Chapitre 4 : Lady Annabelle
Partie 1
Maintenant qu’il était possible qu’il soit le prochain à accéder au trône de l’Empire, la vie de Cléo avait radicalement changé.
Après avoir quitté le palais intérieur le matin, il se dirigeait vers une salle où il rencontrait ceux qui souhaitaient avoir une audience avec lui. Les réunions se déroulaient dans un bâtiment qui servait à cette fin spécifique. Il y avait une grande cour et chaque pièce à l’intérieur était somptueusement meublée pour toutes sortes de réunions. L’endroit n’avait pas été utilisé jusqu’à récemment, mais il était maintenant utilisé du matin au soir en raison du grand nombre de personnes qui souhaitaient parler à Cléo.
Cléo s’installa en bout de table. Devant lui se trouvait un noble qui lui avait apporté un cadeau.
« Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer, prince Cléo », dit le noble. « Je pourrai m’en vanter pendant des générations ! »
Cléo fit en sorte de contrôler son expression devant son visiteur. Chaque mouvement du noble était exagéré, ce qui donnait à Cléo l’impression qu’il jouait la comédie — et qu’il n’y parvenait pas particulièrement bien. Ils avaient déjà parlé par l’intermédiaire d’un moniteur à plusieurs reprises, et l’homme se montrait tout aussi enthousiaste en personne que Cléo s’y attendait. Il en avait déjà assez de parler avec lui, mais il ne pouvait pas le laisser paraître sur son visage.
« Je suis aussi heureux de vous voir », répondit le prince.
Pendant ce temps, la garde de Cléo — sa sœur aînée Lysithéa Noah Albareto — rappela sans émotion au noble la période allouée pour la rencontre. « Notre temps ici est limité. S’il vous plaît, commencez par le sujet qui nous occupe, plutôt que par des banalités. »
C’était plus qu’impoli, mais Lysithéa avait fait cette remarque pour le bien de son frère. Ils allaient rencontrer d’innombrables personnes après cela, ils ne pouvaient donc pas passer tout leur temps à parler à l’homme en face d’eux.
Le noble se hérissa un instant, mais s’excusa rapidement. « Pardonnez-moi. Le sujet qui nous occupe, oui… J’aimerais demander votre aide dans le cadre d’un conflit de territoire au sein de ma famille. »
« Un conflit de territoire », répéta Cléo.
« Mon oncle occupe illégalement une partie de mon domaine. Il prétend — à tort — que mon père lui a donné ce territoire, et il refuse de me le rendre. »
« Et vous voulez que je vous aide à régler ce problème », répéta Cléo. L’affaire ne signifiait rien pour le prince, mais l’homme y tenait visiblement beaucoup. Je suis sûr qu’il veut que je serve de médiateur.
Alors que Cléo réfléchissait à l’agacement que provoquerait cette demande, l’homme poursuivi : « Oui. J’aimerais que le comte Banfield ou un de ses représentants joue le rôle de médiateur. »
« Je vois. » Ce n’est pas Cléo que l’homme demandait, mais Liam. Cela irritait passablement le prince, mais il ne pouvait rien y faire.
« L’influence du comte Banfield au sein de l’Empire est assez importante, » fit remarquer Cléo.
Le noble qui se trouvait devant lui sourit largement. « En effet ! La nouvelle de ses exploits s’est répandue jusqu’aux confins du territoire de l’Empire. Si quelqu’un comme lui sert de médiateur en mon nom, je n’aurai rien à craindre. »
Cléo ravala ses plaintes. « Très bien. Je lui transmettrai votre requête. »
« Merci beaucoup ! »
☆☆☆
« Tous ceux qui me rencontrent ne font qu’évoquer le nom de Liam », grommela Cléo en prenant une pause après le départ du noble.
Lysithéa était restée à ses côtés. En tant que sœur aînée, elle faisait également partie de la royauté, mais elle était devenue un chevalier de son plein gré pour protéger son jeune frère, qui avait étonnamment peu d’alliés au sein du palais. Comme elle gardait un prince, son uniforme était plus orné que celui d’un chevalier typique — plus proche d’une tenue de ville. Auparavant, elle portait ses cheveux en chignon serré, mais maintenant, ils s’étalent derrière elle, longs et droits.
« Tu ne dureras pas si tu t’énerves chaque fois, » dit-elle. « Ces réunions sont programmées à la seconde près pour des années à venir, tu sais. »
À mesure que la position de Cléo au sein de la famille royale s’améliorait, de plus en plus de personnes souhaitaient le rencontrer. Pas seulement des nobles, mais aussi des marchands et toutes sortes d’autres visiteurs.
Cléo n’avait particulièrement apprécié aucune de leurs visites. « Dès que j’ai eu l’avantage sur mes frères, les gens ont complètement changé de discours. »
Lysithéa se souvenait bien de l’époque où Cléo n’avait aucun allié. « Cela prouve tout de même l’estime que tout le monde a pour toi maintenant », dit-elle en essayant d’apaiser son frère. « Bien sûr, il y a plus d’une personne suspecte, mais beaucoup de ces gens sont dignes de confiance. Ne prends pas cela pour acquis. »
Cléo regarda le plafond. « Je comprends. Je comprends, vraiment. Si je suis ici en ce moment, c’est grâce au comte Banfield. » Le pouvoir de la maison Banfield — de Liam, plus précisément — était la seule raison pour laquelle il n’avait pas péri dans la lutte pour le trône.
Lysithéa était soulagée que Cléo ait compris cela. « De nombreux nobles veulent te rencontrer, et Calvin n’est pas là en ce moment. De plus en plus de gens souhaitent abandonner sa faction et rejoindre la tienne à la place. »
Jour après jour, de plus en plus de gens soupçonnaient le prince Cléo d’être le prochain empereur. Pourtant, ce n’est pas comme si Calvin n’avait plus aucune influence. Même si la position de Cléo dans la lutte pour le trône était meilleure maintenant, l’écart entre les deux candidats était loin d’être grand. Sa position avantageuse actuelle ne changeait rien au fait qu’il était à deux doigts de tout perdre.
« Je suis sûr que c’est le comte Banfield que tout le monde veut vraiment voir. »
C’était probablement le cas. Pourtant, si les visiteurs ne voulaient rien savoir de Cléo, ils ne l’auraient pas rencontré. Il pouvait supposer que tous ceux qui se donnaient la peine d’organiser une rencontre voulaient au moins se faire connaître de lui.
Lysithéa soupira. « Il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet. Le comte Banfield est ton plus grand soutien. Sans l’argent et le soutien militaire du comte, qui sait où nous en serions ? Je sais que cela ne doit pas être drôle pour toi, Cléo, mais n’oublie pas de lui être reconnaissant. »
Cléo se plaignait tellement que Lysithéa commençait à s’inquiéter. Elle craignait qu’il ne soit pas satisfait de la maison Banfield — de Liam — d’une manière ou d’une autre.
Cléo lui adressa un sourire ironique. « Je suis juste fatigué par toutes ces réunions, alors je râle un peu. »
« Eh bien, si ce n’est que cela… »
« C’est à peu près tout le temps dont nous disposons pour notre pause. Finissons-en avec notre prochaine réunion, ma sœur. »
« Compris. »
Leur conversation terminée, Lysithéa tourna le dos à Cléo et envoya un message sur tablette à l’un de ses subordonnés pour qu’il admette le prochain visiteur.
En la regardant, Cléo se dit à voix basse : « En fin de compte, je ne suis rien d’autre que la marionnette du comte. »
Il n’avait pas pu s’empêcher d’exprimer ses plaintes. S’il est aujourd’hui à ce poste, c’est grâce à Liam. Chaque jour, il devait se rendre à l’évidence qu’il n’avait pas du tout changé par rapport à ce qu’il était avant, sa position à lui était toujours aussi précaire.
Je suis comme je l’ai toujours été. Je suis toujours aussi faible.
Leur prochain visiteur devrait arriver d’un moment à l’autre, mais pour une raison ou une autre, Lysithéa avait l’air troublée. Elle jeta un coup d’œil à Cléo, manifestement hors d’elle. « Éloigne-la à tout prix », dit-elle dans sa tablette. « Nous ne rencontrerons personne qui n’est pas inscrit sur le planning. »
Quelqu’un avait apparemment forcé l’entrée pour voir Cléo. Il commençait à s’énerver lorsque Lysithéa soupira lourdement et se tourna vers lui, un regard indescriptible sur le visage.
« Maman veut te voir. »
Lorsque Cléo entendit qui était leur mystérieux visiteur, ses yeux s’écarquillèrent. « Maman !? »
Il s’agit d’Annabelle Sereh Lengrand, la mère biologique du duo, qui n’avait jamais voulu s’occuper d’eux jusqu’à présent. Ni Cléo ni Lysithéa n’avaient pu cacher leur malaise face à son apparition soudaine. Cléo porta la main à son visage, essayant de décider ce qu’il devait faire. En fin de compte, il ne parvint pas à produire une réponse. « Ma sœur, comment devons-nous procéder ? »
« Je vais d’abord lui demander ce qu’elle veut. Nous pourrons prendre une décision ensuite. »
Sous le regard de Cléo, visiblement mal à l’aise face à l’apparition de sa mère absente depuis longtemps, Lysithéa, troublée, se dirigea vers l’extérieur.
« Qu’est-ce qu’elle veut après tout ce temps ? »
Il avait une idée, bien sûr. Mais cela ne faisait que l’irriter davantage.
☆☆☆
Il est difficile de décrire ce que Cléo avait ressenti après sa rencontre avec Lady Annabelle.
Grâce à la technologie anti-âge, l’apparence de la dame était encore celle d’une jeune femme. Si on ne le disait pas, personne ne devinerait qu’elle est déjà assez âgée pour avoir des petits-enfants. Elle pouvait facilement se faire passer pour la grande sœur de Cléo plutôt que pour sa mère.
Elle portait une robe distincte et voyante avec un grand collier décoratif qui lui donnait l’air d’un lézard à collerette. Sa coiffure était également particulière, enroulée sur sa tête comme un oignon. Elle semblait être la même que par le passé, à une différence près. Avant, elle ne s’intéressait pas du tout à ses enfants. Maintenant, elle s’était assise en face de Cléo et lui parlait avec un sourire amical.
« Oh, Cléo. Tu as tellement grandi que je t’ai à peine reconnue. J’ai entendu dire, tu sais, que tu as plus d’autorité au sein du palais que le prince Calvin. N’est-ce pas ? »
Cléo et Lysithéa étaient déconcertées par l’humeur joyeuse de leur mère. Lady Annabelle était censée s’être enfermée dans le palais, à l’écart du monde extérieur. Sa mode unique était probablement due à son isolement du monde en général. Pourtant, elle n’était pas isolée au point de ne pas entendre parler des succès de son fils, et maintenant, elle faisait tout pour le rencontrer.
Se tenant derrière et sur le côté de Cléo, Lysithéa lança un regard acerbe à sa mère. Bien que Lady Annabelle ait souri à Cléo, elle n’avait pas jeté à Lysithéa un seul regard.
« Eh bien, à ce rythme, tu pourrais bien être le prochain empereur, Cléo ? », poursuit-elle.
« Qui peut le dire ? C’est loin d’être une affaire réglée pour l’instant. »
Les yeux d’Annabelle s’écarquillèrent devant sa réponse peu convaincante. « Qu’est-ce que tu racontes ? Calvin est peut-être le prince héritier, mais il est loin du palais en ce moment. Il s’est laissé une porte ouverte pendant qu’il est parti combattre l’autocratie. Tu dois profiter de cette occasion pour consolider ta position ! »
Elle n’avait pas tort. En l’absence de Calvin, Cléo aurait dû étendre l’influence de sa faction à l’intérieur du palais, mais il ne s’impliquait guère dans cette affaire. « C’est entre les mains du comte Banfield. »
À la mention du nom « Banfield », le regard de Lady Annabelle s’aiguisa. Il semblait qu’elle avait une certaine animosité envers la maison Banfield, si ce n’est envers Liam lui-même. « Cléo, je comprends pourquoi tu apprécies tant le comte Banfield. C’est parce qu’il t’a soutenue quand les choses étaient difficiles pour toi, n’est-ce pas ? »
Cléo devait s’empêcher de laisser sortir un rire en guise de réponse. Il pensa à répondre de façon sarcastique, mais il se garda bien de le faire. « Je suppose que oui. »
Contrairement à quelqu’un qui nous a abandonnés, cracha-t-il intérieurement. Pourtant, il ne disait rien de plus à haute voix, pour ne pas déclencher une dispute avec sa mère naturelle.
Lady Annabelle avait tout de même semblé percevoir ses sentiments. « Je regrette vraiment ce que j’ai fait. Cela a dû être si dur pour toi. Je sais que j’aurais dû te confier à ma famille il y a des années. » Semblant vraiment s’excuser, elle serra la main de Cléo dans la sienne.
Derrière Cléo, Lysithéa se renfrogna devant son audace et marmonne : « Tu crois que tu peux juste… »
Annabelle n’avait pas semblé l’entendre. « Tout de même, il n’est pas bon de se reposer aussi complètement sur quelqu’un. Si tu continues à dépendre de la maison Banfield, cela posera des problèmes pour ton règne. »
« Je suis sûr que cela sera le cas, mais… »
Si Cléo accédait au trône dans ces circonstances, la maison Banfield deviendrait un problème. Il n’y aurait pas de plus grande réussite pour eux que d’élever Cléo jusqu’au trône. Il leur serait énormément redevable, ce qui le forcerait à leur accorder un traitement préférentiel, leur permettant d’exercer une influence ridicule au sein de l’Empire. La maison Banfield régnerait sur le palais, et Cléo ne pourrait pas gouverner sans leur approbation.
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merci pour le chapitre