Chapitre 5 : Le jardin de verre miniature
Partie 3
En apprenant que Saya s’était enfin réveillée, Nagi s’était précipité dans sa chambre. Dimitri et Jubilia étaient déjà à l’intérieur.
« Nagi, » murmura Saya.
Son teint était pâle, et sa peau blanche semblait presque bleue. Même hagarde comme elle l’était maintenant, il y avait une beauté en elle qui n’existait pas auparavant. Nagi avait été arrêté par l’image d’une fleur qui ne pouvait fleurir qu’une seule nuit, mais il avait mis fin à ces pensées.
« Lady Saya, vous devez vous reposer, » dit Jubilia, poussant Saya à s’asseoir.
« Mais Nagi est là. »
La décision de Jubilia était correcte. Rien que cette tentative avait fait respirer Saya de façon irrégulière. Ses cheveux argentés débordaient sur son front. En voyant cela, la pitié et l’amour débordaient dans le cœur de Nagi.
« Saya, vas-tu bien !? »
Il avait couru jusqu’à son lit, mais avait été bloqué par Dimitri. « Attends, arrête-toi là. Ce serait mauvais pour toi de la toucher, Héros des roturiers. »
« Qu’est-ce que c’est que ça ? »
« Tu ne le sais pas ? Tu es le héros du peuple qui a sauvé Lady Saya du Jardin Interdit par tes propres moyens. Les gens de Cobalt ont répandu la nouvelle de tes exploits avec enthousiasme. »
Nagi ne se souciait pas vraiment de ce genre de choses. Il croisa le regard de Saya, dont les joues blafardes prirent une légère teinte rouge et qui détourna le regard.
« Alors, comment va-t-elle ? » demanda Nagi.
« Sais-tu que Lady Saya s’est effondrée à cause du poids sur son corps de l’activation du calibre royal ? »
« Je sais, j’étais là. »
« Quelle chance ! Pouvoir assister de près à l’éveil du calibre royal ! J’aurais adoré être là ! »
« Est-ce que ce type va bien ? » demanda Nagi en désignant le professeur excité.
Jubilia secoua la tête. « C’est un homme étrange, mais il n’y a personne de mieux informé sur les raisons de l’effondrement de Saya. Cependant, Gratos en savait peut-être plus. »
« Évidemment. Il n’était pas possible de faire des recherches sur le sang du souverain ouvertement. C’est pourquoi j’ai été jeté en prison. Il est impossible que quelqu’un en sache plus que moi. »
« Allez droit au but, » dit Nagi avec frustration. « Concentrez-vous sur l’état de Saya. Comment pouvons-nous la guérir ? »
« Lady Saya s’est effondrée, car le calibre royal est bien trop puissant, consommant une énorme quantité de la puissance du Sang du Souverain. Étonnamment, ce qui s’était accumulé pendant des siècles a été pratiquement épuisé en une seule activation. Cependant, on peut dire que c’est une bonne fortune que le calibre royal se soit arrêtée comme ça. »
Qu’est-ce qui pourrait être bon dans l’effondrement de Saya ? Nagi se l’était demandé.
« Si elle ne s’était pas arrêtée, tous les chevaliers présents se seraient complètement asséchés et seraient morts, tout comme les deux qui sont morts de ses précédentes activations limitées. Tu étais aussi là les deux fois. Quelle envie… ! »
Il faisait probablement référence au garde du jardin interdit et à Ivara.
« Le calibre royal de Lady Saya interfère avec le sang des autres, » poursuit Dimitri. « Un roturier touché par cela perd le contrôle de son corps et s’évanouit. C’est un peu comme perdre conscience à cause de l’hypoxie, bien que les spécificités soient quelque peu différentes. »
Nagi repensa à la vue de tous ces corps s’effondrant les uns après les autres au contact des papillons écarlates.
« Il y a aussi plus que ça, » dit Dimitri. « En touchant un noble, il arrête l’effet de l’Amrita. C’est logique, vu que l’Amrita vient du sang du souverain. En conséquence, le calibre du sang d’un noble ne pourra plus se maintenir, et sa durée de vie prolongée sera perdue. »
Nagi s’était souvenu des cadavres du garde du Jardin Interdit et d’Ivara. Tous les deux s’étaient ratatinés.
« Mais cela ne s’est pas produit. Lady Saya a perdu connaissance, et le calibre royal s’est désactivé. »
Nagi pouvait maintenant comprendre pourquoi c’était une bonne fortune. Il y avait un grand nombre de nobles dans cette bataille. Tous étaient sur le point de devenir des cadavres desséchés, y compris Jubilia et tous leurs autres alliés. Saya était à deux doigts de faire en sorte que cela arrive. Le regard de Nagi s’était posé sur Saya, qui avait évité ses yeux. Elle était au courant et le regrettait.
« Alors, comment soigne-t-on Saya ? » demanda Nagi, ramenant rapidement le sujet à l’essentiel.
« La seule chose que nous pouvons faire est d’attendre qu’elle se rétablisse naturellement. »
« Vous voulez dire qu’elle ira mieux avec du repos ? »
« Oui, mais je ne sais pas combien de temps cela prendra. Cela pourrait être un an, ou dix, ou cent, ou peut-être même plus que cela. Cela pourrait même prendre l’éternité. »
« Quoi ? »
Nagi n’arrivait pas à comprendre ce que Dimitri disait.
« Je compte avancer dans mes recherches pour raccourcir ce délai, mais les choses ne s’annoncent pas bien pour l’instant. »
« Attendez, ça veut dire que Saya sera comme ça pour toujours ? »
« Pour l’instant. »
Nagi avait l’impression que sa vision tremblait.
« Désolée, Nagi, » dit Saya d’une voix faible.
« Saya… »
Nagi avait essayé de se diriger vers son lit une fois de plus par impulsion, mais il avait été bloqué par Dimitri à nouveau.
« Attends, j’ai oublié de mentionner la partie la plus importante. Tu ne dois pas t’approcher de “Lady Saya”, » ajouta Dimitri en s’éclaircissant la gorge. « Il n’y a aucun doute que tu as contribué à l’éveil de son calibre royal. Si elle devait finir par l’utiliser à nouveau, ce serait une véritable menace pour sa vie. J’aimerais que tu fasses attention à garder tes distances. »
« Ce n’est pas possible… »
Je ne peux plus la rencontrer ? Je ne peux plus voir Saya ? se dit-il. Il lui avait avoué son amour sur ce champ de bataille et Saya lui avait répondu en retour, mais il ne pouvait plus la voir.
« Ils devraient pouvoir se rencontrer de temps en temps, Dimitri, comme maintenant, » dit Jubilia en leur lançant une bouée de sauvetage.
« Eh bien, cela devrait suffire…, » Dimitri avait accepté à contrecœur. « Mais le contact corporel est strictement interdit. »
« Nagi, qu’est-ce que vous comptez faire ? Allez-vous vivre dans la capitale ? » demanda Jubilia.
« J’y ai pensé, mais… ma présence ici signifie que l’état de Saya va empirer, non ? »
« Pour dire les choses simplement, oui, » répondit Dimitri sans ambages.
« Ira-t-elle mieux un jour ? »
« Je ne sais pas quand. Il est possible que tu atteignes la fin de ta vie avant que cela n’arrive. »
« Dimitri ! » hurla Jubilia d’un air de reproche, mais l’homme en question ne semblait pas savoir ce qui clochait dans sa déclaration. Heureusement, il ne semblait pas que Saya l’ait vraiment entendu.
« Désolé. Je vais à tous les coups aller mieux, donc… » dit-elle avec un faible sourire.
« Oui, je sais. Je vais rester dans le village de Garuga pendant un certain temps. Ils disent qu’ils ont préparé une maison pour moi là-bas. J’ai pensé à refuser, mais je vais finalement accepter. En vérité, je voulais que tu viennes vivre avec moi là-bas, cependant. »
« Ça a l’air bien, » avait répondu Saya d’une voix ravie et presque silencieuse.
Jubilia avait senti sa poitrine se contracter. Elle savait que Saya était sérieuse.
« Il serait difficile pour Lady Saya de quitter le palais, » ajouta tristement Jubilia.
« Je sais au moins cela. C’est pourquoi j’ai prévu de rester dans la capitale. Mais si cela doit aggraver l’état de Saya, je garderai mes distances. Je finirais par avoir envie de venir la voir tout le temps si je vivais à proximité. »
« Je vois, » murmura Saya. C’était sûrement douloureux pour elle de trop parler. « Mais tu viendras me rendre visite… de temps en temps, n’est-ce pas ? »
« Bien sûr. Le village de Garuga est juste à l’extérieur de la capitale. Nous avons marché de là-bas ensemble, tu te souviens ? »
« Hm. »
« Alors, repose-toi et guéris vite. Quand tu seras rétabli, je viendrai te voir tous les jours. »
« Hm… »
« Jubilia, prenez soin de Saya. Pas que vous ayez besoin que je vous le demande. »
« S’il vous plaît, laissez-moi faire. Je jure par mon épée… enfin, je suppose que je ne suis plus chevalier, alors je jurerai par notre amitié. »
« Notre amitié ? »
« N’est-ce pas ? Lady Saya et moi sommes maintenant amies, alors je pensais que nous l’étions aussi. »
« Je vois. Des amis, hein ? J’ai compris. Je vais faire confiance à mon amie. »
« Je ne vous laisserai pas tomber. »
Les deux individus avaient échangé des hochements de tête.
« Nagi, à la prochaine fois, » dit Saya à contrecœur.
« Oui, à plus tard. »
Nagi avait tourné les talons. Saya ne pouvait plus voir son visage. Sa vision était brouillée par les larmes. Il avait quitté le palais en toute hâte, comme pour s’assurer que ses larmes ne se répandraient pas. Il courait de toutes ses forces, le monde autour de lui n’étant plus qu’une brume. Combien de cruauté ce monde cachait-il ? Sa main alla serrer le collier sur sa poitrine, tout comme lorsqu’il cherchait à la retrouver auparavant.
merci