Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 13 – Chapitre 2

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Chapitre 2 : Le coup d’envoi d’une bataille doit être éclatant

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Chapitre 2 : Le coup d’envoi d’une bataille doit être éclatant

Partie 1

Un poste de commandement pour l’armée des Nephilims avait été installé dans la grande prairie située à plusieurs dizaines de kilomètres à l’ouest de Kianoides. L’armée était composée de héros des temps passés, mais à en juger par leurs patrouilles nocturnes, ils avaient besoin de repos comme tout le monde.

Le lieutenant commandant Senju se versa une tasse de café dans la tente principale. Malgré son titre, il était encore un jeune homme d’une trentaine d’années. Bien qu’évidemment, le concept d’âge n’ait pas vraiment de sens pour ce groupe. Il était de toute façon mort à l’âge de trente-cinq ans.

« Voilà, Capitaine Gariel… Oups, je suppose que je devrais t’appeler commandant Gariel maintenant. »

Le commandant qui fixait une carte d’un air renfrogné était censé avoir le même âge que Senju, mais paraissait un peu plus vieux. C’était probablement parce qu’il était mort à une date bien plus tardive.

« Appelle-moi simplement Gariel, comme avant. Si tu m’appelles commandant Gariel après tout ce temps, je vais me sentir agité comme si j’avais un couteau dans le dos à tout moment, » répondit le commandant d’un ton déconcerté alors que Senju lui tendait la tasse de café, un sourire en coin. « Quand je pense que je vais devoir refaire équipe avec toi après ton décès. »

« Ça me choque aussi… Tu as bien gagné la bataille après m’avoir utilisé comme un pion sacrificiel, non ? »

« Je l’ai fait… lors de ce combat, en tout cas. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Senju, en rétrécissant fortement son regard.

« Azazel est un dieu… Le vaincre une ou deux fois n’a pas suffi à le détruire vraiment, » répondit le commandant en prenant une gorgée de son café et en grimaçant. « Lors de la deuxième bataille, nous avons perdu deux rois aux yeux d’argent. Lors de la troisième, nous n’avions pas de Roi aux yeux d’argent. Moi, Bato, et tous les autres sont morts. »

« Mais le monde est toujours intact. »

« Ouais… Marchosias et Alshiera ont probablement compris quelque chose. Je parie qu’ils ont aussi payé une sorte de prix insondable. »

Le Marchosias que Senju connaissait était le genre d’homme qui traitait la vie humaine comme une dépense pour atteindre son objectif sans ménagement. Il était bien plus désespéré de sauver le monde que n’importe quel autre. C’est pourquoi tout le monde l’avait suivi, même s’il était inhumain. Il aurait sûrement jeté sa propre vie sans se plaindre afin d’assurer l’avenir. Ce dieu terrifiant n’existait plus dans ce monde, après tout. C’est pourquoi Senju et le commandant avaient agonisé sur ces faits.

« Alors, contre quoi exactement devrions-nous nous battre, les dieux étant partis ? » murmura le commandant.

Senju avait été ressuscité par l’un des Archidémons de cette génération, Shere Khan. Puis, on lui avait ordonné d’anéantir la ville de Kianoides.

« D’après les éclaireurs, Kianoides est une ville normale et vivante, » rapporta Senju. « Il n’y a pas plus de cent cinquante chevaliers qui y sont stationnés. Des gens appelés sorciers vont et viennent tout le temps, mais la plupart des habitants sont des civils ignorants et innocents. »

Le commandant avait poussé un long soupir et avait répondu : « Dire que nous, qui avons risqué notre vie pour protéger le monde, devions massacrer des civils aussi innocents. »

Ceux qui étaient rassemblés ici étaient des héros qui avaient combattu et étaient morts pour la même cause. Pas un seul ne serait heureux d’obéir à un ordre aussi absurde.

« Alors ? Qu’est-ce que tu comptes faire ? » demanda Senju.

Il n’y avait pas de cause juste ni de droiture dans ce combat. Ils ne comprenaient pas ce que Shere Khan pensait, mais il ne semblait pas que cette bataille était destinée à protéger quoi que ce soit. Peut-être qu’un ennemi inhumain se cachait dans cette ville, mais ce n’était toujours pas une raison pour massacrer les citoyens.

« Pour l’instant, nous n’avons pas d’autre choix que d’obéir, » déclara le commandant. « Tu as vu ce qui est arrivé à ceux qui l’ont défié, non ? Nous allons donc faire semblant de suivre les ordres et attendre la bonne occasion. »

« Eh bien, je suppose qu’il n’y a pas d’autre moyen. »

Cependant, cela signifiait qu’ils ne pouvaient pas éviter d’abattre des civils irréprochables.

« Haaah… Si ça devait finir comme ça, j’aurais préféré ne pas être promu, » dit le commandant avec un sourire amer. « Faisons de notre mieux pour limiter au maximum le nombre de morts. Tant pour nos ennemis que pour nos alliés, évidemment. »

« Tu te souviens m’avoir ordonné de mourir au combat, n’est-ce pas ? »

« Cette fois, je ne te laisserai pas mourir. Cette fois… tu reviendras en vie. »

Malgré son cynisme, Senju n’était pas si mécontent de la situation. Au moins, Gariel s’occupait mieux de ses subordonnés que Bato. Bato était un stratège talentueux, mais son mode de pensée reflétait étroitement celui de Marchosias, de sorte que même si ses stratégies fonctionnaient presque toujours, elles impliquaient souvent de nombreux sacrifices. Senju n’avait pas l’intention de mourir comme un chien ici. Garder ses ennemis et ses alliés en vie serait une tâche assez ardue, mais ça en valait la peine.

« Si nous ne tuons pas nos ennemis, alors Sir Kongo ne prendra pas les devants, » dit Senju. « Sa lame hex peut même traverser les dimensions pour abattre ses ennemis, elle est donc incapable de faire l’équivalent d’une frappe avec le dos de la lame. »

« Le roi de l’épée ? C’est pour cela que je lui ai demandé de garder notre quartier général. Il le comprend lui-même, alors il ne s’est pas plaint. »

Kongo était un maître épéiste de leur génération qui avait reçu le titre de Roi de l’épée. Il n’avait pas été choisi par les Lames Séraphiques, mais on disait qu’il surpassait même le Roi aux Yeux d’Argent en compétences. Quiconque voyait son armure dorée, ornée de l’emblème héroïque d’un aigle, croyait en sa victoire inévitable. Cette même armure était toujours en parfait état, ce qui faisait ressentir à Senju un soupçon de pitié pour leurs ennemis. Cette armée entière était composée de héros ressuscités. C’était les élites qui s’étaient battues jusqu’au bout, même après avoir appris qu’elles affrontaient un dieu.

« Gariel… Est-ce que ça te semble trop calme ? » demanda Senju, ressentant un soudain sentiment de malaise.

« Hm… ? Maintenant que tu le dis, c’est le cas. »

C’était le milieu de la nuit, mais il y avait encore des soldats en patrouille. Ainsi, il était bien trop anormal de n’entendre aucune voix, sans parler de l’absence du moindre bruit de pas d’individus en armure.

Des cavaliers… ? pensa Senju. Ils avaient installé un campement militaire, alors une ou deux attaques ennemies n’étaient pas inattendues. Il se tourna vers la sortie de la tente.

« Gariel, je vais aller jeter un coup d’œil. Tu t’assures de garder… ? »

Même après avoir appelé le commandant, il n’avait reçu aucune réponse. Senju s’était retourné et était resté sans voix. Le commandant à qui il venait de parler n’avait plus de tête. Une seconde plus tard, une fontaine de sang avait jailli du corps décapité.

« Gariel !? »

Alors qu’il tentait de se précipiter vers le commandant tombé, Senju avait ressenti un effroyable frisson et avait fait un bond en arrière. Immédiatement après, un bras s’était glissé hors de l’espace qu’il venait d’occuper.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce ce qui a tué Gariel ?

Cependant, le bras semblait bien trop faible pour trancher une tête humaine. Jugeant que l’attaque-surprise avait échoué, un corps l’avait suivi à l’air libre.

« Tch… Quelle douleur dans le cul ! N’esquive pas, bon sang. »

C’était un homme à l’air sombre, aux cheveux ébouriffés et au teint maladif. De grandes poches pendaient sous ses yeux, tandis que de nombreuses amulettes pendaient à son cou, s’entrechoquant lorsqu’il bougeait.

Est-ce un sorcier ? pensa Senju en gardant son épée à portée de main, en se repliant et en sautant hors de la tente.

« Attaque ennemie ! » Il avait crié pour attirer l’attention, mais il avait soudainement glissé. Il n’avait pas plu, pourtant le sol était humide. Avant que Senju ne puisse se demander pourquoi, une odeur horrible assaillit son nez, provoquant une envie de vomir.

C’était une odeur à laquelle il s’était habitué au cours de sa vie — l’odeur du sang. Il avait ensuite vu ce qui l’entourait. Partout où il regardait, des soldats étaient immobiles sur le sol. Il n’y avait pas besoin de vérifier s’ils étaient vivants.

Ils avaient été anéantis. Senju pouvait dire qu’il était le seul à respirer encore ici. De plus, il y avait une chose incroyable parmi les corps — une armure dorée gravée d’un emblème d’aigle. C’était le symbole de l’épéiste le plus fort. Cette armure, tachée de sang, avait aussi une tête en moins.

« Impossible. Même Sir Kongo… ? »

« Désolé pour ça. Je ne voulais pas que ce soit un tel massacre, mais c’est comme ça que les choses ont tourné, » dit le sorcier en sortant de la tente. Senju avait tremblé de peur. Même l’homme qui avait été sans aucun doute le plus fort de leur génération, doté de la Lame Hex, n’avait aucun moyen de faire face à ce sorcier. Senju pâlit lorsque l’homme lugubre le regarda avec pitié.

« Pas besoin de se pisser dessus. En fait, j’ai de la sympathie pour vous, trous du cul. Je vais au moins m’assurer que tu ne sentiras rien quand je te tuerai. »

La sueur avait éclaboussé la prise de Senju sur son épée. Même le Roi de l’Épée avait été vaincu par ce sorcier sans même pouvoir hausser la voix. Non seulement cela, mais tous les soldats présents avaient été massacrés sans que personne ne s’en aperçoive. Senju ne pensait pas que même les séraphins de l’âge du premier Roi aux yeux d’argent étaient capables d’un tel exploit.

Aaah, c’est le même sentiment qu’à l’époque…

Lorsque Senju était mort pour la première fois, il avait eu l’impression qu’un couteau était constamment sous sa gorge… et il pouvait maintenant sentir la mort juste devant lui, tout comme à l’époque. Senju avait pris une petite inspiration. S’il était du genre à s’asseoir et à se laisser tuer, il n’aurait pas envisagé de défier un dieu au combat il y a mille ans. Peu importe à quel point les choses semblaient désespérer, ces héros étaient ceux qui se battaient toujours jusqu’au bout.

« Ne me rabaisse pas, » dit Senju. « Même si je ne suis pas de taille pour toi, je peux au moins t’entraîner en enfer avec moi. »

« Je ne rabaisse aucun d’entre vous. Vous êtes vraiment des héros, » répondit l’homme. Malgré son énorme pouvoir, le sorcier ne montrait aucune fierté ou insouciance. « C’est pourquoi je ne peux pas vous laisser combattre la pleurnicharde. Je n’ai pas de rancune envers vous, et je vous trouve tous sacrément étonnants, mais vous allez devoir mourir ici. »

Rien de ce qu’il disait n’avait de sens, mais Senju pouvait quand même comprendre. Cet homme avait quelque chose qu’il devait protéger. Il était le même qu’eux il y a mille ans. C’est ce qui le rendait fort. C’est pourquoi il ne pouvait pas se permettre de perdre.

« Tu vas affronter le capitaine de l’armée d’argent Senju Kanno. Prépare-toi ! »

« Barbatos, le Purgatoire. Je serai le prochain Archidémon. »

 

 

Le sorcier avait balayé son bras dans l’air vide. C’est la dernière chose que Senju avait vue. L’instant d’après, toute sa vision était devenue rouge.

Que s’est-il passé ?

Il ne pouvait pas respirer. Il ne pouvait pas voir. Il ne pouvait pas entendre. Pourtant, étonnamment, il ne ressentait aucune douleur. Et alors que sa conscience s’effaçait, il s’était rappelé la vue de Gariel sans tête.

Maintenant que j’y pense, où est passée sa tête… ?

Jusqu’à la fin, Senju n’avait pas réalisé que sa tête avait été envoyée juste à côté de celle de Gariel.

***

Partie 2

« — »

Juste au moment où Barbatos avait assassiné les officiers, une chanson avait résonné dans le campement militaire de Shere Khan. Il n’y avait pas de mots. C’était une mélodie faite entièrement de sons. Cet air magnifique, mais mélancolique, avait un charme inquiétant qui faisait que tous l’écoutaient involontairement. L’un des patrouilleurs avait même instinctivement laissé échapper un soupir.

« Est-ce que c’est… en train de chanter ? Quelle belle voix ! »

« Nous sommes assez loin de la ville. D’où vient-il ? »

« Une bataille est sur le point de commencer. Quelqu’un est probablement en train de se plonger dans la sentimentalité de la situation. »

Les soldats de Shere Khan étaient vraiment dix mille. Entre un tiers et la moitié d’entre eux étaient des femmes, il n’aurait donc pas été étrange qu’une ou deux d’entre elles se mettent à chanter.

« Tu as raison. On dirait un requiem. C’est beau, mais aussi un peu déprimant. »

Ils avaient l’impression que quelque chose se pressait sur leur cœur en entendant cette triste chanson. Peut-être était-ce un désir de repentir. Un désir de se repentir du fait qu’ils avaient dû tuer des innocents. Réveillés par la chanson, plusieurs soldats étaient sortis de leurs tentes.

« On dirait que vous êtes aussi tous curieux du chant, » leur déclara le patrouilleur.

« Ouais… Quelle belle chanson… ! »

Le patrouilleur fronça les sourcils. Les soldats qui sortaient des tentes avaient tous le regard perdu… et il ne semblait pas que ce soit simplement parce qu’ils venaient de se réveiller.

« H-Hey, vas-tu bien ? » avait-il demandé.

« Elle m’appelle. »

« Qu’est-ce que tu es — ! »

Le patrouilleur avait tendu la main pour secouer les épaules de l’autre homme, mais il avait été obligé de faire un bond en arrière. L’autre homme avait soudainement sorti son épée.

« Elle m’appelle ! » hurla l’homme délirant en balançant son épée avec frénésie. « Il faut que j’y aille ! »

« Gh ! Qu’est-ce qui se passe ? Peu importe. Tenez-le ! »

Les soldats restants s’étaient réveillés en entendant la voix du patrouilleur. Ils s’étaient précipités hors de leurs tentes pour immobiliser l’homme frénétique.

« Laissez-moi partir ! Laissez-moi partir ! »

La force du soldat déchaîné était anormale. Il avait balancé tous les autres qui avaient essayé de le retenir avec une facilité déconcertante.

« Qu’est-ce qui se passe ici !? » avait crié un soldat.

« Je ne sais pas ! Mais ne le tuez pas ! » ordonna le patrouilleur.

Parmi les charmes que les séraphins utilisaient dans le passé, il y avait un cas malicieux qui pouvait répandre la mort lorsque la victime était tuée. Leurs jouets réagissaient après tout de manière amusante quand cela arrivait. De plus, s’ils le tuaient, ils ne seraient pas en mesure de l’interroger. Ils devaient le garder en vie et découvrir ce qui se passait. Tel était l’ordre, mais…

« Hrk !? »

Une épée s’était enfoncée dans la gorge du soldat déchaîné. Celui qui l’avait fait était l’autre soldat de la patrouille.

« C’est quoi ce bordel ? Pourquoi l’as-tu tué ? »

Lorsque le patrouilleur avait essayé de saisir l’épaule du tueur, il avait finalement remarqué l’anomalie.

Qui est-ce… ?

Le soldat qui patrouillait avec lui était soudainement devenu quelqu’un d’inconnu.

« Oh, allez, » dit l’inconnu avec un sourire. « Quel genre de question est-ce là ? C’est tuer ou être tué, non ? »

« Un intrus ! » Le patrouilleur était instantanément arrivé à cette conclusion et avait crié. Les autres avaient immédiatement réagi. Cependant, l’intrus n’avait pas essayé de s’enfuir ou de se battre. Au lieu de cela, il avait imprudemment plongé au milieu de tous les soldats. Cette action inattendue avait fait tomber plusieurs soldats sur le sol. Après cela, tout le monde s’était figé sur place.

« Hé, qui a fait ça… ? »

L’intrus était introuvable.

Est-il parti… ? Non ! Il fait semblant d’être quelqu’un d’autre !

Quatre des soldats qui étaient tombés au sol se sont relevés, mais personne n’avait eu le temps de chercher le coupable.

« Je dois me précipiter à ses côtés ! »

Le soldat mort n’avait pas été le seul à devenir fou. Au contraire, en regardant autour de lui, le patrouilleur avait entendu des cris similaires venant de partout. Il semblait que cette attaque avait lieu dans tout le campement. La folie soudaine parmi les soldats causait déjà de nombreuses pertes, et il y avait même un intrus parmi eux qui manœuvrait dans l’ombre.

« C’est l’œuvre de l’intrus ! Trouvez-le ! » cria le patrouilleur.

« Qui est-ce ? »

« Je ne sais pas ! Il fait semblant d’être l’un des nôtres ! »

Plusieurs cris avaient circulé, mais cela n’avait fait qu’étendre le chaos. La connaissance d’un intrus avait été faite, ce qui avait conduit les soldats sains d’esprit à croire que cette folie était de leur fait. Cependant, l’intrus se faisait passer pour l’un d’entre eux.

« Comment sommes-nous censés trouver quelqu’un comme ça !? »

Malgré la rage du patrouilleur, l’intrus continuait à apparaître ici et là, abattant ses camarades et disparaissant à chaque fois.

Qu’est-ce que c’est que ce… ? Est-ce qu’il me provoque ?

L’intrus découpait les gens, mais la plupart des victimes respiraient encore. Beaucoup d’entre elles n’avaient subi que des égratignures mineures, pour une raison inconnue.

Peut-être que le temps qu’il pouvait passer à imiter un autre était limité d’une certaine manière, mais il n’y avait toujours pas besoin pour lui d’essayer de se démarquer. Avec le chaos actuel, il aurait été plus simple de s’éclipser une fois que personne ne saurait plus qui il était.

« Merde ! C’est une diversion ! Ne vous laissez pas tromper ! C’est un leurre ! »

Plus il y avait de cris, plus le chaos se répandait. Tuer des gens répandrait la peur, mais cela permettrait aussi de garder les gens sur leurs gardes et de maintenir le chaos au minimum. En d’autres termes, l’intrus essayait de dissimuler quelque chose d’autre en attirant l’attention sur lui. Dans ce cas, que cachait-il ? Le patrouilleur trouva immédiatement la réponse.

La chanson !

Le requiem résonnait encore dans le campement. En y repensant, tout avait commencé avec cette mélodie. Cependant, personne autour de lui n’était assez calme pour prêter attention à ses ordres.

Je vais devoir le faire moi-même !

Tous les Nephilims ressuscités par Shere Khan étaient des héros du passé. Le patrouilleur possédait également une force et un esprit qui ne feraient pas honte à un tel titre. Ainsi, il s’élança seul vers la source du chant, sûr de sa victoire. Après avoir couru pendant un certain temps, il est arrivé à un lac au milieu de toutes les tentes. Le campement avait été installé ici pour utiliser le lac comme source d’eau, c’était donc naturel. Il y avait une fille au bord du lac. Elle semblait avoir dix-sept ou dix-huit ans, pas encore assez âgée pour être considérée comme une femme. Ses beaux cheveux bleus, longs jusqu’à sa taille, se balançaient tandis qu’elle restait assise sur un rocher et continuait innocemment sa chanson. Il pouvait dire ce qu’elle était grâce aux nageoires caractéristiques qu’elle avait à la place des oreilles.

Une sirène… ?

Éclairée par la demi-lune, sa silhouette semblait anormale. D’abord, elle n’avait pas de bras. Enfin, elle en avait, mais les longues manches de son manteau l’attachaient entièrement avec des ceintures et des chaînes. Les ceintures avaient des symboles sinistres gravés sur leur longueur, tandis qu’un énorme cadenas pendait sur sa poitrine comme s’il les retenait toutes ensemble. Pour être franc, ça ressemblait à une sorte de camisole de force.

« Une fille… ? Est-ce vous qui êtes responsable de ce chaos !? »

Quand il avait crié, la fille avait finalement réalisé qu’il était là et avait ouvert les yeux. Des pupilles bleues de la même couleur que ses cheveux l’avaient regardé. Même si le patrouilleur avait positionné son épée, elle avait continué sa chanson.

« Je ne veux pas abattre une fille, mais je n’ai pas le choix ! Préparez votre — ! »

Le soldat brandit son épée, mais soudain, il ne sent plus la poignée dans sa main.

« Désolé. Je l’ai empruntée. Tu ne peux pas la toucher. »

L’épée qui aurait dû être dans sa main était en quelque sorte plantée dans la poitrine du patrouilleur.

« Gah… Hak… »

Et sans même comprendre ce qui s’était passé, il avait péri.

 

Le soldat s’était effondré avec un bruit sourd.

« Hmph. Il a flairé cet endroit assez rapidement. Je suis sûr que le gars avait du talent. »

Barbatos comprenait maintenant que chaque soldat ici était une élite. Il serait dangereux, même pour un sorcier de premier ordre, de les affronter de front. Avec cette pensée en tête, il laissa échapper un gémissement.

« Alors, attends ! Est-ce que je suis vraiment si fort… ? »

Si oui, pourquoi se faisait-il toujours frapper par Zagan et bousculer ? Barbatos faillit lâcher un long soupir, mais il n’avait d’autre choix que de continuer avec le siège d’un Archidémon qui pendait devant lui. La fille dans la camisole de force le fixait tandis qu’il râlait pour lui-même.

« Oh, ne fais pas attention à moi. Continue à chanter. Je n’ai pas encore atteint la moitié de mon quota. »

En entendant cela, la jeune fille avait hoché la tête et s’était remise à chanter son Chant Hex.

Une sirène aux cheveux bleus… Est-ce la parente de Zagan et de l’autre sirène ?

Pour commencer, les sirènes étaient déjà une espèce rare, mais les spécimens aux cheveux bleus étaient particulièrement rares. Peut-être qu’ils étaient liés d’une manière ou d’une autre. Cela n’avait rien à voir avec Barbatos, mais cela avait piqué son intérêt.

« Levia ! » Une voix les interpella peu après que Barbatos ait achevé le soldat qui s’approchait de la jeune fille. Un homme étrangement habillé avait couru vers eux. Il portait une robe typique, mais avait plusieurs ceintures de cuir épaisses enroulées autour de son visage. D’après l’infime partie d’un œil rouge à peine visible à travers les interstices, on pouvait au moins l’identifier comme étant quelque peu humain.

Barbatos n’avait aucune idée de son physique, mais sa voix était celle d’un jeune homme. Le corps de la fille était couvert de liens, tout comme le visage de l’homme. Celui-ci était Behemoth, tandis que la fille était Léviathan. Zagan avait prêté ces deux sorciers à Barbatos. En voyant Léviathan fredonner son Chant Hex, Behemoth poussa un soupir de soulagement.

« Barbatos, l’avez-vous protégée ? » avait-il demandé.

« Je rends toujours ce que j’emprunte. Il est hors de question que je vous rende tous les deux cassés. »

Si Zagan avait entendu Barbatos dire ça, il aurait probablement volé avec Pas de l’Ombre pour le frapper au visage.

« Je pensais que vous étiez un homme plus égoïste, » dit Behemoth avec un air surpris. « Permettez-moi de m’excuser. »

« Hah? Les sorciers sont égoïstes par nature. Qu’est-ce que tu racontes ? »

« Ha ha. Alors, restons-en là, » déclara Behemoth en souriant, peut-être sous le coup d’un malentendu. Après cela, son œil rouge se dirigea vers le bras de Barbatos. « Dire que vous avez été blessé. Il devait être très habile. »

Ce n’est qu’alors que Barbatos remarqua le sang qui coulait sur son bras droit.

***

Partie 3

« Oh. Nan, quelqu’un d’autre a fait ça. Le commandant ici avait un connard en armure dorée flashy pour le protéger. C’est lui qui m’a frappé. »

« Je suppose que s’ils visent le moment où vous sortez de l’ombre, même vous pouvez être blessé, hein ? » commenta Behemoth avec un hochement de tête compréhensif.

« Non, j’ai été coupé alors que j’étais dans l’ombre, » dit Barbatos en secouant la tête. « Honnêtement, ça m’a foutu la trouille. À cause de ça, je me suis retrouvé à devoir les massacrer tous. »

Barbatos aurait pu se contenter d’assassiner le commandant et son lieutenant, mais il avait été détecté par l’homme en armure dorée. Il n’aurait jamais pensé qu’une épée l’atteindrait à l’intérieur des ombres, alors ça l’avait plutôt secoué. Et par conséquent, il avait fini par devoir tuer jusqu’au dernier d’entre eux.

« Il vous a coupé à l’intérieur de votre ombre… ? » demanda Behemoth, incrédule. « Était-il vraiment plus fort qu’un Archange ? »

« Qui sait ? Les archanges sont apparemment de toutes sortes. »

Barbatos avait eu l’impression que tous les Archanges étaient à peu près aussi forts que Chastille, mais ce n’était pas du tout le cas. Ils avaient un système de classement basé sur la force individuelle. Les plus faibles d’entre eux n’étaient pas beaucoup plus forts que le chevalier angélique moyen. D’un autre côté, Barbatos n’était pas sûr de pouvoir tuer les hauts gradés comme Raphaël. Si l’on prend la moyenne, alors le gars à l’armure dorée était, en fait, plus fort.

En termes de compétences pures, oubliez la moyenne, il aurait pu être meilleur que la pleurnicharde…

Le pouvoir de couper Barbatos dans l’ombre provenait probablement de son arme, mais la capacité à le sentir avait certainement été une pure compétence de la part de l’homme. Aucun chevalier de cette génération ne pouvait l’égaler, ce qui rendait d’autant plus fortuit le fait que Barbatos l’ait tué.

« Oh… Mais je suppose qu’il y a aussi cette fille chatte chez la pleurnicharde. »

Il parlait, bien sûr, de Kuroka. La technique d’assassinat de Barbatos consistait à ouvrir le sous-espace juste au-dessus du cou de sa cible et à le refermer. Dans de bonnes conditions, il pouvait même tuer des Archidémons. C’était l’arène de Barbatos. L’une des principales raisons pour lesquelles il pouvait massacrer unilatéralement les héros, qui surpassaient probablement les Archanges, était qu’ils ne comprenaient pas vraiment la sorcellerie.

Kuroka, d’un autre côté, ne connaissait que trop bien les sorciers. Assez bizarrement, cette fille était spécialisée dans la mise à mort des sorciers. Ses épées ne pourraient probablement pas atteindre Barbatos dans l’ombre, mais contrairement à ces types, elle serait capable d’esquiver au moment où il tenterait de la décapiter et de contre-attaquer. S’ils se battaient, il serait traîné hors de son arène. De plus, elle était stupidement douée avec une épée. Barbatos craignait le plus d’avoir à combattre sérieusement Zagan, mais Kuroka venait juste après.

Bref, cette blessure guérit très lentement.

Ce n’était pas si profond, mais la sorcellerie n’avait pas beaucoup d’effet sur elle. S’il n’arrêtait pas au moins l’hémorragie, l’odeur et les traces de sang pourraient le trahir. Les soldats ici étaient après tout tous des élites au-delà de la moyenne des chevaliers angéliques. Ainsi, Barbatos arracha un morceau de tissu et enveloppa sa blessure tandis que Behemoth courait vers Levia et posait sa main sur sa joue.

« Levia, ne te force pas, d’accord ? » dit-il en tournant un regard galant vers elle. « Si tu es fatiguée, fais une pause. »

Behemoth se comportait comme s’il manipulait le plus fragile des trésors. Cela avait piqué la curiosité de Barbatos.

« Vous vous connaissez depuis longtemps ? » avait-il demandé.

« Hm ? Voyons voir… Cinq cents ans, je crois ? » répondit Behemoth.

« Cela ne fait que 498 ans, » corrigea Levia, sa voix sonnant comme un carillon de cristal. Elle avait arrêté sa chanson et s’était appuyée contre l’épaule de Behemoth.

« Tu as raison. Donc ça ne fait toujours pas cinq cents ans…, » dit Behemoth en lui caressant doucement les cheveux.

Cinq cents ans ? Cela ne fait-il pas d’eux de grands sorciers ? pensa Barbatos en gémissant.

Les sorciers gagnaient en puissance proportionnellement aux connaissances qu’ils accumulaient. Ainsi, dans leur monde, l’accumulation de connaissances était identique à l’accumulation de temps. Même l’Enchanteresse Gremory n’avait que cinq cents ans. Le plus jeune Archidémon avant Zagan venait d’atteindre les 300 ans en ce moment. Même à un rythme plutôt lent, cinq cents ans étaient suffisants pour atteindre le territoire des Archidémons.

Ces deux-là possédaient en effet une puissance terrifiante. Le Chant Hex de Levia avait envoûté une armée de dix mille personnes, tandis que Behemoth avait combattu des soldats d’élite qui pouvaient même blesser Barbatos sans en tuer la plupart. Zagan n’avait pas menti lorsqu’il les avait qualifiés de talentueux.

Cela ne s’appliquait pas seulement à ces deux-là. Shax était un sorcier si doué que Barbatos se demandait souvent comment il pouvait ne pas avoir de surnom. En fait, de nombreux sorciers terrifiants sans second nom travaillaient pour Zagan. Comment Barbatos pouvait-il ne pas être curieux à leur sujet ? Le siège de l’Archidémon étant à sa portée, cela le dérangeait d’autant plus.

« Vous ne vous souciez pas de construire vos réputations ? » demanda Barbatos.

« Hm ? Oh… Notre raison de vouloir le pouvoir est un peu différente des autres sorciers, » répondit Behemoth.

« Que veux-tu dire ? »

Behemoth s’était arrêté un moment, touchant une fois de plus la joue de Levia. Il avait un regard nostalgique, mais sombre dans ses yeux alors qu’il donnait sa réponse.

« Levia et moi avons eu une… malédiction gênante lancée sur nous lors d’un certain incident. Nous sommes devenus sorciers afin de la dissiper. »

« Une malédiction, hein ? Eh bien, ce n’est pas bon… »

Il y a plusieurs mois, Barbatos avait été témoin de l’incident avec Decarabia/Stella sur cette île inhabitée. Il y avait également eu le cas de Zagan se transformant en enfant — ce qui était pour le dire franchement hilarant. Chaque cas n’était pas dû à la sorcellerie et s’accompagnait d’une étrange étrangeté qui violait leur être même depuis leurs racines.

Behemoth défit un peu les liens sur son visage, révélant ce qu’ils cachaient en dessous. Sa peau était densément couverte d’épais poils.

« Un Therianthrope… ? Non… qu’est-ce que tu es ? » demanda Barbatos.

« Qui sait ? Moi, certainement pas. J’ai apparemment un peu de vache, d’éléphant et même de cheval en moi. Je ne peux même pas voir par moi-même, » dit-il. L’homme était probablement une sorte de chimère. Barbatos grimaça tandis que Behemoth poursuivait : « Nous avons été transformés par cette malédiction. Je deviens comme ça la nuit, tandis que Levia se transforme le jour. Lorsque nous nous transformons, nous oublions qui nous sommes et ne pouvons plus communiquer. »

« Alors vous êtes devenus sorciers pour dissiper ça ? »

Levia avait hoché la tête, puis avait murmuré : « Mais… tout cela n’a servi à rien. »

« Nos cinq cents ans de travail se sont terminés en vain, » ajouta Behemoth. Cependant, bizarrement, ils avaient tous les deux une forme humaine à présent et pouvaient parler, aussi étranges soient-ils. « C’est pourquoi notre pouvoir n’est qu’une sorte de bonus secondaire. Nous n’avons pas acquis la force parce que nous le voulions. Ce n’est pas du tout ce que nous recherchions. »

Cinq cents ans. À vingt et un ans, Barbatos ne pouvait même pas imaginer une telle durée. Ce fait était inconnu de Barbatos, mais même l’Archidémon Furcas avait été écrasé par une telle durée et avait oublié ce qu’il cherchait. Pourtant, pour une raison inconnue, Barbatos se sentait en affinité avec ces deux-là.

« Comment mettre cela… ? Vous n’avez pas eu peur ? » Il le leur avait demandé. « C’était il y a 500 ans, ouais ? Et vous ne pouviez même pas vous parler ? Avant ça, ne vous êtes-vous pas demandé si vous vous souveniez l’un de l’autre ? Vous avez vécu dans des lieux et des temps différents, après tout… »

Pour une raison inconnue, Barbatos s’était rappelé le visage de cette fille stupidement sérieuse.

Ah, oui. Les sorciers et les chevaliers angéliques vivent aussi dans des lieux et des temps différents…

Behemoth et Levia avaient échangé un regard, puis avaient répondu comme s’ils n’avaient pas besoin de réfléchir sérieusement à sa question.

« Malgré tout, nous voulions nous revoir, » avaient-ils répondu à l’unisson.

La différence entre eux et Furcas, c’est qu’ils s’étaient cherchés l’un et l’autre. Même si l’un d’eux était sur le point d’abandonner, ils étaient restés forts et avaient enduré tant que l’autre croyait en cette possibilité. En agissant ainsi, ils avaient vécu cinq cents ans, même si tout semblait avoir été vain.

« Parce que vous vouliez vous voir… Est-ce une raison suffisante… ? » murmura Barbatos.

« Je ne sais pas pour qui vous posez cette question, mais c’est le cas pour nous, » dit Behemoth. « C’est pourquoi nous continuerons à vivre jusqu’à ce que nous puissions nous revoir correctement. »

Barbatos ne savait même pas pour qui il avait demandé cela, mais ces mots lui semblaient être une sorte de salut.

« Hmph. Vous êtes plutôt amusants tous les deux, » dit-il en ébouriffant ses cheveux avant de former son sourire habituel. « Vous avez bien progressé. Quand je prendrai le siège d’Archidémon, je vous laisserai être mes subordonnés. Je vous traiterai bien, vous entendez ? »

Avant que Behemoth ne puisse répondre, Levia avait secoué la tête. Elle avait ensuite serré fortement le bras de Behemoth.

« Ça me va de travailler pour Zagan… » dit-elle. « La maison de ce garçon est confortable. »

« C’est ce qu’elle dit, » ajouta Behemoth en haussant les épaules. « Désolé, essayez quelqu’un d’autre. »

« Tch… Vous avez perdu votre chance. Vous le regretterez, » dit Barbatos, qui venait de finir de panser sa blessure. « De toute façon, je retourne maintenant au travail. Je dois encore tuer cinquante personnes avant la fin de la nuit. »

Une armée ne peut être mise en action par la volonté d’un seul homme. Même s’il n’y avait qu’un seul commandant, il fallait de nombreux officiers pour que les ordres soient relayés correctement. Les officiers allaient jusqu’au niveau de l’escouade d’une poignée d’hommes, donc dans une armée de dix mille hommes, il y en a des centaines.

Le travail de Barbatos était d’assassiner une centaine d’officiers. Une armée sans chef ne pouvait pas fonctionner comme une armée, après tout. Cela permettrait de gagner un temps considérable jusqu’à ce qu’ils puissent réorganiser leurs rangs. Barbatos ne connaissait rien à l’art de la guerre, mais cela lui semblait être un bon plan.

Cependant, je déteste être celui qui le fait.

Assassiner une centaine de personnes dans un campement de dix mille personnes était la définition de la folie. De plus, les soldats ici étaient tous des héros de renom. Un seul instant de relâchement suffisait pour qu’un ancien candidat Archidémon soit terrassé dans sa tentative. Comme il devait poursuivre ce travail dangereux pendant toute une nuit, il n’avait pu s’empêcher de râler une ou deux fois.

Cela dit, plus Barbatos se relâchera, plus le poids sur les épaules de Chastille sera important lorsqu’elle prendra le front. Ainsi, son seul choix était de donner à cette tâche tout ce qu’il avait. Il s’était vraiment fait piéger à la perfection dans ce travail. Même si tout cela l’ennuyait, il commençait à s’enfoncer dans l’ombre lorsqu’une pensée soudaine lui vint à l’esprit.

« Uhhh… Bien. Vous deux, méfiez-vous de Gremory, » dit-il. « Si vous vous faites attraper par elle, ça va vous faire très mal au cul. »

Il ne comprenait toujours pas le charabia qui sortait de la bouche de cette mamie. S’impliquer avec elle était tout simplement trop gênant. Ce n’est pas comme s’il avait déjà été blessé par ses bouffonneries, mais il se sentait mal quand on jouait avec elle. C’est pourquoi il avait donné un avertissement à ces deux-là, car quelque chose en eux lui faisait penser que la même chose pourrait leur arriver.

« Vous êtes un peu en retard, » dit Behemoth, alors que son visage affichait l’épuisement. « J’aurais préféré entendre cet avertissement au début de l’année. »

« Ce n’est pas une mauvaise fille… mais ses actions sont certainement gênantes, » ajouta Levia, ayant l’air tout aussi épuisée que son partenaire.

Il était donc déjà trop tard. Le début de l’année était à peu près le moment où Zagan avait fait faire ce grand bain dans son château et où ils avaient rencontré cette créature d’Azazel. Maintenant que Barbatos y pensait, Gremory avait été stationnée au Palais de l’Archidémon et non au château à cette époque. Peut-être que Zagan avait laissé ces deux-là au Palais de l’Archidémon pour savoir exactement comment ça allait se passer.

« Eh bien… mes condoléances, » avait dit Barbatos.

« Bien, tu devrais garder un œil ouvert, » répondit Behemoth.

C’est ainsi qu’une étrange amitié était née entre eux trois.

***

Partie 4

« Cet endroit s’est vidé plus vite que prévu… »

Pendant que le groupe de Barbatos ravageait l’armée de Shere Khan, Zagan contemplait son château. La retraite vers le Palais de l’Archidémon avait été achevée en une heure. Pour commencer, la sorcellerie de téléportation avait déjà été mise en place entre les deux endroits, et les subordonnés de Zagan étaient tous des sorciers qui gardaient tout ce qui était important dans leurs poches. Une retraite pouvait être effectuée simplement en faisant passer tout le monde par le cercle de téléportation.

Le château était autrefois un cimetière de cadavres et d’appareils de torture, mais après l’arrivée de Néphy, il était devenu un peu plus propre. Avec Foll, Raphaël, l’encombrante mamie Kimaris et ses quarante subordonnés qui y vivaient, on ne voyait plus rien de ce qu’il était auparavant. Zagan avait rapidement décidé de l’abandonner, mais il avait toujours un désir sentimental de le revoir une dernière fois.

Non. J’ai juste besoin de revenir ici rapidement. C’est tout… pensa Zagan en regardant vers l’avant et en entrant dans le cercle de téléportation. Une sensation de vertige semblable à celle de flotter dans les airs le prit, et le paysage changea pour devenir celui de la lugubre porte souterraine du Palais de l’Archidémon.

La lumière de sa sorcellerie illumina l’énorme grotte sous Kianoides, révélant le palais qui le surplombait. Trente de ses subordonnés — ceux qui n’étaient pas occupés à d’autres tâches — s’étaient alignés devant les portes pour l’accueillir. Raphaël se tenait à leur tête. Il avait quitté son uniforme de majordome pour revêtir l’armure de Valefor.

Les non-combattants comme Lilith et Furcas n’étaient pas parmi eux, bien sûr, mais ils écoutaient quand même à une courte distance. Dexia était avec ce groupe. Néphy, Orias et Foll n’étaient pas présentes. Elles étaient déjà parties pour remplir leurs fonctions respectives. Kuroka était membre de l’Église, elle était donc partie aider Chastille.

Il n’y avait pas de temps à perdre dans une telle situation d’urgence, mais ses subordonnés étaient sur le point de risquer leur vie, il avait donc le devoir, en tant que roi, de leur donner une explication adéquate. Zagan regarda chacun d’entre eux dans les yeux, puis leur fit un signe de tête.

« Le temps presse, alors je vais faire vite. Je suis sûr que vous avez tous entendu que Shere Khan a lâché une armée de dix mille personnes sur nous. Ils ont établi leur camp à quelques dizaines de kilomètres de Kianoides et marcheront sur la ville à l’aube. Nous devons les arrêter. »

Ses subordonnés s’étaient déjà endurcis. Pas un seul sourcil n’avait bougé face à cette situation désespérée.

« Avec du temps, nous pourrions limiter les pertes au strict minimum, mais nous n’avons pas ce luxe. Notre date limite est dans trois jours au coucher du soleil. Nous en finirons avec tout ça d’ici là. »

Kianoides était le domaine de Zagan. Une barrière protégeait la ville à tout moment. S’il le voulait, il pouvait la couper du monde extérieur et forcer un siège. S’ils faisaient cela et affaiblissaient les forces ennemies à l’extérieur, ils pourraient gagner en ne subissant aucune perte. Cependant, Néphy l’avait supplié d’en finir en trois jours. Ne pas répondre à ses attentes n’était pas différent d’une défaite. Ainsi, il sortirait lui-même.

« Je vais aller prendre la tête de Shere Khan. Tout sera réglé si je le tue, mais ce ne sera pas si facile. J’ai besoin de votre force, alors je vais vous mettre au travail. »

« Comme vous le voulez ! » avaient hurlé à l’unisson tous ses subordonnés prometteurs.

Tels étaient les fruits du leadership quotidien de Raphaël. C’était tout ce qu’il avait à dire, mais Zagan y réfléchit un peu, puis fit de nouveau face à ses subordonnés.

« De plus, c’est juste une question personnelle… En vérité, c’est bientôt l’anniversaire de Néphy. »

Tout le monde le regardait d’un air tiède, comme s’il se demandait si c’était pour cela qu’il était si pressé. Il avait envie de les gifler pour cela, mais il s’était retenu et s’était éclairci la gorge.

« Donc, hum… J’ai entendu parler d’une coutume impliquant une bague de mariage. Afin de lui en donner une en toute sérénité, je vais avoir besoin que des gens comme Shere Khan et Bifrons disparaissent. »

En d’autres termes, il voulait que tout soit réglé dans cette bataille. Cependant, ce n’était pas exactement ce que Zagan avait voulu faire passer.

« À ce moment-là, il est nécessaire que nous recevions les bénédictions des autres, du moins c’est ce qu’il semble. J’aimerais que vous le fassiez tous. Je ne pardonnerai à aucun d’entre vous de mourir. Vous m’entendez ? »

Tous ses subordonnés s’étaient tournés pour se regarder les uns les autres. Ils avaient tous le vague sourire ironique, mais doux, d’un tuteur veillant sur un enfant. Incapable de supporter l’atmosphère, Zagan leva son bras.

« Alors, allez-y ! Les récompenses seront abondantes ! Soyez à la hauteur de mes attentes ! »

« Okay ! »

Leur réponse enfantine contrastait complètement avec leur réponse fiable d’il y a quelques instants. Le groupe se dispersa pour s’occuper de ses propres tâches tandis que Raphaël s’approchait de Zagan.

« Monseigneur. »

« Pas un mot. »

Zagan pouvait le voir par lui-même. Son discours avait moins consisté à encourager ses subordonnés qu’à se vanter de sa vie amoureuse. Néanmoins, Raphaël haussa les épaules et secoua la tête.

« Finalement, tout s’est bien passé, » déclara le majordome. « Leur tension a disparu et ils vont pouvoir faire leur travail comme ils en ont l’habitude. Peut-être qu’ils se sont trop relâchés, mais c’est bien mieux que d’être poussés mentalement. »

« Eh bien, si tu le dis…, » dit Zagan en se couvrant le visage et en laissant échapper un soupir, puis il se ressaisit et secoua la tête. « Raphaël. Comme je l’ai dit, nous en finirons dans trois jours. C’est peut-être inutile, mais capture tous ceux qui se rendent. »

Selon le rapport de Kuroka, les sous-fifres de Shere Khan, les Nephilims, étaient incapables de défier ses ordres. Ils étaient forcés de se battre même s’ils ne le voulaient pas. C’était quelque peu triste, mais Zagan n’avait pas le loisir de prendre leurs sentiments en considération. Raphaël le comprit en hochant la tête vers Zagan d’un air compatissant.

« Comme tu le veux. »

Ensuite, Zagan s’était tenu devant les non-combattants et il avait trouvé un visage inattendu parmi eux.

Oh, je suppose qu’elle restait dans les parages de Stella… Et avec ça en tête, il avait commencé avec Lilith.

« Votre Altesse ? Que devons-nous faire ? » demanda-t-elle.

« Vous ferez la même chose que d’habitude. Allez à la cuisine. Les sorciers peuvent travailler une journée entière sans manger, mais le moral va baisser. De plus, les chevaliers angéliques ne peuvent pas se battre le ventre vide. Ce sera dur, puisque nous sommes à court de bras, mais votre rôle est important. Mettez-y du vôtre et compensez la quantité par la qualité. »

La bataille devait durer trois jours. Il fallait donc des provisions et des cuisiniers. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’ils étaient plus importants que les armes et le personnel militaire. Lilith et Selphy étaient restées bouche bée devant cet ordre.

« Quoi, mécontente ? » leur avait-il demandé.

« Non, ce n’est pas ça…, » Lilith murmura. « Je n’avais même pas pensé à la nourriture, donc… »

« Tout le monde va avoir plus qu’assez de travail. C’est l’essentiel… Furcas, tu sais au moins éplucher les légumes, non ? Aide-les. »

« Ouais ! Laisse-moi faire, mon frère ! »

« Lilith, Selphy, je vais avoir besoin de vos forces pour autre chose que la cuisine. En bref — . »

Zagan avait continué à expliquer son plan, laissant Lilith raide. C’était logique. Dans un sens, ce travail était bien plus dangereux que ce que Kuroka et tous les autres en première ligne devaient faire. Lilith tremblait à cette idée, tandis que Selphy l’étreignait par-derrière.

« C’est bon, Lilith, » dit-elle. « Je suis avec toi. Je vais certainement te garder en sécurité. »

Ces mots avaient stoppé ses tremblements.

« H-Hmph ! Je n’ai pas peur ou quoi que ce soit ! J’étais juste un peu surprise ! »

« Heh heh. Tu es la meilleure quand tu es comme ça, Lilith. »

Selphy était allée jusqu’à frotter sa joue contre celle de Lilith, obligeant Furcas à se couvrir les yeux comme s’il ne devait pas regarder.

« Laissez-moi faire, Votre Altesse, » répondit finalement Lilith d’un air résolu. « Je vais vous montrer toute la force de la princesse des succubes Lilithiera. »

Satisfait de son attitude, Zagan tapota la tête de la fille fière.

« Oui. J’ai hâte d’y être. Furcas, c’est valable pour toi aussi. Protège-les. »

Si tu ne lui montres pas ton bon côté quand il le faut, Selphy va sérieusement te l’arracher…

Selphy avait apparemment fait une sorte de percée après avoir consulté Zagan l’autre jour. Elle était très proactive et en mouvement. À ce rythme, il faudrait moins d’un mois à Lilith pour capituler.

« Bien sûr ! » Furcas s’était écrié d’un signe de tête en bombant fièrement la poitrine. « Je veillerai à les protéger toutes les deux ! »

« Hmm ? » Selphy murmura d’un ton accablant.

Une perle de sueur froide coula sur la joue de Furcas. À ce moment-là, Zagan avait soudain remarqué quelque chose.

« Furcas, qu’est-ce que tu as dans la main ? » avait-il demandé.

« Hein ? Oh, ça ? Mlle Alshiera me l’a laissé l’autre soir, » répondit Furcas en tenant dans sa main le chasseur de séraphin blanc.

« Alshiera a fait… ? »

Zagan avait trouvé cela extrêmement suspect.

À quoi pense-t-elle, en laissant ça derrière elle à un tel moment ?

Même sans un tel pouvoir, Alshiera était la vampire ultime. Cependant, sa proie n’était autre qu’Azazel. Elle n’était pas censée avoir le loisir de partager le pouvoir qu’elle avait avec Furcas.

« G-Grand frère, je ne sais pas ce qu’elle a fait, » commença Furcas d’une voix tremblante, « Mais ne lui en veux pas trop. Je pense que, peut-être, elle veut encore t’aider… »

Zagan n’était pas le seul à le regarder avec des yeux écarquillés. Même Lilith et Selphy semblaient surprises.

Est-ce que quelque chose lui est venu à l’esprit même si ses souvenirs lui manquent ?

Les véritables intentions d’Alshiera n’étaient pas claires, mais elle avait agi d’une manière qui semblait hostile à tous ceux qui l’entouraient. Malgré cela, Furcas pouvait la comprendre.

« Alors, va lui dire de réviser ses talents d’actrice, » dit Zagan en détournant son regard comme s’il jouait au muet. « Suivre sa farce minable est une énorme douleur dans le cul. »

« O-Ouais ! Je vais lui dire pour toi ! »

Si Furcas était celui qui disait à Alshiera que son jeu était nul, cela lui porterait un léger coup. Satisfait d’avoir obtenu une vengeance inattendue contre la vampire, Zagan passa à la personne suivante dans la file.

« Lisette. Que vas-tu faire ? »

Cette fille avait le même visage que Dexia et était aussi la petite sœur des rues de Zagan. La grande sœur de Zagan, issue des rues, était censée la surveiller, mais Stella était gravement blessée et inconsciente. Shax l’avait amenée à l’Église avec Ginias, également blessé, et Zagan n’avait donc pas pu les voir en sortant d’ici.

Hein ? Maintenant que j’y pense, qu’en est-il de l’épée sacrée ?

L’Archange nommé Valjakka était mort, donc après avoir récupéré l’épée sacrée, Zagan l’avait laissé aux soins de Ginias, mais maintenant que le garçon était inconscient.

Nous ne l’avons pas laissé derrière nous dans la boutique de Manuela, n’est-ce pas ?

Même s’ils n’avaient pas vraiment eu le temps d’y penser à cause de l’incident avec Nephteros, cela aurait été bien trop négligent de leur part. Une épée sacrée sans propriétaire n’était pas mieux qu’un presse-papiers, mais si par hasard elle avait choisi quelqu’un, elle pouvait faire basculer le cours d’une bataille.

« Que dois-je faire… ? » demanda Lisette, en regardant Zagan sans pouvoir connaître le dilemme qui lui traversait l’esprit. « Je veux être aux côtés de Stella, mais… »

***

Partie 5

Lisette jeta un regard vers Dexia, qui se tenait à côté d’elle. Ces deux-là avaient le même visage. Lisette savait probablement que la jeune sœur de Dexia, Aristella, qui était toujours captive, pouvait être morte. Tout comme Zagan, Lisette n’avait aucun souvenir d’avant qu’elle ne soit un vagabond des rues. Il est fort probable que Shere Khan soit impliqué d’une manière ou d’une autre dans sa naissance. Cependant, sans moyen de se battre, elle ne pouvait pas faire grand-chose. Zagan hésita un instant, puis s’accroupit en face d’elle pour se mettre dans sa ligne de vue.

« Permets-moi de te donner un avertissement en tant que frère de la rue. Rien d’intéressant ne sortira de la rumination constante de ton passé. Tu ferais mieux de traiter chèrement les personnes qui restent à tes côtés. »

Zagan avait cherché et il avait découvert que le Roi aux yeux d’argent était son père et il connaissait maintenant la véritable identité de son vieil ami Marc. Mais qu’avait-il vraiment gagné en faisant cela ? Tout ce qu’il savait maintenant était qu’il avait un ennemi qu’il devait tuer.

Pourtant, je voulais savoir qui je devais tuer exactement et j’ai cherché les réponses.

À ce jour, il ne savait pas si c’était pour le meilleur ou pour le pire. Néanmoins, cela avait été une nécessité. Mais ce n’était pas le cas pour Lisette.

« Hmm…, » murmura-t-elle en hochant la tête.

Il était douteux qu’elle le comprenne vraiment. Zagan savait, en regardant Dexia et Aristella, que Shere Khan était, d’une certaine manière, lié à elle. On pourrait même dire que le Roi Tigre faisait une sorte de fixation sur elle. Il y avait un sens à la création de Dexia et Aristella pour qu’elles ressemblent à ce qu’elles sont. Et maintenant, cet Archidémon avait capturé Gremory.

Huh… ? Est-ce que Gremory est capable de rester tranquille en captivité avec quelqu’un comme ça en face d’elle ?

Une certaine anxiété commençait à naître en Zagan, mais il réalisait que face à ce monstre d’Archidémon qui avait calculé avec une telle précision comment tout allait se dérouler, Gremory ne pouvait rien faire. Probablement.

Dexia ouvrit la bouche comme si elle avait quelque chose à dire à Lisette, mais ne parvient pas à faire sortir sa voix. Elle était déjà bien occupée. Son destin était incertain, elle ne pouvait pas penser à ce qu’elle pourrait dire pour le bien d’autrui. Au lieu de lui apporter du réconfort, Zagan s’adressa à elle d’un ton strict.

« Barbatos va bientôt venir te chercher. Prépare-toi à partir. »

« Bien… »

Il était mieux pour les individus de ne pas penser à des choses inutiles lorsqu’ils devaient eux-mêmes faire face à quelque chose. Maintenant que Zagan avait choisi de la prendre sous son aile, il allait au moins lui montrer ce niveau de gentillesse. Il était temps pour lui de lui-même sortir, aussi Zagan fit-il appel à son fidèle majordome une fois de plus.

« Raphaël. »

« As-tu besoin de quelque chose ? » demanda Raphaël, en se retournant après avoir donné des ordres aux autres.

« Nous avons perdu la trace de l’endroit où l’une des épées sacrées est allée. Si tu la trouves, sécurise-la. »

« Une épée sacrée… ? Disparue… dis-tu ? » demanda Raphaël, les yeux écarquillés.

« Ouais. L’épée de ce Valjakka. Il a essayé d’attaquer Kuroka et est mort par accident. »

Oui, c’était une mort accidentelle. Ou peut-être même un suicide. Il avait ignoré l’avertissement de Zagan et s’était fait ça tout seul, après tout. Kuroka n’avait aucune responsabilité. Et jetant un regard à son majordome sans voix, Zagan quitta le Palais de l’Archidémon.

 

En retournant à l’Église, Kuroka avait trouvé l’endroit aussi occupé qu’une ruche. Eh bien, c’est logique. Après tout, une armée géante était soudainement apparue à distance de marche de la ville.

Une sorcellerie de téléportation faite à une échelle terrifiante. Ils ont probablement passé quelques mois à préparer cela seul.

L’invasion elle-même n’avait pas encore vraiment commencé, mais ils étaient déjà en guerre.

« Monsieur Shax, occupe-toi des choses ici. Je vais aller faire mon rapport à Lady Chastille. »

« Kurosuke. »

Alors qu’elle était sur le point de se mettre à courir, Shax lui avait demandé de s’arrêter. Quelque chose dans sa voix était différent de la normale, la choquant un instant.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle.

« Um… Juste… n’en fais pas trop, OK ? »

« N’es-tu pas celui qui en fait toujours trop ? »

Honnêtement, ça la dérangeait. Il n’aimait pas se battre, mais il se blessait toujours en essayant de la protéger. Comprenait-il à quel point elle s’inquiétait à chaque fois qu’elle voyait cela se produire ? Quelque chose s’était-il passé lors de sa rencontre avec Zagan ? En tout cas, elle savait qu’il était sincèrement inquiet pour sa sécurité. D’ailleurs, même si elle s’inquiétait constamment pour lui, elle ne voulait pas que Shax ressente la même chose. C’est pourquoi elle lui fit un signe de tête honnête.

« Très bien. Je n’en ferai trop que lorsque tu seras là, » dit-elle.

« Oh, allez… »

« Hee hee. Je m’en vais. »

Avec cela, elle s’était précipitée vers Chastille.

Ce sera plus facile si elle est comme d’habitude…, pensa Kuroka. Elle doutait cependant que Chastille soit en mode pleurnicharde lors d’une telle crise. Ainsi, le simple fait de donner ce rapport serait un travail éreintant.

« Tous les chevaliers angéliques se tiennent prêts à sortir à tout moment ! Tous les autres guident les citoyens dans l’évacuation ! Envoyez un mot à Raziel pour du renfort ! »

En entrant dans le bureau, Kuroka avait été accueillie par Chastille qui aboyait des ordres avec agitation. Elle avait une expression sinistre sur le visage, ce qui rendait son attitude habituelle de pleurnicharde tel un mensonge. Mais lorsqu’elle avait vu Kuroka, son expression s’était un peu éclaircie.

« Kuroka, tu es de retour, » dit-elle.

Chastille en mode travail était ferme et résolue, mais elle ne pouvait pas cacher le soulagement dans sa voix. Sa meilleure amie, Nephteros, n’était pas en vue, et Barbatos ne répondait probablement pas à ce qu’elle disait en ce moment. Néphy avait également de son côté quitté Kianoides pour une mission inconnue.

Cette fille avait la responsabilité de protéger les citoyens de cette ville tout en faisant face à une armée presque cent fois plus importante que ses propres forces. C’était un fardeau bien trop lourd pour une jeune fille de dix-sept ou dix-huit ans, et pourtant, pas le moindre soupçon d’un tel poids pesant sur elle ne se lisait sur ses traits. Elle avait une volonté d’acier. Elle possédait vraiment le calibre pour se démarquer des autres, ce qui manquait cruellement à Kuroka.

« Je m’excuse d’arriver si tard, Lady Chastille, » répondit Kuroka avec un sourire affectueux et reconnaissant. « Kuroka Adelhide, ici pour donner mon rapport. »

Après avoir fait une légère révérence, Kuroka jeta un coup d’œil dans la pièce. Les trois chevaliers du ciel d’azur et quelques prêtres étaient présents. Les chevaliers ne seraient pas un problème, mais elle ne pouvait pas parler d’un Archidémon devant les prêtres. Elle voulait faire son rapport rapidement, mais cela retardait les choses.

« Ne t’inquiète pas pour eux, » dit Chastille avec un sourire en remarquant le regard de Kuroka. « Ce sont des membres de la Faction d’Unification. »

« Très bien. Alors, pour être brève… »

Barbatos aurait normalement été celui qui aurait apporté ce genre de nouvelles, mais cet homme était actuellement extrêmement occupé à exécuter l’ordre de Zagan. Kuroka résuma rapidement la situation. Elle déclara à Chastille qu’ils avaient localisé la cachette de Shere Khan, qu’ils avaient arrêté Dexia dans le processus, et que l’Archidémon Zagan avait recueilli la fille. Elle lui parla ensuite de la mort de l’Archange Valjakka. Chastille était restée bouche bée et sans voix.

« Pas possible… Quelqu’un d’aussi fort que le Seigneur Valjakka… tué ? »

Kuroka avait l’impression de dire un mensonge, ce qui lui faisait mal au cœur.

Non pas que j’aie menti…

Zagan et Shax avaient insisté auprès d’elle à plusieurs reprises pour qu’elle fasse porter le chapeau de la mort de Valjakka à Shere Khan. Eh bien, en fin de compte, c’est lui qui s’est suicidé, donc il était discutable de dire que Kuroka l’avait fait. Néanmoins, elle avait certainement été celle qui avait préparé le terrain pour sa mort.

« Pourrais-tu me dire… comment se sont passés ses derniers instants ? » demanda Chastille d’une voix tremblante, essayant de cacher l’état de choc dans lequel elle se trouve.

« Huh ? Umm… il s’est battu courageusement jusqu’au bout. »

C’était la réponse que Shax lui avait préparée.

C’est un mensonge complet et absolu…

En vérité, l’homme avait tourmenté une petite fille sans défense et était sur le point de la tuer, puis, au moment de croiser les lames, il avait été vaincu à l’instant même où sa main avait touché son épée. Dire tout cela signifiait traiter cet homme méprisable, qu’elle détestait du plus profond de son cœur, comme une sorte de héros. Kuroka s’était serré la poitrine, torturée par des douleurs de culpabilité. Et peut-être interprétant cela comme un acte de grief, Chastille se couvrit la bouche et pleura.

On dirait qu’elle n’a jamais douté de lui…

Sans pouvoir savoir que l’homme avait tenté de la ruiner, Chastille avait pleuré de véritables larmes de chagrin. Kuroka n’avait pas osé y mettre un bémol et avait préféré rester extrêmement mal à l’aise.

« Et son corps ? » demanda Chastille après s’être ressaisie.

« Pardonne-moi, nous l’avons laissé derrière nous à Feo. Nous avons récupéré son épée sacrée et l’avons confiée au Seigneur Ginias. »

« Ginias ? As-tu aussi rencontré Lord Galahad ? »

Maintenant qu’elle l’avait mentionné, Kuroka avait réalisé qu’elle n’avait pas fini son rapport.

« L’archange en chef Lord Ginias Galahad II et l’archange Lady Stella Diekmeyer sont à Kianoides. Cependant — . »

Kuroka avait poursuivi en expliquant comment ils avaient tous les deux été gravement blessés au combat, sans mentionner Nephteros.

« Impossible. Même Stella a été vaincue ? »

Chastille connaissait la force de Stella. Elle n’était que numéro deux dans le classement des archanges, mais avec la puissance d’un sorcier et d’un chevalier angélique, elle était essentiellement le chevalier angélique le plus fort en service actif. Chastille tituba comme si elle était frappée par un vertige.

« Comment vont-ils tous les deux maintenant ? » demanda-t-elle, en faisant avancer la conversation.

« Nous les avons amenés à l’Église. Monsieur Shax les soigne, ils ne sont donc pas en danger de mort. »

Chastille soupira de soulagement, puis se tourna vers les trois chevaliers.

« Deux d’entre vous devraient aller vérifier leur état. Ce sera comme fouetter les blessés, mais pour l’instant nous avons besoin de tous les moyens de combat possibles. »

Le lancier et le porteur de bouclier s’empressèrent de quitter le bureau. Tout s’était bien passé jusqu’à présent, mais le rapport de Kuroka n’était toujours pas terminé.

Je ne peux pas laisser de côté Lady Nephteros et Sire Richard, n’est-ce pas… ?

Zagan lui avait dit de ne pas parler de Nephteros, mais elle devait au moins dire à Chastille que l’elfe noire ne reviendrait pas. Elle prit une profonde inspiration, puis s’empressa d’aller droit au but.

« Aussi, à propos de Lady Nephteros et Sire Richard… »

« Sais-tu quelque chose ? Ne me dis pas qu’ils sont… »

Chastille s’inquiétait de Nephteros plus que de tout autre. L’absence de Nephteros pesait sur l’esprit de Chastille. Elle n’avait simplement pas pu se résoudre à aborder le sujet. Maintenant que Kuroka avait mentionné son nom, Chastille avait saisi l’occasion de découvrir ce qui était arrivé à sa chère amie.

« Sire Richard est en mauvais état après avoir reçu un coup de l’Archidémon Bifrons. Nous avons réussi à le maintenir en vie, mais son état est incertain, aussi l’Archidémon Zagan l’héberge-t-il. »

« Bifrons… dis-tu ? »

Chastille se raidit à la mention de cet Archidémon. L’ancien maître de Nephteros, celui qui l’avait créée en tant qu’homonculus basé sur Néphy, était le meneur de tous les malheurs qui avaient frappé la pauvre fille. Kuroka supprima toute émotion et continua son rapport sans expression.

« Bifrons poursuit Dame Nephteros. Dame Néphy et sa mère se dirigent également dans cette direction. Elle ne peut pas revenir ici, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. »

Elle avait dû se résoudre à parler de Néphy. Cela suffirait-il pour que Chastille la croie ? Chastille la regarda fixement pendant un moment. Dans ces moments-là, Kuroka la trouvait plutôt effrayante. Chastille était calme, posée et extrêmement vive, ce qui contrastait complètement avec son comportement habituel de pleurnicharde. Kuroka était sûre que Chastille savait qu’elle cachait des choses dans son rapport. La question était de savoir jusqu’où elle pouvait reconnaître un mensonge.

***

Partie 6

« Néphy et Dame Orias sont-elles parties la sauver ? » demanda-t-elle au bout d’un moment, d’une voix glaciale.

« Elles sont parties à sa recherche. »

Le silence s’était installé dans la pièce. Tout le monde, à part les deux filles, avait dégluti.

C’est bien la chef de la Faction d’Unification, elle n’accepte pas toute l’histoire.

Kuroka s’était rappelé que Shax lui avait dit de ne pas trop en faire. Il s’était probablement passé quelque chose lors de sa rencontre avec Zagan. Quoi qu’il en soit, peut-être que ces mots étaient également destinés à cette rencontre avec Chastille.

Chastille savait que Nephteros était en danger. Elle savait aussi que Néphy et Orias étaient parties pour la sauver. Il y avait un air d’hostilité intense dans les yeux de Chastille, sachant que Kuroka cachait la vérité sur la situation difficile de son amie. Si Kuroka relâchait un tant soit peu sa concentration, des sueurs froides couleraient sûrement sur son visage. Mais si elle laissait voir la moindre goutte de sueur, Chastille la presserait de répondre à tous les détails. Leur lutte acharnée de regard se poursuivit pendant quelques secondes. Puis, Chastille poussa un petit soupir.

« Bien. Je vais mettre ma foi en tes mots, Kuroka. »

« Merci beaucoup. »

Kuroka s’était inclinée gracieusement avant de laisser échapper un soupir secret de son côté.

C’était effrayant…

Chastille était souvent qualifiée de pleurnicharde et d’idiote au cœur tendre, mais en ce moment, Kuroka voyait en elle un sang-froid qui lui rappelait Zagan. Les choses ne s’étaient jamais détériorées à ce point à cause de son caractère. Une fois que cette fille avait décidé de faire quelque chose, elle se résolvait toujours à le faire par tous les moyens nécessaire.

Kuroka pouvait comprendre pourquoi, juste un peu.

Quelqu’un qui est gentil avec tout le monde ne les aime pas tous, après tout.

Cette fille pensait plus à son amie qu’à n’importe qui d’autre. C’est pourquoi un certain doute était venu à l’esprit de Kuroka.

Elle devrait être nécessaire pour sauver Lady Nephteros. Alors pourquoi… ?

Nephteros était désespérée après avoir vu le cœur de Richard se faire arracher sous ses yeux. Maintenant qu’un monstre avait usurpé son corps, Chastille n’était-elle pas la seule à pouvoir la ramener et lui redonner un peu d’espoir de vivre ? Et pourtant, Zagan avait décidé de ne pas l’impliquer. Il avait apparemment sa propre idée en tête, afin d’être sûr de sauver Nephteros. Kuroka croyait en lui, mais trouvait tout de même la situation extrêmement confuse.

« Ainsi se termine mon rapport, » dit Kuroka.

« Compris. Je suis désolée de ne pas t’avoir laissé le temps de te reposer. Prépare-toi à partir. »

« Oui, madame. »

À ce moment-là, des pas pressés s’étaient approchés de la porte.

« Lady Chastille. »

Un des chevaliers angéliques qui était allé voir Ginias et Stella était entré dans le bureau.

« Torres, comment vont-ils ? » lui demanda Chastille.

« Lord Galahad a repris connaissance et se prépare au combat. Les blessures de Lady Diekmeyer ne sont pas mortelles, mais elle ne s’est pas encore réveillée. »

Stella avait pris un coup de « Nephteros » de plein fouet. Grâce à cela, Kuroka et tous les autres avaient été sauvés, mais Stella avait subi des dommages bien plus importants que ceux que même Ginias avait eus en échange. Elle avait perdu une quantité importante de sang. On pouvait se demander si elle se réveillerait avant la fin de la bataille. Chastille se renfrogna devant la perte de la plus forte combattante des Chevaliers Angéliques.

« De plus, Lord Galahad a mentionné quelque chose d’un peu particulier…, » continua le lancier.

« De quoi ? »

Le lancier hésita un instant, puis dit timidement : « Selon lui, l’épée sacrée du seigneur Valjakka est introuvable. »

Les yeux de Chastille et de Kuroka s’étaient agrandis en entendant la nouvelle.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Kuroka.

« Exactement ce que j’ai dit, » répondit le lancier. « Elle n’était apparemment plus là quand il s’est réveillé. Ryan est resté derrière pour jeter un coup d’œil, mais il est difficile de rater une épée sacrée. »

« Ce n’est pas possible…, » Kuroka déclara, en secouant la tête. « Quand nous les avons amenés ici, c’était bien aux côtés du Seigneur Ginias. Monsieur Shax aurait dû être avec lui. A-t-il vu quelque chose ? »

« Le guérisseur ? Non, il n’a pas non plus l’air de savoir. »

Il était impossible qu’un homme ayant les capacités de Shax ne remarque pas que quelqu’un volait quelque chose juste devant lui. Bien sûr, il n’avait aucun moyen d’arrêter un sorcier comme Barbatos, mais il aurait certainement remarqué l’acte lui-même.

« Alors l’épée sacrée est partie toute seule… ? » murmura Chastille, baissant son regard sur l’épée à sa taille, déconcertée.

« Que veux-tu dire… ? » demanda Kuroka.

Elle avait entendu parler d’épées sacrées dotées d’une sorte de volonté propre — probablement par le séraphin qui les habite — mais elle n’avait jamais entendu parler d’une épée se déplaçant toute seule.

« Oh, c’est vrai, » dit Kuroka, qui avait soudainement une idée géniale. « Ne pouvons-nous pas simplement demander à la personne à tes pieds ce qu’il en est ? »

On ne savait pas s’il écoutait, mais l’ombre de Barbatos était ouverte. Si Chastille demandait, il répondrait probablement. Enfin, c’est ce que pensait Kuroka, mais…

« Mes pieds… ? U-Uhhh, h-h-h-h-il est, um, je veux dire… en ce moment… c’est un peu… »

« Hm… ? S’est-il passé quelque chose ? Si tu le souhaites, je peux lui couper la tête entre deux travaux. »

Maintenant que j’y pense, j’ai l’impression qu’elle a évité de parler de lui tout ce temps.

La haine de Kuroka pour les sorciers s’était considérablement atténuée, mais Barbatos était toujours le pire des sorciers. Elle l’achèverait volontiers chaque fois que Chastille le souhaiterait.

« Ce n’est pas ce que je veux dire ! C’est bon. C’est bon, alors ne…, » dit Chastille. Pourtant, elle n’avait pas l’air d’aller bien du tout. « Bon, oublions l’épée sacrée pour l’instant. Considérons la défense de la ville comme notre priorité numéro un. »

Du point de vue de l’Église, c’était la deuxième épée sacrée qui avait disparu. La première avait été le Metatron de Raphaël. C’était une affaire sérieuse qui avait ébranlé l’Église jusqu’au plus profond d’elle-même, mais la décision de Chastille était toujours correcte. Et alors que tout le monde s’apprêtait à regagner son poste, un nouveau pas précipité s’approcha de la porte.

« C’est sérieux, Lady Chastille ! »

Le porteur de bouclier des trois chevaliers avait fait irruption dans la pièce. Il était censé être à la recherche de l’épée sacrée manquante, mais ne semblait pas du tout le faire.

« Qu’est-ce qu’il y a encore ? » demanda Chastille.

« L’Archidémon ! »

À quel Archidémon faisait-il référence ? L’homme avait calmé sa respiration, puis leur avait transmis l’incroyable.

« L’Archidémon Zagan est parti défier directement l’armée ennemie ! »

« Quoi ? »

Un Archidémon pouvait massacrer une armée de dix mille hommes. Cependant, c’était seulement en utilisant pleinement la sorcellerie et la ruse. Il n’y avait aucune chance que son mana tienne le coup en les combattant de front.

« Non, attendez… Zagan pourrait bien être capable de les frapper tous les dix mille…, » murmura Chastille avec une expression sérieuse sur le visage.

Cet Archidémon était tout simplement si puissant qu’elle le croyait possible. Kuroka s’était alors rappelé qu’elle avait oublié de mentionner quelque chose.

« Oh, excuse-moi, j’ai oublié de te transmettre un message de Zagan, » dit-elle.

« Quel message ? » demanda Chastille. Elle n’arrivait plus à décortiquer toutes ces informations, aussi ses yeux tournaient-ils dans tous les sens.

« Il t’a dit : “Je te fais gagner un jour. Prends ton temps et prépare-toi”. »

En jetant un coup d’œil par la fenêtre, ils avaient remarqué que l’aube s’était levée avant même que l’on s’en rende compte. La sinistre attaque contre l’armée ennemie avait progressé tranquillement pendant la nuit. Cependant, tout cela s’était passé en coulisses. La bataille n’avait pas encore commencé. Ce n’est que lorsqu’un Archidémon passait à l’action que les choses se mettaient en place.

Ainsi, le coup d’envoi de la bataille avait été un raid féroce de l’Archidémon Zagan lui-même.

 

« Ne le laissez pas aller plus loin ! »

« Est-il vraiment humain ? »

« Merde ! Que font les supérieurs ? Pourquoi ne reçoit-on pas d’ordres !? »

« Uoooh ! Protéger ou — aaaaaargh ! »

Zagan lança légèrement son poing et fit voler l’un des soldats qui l’avaient bravement chargé. Il s’agissait plus d’une légère poussée sur le côté que d’un coup de poing, mais l’armure du soldat s’était quand même brisée en morceaux et les autres soldats qu’il avait percutés avaient chuté au sol de façon spectaculaire.

Des cris de confusion remplissent l’air.

On dirait que l’équipe de Barbatos a fait son travail correctement.

Il y avait, bien sûr, ceux qui utilisaient leur propre jugement pour défier Zagan maintenant qu’il était sur le terrain, mais l’armée dans son ensemble était si dispersée qu’on pouvait difficilement appeler cela une réponse appropriée à son raid. Ce n’était pas les mouvements d’une armée. C’était simplement un essaim de guerriers talentueux. Ainsi, tout ce que Zagan avait à faire était de les frapper un par un.

« Comparé à affronter ces fichus séraphins, c’est… »

Une épée virevoltait dans l’air en direction de Zagan. Il l’écarta avec son bras, brisant la lame comme du verre et pliant le bras de son manieur comme un morceau de fil.

« Gaaaaaah ! »

Laissant le soldat se tordre sur le sol, Zagan continua sa marche en avant.

« Espèce de salaud ! Alors que dis-tu de ça !? »

Voyant que les épées étaient inutiles, l’un des soldats avait eu recours aux arts martiaux et avait déclenché un coup de pied. Même s’il s’agissait d’une technique datant d’il y a mille ans, elle avait été utilisée pour combattre des séraphins, des dieux ou autres. Zagan attrapa tranquillement le pied de l’homme avec sa paume, mais l’onde de choc de l’impact creusa de profondes fissures dans la terre.

« Grr. Même ça, ce n’est pas assez !? »

« Hmm. Je ne voulais pas te sous-estimer, mais c’était un coup bien plus puissant que ce que j’avais imaginé. Cela fait un moment que ma main n’a pas été engourdie. »

Zagan avait honnêtement félicité l’homme, puis avait écrasé le pied dans sa main comme pour lui rendre la pareille.

« Aaaaaargh ! »

Cette technique avait été terrifiante, mais la tête d’un Archidémon n’était pas si facile à prendre qu’un art sans sorcellerie derrière lui suffirait à le blesser. Zagan continua à marcher, laissant derrière lui une traînée de soldats aux armes, bras et jambes brisées. Pourtant, pas un seul soldat n’était mort. De plus, Zagan n’avait pas la moindre égratignure sur lui, et ses vêtements n’étaient pas du tout ébouriffés.

Cet acte n’était possible que lorsque l’écart de force était similaire à celui d’un adulte par rapport à un bébé. Et ces soldats expérimentés étaient certainement conscients de ce fait. La peur et le désespoir s’accrochaient à leurs expressions. Mais ils étaient tous des héros et avaient l’habitude d’affronter des ennemis bien plus puissants qu’eux.

Au moment où ils avaient décidé qu’aucun individu n’avait une chance de gagner, leurs mouvements avaient changé. Cinq ou six d’entre eux entourèrent rapidement Zagan et commencèrent à l’encercler lentement. Leurs mouvements bizarres laissaient des images rémanentes, même pour les yeux d’un Archidémon. Il n’avait aucune idée de qui étaient les vraies personnes, ni même du nombre de personnes qui l’entouraient.

C’était un art similaire à la Nuit Brumeuse de Kuroka. Il y avait une différence de compétence, mais ils n’étaient pas si loin derrière elle. Le fait qu’ils soient si nombreux à l’utiliser en même temps rendait impossible la perception améliorée d’un sorcier pour y voir clair.

Les soldats avaient fini par se précipiter avec leurs épées. Ce qui est terrifiant, c’est qu’ils ne l’avaient pas fait tout en même temps. Ils l’attaquaient l’un après l’autre. Une fois que l’un d’entre eux agissait, le suivant arrivait une demi-seconde plus tard. Au moment où cinq coups s’enchaînaient ainsi, le premier attaquant pouvait faire un nouveau coup. C’était vraiment comme une pluie battante. Même un Archidémon n’avait aucun espoir d’esquiver, de se défendre ou de contre-attaquer face à un tel enchaînement de coups.

***

Partie 7

Quelle technique fascinante ! Malheureusement, je n’ai pas le temps de jouer avec eux pour le moment.

Face à cette attaque impossible à esquiver, Zagan avait répondu en tapant du pied sur le sol tout en maintenant son rythme d’avance. C’est tout ce qu’il avait fait.

« Gh !? »

La terre s’effondra, détruisant le point d’appui des héros. Ils retrouvèrent immédiatement leur équilibre, mais cet instant incommensurablement court laissa une ouverture à exploiter, qui fut plus que suffisante pour que Zagan les batte tous. Des cailloux avaient flotté dans les airs à cause de la destruction de la terre alors que Zagan leur balançait son manteau avec désinvolture.

« Gah ! »

« Ugh ! »

Les cailloux s’abattirent sur les héros avec la force de boulets de canon. Les projectiles mortels pénétrèrent ceux qui avaient effectué la pluie d’attaques et éliminèrent sans pitié les autres soldats de la zone. Entouré d’éclaboussures de sang et d’ennemis tombés, Zagan fit un nouveau pas en avant.

« Pas possible ! Ça ne l’a même pas fait ralentir !? »

Même frappés par le désespoir, les héros n’avaient pas abandonné le combat. Cette fois, plusieurs soldats portant une énorme lance qui ressemblait presque à un bélier avaient chargé sur lui. C’était probablement une arme destinée à briser la barrière d’un séraphin ou autre. Le mana convergeait dans la lance de tous ceux qui la portaient et ils se jetaient dessus avec une agilité et une force destructrice terrifiantes. Mais c’était aussi une attaque futile. Zagan tapota légèrement la pointe de la lance avec un soupir de fatigue. C’était tout ce qu’il fallait pour pulvériser l’arme chargée de mana.

Ensuite, un géant vêtu de ce qui ressemblait à de multiples couches d’armure en fer chargea. Plusieurs soldats suivaient dans son sillage, chacun armé d’épées et de lances. Il semblait que leur plan était que le géant sacrifie sa vie pour arrêter les mouvements de Zagan, donnant aux autres soldats une chance de frapper l’Archidémon directement.

Quelle nostalgie ! C’est comme ce que les trois idiots ont essayé de faire.

À l’époque, il avait traité ces trois-là comme de la racaille et ne leur avait pas vraiment prêté attention, mais la technique qu’ils avaient maniée n’était en rien inférieure à ce que ces héros faisaient maintenant. Malgré ses premières impressions, les trois idiots étaient apparemment assez forts pour être les égaux des héros d’il y a mille ans. Profondément ému par cette pensée, Zagan fit voltiger le géant devant lui.

Le géant dégringola comme une boule et vola en arrière, envoyant tous les soldats derrière lui hurler et voler dans toutes les directions. Zagan faillit éclater de rire à cette vue, mais il parvint à contenir son envie en se rappelant qu’il devait conserver Sa Majesté en tant qu’Archidémon. Cependant, il se demandait si Foll apprécierait un jeu basé sur ce spectacle.

Zagan les traitait comme de la mauvaise herbe, mais ces soldats possédaient tous une puissance qui ne faisait pas honte à leur réputation de héros. N’importe quel sorcier moyen aurait probablement été impuissant devant eux dans un combat à un contre un. Même un ancien candidat Archidémon aurait fini par être vaincu face à leurs attaques coordonnées. Ils travaillaient si bien ensemble malgré la perte de toute leur structure de commandement, après tout. C’était honnêtement terrifiant.

La raison pour laquelle ils étaient si impuissants devant Zagan était que leurs forces se concentraient principalement sur le combat contre les séraphins et les dieux ou ce qu’ils étaient présent à l’époque. Les séraphins avaient un point faible connu dans leurs ailes hex. Zagan n’avait pas d’informations sur les dieux, mais il s’agissait également d’êtres inhumains qui exerçaient des pouvoirs inhumains. Ces héros n’avaient pas vraiment pensé à se battre contre un seul humain puissant.

En revanche, tous les ennemis de Zagan étaient humains, qu’il s’agisse de sorciers ou de chevaliers angéliques. Il était clair quant à qui avait l’avantage entre les spécialistes anti-humains et les spécialistes anti-monstres.

Zagan avançait nonchalamment avec le soleil levant dans le dos et se rendit jusqu’au centre de la formation ennemie. Son objectif actuel était de percer jusqu’à la cachette de Shere Khan.

Je suppose que les choses vont bien jusqu’à présent.

Zagan n’était pas ici pour faire étalage de sa puissance, et il ne s’était pas non plus soudainement réveillé à l’idée de philanthropie. Tout cela était nécessaire pour garder cette armée à terre.

La peur ne peut être transmise qu’aux vivants.

Zagan croyait en ce credo avant même d’être un Archidémon, et avait toujours agi en fonction de cette prémisse. Cependant, c’était un champ de bataille. Il n’y avait pas de raison de montrer la futilité de défier un Archidémon ici. Tous les ennemis qu’il épargnait iraient sûrement attaquer Kianoides. Et pourtant, il passait quand même par le processus pénible de les vaincre sans tuer personne.

Les blessés entraînent une armée vers le bas plus que les morts, apparemment.

Les morts affaibliraient considérablement l’armée, mais on pouvait aussi les ignorer à partir de ce moment-là. Cependant, il fallait s’occuper des vivants, les soigner et leur donner du repos… et le personnel nécessaire à cette tâche était plusieurs fois supérieur à celui des blessés. C’était une connaissance que Zagan avait acquise dans la littérature de Liucaon. Cette bataille était, bien sûr, sa première mise en pratique, mais il pouvait déjà constater l’efficacité de cette stratégie.

Zagan n’avait pas levé la main sur ceux qui étaient restés en arrière… et tous ceux qui l’avaient défié étaient restés parmi les vivants. Le chaos se répandit parmi les soldats en raison de leur désavantage dans un match à un contre dix mille où l’un d’eux était allé jusqu’à leur montrer une telle considération.

Plus il y avait de gens, plus le chaos se propageait. Ils se battaient tous à leur discrétion pour le moment, mais une fois que la tempête connue sous le nom de Zagan les aurait dépassés, il n’y aurait aucun moyen de calmer le chaos sans aucun véritable leader parmi eux. De plus, les garder en vie signifiait que Zagan ne les acculait pas dans un coin. Plus les gens se sentaient acculés, plus ils étaient désespérés. Ils se débarrassaient de toute hésitation et se plongeaient dans la bataille. Ils pouvaient montrer beaucoup plus de force que la normale dans cet état, tout ça pour survivre. Cela aurait été problématique, car il avait besoin qu’ils hésitent, qu’ils soient confus, qu’ils agissent de manière désordonnée et qu’ils fassent preuve de moins de puissance que d’habitude.

Malheureusement, l’ennemi de Zagan était le plus vieil Archidémon vivant, Shere Khan. Le Roi Tigre pouvait facilement voir à travers les connaissances de Zagan en matière de stratégie militaire, assemblée à la hâte.

« Gh ! »

Zagan, qui avançait tranquillement comme s’il se promenait dans un champ vide, fit un bond en arrière pour la première fois depuis le début de la bataille. L’instant suivant, un vent noir souffla sur la zone.

« Je pensais que tu arriverais un peu plus tard… »

« Je ne ferai pas d’excuses. Je vais prendre votre tête, Sir Zagan. »

Devant lui se tenait le sorcier considéré comme le bras droit de Zagan, Kimaris.

 

« Oooh, ils sont vraiment en train de le faire. »

Du haut d’une colline, à quelques pas de Kianoides, trois personnes contemplaient l’Archidémon qui se frayait un chemin à travers l’armée de Nephilims. Celui qui avait élevé la voix à cette vue était un garçon aux cheveux et aux yeux roux, Asura. Il était habillé comme un mercenaire bon marché, portant le strict minimum d’armure nécessaire, mais n’avait pas d’épée. À côté de lui se trouvait un jeune homme longiligne aux yeux étroits. C’était Bato. Il utilisait une épée, mais son poste principal était celui d’un stratège. À un pas des deux, il y avait une fille qui prenait une petite gorgée dans une tasse à thé. Elle avait des yeux comme la lune et des cheveux blonds. Sa poupée en peluche effrayante était assise sur ses genoux et elle portait sa robe à froufrous habituelle. Elle avait l’air d’avoir douze ou treize ans, ce qui la faisait paraître plutôt déplacée sur un champ de bataille, mais on pouvait voir deux crocs dépasser de ses lèvres. Il s’agissait d’Alshiera, qui prenait le thé après avoir dressé une table tout à fait déplacée.

« Comment se passe la bataille ? » demanda-t-elle.

« Zagan, le roi aux yeux d’argent, les submerge, » répondit Bato, qui observait toujours le déroulement de la bataille à travers des jumelles. « Il semble qu’il ait fait quelque chose la nuit dernière. Les Nephilims sont complètement désorganisés et ne prennent aucune sorte de formation de combat. De ce que je peux voir, il ne semble pas y avoir d’officiers parmi eux. »

« Tee hee ! Le roi aux yeux d’argent est plein de ressources. Il a peut-être fait assassiner tous les officiers avant la bataille. »

« Je vois. C’est pratiquement le modus operandi de Marchosias. Assez splendide, je dois dire. »

« Bato… Tu ferais bien de ne pas provoquer un tir dans le dos. »

« Qu’est-ce que j’ai fait ? »

« Alors, Ashy, qu’est-ce que tu nous réserves ? » demanda Asura en se levant et en ignorant le pâle Bato.

« Hmm, voyons voir… » Alshiera marmonna, posant sa tasse sur son genou tandis qu’elle levait ses doigts fins un par un. « Les forces actuelles qui nous sont hostiles sont Azazel, Shere Khan et ses dix mille soldats, et bien qu’ils aient rompu les liens avec Shere Khan, il y a aussi un Archidémon nommé Bifrons. »

Elle avait ensuite hésité un peu avant de lever un quatrième doigt et d’ajouter : « Et enfin, l’Archidémon Zagan. »

« Eh bien, tu t’es battue avec lui. Je doute qu’il te considère toujours comme un ami. »

« … » Alshiera s’était tue. Elle était ennuyée qu’on le lui fasse remarquer si crûment, mais Asura souriait simplement comme s’il ne pouvait pas du tout lire l’ambiance.

« Mais tu veux quand même l’aider, hein ? » avait-il dit.

« Eh bien, je suppose que je le veux… »

« Ha ha ha ! Même après un millier d’années, tu ne peux jamais être honnête avec toi-même, hein !? » s’exclama Asura en lui ébouriffant les cheveux. Alshiera laissa échapper un faible soupir en réponse.

« Cependant, je préférerais que tu grandisses un peu, » avait-elle dit.

« Ne sois pas déraisonnable. Je veux dire, j’étais mort jusqu’à il y a une semaine environ ! »

Alshiera avait froncé le visage en entendant cela… et Bato avait alors tourné un regard inattendu vers elle.

« Quoi, toi aussi… ? » avait-elle grommelé.

« Oh, non… C’est la première fois que je te vois faire une telle tête devant quelqu’un d’autre que le roi aux yeux d’argent. Celui que je connaissais, je veux dire. »

En y repensant, Asura ressemblait un peu au second Roi aux yeux d’argent. Peut-être que Furcas aussi. En mille ans, il était possible de rencontrer plusieurs personnes qui possédaient la même âme au fond d’eux. Il semblerait qu’Alshiera était destinée à rencontrer de tels garçons.

Oh, je comprends maintenant… Ces enfants possèdent vraiment la même « âme ».

C’est peut-être pour cela qu’elle les avait rencontrés si souvent au fil des ans.

« Il n’a jamais écouté les autres, » dit-elle avec un haussement d’épaules et un soupir amer. « Je me sens épuisée à la seule pensée de devoir traverser à nouveau de telles épreuves. »

« Je vois. Malgré cela, tu as quand même écouté toutes mes demandes, n’est-ce pas, Ashy ? » dit Asura.

Alshiera était une fois de plus désemparée par ce commentaire.

« Oooh ? Lady Alshiera écoutait les demandes des autres ? Quelles étaient-elles, exactement ? » demanda Bato, visiblement intéressé.

« Rien de sérieux, » répondit Asura. « Chaque fois que je partais au combat et que je revenais vivant, je lui demandais de faire quelque chose pour moi. »

« Asura… » Alshiera s’était plainte.

Faire remonter de tels souvenirs était bien trop douloureux pour elle. Mais même si elle avait essayé de l’arrêter, le garçon ne connaissait pas le concept de lecture de l’humeur. De plus, celui qui avait posé la question était un homme qui était entré dans l’histoire pour son horrible personnalité.

« Quelle était la première chose déjà ? Ah oui, son nom. Je lui ai demandé de me dire son nom. Et écoutez ça, Ashy ne pouvait même pas se souvenir de son nom complet, alors elle a dû demander à Orobas. »

« Hmm. Voilà qui est intéressant. »

« On aurait dit qu’elle détestait ça à chaque fois, mais elle continuait à répondre à mes demandes. Pourtant, même si nous avons passé beaucoup de temps ensemble, je n’ai jamais pu la voir sourire. Donc, pour la dernière bataille… »

« Asura. Tu as assez bavardé. »

Le ton d’Alshiera avait complètement changé, mais cela avait semblé rendre Asura plus heureux.

***

Partie 8

« Heh heh ! J’ai l’impression d’avoir enfin revu la bonne vieille Ashy. »

« Haaah… »

Malheureusement, la souffrance d’Alshiera ne s’était pas arrêtée là.

« Le sourire de Dame Alshiera… Ohhh, je comprends maintenant ! »

« Qu’est-ce que tu insinues… ? » murmura Alshiera.

« Oh, rien. Depuis que je te connais, tu le dis toujours. C’était peut-être à cause de ta promesse avec… Je suis désolé, pardonne-moi, je n’ai rien dit. »

Alshiera avait dégainé son chasseur de séraphins, ce qui fit taire Bato au milieu de sa phrase.

« Il est temps de remettre les choses sur le bon chemin, » dit-elle. « Nous avons de nombreux ennemis qui nous barrent la route, mais nous ne sommes que trois. Et pourtant, ils se méfient tous de nous. Si nous ne sommes pas plus habiles qu’eux, nous ne ferons que danser à leur rythme et tout sera fini. »

De plus, elle avait cédé l’un de ses deux chasseurs de séraphins à quelqu’un d’autre. Alshiera avait déjà perdu une grande majorité de sa puissance à cause de ses blessures passées. Même avec ses nouveaux alliés, le déclin de sa force était indéniable. Et pourtant, à ses yeux, la situation n’était pas si mauvaise.

« Comme je l’ai dit hier soir, mon but est d’aider à célébrer l’anniversaire du Roi aux yeux d’argent. À cette fin, Azazel doit être arrêté. »

« Le roi aux yeux d’argent… »

Asura semblait avoir quelque chose à dire, mais Alshiera l’ignora pour le moment. Zagan ferait quelque chose à propos de cette bataille avec Shere Khan s’il était laissé tranquille. Actuellement, la seule chose qu’il ne pouvait pas gérer seul était Nephteros.

« Hmm… Je suppose que la seule chose que nous sommes capables de faire pour lui est de poursuivre Azazel, » dit fermement Bato.

Alshiera était restée dans ce monde dans le seul but d’arrêter Azazel. Naturellement, c’était son désir le plus cher. Mais pour une raison inconnue, elle secoua la tête.

« Nous sommes certainement capables de la tuer, mais pas de la sauver. »

« Veux-tu parler de la fille possédée ? » demanda Bato.

Nephteros était vouée à une mort prématurée à cause des manigances de l’Archidémon Bifrons, mais Alshiera avait promis de la sauver.

« Est-il possible de la sauver ? »

« Oui, c’est le cas, » répondit Alshiera. « Les conditions pour le faire se mettent progressivement en place. Bifrons s’est révélé d’une utilité inattendue. »

Alshiera avait affronté Bifrons avant que l’Archidémon n’attaque Richard. En toute honnêteté, elle avait initialement prévu de rendre Bifrons infirme, comme Shere Khan. En regardant les choses avec du recul, tant qu’il vivait encore, cela n’aurait pas violé les principes d’Alshiera. Bifrons était après tout de loin le pire sorcier qu’elle ait jamais connu. Cependant, il semblait approprié pour le scénario qu’Alshiera avait imaginé, alors elle avait décidé de le laisser vivre.

Grâce à cela, j’ai une chose de moins à faire.

En d’autres termes, Alshiera avait encore une main qu’elle pouvait jouer.

« Cependant, Shere Khan s’attend à ce que nous chassions Azazel, » avait-elle ajouté.

C’était probablement pour ça qu’il avait fait revivre Azazel au départ. C’est Bifrons qui l’avait fait, mais même si le petit Archidémon n’avait rien fait, Azazel serait revenu. Mais Azazel était trop dangereux pour être laissé en liberté. Il fallait l’arrêter d’une manière ou d’une autre. C’était le but initial d’Asura et Bato, après tout.

« Donc, on doit être plus malin que lui et ne pas suivre son plan ? » demanda Asura.

« C’est une façon de faire, mais il doit avoir préparé quelque chose d’autre pour nous au cas où je n’obtempérerais pas. »

« Quelque chose d’autre ? Azazel n’est-il pas la seule chose qui puisse t’affronter ? Même un grand séraphin n’est rien pour toi. »

Asura avait raison. À cette époque, il n’existait rien qui puisse la ralentir, et encore moins la combattre. Même un Archidémon utilisant toute sa force ne mériterait pas son attention. Et si elle ne voulait pas s’occuper directement des choses, elle pouvait simplement disparaître.

« Tu as raison. Personne ne peut m’affronter à cette époque. »

« À notre époque… ? Ne veux-tu pas dire… ? » Asura avait pâli en réalisant à qui elle faisait référence. « Je vois… Cela fait un millier d’années. Je suppose que le vieil homme a cassé sa pipe ? »

« Précisément. Si nous nous affrontons, Kianoides disparaîtra en un instant. Nous devons éviter cela. »

« Cela dit, ils seront sûrement à la base de Shere Khan, » ajouta gravement Bato. « Je vois. Peu importe où tu décides de te montrer, quelque chose a déjà été préparé. C’est notre ennemi, mais je ne peux m’empêcher d’admirer son habileté. »

Il y avait des ennemis qu’Alshiera devait combattre dans trois endroits différents. Après avoir confirmé la situation actuelle, elle avait souri.

« C’est comme ça que ça se passe. Nous allons nous séparer en trois, » conclut-elle.

« Ha ha ha ! Quel esclavagiste, » dit joyeusement Asura.

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. Le Roi aux yeux d’argent aura aussi quelque chose en place. Vous deux pouvez simplement suivre ses plans. »

« Ok ! » hurla Asura en donnant un bon coup de poing à sa paume tout en redressant son dos. « Alors je vais m’occuper d’Azazel. Les séraphins sont ma spécialité ! »

« Alors je vais me diriger vers eux, » ajouta Bato. « Je n’ai aucun moyen de m’en sortir tout seul, mais si les pions du Roi aux yeux d’argent sont en mouvement, j’ai probablement une chance. »

Cependant, Alshiera avait secoué sa tête.

« Non, tu restes derrière à Kianoides, » dit-elle. « Je vais les affronter. »

« Il est parmi eux, tu sais ? »

« C’est pourquoi je dois y aller. Qui d’autre est capable de l’arrêter ? »

De plus, ils savaient tous qu’il était dangereux de laisser Asura ou Bato s’approcher de Shere Khan. Ils devaient être envoyés ailleurs. Il y avait eu des plaintes concernant sa décision, mais assez rapidement, Bato avait baissé la tête avec révérence.

« Comme tu le souhaites, ma Dame. »

« Oh oui, tu veux sauver la fille qui a été possédée par Azazel, n’est-ce pas, Ashy ? » demande Asura. « Qu’est-ce que je dois faire ? Je n’ai pas la main assez délicate pour sauver quelqu’un dans un combat, tu sais ? »

De plus, c’était aussi la destination de Bifrons. L’Archidémon n’aurait pas pu aller ailleurs.

Eh bien, je doute qu’il ait encore des projets à ce stade…

Pourtant, gagner malgré de telles chances était la spécialité d’un Archidémon. Ainsi, Asura ne pouvait pas se permettre d’être négligent.

« Veille à te concentrer entièrement sur la protection de la famille du Roi aux yeux d’argent. Je suis sûre qu’il a envoyé la fille à laquelle il tient le plus. »

« Et elle va sauver la fille possédée ? »

Au lieu de répondre, Alshiera avait simplement enfoncé sa main dans le dos de sa poupée en peluche, puis en avait sorti une épée.

« Non. Le manieur de cette épée sera sûrement celui qui la sauvera. »

« Qu’est-ce que c’est ? Une épée hex… ? Ça n’en a vraiment pas l’air. Mais elle est impressionnante. »

Alshiera avait gloussé, puis avait répondu : « Épée sacrée Camael. Une des épées que nous appelions les lames séraphiques à l’époque de Bato. »

C’était l’épée sacrée qui avait disparu d’à côté de Ginias alors que Shax était avec lui depuis le début.

C’était un garçon étonnamment vif. C’était assez difficile d’enlever ça en douce sous son nez…

Il y avait probablement une grande agitation à l’Église en ce moment à cause du vol, mais cela n’avait pas vraiment d’importance pour elle.

« Hmm… » marmonna Asura en fixant l’épée sacrée, les yeux pleins d’intérêt. « Camael est le nom du dernier grand séraphin que j’ai combattu, non ? Est-ce que cette chose est liée d’une manière ou d’une autre ? »

« Ce n’est pas seulement lié. C’est le même Camael. »

« … Wuh ? »

Alshiera s’était arrêtée sur ce point, caressant la lame avec sympathie.

« Ces reliques sont nées de la dernière lutte vaine des séraphins après avoir été brisées par le Roi aux yeux d’argent. Ce sont les lames ultimes forgées en offrant les corps et les âmes des hauts séraphins. Ainsi, les lames séraphiques. C’est leur véritable identité. »

Après que Marchosias ait purgé les séraphins de toutes les archives, elles avaient été renommées épées sacrées. C’était la vérité derrière ces lames. L’épée dans la main d’Alshiera avait alors commencé à flotter dans l’air par elle-même.

« Je vois. Alors tu as finalement pris ta décision ? Je t’en prie, vas-y. Donne ta force à cet enfant. »

L’épée sacrée s’était envolée, presque comme en réponse à ses paroles, et avait disparu au loin comme une étoile filante.

« Asura. Tu peux simplement frapper le séraphin comme tu l’as toujours fait. Cependant, méfie-toi de l’Archidémon connu sous le nom de Bifrons. Si celui-ci s’en mêle… »

Après qu’elle ait expliqué à Asura le fonctionnement de l’Archidémon Bifrons, il lui avait répondu par un signe de tête.

« J’ai compris ! Quel trou du cul ! C’est ça. Je vais certainement les protéger. »

« Je n’en doute pas, » dit Alshiera en prenant une dernière gorgée de son thé. « Maintenant, il est temps pour nous de bouger. »

« Ouais… Oh, c’est vrai… » Asura avait fait une pause alors qu’il commençait à courir, puis il s’était retourné. « Laisse-moi te dire ceci maintenant, tant que j’en ai encore l’occasion. Je t’ai aimé, Ashy. »

Pourquoi dit-il toujours des choses comme si c’était ses derniers mots… ?

Maintenant qu’elle y pense, il était comme ça depuis qu’elle l’avait rencontré. Elle avait envie de grimacer à cette idée, mais sa confession avait dû lui demander beaucoup de courage. Alshiera n’avait pas oublié qu’elle avait déjà ruiné la vie d’un garçon en refusant de répondre à ses aveux. C’est pourquoi elle avait décidé de lui donner une réponse honnête.

« Merci. Tu étais aussi mon premier amour. »

Sinon, elle n’aurait jamais pleuré quand il est mort.

 

 

« Hwuh !? »Asura sursauta alors que ses pieds s’emmêlaient et qu’il tombait splendidement. Il ne s’était probablement pas attendu à ce qu’elle lui donne une réponse aussi directe.

Observant cela avec un sourire charmé, Alshiera continua à parler avec une expression de sincérité inattendue sur son visage, disant, « Peu importe comment vous deux avez été créés dans cet âge, vous êtes tous deux des êtres vivants. N’importe qui d’autre peut le nier, mais je le considère comme tel. »

Ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle dise une telle chose. Asura et Bato avaient échangé des regards et l’avaient observée attentivement.

« Ainsi, s’il vous plaît, ne mettez pas vos vies de côté sans réfléchir. Je serai peinée si vous ne revenez pas, après tout. »

Asura avait souri en entendant ces mots, puis avait dit : « Alors, quand je reviendrai, sors avec moi. »

Il n’avait pas l’air le moins du monde timide alors qu’il répétait son comportement d’il y a mille ans.

« Essaies-tu de séduire une femme mariée ? » demande Alshiera avec un sourire en coin.

« Une veuve, c’est ça ? Je ne vois pas le problème. »

« Si tu reviens, j’y réfléchirai, » répondit-elle en laissant échapper un soupir résigné.

« D’accord ! C’est une promesse, compris ? Je vais massacrer ce séraphin, sauver la fille, et ensuite on a un rendez-vous ! »

Sur ce, Asura s’était enfui en hurlant de joie. Après l’avoir vu partir avec une stupéfaction muette, Bato reprit ses esprits et s’inclina devant Alshiera.

« Merci. Je ne mérite pas ta gentillesse. Cependant, revenir en vie sera une tâche assez difficile pour moi. »

« Tout ira bien. Dès que j’aurai fini de mon côté, j’irai dans ta direction. D’ailleurs, cette enfant sera là. La situation n’est pas si mauvaise que ça. »

« Je vois… Et qui veux-tu dire par cette enfant ? »

« Je me suis fait une amie à cette époque, » répondit Alshiera en ricanant.

Elle savait déjà quel champ de bataille l’enfant choisirait. C’est pour cela qu’elle avait cédé l’un de ses chasseurs de séraphins malgré la situation.

***

Partie 9

Néanmoins, la bataille sera rude.

Elle avait l’impression que Bato était quelque peu inadapté à s’occuper de cette enfant, mais c’était le mieux qu’Alshiera pouvait offrir.

Malgré tout ce qu’il avait entendu, une expression inquiète était restée sur son visage.

« Est-ce que ça va vraiment s’arranger ? » avait-il demandé.

« Quelles paroles de faiblesse venant de toi ! Nos batailles n’ont-elles pas toujours consisté à vaincre les obstacles ? »

« Je parlais de toi, Lady Alshiera. »

Alshiera avait touché la blessure à sa taille. Comme elle s’y attendait, Bato avait remarqué la blessure. C’était exactement la raison pour laquelle elle avait répondu en posant sa propre question.

« Sais-tu quelle arme a tué le plus de gens au cours de l’histoire ? »

« La Malice. Les épées et la sorcellerie n’ont tué que des dizaines de milliers de personnes. Ou peut-être quelques centaines de milliers tout au plus. Cependant, la malice est une chose totalement différente. Depuis l’aube de l’histoire, elle a imprégné tous les peuples, des pauvres aux rois. En tant qu’arme, elle peut voler des dizaines de milliers de vies en un seul instant. »

Alshiera avait hoché la tête après avoir entendu sa réponse.

« Exactement. Et il y a deux côtés à la pièce connue sous le nom de malice. Ceux qui s’en servent n’atteignent la perfection que lorsqu’ils maîtrisent les deux. »

C’était précisément grâce à cet autre côté que l’humanité avait survécu malgré le fait qu’elle ait été fauchée par la malveillance.

« Alors, veux-tu dire… ? » Bato avait marmonné comme s’il essayait d’avaler ces mots.

« Le Roi aux yeux d’argent a accompli la forme ultime de la malice, connue sous le nom de Phosphore du Ciel. »

C’est pourquoi elle savait que tout irait bien. Elle devait juste s’accrocher un peu plus longtemps.

Il n’a peut-être plus besoin de ma force… Avec cette pensée en tête, elle posa sa tasse et se leva.

« Maintenant, je devrais vraiment y aller. J’aimerais voir son visage plus tôt que tard. Cela fait si longtemps. »

« Bonne chance à toi, Madame. »

Alshiera s’était transformée en d’innombrables chauves-souris et s’était dirigée vers son propre champ de bataille.

« La vie que j’ai maintenant est la mienne…, » après s’être murmuré ces mots, Bato s’était lui aussi mis en mouvement. Tout ce qui restait derrière était la table et le service à thé déplacés.

« Je t’ai cherché, Bifrons. C’est donc ici que tu étais, hein ? »

« Yo, Naberius. Es-tu venu ici avec des nouvelles amusantes ? Non pas que j’aie déjà ri de tes blagues stupides. »

Bifrons se trouvait dans un certain village désert, loin de Kianoides. Son visage était complètement pâle, et du sang noir coulait continuellement de son épaule droite. Le Phosphore du Ciel de Zagan avait empiété tout le long du bras. Il se frayait un chemin sur sa poitrine maintenant. Il ne possédait plus la force de dire quoi que ce soit de spirituel.

Son dos était appuyé contre le mur d’un bâtiment délabré. Il ne pouvait même plus se tenir debout et ne bougeait pas d’un pouce. Même une seule respiration envoyait une douleur intense dans son corps. Ainsi, il savait que perdre conscience signifiait ne plus jamais se réveiller.

Comment cette vampire a-t-elle pu souffrir d’une telle blessure et rester parfaitement calme ?

Alshiera avait soi-disant été affligée d’une blessure similaire, et elle avait été infligée par un être qui surpassait de loin Zagan. Néanmoins, elle n’avait pas montré le moindre signe de douleur. Bifrons n’avait d’autre choix que d’admettre qu’elle était vraiment la plus forte, et pas seulement lorsqu’il s’agissait de faire preuve de violence. Son esprit inébranlable était dans une ligue à part. Personne ne pouvait l’égaler.

« Hee hee hee ! Quelle froideur ! En fait, je t’aime plutôt bien, tu sais ? »

Ce sorcier, qui parlait d’une voix douce et regardait Bifrons d’un seul œil, était la personne avec laquelle Bifrons voulait le moins s’impliquer au monde. Ce n’était même pas un problème d’être amusant ou non, ou de le détester ou non. Il était tout simplement impossible pour eux de s’entendre sur un plan physiologique.

Malgré sa voix douce, il cachait sous ses robes une carrure extrêmement robuste. Un seul grand œil émergeait du masque qui recouvrait l’ensemble de son visage, mais il en avait plus d’un sur son visage. En fait, sa véritable forme possédait dix yeux magiques. Il était un observateur. Et pour couronner le tout, c’était un excentrique qui pouvait même faire reculer Bifrons de terreur.

L’Archidémon Naberius. Il était apparemment en train de travailler sur quelque chose à la demande de Zagan, alors qu’est-ce qu’un tel homme pouvait bien avoir besoin de Bifrons ?

« Si tu n’as besoin de rien, peux-tu partir ? » dit Bifrons. « Comme tu peux le voir, je suis dans un sale état. Je préfère être seul en ce moment. »

« C’est exactement la raison pour laquelle je suis ici, » répondit Naberius, un regard triste remplaçant son regard jovial. « Désolé… On dirait que je ne peux pas te sauver. »

Bifrons avait été pris de court par cette déclaration inattendue. Il connaissait son propre corps mieux que quiconque.

« Comme c’est gentil de ta part, Naberius, » avait-il dit en s’ébrouant. « Cependant, ce ne sont pas les mots d’un Archidémon. »

« Même les Archidémons peuvent montrer de l’affection pour les autres. Tu le sais aussi, n’est-ce pas ? » Naberius parla, en tendant un bras épais couvert de muscles d’acier de sa robe. « Nous sommes opposés dans tous les domaines. Comme les deux faces d’une pièce. Cependant, cela signifie aussi que nous nous ressemblons. »

« Pourrais-tu sérieusement me laisser tranquille… ? » implora Bifrons, se sentant physiologiquement dégoûté. Naberius disait pourtant la vérité. Aucun d’entre eux n’écoutait les gens quand ils parlaient, après tout.

« Il y a notre sens de la beauté, par exemple. La façon dont tu es de telle sorte que personne ne puisse dire si tu es un homme ou une femme est tout le contraire de mon sens de l’esthétique, mais ils sont, en fait, très similaires. Les deux faces d’une même pièce, n’est-ce pas ? »

Sur ce, Naberius rapprocha ses poings et gonfla ses muscles dans un grognement d’effort. La vue de ses pectoraux palpitants donnait à Bifrons l’envie de vomir.

« Je déteste vraiment cette partie de toi, » avait-il dit avec un soupir involontaire.

« Hee hee hee ! Et j’aime plutôt cette partie de toi, » répondit Naberius en haussant les épaules. « Bien, c’est assez de préambule. »

« Est-ce qu’on va enfin aller droit au but ? » demanda Bifrons d’un ton quelque peu déconcerté.

Naberius regarda l’Archidémon d’un air étonnamment sérieux, puis il déclara : « Si tu souhaites céder ton sceau de l’Archidémon à quelqu’un, je t’écoute. »

Il n’y avait vraiment aucune autre raison pour Naberius de venir jusqu’ici pour voir Bifrons. Cependant, ses mots semblaient impliquer qu’il voulait respecter la volonté de Bifrons.

« C’est gentil de ta part. Zagan ne va-t-il pas s’énerver contre toi pour ça ? »

« Oh là là. Tu t’inquiètes pour moi maintenant ? Ça va aller. M’occuper de ton Emblème ne fait pas partie de mon contrat avec lui. »

Il était apparemment sérieux. Bifrons avait un peu hésité. Fondamentalement, il rejetait désespérément l’idée de céder son destin à un autre. Il mourrait par sa propre volonté, au moment et à l’endroit de son choix. Même s’il en avait déjà fini avec le monde à ce moment-là, remettre quelque chose qui lui appartient à un autre lui semblait discutable.

Eh bien, peu importe…

Il n’avait plus le loisir de penser à de telles choses. Si Naberius était vraiment prêt à remettre l’Emblème de l’Archidémon à une personne choisie par Bifrons, il fallait s’en féliciter. Le fait qu’il soit utilisé dans ce processus n’avait plus vraiment d’importance.

« Je te méprise vraiment, » dit Bifrons, en affichant un sourire comme une démonstration minimale de défi, « Pourtant, je dois reconnaître que tu as l’œil pour les autres. »

« Oh ? »

« Je voudrais que mon Sigil aille à — . »

En entendant ce nom, Naberius avait plissé les yeux avec bonheur. Celui qu’ils avaient nommé était le sorcier que Naberius avait recommandé pour succéder à Marchosias il y a un an, après tout.

« Hee hee hee ! Tu comprends donc à quel point elle est charmante, je suppose ? »

« Heh heh… Je suis offensé d’être d’accord avec toi, mais c’est une enfant plutôt fascinante. Si je devais rejouer avec elle, je pourrais perdre même si j’étais en parfaite forme. »

Il y a un an, Zagan avait été le seul candidat avec un tel potentiel. Cependant, la jeune fille avait grandi bien plus que ce que Bifrons avait prévu. C’était peut-être la seule fois où il avait été aussi profondément touché par un autre depuis qu’il était devenu Archidémon.

« Alors, très bien, » répondit Naberius avec une inclinaison théâtrale. « Lorsque tu mourras, je lui remettrai ton sceau d’Archidémon. Je te le promets sur l’honneur de l’Archidémon Naberius. »

Il s’interrompit alors, fit mine de se souvenir de quelque chose, et ajouta : « Maintenant, c’est tout ce que j’ai à faire ici, mais je me demande pourquoi t’es-tu isolé dans cet endroit ? »

Tu le sais déjà, évidemment. Quelle impudence !

Cette impudeur était ce qui rendait ces deux Archidémons si semblables, mais Bifrons ne semblait pas apprécier cela. Voyant que Bifrons restait silencieux, Naberius jeta un regard admiratif sur la zone.

« Pour une raison inconnue, cette chose est attirée par l’Emblème de l’Archidémon. Tu as l’intention de l’appeler en utilisant le tien, n’est-ce pas ? »

Même en ayant perdu son bras droit, la main désincarnée de Bifrons marquée de l’Emblème trônait sur ses genoux. Naberius avait beau être un excentrique, il n’en restait pas moins un Archidémon de six cents ans. Il avait donc pu lire les intentions de Bifrons en un instant.

« Je ne pensais pas que tu étais devenu si sénile que tu avais besoin de sortir de tes gonds pour confirmer une telle chose, » dit Bifrons avec une grimace.

« Hee hee hee ! Non, tu te trompes. Je te demande pourquoi tu as choisi cet endroit en particulier. Il n’y a personne à proximité. En fait, il n’y a rien dont tu puisses te servir. Cela ne te place-t-il pas dans une situation très désavantageuse ? »

« Eh bien… L’Archidémon Orias déteste que les autres voient sa véritable identité et sa force. Ne suis-je pas terriblement prévenant en nettoyant l’endroit pour elle ? »

Oui. Bifrons n’avait pas besoin de se battre du tout. Tant qu’il arrachait la victoire à la fin, rien d’autre ne comptait.

« Tu es vraiment toujours malhonnête avec toi-même, » répondit Naberius avec un sourire amusé. « Eh bien, je suppose que c’est ce que j’attendais de toi. »

Il avait ensuite pris place à côté de Bifrons, d’un air résigné.

« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Bifrons.

« Je vais te donner un coup de main. Honnêtement, tu n’es pas certain qu’un seul Emblème suffise à attirer cette chose, non ? » répondit Naberius en ricanant. « Aussi, j’ai un peu de temps à tuer. Surveiller cette bataille est peut-être le travail du Seigneur des Yeux Magiques, mais cela me laisse beaucoup de temps à perdre. Je peux au moins t’écouter. »

« Mais je t’ai dit de me laisser tranquille… »

Réalisant une fois de plus qu’il détestait vraiment cet homme, Bifrons avait laissé échapper un soupir.

***

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