Chapitre 9 : Trahison
Partie 1
La planète Augur est proche de la frontière entre l’Empire et l’Autocratie. Bien sûr, c’était « proche » en termes de nations intergalactiques, et il fallait donc utiliser un appareil de distorsion longue distance pour s’y rendre. Avec l’un de ces appareils, Augur n’était cependant pas loin des lignes de front.
En temps normal, personne ne prêtait attention à la planète, mais sa valeur avait grimpé en flèche depuis que l’Empire était en guerre contre l’Autocratie. Depuis le début, c’était l’endroit idéal pour établir une base afin de soutenir les lignes de front dans l’effort de guerre. La seule raison pour laquelle il n’y en avait pas encore eu, c’était le baron qui dirigeait la planète.
Sur le pont de l’Argos, un superdreadnought que j’avais amené avec moi depuis le domaine de la maison Banfield, je regardais Augur, qui était projeté sur l’écran qui constituait le plancher. Ce n’était pas du tout désagréable de regarder la belle planète légèrement violette depuis l’espace.
« L’Empire doit manquer sérieusement de personnel pour m’envoyer comme magistrat », avais-je dit.
C’était un travail pour un type sérieux et droit, mais ils avaient choisi un seigneur maléfique comme moi à la place.
Alors que je souriais vers Augur, Wallace se tenait à côté de moi, les bras croisés, comme s’il se plaignait de la situation. Je l’avais forcé à m’accompagner, car il semblait penser qu’il pouvait terminer sa formation de noble sans faire de travail sérieux. De son point de vue, bien sûr, je l’avais fait passer d’un emploi sûr sur la Planète capitale aux premières lignes de la guerre. Pour faire une comparaison, c’est comme si je l’avais transféré du bureau principal à une succursale éloignée dans un endroit où il y avait beaucoup de problèmes.
« Tu aurais dû refuser le travail ! » cracha-t-il. « Je me fiche que ce soit Cléo et le Premier ministre qui demandent, tu devrais quand même avoir assez d’autorité pour pouvoir dire non. »
« C’est exactement comme tu le dis. J’avais effectivement la possibilité de les refuser. »
« Alors… »
« Mais pourquoi le ferais-je ? Je m’ennuyais sur la planète capitale. Voyons comment Calvin gère les choses de près. »
« Est-ce pour ça que tu es venu !? »
Je secouais la tête. « Tu es toujours aussi borné, n’est-ce pas ? On m’a dit de construire une base à l’arrière, pas de faire la guerre. »
« Hein ? Alors… »
« Si quelque chose arrive, nous pourrons simplement nous enfuir. »
Je ne venais pas ici pour me battre, juste pour construire une base.
« Seigneur Magistrat, nous avons une communication de la flotte envoyée, » m’informa l’un des opérateurs de la passerelle.
« Faites-la apparaître. »
Lorsque l’Empire envoyait un noble pour servir de magistrat, il envoyait également une flotte de l’armée impériale pour accompagner ce noble. Le commandant de cette flotte était un général de division qui semblait avoir une vingtaine d’années, bien qu’il soit difficile de deviner l’âge des gens dans cet univers.
Un hologramme du jeune général de division fut projeté devant nous. Il était si réaliste qu’il semblerait que l’homme lui-même se tenait réellement devant nous. Sa voix semblait même sortir de sa bouche.
« Seigneur Magistrat, les trois mille vaisseaux de la flotte dépêchée sont arrivés dans les environs de la planète Augur. »
Le général de division avait l’air nerveux en faisant son rapport, mais je lui avais répondu d’un ton parfaitement détendu.
« Restez sur vos gardes jusqu’à l’arrivée de la flotte de transport », lui avais-je ordonné sans même croiser le regard du général de division.
Il salua vivement. « Compris, monsieur. »
L’appel se termina et le général de division disparut du pont. Après avoir observé l’échange, Wallace parla comme s’il avait pitié de l’homme.
« Pauvre homme. Il n’aurait pas à s’inquiéter si tu n’étais pas le magistrat. »
Normalement, dans une situation comme celle-ci, le commandant de la flotte envoyée serait plus haut placé que le magistrat, car la plupart des magistrats étaient de simples bureaucrates sans expérience militaire. Même s’il s’agissait d’un noble, à moins que le magistrat ne soit issu d’une famille puissante, le commandant de la flotte envoyée lui aurait simplement dit « ne te mets pas en travers de notre chemin » et ce serait tout. Cependant, ce n’était pas le cas pour moi.
« J’ai peut-être quitté l’armée, mais j’ai pris ma retraite en tant que général de l’armée impériale. De plus, je suis un futur duc. Ce n’est pas comme si ce type pouvait me parler de haut. »
Wallace secoua la tête. Apparemment, ce n’est pas ce qu’il voulait dire. Il regarda du pont la vaste flotte qui entourait le vaisseau amiral de la maison Banfield, l’Argos.
« Le général de division est juste secoué par les trente mille navires que tu as amenés avec toi. Tu n’aurais même pas eu besoin de sa flotte pour venir. »
Ce n’est pas parce que nous étions si proches du champ de bataille que j’avais amené avec moi ma propre flotte de trente mille vaisseaux. Je pensais qu’il valait mieux les avoir sous la main en cas d’urgence. J’avais aussi apporté l’Avid. Mais il y avait une raison pour laquelle j’avais voulu que la flotte expédiée vienne malgré tous mes préparatifs.
« Maintenant, j’ai un grand nombre de navires à qui confier des tâches aléatoires, car ma flotte a elle-même du travail à faire. »
« Exterminer tous les pirates de l’espace qui se trouvent à proximité, c’est ça… ? Dois-tu vraiment faire ça dans un territoire qui est directement contrôlé par l’Empire maintenant ? »
« Bien sûr que oui. »
En tant que représentant de l’Empire, un magistrat dirigeait une zone sous contrôle impérial direct. Une fois leur mandat terminé, quelqu’un d’autre prendrait inévitablement la relève, de sorte que la plupart des magistrats ne faisaient pas grand-chose d’autre que de tenir chaud le siège. Tant que rien de catastrophique ne se produisait pendant leur mandat, ils faisaient du bon travail et ne s’occupaient donc pas des problèmes locaux des pirates. J’avais aussi entendu dire que les flottes envoyées avaient tendance à résister aux ordres, en protestant : « Ne nous donnez pas du travail comme ça ! » En d’autres termes, ni les magistrats ni les flottes envoyées n’accomplissaient grand-chose à leur poste.
La flotte qui avait été envoyée avec moi était de qualité décente, mais elle ne pouvait pas se comparer à la flotte de la maison Banfield, que ce soit en termes de compétences ou d’équipement. Je ne pouvais pas les laisser s’occuper des pirates.
« Les pirates de l’espace sont mon portefeuille », dis-je. « J’ai l’impression d’avoir trouvé une tirelire chaque fois que je découvre une de leurs forteresses cachées. »
Ils me servaient également de ressources. La flotte de transport était chargée de ressources avec lesquelles construire la nouvelle base, mais si je pouvais m’en procurer davantage sur place, il n’y avait aucune raison de ne pas le faire.
Wallace me regarda et soupira. « Je vois que tu es toujours aussi travailleur. Tu es probablement à peu près la seule personne de l’Empire qui remplirait sérieusement ses obligations de magistrat. »
C’est dire à quel point ce rôle n’était pas important. Pourtant, c’était un travail que j’étais heureux de faire, il était donc normal que je le prenne au sérieux. J’étais bien parti pour jouer le méchant magistrat ! Il fallait juste que je m’occupe d’abord de tout ce qui pouvait se mettre en travers de mon chemin.
« Quoi qu’il en soit, cela peut venir plus tard. Nous avons d’abord quelque chose à régler sur Augur. » J’avais transmis mes ordres à la flotte qui me précédait. « Commencez l’opération comme prévu. Capturez le dirigeant de la planète Augur et amenez-le-moi. S’il y a de la résistance, vous pouvez éliminer tout le monde sauf le baron lui-même. »
Dès que mes ordres furent donnés, les choses commencèrent à bouger sur la passerelle, et les vaisseaux de la maison Banfield qui attendaient commencèrent à descendre dans l’atmosphère de la planète.
☆☆☆
Deux jours après le début de l’opération, le baron qui régnait sur la planète Augur avait été amené à bord de l’Argos, qui se tenait prêt dans l’espace. L’homme rondouillard était assez âgé pour paraître avoir la soixantaine, et il tremblait devant moi, les bras liés.
Assis dans mon fauteuil, je soupirais en feuilletant les documents détaillés que l’équipe de frappe m’avait fournis sur la planète Augur. « Tu as de vilains passe-temps. »
D’après mes enquêteurs, les citoyens du baron étaient obligés de vivre comme des gens préhistoriques. Pour moi, leur civilisation s’apparentait à quelque chose de moyenâgeux, mais pour les gens de cet univers, ce niveau était considéré comme préhistorique.
« M-Mais je n’ai enfreint aucune loi ! » déclara désespérément le baron. « J’ai juste interdit aux nouveaux immigrants d’utiliser des capsules d’éducation ! »
Je m’étais levé de mon siège, dégoûté par lui.
« V-Votre Seigneurie, s’il vous plaît — bffh ! »
J’avais donné un coup de pied au baron dans le menton, l’envoyant voler. « Tu me trouves des excuses, alors que c’est moi qui dois nettoyer ton désordre ? »
Le baron avait forcé les habitants de son domaine à vivre dans une société préhistorique. Tant de générations s’étaient écoulées dans cet état que les habitants d’Augur ne savaient même pas que d’autres personnes vivaient dans l’espace. Et ce n’était pas le plus dégoûtant.
« Est-ce que tu t’es amusé à jouer à Dieu ? »
Le baron faisait en sorte que son peuple le vénère comme un dieu. En tant que personne ayant reçu de l’aide de gens comme le Guide, cela me dégoûtait.
J’avais piétiné le baron encore et encore. « Alors ? Tu l’as fait ? Réponds-moi ! »
« S’il vous plaît, pardonnez-moi ! Pardonnez-moi ! Je ne faisais que m’amuser un peu ! »
C’était ridicule qu’il dise cela, et pourtant, c’était exactement comme cela qu’étaient les nobles de l’Empire. Ils étaient tous des ordures — moi y compris.
Le baron ayant perdu connaissance, je m’étais tourné vers les chevaliers à mes côtés. « Emmenez-le. »
« Oui, monsieur. »
L’un des chevaliers était une femme avec des lunettes et de longs cheveux noirs brillants. Ses yeux bleu clair étaient un peu vifs, et elle donnait l’impression froide d’une femme qui accomplissait proprement et efficacement les tâches qu’on lui confiait. Elle portait un uniforme de chevalier noir avec une cape violette sur une épaule, qui était l’uniforme de la garde royale de la maison Banfield — une unité qui venait d’être créée et qui était spécialisée dans la garde et l’escorte. Cette femme à lunettes était la commandante de la Garde royale, Ethel Sera Granger.
Elle fit emmener le baron par un de ses subordonnés, puis me demanda : « Permission de parler, monseigneur ? »
« Continue. »
« Merci. Je ne vois aucune raison de laisser en vie un homme aussi néfaste, monsieur. »
Elle me demandait pourquoi je ne l’avais pas simplement tué, alors je lui avais expliqué que je le laissais en vie uniquement pour pouvoir l’utiliser.
« Il sera un outil pour moi, pour m’aider à expliquer ma position au peuple d’Augur. »
Ethel avait souri, comme si elle était absolument ravie. Il paraît qu’elle m’est très loyale, alors j’espère que ce n’est que mon imagination qui me fait ressentir les vibrations de « Tia et Marie ».
« Je vous présente mes excuses pour cette remarque impertinente. »
« De toute façon, la situation sur Augur est plus importante. Il ne se contentait pas de maintenir leur niveau de civilisation bas, il les exploitait aussi. Nous ne pourrons pas nous procurer de main-d’œuvre auprès d’eux dans ces conditions. »
Non content de limiter le niveau d’avancement de leur civilisation, le baron les avait aussi gouvernés de façon tyrannique, leur causant des souffrances injustifiées. J’étais tout à fait d’accord pour tourmenter les citoyens, mais en tant que gars qui devait nettoyer derrière lui maintenant, il m’avait donné beaucoup de raisons de me plaindre. Je voulais profiter de mon séjour ici pour jouer au méchant magistrat, mais je n’avais même pas le temps de le faire.
Ethel afficha les données sur la planète Augur sur des hologrammes autour de nous. « La situation est plutôt désastreuse. Il faudra pas mal de travail pour les remettre au niveau de la norme impériale. »
J’avais regardé les données et j’avais dit : « Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas la première ni même la deuxième fois que j’améliore un domaine de ce niveau. Va chercher Wallace », lui avais-je ordonné.
« Oui, monsieur. »
Ethel semblait quelque peu déconcertée par mon ordre de convoquer un bon à rien comme Wallace, mais puisqu’il était là, j’allais me servir de lui. La seule chose pour laquelle Wallace était doué était d’organiser des fêtes, mais je voulais quand même qu’il gagne son argent de poche de temps en temps.
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merci pour le chapitre