Chapitre 9 : La chute du royaume
Partie 1
L’Arachnée traversa la rivière Aryl au nord et au sud en utilisant la même méthode, laissant le royaume de Maluk sans plus de défenses majeures. Il y avait encore quelques forteresses entre nous et la capitale, mais elles ne dureraient pas longtemps. Chacune des forteresses était isolée, formant une sorte de cercle protecteur autour de la Siglia.
« Une autre en moins », dis-je en abattant une autre forteresse.
L’air était épaissi par l’odeur du sang. Mes Essaims Éventreurs emportaient tous les cadavres, qui allaient bientôt être transformés en boulettes de viande et ensuite stockés ou placés dans des fours à fertilisation.
Voir les restes des soldats — vêtements, armures et autres — réduits en boulettes de viande aurait dû me dégoûter ou m’effrayer au plus haut point. La puanteur de la mort et les bruits de claquement du liquide visqueux qui s’écoulait ensemble auraient suffi à faire vomir n’importe qui.
Mais j’étais là, à regarder tout cela en grignotant un sandwich.
Je les avais faits en utilisant des ingrédients que les soldats avaient laissés dans la forteresse. Je les avais garnis de jambon et de fromage. Dernièrement, je n’avais pu trouver que du pain sec et du pain dur, alors manger des sandwichs mous et chauds remplis de fromage était un vrai régal. J’avais savouré chaque bouchée en regardant les essaims Travailleurs faire leurs boulettes de viande.
« Hé, Sérignan. »
« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Sérignan, qui se tenait à mes côtés, attira mon attention.
« Veux-tu un sandwich ? »
« Non. Je ne pourrais pas espérer manger la nourriture de Votre Majesté », dit-elle en jetant un coup d’œil furtif à mon repas.
Les chevaliers aiment donc aussi les sandwichs grillés. Quelle mignonne petite histoire !
« Tu peux en prendre un. J’en ai fait trop. »
« Vous m’honorez, Votre Majesté ! »
Sérignan s’était jeté sur les sandwichs comme un chiot à qui on aurait jeté un os, en les avalant avec enthousiasme.
L’Essaim, dont Sérignan faisait partie, n’avait pas particulièrement besoin de manger. Il n’y avait pas de frais d’entretien pour les unités, peu importe le nombre. Même si je faisais des sandwichs délicieux, Sérignan n’avait pas besoin de les manger.
Mais je supposais que même l’Essaim voulait parfois manger pour le plaisir. Grâce à la conscience collective, ils avaient pu goûter les sandwichs par procuration grâce à Sérignan et moi. Cela dit, les Essaims étaient nés de la viande séchée et crue et avaient mangé de la chair humaine… il était douteux qu’ils trouvent un sandwich grillé en tout point savoureux.
« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté. Nous sommes honorés de goûter aux mêmes saveurs que vous », avait lancé un Essaim Éventreur.
Apparemment, même mon doute s’était répandu au sein du collectif.
« Très bien. Cela me convient. »
Pour l’instant, ils n’avaient soulevé aucune objection à mes actions. Ils avaient fait ce que j’avais ordonné, acceptant mes raisons sans discussion. Il était clair qu’il n’y avait pas de conflit dans la conscience collective.
Est-ce que je devenais plus semblable à l’Essaim, ou est-ce que l’essaim était influencé par moi ? Je n’avais pas pu le dire.
Mais pour l’instant, nous avions une guerre à gagner.
« Les unités du nord et du sud sont en position. »
En mangeant mon sandwich, j’avais confirmé par le biais du collectif que les autres unités étaient prêtes à attaquer Siglia. La résistance du Royaume sur les autres fronts avait été faible, et tous les civils avaient été tués. Tous les habitants des zones rurales et urbaines avaient été massacrés et transformés en boulettes de viande, laissant leurs villes ensanglantées et vides.
Je menais encore cette guerre comme si elle faisait partie d’un jeu. Le jeu dictait que tant que l’ennemi avait des unités restantes, je ne pouvais pas revendiquer la victoire. Je m’étais tenue à ces règles et j’avais exterminé tout le monde dans le Royaume de Maluk. L’essaim piétinait les villages, les villes et les forteresses, sauvagement et sans avertissement. Personne n’avait été autorisé à vivre.
Les gens de ce monde ne pouvaient pas espérer égaler la vitesse des Essaims Éventreurs. Le temps que les villageois, les citadins ou les soldats remarquent l’approche des essaims, ils étaient déjà fichus. Les faux et les crocs étaient rapides, prêts à les moissonner comme les récoltes qu’ils étaient.
Mes Essaims n’avaient pas fait de prisonniers. Ils avaient attaqué par vagues, en conquérant chaque colonie et chaque structure sur leur chemin. Les jeunes, les personnes âgées, les blessés et les malades, tous avaient été réduits en morceaux pour être placés dans nos fours et nos stocks.
Même moi, j’avais dû remettre en question ma capacité à faire des choix aussi froids et difficiles. Après tout, nous étions en train de tuer des êtres humains. Mes camarades dans ce monde étaient l’Essaim, mais biologiquement parlant, j’étais humaine. Pourtant, j’avais rejeté l’idée de vivre parmi les humains, me rangeant plutôt du côté de l’Essaim pour massacrer mes semblables.
Était-ce la bonne chose à faire ? Probablement.
J’avais juré à l’Essaim que j’apporterais la victoire qu’ils désiraient et j’avais l’intention de tenir cette promesse. Même si cela signifiait se retourner contre ma propre espèce. J’avais tué beaucoup d’humains dans le jeu, c’est à peu près la même chose. Oui, c’était juste un peu plus réaliste, c’est tout.
« Êtes-vous anxieuse, Votre Majesté ? », demanda Sérignan.
De toute évidence, elle avait senti mon conflit intérieur.
« Non, je ne suis pas anxieuse, Sérignan. Je les déteste, c’est tout. Je déteste le royaume de Maluk pour avoir envoyé les chevaliers qui ont tué Linnet. Plus que ça, je les déteste pour avoir fait obstacle à votre victoire. »
J’avais mis le dernier morceau du sandwich grillé dans ma bouche et je m’étais levée.
« Allez, Sérignan. Allons-y. On est à un pas du triomphe. Une fois que ce sera fait, on pourra décider de la suite. Si d’autres pays nous embêtent, on les éradiquera aussi. »
Nous avions renversé les quatre forteresses restantes, ne laissant aucun survivant. Très vite, nous nous étions retrouvés devant Siglia.
J’avais mis en place une nouvelle base d’opérations avancée juste à l’extérieur de la capitale et j’avais utilisé l’or que nous avions obtenu par le pillage pour débloquer de nouvelles armes de siège. J’avais dirigé mes nouveaux canons Charognard — la version améliorée des trébuchets en os — vers Siglia.
Le canon Charognard lança de la chair en décomposition. Il empoisonna toutes les unités se trouvant dans la zone d’impact, et provoqua la dégradation des structures et des installations à proximité. Bien que sa puissance de feu soit faible, ces effets secondaires étaient désagréables. C’était l’une de mes armes préférées. Quant à sa conception, elle ressemblait plutôt à un insecte et était ornée de chair en décomposition. Comme la plupart des constructions d’Arachnée, la chose était assez grotesque.
Une fois que les Essaims Travailleurs avaient fini d’installer douze canons Charognards, il était temps de commencer notre assaut. Il était clair que les citoyens de Siglia n’étaient pas prêts à évacuer. Les réfugiés se précipitaient probablement dans la capitale, pensant qu’ils seraient en sécurité dans ses murs.
En observant la ville devant nous, je m’étais dit ceci :
On dirait que nous aurons beaucoup de viande dans un futur proche.
☆☆☆**
« La fin des temps est proche ! Ces murs seront brisés par la légion de monstres ! Une grande ruine va s’abattre sur le monde ! Prier le Dieu de la Lumière est inutile, car même Lui ne peut pas se mettre en travers du chemin de ces monstres de l’enfer ! »
Sur la place centrale de Siglia, un ecclésiastique d’âge moyen prononçait un discours ardent. Il était l’un des rares à avoir miraculeusement échappé à la ruée de l’Éventreur, il connaissait donc la véritable terreur de l’Arachnée. Il avait décidé que leur apparition était un signe de la fin des temps.
L’invasion de l’Arachnée avait été si intense qu’elle avait sapé un ecclésiastique de sa propre foi.
« Tais-toi, vieil excentrique ! Tu n’as pas la permission de tenir une assemblée ici ! Part ! »
Les cavaliers arrivèrent pour mettre fin aux divagations de l’homme et briser la foule qui s’était formée autour de lui.
« Hé ! Nous ne sommes envahis que parce que vous, soldats, êtes trop faibles pour les repousser ! Si vous voulez vous plaindre, faites-le après avoir tué ces monstres ! »
Les roturiers jetèrent des ordures et lancèrent des insultes aux soldats.
« Comme c’est terrifiant… Que va-t-on devenir ? » chuchota une jeune mère d’une vingtaine d’années.
Elle s’appelait Ludmila. Elle était en train de faire des courses avec ses fils de cinq et sept ans. En voyant les soldats se confronter avec les habitants, elle avait été prise de peur. L’atmosphère paisible habituelle de Siglia avait été entachée d’anxiété et de terreur.
« Maman, on dit que des monstres arrivent. »
« Vont-ils nous manger ? »
Ses enfants regardèrent leur mère qui les éloigna de la dispute sur la place.
« Ça va aller. La ville a de grands murs, pas vrais ? Ils ne les franchiront pas aussi facilement. Les monstres devront juste abandonner et aller ailleurs. »
« Alors nous sommes en sécurité ! »
« Oui ! Je n’ai pas peur des monstres ! »
Cela dit, Ludmila ramena ses enfants à la maison.
☆☆☆**
Pendant ce temps, le palais était rempli d’une atmosphère oppressante. L’invasion de l’Arachnée ne pouvait tout simplement pas être arrêtée. Ils avaient conquis les montagnes de Loess, traversé la rivière Aryl et renversé de multiples forteresses menant à la capitale. Très vite, Siglia n’aura plus que des murs pour la protéger.
« Que devons-nous faire ? »
Le roi Ivan II se retrouva à nouveau dans un conseil difficile avec le Premier ministre Slava et Omari, le ministre de la Défense.
« Nous n’avons pas d’autre choix que de résister à leur siège. Nos greniers ont deux ans de provisions. Nous pouvons les utiliser pour endurer l’assaut et attendre que l’ennemi parte. », déclara Omari, l’expression étant sévère.
« Savons-nous au moins quand leur attaque se terminera ? L’ennemi pourrait encercler Siglia aussi longtemps qu’il le faudra. Ce n’est pas une armée humaine, mais une armée de monstres. On ne peut pas supposer qu’ils battront en retraite pour des raisons économiques. Ils pourraient nous chasser comme des animaux sauvages, en attendant une ouverture. », dit Slava.
« Ne pouvons-nous pas demander de l’aide à nos pays voisins ? Le duché de Frantz ou de Schtraut pourrait nous venir en aide », déclara le roi.
« Nous avons déjà demandé leur aide, mais il faudra quatre mois pour que les renforts du duché de Frantz s’organisent et encore plus pour nous atteindre. Il est peu probable qu’ils arrivent à temps. »
Le Royaume Papal de Frantz avait répondu à l’appel aux armes du Royaume de Maluk, mais il leur faudra des mois pour préparer leur armée, et quelques mois de plus pour atteindre la capitale du Royaume. Dans l’ensemble, les événements avaient pris une tournure désespérée.
« Horrible… C’est absolument horrible ! », hurla le roi Ivan II.
« Il ne reste plus qu’un ordre de chevaliers capable d’invoquer un ange, et ils sont notre dernier atout majeur. Mais une question demeure : où allons-nous engager l’ennemi ? Ils pourraient nous envahir de n’importe quel côté. »
Le roi avait compris que sa capitale était complètement entourée d’insectes et qu’ils pouvaient frapper de n’importe quelle direction.
« Alors… devrions-nous utiliser le Joyau ? Avec sa puissance, nous pourrions retourner la situation en notre faveur. »
« Le Joyau ? Vous savez ce qu’est devenu le premier roi de Maluk quand il l’a utilisé », grogna le roi tout en regardant Omari.
« Oui, Sire, je suis conscient… Mais notre situation actuelle est désastreuse. Nous n’avons pas d’autre choix que de l’utiliser. Si l’utilisation du Joyau sauve des centaines de milliers de vies, alors le sacrifice en vaut la peine. »
« Mmm… C’est vrai, mais est-il vraiment impossible de les repousser avec notre armée ? Les murs ne tiendront-ils pas jusqu’à l’arrivée des renforts du Royaume Papal ? »
« Si vous voulez bien m’excuser, je ne pense pas que ce soit possible. Ces monstres ont franchi tous les obstacles sur leur chemin jusqu’ici. Je doute que les murs puissent les arrêter. »
« Je vois. Alors quand les murs tomberont, je libérerai le pouvoir du Joyau. Je ne peux que prier pour qu’il sauve notre peuple », dit le roi avec détermination.
« Nous respectons votre décision, Sire », dit Omari.
Lui et Slava inclinèrent la tête en signe de révérence.
merci pour le chapitre
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