Chapitre 13
Partie 24
Friede commençait à comprendre à quel point le monde était complexe. Le travail d’un chevalier ou d’un général impliquait bien plus que simplement avoir l’air cool. Et même si les politiciens et les diplomates semblaient vivre dans le luxe, ils avaient pas mal de responsabilités. Naturellement, être mage n’était pas non plus un travail aussi fastueux que cela lui semblait. La recherche exigeait beaucoup de patience.
Friede s’étala sur la table et marmonna : « Argh… Je ne pense pas pouvoir choisir le moindre de ses travaux. »
« Eh bien, tu ne peux pas pour le moment, mais c’est ce que l’école est là pour t’apprendre. »
« As-tu aussi beaucoup étudié, papa ? »
« Énormément. » Surtout si tu incluais le temps que j’avais passé à étudier dans ma vie passée.
En souriant, Airia tapota la tête de Friede et parla : « Tant que tu t’y mets, tu peux devenir ce que tu veux. Rappelle-toi juste que chaque travail comporte ses propres responsabilités. Et, quel que soit le travail que tu choisis, il y a une chose dont tu as absolument besoin pour bien t’acquitter de ces responsabilités. »
« Qu’est-ce que c’est ? »
Airia me jeta un coup d’œil et rigola.
« Aimer ce que tu fais. Tu dois aimer ton travail —, sois fière de toi, sinon tu ne pourras pas t’y tenir contre vents et marées. »
C’est un bon conseil. J’avais hoché la tête en signe d’accord et j’avais rajouté : « Airia a raison. Tu dois choisir quelque chose que tu penses vouloir continuer à faire pour le reste de ta vie. Cela compte bien plus que l’importance du travail ou son côté tape-à-l’œil. »
« Hmm… Mais je ne sais pas ce que j’aime faire… »
Ouais, je sais.
Friede hésita un moment à choisir, puis elle leva soudainement les yeux vers nous. « Je veux devenir plus forte. Je ne parle pas de me battre. Je veux le genre de force qui peut sauver d’autres personnes. »
« Oh, c’est une bonne façon de penser », avais-je répondu.
« Mais les politiciens et les mages ont ce genre de force, tu sais ? » déclara Airia. « Un mage a le pouvoir de guérir les malades, tandis qu’un politicien a l’autorité de construire un hôpital. »
Réalisant que cette révélation ne l’avait pas vraiment rapprochée d’une réponse, Friede s’étala de nouveau sur la table. Après quelques secondes, elle murmura soudainement : « Oh, je sais. »
On dirait qu’elle avait pensé à quelque chose.
Le lendemain, j’avais reçu la visite de Fumino, qui était désormais l’un des diplomates officiels de Wa.
« Vous voulez envoyer plus d’équipes d’enquêteurs dans les Dunes balayées par le vent ? » demandai-je.
« Oui. Le désert est immense. À ce rythme, il faudra des centaines d’années pour finir de cartographier l’endroit. Nous espérons que Meraldia sera disposée à coopérer avec nous. »
La création de routes terrestres vers Wa faciliterait le commerce, mais ces mêmes routes pourraient être utilisées par une armée d’invasion potentielle. On ne savait pas si l’alliance de Meraldia avec Wa durerait éternellement, donc cela ne ferait pas de mal à Meraldia de participer à la construction de ces routes.
« Compris. Je demanderai de l’aide aux vice-rois de Zaria, Veira et Shardier lors de la prochaine réunion du conseil. Leurs villes sont les plus proches des Dunes balayées par le vent. »
« Merci beaucoup, Veight », dit Fumino en baissant la tête. « Au fait…, » elle jeta un coup d’œil vers la porte.
J’avais souri et j’avais dit : « Elle a été comme ça toute la matinée. »
Fumino avait aussi souri avant de répondre : « Quelle espionne mignonne tu as ! »
« Elle a eu une révélation hier soir. Je peux lui demander de partir si nécessaire. »
« Non, c’est bon. Je n’ai rien de confidentiel à discuter aujourd’hui. »
Mais tu le feras plus tard ? Après le départ de Fumino, j’avais cherché à organiser des équipes pour cartographier les Dunes balayées par le vent. J’avais besoin de négocier un budget et de savoir quelles personnes nous pouvions utiliser librement. Je devrais demander à des employés du conseil de faire le travail préliminaire de préparation de ces équipes. De cette façon, j’aurai une estimation budgétaire appropriée à donner au conseil lors de notre prochaine réunion. Ce genre de travail logistique était ennuyeux, mais j’avais l’habitude de le gérer grâce à ma vie passée.
Mais avant que je puisse faire grand-chose, le frère aîné Garney arriva en courant vers moi.
« Hé, Veight, je veux dire, ancien ! Un de nos jeunes s’est battu avec un humain ! »
« Il ne l’a pas tué, n’est-ce pas ? »
« Non, c’était une bagarre de taverne. Mais le bras de l’humain s’est cassé. »
À chaque fois.
« Et avec qui se battait ce loup-garou ? »
« Un des soldats de Beluza. Ils se sont battus à cause d’un pari sur un jeu de cartes. »
Oh, alors ce n’est pas si grave. Je poussai un soupir de soulagement.
« Dans ce cas, je parlerai à Grizz. Nous soignerons le soldat à l’hôpital de l’armée démoniaque. »
Si le loup-garou avait blessé un civil, j’aurais dû présenter des excuses publiques et tout. Oh oui, ça me rappelle.
« Amène le type qui a commencé la bagarre à mon bureau plus tard. Je dois lui donner une leçon sur les responsabilités des forts. »
« D’accord… » Garbert déglutit et me lança plus d’un regard inquiet en sortant de la pièce. C’était précisément parce que les loups-garous étaient plus forts que les humains qu’ils devaient être plus prudents en société humaine.
Un peu avant midi, j’avais forcé le loup-garou qui avait commencé le combat à se battre avec moi.
« Hé ! » Je l’avais projeté en utilisant l’une des astuces d’arts martiaux que j’avais apprises à Wa, et il roula sur le sol avant de se remettre debout.
« Attendez, ancien ! Je ne voulais pas lui faire trop de mal, les loups-garous sont juste plus forts que les humains ! Je n’ai pas pu m’en empêcher ! »
Tu ne comprends pas, n’est-ce pas ? Je l’avais fait trébucher avec un coup de jambe tout en lui lançant de la magie pour le rendre suffisamment léger pour flotter. J’avais ensuite amplifié son poids — techniquement, j’avais augmenté la force de gravité sur lui, mais fonctionnellement c’était la même chose — et il s’écrasa au sol.
« Gaaaah ! »
Peu importe à quel point il amortissait bien sa chute, ce genre de force ne pouvait pas être facilement dissipé.
Toujours sous ma forme humaine, j’attendais de voir s’il allait contre-attaquer.
« Si le fort ne peut s’empêcher de blesser le faible, alors je suppose qu’il n’y a rien de mal à ce que je te blesse, n’est-ce pas ? »
« Quoi… » Il avait complètement perdu la volonté de se battre. « V-Vous plaisantez, n’est-ce pas, ancien ?! Si vous vous donniez à fond, je serais mort instantanément ! »
« Je ne peux pas m’en empêcher, je suis juste plus fort que toi. »
On y va. Je l’avais jeté en l’air et je l’avais frappé avec un coup de poing.
« Ouah ! »
« Allez, on ne fait que commencer. »
Je ne m’étais même pas transformé, et je n’utilisais que les techniques les plus basiques. Il y avait des techniques que je pouvais utiliser pour vraiment lui faire mal, mais je ne voulais pas l’estropier, alors je me retenais.
« La survie du plus fort est la loi que tous les démons suivent, n’est-ce pas ? Personne ne se plaindrait si je t’écorchais et utilisais ta fourrure comme tapis. »
« Attendez, ancien, je… Aïe ! »
Je lui avais fait une clé de poignée, et il essaya de s’éloigner. Ne devrais-tu pas avoir une plus grande tolérance à la douleur si tu es un loup-garou ? Je l’avais lâché quand il commença à haleter et je m’étais laissé tomber par terre à côté de lui.
« Tu vois, ce n’est pas drôle quand quelqu’un de plus fort que toi te tabasse, n’est-ce pas ? »
« Oui… J’ai cru que j’allais mourir… »
« Il y a plein de gens plus forts que toi dans ce monde. Bon sang, il y a même des gens plus forts que moi là-bas. »
« Il n’y a aucune chance que quelqu’un soit plus fort que vous ! » Il se remit debout, et j’avais tendu la main pour lui caresser la tête.
« Si jamais je combattais un Valkaan, je serais tué d’un seul coup. Je suis peut-être fort, mais même moi j’ai des limites. »
« Vous plaisantez, n’est-ce pas ? »
« Non. »
Il m’avait fallu toute ma force pour porter le coup de grâce à un Héros qui était déjà au bord de la mort. J’étais devenu plus fort depuis, mais je n’aurais toujours aucune chance contre un Héros — ou, je suppose Valkaan, puisque héros était devenu un terme générique maintenant — qui était en pleine force.
J’avais guéri les blessures du jeune loup-garou et j’avais déclaré : « Être fort ne te donne pas le droit de faire ce que tu veux. Au contraire, tes responsabilités augmentent à mesure que tu gagnes en force. Ce n’est pas vraiment une bonne chose de devenir plus fort. »
« Alors pourquoi êtes-vous devenu si fort, ancien ? »
Je n’avais pas vraiment le choix.
« Quoi qu’il en soit, j’espère que tu as retenu la leçon. N’utilise pas la violence contre les humains. En tant que vice-commandant du Seigneur-Démon, je devrai te punir si tu enfreins les lois de Ryunheit. »
« D’accord. »
Cela dit, pourquoi Friede nous espionne-t-elle depuis tout ce temps ?
Après le déjeuner, j’avais commencé à me préparer pour la prochaine réunion du conseil.
« L’homme appelé Karankov que Friede a rencontré était presque certainement Shallier, l’ancien Lord Bolchevik. Je suppose qu’il s’est enfui loin au nord, là où l’empire ne peut pas l’atteindre. On dirait qu’il profite au moins de sa nouvelle vie. »
Parker, qui avait également rencontré Shallier, hocha la tête en signe d’accord. « C’est logique. Les chasseurs et les pêcheurs Sternenfeuer vivent toujours là-haut. Ils ont dû l’accueillir… En fait, le connaissant, il a probablement fini par les unir. »
« Je ne serais pas surpris qu’il soit leur chef. Il a certainement réussi à mobiliser pas mal de gens et de démons pour aider à la recherche de Micha lorsqu’elle a été kidnappée. »
« C’était probablement sa façon de te rembourser. »
Il semblerait que les connexions de Shallier étaient toujours profondes. Comme Friede avait été fortement impliquée dans l’incident de l’enlèvement de Micha, nous avions beaucoup plus d’informations sur l’affaire que d’habitude. L’archiduc Lekomya m’avait également envoyé une lettre privée détaillant ce qui s’était passé. L’homme était méticuleux à l’extrême. J’étais honnêtement impressionné par le chemin parcouru.
Parker colla l’os du Tigre des Mers sur mon bureau contre sa cage thoracique et ricana devant le résultat.
« Hé, Veight », déclara-t-il après quelques secondes. « Shallier a été dépouillé de sa noblesse, mais il a clairement encore beaucoup d’influence. Es-tu sûr qu’il ne tentera pas à nouveau de conquérir le trône ? »
« Ne comprendrais-tu pas mieux les sentiments d’un noble déchu, Parker ? »
« Aïe. Maintenant, c’est dur. Mais je suppose qu’il est vrai que sa personnalité est similaire à la mienne. »
Vraiment ?
Parker continua à jouer avec un os en marmonnant : « Le deuxième fils du Bolchevik a hérité du nom de famille, tandis que le troisième fils est allé à Meraldia et est devenu l’un des serviteurs de Woroy. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de l’extinction de la lignée familiale. En tant que fils aîné, il n’a pratiquement plus de responsabilités. »
« Est-ce comme ça que ça marche avec les nobles ? »
« J’étais aussi l’aîné de ma famille, donc je le comprends. »
Tu le comprends ? En soupirant, j’avais regardé par la fenêtre.
« De toute façon, je ne pense pas que nous ayons à nous inquiéter du fait que Karankov le Chasseur déclenche une rébellion de sitôt. »
En disant cela, je pouvais sentir l’odeur de Friede s’éloigner. Elle avait fini d’espionner cette réunion, semblait-il.
J’avais signé le rapport détaillant les mouvements du culte Sternenfeuer à Rolmund et j’avais ajouté : « Ce document s’avérera extrêmement utile dans nos négociations avec Rolmund. Assure-toi que tous les hauts gradés de l’armée démoniaque le voient. »
« Compris. »
Bon sang, que fait Friede ?
Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.
merci pour le chapitre