Chapitre 10 : Le monstre appelé la mer
Partie 2
Au pont de Poitier, juste à la sortie de Doris, tout était étrangement calme. Il était tôt le matin, et le soleil ne s’était pas encore levé. Aucun oiseau ne gazouillait pour remplir l’air, de sorte que le seul son que l’on pouvait entendre était le roulement des vagues qui s’écrasaient contre les falaises.
« L’ennemi arrive, n’est-ce pas ? », demanda un des soldats en garnison à la porte.
« Ils vont venir. C’est la capitale, c’est le seul endroit qu’ils n’oublieront pas. Ils vont certainement nous attaquer, et nous devons les arrêter. C’est à nous de jouer maintenant. », répondit un autre.
On ne savait pas quand l’Arachnée pourrait attaquer. Il y avait des feux allumés sur le pont, fournissant une faible lumière qui léchait les murs de la ville. Les soldats ne pouvaient voir que certaines parties du pont lui-même, et tout le reste était recouvert d’un voile d’obscurité.
Soudain, un claquement métallique inquiétant avait atteint les oreilles des soldats.
« Qu’est-ce que c’était ? »
« Je vais voir. »
Un des sous-officiers utilisa des jumelles pour mieux voir. Et voici ce qu’il vit : une armée massive d’insectes. Ils chargeaient le pont de Poitier en grand nombre, se dirigeant droit vers les portes.
« Ennemi aperçu ! Préparez-vous à les intercepter ! »
Depuis la porte, ils pouvaient voir une armée massive d’Essaims Éventreurs prendre d’assaut le pont comme une grande vague noire. La vue était si terrifiante qu’elle pouvait rendre un homme fou.
« Préparez les ballasts ! »
« Tuez-les avec des arbalètes ! »
Les soldats firent pleuvoir des carreaux sur les essaims d’éventreurs qui arrivaient. Les arcs normaux n’avaient tout simplement pas le pouvoir de pénétration nécessaire pour être utile, les balistes et les arbalètes, en revanche, pouvaient exercer beaucoup plus de force. Les balistes perçaient facilement les exosquelettes des essaims.
« Mages, jetez vos sorts ! Noyez-les dans le feu ! »
Les mages s’étaient installés comme prévu. Ils lancèrent des sorts simples et silencieux, mais aussi des sorts avancés qui nécessitaient des chants pour être exécutés, ce qui fit pleuvoir des boules de feu sur le pont. Les sorts les plus simples ne brûlaient qu’à l’impact, mais les sorts avancés n’étaient pas si simples. Leur feu était adhésif, s’accrochant à la cible comme si elle était couverte d’un liquide inflammable qui brûlait indéfiniment.
Les Essaims Éventreurs tombèrent un à un dans les flammes. Leurs alliés marchaient sans relâche sur leur corps tandis que les flammes continuaient à se propager. En voyant que les Essaims Éventreurs ne craignaient pas le feu, certains mages paniquèrent.
« N’abandonnez pas les attaques ! Ils ont l’intention de nous submerger par leur nombre ! Arrêtez-les quoi qu’il arrive ! »
Cet ordre venait d’un des commandants militaires de Schtraut, qui était responsable du groupe.
Sans prévenir, une explosion retentit de l’intérieur des murs de la ville. La clôture de fortune qu’ils avaient érigée le long de la deuxième ligne de défense des portes avait été détruite et les soldats qui se trouvaient à proximité furent jetés à terre. Certains d’entre eux avaient été mutilés par l’explosion mystérieuse, tandis que d’autres se tortillaient encore péniblement sur le sol, implorant de l’aide.
« Que vient-il de se passer ? », cria le commandant.
« Je ne sais pas, monsieur ! Nous essayons encore de comprendre la situation », s’écria un de ses hommes.
La cause de leur panique était vite devenue évidente. Apparemment, un civil suspect avait couru jusqu’à la clôture et avait explosé au contact. Tous les soldats pris dans l’explosion avaient été projetés à plusieurs mètres de distance. Les ondes de choc rompirent leurs organes internes, et ceux qui étaient encore en vie crachaient maintenant du sang.
« Il y a des saboteurs dans la ville !? »
« Que faisons-nous, monsieur !? »
Cela n’était tout simplement pas possible. Seule la magie avancée pouvait produire une explosion aussi puissante. Il était impensable qu’une personne capable de lancer silencieusement un sort de ce calibre soit utilisée comme chair à canon.
« Pointez vos arbalètes sur les murs ! Surveillez la zone pour détecter les saboteurs ennemis ! »
Alors même que le commandant lançait ces ordres, un groupe de personnes émergea de la ville et traversa la clôture en ruine. Au moment où les arbalètes étaient sur le point de tirer, les têtes des étrangers s’étaient ouvertes, révélant une paire de crocs aiguisés. Des pattes d’insecte éclatèrent de leur dos et leurs propres jambes s’étaient transformées en queues munies de dards. Les cinq monstres se précipitèrent sur les murs avec une rapidité effrayante.
« Qu’est-ce que… !? Qu’est-ce qu’ils sont ? ! Oh, mon Dieu, ce sont des insectes ! Ces monstres peuvent se déguiser en humains ? ! »
La confusion et la terreur brouillaient l’esprit des soldats, et leurs armes manquaient continuellement leurs cibles. Pendant ce temps, les insectes avaient dépassé la clôture et commençaient à s’autodétruire contre les murs. Les remparts tremblaient, faisant presque tomber le commandant et ses hommes à terre. Les robustes portes métalliques de Doris avaient été lourdement endommagées par l’impact, se détachant presque de leurs charnières.
« Les portes intérieures ! », s’était écrié un soldat alors que les portes s’effondraient.
« Calmez-vous, nous avons encore les portes extérieures ! », répondit le commandant.
Doris avait deux jeux de portes pour sa protection. La première était en bois et se trouvait à l’extérieur de la ville. Les portes intérieures étaient faites de métal robuste… et étaient maintenant complètement détruites. Il ne restait plus que les portes en bois. Seraient-elles capables de retenir une armée d’éventreurs ?
« Soyez attentifs aux ennemis à l’intérieur des murs en repoussant l’attaque sur le pont ! L’ennemi essaie de prendre de l’élan ! Si nous ne défendons pas les murs, Doris est finie ! Si la ville tombe, je n’ai pas besoin de vous dire ce qui arrivera à vos familles et à vos proches ! »
À ce moment précis, cependant…
« Monsieur ! »
Un soldat inconnu s’était approché du commandant.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Allez à votre position… »
Avant qu’il n’ait pu finir, le soldat explosa.
Le commandant, qui se tenait à un mètre seulement du soldat, avait été réduit en miettes. Les cris terrifiés des soldats voisins pris dans l’explosion remplirent l’air.
« Bon sang ! Leurs saboteurs se mêlent même à nos soldats ! », maudit l’un des officiers.
« Hé, si l’un d’entre vous détecte des soldats que vous ne reconnaissez pas, signalez-le immédiatement ! Cela pourrait être des espions ennemis ! »
Alors que la bataille faisait rage, le chaos avait rapidement submergé les hommes au sommet des murs. Leopold avait ordonné qu’un nombre important, voire excessif, d’entre eux y soit stationné, et le gros de l’armée de Doris luttait donc pour maintenir l’ordre.
« Battez-vous au nom du Duché ! Arrêtez ces monstres ! »
L’officier qui avait pris la parole juste avant assuma le rôle du commandant mort.
« Ouuuuuuuaaaaaaaaaiiiiiiiiiissssssss ! »
Les soldats répondirent à ses mots d’encouragement par un cri de guerre.
Soit dit en passant, la ruée des Essaims Éventreurs ralentissait — non, elle s’arrêtait complètement. Ils avaient dépassé les restes carbonisés de leurs camarades pour se rapprocher des portes, mais les tirs d’arbalète et de baliste les avaient obligés à s’échapper, puis à battre en retraite.
« Ahaha ! Les monstres s’enfuient ! Bien fait pour vous, cafards ! »
« La victoire est à nous ! »
Les soldats aux portes se réjouissaient à la vue des Essaims Éventreurs qui se repliaient.
« Avons-nous gagné… ? », se demandait l’officier à voix haute.
Après avoir piétiné d’innombrables villes à travers le duché, les Essaims Éventreurs battaient en retraite pour la première fois. L’officier avait du mal à le croire en regardant les monstres s’enfuir. Avaient-ils vraiment gagné ? Oui, c’était forcément le cas. L’ennemi avait accepté la défaite. Les portes avaient subi beaucoup de dégâts, mais au final, elles avaient tenu bon face à l’invasion.
« Nous avons réussi ! Nous avons gagné ! »
« Ouuaaaiiiss ! La victoire est à nous ! »
Les soldats applaudirent, jetant leurs casques et levant leurs arbalètes. Ils étaient ravis, car ils croyaient avoir enfin vaincu ce fléau instable.
Mais la fête n’avait même pas duré cinq minutes.
« Où est votre commandant !? J’ai besoin de lui tout de suite ! »
Sébastien de Silhouette hurla du haut des murs.
« Il est mort dans l’exercice de ses fonctions, monsieur. C’est moi qui suis actuellement le responsable », répondit l’officier.
Sébastien fit un signe de tête.
« Hmm, d’accord. Alors, préparez-vous à entrer dans la ville immédiatement ! Nous devons nous dépêcher ! »
« Que voulez-vous dire, monsieur ? Y a-t-il une émeute ? »
Sébastien soupira.
« Une émeute ? Vous ne comprenez vraiment pas, n’est-ce pas ? Je suppose que je ne peux pas vous blâmer, puisque vous vous êtes battu sur le front jusqu’à présent. Écoutez : c’était une diversion. Ce n’était pas la force principale de l’ennemi, et c’est pourquoi vous avez pu les repousser. L’armée ennemie nous a envahis par la mer, et ils ont actuellement le contrôle du centre-ville. Ils se dirigent par ici en ce moment même. Nous devons les intercepter, d’où l’urgence. Ils sont plus intelligents que nous ne l’aurions jamais imaginé. Tout peut arriver à partir de maintenant. »
« De la mer ? C’est absurde. Comment ont-ils pu traverser ? »
Avant qu’il n’entende la réponse, des cris éclatèrent au loin.
« Le vrai combat est sur le point de commencer. Laissez un petit détachement ici et partez. Maintenant ! »
« O-Oui, monsieur ! »
Les cris devenaient de plus en plus forts alors que l’officier rassemblait ses subordonnés à la hâte. Ils s’armèrent d’armes de mêlée et descendirent des remparts, formant une ligne en se frayant un chemin dans les rues.
« C’est pourquoi je lui ai dit de laisser un peloton dans la ville », chuchota Sébastien en regardant la fumée noire s’élever au loin.
L’Arachnée avait terminé son débarquement et commençait maintenant son saccage. La bataille se déroulait à l’envers, et maintenant les soldats plongeaient vers la défaite.
merci pour le chapitre
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