Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 13 – Chapitre 1

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Personne ne veut mener une bataille perdue d’avance

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Personne ne veut mener une bataille perdue d’avance

Partie 1

« Tu m’écoutes ? Ce monde a été ruiné par la Guerre Divine il y a deux cents ans. Les sorciers ont le devoir de guérir les blessures du monde et de confier l’avenir à la prochaine génération. Si nous nous en prenions à tout le monde comme tu le fais, ce monde faible dans lequel nous vivons périrait en un instant. »

Avec un dernier « Compris ? » la jeune fille, qui ne semblait pas avoir plus de quatorze ans, me tapota la tête avec sa pipe kiseru. Elle avait de longs cheveux ondulés, légèrement blonds. Son grand front ressortait de manière proéminente malgré son petit visage, qui était mis en valeur par ses yeux bleus. Si ce n’était son sourire impudent, elle serait très belle. Son apparence suffisait à faire croire qu’elle était la fille d’une famille aisée.

Cependant, elle portait un chapeau triangulaire surdimensionné, une pierre magique décorait un ruban autour de son cou, et une cape noire reposait sur ses épaules. Sa tenue ressemblait à celle d’une sorcière tout droit sortie d’un conte de fées, mais en raison de son jeune âge, elle avait plutôt l’impression d’être une enfant qui joue à se déguiser.

 

 

« Les sorciers ont guéri le peuple et le monde, tandis que les chevaliers angéliques les ont guidés. C’est ainsi que le monde s’est finalement remis sur pied. Il est devenu assez paisible pour qu’on pardonne à un gamin turbulent comme toi de faire ce qui te plaît. »

J’avais ressenti une humiliation insupportable à me faire sermonner par une enfant comme elle. Cependant, si j’étais prostré sur le sol, c’était précisément parce que je n’avais pas pu supporter une telle humiliation, que je m’étais jeté sur elle et que j’avais été terrassé sans difficulté. J’avais serré les dents et l’avais regardée fixement. La fille laissa échapper un soupir exaspéré. Un emblème bizarre marquait sa main droite, libérant une énorme quantité de mana.

« Bon sang… N’as-tu aucune fierté à être le disciple de l’Archidémon en chef de la seconde génération, Lisette Dantalian ? Tu sais que n’importe qui ici-bas jetterait tout ce qu’il a juste pour recevoir mon enseignement, n’est-ce pas ? »

Les sorciers qui manipulaient les phénomènes paranormaux existaient dans ce monde… et cette fille était l’un des treize rois qui les gouvernaient tous. La majorité des Archidémons de la première génération étaient morts pendant la Guerre Divine, et les Archidémons actuels étaient donc considérés comme la deuxième génération. Incroyablement, la tête de cette deuxième génération était la petite fille devant moi. Sa puissance surpassait celle des douze autres, ce qui était digne de son titre, et elle était même aimée en raison de son apparence et de sa personnalité. Elle brillait comme le soleil dans le ciel. C’est pourquoi elle me dégoûtait. Je n’avais pas demandé à être son disciple. Je lui avais répondu en rugissant, et elle avait lâché son tuyau de kiseru sur ma tête avec un autre bruit sourd.

« Imbécile. Si je ne t’avais pas recueilli, tu aurais été exécuté, tu te souviens ? Sache où est ta place. »

J’avais attaqué les villages de la région, commettant toutes les atrocités imaginables, et j’avais été battu à plate couture par cette petite fille. Depuis, elle m’appelait son disciple et m’imposait des corvées inutiles. Je m’étais encore rebellé aujourd’hui, mais j’avais subi une défaite totale une fois de plus. La fille posa son menton sur sa main tout en maintenant sa pipe et poussa un nouveau soupir de fatigue.

« Haaah… Pourquoi es-tu si rebelle ? Est-ce ce qu’on appelle la phase de rébellion ? Je devrais peut-être demander au Maît… Je veux dire, Marchosias, la prochaine fois. Mais il a un sérieux complexe de sœur, alors je pense que lui demander à propos des enfants serait une erreur. Que faire… ? »

Je lui avais aboyé dessus, lui demandant quel genre de conneries arbitraires elle déblatérait et si elle se prenait pour mon parent, quand son tuyau de kiseru était redescendu… ou du moins c’est ce que je pensais, mais elle m’avait effleuré la tête.

« Hmm. C’est vrai. Tu ne sais même pas ce qu’est un parent, n’est-ce pas… ? Alors, très bien. D’abord, je t’aimerai. Je te fournirai ce que les autres considèrent comme acquis. »

Je lui avais crié dessus, lui disant que ce n’était pas ses affaires, et qu’une gamine stupide comme elle devrait descendre de ses grands chevaux.

« Hee hee. D’abord, tu devras apprendre à respecter tes aînés. J’ai peut-être l’air de ça, mais j’ai deux cents ans, tu sais ? Je suis un témoin vivant de la Guerre Divine, après tout. »

Peu importe à quel point je rugissais, elle me faisait face avec un sourire agréable.

« Il y a un pays à l’est appelé Liucaon. Ils ont un dicton qui dit “comme un dragon pour un tigre”. Cela signifie être fort et rivaux égaux, car un tigre est au même niveau qu’un dragon. Je vais faire de toi un tigre digne de ce proverbe. Sois reconnaissant. »

Tigre — c’était mon surnom. C’était une race issue des légendes qui ne pouvait plus être vue dans le monde. Les tigres dont on parle dans les histoires étaient des avatars de la calamité. Le peuple tigryn, dont le nom était basé sur ces créatures, possédait également une irrésistible pulsion de destruction.

Face à une bête aussi méchante, cette fille lui avait offert un amour inconditionnel. Il n’avait pas fallu beaucoup de temps pour qu’un désir ardent germe dans mon cœur. Et donc, même jusqu’au jour où je l’ai perdue…

 

« Dantalian… »

Dans une sombre salle souterraine, le Roi Tigre mourant murmurait un nom qui lui était cher en fixant l’Emblème de l’Archidémon sur sa main droite, celui qui lui avait appartenu.

« Je ne pouvais pas… devenir le genre de tigre… que tu souhaitais. »

Elle ne lui aurait sûrement pas pardonné ce qu’il était devenu. Il n’avait pas réussi à devenir fort comme elle. En deuil de celle qu’il aimait, il ne pouvait même pas accepter le fardeau de sa mort. Après tout, un monde sans elle n’avait aucun sens à ses yeux.

Ce qui est vraiment malheureux, c’est que Shere Khan avait découvert un moyen de récupérer ce qui avait été perdu. Peu importe la quantité de sang et de ressentiment dans laquelle il devait s’enduire, il était prêt à tout pour y parvenir.

Une fois de retour, elle ne l’accepterait jamais comme elle l’avait fait autrefois. Elle le mépriserait sûrement. Mais cela n’avait pas d’importance. L’important était qu’elle vive. À cette fin, il était prêt à tout sacrifier, même lui-même.

Pourtant, bien qu’elle ait souhaité qu’il devienne un tigre qui protège le monde, il avait passé huit cents ans à se tortiller dans cette crevasse entre des idéaux et des souhaits contradictoires. Les Archidémons étaient venus et repartis tant de fois au cours des siècles. Maintenant que Marchosias était mort et qu’Andrealphus avait été vaincu, Shere Khan était le seul survivant de cette époque. Même lui ne savait pas comment cela allait se terminer.

« Mais pas une seule des choses… qui se sont produites jusqu’à présent… n’a été en dehors de mes calculs. »

L’attaque d’Andrealphus, le départ de Bifrons et même la résurrection d’Azazel s’étaient entièrement déroulés comme prévu. Outre Shere Khan et Zagan, qui étaient sur le point de s’affronter directement, il y avait Bifrons et Orias. Selon les circonstances, même Naberius et Furcas pourraient s’en mêler. De plus, même s’il avait été réduit à l’état de marionnette, Andrealphus était là aussi.

Combien de personnes pouvaient lire une bataille qui allait impliquer une bonne moitié de tous les Archidémons ? Ceux qui le pouvaient étaient les véritables menaces.

Je suppose qu’il y a Bifrons… et probablement aussi Alshiera.

Orias était impliqué, mais ne s’affirmait pas. Naberius allait probablement rester spectateur. Furcas était brisé. Quant aux Chevaliers Angéliques… Shere Khan ne pouvait pas les comprendre.

N’importe qui d’autre ne serait même pas debout sur la scène de la bataille. Le fait qu’ils n’aient pas été capables de prédire ces événements signifiait que leurs préparatifs seraient insuffisants. Ils ne seraient pas une menace. Ainsi, à partir de ce moment, tous ceux qui avaient un pas de retard étaient fichus.

Alors, jusqu’où Zagan avait-il réussi à lire en avant ? Cet Archidémon possédait une puissance terrifiante et se développait à un rythme sans précédent. Aucun des Archidémons ne pouvait l’affronter sans problème et gagner. Mais hélas, Zagan était bien trop jeune.

Cela avait été le principal point de discorde entre les Archidémons lors du choix du successeur de Marchosias. Il avait cependant accédé au siège d’Archidémon précisément en raison de la puissance et du talent qui lui avaient permis de surpasser un tel défaut. Maintenant, l’assiduité et la croissance de Zagan pouvaient-elles vraiment surpasser les huit cents ans d’expérience de Shere Khan ?

Non, je ne peux pas gagner si je ne suppose pas qu’il l’a fait.

Cet homme avait hérité du sang du plus grand héros qui ait jamais honoré ce monde. Et tout comme les héros du passé, il avait un besoin intense de force. Mais contrairement à eux, il traitait ses ennemis sans pitié et avec sang-froid. Honnêtement, Shere Khan craignait plus de se faire un ennemi de lui que de Marchosias.

Marchosias…

Se souvenir de ce nom avait fait remonter des émotions mélancoliques au sein du Roi Tigre. C’était déjà terminé. Ce vieil homme répugnant était après tout mort des propres mains de Shere Khan. Peut-être que la chasse aux espèces rares n’avait été qu’une facette de la vengeance contre Marchosias. Rassembler les facteurs nécessaires à Azazel n’avait pas nécessité de massacre en masse, mais il l’avait fait quand même. Ça avait dû être humiliant de voir les espèces rares qui étaient sous sa protection se faire massacrer comme ça.

Shere Khan ne s’en était pas non plus tiré à si bon compte, mais le sort de ce vieil homme, oublié de tous et dont la puissance avait été ciselée jusqu’au bout, avait dû lui laisser un trou béant dans le cœur. Il l’avait vraiment battu à plate couture. La seule question qui restait était de savoir si le peu de vie qui restait au Roi Tigre tiendrait le coup. Le fauteuil roulant de Shere Khan grinça tandis qu’il ferma tranquillement les yeux… quand il entendit un gémissement soudain à proximité.

« U-Ugh… Où… ? »

Un énorme monument de pierre se dressait derrière lui. En son centre se trouvait une femme à moitié pétrifiée. C’est elle qui avait gémi. L’enchanteresse Gremory. Le bras gauche de l’Archidémon Zagan et la disciple personnelle de l’Archidémon Orias. Elle était également le mentor de la Lame Noire, Kimaris et avait probablement de nombreuses autres relations. Elle semblait avoir une vingtaine d’années, mais avait en réalité plus de 150 ans. Shere Khan laissa involontairement échapper un soupir d’admiration en la voyant sortir de son sommeil.

 

 

« De penser… que tu pourrais reprendre conscience. Je n’imaginais pas… que c’était possible. »

Cette femme possédait un pouvoir qui rivalisait avec celui d’un Archidémon, mais elle possédait également un pouvoir inhabituel appelé le mauvais œil de Balor. Shere Khan l’avait donc immobilisée avec un dispositif d’absorption de mana qui la drainait jusqu’aux limites du maintien de sa vie. La blessure qu’elle avait reçue d’Andrealphus était fatale. Il était absurde d’envisager qu’elle puisse se réveiller de son état comateux.

« C’est bien approprié venant… de l’Enchanteresse Gremory. Je peux voir pourquoi… tu es la favorite… pour être le prochain Archidémon. »

Cette femme était une ancienne candidate Archidémon. Elle avait immédiatement compris la situation dans laquelle elle se trouvait et avait formé un sourire provocateur.

« Donc ça fait de toi l’Archidémon Shere Khan. Kee hee hee. Je suis ravie d’être honorée par les louanges d’un Archidémon. »

Après cela, elle tourna ses yeux tristes, mais affectueux vers lui.

« L’Archidémon en chef de la seconde génération… C’était tes souvenirs ? » demanda-t-elle.

Les yeux de Shere Khan s’étaient ouverts en grand.

« Est-ce que l’Emblème… s’échappe de mon corps ? Ou est-ce… l’influence d’un fomorien ? »

Son corps était déjà à sa limite. Après avoir été abattu par Andrealphus, il ne serait pas étrange qu’il périsse à tout moment. Il était donc logique que le sceau de l’Archidémon cherche son successeur. Il se trouve qu’il y avait après tout là un sorcier extrêmement talentueux. De plus, on disait que les fomoriens étaient aussi les ancêtres des succubes, il ne pouvait donc pas nier la possibilité qu’ils eussent le pouvoir d’interférer avec les rêves ou les souvenirs. Dans tous les cas, elle avait vu les souvenirs de Shere Khan.

« Comme… c’est intéressant. Comment fais-tu pour maintenir ta conscience dans cet état ? De plus… comment as-tu… entrevu… mes souvenirs ? »

Gremory sourit comme si elle avait tout compris rien qu’avec ces questions.

« Quelle étrange question de la part d’un Archidémon. Tout comme tu as provoqué un tel incident en misant tout ce que tu as, moi aussi j’ai quelque chose de plus important que ma vie… » Elle s’arrêta là, puis fit une proclamation bruyante comme si elle dévoilait sa raison d’être. « Moi, l’enchanteresse Gremory, même en étant dans un état de faiblesse, comment pourrais-je rester tranquillement endormie avec un tel pouvoir d’amour devant moi ! »

« Hein… ? L’amour… quoi ? »

« Le pouvoir de l’amour ! »

Le silence s’installa dans la pièce. Une immobilité douloureuse s’était répandue autour d’eux. Ce n’était cependant pas parce qu’elle avait mis Shere Khan en colère.

Que faire ? Même si ce serait un échec et mat si je me trompais dans un seul coup, il y a quelqu’un ici que je ne peux pas du tout comprendre…

Honnêtement, c’était peut-être la toute première situation que le Roi Tigre, dont tout s’était passé exactement comme il l’avait prévu, n’avait pas pu prévoir.

***

Partie 2

« Si la quantité de préparation décide du vainqueur, alors il n’y a pas de victoire possible dans cette bataille. »

Raphaël fit un signe de tête à Zagan en affichant un peu de déception, puis sourit légèrement.

« Mon seigneur… Malgré cela, tu sembles t’amuser un peu. »

Alors qu’il venait de déclarer la défaite, Zagan avait un sourire sur le visage, comme s’il trouvait la situation amusante.

« Hmph. Ça ne va pas le faire. Il semblerait que tout ça soit devenu un peu plus amusant. »

Il se racla la gorge comme pour se réprimander, puis fit de nouveau face à Raphaël.

« Je suppose que je ne peux pas calomnier Bifrons, » dit-il à son majordome. « Un jeu d’esprit entre Archidémons est plutôt intéressant. Si la vie de mes subordonnés n’était pas en jeu, j’aurais pu m’y intéresser de près. »

Bien qu’affirmant qu’il n’avait aucun moyen de gagner, Zagan n’avait pas la moindre pensée de défaite dans son esprit.

Raphaël regarda l’humeur formidable de son seigneur et demanda : « Alors, as-tu un moyen d’écraser une armée de dix mille hommes ? »

L’armée de Shere Khan n’était pas composée de dix mille soldats réguliers. Elle était composée de dix mille héros. Les deux individus qui étaient apparus lors de la bataille contre Nephteros avaient une puissance équivalente à celle d’un archange. Ils s’étaient appelés Asura et Bato. Même si cela avait été fait sous le commandement d’Alshiera, ils avaient été capables de combattre Nephteros à armes égales. Si Zagan devait minimiser son estimation, ils avaient au moins la même puissance que les frères Juutilainen qu’il avait combattus à Raziel.

C’était terrifiant de penser qu’il y avait des hommes comme ça partout il y a mille ans, mais qu’ils étaient morts comme de la mauvaise herbe qu’on arrache du sol. Il serait prétentieux de penser que l’époque actuelle pourrait les surpasser. D’après les informations qu’il avait obtenues de Dexia, il s’agissait d’homoncules spécialement créés par Shere Khan. Il les appelait les Nephilims, mais ils étaient en fait des tentatives de réplication d’Azazel.

Tant qu’ils avaient un fragment d’Azazel en eux, il était préférable de supposer qu’ils possédaient plus de puissance que lorsqu’ils vivaient. Même si les dix mille soldats ne répondaient pas à cette norme, les Chevaliers Angéliques de Kianoides ne pouvaient pas se comparer à un tel nombre ou à une telle qualité individuelle. Peut-être même que toutes les forces de l’Église du continent réunies n’en seraient pas capables. C’était après tout comme faire face à dix mille Archanges.

« Nous n’aurons aucun mal à faire face à une armée de dix mille personnes, » répondit Zagan, comprenant parfaitement toutes ces informations. « Nous pouvons simplement les attirer dans un endroit désert et les massacrer. »

Ce n’était pas facile à faire pour un Archidémon, mais ce n’était pas non plus impossible. Les seuls à pouvoir affronter une armée et la faucher directement étaient Zagan et Andrealphus, mais il était absurde pour les sorciers d’accepter un défi de front comme une sorte de duel.

Par exemple, si Orias devait sérieusement défier une armée, ils n’arriveraient jamais à sa portée. Son surnom était la Calamité. Avec sa puissante sorcellerie, son mysticisme céleste, et sans parler de son invocation de démons, c’était comme si elle combattait la terre et la nature elle-même.

Alors je suppose que je dois emprunter la force d’Orias dans le combat à venir…

Zagan trouvait honteux de devoir supplier la mère de son épouse bien-aimée de se battre. Mais les plans de Shere Khan étaient bien trop complexes et impitoyables pour prendre le moindre risque. Selon toute vraisemblance, le Roi Tigre s’était préparé en supposant qu’il affronterait tous les Archidémons restants. Zagan devait mettre tout ce qu’il avait en œuvre pour l’abattre. Cela valait la peine de se déshonorer pour protéger sa fiancée, sa fille et ses subordonnés.

Pourtant, les massacrer tous ne me convient pas vraiment.

Zagan pensait que tout méchant méritait au moins une chance de se repentir. Même si ses adversaires étaient des Néphilims créés artificiellement, cela ne changeait rien. C’était la guerre, mais massacrer sans pitié dix mille personnes allait toujours à l’encontre de ses convictions profondes. Cela ne lui convenait pas, mais il n’avait probablement pas d’autre choix. Le plus gros problème était que cette armée n’attaquerait pas Zagan lui-même, mais Kianoides et tous ses subordonnés. Les garder sous contrôle serait un exploit extraordinaire.

« Hmm. Donc tout ceci est conforme à tes attentes, mon seigneur ? » demanda Raphaël, les yeux écarquillés par la nouvelle.

« Si c’était le cas, il aurait été plus approprié de les écraser avant qu’ils ne puissent faire quoi que ce soit. Le fait de devoir agir à reculons signifie que c’est déjà au-delà de mes attentes. Bon, j’ai quand même pensé que ça finirait comme ça, donc ce n’est pas grave. »

Même si Shere Khan ne possédait plus la force qu’il avait autrefois, il était toujours un Archidémon, et Zagan n’avait pas été le moins du monde imprudent. Qu’est-ce qui était possible pour un Archidémon ? Jusqu’où pouvait-il aller ? Au cours des trois derniers mois, Zagan avait passé toutes ses heures à réfléchir à ces questions.

C’est l’une des situations les plus terribles parmi celles que j’avais prévues, mais pas la pire.

Le pire aurait été de perdre Néphy ou Foll. Il avait perdu Gremory et Kimaris, mais il était encore possible de les récupérer. Gremory était en vie, donc la perspective de récupérer Kimaris demeurait. Richard était aussi toujours en vie, et Zagan prouverait qu’il pouvait sauver Nephteros. Rien de ce qui s’est passé ne peut être défait.

Pour en revenir au début de cette conversation, lorsqu’il s’agit d’une bataille, la quantité de préparation décide du vainqueur. Zagan lui-même était extrêmement puissant, mais il ne pouvait pas faire grand-chose face à une armée entière. C’est pourquoi il devait mieux se préparer.

« Si la préparation d’une bataille se mesurait au nombre de soldats, alors je n’aurais aucune chance de gagner. Après tout, je ne peux aligner que quarante sorciers pour affronter dix mille héros. »

« Hmm, alors tes préparatifs sont-ils allés au-delà de ça ? »

Au lieu de répondre tout de suite, Zagan croisa les jambes dans l’autre sens. Son visage avait déjà retrouvé sa vitalité, et ses yeux argentés se concentraient sur l’état de la guerre. Zagan n’était pas assis sur son trône pour se lamenter sur sa situation actuelle. Ce trône était le noyau du château. Et en tant que seigneur, Zagan pouvait se remettre de la plupart de ses blessures en un rien de temps, juste en s’asseyant dessus.

« Il y a apparemment un jeu qui s’appelle les échecs, » déclara Zagan sans crier gare. « Dans ce jeu, vous avancez des pièces aux rôles prédéterminés sur un plateau afin de prendre le roi de votre adversaire. »

Les sourcils de Raphaël se froncèrent, comme s’il trouvait cela inattendu, avant de donner à Zagan un sourire en coin.

« Tu n’as donc aucune expérience des échecs, monseigneur ? »

« Malheureusement non. Je ne suis pas assez doué pour m’amuser tout seul avec ce genre de choses, vois-tu. »

Le jeu nécessite un adversaire. Et pendant de nombreuses années, la seule personne à qui Zagan avait pu parler était Barbatos, et cet ami indésirable n’était pas du genre à s’intéresser à un quelconque jeu. Zagan comprenait les règles en lisant sur le sujet, mais il n’avait jamais vraiment joué. Il n’était plus seul depuis qu’il avait rencontré Néphy, bien sûr, mais il ne pouvait pas se résoudre à faire participer cette charmante fille à un jeu de conflit.

Raphaël avait souri avec amusement. Si quelqu’un qui ne le connaissait pas était témoin de cela, il y verrait un sourire sanglant juste avant qu’il ne s’apprête à décapiter quelqu’un.

« Alors un jour, je serai ton adversaire, » avait-il dit.

« Hmm. J’ai hâte d’y être. »

« Ce n’est qu’un passe-temps pour moi. C’est un peu troublant si tu attends trop de moi. »

Zagan avait des scrupules à utiliser un jeu auquel il n’avait jamais joué pour faire avancer la conversation, mais il avait quand même continué.

« Reprenons le fil. Une bataille ressemble beaucoup aux échecs. Même si le plateau est couvert de pièces, vous ne pouvez en déplacer qu’une à la fois. Vous perdez toujours si votre roi est pris. À ce titre, la préparation d’une bataille ne consiste pas simplement à préparer davantage de soldats, mais aussi à lire au mieux l’échiquier sur lequel se déroule la bataille. »

Pendant Alshiere Imera, lorsque Shere Khan avait libéré un nombre massif de morts-vivants mal faits, Zagan avait prédit l’ampleur de la bataille qui viendrait un jour. C’est pour cela qu’il avait commencé à collectionner les livres liés à la stratégie militaire.

Selon les légendes, un héros ou un stratège unique avait renversé le cours de la guerre. Cependant, cela ne se faisait pas grâce aux miracles ou aux pouvoirs des individus. Il avait lu l’ensemble du tableau avec un esprit calme et impitoyable. Si quelqu’un pouvait calculer comment tous les jetons allaient tomber, peu importe leur nombre, n’importe quel jeu pouvait être gagné. La victoire dans la bataille était obtenue en arrangeant de telles choses et en les accélérant.

J’ai une pièce assez forte pour prendre le roi. Le principal problème est de l’amener là-bas, mais c’est déjà résolu.

Cependant, contrairement aux échecs, Zagan ne pouvait pas traiter ses pièces — ses subordonnés — comme des éléments jetables. Et de plus, l’adversaire de Zagan était le plus vieil Archidémon vivant. Shere Khan avait ignoré l’éloignement et le déchaînement de Bifrons, sachant que cela arriverait, et s’en était servi. C’est ce qui avait créé cette situation avec Nephteros qui pesait lourdement sur l’esprit de Zagan. Et en faisant cela, il avait aussi restreint les mouvements d’Alshiera.

Compte tenu de la façon dont Shere Khan avait prémédité tout cela, le Roi Tigre, dont on disait qu’il surpassait Andrealphus dans la fleur de l’âge, était encore en bonne forme. À ce stade, il était certainement celui qui manipulait toute la situation avec le plus grand effet.

Dans ce domaine, je ne peux pas surpasser l’expérience de Shere Khan.

Zagan ne pouvait pas l’égaler en termes de force militaire ou de stratégie. Tout ce qu’il pouvait faire pour inverser le cours des choses était de prier pour un miracle quelconque.

Je n’ai qu’une seule main à jouer pour renverser cette situation.

Oui. Il le renverserait. Il s’était suffisamment préparé pour le faire.

« Maintenant, Raphaël. Que penses-tu que je doive faire dans cette situation désespérée ? »

Celui qui venait de défier son seigneur à un jeu avait fait face au test de Zagan avec un sourire féroce.

« Voyons… Le calme dans une maison de grande sympathie et de passion est ta vertu, mon seigneur. En tant que tel, même devant une armée de dix mille hommes, tu ne traiteras pas tes subordonnés comme des êtres jetables. »

Zagan acquiesça tandis que Raphaël désignait une carte et poursuivait.

« Tu concentreras tes défenses autour de Kianoides pour attirer l’armée, et en tant que notre plus fort combattant, tu iras prendre la tête de Shere Khan. Nous savons où il se trouve, après tout. »

C’était une réponse douloureusement correcte. Tant qu’ils prenaient la tête de Shere Khan, la bataille était terminée. Il n’y avait pas besoin de vaincre l’armée. Si les subordonnés de Zagan attendaient simplement la fin du siège à Kianoides, ils pourraient survivre plusieurs jours. Et ces quelques jours seraient la dernière chance de Zagan.

« Ça résume bien la situation. Il n’y a rien d’autre que je puisse faire. »

Si Zagan pouvait amener Shere Khan à une confrontation directe, il pourrait prendre la tête du Roi Tigre. Ainsi, Shere Khan l’aurait prédit. Combien d’obstacles avait-il préparés pour obstruer le chemin de Zagan ? Ou peut-être était-il préférable de supposer qu’il serait impossible de l’atteindre. Néanmoins, Zagan devait tenter sa chance.

« Le problème pratique est que nous n’avons pas d’autre choix. Le plus gros problème est qu’Azazel, Bifrons, et même Alshiera se dresseront sur notre chemin. Nous devons tous les combattre avant d’atteindre Shere Khan. »

C’était presque garanti.

Pas que je m’en soucie vraiment, mais je dois montrer que j’ai du mal.

Il devait montrer de manière visible qu’il était intéressé par le défi préparé pour lui.

« Bon… Appelle Néphy, Orias, Shax, et Dexia ici. »

« Comme tu le souhaites. »

Le fidèle majordome de Zagan était sur le point de quitter la salle du trône lorsque Zagan l’avait appelé pour qu’il s’arrête.

« Oh, et aussi Foll. »

« Es-tu sûr ? »

L’appeler ici signifierait envoyer sa fille bien-aimée au combat. Zagan laissa échapper un soupir douloureux, visiblement mécontent de sa décision, mais après une courte pause, il fit un signe de tête résolu.

« Ouais. On a besoin d’elle. »

Quelques minutes plus tard, tout le monde s’était réuni dans la salle du trône.

***

Partie 3

« C’est l’essentiel de l’histoire. Nephteros s’est fait voler son corps et l’armée de Shere Khan se rapproche de nous. »

Après avoir rassemblé tout le monde dans la salle du trône, Zagan leur avait donné une brève explication de la situation actuelle. Ils étaient tous restés sans voix pendant un moment, face à cette crise sans issue.

« Pas possible… Nephteros…, » murmura Néphy d’une voix tremblante. « Je ne l’ai même pas encore invitée à aller acheter des cadeaux… »

« Néphy. »

La personne qui l’appelait d’un ton étonnamment fort en la tenant par la main était sa fille bien-aimée.

« Merci, Foll. »

Ramenée à la raison, Néphy essuya ses larmes et releva la tête.

Je veux courir vers elle et l’embrasser…

Quel genre d’homme était-il pour ne pas réconforter son épouse bien-aimée ? Zagan supportait de telles pulsions et pensées déprimantes alors qu’il faisait avancer les choses.

« Calme-toi, Néphy. Nephteros peut encore être sauvée. Il n’est pas trop tard. »

Ne sentant peut-être aucune force de persuasion derrière ses paroles, Orias, qui avait entouré les épaules de Néphy de ses bras, s’était avancée.

« Alors je suppose que tu as un moyen de la sauver ? » demande-t-elle.

« C’est bien le cas. Mais avant cela…, » Zagan avait répondu, en changeant son attention. « Shax. Comment vont les blessés ? »

« B-Bon… J’ai fini de soigner Stella et Ginias, bien qu’ils aient été gravement blessés. Je ne sais pas quand ils se réveilleront… Quant à Richard, son traitement s’est terminé avant notre retour. »

Pendant la bataille contre Nephteros, Zagan avait tourné le dos à l’ennemi et s’était concentré sur le traitement de Richard. Zagan avait recréé un cœur à partir de rien. C’était une méthode sans précédent, donc même si Shax avait aidé, ils étaient tous dans l’ignorance des effets secondaires que cela pouvait avoir.

« Je m’en fiche tant qu’ils peuvent être déplacés, » déclara Zagan.

« Déplacé… ? Vous voulez les porter quelque part ? »

Zagan avait fait un signe de tête grave.

« Nous abandonnons le château. »

Ils devaient évacuer le château rempli de souvenirs de Néphy et de Foll, tout en étant en pleine bataille. Raphaël et Shax étaient probablement les seuls à comprendre le poids réel de sa décision. Ils avaient tous les deux l’air choqués. Orias avait probablement compris, mais son attention était entièrement ailleurs, elle n’avait donc pas montré beaucoup d’émotion.

« Raphaël. Est-ce que l’abandon de cet endroit est un problème ? » demanda Foll avec curiosité.

« C’est le cas. Si nous quittons le château, étant donné la situation actuelle, nous ne pourrons pas empêcher les soldats de Shere Khan d’y pénétrer. En d’autres termes, les archives d’un Archidémon seront mises à nu. »

Avec ça, Foll avait finalement compris.

« Zagan. Est-ce que tu… détruis le château ? » demanda-t-elle avec une grande déception.

Les yeux de Néphy s’écarquillèrent à l’interprétation de Foll. Zagan pensait que les connaissances et les techniques étaient destinées à être volées, mais c’était une autre affaire si ses ennemis essayaient de le voler. Pour protéger son savoir, son seul choix serait de détruire le château tout entier.

« Ne fais pas cette tête, » dit-il à sa fille triste avec un sourire forcé. « Je n’ai pas l’intention de faire sauter le château ou quoi que ce soit. »

« Vraiment… ? »

« Nous allons cacher le château en entier dans le sous-espace. Cela dit, je ne suis pas aussi doué que Barbatos pour ça, alors il faut que tout le monde sorte d’ici. C’est tout. »

C’était la sorcellerie dont Barbatos était spécialiste. Zagan avait observé la sorcellerie de cet homme de plus près que quiconque. Il ne pouvait pas la manier aussi librement, mais il pouvait au moins l’utiliser. Cependant, il lui faudrait tout ce qu’il avait pour transférer des objets inanimés. Et si un accident quelconque faisait déraper les coordonnées subspatiales, il ne serait pas en mesure de tout ramener. Ainsi, dans le pire des cas, si quelqu’un était envoyé avec le château, il n’y avait aucune garantie qu’il puisse revenir vivant. Il y avait une légère possibilité qu’il perde tout, alors il ne voulait pas vraiment prendre ce risque, mais il réalisait que c’était toujours mieux que de laisser les soldats de Shere Khan se déchaîner.

« Voulez-vous dire que vous allez installer votre forteresse au Palais de l’Archidémon ? » demanda Shax avec un hochement de tête de compréhension.

« Ouais. Prépare-le rapidement. »

« Vous ne le pensez pas, n’est-ce pas ? » demanda Shax avec une expression sinistre. « Je ne doute pas de votre puissance, mais les sorciers ordinaires comme nous sont loin d’être aussi compétents et forts que vous. »

Zagan avait prévu qu’il se plaindrait, alors il avait répondu comme si ce n’était pas grave.

« C’est exact. Ce sera un fardeau pour vous tous, mais c’est là que vous devez montrer vos tripes en tant que mes subordonnés. »

« Peu importe les tripes qu’on a, il y a des choses qu’on peut et ne peut pas faire, vous savez ? Avez-vous vraiment l’intention d’utiliser ça ? »

Normalement, Shax aurait fait son travail en fronçant les sourcils si Zagan lui avait ordonné de faire quelque chose de désagréable, alors c’était peut-être la première fois qu’il affichait sa désapprobation avec autant de ferveur. C’était raisonnable, cependant, puisqu’il avait une vue d’ensemble de la situation. Face à son subordonné agité, Zagan s’adossa à son trône avec un soupir.

« Je préférerais de loin le laisser inutilisé, mais il faudra probablement qu’il entre en jeu. Je vais vous faire gagner du temps, alors préparez-le d’une manière ou d’une autre. »

« Gagner du temps ? Vous allez faire patienter l’armée de Shere Khan ? »

« Eh bien, même si je ne suis pas là, je ferai en sorte qu’ils soient au moins gênés. »

« Même si vous n’êtes pas là… Ne me dites pas… que vous allez partir tout seul pour vaincre Shere Khan, n’est-ce pas ? »

Cet homme était vraiment doué lorsqu’il s’agissait de tout autre chose que Kuroka. Cela rendait les choses plus faciles pour Zagan qu’il ait réussi à arriver à cette conclusion sans avoir besoin d’explication.

« Je sais où il se trouve. Crois-tu vraiment que je laisserais passer cette opportunité ? » demanda Zagan.

S’il prenait le temps d’affronter une armée de dix mille hommes, Shere Khan pourrait s’enfuir à nouveau et Zagan serait coincé à sa poursuite pendant encore quelques mois. Cette crise pourrait être considérée comme la meilleure chance de prendre la tête de Shere Khan.

« C’est comme ça que ça va se passer, » dit Zagan en se concentrant à nouveau. « Dexia, ton rôle est de me guider vers Shere Khan. Je suppose que ce ne sera pas un problème ? »

En un sens, c’était le point d’appui de toute la bataille. Chargée d’une tâche aussi lourde qu’inattendue, Dexia avait hoché la tête, mais s’était résolue à le faire.

« Si c’est ce qu’il faut pour que vous sauviez Aristella, alors je le ferai. »

« Si elle est en vie, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la sauver. »

En réalité, il était extrêmement improbable qu’Aristella soit vivante. Même Alshiera avait dit qu’il était trop tard et avait essayé de l’achever. Sa décision signifiait qu’Aristella était irrécupérable. Néanmoins, la seule option de Dexia était de s’accrocher à Zagan.

La voyant ainsi acculer, Raphaël avait posé sa main sur sa tête et il déclara : « Mon souverain a déclaré qu’il la sauverait, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter. »

« Huh ? M... Merci… »

Dexia était déconcertée par la gentillesse qui se cachait derrière le visage effrayant de cet homme.

Oh oui, ces deux-là se sont déjà rencontrés.

Dexia ne l’avait pas encore réalisé, mais lorsque Raphaël s’était introduit dans la trésorerie de Raziel, il s’était déguisé en Valefor et était entré avec Dexia. Contrairement à son apparence bourrue, Raphaël était indulgent envers les enfants. Zagan esquissa un sourire en se souvenant de ça.

Alshiera avait jugé qu’Aristella ne pouvait pas être sauvée, mais ce n’était que son opinion. Peu importe l’état dans lequel elle se trouvait, tant qu’elle était encore en vie, il y avait des moyens d’arranger les choses. Zagan recherchait désespérément le pouvoir pour survivre… et ses compétences acquises pouvaient évidemment être appliquées aux autres. Cependant, cela signifiait également qu’il devait ignorer une armée de dix mille personnes et prendre ses distances avec Kianoides, ce qui était exactement la raison pour laquelle il avait besoin de quelqu’un pour protéger ses subordonnés.

« Raphaël. Je te confie le commandement de Kianoides. Les chevaliers angéliques seront probablement ceux qui prendront les devants. Tu es le seul à pouvoir faire travailler ce lot avec nos sorciers. Montre-moi la réputation de ta faction unificatrice… »

« Tout sera fait comme tu le veux, mon seigneur, » répondit Raphaël avec une révérence.

« Shax. Tu vas travailler sous le commandement de Raphaël et soigner les blessés. Je suis sûr qu’il y aura des montagnes de blessés à gérer. N’hésite pas à commander tout le personnel dont tu as besoin, à ta discrétion. Empêche autant de gens de mourir que possible. »

« Compris, patron. »

Shax était aussi un homme. Il savait qu’il serait disgracieux de sa part de continuer à râler, alors il avait cédé.

« Et encore une chose — . »

Les mots suivants de Zagan avaient fait se contorsionner le visage de Shax. Il n’était pas le seul à réagir. Raphaël et Orias avaient clairement réagi. C’était le problème le plus gênant, après tout.

Si Zagan était allé vers Shere Khan, il enverrait ce « morceau » à Kianoides en l’absence de Zagan. S’il était utilisé en tandem avec l’armée, il pourrait piétiner la ville à sa guise. Les seuls qui pouvaient y faire face étaient Shax et Kuroka. Ces deux-là étaient des pièces précieuses sur l’échiquier de Zagan, un peu comme les atouts que Shere Khan avait préparés pour la bataille à venir.

« Patron… » Shax avait dit en secouant la tête. « Vous savez que je ne peux pas permettre ça. »

« Peu importe ce que tu veux, ça apparaîtra devant toi. Et tu n’as pas besoin que je te dise ce que Kuroka fera quand il apparaîtra, n’est-ce pas ? »

« M-Mais… vous devez avoir d’autres moyens de gérer ça. »

Shax avait imploré la pitié, mais Zagan lui avait fait part de sa décision.

« Je t’ai accordé des pouvoirs… et maintenant je te dis de faire ça parce que je crois que tu peux le faire. »

Sinon, il ordonnerait à Shax de s’enfermer dans le Palais d’Archidémon et de ne pas en sortir.

Je ne sais pas comment Shere Khan estime son disciple, mais Shax a acquis assez de force pour rivaliser avec un Archidémon.

C’était la conviction de Zagan, et Naberius l’avait également reconnue. Ainsi, il avait besoin que Shax fasse un travail proportionnel à cette évaluation. Raphaël avait un air sévère à la mention de Kuroka, mais il contrôlait ses émotions avant de se joindre à lui.

« Mon souverain t’a reconnu. Prouve-moi qu’il ne fait pas trop de cas de toi. »

Quel genre d’émotions se cachait derrière ses mots ? Au cours des derniers mois, Raphaël avait essayé de tuer cet homme sans vergogne à d’innombrables reprises pour s’être promené avec les sous-vêtements de sa fille.

Au bout d’un moment, Shax avait hoché la tête et avait dit : « Compris, patron. »

Il faisait le visage d’un homme qui avait pris sa décision.

« Alors, partez. Et faites vite avec la base. Laissez derrière vous tout ce dont vous n’avez pas besoin. »

« Comme tu le veux. »

« Compris. »

Les deux hommes acquiescent et commencent à partir, mais Shax s’arrêta soudainement dans son élan et se retourna.

« Patron. Je comprends notre rôle dans cette affaire, mais que comptez-vous faire pour Kimaris ? »

C’était une question évidente. Zagan ne l’avait informé de rien d’autre que le fait que Kimaris avait probablement été attiré par Shere Khan. Pourtant, il secoua la tête comme si ce n’était pas grave.

« Ne t’inquiète pas pour lui. Je peux imaginer le scénario que Shere Khan a déjà écrit. »

Les menaces de Shere Khan à l’encontre de Kimaris et la façon dont il allait réagir correspondaient bien aux attentes de Zagan.

« Mais…, » murmura Shax, l’air encore un peu déprimé à cette idée.

« Je te dis de ne pas t’inquiéter. Je donne même une seconde chance à des méchants que je ne connais pas, alors crois-tu vraiment que je ne ferai pas preuve de la même courtoisie envers mes subordonnés ? »

Sur ce, Shax avait finalement eu l’air soulagé.

« Je suis vraiment content que vous soyez mon patron. »

Ainsi, Shax et Raphaël avaient quitté la salle du trône pour mettre en place l’évacuation du château.

***

Partie 4

Shax et Raphaël partis, Zagan s’était finalement tourné vers Orias.

« Désolé de t’avoir fait attendre, Orias. »

« Hmm… Écoutons ça. »

Zagan prit une profonde inspiration, puis dit : « Permets-moi de commencer par ma conclusion. Je n’ai aucun moyen de sauver Nephteros. »

Un craquement avait résonné dans l’air. Une fois qu’elle l’avait revendiqué, Nephteros était sans aucun doute la fille d’Orias. Et, de toute évidence, il n’existait aucun parent capable de rester calme après avoir appris que la vie de sa fille ne pouvait être sauvée. Zagan accepta son courroux en continuant.

« Je n’ai moi-même aucun moyen de la sauver, mais j’ai une idée de la façon dont cela peut être fait. »

« C’est-à-dire… ? »

Orias avait au moins eu la patience de l’écouter.

« Eh bien, je ne m’attendais pas à ce que les choses aillent si loin, mais je connaissais déjà le danger imminent pour son corps. Nous avons agi pour la sauver depuis lors. »

« Nous… ? Alors, veux-tu dire qu’il y en a d’autres ? »

« Oui. On ne peut pas vraiment compter sur l’un d’eux, mais je crois que l’autre est suffisamment digne de confiance. »

Honnêtement, c’était difficile à accepter pour Zagan, mais il n’avait pas d’autre choix que de l’admettre. Il ne put retenir un soupir lorsqu’il évoqua son nom.

« Alshiera… Elle peut sauver Nephteros. »

« N’est-elle pas partie après avoir déclaré qu’elle tuerait Nephteros ? » dit Orias, soulignant l’évidence.

Zagan hocha la tête, puis il répondit : « Elle a déjà combattu Nephteros possédée par Azazel. Le monstre possède une puissance terrifiante, mais Alshiera l’a écrasé avec une force encore plus grande. Si Alshiera n’avait pas eu son ancienne blessure exposée, elle aurait tué Nephteros sur le champ. »

« Alors… »

« C’est ce qu’il semblait, mais il semble qu’elle n’ait pas le talent pour jouer la comédie. »

« Hm… ? »

Alshiera était un véritable maître du combat. Elle avait rendu son adversaire impuissant en un instant, comme si elle enseignait à Zagan comment se battre, puis avait montré sans vergogne qu’elle se dépêchait de conclure avant de laisser son adversaire s’échapper. Même un idiot pourrait dire ce qui s’était réellement passé.

Lors de l’incident avec Aristella, Alshiera n’avait montré aucune ouverture pour mettre fin à la situation. Cela dit, son jeu d’acteur avait glacé le sang de Zagan lors de l’incident avec Nephteros, le trompant presque sur le moment. Plutôt que de se moquer de son talent, il aurait été plus approprié de dire que son scénario était tout simplement mauvais.

« Elle n’a toujours pas abandonné l’idée de sauver Nephteros, » déclara Zagan avec confiance.

« Je vois. Alors ces derniers mots de sa part étaient de simples absurdités ? »

Zagan secoua la tête et répondit : « Non, elle ne ferait pas ça. C’était un message pour que je lui donne un coup de main. C’est comme ça que je l’ai interprété. »

« Hmm… Si elle déclare qu’elle va la tuer, même si tu sais que c’est un mensonge, tu n’auras pas d’autre choix que de faire tout ce que tu peux pour protéger Nephteros. Donc… elle a besoin d’une aide quelconque ? »

La colère d’Orias avait finalement disparu. L’Archidémon écouta tranquillement Zagan lui faire part de ses observations.

« Bifrons chasse aussi Nephteros. De plus, Nephteros sème la destruction sans distinction. Je ne peux pas permettre à ma belle-sœur de se salir les mains comme ça. Et, par-dessus tout, si elle continue à manier ce pouvoir, son corps ne tiendra pas le coup. En tant que telle, même Alshiera ne peut pas gérer cela toute seule. »

« En d’autres termes, me dis-tu d’aller protéger Nephteros ? »

Au lieu d’acquiescer, Zagan se leva simplement de son trône et s’agenouilla devant Orias.

« Je sais que c’est une demande plutôt déraisonnable, mais s’il te plaît, protège Nephteros. Je ne peux pas la laisser mourir avant qu’elle ne connaisse l’amour. »

« Relève la tête. C’est ma fille, donc il est évident qu’en tant que parent, je prêterai ma force pour la sauver. Tu n’as pas besoin de t’abaisser. »

« Néphy, » dit Zagan, en se tournant vers son épouse.

« Oui, Maître Zagan ? » répondit-elle d’un signe de tête digne.

La force de Néphy était également nécessaire pour sauver Nephteros, mais la fierté de Zagan ne lui permettait pas de lui ordonner d’aller au combat. Néanmoins, il ne pensait pas non plus que la laisser de côté était le bon choix. Il se sentait profondément en conflit alors qu’il hésitait entre la fierté d’un homme et le devoir d’un roi. Voyant le conflit en lui, Néphy garda une expression ferme et attendit qu’il parle.

« … »

« … »

« … Gh. »

Les deux individus avaient continué à se regarder pendant un moment, mais Zagan avait fini par détourner son regard.

« Pourquoi rougis-tu ? » demanda Néphy.

« Ne te méprends pas. J’étais simplement charmé par la noblesse de ton apparence. Je ne pensais à rien de fâcheux, d’accord ? »

« Hein… !? C-C’est troublant que tu agisses comme ça à un tel moment… S’il te plaît, fais-le… quand nous serons seuls… »

Alors qu’ils étaient de plus en plus agités, ils s’étaient rendu compte qu’Orias et Foll les regardaient d’un air mitigé, tandis que Dexia semblait complètement perplexe.

« Hum, ça ne me dérange pas. Vous pouvez continuer comme vous voulez, » dit Orias pour les réconforter. Mais au lieu de cela, cela n’avait fait que leur faire ressentir une honte insupportable.

Zagan et Néphy se raclèrent la gorge et redressèrent leurs postures.

« Néphy. S’il te plaît, va avec Orias pour protéger Nephteros, » dit Zagan. « Son corps est proche de sa limite. On a besoin de toi. »

« Certainement, » répondit immédiatement Néphy, tout en souriant comme une fleur épanouie. « Je vais certainement la sauver et la ramener. »

Zagan était incapable de cacher sa stupéfaction devant sa réaction.

« Uhhh, c’est… un rôle dangereux, donc… »

« Je le sais. Tu t’es fié à moi dans un moment aussi grave, Maître Zagan. Comment pourrais-je être autrement qu’heureuse ? »

« Bien… Ummm, je compte sur toi. »

Sur ce, les oreilles pointues de Néphy étaient devenues rouges jusqu’au bout et ses yeux s’étaient agités.

« Euh, Maître Zagan. Je ne veux pas que cela ressemble à un paiement, mais j’ai une demande. »

« M-Mmm ! Demande tout ce que tu veux. »

Était-ce, peut-être, la première fois que Néphy le suppliait pour quelque chose ? Zagan commença à sentir un étrange sentiment d’anticipation monter en lui.

« Si possible…, » commença Néphy, les joues toujours teintées de rouge. « J’aimerais que tu termines cette bataille en trois jours. »

La demande qu’elle avait formulée — avec une expression de jeune fille amoureuse pendant tout ce temps — n’était pas facile à satisfaire, même pour un Archidémon. Le soleil se couchait déjà, marquant la fin de la journée.

La bataille devait commencer à l’aube. Prendre la tête de Shere Khan, anéantir une armée de dix mille personnes, et sauver Nephteros ne pouvait pas vraiment être faite en trois jours. Oubliez un Archidémon, c’était impossible même pour un dieu, un dragon ou Alshiera.

Maintenant que j’y pense, Alshiera a dit qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre…

Les points avaient commencé à se connecter dans la tête de Zagan.

Je vois. Néphy veut régler les choses avant que la durée de vie d’Alshiera ne soit terminée.

Elle était si gentille d’accorder autant de considération à cette vampire égoïste. Quel genre d’Archidémon serait-il s’il ne pouvait pas répondre à ses demandes ?

« Alors, très bien. Je réglerai les choses d’ici trois jours. »

« Je suis vraiment désolée d’avoir été déraisonnable. »

« Cela ne me dérange pas. Je peux au moins comprendre le désir de donner un dernier cadeau d’adieu à celle qui est sur le point de disparaître. »

« Hein… ? » Néphy marmonna, se rendant soudain compte qu’il y a une légère dissonance dans leur conversation. « Oui, c’est comme tu dis ! »

Elle avait alors conclu que cela ferait l’affaire. C’est également à ce moment que Zagan avait coupé tout soupçon d’hésitation en lui. Trois jours. Son objectif était fixé. Il ne se souciait pas des moyens qu’il devait prendre pour l’atteindre. Avec une limite de temps en place, et après avoir vu sa femme le supplier pour quelque chose pour la toute première fois, l’esprit belliqueux de Zagan se réveilla comme jamais auparavant.

« Avez-vous fini ? » demanda Orias en détournant le regard comme si elle ne pouvait plus supporter de regarder. « Le corps de Nephteros ne tiendra pas longtemps. Nous devrions y aller dès que possible. »

« Oh, attendez un instant, » dit Néphy. « Je crois que nous aurons besoin de la force de Chastille pour sauver Nephteros. C’est après tout elle qui comprend le mieux cette fille. »

Zagan ne négligea pas l’ombre qui frétilla dans la salle du trône en entendant ces mots. Il semblait que Barbatos se cachait dans l’ombre de Dexia.

Chastille est vraiment la personne la plus apte à sauver Nephteros, mais…

Zagan hésita un instant. Néphy avait raison, mais il prit une décision rapide.

« Malheureusement, cela pourrait s’avérer difficile. En tant que chevalier angélique, Chastille a le devoir de protéger Kianoides. Il serait difficile de lui faire céder ce rôle. Et, surtout, nous ne pourrons pas retenir l’armée de dix mille hommes sans elle. »

« Oh. C’est… vrai. Pardonne-moi. »

« C’est bon. Tu n’as aucune raison de t’excuser. »

En vérité, Zagan avait envisagé d’envoyer Chastille. Maintenant que Richard était dans un état imprévisible, il n’y avait personne d’autre qu’elle capable de faire revenir Nephteros du contrôle d’Azazel. Mais il y avait trop d’inconvénients à impliquer Chastille. En tant que tel, cela deviendrait une énorme dette pour une certaine personne à son égard.

« Écoute-moi, Néphy. Il ne faut pas que Chastille apprenne la situation de Nephteros. Si elle l’apprend, elle risque de se retrouver en mode pleurnichard. »

« Maître Zagan, Chastille est du genre à se retenir dans les moments cruciaux, tu sais ? Mais… très bien. Je ne souhaite pas non plus l’accabler de plus de soucis. »

Néphy avait fait un sourire troublé à Zagan, puis elle s’était approchée d’Orias.

« Zagan, il y a encore une chose que j’aimerais demander, » dit Orias.

« Hm ? Qu’est-ce que c’est ? »

« Es-tu sûr que les ailes qui sortent du dos de Nephteros sont des ailes hex, n’est-ce pas ? »

Elle parlait des ailes de lumière à la fois divines et sinistres dont Zagan avait été témoin.

« Du moins, c’est ainsi que les subordonnés de Shere Khan les appelaient, » répondit-il.

« Hmm. Et huit en plus…, » marmonna-t-elle. On aurait dit qu’elle se préparait à la mort.

Je suppose que je devrais en attendre autant d’elle. Elle sait ce que sont les Ailes Hexs.

Même le plus grand bouclier de Zagan, la Forme de Dragon de l’Écaille du Ciel, avait été pulvérisé en dix petites secondes. Ce n’était pas un ennemi à prendre à la légère, même pour un Archidémon.

« Orias. Tu as l’obligation d’assister au bonheur de Néphy de tes propres yeux. N’oublie pas cela. »

« Hee hee. Comme c’est strict de ta part. Mais… Je m’en souviendrai, » répondit-elle, puis elle posa sa main sur l’épaule de Néphy. « Ce sera un combat difficile. Fais ce que tu peux avant de partir. »

« Faire… ce que je peux ? » demanda Néphy en hochant la tête avant que ses oreilles pointues ne se redressent. « Maître Zagan, peux-tu venir ici un moment ? »

« Hm ? Très bien. »

Zagan s’était approché de Néphy comme elle l’avait demandé. C’était quelque chose qu’elle devait faire étant donné la situation, donc ça devait être important.

« E-Excuse-moi ! » cria Néphy en jetant soudainement ses bras autour de lui.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Cependant, ce n’était pas un simple câlin. Elle plongea son visage dans la poitrine de Zagan et frotta son front contre lui.

Zagan ressentit un choc important au niveau de son cœur. Il battait dans sa poitrine avec des coups terrifiants. Néphy n’avait maintenu son étreinte que pendant quelques secondes, mais cela lui avait semblé une éternité. Peu après, elle poussa un soupir de satisfaction et s’éloigna de Zagan, le visage rougi.

« Ouf… Pardonne-moi. Sur ce, je peux partir… tranquille… ? »

Zagan la fixait avec un visage pâle. Dexia et Orias la fixaient avec perplexité. Même Foll, qui était plutôt habituée à ce genre de choses, fronçait les sourcils comme si elle venait d’être témoin d’un sale secret. Réalisant enfin ce qu’elle venait de faire, Néphy était redevenue rouge vif jusqu’au bout de ses oreilles pointues et avait commencé à protester.

« V-V-Vous… Je-je-je-je veux dire, v-v-v-v-vous vous trompez ! J’ai juste pensé que je ne pourrais pas voir Maître Zagan pendant un moment, alors j’ai dû… ! »

« Eh bien, tant que tu es satisfaite, » dit Orias. « Ça te dérange ? »

« Aaaaaah ! »

Néphy avait couvert son visage de honte comme si elle demandait à quelqu’un de la tuer alors qu’Orias la traînait.

***

Partie 5

Après le départ de Néphy et Orias, Zagan, Dexia et Foll étaient les seuls présents dans la salle du trône. Zagan s’était ensuite concentré sur Dexia. Ou plus précisément, il s’était concentré sur l’ombre à ses pieds.

« Tu nous as entendu, n’est-ce pas, Barbatos ? J’ai aussi du travail pour toi. »

« Hmph… J’ai l’impression que ce sera juste une merde sans intérêt. »

« Eep ! » Dexia poussa un cri lorsque Barbatos se manifesta à partir de son ombre. Exclure Chastille de la bataille contre Nephteros était une faveur que Zagan lui avait offerte. Cela avait un coût énorme, et Barbatos le comprenait. Son ton restait grossier, mais il était tout de même réservé.

« Alors ? Qu’est-ce que tu vas me faire faire ? »

« Ne t’inquiète pas. Ce sera une affaire simple pour toi. Je veux que tu emmènes Dexia au-delà du siège de l’armée ennemie. »

Barbatos se renfrogna. Une telle demande n’était même pas vraiment un travail pour lui.

« C’est bien beau, mais qu’est-ce que tu vas faire ? »

« J’abandonne mon château. Je dois au moins atténuer l’esprit combatif de l’armée de Shere Khan. »

En d’autres termes, il prévoyait de les transpercer directement.

« Eh bien, les pauvres. Alors ? Ce n’est pas tout ce que tu as en réserve pour moi, hein ? »

« Je suis content que tu le comprennes. Cela rend les choses plus rapides. Tu vas… »

Les instructions de Zagan avaient entièrement changé le teint de Barbatos.

« Hé… Peu importe comment tu le vois, ça n’équilibre pas du tout la sécurité de la pleurnicharde. »

Du point de vue de Barbatos, s’il ne s’était soucié que de garantir la sécurité de Chastille, il aurait pu simplement l’emmener dans une contrée éloignée des flammes de la guerre. Avec sa capacité à bondir dans l’espace, il aurait pu l’emmener dans un endroit que personne ne pouvait atteindre. Il n’avait pas besoin de faire des pieds et des mains pour obéir à Zagan.

La raison pour laquelle il n’y avait pas eu recours était que cela impliquait de mépriser et de piétiner sa volonté. S’il le fallait, il était prêt à aller aussi loin, même si elle le détestait et le méprisait pour cela, mais il souhaitait que cela reste le dernier recours. C’est ce que cela signifiait d’être sous sa protection. C’était le cas, mais…

« Pleurnicharde… Pleurnicharde… Hnnngh. »

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Barbatos n’avait cessé de répéter le mot « Pleurnicharde » et était soudainement tombé à genoux, les mains couvrant son visage.

Euhhh… S’est-il encore passé quelque chose entre lui et Chastille ? Que diable a-t-il fait après avoir promis de sauver Nephteros ? Zagan se sentait étonné, complètement aveugle à ses propres défauts.

En remarquant son regard, Barbatos s’était redressé et avait feint de garder son calme.

« Ce n’est rien. Ne t’inquiète pas pour ça. »

« Est-ce donc… ? »

Il était rouge du cou aux oreilles, mais Zagan s’était abstenu de le souligner. L’état mental agité de Barbatos était quelque peu inattendu, mais sa participation à la bataille faisait partie des calculs de Zagan. Il avait, bien sûr, les conditions nécessaires pour que cela se produise. C’est ce que cela signifiait de lire la marée de la guerre.

« Cette bataille réglera les choses entre moi et Shere Khan, » murmura Zagan comme s’il se parlait à lui-même. « Et, selon la façon dont les choses se déroulent, elle mettra également un terme aux relations avec Bifrons. Il n’y a pas de fin où les vaincus s’en sortent avec leur vie. »

L’Éclair Pourpre au Phosphore Céleste de Zagan avait bel et bien touché Bifrons… et c’était d’un tout autre niveau que l’avertissement qu’il avait donné à l’Archidémon. Même s’il se transformait en particules ou s’il tentait de sectionner le membre atteint, il ne pourrait pas s’échapper. La vie de Bifrons ne tiendrait que quelques jours tout au plus.

Mais je ne peux toujours pas être négligent. Voilà ce que c’est que de traiter avec un Archidémon.

Zagan ne croyait pas que le fou irait mourir tranquillement quelque part, et il n’avait pas l’intention de le laisser vivre. Sur ce, il tourna à nouveau son regard vers Barbatos.

« En d’autres termes, à l’issue de cette bataille, au moins un Emblème d’Archidémon sera disponible. »

Il était même possible que plus d’un soit disponible. Et naturellement, il y avait une chance non nulle que celui de Zagan soit parmi eux. Tous les Archidémons étaient identiques en ce sens qu’ils ne prévoyaient pas de se faire tuer, mais cela ne garantissait rien.

« Je vais avoir les mains pleines avec Shere Khan… et, eh bien, les autres Archidémons semblent avoir l’intention de regarder de loin. Si quelqu’un essaie d’en voler un au milieu de la bataille, il n’y aura probablement personne pour se mettre sur son chemin. »

Barbatos avait l’air choqué. Zagan parlait de voler le siège d’un Archidémon. Il en avait déjà discuté avec Naberius. En tant que tel, il ne serait pas difficile pour un sorcier du calibre de Barbatos de voler un Emblème pendant le chaos de la bataille. Cela dit, tant qu’il avait le pouvoir de voler un tel Archidémon, personne ne se plaindrait, de toute façon.

« Zagan, es-tu sérieux… ? »

« Quoi ? Je dis simplement la vérité. »

Barbatos avait ébouriffé ses cheveux, puis avait éclaté de rire comme s’il n’en pouvait plus.

« Haha ! Je comprends maintenant. Avec un si joli appât, je n’ai pas d’autre choix que de suivre ton petit plan stupide, hein ? »

Cela faisait un certain temps que Zagan n’avait pas vu ce sourire morose.

Il ne sourit comme ça que lorsqu’il est sur le point de faire quelque chose de vraiment horrible, après tout… pensa Zagan alors qu’il était sûr que Barbatos répondrait parfaitement à sa demande.

Mais Barbatos ne se contentait pas de hocher la tête de bonne humeur. Il s’enfonça dans ses pensées pendant un moment, puis leva les yeux vers Zagan.

« Hmph. Bien que, ça va être un peu éreintant de faire ça tout seul. Zagan, tu vas devoir me remettre certains de tes pions. »

« Très bien… Bien. Il y a une paire qui travaille ensemble, appelée Léviathan et Béhémoth. Ils sont stationnés au Palais de l’Archidémon en ce moment. Tu peux faire appel à eux gratuitement. »

« Jamais entendu parler d’eux. Ils n’ont pas de surnom ? »

« Ils n’en ont pas, mais ils sont très talentueux. »

Barbatos avait l’air mécontent, mais il savait que Zagan n’était pas assez stupide pour lui confier du personnel inutile dans une situation aussi grave. Tous les subordonnés de Zagan étaient des sorciers qui avaient survécu à la bataille contre le Seigneur-Démon de la Boue lors du bal de Bifrons, donc aucun d’entre eux n’était vraiment incompétent.

« Oui, oui, bien. Je vais leur demander de faire leur part du travail, » dit Barbatos.

Sur ce, il s’enfonça à nouveau dans les ombres et disparut. Dexia restait confuse d’avoir été laissée derrière après leur discussion, mais Zagan s’était dit qu’il viendrait la chercher quand il serait prêt à partir.

Il a des choses plus importantes à gérer en ce moment, après tout.

Zagan ne savait pas ce qui s’était passé entre Barbatos et Chastille, et la demande qu’il avait imposée à son ami indésirable était déjà assez pénible comme ça.

Zagan avait distribué tous ses ordres, mais il y avait encore une personne ici qui n’avait encore reçu aucun ordre.

« Zagan, qu’est-ce que je dois faire ? »

Honnêtement, il n’avait pas envie d’appeler Foll ici. Mais quel genre de parent aurait-il été s’il n’avait pas reconnu sa croissance ? Ainsi, Zagan s’était accroupi en face d’elle et lui avait parlé comme un père.

« Foll. Je n’ai pas l’intention de t’ordonner de faire quoi que ce soit. »

« Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

S’il n’avait pas l’intention de lui ordonner de faire quoi que ce soit, alors il n’était pas nécessaire de l’appeler dans la salle du trône. Ainsi, Foll avait cligné des yeux dans une confusion évidente.

« Tu comprends la situation dans laquelle nous sommes maintenant, n’est-ce pas ? » demanda Zagan.

« Mhm. »

Une bataille impliquant plus de la moitié des Archidémons était sur le point de commencer. Il y avait certainement des plans autour de Shere Khan que Zagan ne pouvait pas prévoir. Et dans ce cas, Foll était une pièce qui pouvait renverser le cours de la guerre selon l’endroit où il la plaçait.

« Si tu souhaites rester comme tu es actuellement, alors je me servirai de toi. Ta force me sera d’une grande aide. »

Si Zagan avait emmené Foll à Shere Khan, il aurait été facile de prendre sa tête.

« Cependant, si tu souhaites défier l’avenir, tu dois agir en fonction de ton propre jugement. Comment vas-tu agir dans ce combat impliquant plusieurs Archidémons ? Tu dois le faire savoir à tous. »

Zagan prit une petite inspiration avant d’ajouter une dernière chose pour sa fille adorée.

« Après tout, le plus proche de devenir un Archidémon n’est pas Barbatos ni Shax. C’est toi, Foll. »

Le dernier candidat Archidémon que Zagan avait suggéré à Naberius était, en fait, Foll. L’observateur n’allait pas s’impliquer directement dans cette bataille, mais il allait observer avec ses dix yeux magiques. Il comptait le faire pour aider à sélectionner qui occuperait les sièges vides parmi les Archidémons créés par ce chaos. C’est pourquoi Zagan avait choisi d’agir comme un père.

« Foll, que veux-tu faire ? » demanda-t-il, précisément parce qu’une partie égoïste de lui voulait qu’elle reste une enfant.

« Je… veux… » Foll avait fait une pause, hésitant à cause de la décision soudaine qui se présentait à elle. Mais malgré cela, il ne lui avait pas fallu longtemps pour se décider.

« Je veux… être plus forte. Si ça te permet de me reconnaître, alors je veux aller beaucoup plus loin. »

Un sentiment impuissant de solitude assaillit Zagan. Néanmoins, il sourit à sa fille bien-aimée du fond de son cœur et lui effleura la tête.

« Très bien, alors. Fais ce que tu veux. Tu as déjà décidé de ce que c’est, non ? »

« M-Mhm ! »

Zagan avait fait tout son possible pour expliquer la situation actuelle et ses plans pour le bien de Foll. Si ce n’était pas le cas, il aurait pu simplement transmettre ses ordres. Orias, Raphaël, Shax et Barbatos étaient après tout tous des experts dans leur domaine.

Foll sourit, des larmes se formant dans ses yeux, incapables de supporter les émotions qui montaient en elle. Comme pour le cacher, elle plongea dans la poitrine de Zagan.

« Merci, Zagan. Pour m’avoir reconnu, je veux dire… Puis-je revenir ici après ? »

« Bien sûr que tu peux. Peu importe ta force, tu es toujours notre fille. Fais en sorte de nous revenir. »

« Hmm… alors, je vais y aller, papa. Je t’aime. »

Sur ce, Foll quitta la salle du trône. Après l’avoir vue partir, Zagan était tombé à genoux, se serrant la poitrine.

« Hein ? Allez-vous bien… ? »

Dexia, la seule personne restée derrière, avait commencé à paniquer, mais Zagan n’avait plus la volonté de lui répondre.

Envoyer son enfant loin du nid est une affaire si épuisante…

Foll avait énormément grandi, dépassant de loin l’imagination la plus folle de Zagan. Il était ravi de voir sa croissance, mais il n’aurait jamais pensé qu’elle quitterait son côté si rapidement.

Pourtant, je suis sûr que Foll deviendra un jour le plus grand Archidémon de l’histoire.

L’Archidémon Zagan lui avait accordé gratuitement le savoir et le pouvoir, la haute elfe Néphy lui avait accordé sa bénédiction et une affection sans égale, et, qui plus est, elle avait hérité du sang du plus grand dragon du monde. On pourrait dire qu’elle était aimée par le monde lui-même. Une telle fille avait continuellement affiné sa force en toute sincérité, alors qui pourrait l’égaler ?

Cependant, un père ne pouvait pas rester à genoux éternellement. Ainsi, Zagan s’était finalement levé.

« Maintenant, je dois moi-même commencer à me préparer. »

Toutes les pièces étaient sur l’échiquier. Quel que soit l’événement inattendu, il était impossible de préparer quoi que ce soit de nouveau. S’il avait mal interprété ne serait-ce qu’un seul coup, il serait complètement et totalement écrasé. Et ainsi, le rideau s’était levé sur la collision entre les Archidémons.

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