Chapitre 2 : En route vers la frontière sud
Partie 4
« … À en juger par ses cheveux et ses queues, je dirais que c’est un Kobold, » dit Rem alors qu’ils se promènent dans la forêt.
« Oh, un Kobold ! N’est-ce pas une sorte de fée ? »
« … C’est une théorie parmi d’autres. Apparemment, les femelles ont une apparence plus proche des Races, tandis que celle des mâles penche vers une forme plus bestiale. »
« J’ai entendu des histoires sur le fait qu’ils sont très gentils avec les Races. »
« … Et j’ai entendu des rumeurs selon lesquelles ils attaqueraient les villes des Races. »
« Mais elle m’a sauvée plus tôt ! »
« … Oui, elle l’a fait. »
Fennely s’était retournée.
« Ici, le village ! »
À première vue, c’était une étendue de forêt, comme le reste des endroits qu’ils avaient traversés jusqu’à présent. Il n’y avait pas de huttes entre les arbres, et il ne semblait pas que quelqu’un vivait à la cime des arbres. C’était l’hiver, mais les feuilles étaient suffisamment épaisses pour servir de toit, et seules de maigres gouttes s’écoulaient à l’intérieur. Le sol de la forêt était couvert de feuilles mortes, et ils ne pouvaient donc pas voir le sol.
Fennely avait abaissé ses genoux et avait secoué ses queues, les frottant contre quelques feuilles mortes recouvrant la base d’un arbre.
« Queue humide, salissez-vous ! Mauvais ! » dit-elle en baissant les épaules en signe de soulagement.
En balayant les feuilles, ils avaient découvert qu’il y avait un trou dans le sol.
« Fennely est de retour ! » Elle avait crié dans le trou.
Et après un court moment, d’autres individus étaient sortis du trou. C’était des mâles, avec des têtes de renard. En regardant Diablo, ils avaient baissé la tête.
« Que font les Races ici ? »
« Celui-là, peut parler ! Un peu de nourriture, donne ! »
« Des Races qui comprennent ce que nous disons ! »
Il y avait apparemment d’autres trous ailleurs, car les Kobolds en sortaient. Ils étaient une vingtaine, et ils entouraient Diablo, le regardant avec curiosité.
« Peut-on parler ? Quel nom ? »
« Je suis Diablo. »
« Il parle !? » Leurs yeux s’écarquillèrent et ils s’exclamèrent.
La plupart des Kobolds étaient des femmes, et, comme Fennely, avaient des oreilles triangulaires et des queues touffues. Elles étaient aussi toutes très peu vêtues, ce qui empêchait Diablo de les regarder en face. Les mâles, comme Rem l’avait dit, avaient des têtes de renard. Leurs muscles semblaient souples et bien construits, et ils avaient des poils qui leur poussaient dans le dos. Ils étaient seulement vêtus de pagnes.
« Il a vraiment parlé ! Surprise ! »
Un Kobold à la fourrure fine, dont la peau était visible, avait haussé la voix. Il parlait plus clairement que Fennely.
« Et vous êtes ? »
« L’aînée de cette tribu. Je m’appelle Yolda. Je ne m’attendais pas à ce que l’une des Races nous parle. »
« Hmph… C’est une question insignifiante pour moi. »
Diablo ne savait pas comment cela fonctionnait, mais il était capable de leur parler, bien qu’il n’ait jamais appris leur langue, et il pouvait aussi comprendre ce qu’ils disaient. Il ne pouvait pas parler aux bêtes magiques ou Déchus, mais…
Les Kobolds avaient essayé de parler à Rem et Shera, mais les filles n’avaient entendu que des grognements et des glapissements.
« … On dirait que tu leur parles normalement, Diablo. » Rem avait penché la tête avec curiosité.
« Ouais ! C’est bizarre que les Kobolds et nous-mêmes comprenions ce que tu dis ! » déclara Shera joyeusement.
Diablo avait fait claquer sa cape et avait souri.
« C’est parce que je suis un Seigneur-Démon d’un autre monde ! »
« Seigneur-Démon !? »
Ils s’étaient raidis pendant un moment —
Avant d’éclater de rire.
« Quelqu’un des Races est un Seigneur-Démon ! C’est une bonne blague ! Vous êtes un drôle de type ! »
Non seulement l’aînée Yolda, mais aussi les autres Kobolds gloussaient en se tenant le ventre.
Diablo était accablé. Les gens avaient douté de lui de nombreuses fois auparavant, mais c’était la première fois qu’on se moquait de lui en face.
« Ils veulent de la nourriture ! » dit Fennely, en faisant des gestes avec ses mains.
« Oui, c’est bien. Nous en avons beaucoup. »
Sur les ordres de l’aîné, certaines des femelles s’étaient glissées dans le trou et étaient revenues peu après avec de la viande et des pommes de terre séchées.
« Argh… »
Leurs paniers étaient aussi remplis d’insectes morts séchés. Un régime un peu dur pour l’éducation urbaine de Diablo et de ses amies.
Eh bien, je suppose que nous n’avons pas à nous forcer à manger des insectes.
Ils avaient apporté pas mal de nourriture, alors c’était comme un petit festin. Des paniers de nourriture étaient posés sur le tapis de feuilles mortes, et du vin de raisin était servi dans de petits récipients en bois.
« C’est mieux que l’eau de pluie, non ? »
« C’est ça. »
En vérité, Diablo n’était pas très porté sur l’alcool… mais, contrairement à l’alcool, qui ne se décomposait pas facilement, l’eau et les jus étaient difficiles à conserver. Les antiseptiques n’existaient pas dans ce monde. Mais bien que n’étant pas un buveur, après quelques gorgées de vin de raisin, Diablo s’y était habitué. Il n’y avait pas beaucoup d’alcool de toute façon.
« Hm ? Est-ce que c’est… ? »
La bouteille de vin avait une forme familière. Elle ressemblait au type utilisé à Lyferia. Yolda avait passé ses doigts sur la surface de la bouteille.
« Ceci vient d’une ville humaine. »
« Alors c’est bien ce que j’avais pensé. »
Les conteneurs en bois avaient aussi un design élaboré. Vu qu’ils vivaient dans des terriers sous terre, leur mode de vie était plutôt civilisé. La viande séchée avait bon goût, mais les feuilles séchées… pas du tout. Ce n’était vraiment rien d’autre que des feuilles séchées, et elles avaient laissé une sensation désagréable dans la bouche de Diablo.
« Alors ? D’où venez-vous ? »
Dire qu’il vient d’un autre monde ne ferait pas avancer la conversation.
« Une ville appelée Faltra. »
« Jamais entendu parler. »
« Je suppose que c’est à plus de dix jours d’ici en calèche. »
« Vous êtes venu de très loin ! »
« Tout le monde du village est là ? Je vois beaucoup de femmes… »
« Les hommes sont tous sortis depuis avant-hier. Il y a eu des problèmes. »
« Hm. »
« Parmi les Races, les Demis sont meilleurs. Certains font même du commerce avec nous, comme les Nains qui vivent aussi sous terre. »
« Des nains. »
Apparemment, ils avaient visité ce village une fois. Ils s’étaient éloignés des villes de Lyferia et avaient choisi de vivre dans la clandestinité. Diablo avait trouvé que cette tendance à s’enfermer dans la clandestinité pouvait être comprise.
C’était aussi assez horrible à l’époque, cependant…
« Il y a aussi des marcheurs des herbes. On ne voit pas souvent des Elfes et des Panthériens, par contre. »
Il jeta un coup d’œil à Rem et Shera. Elles ne pouvaient pas échanger de mots avec les autres Kobolds, mais les filles semblaient tout de même apprécier leur repas. Après tout, il n’y a pas besoin de parler quand on partage une table.
Mais le visage roux de Yolda s’était déformé, et ses sourcils s’étaient froncés.
« Mais les Humains sont mauvais ! Quand ils nous trouvent, ils se mettent à tirer des flèches comme s’ils chassaient des animaux ! »
« Quoi ? »
« Nous avons vécu sur cette terre pendant de nombreuses années. Mais les Humains sont arrivés et ont construit des villes. C’est bien. Mais ils ont essayé de nous chasser. Beaucoup d’entre nous ont été tués. C’est impardonnable. »
« Pourquoi les Humains vous attaquent-ils ? »
« Probablement parce que nous ne parlons pas le langage humain, » cracha Yolda avec de la colère. « Ils ne nous considèrent pas comme faisant partie des Races à cause de ça. »
« C’est idiot… »
« Le croyez-vous ? »
« Bien sûr. D’autant plus que je peux vous comprendre. Y a-t-il une différence entre vous et les Races ? »
« Même si nous avons des têtes de renard ? »
« Cela n’a pas d’importance. Traiter une personne de manière inégale en raison de son apparence ou de ses coutumes s’appelle de la discrimination. Et la discrimination est un acte impardonnable. »
« Êtes-vous sûr que vous venez des Races ? »
« Hmph… Ne me force pas à le répéter. Je suis un Seigneur-Démon d’un autre monde ! »
Yolda avait gloussé bruyamment.
Je suppose que c’est comme ça qu’ils réagissent si je ne leur montre pas de magie.
Il y avait quelque chose de mignon et d’affable dans sa façon de rire, alors, malgré sa déception, Diablo ne se sentait pas si mal que ça.
Finalement, ils étaient restés dans le village, car la pluie ne s’arrêtait pas. Au début, ils étaient un peu anxieux à l’idée de ramper dans un trou dans le sol, mais une fois qu’ils l’avaient fait, ils avaient trouvé que le creux était étonnamment assez large pour se tenir debout et marcher.
Les arbres servaient de piliers de soutien et la surface intérieure était renforcée par de l’argile durcie. L’endroit était agréablement frais, avec une humidité dans l’air, et, malgré l’odeur animale, il semblait parfaitement hospitalier. Et surtout, comme ils étaient sous terre, les gouttes de pluie ne pouvaient pas les atteindre.
Fennely avait expliqué à Diablo où se trouvait la cité des Races, avec force détails. Apparemment, les arbres de la forêt étaient marqués, donc une fois que le temps se serait amélioré, ils n’auraient plus à s’inquiéter de se perdre. À la tombée de la nuit, on leur avait prêté des couvertures qu’ils avaient utilisées pour dormir le dos aux murs d’argile.
Le lendemain matin, ils avaient constaté qu’il était difficile de savoir s’il faisait soleil depuis l’intérieur du trou, sans parler de l’heure et du temps. Ce qui les avait réveillés, c’est le bruit de plusieurs pas qui s’approchaient d’eux. Rem avait été la première à s’en apercevoir et elle avait donné un coup de coude à Diablo et Shera pour les réveiller.
« Hm ? »
Ils s’étaient réveillés et s’étaient retrouvés entourés de Kobolds mâles et robustes.
« Sont-ils des Démis ? »
Un mâle exceptionnellement grand à la fourrure rousse montait la garde. Diablo se leva à moitié, mais avant que les choses ne se compliquent davantage, l’aîné Yolda et Fennely sortirent d’un autre trou et ils expliquèrent qu’ils étaient invités.
« … On dirait que le Kobold rouge est le patron par ici, » chuchota Rem.
Même sans comprendre ce qu’ils disaient, Rem pouvait s’en rendre compte à la façon dont Yolda traitait le Kobold à la fourrure rouge. Yolda avait dit qu’il était l’aîné, mais… apparemment, cela ne voulait pas dire qu’il était au sommet de la meute.
Le Kobold à la fourrure rouge se tenait devant Diablo.
« Vous comprenez ce que nous disons ? »
« En effet. Présente-toi à moi. Je te le permets. »
« Il parle vraiment !? »
« Bien sûr que oui. Ou tu ne me comprends pas, idiot ? »
« Ah ! L’effronté ! C’est mon village ! »
« Hmph… »
« Bon, tant pis… Je suis le chef, Boldboss ! Je n’aurais jamais pensé donner mon nom à un de ceux des Races ! »
« Hmm. Par ailleurs, quelque chose ne va pas ? Vous semblez tous perturbés… »
Boldboss échangea un regard avec Yolda. Il était déconcerté par l’attitude de Diablo, qui, bien qu’étant un invité en présence de beaucoup de monde, se comportait comme s’il était roi.
Mais Diablo ne pouvait pas faire grand-chose. Il s’était peut-être habitué à parler aux gens, mais sans son rôle de Seigneur-Démon, il ne serait pas capable de finir une seule phrase.
« Ce ne sont pas vos affaires, » avait finalement dit Boldboss.
« Si tu insistes, ça ne me dérange pas, mais… »
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