Chapitre 9 : La chute du royaume
Partie 3
Les Essaims Éventreurs pouvaient capter toutes les odeurs dans une maison, même celles de la cave et du grenier. Personne ne pouvait échapper à leurs griffes. Peu importe où l’on se cachait, l’Essaim les trouvait, prêt à délivrer une mort impartiale et absolue.
« Je dois admettre que c’est assez terrible », dis-je doucement, debout devant la maison.
« Les humains ne méritent aucune pitié, Votre Majesté. Surtout pas nos ennemis. »
« Je suis d’accord. La pitié n’aidera personne ici. Nous ne croyons qu’en la violence. Charmant, n’est-ce pas ? Allons, continuons à avancer. Cela n’aurait pas pu se terminer autrement. »
J’avais laissé la maison de Ludmila derrière moi et je commençais à marcher sur la route de l’Est.
Je vais peut-être démolir leur château et me faire couronner ? En voilà une idée.
☆☆☆**
Sérignan et moi nous étions installés plus loin dans la ville, entourés par un océan d’Essaims Éventreurs. Malgré la densité de la foule, aucun des Essaims Éventreurs ne m’avait touchée. Ils avaient prudemment évité de se mettre sur mon chemin alors que je marchais. Je savais qu’ils pouvaient m’assommer assez facilement s’ils ne faisaient pas attention, j’avais donc apprécié leur considération.
« Les forces défensives de l’ennemi sont réparties entre le nord et le sud. Je pense que nous devons passer par le centre pour pouvoir les flanquer tous les deux. Si nous faisons cela, l’ennemi sera mis en déroute en un rien de temps. Il nous suffira alors de forcer l’entrée du château, où nous tuerons le roi et tous les autres personnages clés à l’intérieur. »
Et alors, le royaume de Maluk sera complètement effacé de la face de ce monde.
« Arrêtez, au nom du Dieu de la Lumière ! »
Alors que j’imaginais les conséquences, nous avions rencontré un groupe de troupes ennemies. Je pensais que nous avions nettoyé la plupart d’entre eux lors de l’attaque initiale, mais apparemment certains d’entre eux avaient été positionnés loin des murs.
« Vous ne nous arrêterez pas ici. Nous continuerons à marcher jusqu’à ce que chacun d’entre vous soit mort. »
« N’es-tu pas une humaine toi aussi ? ! »
En me voyant au milieu de la grande grappe d’Essaims, le chef apparent du groupe m’avait regardée d’un air soupçonneux. Il devait se demander pourquoi une jeune fille humaine travaillait aux côtés de ces ennemis de l’humanité.
« Humaine ? Pas moi. Je ne suis qu’un monstre, avec un cœur monstrueux… J’ai mis mon humanité de côté il y a longtemps. On pourrait même dire que je suis le pire ennemi de l’humanité. Je suis celle que vous devez vaincre si vous voulez gagner, notre invasion ne s’arrêtera pas tant que vous ne l’aurez pas fait. Non… Même si vous me tuez, notre conquête continuera. Nos corps trembleront sans cesse avec la faim de dévorer votre monde. Montez à bord de vos navires et essayez de partir si vous voulez, nous vous traquerons toujours et nous vous achèverons jusqu’au dernier. »
C’est vrai, je n’étais plus humaine. J’étais la reine de l’Arachnée, le fléau qui frappait l’humanité. Ma conscience avait été entraînée dans les profondeurs rampantes de l’Essaim collectif, alors que la dernière lumière de mon humanité commençait à disparaître.
Curieusement, l’inverse se produisait également. La conscience de l’Essaim se mêlait à la mienne, si bien qu’ils pensaient maintenant à autre chose qu’à envahir et à se multiplier. Si cela n’avait pas été le cas, ils auraient attaqué sans discernement les elfes dont j’avais tant pitié.
« Je vois. Donc tu es la meneuse. Alors tout ce que nous avons à faire, c’est de te faire tomber ! Serviteur du Dieu de la Lumière qui réside dans les cieux, je te supplie de descendre devant nous, Haristel le Grand ! »
Alors que le commandant terminait son chant, la lumière s’était répandue du ciel. Un énorme chien était sorti du faisceau lumineux. Il était trois à quatre fois plus gros qu’un Essaim Éventreur. Il était certainement assez gros pour m’avaler tout entier.
« Fils de l’homme. Une énorme crise vous est-elle tombée dessus ? »
La voix de l’énorme chien était solennelle et régulière.
« Oui, Haristel. Ces bêtes maléfiques sont venues détruire notre royaume. Prêtez-nous votre force, je vous en prie ! » implorait l’homme qui était capitaine des Chevaliers de Saint-Erzébet.
« Alors, dès que des problèmes surgissent, vous vous rabattez sur vos anges, hein ? Vous n’avez donc rien d’autre comme tour dans votre sac. »
« Continue de parler, idiote. Vous, les barbares qui rejetez le Dieu de la Lumière, ne méritez rien de plus que d’être frappés par notre ange ! Allez-vous-en, vilains ! »
« Eh bien, bon sang. Nous traiter de blasphémateurs barbares n’est vraiment pas nécessaire, n’est-ce pas ? Il n’est pas nécessaire de tâtonner pour trouver des raisons, nous sommes des barbares jusqu’au bout des ongles. Des sauvages de bonne foi, du genre à tuer et à piller et tout ça. Que nous adorions votre dieu ou non n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est que notre instinct nous pousse à voler, à tuer et à nous multiplier. »
Je ne savais rien de ce Dieu de la Lumière, mais de toute façon je ne voudrais probablement pas l’adorer.
« Prépare-toi, infidèle. Se moquer de notre Dieu est un grave péché. »
« Oh, nous serons aussi dérisoires que nous le voulons. Non pas que je connaisse assez ce Dieu de la Lumière pour parler de lui. Mais il me semble que vous adorez quelqu’un qui prend son pied en punissant les faibles et en appelant cela de la justice. Pathétique. »
« La pénitence pour ton péché est la mort, infâme. »
« Fais-le, Sérignan », dis-je alors qu’Haristel se préparait à bondir.
« Laissez-moi faire, Votre Majesté. »
Sérignan s’était avancée. Avec son épée sainte corrompue à la main, elle se tenait debout devant Haristel.
« Prépare-toi ! »
« Haaah ! »
Alors qu’Haristel bondissait sur elle, Sérignan tira un fil de sa queue et s’en servit pour se propulser au-dessus des toits. Haristel, dans sa course-poursuite, escalada un bâtiment, sautant immédiatement sur le toit en enfonçant ses crocs dans le mur.
« Ne fuis pas, vilain monstre ! »
« Continue d’aboyer, cabot. Je n’ai fait que bouger pour éviter d’impliquer Sa Majesté dans cette bataille. »
Sérignan souriait.
« Tes griffes ne sont-elles là que pour faire joli ? Si ce n’est pas le cas, prouve-le. En retour, je prouverai ma valeur en te tuant ! »
Sérignan tourna son épée dans la direction d’Haristel.
« Imbécile ! Un simple insecte ne peut pas espérer triompher d’un ange ! »
« Oh ? Mais j’en ai déjà tué deux de ton espèce ! »
Haristel se précipita et Sérignan courut à sa rencontre. Les crocs du chien se heurtèrent à la lame noire du chevalier.
« Ngh ! »
Sérignan tressaillit lorsque les crocs d’Haristel lui firent une entaille à la joue droite.
« Cela ne sera pas suffisant pour m’arrêter ! »
Sérignan planta alors son épée dans le flanc d’Haristel.
« Sois maudite ! C’est une épée sainte corrompue ! »
Ce n’était qu’alors qu’Haristel réalisa qu’il était confronté à la lame d’un paladin tombé en disgrâce — une épée sainte corrompue, optimale pour tuer un ange.
Tu en as mis du temps, pensai-je sèchement.
« Prépare-toi, cabot, car je vais te couper la tête ! »
« Ne me regarde pas de haut, insecte ! »
Le combat entre Sérignan et Haristel s’intensifia.
« Ungh ! Je savais bien qu’un animal comme toi mettrait… tant de poids dans ces coups ! »
« Est-ce là l’étendue de ton pouvoir, insecte ? ! »
Haristel attaqua Sérignan avec ses crocs et ses griffes avec une vitesse effrayante, de sorte que le chevalier ne pouvait répondre qu’avec des blocages désespérés. Les attaques du chien de chasse étant à la fois lourdes et rapides, Sérignan était progressivement repoussée.
« Vise les yeux, Sérignan ! Enlève-lui sa vue et son odorat, et tu pourras t’occuper du reste à partir de là. », lui criais-je d’en bas.
« Compris, Votre Majesté ! »
Sérignan para l’attaque suivante et visa le visage de Haristel comme je l’avais ordonnée. Elle s’était attaquée aux yeux et au nez, encore et encore, dans un élan persistant de frappes. En l’observant, j’avais senti qu’elle était encore plus bestiale que le chien contre lequel elle se battait.
« Je compte sur toi. Tu es la seule personne en qui je peux avoir confiance pour aller jusqu’au bout », lui avais-je dit.
« Oui, Votre Majesté ! Laissez-moi faire ! »
J’avais inondé la conscience collective de ma foi en ses capacités… et le combat commença à pencher en faveur de Sérignan. Mon chevalier reprit pied comme s’il récoltait les fruits d’un sort.
« Haaaaah ! »
« Guh ! Maudite sois-tu ! »
Haristel n’avait probablement pas compris ce qui se passait. Pourquoi Sérignan, qui était au bord de la défaite il y a un instant, prenait-elle soudainement l’avantage ? Pourquoi était-elle pleine de combativité, capable de contrer ses coups avec une vigueur renouvelée ? Qu’est-ce qui l’avait poussée à se battre si désespérément ?
La réponse était simple : Sérignan était un chevalier, mon épée et mon bouclier. Tant que j’avais confiance en elle, elle répondrait toujours à ma conviction. Cette relation était quelque chose qu’Haristel ne pouvait tout simplement pas comprendre.
Déviant chacune de ces attaques, Sérignan passa à l’offensive. Elle se glissa entre ses coups et ses claquements et s’attaqua puissamment à la bête sacrée.
« GaAAaAah ! »
L’épée corrompue transperça l’œil droit d’Haristel. Celui-ci tituba, puis se retira sur un autre toit, endolori.
« Malédiction, malédiction, mille malédictions sur toi ! Comment oses-tu ! »
Haristel hurlait en saignant, son dernier œil fixant Sérignan avec plus de férocité qu’auparavant.
« Sérignan, fais attention quand tu achèves un animal blessé. Il s’accroche d’autant plus à la vie qu’il est aux portes de la mort. »
« Oui, Votre Majesté ! »
Sérignan méritait des éloges pour être arrivée jusqu’ici, mais elle ne pouvait pas se permettre d’être négligente. Les animaux avaient un instinct de survie très développé, et ils étaient censés être les plus dangereux lorsqu’ils étaient acculés.
Bien sûr, cela n’aurait peut-être pas été le cas pour un ange. Mais pour les bêtes, la pulsion instinctive de survie inondait leur corps d’adrénaline, accélérait leurs battements de cœur et les poussait à s’accrocher à la vie de toutes leurs forces. Quoi qu’il en coûte, ils devaient vivre, même s’il fallait pour cela se battre avec des crocs ou des griffes ou tout autre moyen d’empêcher leur mort prématurée. Il en était sûrement de même pour cette bête se faisant passer pour un ange.
« Les méchants ne méritent aucune pitié ! Je vais te déchirer membre par membre ! »
En effet, les mouvements de Haristel étaient beaucoup plus rapides maintenant qu’il était en danger. Sérignan sera-t-elle capable de le vaincre ?
« Le seul qui sera déchiré ici, c’est toi, cabot ! »
Oui, elle le pourrait. Et elle le fit.
« Aaaagh... »
Sérignan se glissa dans l’angle mort de Haristel — son œil droit écrasé — et frappa de son épée l’épais cou de la bête, la transperçant de part en part. Son cou n’étant attaché que par un mince lambeau de chair, Haristel glissa du bâtiment et tomba sur le sol. Et comme ses prédécesseurs, il s’était dissous en particules de lumière et disparu.
« Ce n’est pas possible ! Haristel le Grand… a été vaincu !? »
« Non ! Pas notre ange ! »
merci pour le chapitre
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