Chapitre 4 : Lady Annabelle
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Chapitre 4 : Lady Annabelle
Partie 1
Maintenant qu’il était possible qu’il soit le prochain à accéder au trône de l’Empire, la vie de Cléo avait radicalement changé.
Après avoir quitté le palais intérieur le matin, il se dirigeait vers une salle où il rencontrait ceux qui souhaitaient avoir une audience avec lui. Les réunions se déroulaient dans un bâtiment qui servait à cette fin spécifique. Il y avait une grande cour et chaque pièce à l’intérieur était somptueusement meublée pour toutes sortes de réunions. L’endroit n’avait pas été utilisé jusqu’à récemment, mais il était maintenant utilisé du matin au soir en raison du grand nombre de personnes qui souhaitaient parler à Cléo.
Cléo s’installa en bout de table. Devant lui se trouvait un noble qui lui avait apporté un cadeau.
« Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer, prince Cléo », dit le noble. « Je pourrai m’en vanter pendant des générations ! »
Cléo fit en sorte de contrôler son expression devant son visiteur. Chaque mouvement du noble était exagéré, ce qui donnait à Cléo l’impression qu’il jouait la comédie — et qu’il n’y parvenait pas particulièrement bien. Ils avaient déjà parlé par l’intermédiaire d’un moniteur à plusieurs reprises, et l’homme se montrait tout aussi enthousiaste en personne que Cléo s’y attendait. Il en avait déjà assez de parler avec lui, mais il ne pouvait pas le laisser paraître sur son visage.
« Je suis aussi heureux de vous voir », répondit le prince.
Pendant ce temps, la garde de Cléo — sa sœur aînée Lysithéa Noah Albareto — rappela sans émotion au noble la période allouée pour la rencontre. « Notre temps ici est limité. S’il vous plaît, commencez par le sujet qui nous occupe, plutôt que par des banalités. »
C’était plus qu’impoli, mais Lysithéa avait fait cette remarque pour le bien de son frère. Ils allaient rencontrer d’innombrables personnes après cela, ils ne pouvaient donc pas passer tout leur temps à parler à l’homme en face d’eux.
Le noble se hérissa un instant, mais s’excusa rapidement. « Pardonnez-moi. Le sujet qui nous occupe, oui… J’aimerais demander votre aide dans le cadre d’un conflit de territoire au sein de ma famille. »
« Un conflit de territoire », répéta Cléo.
« Mon oncle occupe illégalement une partie de mon domaine. Il prétend — à tort — que mon père lui a donné ce territoire, et il refuse de me le rendre. »
« Et vous voulez que je vous aide à régler ce problème », répéta Cléo. L’affaire ne signifiait rien pour le prince, mais l’homme y tenait visiblement beaucoup. Je suis sûr qu’il veut que je serve de médiateur.
Alors que Cléo réfléchissait à l’agacement que provoquerait cette demande, l’homme poursuivi : « Oui. J’aimerais que le comte Banfield ou un de ses représentants joue le rôle de médiateur. »
« Je vois. » Ce n’est pas Cléo que l’homme demandait, mais Liam. Cela irritait passablement le prince, mais il ne pouvait rien y faire.
« L’influence du comte Banfield au sein de l’Empire est assez importante, » fit remarquer Cléo.
Le noble qui se trouvait devant lui sourit largement. « En effet ! La nouvelle de ses exploits s’est répandue jusqu’aux confins du territoire de l’Empire. Si quelqu’un comme lui sert de médiateur en mon nom, je n’aurai rien à craindre. »
Cléo ravala ses plaintes. « Très bien. Je lui transmettrai votre requête. »
« Merci beaucoup ! »
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« Tous ceux qui me rencontrent ne font qu’évoquer le nom de Liam », grommela Cléo en prenant une pause après le départ du noble.
Lysithéa était restée à ses côtés. En tant que sœur aînée, elle faisait également partie de la royauté, mais elle était devenue un chevalier de son plein gré pour protéger son jeune frère, qui avait étonnamment peu d’alliés au sein du palais. Comme elle gardait un prince, son uniforme était plus orné que celui d’un chevalier typique — plus proche d’une tenue de ville. Auparavant, elle portait ses cheveux en chignon serré, mais maintenant, ils s’étalent derrière elle, longs et droits.
« Tu ne dureras pas si tu t’énerves chaque fois, » dit-elle. « Ces réunions sont programmées à la seconde près pour des années à venir, tu sais. »
À mesure que la position de Cléo au sein de la famille royale s’améliorait, de plus en plus de personnes souhaitaient le rencontrer. Pas seulement des nobles, mais aussi des marchands et toutes sortes d’autres visiteurs.
Cléo n’avait particulièrement apprécié aucune de leurs visites. « Dès que j’ai eu l’avantage sur mes frères, les gens ont complètement changé de discours. »
Lysithéa se souvenait bien de l’époque où Cléo n’avait aucun allié. « Cela prouve tout de même l’estime que tout le monde a pour toi maintenant », dit-elle en essayant d’apaiser son frère. « Bien sûr, il y a plus d’une personne suspecte, mais beaucoup de ces gens sont dignes de confiance. Ne prends pas cela pour acquis. »
Cléo regarda le plafond. « Je comprends. Je comprends, vraiment. Si je suis ici en ce moment, c’est grâce au comte Banfield. » Le pouvoir de la maison Banfield — de Liam, plus précisément — était la seule raison pour laquelle il n’avait pas péri dans la lutte pour le trône.
Lysithéa était soulagée que Cléo ait compris cela. « De nombreux nobles veulent te rencontrer, et Calvin n’est pas là en ce moment. De plus en plus de gens souhaitent abandonner sa faction et rejoindre la tienne à la place. »
Jour après jour, de plus en plus de gens soupçonnaient le prince Cléo d’être le prochain empereur. Pourtant, ce n’est pas comme si Calvin n’avait plus aucune influence. Même si la position de Cléo dans la lutte pour le trône était meilleure maintenant, l’écart entre les deux candidats était loin d’être grand. Sa position avantageuse actuelle ne changeait rien au fait qu’il était à deux doigts de tout perdre.
« Je suis sûr que c’est le comte Banfield que tout le monde veut vraiment voir. »
C’était probablement le cas. Pourtant, si les visiteurs ne voulaient rien savoir de Cléo, ils ne l’auraient pas rencontré. Il pouvait supposer que tous ceux qui se donnaient la peine d’organiser une rencontre voulaient au moins se faire connaître de lui.
Lysithéa soupira. « Il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet. Le comte Banfield est ton plus grand soutien. Sans l’argent et le soutien militaire du comte, qui sait où nous en serions ? Je sais que cela ne doit pas être drôle pour toi, Cléo, mais n’oublie pas de lui être reconnaissant. »
Cléo se plaignait tellement que Lysithéa commençait à s’inquiéter. Elle craignait qu’il ne soit pas satisfait de la maison Banfield — de Liam — d’une manière ou d’une autre.
Cléo lui adressa un sourire ironique. « Je suis juste fatigué par toutes ces réunions, alors je râle un peu. »
« Eh bien, si ce n’est que cela… »
« C’est à peu près tout le temps dont nous disposons pour notre pause. Finissons-en avec notre prochaine réunion, ma sœur. »
« Compris. »
Leur conversation terminée, Lysithéa tourna le dos à Cléo et envoya un message sur tablette à l’un de ses subordonnés pour qu’il admette le prochain visiteur.
En la regardant, Cléo se dit à voix basse : « En fin de compte, je ne suis rien d’autre que la marionnette du comte. »
Il n’avait pas pu s’empêcher d’exprimer ses plaintes. S’il est aujourd’hui à ce poste, c’est grâce à Liam. Chaque jour, il devait se rendre à l’évidence qu’il n’avait pas du tout changé par rapport à ce qu’il était avant, sa position à lui était toujours aussi précaire.
Je suis comme je l’ai toujours été. Je suis toujours aussi faible.
Leur prochain visiteur devrait arriver d’un moment à l’autre, mais pour une raison ou une autre, Lysithéa avait l’air troublée. Elle jeta un coup d’œil à Cléo, manifestement hors d’elle. « Éloigne-la à tout prix », dit-elle dans sa tablette. « Nous ne rencontrerons personne qui n’est pas inscrit sur le planning. »
Quelqu’un avait apparemment forcé l’entrée pour voir Cléo. Il commençait à s’énerver lorsque Lysithéa soupira lourdement et se tourna vers lui, un regard indescriptible sur le visage.
« Maman veut te voir. »
Lorsque Cléo entendit qui était leur mystérieux visiteur, ses yeux s’écarquillèrent. « Maman !? »
Il s’agit d’Annabelle Sereh Lengrand, la mère biologique du duo, qui n’avait jamais voulu s’occuper d’eux jusqu’à présent. Ni Cléo ni Lysithéa n’avaient pu cacher leur malaise face à son apparition soudaine. Cléo porta la main à son visage, essayant de décider ce qu’il devait faire. En fin de compte, il ne parvint pas à produire une réponse. « Ma sœur, comment devons-nous procéder ? »
« Je vais d’abord lui demander ce qu’elle veut. Nous pourrons prendre une décision ensuite. »
Sous le regard de Cléo, visiblement mal à l’aise face à l’apparition de sa mère absente depuis longtemps, Lysithéa, troublée, se dirigea vers l’extérieur.
« Qu’est-ce qu’elle veut après tout ce temps ? »
Il avait une idée, bien sûr. Mais cela ne faisait que l’irriter davantage.
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Il est difficile de décrire ce que Cléo avait ressenti après sa rencontre avec Lady Annabelle.
Grâce à la technologie anti-âge, l’apparence de la dame était encore celle d’une jeune femme. Si on ne le disait pas, personne ne devinerait qu’elle est déjà assez âgée pour avoir des petits-enfants. Elle pouvait facilement se faire passer pour la grande sœur de Cléo plutôt que pour sa mère.
Elle portait une robe distincte et voyante avec un grand collier décoratif qui lui donnait l’air d’un lézard à collerette. Sa coiffure était également particulière, enroulée sur sa tête comme un oignon. Elle semblait être la même que par le passé, à une différence près. Avant, elle ne s’intéressait pas du tout à ses enfants. Maintenant, elle s’était assise en face de Cléo et lui parlait avec un sourire amical.
« Oh, Cléo. Tu as tellement grandi que je t’ai à peine reconnue. J’ai entendu dire, tu sais, que tu as plus d’autorité au sein du palais que le prince Calvin. N’est-ce pas ? »
Cléo et Lysithéa étaient déconcertées par l’humeur joyeuse de leur mère. Lady Annabelle était censée s’être enfermée dans le palais, à l’écart du monde extérieur. Sa mode unique était probablement due à son isolement du monde en général. Pourtant, elle n’était pas isolée au point de ne pas entendre parler des succès de son fils, et maintenant, elle faisait tout pour le rencontrer.
Se tenant derrière et sur le côté de Cléo, Lysithéa lança un regard acerbe à sa mère. Bien que Lady Annabelle ait souri à Cléo, elle n’avait pas jeté à Lysithéa un seul regard.
« Eh bien, à ce rythme, tu pourrais bien être le prochain empereur, Cléo ? », poursuit-elle.
« Qui peut le dire ? C’est loin d’être une affaire réglée pour l’instant. »
Les yeux d’Annabelle s’écarquillèrent devant sa réponse peu convaincante. « Qu’est-ce que tu racontes ? Calvin est peut-être le prince héritier, mais il est loin du palais en ce moment. Il s’est laissé une porte ouverte pendant qu’il est parti combattre l’autocratie. Tu dois profiter de cette occasion pour consolider ta position ! »
Elle n’avait pas tort. En l’absence de Calvin, Cléo aurait dû étendre l’influence de sa faction à l’intérieur du palais, mais il ne s’impliquait guère dans cette affaire. « C’est entre les mains du comte Banfield. »
À la mention du nom « Banfield », le regard de Lady Annabelle s’aiguisa. Il semblait qu’elle avait une certaine animosité envers la maison Banfield, si ce n’est envers Liam lui-même. « Cléo, je comprends pourquoi tu apprécies tant le comte Banfield. C’est parce qu’il t’a soutenue quand les choses étaient difficiles pour toi, n’est-ce pas ? »
Cléo devait s’empêcher de laisser sortir un rire en guise de réponse. Il pensa à répondre de façon sarcastique, mais il se garda bien de le faire. « Je suppose que oui. »
Contrairement à quelqu’un qui nous a abandonnés, cracha-t-il intérieurement. Pourtant, il ne disait rien de plus à haute voix, pour ne pas déclencher une dispute avec sa mère naturelle.
Lady Annabelle avait tout de même semblé percevoir ses sentiments. « Je regrette vraiment ce que j’ai fait. Cela a dû être si dur pour toi. Je sais que j’aurais dû te confier à ma famille il y a des années. » Semblant vraiment s’excuser, elle serra la main de Cléo dans la sienne.
Derrière Cléo, Lysithéa se renfrogna devant son audace et marmonne : « Tu crois que tu peux juste… »
Annabelle n’avait pas semblé l’entendre. « Tout de même, il n’est pas bon de se reposer aussi complètement sur quelqu’un. Si tu continues à dépendre de la maison Banfield, cela posera des problèmes pour ton règne. »
« Je suis sûr que cela sera le cas, mais… »
Si Cléo accédait au trône dans ces circonstances, la maison Banfield deviendrait un problème. Il n’y aurait pas de plus grande réussite pour eux que d’élever Cléo jusqu’au trône. Il leur serait énormément redevable, ce qui le forcerait à leur accorder un traitement préférentiel, leur permettant d’exercer une influence ridicule au sein de l’Empire. La maison Banfield régnerait sur le palais, et Cléo ne pourrait pas gouverner sans leur approbation.
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Partie 2
Mais si Cléo les traitait froidement après qu’ils l’aient aidé à devenir empereur, sa propre réputation en souffrirait. Son règne s’avérerait instable si personne ne lui faisait confiance pour récompenser les services fidèles.
De toute façon, trahir la maison Banfield à ce stade ne ferait qu’affaiblir la position de la faction de Cléo, réduisant ainsi son influence au sein du palais. Il ne lui resterait alors que très peu de choses à faire. Cléo dépendait entièrement d’une seule entité : la maison Banfield. Mais c’était une chose qu’il avait dû accepter dès le début.
« S’il n’y avait pas eu la maison Banfield, Mère, je ne te rencontrerais probablement pas comme ça. »
En fin de compte, il n’avait pas eu d’autre choix que de s’en remettre à eux.
C’était le cas jusqu’à ce que Lady Annabelle lui présente une nouvelle option. « Tu étais juste désespéré de survivre, n’est-ce pas ? » répondit-elle. « Mais maintenant, ta position n’est plus aussi faible qu’elle l’était. »
« Qu’est-ce que tu racontes ? Qu’est-ce que tu crois que je peux — ? »
Avant qu’il ne puisse demander ce qu’elle envisageait qu’il fasse, la voix de Lady Annabelle noya la sienne. « Utilise la maison Lengrand. Tu n’as pas besoin d’abandonner complètement le comte Banfield, mais juste de te fier un peu plus à la maison Lengrand, petit à petit. En faisant cela, tu pourras empêcher le comte Banfield d’avoir toutes les cartes en main. »
« Quoi — !? » Cette interjection choquée venait de la diagonale derrière Cléo. « Ne l’écoute pas, mon frère ! Les nobles n’accepteront pas un changement soudain de pouvoir au profit de la maison Lengrand ! »
Cléo prit les conseils de Lysithéa au sérieux, mais il ne put s’empêcher de se demander s’il est vraiment sage de continuer à se fier entièrement au comte Banfield. Serait-il si mauvais d’obtenir un peu plus d’équilibre par l’intermédiaire de la maison Lengrand ?
La maison Lengrand n’avait approché Cléo que lorsque la possibilité qu’il devienne le prochain empereur s’était présentée, ils n’étaient donc guère dignes de confiance. Pourtant, l’idée de les utiliser pour contrebalancer quelque peu le pouvoir de Liam semblait suffisamment solide pour ne pas en tenir compte. L’influence de Liam était si grande que Cléo envisagea d’accepter la suggestion, malgré le fait que la maison Lengrand ne soit pas digne de confiance.
Si je ne fais rien, je ne serai jamais plus qu’une marionnette. Je n’ai pas l’intention de résister à cela. Je n’ai pas l’intention, mais… Je peux au moins faire un premier pas pour mon propre avenir, n’est-ce pas ?
Finalement, il décida d’accepter l’aide de la maison Lengrand afin d’affaiblir la position de Liam et d’atténuer quelque peu son propre sentiment d’infériorité.
« Où est le mal ? Le sang de la maison Lengrand coule aussi dans mes veines. Les autres nobles n’aimeraient pas non plus que j’abandonne mes parents de sang, n’est-ce pas ? »
Lysithéa ne savait pas trop quoi répondre à cela. Il est vrai que la société noble accorde une grande importance aux liens du sang, alors Cléo passerait pour quelqu’un de peu digne de confiance s’il abandonnait ses relations avec la famille de sa mère naturelle.
« C’est peut-être vrai, » dit-elle, « mais comment comptes-tu expliquer cela au comte Banfield ? »
« Je suis sûr que si je suis franc avec lui à ce sujet, il comprendra. » Ma position est encore inférieure à la sienne, mais je ne peux pas rester sa marionnette pour toujours.
Ainsi, la maison Lengrand avait assuré sa position au sein de la faction de Cléo.
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« Je suppose que tu as la vie dure toi aussi », m’avait dit Marion un jour où j’étais occupé au travail.
Je ne savais pas trop quoi répondre à cette vague déclaration. Je pourrais l’ignorer purement et simplement, mais Marion n’en finirait probablement pas de parler, alors j’avais décidé de lui faire plaisir.
« De quelle manière ? » avais-je demandé.
Marion se pencha en avant vers moi. Il devait être très intéressé par ce qu’il s’apprêtait à évoquer. « Je veux parler de la maison Lengrand. Tout le monde a entendu parler de la rencontre entre Randy et le prince Cléo. »
Il fit apparaître un écran holographique sur sa tablette. Il semblait afficher quelque chose de proche des forums Internet de mon ancienne vie. À l’écran, toutes sortes de personnes discutaient anonymement de rumeurs au sein du palais. La plupart étaient des absurdités sans fondement, mais de temps en temps, quelqu’un postait quelque chose de vrai. On ne pouvait donc pas tout ignorer.
Marion me montrait une discussion sur la rumeur de la rencontre entre Cléo et Randy.
« Le prince Cléo est censé avoir des réunions réservées des années à l’avance, mais il a fait une exception pour voir l’héritier de la maison Lengrand. »
« Alors la famille de sa mère biologique s’en mêle enfin maintenant ? »
« Il est certainement un peu tard à ce stade. Mais on a l’impression qu’il y a une raison pour qu’il les rencontre maintenant. »
« Il en a probablement marre de la façon dont le comte Banfield se comporte. »
« Tout le monde sait que les nobles ploucs du milieu de nulle part n’ont pas de manières. »
« Espérons simplement que le comte rentre chez lui et se terre dans son propre domaine dès que son entraînement sera terminé. »
« Cet idiot fou de guerre devrait s’en tenir aux combats et se tenir à l’écart de tout le reste. »
Il y avait aussi beaucoup de messages qui me dénigraient. Comme Marion avait fait des pieds et des mains pour me montrer ça, il attendait quelque chose de moi. Voulait-il que je me mette en colère ?
J’avais ignoré les messages et j’étais retourné à mon « travail ». « Est-ce tout ce que tu voulais me montrer ? Je suis occupé en ce moment, alors pourrais-tu me laisser tranquille ? »
Les épaules de Marion s’affaissèrent. Il devait être déçu de ne pas avoir réussi à m’énerver. « Si tu veux chercher les personnes qui ont écrit ces commentaires, je t’aiderai », dit-il. « Non pas que tu aies besoin de mon aide, j’en suis sûr, avec les agents de renseignements à ta disposition. »
Si j’avais voulu, j’aurais pu retrouver et me débarrasser de chacun des idiots qui m’avaient dénigré dans ce fil de discussion. Kukuri et ses hommes s’en seraient sans doute occupés proprement. Mais je n’avais pas le temps pour ce genre de choses.
« Ils peuvent écrire ce qu’ils veulent. Les commérages ne m’intéressent pas. » J’avais fermé la bouche et je m’étais remis au travail.
Marion me lança un regard exaspéré. « Diligent comme toujours, n’est-ce pas ? Peu importe ce que tu dis — tu ne peux pas cacher cette diligence naturelle. »
Ce type ne me comprend pas non plus. Moi, diligent ? Il doit être aveugle. « Voulais-tu me mettre en colère en me montrant ces gribouillages ? »
« C’est vrai. Je pensais que tu irais trouver les coupables et que tu les éviscérerais. »
Pour qui me prends-tu exactement ? Il y a tellement de gens qui disent du mal de moi dans cet univers. Si c’était tout ce qu’il fallait pour m’énerver, je ne tiendrais pas une seconde. Je ne peux qu’imaginer ce que les habitants de ma planète natale disent de moi dans mon dos. Il était naturel que les citoyens disent du mal des politiciens.
« Désolé, mais je n’ai pas le temps de faire de l’humour. » Si j’avais du temps libre, cela ne m’aurait pas dérangé de traquer les personnes qui avaient écrit ces messages, mais j’étais vraiment occupé en ce moment.
« Dommage. J’avais hâte de te voir entrer dans une colère noire. »
Pendant que nous parlions, Randy s’approcha, vêtu d’un costume tape-à-l’œil comme toujours. Pour une raison que j’ignore, il avait l’air triomphant lorsqu’il s’adressa à moi. « Fais ça aussi, tu veux bien, Liam ? »
Une quantité considérable de données holographiques s’était affichée devant moi alors qu’il me lançait le travail qui lui avait été assigné ainsi qu’à ses laquais.
« Qu’est-ce que c’est censé être ? » avais-je demandé en le regardant dans les yeux.
Randy me fit un sourire mauvais, me jouant apparemment une farce enfantine malgré son âge de près de deux cents ans. « Puisque nous sommes dans la même faction et tout, nous devrions nous entraider, n’est-ce pas ? Et nous sommes plutôt occupés ici, alors pourrais-tu t’occuper de notre part de travail ? Tu es spécialisé dans ce genre de travail, n’est-ce pas ? »
Il pense que je ne suis qu’un larbin, n’est-ce pas ?
Sur ce, Randy prit ses subordonnés et partit. Même ses laquais s’étaient moqués de moi en s’en allant.
« Bonne chance, monsieur le diligent. »
« Ça aide beaucoup d’avoir des amis talentueux, n’est-ce pas ? »
« Tu ferais mieux de terminer tout ça. »
Mes yeux s’étaient écarquillés devant l’attitude des larbins de Randy à mon égard. Je n’arrivais pas à croire qu’il y ait encore des gens qui agissaient ainsi à mon égard. Je m’étais demandé si je ne devais pas les réévaluer. Après tout, il leur fallait un sacré cran pour me harceler alors qu’ils savaient tous que leur position était bien inférieure à la mienne. Bien sûr, je ne pouvais pas écarter la possibilité qu’ils soient tout simplement stupides. En les regardant, je m’étais rendu compte que les gens ne changeaient pas fondamentalement, même si la noblesse leur offrait une éducation impressionnante.
Maintenant qu’ils m’avaient imposé tout ce travail, Marion sembla avoir pitié de moi. « Veux-tu de l’aide ? »
J’avais soupiré et j’avais regardé les données que Randy m’avait données. « Ce n’est pas un problème. Contente-toi de faire ton propre travail. »
J’avais décidé de jouer les gentils pour l’instant.
… Pour l’instant.
☆☆☆
Lady Annabelle convoqua son neveu Randy. Ils se retrouvèrent dans un établissement situé juste à l’extérieur du palais, où les concubines de l’empereur pouvaient voir leur famille.
Randy informa nerveusement Annabelle des mouvements de Liam. « Il n’a pas mordu à l’hameçon, malgré l’arrogance dont j’ai fait preuve à son égard. J’ai du mal à croire qu’il a fait tout ce qu’on dit pendant sa mission d’entraînement. »
Randy ne pouvait pas être qualifié de talentueux, même par flatterie. Le fait de ne pas avoir terminé sa formation à près de deux cents ans témoignait de son manque de prévoyance, en outre, il n’y avait rien de particulier dans lequel il excellait. Ses capacités dans n’importe quel domaine se comparaient défavorablement à celles des bureaucrates de son lieu de travail embauchés pour leur talent.
Tout cela après avoir utilisé des capsules d’éducation. À la suite de ce processus, il s’était relâché dans sa rééducation et son entraînement, si bien qu’il ne s’était pas amélioré autant qu’il le devrait. Dans l’ensemble, il avait reçu la meilleure éducation que son rang de noble pouvait lui accorder, et pourtant il n’avait rien à montrer. Bien sûr, même Randy était surhumain comparé à un roturier, mais il y avait un fossé énorme entre ce dont lui et Liam étaient capables.
Lady Annabelle soupira devant le neveu gaspilleur d’espace qui se trouvait devant elle. « Sois prudent en continuant à l’observer. »
« Bien sûr. Alors quand est-ce que la maison Lengrand sera responsable de la faction de Cléo ? »
Tout ce qui préoccupait Randy, c’était de se hisser au sommet du groupe de Cléo. Lady Annabelle secoua la tête, dégoûtée par l’incompréhension des faits de son neveu.
« Qu’est-ce qui ne va pas, tante Annabelle ? »
« Sers-toi un peu de ta tête, veux-tu, Randy ? Quand ai-je dit exactement que nous soutiendrions Cléo ? Nous allons démanteler sa faction de l’intérieur. C’est ce qu’il voudrait que nous fassions, après tout. » Lady Annabelle n’avait jamais eu l’intention d’aider Cléo.
Randy fulmina à cette nouvelle. « Mais si nous faisons cela, il n’y a rien à gagner pour la maison Lengrand ! »
« Calme-toi. Je vais m’assurer que nous en tirons quelque chose. »
Randy fit de son mieux pour comprendre ce que cela signifiait. « Es-tu en train de dire que tu as un lien avec le prince Calvin ? C’est lui qui profiterait le plus de l’échec de Cléo. » Calvin avait manifestement tout à gagner si Cléo se retirait du conflit de succession, alors Randy supposa que sa tante Annabelle avait un lien particulier avec le prince héritier.
Cependant, Lady Annabelle n’avait pas répondu à sa question. Après tout, elle ne pouvait pas faire suffisamment confiance à Randy pour lui donner cette information. S’il pensait que Calvin était derrière tout ça, elle n’avait qu’à laisser perdurer sa méprise. « Continue d’observer Liam. S’il te donne l’occasion de le faire, évince-le. Mais je veux que tu sois très prudent. Je suppose que tu sais combien d’autres nobles il a déjà écrasés ? Tu ne peux pas lui permettre de prendre le dessus sur toi. »
Randy acquiesça, transpirant légèrement à l’avertissement de Lady Annabelle. « B-Bien sûr. »
« Bien. Je sais que je me répète, mais ne quitte pas Liam des yeux. Ce morveux est sérieusement dangereux. »
Depuis que Liam avait fait la peau à de nombreux aristocrates, Lady Annabelle se méfiait énormément de lui et était extrêmement anxieuse à l’idée de devoir confier cette affaire à son neveu.
Randy garda la tête haute, inconscient de son inquiétude. « N’aie crainte. J’ai trouvé la personne idéale pour ce travail. Avec elle de notre côté, nous n’aurons pas à nous inquiéter. »
« “La personne idéale” ? Cette personne travaille pour toi, n’est-ce pas ? » demanda Annabelle d’un ton sévère.
Randy n’avait même pas remarqué son changement d’expression. « Non, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. C’est moi qui l’ai trouvé, après tout. »
Lady Annabelle se passa la main sur le visage. Pouvait-elle vraiment confier cela à son neveu incompétent ? Son anxiété ne faisait que croître. Soupirant, elle décida qu’elle devrait se pencher sur la question elle-même. « Dis-moi qui est cette personne. Je vais faire quelques recherches de mon côté. »
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