de Forneus dans son expression. En fait, le regard de l’homme n’était même pas dirigé vers Shax. Il n’était donc pas évident de savoir s’il s’adressait à Shax ou à lui-même. Il était normal que le comportement d’un Archidémon s’écarte de la norme, mais ici, il était même difficile de tenir une simple conversation. C’est alors qu’une certaine idée lui vint à l’esprit.

Le surnom de ce sorcier était maître des marionnettes. Il ne serait pas étrange que l’homme devant eux soit une marionnette. Dans ce cas, il s’agissait peut-être d’un test. Shax croisa les jambes dans l’autre sens et réfléchit encore une fois.

« Je ne peux rien dire pour ma défense si vous m’accusez d’ignorance », déclara Shax. « C’est un fait indubitable que je suis encore un jeune d’une vingtaine d’années. »

Il commença par affirmer les paroles de Forneus et il se heurta à une expression inébranlable et à une énigme de plus.

« Après tout et avant tout, vous possédez une magnifique jeunesse, et cette jeunesse possède sûrement une valeur. »

Shax fronça les sourcils encore plus profondément.

Non. Je ne comprends pas du tout.

Cette fois, il avait reçu un compliment. Cela ne permettait pas de savoir si sa réponse avait été correcte. Shax ne savait plus où donner de la tête quand Kuroka fit soudainement un bruit comme si elle avait réalisé quelque chose.

« Oh. »

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Shax en regardant par-dessus son épaule.

Kuroka réfléchit un peu, puis dit : « Je ne crois pas que ce soit le cas. »

Pour la première fois, les yeux de Forneus avaient bougé.

« Vous ne le ressentez peut-être pas maintenant, mais quand vous vieillirez, quand les rides raviront votre visage, quand des lignes strieront votre front lorsque vous serez plongé dans vos pensées, quand l’agonie sera comme un torchon enflammé sur vos lèvres, vous finirez sûrement par y croire. »

Kuroka hocha la tête en signe de compréhension.

« Qu’est-ce qui se passe, Kurosuke ? » chuchota Shax.

« Il prononce les paroles d’un opéra », répondit Kuroka en chuchotant. « C’est une histoire qui s’appelle Le portrait de Yarg Nirod. C’est assez célèbre. »

C’était apparemment une histoire sur l’amour et la haine d’un sorcier qui avait obtenu l’immortalité. Les oreilles humaines de Kuroka rougirent un peu lorsque Shax approcha son visage pour lui chuchoter, mais elle feignit le sang-froid. Malgré la situation, elle sentit un frisson lui parcourir l’échine à cause de l’agréable sensation de chatouillement contre son oreille.

« Un opéra ? » chuchota Shax après s’être éclairci la gorge. « Pourquoi connais-tu ce genre de choses ? »

Compte tenu de la vie que Kuroka avait menée jusqu’à présent, elle n’aurait pas dû avoir le loisir d’apprécier de telles choses. L’opéra de Liucaon était censé être très différent de celui du continent.

« À l’époque où j’étais du côté obscur de l’Église, l’un de mes collègues m’a recommandé un livre pour tuer le temps lorsque nous n’étions pas en mission. Il était basé sur un opéra. »

Shax hocha la tête en signe de compréhension. Les opéras n’étaient pas très répandus dans la population en général, mais des transcriptions d’opéras circulaient pour les riches. La plupart des riches savaient lire et écrire, alors pour l’Église, qui était capable d’imprimer des livres pour les distribuer en masse, ils représentaient une importante source de revenus. De tels livres étaient également distribués aux églises pour répandre leur contenu. Shax n’avait jamais eu le temps d’en lire, mais lors de son affectation à l’église de Kianoides, il avait vu des patients en lire. Il n’était pas étrange que le côté obscur de l’Église en possède aussi quelques exemplaires.

Quoi qu’il en soit, pourquoi cette conversation détournée ?

Shax réfléchit à la question et se rappela ce dont Andrealphus l’avait mis en garde avant cette mission.

« Forneus est un énergumène d’une tout autre manière que Naberius. La plupart du temps, je n’arrive pas à comprendre ce qu’il dit. Il est apparemment affligé d’une malédiction gênante. »

Plus un sorcier vivait longtemps, plus il avait de chances d’être impliqué dans une malédiction. Même Shere Khan avait fait des recherches sur les malédictions avant que Marchosias ne le rende infirme. Il y avait donc une possibilité qui lui vint à l’esprit.

« Je suppose que… vous ne pouvez rien dire qui n’ait été écrit par d’autres ? »

Si sa bouche n’était pas fonctionnelle, il pouvait écrire des choses. Un Archidémon serait aussi naturellement capable de télépathie. Néanmoins, il avait choisi cette méthode de communication. C’était une bonne supposition.

« Nous souffrons précisément à cause de ce que les cieux nous ont accordé », dit Forneus en tournant ses yeux verts vers Shax. « Nous souffrons plus que tous les autres. »

Il était comique pour un Archidémon de parler de ciel et de dieux, mais il s’agissait vraisemblablement d’une affirmation.

« Je vois… J’aimerais bien avoir un dictionnaire ou quelque chose comme ça », dit Shax, complètement désemparé par cette situation difficile.

« Ce serait bien », acquiesça Kuroka. « Je ne connais pas non plus bien l’opéra… »

« Le fait de suggérer à quelqu’un de lire est soit dénué de sens, soit malveillant, » déclara Forneus solennellement.

Kuroka et Shax avaient échangé un regard.

« Je comprends un peu ça », dit Shax. « Nous n’avons pas besoin d’un dictionnaire ou autre… n’est-ce pas ? »

Forneus ne l’avait ni confirmé ni infirmé. Shax commençait à comprendre comment interagir avec cet homme. Il posa une main sur son genou et redressa son dos.

« Permettez-moi d’aller droit au but », dit-il. « Notre patron — l’Archidémon Zagan — veut votre pouvoir et votre sagesse. Pouvons-nous obtenir votre coopération ? »

Forneus posa ses deux mains sur le haut de sa canne, réfléchit un instant, puis ouvrit la bouche pour parler.

« Le seul malheur est de devoir payer un nombre incalculable de fois pour une seule erreur. En vérité, il faut payer encore et encore. Ce qu’on appelle le destin ne ferme jamais son grand livre à l’humanité. »

Shax et Kuroka furent une fois de plus contraints au silence. Ses paroles ne pouvaient pas être littérales, mais elles étaient tout de même troublantes venant d’un Archidémon.

« Hmm, ça veut dire que vous avez un prix… ? » s’aventura Shax.

Forneus ne répondit rien pendant un moment, apparemment perdu au fond de ses pensées.

« Tout ce que je veux, c’est observer la vie », finit-il par répondre. « Si vous voulez bien, regardons-la ensemble. »

Encore une réponse inintelligible.

« Vous… voulez aller quelque part ? » demanda Shax, dont le visage commençait à se crisper.

Forneus ne montra aucun signe de mouvement.

Si aller quelque part n’est pas le but, alors « observer » est le mot clé ici.

Que voulait-il observer ? L’Archidémon bizarre resta silencieux, ne montrant aucune indication sur la justesse de la réponse de Shax.

Patron. Cette mission me dépasse largement…

Toujours face à l’Archidémon qui ne bougeait pas et ne parlait pas, Shax et Kuroka ne savaient plus trop quoi faire.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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