Chapitre 10 : Le monstre appelé la mer
Partie 3
Moins de trente minutes avant le lever du soleil, nous étions montés à bord d’un bateau en bois pour nous rendre à Doris. Roland m’avait dit qu’il avait choisi le meilleur bateau pour nous, mais honnêtement, le voyage avait été assez mouvementé. J’avais tellement le mal de mer que je pensais que je pourrais mourir, et Lysa était aussi assez pâle. Roland et Sérignan étaient les seuls à avoir l’air bien.
Les essaims aussi, bien sûr. J’aimais vraiment mes bébés, mais ils n’avaient aucun moyen de comprendre à quel point je souffrais.
« Nous serons bientôt arrivés », m’avait dit Roland.
« D’accord. Argh… J’ai hâte de retourner sur la terre ferme », lui répondis-je avec lassitude.
J’avais déjà pris le ferry auparavant, mais c’était sans aucun doute la pire croisière que j’ai jamais faite. Le bateau se balançait, grinçait, tremblait et se tordait. C’était comme si tout dans ce navire était conçu pour tuer ses passagers. J’avais l’impression qu’il pouvait chavirer à tout moment, et je ne voulais rien d’autre que de retourner à la douce étreinte de la terre ferme dès que possible.
« Roland, c’est pour bientôt ? »
« Hmm, je dirais environ 30 minutes. »
Pour me distraire, j’accédais à la conscience collective et je confirmais la situation de la bataille sur les murs. Les essaims avaient subi de graves dommages en prenant d’assaut le pont de Poitier. Ils avaient été assaillis par des tirs de balistes et d’arbalètes. Les portes semblaient se profiler de plus en plus loin, mais ils avaient quand même continué à charger.
Je suis désolée. Je suis vraiment désolée de vous avoir utilisé comme des pions jetables dans cette opération. Mais c’est nécessaire pour notre victoire. Pardonnez-moi. En échange, je m’assurerai que nous gagnons.
J’avais pleuré les Essaims Éventreurs et les Essaims Mascarades qui avaient été sacrifiés dans cette bataille, mais j’avais tenu bon au nom de la victoire. Ma nausée s’était un peu calmée, et le sentiment de malaise fit place à une forte envie de réussir.
Je dois gagner quoi qu’il arrive. J’ai déjà fait trop de sacrifices. Perdre davantage n’est pas une option.
J’avais encore des centaines de milliers d’essaims sous mon commandement, mais même là, je m’étais occupée de chaque essaim éventreur. Je ne pouvais pas les laisser mourir en vain.
« Votre Majesté, l’ennemi rassemble ses forces pour défendre les murs », rapporta Sérignan.
« Oui. Les Essaims Éventreurs et les Essaims Mascarades ont donné leur vie pour nous donner cette ouverture. Nous ne pouvons pas la laisser passer. »
« Nous ne le ferons absolument pas. Nos frères ont beaucoup contribué pour assurer notre victoire. »
« Ils l’ont fait, c’est sûr. Quoi qu’il en coûte, nous allons gagner. »
Sérignan et moi étions déterminées à mettre fin à cette guerre.
« Nous atteindrons bientôt la terre ferme, Votre Majesté ! Quand nous y arriverons, ce sera un peu rude ! », cria Roland.
« Je suis habituée maintenant ! Il peut me bousculer autant qu’il le faut ! »
Je lui avais répondu en criant.
Au clair de lune, nous avions vu tous les navires qui naviguaient à côté du nôtre. C’était tous des bateaux en bois que nous avions récupéré dans les ports de Schtraut. Certains étaient si vieux qu’ils semblaient pouvoir couler à tout moment, tandis que d’autres étaient plus récents, mais de taille plus réduite.
Tous ces navires étaient remplis d’essaims éventreurs.
« Les soldats ont tendance à être faibles après avoir navigué, alors j’espère que les Essaims Éventreurs devant la porte feront un bon travail en distrayant le gros de leurs forces. »
Les opérations de débarquement étaient risquées. Nous serions des cibles faciles si l’ennemi prenait position à notre point de débarquement, ils nous anéantiraient avant même que nous le sachions. Ils pourraient aussi simplement frapper nos navires avec de la magie lointaine et nous envoyer dans une tombe aquatique. Mais nous devions faire un acte de foi si nous voulions gagner.
« Cinq minutes avant l’accostage ! »
Au cri de Roland, les autres navires accélérèrent, faisant un sprint vers les côtes de Doris.
« Les Essaim Éventreurs sont des marins étonnamment bons », dit Roland, visiblement impressionné.
« Ils se déplacent dans le cadre d’une conscience collective. Quand l’un d’entre eux apprend quelque chose, les autres l’apprennent aussi. Si chacun d’entre eux apprenait une information, ils l’obtiendraient tous en même temps. Ils sont beaucoup plus intelligents et plus efficaces que les humains. », avais-je expliqué.
Oui, les Essaims apprenaient extraordinairement vite. L’un d’eux pouvait apprendre la biologie et les autres acquéraient cette connaissance immédiatement, même s’ils n’ouvraient jamais un livre de biologie. Si je demandais à une poignée d’entre eux d’étudier la biologie, la physique, la chimie, les mathématiques et la musique, l’ensemble de l’essaim absorberait tous ces sujets en même temps. C’était la force de la conscience collective.
Dans le jeu, cette mécanique ne s’étendait vraiment qu’à l’acquisition d’expérience par les Essaims qui ne prenaient pas part à une bataille. Cependant, lorsqu’elle était appliquée dans un cadre plus réaliste, cette capacité montrait une gamme d’applications étonnante. L’Essaim pourrait très bien être la forme de vie la plus intelligente et la plus efficace de ce monde.
« Accostage dans quelques secondes ! Préparez-vous à l’impact ! »
Nos navires avaient traversé la mer et s’étaient écrasés sur le rivage.
« L’ennemi ne nous a pas encore remarqués ! Commencez l’opération ! », avais-je crié.
Sur mon ordre, les Essaims quittèrent leurs navires et sautèrent sur le quai, commençant leur charge dans la ville. Un groupe s’était détaché pour prendre d’assaut le phare et les navires de guerre à quai afin d’exterminer les soldats à l’intérieur.
« Votre Majesté, nous avons débarqué avec succès ! », rapporta Sérignan.
« Oui, je n’aurais pas pu demander plus. Bon travail, tout le monde. »
Mes insectes couraient actuellement dans les rues de Doris, les premiers rayons chauds du soleil se réfléchissant sur leurs griffes. Après notre accostage réussi, la victoire était à portée de main. Maintenant que nos ennemis avaient été poussés au bord du gouffre, les envoyer voler dans l’abîme du désespoir serait facile. Nous allions allumer des feux de panique et de peur dans leurs cœurs et exercer à juste titre notre vengeance pour tout ce qui s’était passé.
« Sérignan, Lysa et Roland se dirigeaient vers la résidence du duc. Elle devrait se trouver au point le plus élevé de cette île. Je suis sûr que vous le trouverez bien assez tôt. »
« Je vais vous montrer le chemin », dit Roland d’un signe de tête.
« Très bien, Roland. Allons-y. »
Les Essaims avaient deux objectifs en se posant sur Doris. Le premier était de dépasser la résidence du duc, nous devions éliminer Léopold si nous voulions gagner cette guerre. De plus, j’avais toute une liste de rancunes à régler avec lui. Le laisser mourir facilement n’était pas une option.
Deuxièmement, nous devions supprimer la deuxième porte. L’ouvrir de l’intérieur permettrait aux essaims à l’extérieur des murs de se regrouper avec nous. Une fois les portes ouvertes, l’ennemi serait rendu impuissant. Ils pourraient prier autant qu’ils le voudraient, mais l’essaim les déborderait quand même.
J’avais laissé la deuxième porte aux Essaims Éventreurs et j’étais partie avec mon équipe pour faire un raid sur la résidence du duc. Je me sentais mal pour les gens de Marine. Ils m’avaient si bien traitée, pour devenir ensuite des victimes de cette guerre.
Mais je vais me venger pour vous maintenant.
Je voulais infliger une douleur inimaginable à Léopold et coller sa tête sur une pique aux portes de la ville. Résolue à le faire souffrir, j’avais sauté sur le dos d’un Essaim Éventreurs et suivi Sérignan, Lysa et Roland pour retrouver Léopold.
☆☆☆
« Qu’est-ce qui se passe, Sébastien !? N’avons-nous pas repoussé l’assaut ennemi aux portes !? », grogna Leopold.
Le duc venait de recevoir un rapport selon lequel ses soldats au pont de Poitier avaient écrasé la charge ennemie, il était donc confiant sur le fait qu’ils avaient gagné la guerre. Cependant, il venait d’apprendre qu’une grande armée d’Essaims s’était emparée de Doris et avait tué ses troupes, et qu’elle marchait sur les portes depuis l’intérieur même de la ville.
« Il semble que l’ennemi ait mis en place une opération de débarquement. Nous n’avions pas prévu qu’ils pourraient utiliser des navires… Apparemment, ce sont plus que des monstres. »
« Vous vous moquez de moi ? ! Organisez une contre-attaque et reprenez la ville immédiatement ! Je croyais que vous aviez prévu toutes les éventualités, espèce de bouffon incompétent ! »
Le cri de Léopold résonnait dans le manoir. Autour d’eux, les fenêtres scintillaient de feux lointains de la ville en feu.
« Vous me traitez d’incompétent ? J’étais contre le fait de poster toutes nos forces aux portes. Je vous ai dit que nous devrions laisser une force de réserve derrière nous. C’est vous qui avez rejeté ma proposition, Duc Lorraine. La responsabilité en incombe à vous ! »
En effet, Sébastien s’était opposé à l’envoi de tous leurs soldats au pont de Poitier. Il avait supposé que les chances d’une attaque surprise étaient minces, mais il avait suggéré qu’ils laissent une force derrière eux au cas où. C’est Léopold qui avait refusé son conseil.
« Espèce d’imbécile ! De quel droit répondez-vous à votre chef !? Je suis le Duc de Schtraut ! Vous osez me critiquer !? La responsabilité de ceci vous incombe, monsieur ! » beugla Leopold avec des crachats aux coins de sa bouche.
« Le fait même que vous ayez été nommé Duc était une erreur. Si vous n’aviez pas destitué le Duc Sharon, rien de tout cela ne serait arrivé. Votre croyance aveugle dans les méthodes de double jeu de Frantz fait de vous le pire leader possible. »
« Rompez ! Vous êtes démis de vos fonctions ! Je vous ferai retirer tous les grades et médailles que vous avez obtenus ! Vous regretterez de m’avoir insulté quand vous pourrirez dans le donjon pour le reste de votre vie ! »
« Je pense que vous ne comprenez pas bien la situation, Duc Lorraine. Doris va tomber dans quelques heures. Compte tenu de ce qui est arrivé aux autres villes, la seule chose qui nous attend tous les deux est la mort. Renvoyez-moi maintenant si cela vous fait vous sentir mieux, je peux certainement dire que vos menaces ne me font pas me sentir plus mal. »
Oui, la ville de Doris était au bord de l’effondrement. Une milice était rapidement organisée dans les rues de la ville pour tenter de stopper l’avancée des essaims, mais elle n’avait pas d’armures et était équipée d’armes faibles. Ils seront des proies faciles pour les essaims d’éventreurs.
Les essaims prenaient le contrôle de la ville à un rythme soutenu. Dès que mes Essaims Marins avaient quitté leurs navires et s’étaient mis à saccager la ville, les Essaims à l’extérieur avaient fait demi-tour sur les portes extérieures, qui étaient maintenant presque détruites. Les soldats sur les murs avaient été déchirés et les têtes des mages avaient été arrachées avant qu’ils ne puissent recommencer à lancer leurs sorts.
La capitale de Schtraut était condamnée à tomber. Ce n’était qu’une question d’une heure ou deux.
« Il doit y avoir un moyen de gagner… Un moyen de survivre à cela. Une idée qu’un idiot de soldat comme vous n’a pas eu le courage d’imaginer. Allez, Leopold, réfléchissez ! Ça n’aurait pas de sens sinon… Après tout, je réussis toujours à la fin. »
Leopold prit une autre gorgée de cognac et se mit à faire les cent pas dans sa chambre comme un tigre agité.
« Laissez tomber. Nous n’avons plus de cartes à jouer. Si seulement vous aviez agi plus prudemment, les choses auraient pu se terminer en notre faveur. »
« Taisez-vous ! Je n’ai pas perdu ! Je vais gagner et survivre à ça ! Allez mourir, si vous croyez que cela me fait quelque chose ! »
Tout cela aurait pu être évité. Si seulement il n’avait pas utilisé l’armée des nobles comme des pions sacrificiels, ou si seulement il avait eu le sens diplomatique de voir à travers les intentions du Royaume Papal… Ou s’il avait simplement choisi une ligne de conduite qui n’aurait pas provoqué l’Arachnée.
C’était une suite ininterrompue de « et si ». Mais le passé ne laissait pas de place pour les possibilités, seulement pour les faits. Il n’y avait pas de retour en arrière pour reprendre ses erreurs, on n’avait pas d’autre choix que d’accepter la réalité telle qu’elle était.
« Votre Grâce ! L’ennemi ! Ils se dirigent par ici ! »
La voix alertant Léopold de son imposant destin était arrivée, trop tôt et trop impitoyablement.
merci pour le chapitre
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