Chapitre 7 : La réunion passe plus mal que le vin
« … assez plaisanter. Nous devrions maintenant commencer à parler sérieusement. »
Echidna joignit ses mains bruyamment, transformant ainsi l’ambiance qui régnait dans la pièce.
Les servantes et les majordomes posèrent les boissons et les collations sur les tables, puis sortirent rapidement. La conversation qui allait suivre n’était pas pour leurs oreilles.
« Je… je vous demande pardon… !! »
« Ah.... »
La femme de chambre qui servait Sharon s’était précipitée hors de la pièce. Sharon regarda son départ, un regard de désir dans ses yeux… puis elle commença à remplir le verre elle-même. Apparemment, ne pas boire n’était pas une option.
« Alors, de quoi veux-tu parler si sérieusement ? »
Valon, ne faisant plus d’esclandre à propos de sa petite sœur, s’était rassis et avait calmement engagé la conversation. Il était le plus âgé d’entre nous quatre, aussi étais-je sincèrement reconnaissant qu’il prenne la barre.
« … nh, délicieux. »
« Es-tu avec nous ? Sharon Utgard. »
Sharon continua à boire sans se soucier de rien, ce qui incita Valon à hausser les sourcils.
Au passage, elle était la plus jeune d’entre nous : Sharon avait encore 16 ans. Elle ne s’était pas inscrite à l’académie et avait plutôt reçu son éducation dans sa province natale.
Elle n’était pourtant pas un cas particulier : la Maison Utgard était réputée pour son isolement et ses contacts avec les autres territoires étaient plutôt limités. Ses membres quittaient rarement la province en dehors d’événements spéciaux, comme la cérémonie de couronnement de ce jour.
Je suppose que cette manière d’agir vient du fait qu’elle connaît peu le monde. Et elle avait pourtant l’air si sévère pendant la cérémonie…
Lors de la cérémonie, elle avait cette aura féroce typique d’un commandant militaire, intimidant tous les nobles des environs, mais maintenant, probablement aussi grâce au vin, son apparence correspondait beaucoup plus à son âge.
Ce n’est pourtant pas le rythme de consommation d’une jeune fille de 16 ans.
Je contemplai les 12 bouteilles vides sur sa table.
« Eh bien, tout d’abord… j’aimerais connaître votre opinion sur ce que va devenir ce pays. »
Je craignais que la conversation n’ait pas lieu, mais Echidna ignora Sharon et proposa un sujet de discussion.
Valon hocha la tête et répondit en premier.
« Hmm… Je vois. Le conflit entre les différentes factions de la cour ne va faire que s’intensifier, j’en suis sûr. »
« Je ressens la même chose. Le Prince Sulley… non, Sa Majesté est née de la Reine, il a donc plus qu’une juste cause pour hériter du trône, mais les rumeurs sur le fait qu’il soit un fils illégitime sont assez lourdes. »
Les mots scandaleux prononcés par l’ancien roi avant de s’évanouir, dénonçant Sulley d’être en réalité un fils bâtard, secouaient encore la cour royale.
À présent, la cour était divisée en plusieurs factions concurrentes.
La faction royale, visant à soutenir Sulley et à maintenir l’autorité du roi.
La faction des chanceliers, avec au centre le duc Rosais et ses vassaux.
La faction pacifiste, qui abhorrait le chaos et voulait éviter tout conflit avec les nobles provinciaux.
La faction des nobles voulait propulser Sulley comme un roi fantoche afin d’obtenir le contrôle réel du royaume. Cette faction était principalement formée par les nobles hostiles au Duc Rosais, et souhaitait plus que tout l’évincer de la cour. Leur objectif final étant d’obtenir le pouvoir absolu sur le royaume et de réduire ainsi l’autorité et l’influence de nos maisons provinciales, ils méritaient une attention particulière.
Enfin, la faction neutre, qui était restée en dehors de tous les conflits à la cour. Comme le statut de Sulley en tant qu’héritier légitime était toujours en question, ils avaient gardé leurs distances avec la famille royale, autant qu’ils étaient autorisés à le faire. Leurs relations avec les nobles de province étaient également douteuses.
« Je dois admettre que le Duc Rosais est exemplaire en tant que noble. Mais même lui ne pourrait pas empêcher l’eau de s’écouler d’un barrage rompu. Dans le meilleur des cas, tous les conflits se feront sous couvert, dans le cas contraire, une guerre civile scindera le royaume en deux. Dans les deux cas, nous, nobles provinciaux, devrons décider du rôle à jouer. »
Continuer à servir ce pays ou chercher une nouvelle voie indépendante. S’emparer de la province centrale et prendre le contrôle de tout le royaume était également une option.
« C’est comme ça que tu le vois aussi, alors… c’est plutôt gênant. »
« … Le sud prévoit-il de se rebeller contre la famille royale ? »
Sharon, qui n’avait pas cessé de boire depuis un moment, interrogea Echidna.
Huh, donc elle écoutait donc bien…
Elle avait finalement rejoint la conversation, me laissant légèrement surpris.
« Bien sûr que non. Les forces de la maison Thunderbird sont basées sur notre flotte, nous ne pourrions pas gagner contre la maison royale même si nous essayions. Nous ne sommes pourtant pas sûrs que les royaux seront d’aussi bons clients qu’ils l’ont été jusqu’à présent. »
Pour la maison Thunderbird, qui a prospéré grâce au commerce maritime, la maison royale, ou toute autre famille noble d’ailleurs, n’était rien de plus que des partenaires commerciaux. Dans l’esprit, ils étaient des marchands plutôt que des nobles.
« Le sang ne coule que lorsque l’argent coule aussi. Si la nouvelle maison royale fait chuter l’économie, nous devrons reconsidérer la façon de les traiter. »
« Heh, je n’entends que la cupidité parler. »
« Oh, la puissante Maison Sphinx est-elle d’un autre avis ? Jurerais-tu fidélité à une maison royale dépourvue d’autorité ? »
Valon ricana suite à la question d’Echidna.
« Qui se soucie de la famille royale ? Il y a d’autres vrais ennemis dont nous devrions nous inquiéter. Peu importe la confusion qui règne au centre, ce que nous devons faire, c’est soumettre l’ennemi qui nous précède. C’est le devoir d’un guerrier gardien de ce royaume. »
« Je ressens effectivement la même chose. Tant qu’il y a des ennemis devant nous, nous devons nous concentrer sur eux. »
J’étais d’accord avec l’opinion de Valon, bien que ce que nos mots impliquaient soit probablement très différent.
« Tant qu’il y a des ennemis, hmm. Cela te ressemble parfaitement bien, Dyn. »
Echidna devina correctement le véritable sens de mes paroles et hocha la tête.
Je ne lui avais jamais parlé de mes ambitions, mais pendant le temps que nous avions passé ensemble, elle avait sûrement remarqué à quel point je souhaitais rendre la Maison Maxwell indépendante.
« Les politiques de la Maison Utgard ne sont pas de mon ressort. », dit Sharon tout en vidant un autre verre.
« Parce que je suis un soldat, pas un guerrier. Je n’ai pas de croyances, j’abattrai quiconque m’en donne l’ordre. Je ne suis pas en mesure de décider si la maison Utgard s’opposera à la maison royale ou non. »
« Vraiment ? Même en tant que prochain Maréchal, tu n’as aucune opinion ? »
« L’opinion du numéro deux n’a aucune valeur. L’opinion du chef suffit, quoi qu’il arrive. »
Cependant — ajouta Sharon, avant de vider un autre verre.
« Je ne veux pas me battre contre quelqu’un qui sert du vin aussi bon que celui-ci. Si la maison Thunderbird choisit de se battre contre la famille royale, je serai personnellement de ton côté. Je te le promets. »
« Oh là là, quelles belles paroles ! J’ai du vin rare de l’est, je te le donnerai comme souvenir à ramener chez toi. »
« Je t’aime… épouse-moi. »
Sharon prit la main d’Echidna et fit sa demande. Était-ce sérieux où non… je n’en avais aucune idée. Je regardai Echidna, visiblement décontenancée par ce développement soudain, puis me retournai et soupirai.
Quatre Maisons… même si nos positions sont similaires, notre façon de penser est vraiment différente. On n’a pas l’impression que nous pourrons un jour nous unir et lutter ensemble contre la maison royale, hein.
Echidna nous avait probablement rassemblés afin de confirmer cela.
Je n’ai en premier lieu jamais eu l’intention d’emprunter la force de qui que ce soit… mais il est probablement préférable de considérer les autres maisons Maréchales comme des ennemis potentiels, lorsque nous ouvrirons enfin les hostilités contre la famille royale.
La Maison Thunderbird du sud valorisait ses intérêts par-dessus tout. Si nous pouvions leur offrir suffisamment de bénéfices, ils ne devraient pas s’opposer à nous.
La Maison Sphinx de l’ouest n’aura jamais assez de forces en réserve à envoyer contre nous, tant que les « Armées maudites » du désert existeront.
Il ne reste que la Maison Utgard.
J’avais jeté un coup d’œil à Sharon.
Si l’Empire tombait, la Maison Utgard qui, comme notre Maison Maxwell le considère comme un ennemi, pourra se déplacer plus librement. Quand cela arrivera, quel sera leur prochain mouvement ?
La maison de cette fille qui se passionne pour le vin était un ennemi potentiel aussi dangereux que la maison royale.
Je dois remercier Echidna pour m’avoir fait prendre conscience du chemin escarpé sur lequel mon ambition me conduit.
Pourtant, aussi bizarre que cela puisse l’être, je ne me suis pas du tout senti découragé.
Le chemin était dur et long, mais cela rendait aussi les choses plus excitantes.
« Laisse-moi aussi prendre un verre. Ce vin sera encore meilleur chaud, peux-tu le réchauffer pour moi ? »
« Ooh, bonne idée. Moi aussi ! »
J’avais appelé un serviteur et lui avais tendu mon verre.
J’avais regardé la fille devant moi, avec des étincelles dans les yeux, et je m’étais demandé si elle allait vraiment devenir une ennemie à l’avenir.
merci pour le chapitre