Bienvenue au Japon, Mademoiselle l’Elfe – Tome 9 – Chapitre 7

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Chapitre 7 : À la bibliothèque universitaire

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Chapitre 7 : À la bibliothèque universitaire

Partie 1

Je m’étais brossé les dents à côté de l’adorable mademoiselle elfe, et elle me jeta un coup d’œil à travers le miroir. Elle cligna des yeux, ses yeux violets étaient comme des pierres précieuses étincelantes sous le soleil du matin. Ses cheveux étaient blancs comme du coton et sa peau jeune était radieuse. Elle portait un pyjama avec un motif de mouton qui comprenait de mignonnes petites cornes bouclées sur sa tête.

Après s’être rincé la bouche avec un peu d’eau, elle l’essuya avec une serviette. Ses yeux de couleurs de l’améthyste avaient alors rencontré les miens directement et non plus cette fois-ci à travers le miroir.

« Les matins sont de plus en plus froids, » déclara Marie. « Qu’est-ce que vous utilisez pour rester au chaud dans ce monde ? Je n’ai pas vu de cheminée sur les maisons d’ici. »

Je m’étais rincé la bouche, je m’étais essuyé avec la serviette qu’elle m’avait tendue et je m’étais tourné vers elle pour lui répondre.

« En général, on utilise la climatisation ou des chauffages au gaz en ville. Tu peux trouver des cheminées dans les régions plus froides comme Aomori. Oh, dans la région, il fera plus froid que là où tu as grandi. »

« Oh, ça a l’air terrible. Je n’aime vraiment pas le froid. Chaque fois que quelqu’un monopolisait la place devant la cheminée, j’ai toujours pensé à le déplacer », dit-elle en fronçant les sourcils, ce qui me fit rire.

La forêt où elle et sa tribu elfique vivaient possédait un climat très doux. Il n’y neigeait que légèrement, voire pas du tout, et elle ne supportait pas bien le froid ou la chaleur extrêmes parce qu’elle était tellement habituée à cet environnement confortable. Pour être honnête, j’aimais bien qu’elle se plaigne comme ça, alors je m’étais contenté de glousser en quittant les toilettes.

Marie me suivait tout en tenant ma manche à la main, évoquant un sujet au hasard après l’autre. En y réfléchissant, je n’aimais pas seulement quand elle se plaignait, j’aimais aussi parler avec elle en général. Elle était de meilleure humeur que d’habitude parce que c’était mon jour de congé, et c’était également mon cas.

Nous étions retournés dans notre chambre pour trouver une femme qui étalait le journal. Elle nous jeta un coup d’œil pendant que Marie et moi bavardions, ses longs cheveux noirs attachés derrière sa tête. Mais elle n’avait rien dit et était simplement retournée à son journal, comme si elle était habituée au bruit que nous faisions. La femme avait acquis un certain intérêt à porter des lunettes, peut-être parce que je lui avais dit qu’elle avait l’air intelligente avec la dernière fois. Combinée à la longue jupe, elle avait presque l’air d’une autre personne.

Habituellement paresseuse sous sa forme de chat, elle profitait pourtant aujourd’hui du soleil matinal avec une tasse de café bien arrosée de lait. D’après elle, elle était venue au Japon pour la première fois depuis longtemps, car il y avait quelque chose qu’elle voulait étudier.

 

 

« Bonjour, Wridra. As-tu déjà dessaoulé ? » avais-je demandé.

« Haha, haha, je peux me dégriser quand je le souhaite. Chaque fois que je suis en état d’ébriété, c’est parce que j’ai choisi de l’être. »

Wridra avait une grande tolérance non seulement à l’alcool, mais aussi au froid. Sa tenue laissait le haut de ses bras nus, alors que l’on s’acheminait déjà vers l’hiver. Ses clavicules apparentes et son nez lisse et galbé la faisaient ressembler à un mannequin. Elle n’aimait pas se maquiller et n’utilisait que du rouge à lèvres ou se faisait tout au plus une manucure.

Elle me tendit sa tasse vide et je l’acceptai en douceur sans y penser, peut-être à cause de mon temps de travail au manoir. C’était presque comme si j’étais son serviteur, mais j’avais haussé les épaules et je m’étais dirigé vers la cuisine pour préparer du thé.

Si Marie était de si bonne humeur, c’était en partie grâce à la présence de son amie Wridra. La jeune fille elfe s’était approchée d’un pas sautillant et s’était assise à côté de moi, les yeux pleins de joie.

« Est-ce que tu as froid quand tu es un chat, Wridra ? » demanda Marie. « Crois-tu qu’on devrait acheter une chaufferette ? »

« Un futon moelleux et un peu de chaleur seraient les bienvenus, même si le froid ne me dérange pas trop. Contrairement à une certaine elfe qui ne supporte pas un peu de froid », répondit Wridra avec un sourire taquin.

Marie gonfla un peu les joues et parla : « Ce n’est pas juste ! Tu ne peux pas me comparer à un chat recouvert d’une fourrure chaude et duveteuse. Je n’aime peut-être pas le froid, mais c’est aussi le cas de tous ceux qui m’entourent. »

« Alors tu devrais demander à cet homme de t’acheter des vêtements chauds », suggéra Wridra. « Porte quelque chose qui te couvre jusqu’au cou. Même les vents froids ne devraient pas te gêner. Celui-là a la peau dure quand il s’agit du froid, alors n’hésite pas à lui faire part de tes inquiétudes. »

Alors que je leur tournais le dos, mes oreilles s’étaient dressées lorsqu’elles avaient parlé de moi. J’avais grandi à Aomori, mais j’avais déménagé ici à la fin de mes études primaires, alors ce n’était pas comme si je tolérais remarquablement bien le froid. Cette année, il vaudrait mieux que je me procure de vrais vêtements thermiques et un chauffage.

Alors que j’y réfléchissais, la bouilloire s’était éteinte en émettant un sifflement aigu. J’avais éteint la cuisinière, puis je m’étais souvenu de quelque chose.

« Marie, est-ce qu’on peut utiliser les lézards de feu comme chauffage ? Comme lorsque tes esprits de méduses nous ont aidés en été ? », avais-je demandé.

« Hmm, ce serait difficile, » déclara Marie. « Ce sont des créatures très curieuses, alors il pourrait être dangereux de les amener ici. Je pourrais les contenir. Ils pourraient s’égarer et déclencher un incendie, c’est pourquoi ils sont interdits dans beaucoup de villes de l’autre monde. »

Cela semblait effrayant. Comme nous vivions dans un appartement, un incendie mettrait les autres résidents en danger. Il était sans doute préférable d’utiliser un chauffage au gaz.

Nous avions déjà mangé dans le monde des rêves, et il n’était pas nécessaire de préparer le petit déjeuner. Tout ce que j’avais à faire, c’était de préparer du thé que nous avions apporté pour profiter de cette matinée rafraîchissante. Le fait d’aller dans le monde des rêves nous avait aussi été bénéfique sur le plan financier. Nous pourrions même ramener de la nourriture ici si nous le voulions. Même si Wridra s’occupait généralement de ses propres affaires, Marie était une travailleuse acharnée et une acheteuse avisée, alors elle m’aidait beaucoup pour les finances et les tâches ménagères.

J’avais préparé du thé et je m’étais retourné pour trouver les dames en train de parler de leur tenue pour la journée, bavardant comme si elles étaient des sœurs proches.

« Nous allons rencontrer les Ichijos aujourd’hui, alors vous devriez bientôt tous les deux essayer de trouver vos tenues », avais-je dit.

« D’accord ! » dirent-elles à l’unisson en riant. Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire en voyant à quel point l’elfe et la dragonne étaient synchronisées.

C’est ainsi que ma journée de congé commença.

§

Un homme avait gémi en regardant fixement une voiture. C’était un homme qui vivait dans le même immeuble que moi et qui était le mari de Kaoruko Ichijo.

Quand j’avais vu son embonpoint, je n’avais pas pu croire que c’était le même garçon que j’avais vu dans le monde des rêves. Je ne pouvais pas en vouloir à Kaoruko d’être si excitée de l’autre côté après avoir vu à quel point il avait changé. Pourtant, lorsqu’il s’était retourné, il avait le même sourire amical sur le visage.

« Je n’ai jamais vraiment aimé les voitures, mais je t’envie d’en avoir une », déclara Toru.

« Cependant, ce n’était pas facile pour le portefeuille », répondis-je. « J’ai toujours rêvé d’avoir une voiture parce que j’ai grandi dans une région rurale, mais j’envisageais sérieusement de la vendre avant que Marie ne vienne ici. »

Toru fit une grimace comme pour dire qu’il comprenait ce que je ressentais. Les transports étaient si pratiques en ville qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une voiture. Cette commodité se fondait dans le loyer élevé, ce qui rendait difficile le paiement des frais de stationnement et d’inspection des véhicules.

Pendant que nous parlions, les dames étaient sorties de l’immeuble. Marie fit un signe de la main, et Kaoruko était derrière elle dans une tenue adaptée à la saison automnale, nous regardant avec une expression quelque peu embarrassée. Sa tenue semblait être pour quelqu’un de plus jeune que d’habitude, et je supposais que Wridra y était pour quelque chose. L’Arkdragon avait appris chaque jour un peu plus sur la mode et s’amusait à peaufiner son charme féminin. Toru était ébloui.

« Je comprends », avait-il dit. « Quand tu es avec une femme adorable, tu veux la conduire partout. »

« Exactement. C’est pour cela que j’ai gardé la voiture, même si j’ai dû resserrer mon budget ailleurs », avais-je dit.

« Tu as fait ce qu’il fallait », avait-il approuvé, et j’avais hoché la tête.

J’avais ouvert la portière côté passager à Marie qui se tenait devant, et elle avait souri. Elle avait l’air un peu gênée en montrant son gilet brodé de fleurs, même si ses yeux pétillaient d’impatience, comme si elle voulait des compliments. Toru et moi nous étions figés, ce qui avait semblé la satisfaire et approfondir son sourire séduisant.

« Bonjour », déclara Marie à Toru en s’inclinant, puis elle se tourne vers moi. « Désolée pour l’attente. »

Toru me jeta un coup d’œil, comme si le fait de se faire saluer par une belle voix était trop pour lui. Je ne pouvais pas lui en vouloir, car elle avait cet effet sur les gens. Marie le savait et me regarda avec ses beaux yeux d’améthyste.

Il regarda la voiture et secoua la tête, indiquant qu’il aurait aimé en avoir une aussi. Mais je ne l’avais pas laissé faire. Les garçons étaient capables de communiquer sans paroles comme ça.

« Allons-y, nous avons beaucoup de recherches à faire aujourd’hui », déclara Marie en m’étreignant le bras. Je l’avais guidée vers le siège passager, l’avais tenue par le bout de ses doigts fins et l’avais aidée à se baisser dans la voiture.

« Alors, pourquoi allons-nous à la bibliothèque universitaire ? » demanda Toru.

« Oh, c’était en fait la demande de Wridra. Elle voulait aller dans un endroit tranquille où elle pourrait lire beaucoup de livres. Nous aimons aussi les livres et nous avons pensé que ce serait bien de lire ensemble », expliquai-je avec un sourire, sentant qu’il se passait quelque chose. Wridra avait été furieuse hier soir, il était donc difficile de croire qu’elle était d’humeur à lire.

Quant à Wridra, elle s’était faufilée derrière Toru et elle posa sa main sur son épaule. Il s’était retourné, surpris de trouver son beau visage souriant juste à côté de lui. « Hm, il semble que de nombreux Japonais soient très utiles. C’est peut-être parce que la capacité à se battre n’est pas aussi importante ici que dans l’autre monde. J’ai entendu dire que tu avais déjà aidé Kitase à cuisiner. Puis-je présumer que tu es doué pour cela ? »

« Ah. » Wridra voulait recruter Toru comme chef cuisinier. Cela m’aiderait certainement s’il travaillait à ma place, même si je ne voulais pas transformer ses rêves en cauchemars. Voyant que je ne savais pas si je devais dire quelque chose, j’étais resté silencieux. Après tout, je ne voulais pas me retrouver dans le collimateur de Wridra.

« Oui, je suppose. Je cuisine comme un passe-temps, mais je reçois une tonne d’ingrédients de ma famille à la campagne et j’ai parfois des restes », dit Toru avant de se tourner vers moi. « Je crois que tu as dit qu’il était possible d’apporter de la nourriture dans l’autre monde ? »

J’avais hoché la tête.

« Ah, alors on peut peut-être apporter quelque chose au manoir », dit-il, ce qui réjouit Wridra et Marie.

Quand j’y avais réfléchi, j’avais constaté qu’ils avaient partagé de la nourriture avec nous dans le passé. Ils nous avaient donné de la viande et des légumes de grande qualité, que nous avions dégustés chez nous et emportés dans l’autre monde. Lorsque Wridra s’était souvenue de cela, ses yeux s’étaient rétrécis, elle avait souri et avait donné une claque dans le dos de Toru.

***

Partie 2

« Comme c’est merveilleux d’avoir des amis. Kaoruko a aussi été très gentille avec nous. Je te remercie d’avoir accepté de nous faire visiter la bibliothèque aujourd’hui », dit Wridra.

« Non, ce serait un honneur », dit Kaoruko. « Mais es-tu sûre que c’est bien pour moi d’être à côté de toi et de Marie-chan, de respirer le même air — Ah, je veux dire... Qu’est-ce que je dis !? »

Je n’étais pas sûr non plus de ce qu’elle disait. Une sueur froide coulait sur mon visage, et Toru avait une expression similaire et maladroite. Kaoruko couvrait son visage rouge vif, marmonnant des excuses dans ses propres mains. Mais Wridra ne s’inquiétait pas du tout et affichait un sourire joyeux.

« Eh bien, partons. Mais je dois d’abord parler de quelque chose… Toru, c’est quoi cette tenue ? »

Toru portait un costume complet, qui n’était manifestement pas adapté à une sortie décontractée et semblait un peu déplacé.

Il s’était gratté la tête et avait dit : « Je suis désolé, j’ai été appelé au travail après avoir accepté de te faire visiter la bibliothèque aujourd’hui. Mais j’ai contacté une connaissance qui vous fera visiter la bibliothèque même si elle est fermée aujourd’hui. Ça aurait été une bonne occasion de mieux se connaître, alors je suis déçu de ne pas pouvoir y aller. »

Je lui étais reconnaissant qu’il se soit donné la peine de tout planifier pour nous, mais je n’avais pas pu m’empêcher de remarquer que Kaoruko lui lançait un regard plein de ressentiment. Je trouvais dommage qu’il gaspille son jour de congé en travaillant.

« C’est dommage que ton travail te prenne autant de temps alors que tu as trouvé quelque chose de nouveau et d’amusant. Peut-être que tu ne devrais pas travailler autant », dit Kaoruko.

« Je suis tout à fait d’accord. J’aimerais pouvoir rester dans le monde des rêves pour toujours », répondit Toru avec tristesse.

Travailler dans l’administration me paraissait dur, mais j’avais peut-être la vie trop facile, car je n’avais presque jamais eu à faire d’heures supplémentaires. À mon avis, l’important était d’avoir un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Kaoruko n’avait pas fini de se plaindre et avait l’air très contrariée. Elle loucha sur son mari et lui parla : « À ce rythme, je vais coucher avec Kitase-san avant que tu ne rentres du travail. »

Si nous avions bu quelque chose, nous l’aurions immédiatement recraché. Si quelqu’un nous avait entendus, il aurait pu — non, il aurait certainement eu une mauvaise idée. Toru avait retenu la leçon de la fois où il avait dit quelque chose de semblable auparavant, et j’en étais ravi. Il avait failli divorcer.

« Bien sûr, ça ne me dérangerait pas si tu couchais avec lui, mais… » dit Toru, puis il se tourna vers moi. « Je n’ai pas besoin de m’inquiéter, n’est-ce pas ? Tu ne le prends pas mal, n’est-ce pas ? »

« Bien sûr que non ! Je sais qu’elle l’a dit littéralement ! Juste aller dormir, rien de plus, rien de moins ! »

Il jeta un coup d’œil à Marie, qui penchait la tête en signe de confusion sur le siège passager, puis soupira finalement de soulagement. Je ne savais pas ce que je ressentais à l’idée que mes paroles ne suffisent pas à la rassurer. Quoi qu’il en soit, je ne me souvenais pas d’avoir fait quoi que ce soit qui aurait pu la pousser à me soupçonner.

En vérité, j’étais heureux que les Ichijos aient hâte de revisiter le monde des rêves. J’aurais juste aimé qu’ils fassent un peu plus attention à leur formulation lorsqu’ils en parlaient. Toru et moi avions l’air plutôt fatigués de cet échange, mais les femmes à l’arrière étaient tout sourire.

En voyant leurs expressions joyeuses, mes inquiétudes semblaient arbitraires. Il faisait beau en cette belle journée d’automne, et nous nous apprêtions à aller profiter de notre visite dans une bibliothèque universitaire historique.

« Allons-y, tout le monde, » déclarai-je, puis je me tournai vers Toru. « S’il te plaît, fais-nous savoir quand tu auras fini ton travail. »

« Une chose est sûre. Amusez-vous bien ! » répondit Toru.

Nous avions mis nos ceintures de sécurité et salué Toru alors qu’il s’éloignait. À en juger par son expression, il envisageait sérieusement de prendre moins de travail pour la première fois.

J’avais commencé à conduire la voiture lentement et en toute sécurité, en remarquant que les ginkgos qui bordaient les rues avaient pris une belle couleur jaune.

§

Le soleil était chaud, mais il faisait encore froid quand j’avais abaissé la vitre. C’était juste avant l’heure du déjeuner, un week-end, alors nous allions sûrement rencontrer des embouteillages d’ici peu. Sur le siège passager, Marie semblait beaucoup aimer sa tenue d’automne, car elle balançait ses pieds et se tournait vers la banquette arrière. Elle avait également l’air impatiente de parler à notre invitée inhabituelle.

« Tu t’es endormie au manoir avant nous, n’est-ce pas ? » demanda Marie à Kaoruko. « Vous êtes-vous réveillées dans le même lit ? »

Kaoruko fixa l’Arkdragon et l’elfe, et parut un peu surprise lorsqu’elles la mentionnèrent. Peut-être était-elle nerveuse à l’idée de se trouver dans la même voiture que les femmes d’un monde imaginaire. Ce n’était pas souvent que la plupart des gens se retrouvaient entourés d’êtres mythiques, après tout.

« Oh, non, je me suis vraiment réveillée dans mon lit », déclara Kaoruko. « Je parlais juste de l’étrangeté de la situation et je me demandais si c’était vraiment un rêve au début. »

Même moi, je m’étais posé la question. Elles n’étaient pas là quand je m’étais réveillé ce matin-là, et j’avais même vu que ma porte d’entrée était fermée à clé. Cela signifiait que nous étions allés dans le monde des rêves dans mon lit, mais qu’elles s’étaient réveillées dans leur propre lit à la maison. C’était en effet étrange, mais pratique. Je ne voulais pas que tout le monde s’entasse dans le lit, et j’aimais bien prendre mon temps pour me réveiller. Est-ce que cela pourrait être la raison ? Est-ce qu’une puissance supérieure nous a fait de la place pour que nous puissions nous réveiller confortablement ?

J’avais l’impression que quelqu’un gérait notre transport vers le monde des rêves. Par exemple, lorsque j’étais tombé dans la lave, je m’étais retrouvé dans un endroit sûr à une certaine distance lors de ma prochaine visite. Avec les Ichijos, j’avais eu l’impression qu’un apport émotionnel personnel avait joué un rôle, et que quelqu’un avait décidé qu’il serait préférable qu’ils se réveillent chez eux. Si j’avais un jour la chance de rencontrer ce mystérieux administrateur, j’aimerais lui demander ce que tout cela signifie.

Peu après, j’avais tapé sur le volant et j’avais dit : « Hmm. Donc, tu te réveilles de ton rêve si tu t’endors de l’autre côté, même si je ne suis pas là. Alors tu es peut-être comme moi. Si je meurs, si je m’endors ou si je me fais vaporiser, je me réveille dans mon lit. »

« Je voudrais éviter de mourir. C’est effrayant, même dans mon rêve », déclara Kaoruko. « Mais quand mon mari a fait une sieste, il a dit qu’il s’était endormi normalement. Je sais que j’ai mal choisi mes mots tout à l’heure, mais il m’arrive de penser que j’aimerais bien aller jouer dans ce monde avec vous deux. S’il te plaît, protège-moi si je reviens, Kitase-san. »

Elle avait l’air plutôt enthousiaste. J’étais tout à fait d’accord et j’avais hâte de leur faire découvrir le monde des rêves, mais je voulais d’abord savoir certaines choses.

« Je me demande pourquoi tu ne retournes pas dans ton monde quand tu y fais une sieste », avais-je dit.

Marie, qui mangeait des snacks sur le siège à côté de moi, m’avait regardé avec une expression confuse. Elle s’était léché le doigt, puis s’était tournée vers la banquette arrière.

« En y réfléchissant, je ne suis pas sûre. Je me demande comment ça marche. »

« C’est aussi ainsi que cela fonctionne pour moi. Sans Kitase, je n’aurais pas pu retourner au Japon ni dans mon monde. Peut-être que ceux qui viennent du Japon et nous sommes traités différemment. Notre monde est un royaume de rêve du point de vue de ceux de ce monde, mais nous ne le voyons évidemment pas de cette façon. Je me pose des questions sur ce Kitase qui a l’air endormi. Regardez son visage. S’il meurt au Japon, je ne serais pas surprise qu’il se réveille dans notre monde en marmonnant qu’il a bien dormi », dit Wridra en me montrant du doigt dans le rétroviseur.

J’avais aussi surpris dans le miroir Kaoruko en train de rire. Est-ce que j’ai vraiment l’air si endormi ?

Kaoruko était une grande fan de jeux vidéo, et elle se rendait compte qu’elle pouvait visiter un monde imaginaire quand elle le voulait. Elle m’avait regardé avec un petit sourire dans les yeux et m’avait demandé : « Est-ce qu’on peut choisir n’importe quelle compétence ? J’ai toujours voulu être un lanceur de sorts ! »

« Eh bien, tu as de la chance », dit Wridra. « Il se trouve que Marie et moi sommes d’excellents lanceurs de sorts. Cependant, je soupçonne que ton trait serait plus proche de celui d’un elfe. »

Cela m’avait rappelé l’incident survenu il y a longtemps, lorsque Kaoruko avait vu un esprit de glace qui n’aurait pas dû être visible pour les gens ordinaires. Je me souvenais d’avoir dit qu’elle était peut-être très à l’écoute des esprits. Curieux, je m’étais joint à la conversation.

« J’avais toujours voyagé en solo, donc je ne sais rien de mon trait de caractère. Je n’ai pas eu l’occasion de voir les compétences des autres. Est-ce que c’est comme un talent naturel ? »

« En effet. C’est une capacité qui a un fort potentiel de développement et qui peut devenir la caractéristique déterminante de quelqu’un. Alors qu’elle pourrait devenir une compétence sans valeur, elle pourrait être charmante et utile à sa manière. Je ne recommande pas de te forcer à entrer dans un archétype tel qu’un chevalier ou quoi que ce soit d’autre qui soit populaire de nos jours. »

Je trouvais que les chevaliers étaient cool et j’aurais aimé en être un. Si j’avais été plus grand, j’aurais aimé brandir un bouclier en métal et une épée géante. En y réfléchissant bien, mes limites de poids n’étaient plus aussi strictes depuis que ma compétence de mouvement avait changé.

« Oui, j’ai décidé. Je vais m’acheter une armure et une cape cool — ! »

« Non », Marie m’interrompit, faisant s’évanouir ma résolution comme une volute de fumée. J’avais regardé la fille elfe qui faisait un « X » avec ses bras, et une perle de sueur roula sur mon visage.

« Je déteste l’idée que tu puisses porter une telle tenue. Si tu achètes quelque chose comme ça, j’écrirai “Kazuhiho” sur ton casque. »

« Marie… Je ne le ferais pas seulement parce que je trouve ça cool. C’est pour pouvoir protéger tout le monde… » J’avais essayé d’expliquer, mais elle n’avait pas voulu.

« J’écrirai aussi “Kazuhiho est ici” sur ta cape. »

Cela n’avait servi à rien. Marie n’allait pas reculer sur ce coup-là.

Je lui avais alors dit que j’avais abandonné, et elle hocha la tête comme si elle s’y attendait. Wridra et Kaoruko avaient également hoché la tête. Les femmes ne comprenaient pas que les hommes aimaient ce look. Je pensais qu’il était plus anormal de se promener dans le donjon en tenue décontractée. Pourtant, je n’arrivais à convaincre aucune d’entre elles d’être d’accord avec moi.

Comme je m’y attendais, nous avions rapidement ralenti. Après avoir dépassé la gare de Kinshicho et alors que la rivière Sumida apparaissait devant nous, nous avions été confrontés à une circulation dense de stop-and-go. Au lieu d’être frustrées, les passagères semblaient s’amuser.

« J’ai toujours pensé que vous étiez quelqu’un de spécial, Mlle Wridra. Vous semblez encore plus merveilleuse maintenant que je sais que vous êtes un dragon », dit Kaoruko.

« Hah, hah, il y a beaucoup de dragons, mais très peu sont aussi intelligents que moi. Tu as un œil très perspicace », répondit Wridra en touchant le bout du nez de Kaoruko. À ce moment-là, Kaoruko pressa ses paumes contre ses joues et poussa un cri.

« Depuis quand a-t-elle commencé à l’appeler “Mme Wridra” ? » m’étais-je demandé. Kaoruko était folle d’elle. Je m’étais demandé si je devais dire quelque chose à Toru ou s’il valait mieux qu’il ne le sache pas. J’avais finalement décidé que c’était mieux ainsi et je m’étais tu.

« Et toi, Marie-chan — quand je pense que tu es une elfe bien plus âgée que moi. J’ai toujours pensé qu’il y avait un air mystique chez toi, comme un personnage de conte de fées. Je suis si heureuse d’avoir appris à te connaître », dit Kaoruko en approchant son visage de celui de Marie.

Marie était un peu déconcertée. Même si elle avait toujours eu beaucoup d’attention, c’était un peu différent.

***

Partie 3

« Merci, mais c’est un peu trop. Il n’y a pas beaucoup d’elfes, mais nous ne sommes pas si rares que ça », dit Marie.

« Oh, ne sois pas si modeste », poursuit Kaoruko. « S’il y avait beaucoup de gens aussi mignons que toi, je ne saurais pas quoi faire ! Ah, je risque de m’évanouir en te voyant de si près ! Tu ne le sais peut-être pas, mais j’aime les belles femmes ! »

Est-ce qu’elle vient de dire ce que je pense qu’elle a dit ? La sueur roula sur mon visage pendant que je conduisais, mais ce n’est pas ce qu’elle avait voulu dire. Elle voulait probablement dire qu’elle appréciait ces femmes comme on apprécie l’art, et non dans un sens romantique. J’avais décidé de croire que c’était le cas.

Kaoruko était semblable à moi en ce sens qu’elle aimait les mondes fantastiques du fond du cœur. C’est pourquoi les elfes et les dragons l’avaient émue, la rendant étourdie à l’idée de visiter l’autre monde. Cela expliquerait pourquoi elle avait rapidement accepté la situation malgré le fait qu’elle soit si peu crédible. Ainsi, lorsqu’elle disait aimer les femmes, elle devait parler de celles des mondes fantastiques. Oui, c’est forcément ça. Je ne savais pas trop pourquoi je tenais tant à me convaincre, mais cela me paraissait logique.

Sa question suivante ne m’avait pas seulement surpris, mais les deux autres aussi.

« Alors, quelle langue dois-je apprendre en premier ? »

Quiconque aurait suivi un cours de langue étrangère à l’école sait combien il faut de temps et d’efforts pour apprendre une nouvelle langue. Ce qu’elle prévoyait de faire s’apparentait à un apprentissage de l’anglais à partir de zéro, et sa volonté de relever le défi m’avait surpris.

Marie posa un doigt sur son menton d’un air pensif, puis se tourna vers moi.

« Il serait plus rapide de demander à quelqu’un qui a de l’expérience dans ce domaine. Quelle langue de notre monde lui suggérerais-tu d’apprendre en premier ? »

J’avais presque oublié que j’avais appris plusieurs langues. C’était amusant d’élargir mes horizons avec chaque nouvelle langue que j’avais apprise, même si elles étaient inutiles dans mon monde. Après y avoir réfléchi un moment, j’avais décidé de partager mon point de vue.

« Compte tenu de ce que Wridra a dit à propos des traits de caractère, je suggère l’elfique. C’est peu courant, mais tout le monde ici peut le parler. L’important, c’est que tu puisses l’utiliser pour contrôler les esprits. Pour communiquer avec d’autres personnes, la langue commune est utile aussi. Mais… » Nous nous étions heurtés à d’autres embouteillages, alors j’avais fait demi-tour. Les yeux de Kaoruko étaient illuminés par une fascination pour l’inconnu. J’avais senti que je devais dire ce que je voulais vraiment recommander. « Vous devriez apprendre la langue ancienne à un moment ou à un autre. C’est l’origine et le centre de toute la culture. Avec votre volonté d’apprendre tout et n’importe quoi, je vous recommande vraiment de l’apprendre. »

J’avais cru voir quelque chose changer dans ses yeux, comme des lumières qui scintillent alors qu’elle absorbait mes paroles. Peut-être l’avais-je imaginé, mais c’est ce qu’il m’avait semblé.

« Je le ferai, Kitase-sensei », dit-elle en affichant un joli sourire, ses cheveux noirs jusqu’aux épaules se balançant avec le mouvement. Ses yeux étaient pleins de joie, et je trouvais son expression éblouissante.

Nous étions proches en âge, mais la relation entre le professeur et l’élève me semblait juste.

« Bienvenue dans le monde des rêves », lui avais-je dit. « Et bienvenue à Toru, même s’il n’est pas là. J’espère que vous prendrez plaisir à apprendre de nombreuses choses qui enrichiront vos vies. »

J’avais l’impression de prononcer des mots de bienvenue ringards lors d’une cérémonie d’entrée à l’école. En tant que personne ayant passé près de vingt ans à visiter le monde des rêves, personne n’était plus qualifié que moi pour les prononcer.

Mais je n’étais pas sûr de ce que ressentait Kaoruko, même si je la vis frissonner. Elle s’était serrée avec ses bras comme si elle était submergée par une vague d’émotions, puis elle poussa un soupir chaleureux. Elle approcha son visage du mien, un peu trop près pour quelqu’un qui n’était qu’un voisin, et écarta ses lèvres brillantes.

« J’ai hâte d’y être. Et… Je te serais reconnaissante que tu n’en parles pas trop parce que j’ai déjà du mal à attendre. »

Elle devait être plus excitée que je ne l’avais imaginé, vu qu’une larme roula sur ses joues roses. Ensuite, elle l’essuya rapidement d’un doigt, me surprenant, mais sa réaction n’avait pas été négative.

Wridra lui tapota la tête pour la réconforter. Elle était enfin prête à entrer sérieusement dans ce nouveau monde. Peut-être envisageait-elle un avenir où ses amis l’accueilleraient à bras ouverts et discuteraient de ce qu’ils feraient dans la journée. Je voulais qu’elle profite pleinement du monde des rêves et je ferais tout mon possible pour l’aider.

La circulation s’était calmée avant même que je m’en rende compte, et le trajet était devenu beaucoup plus fluide. Nous étions partis il y a seulement une trentaine de minutes et j’étais heureux de voir à quel point les dames s’étaient déjà rapprochées.

Je n’avais pas pu m’empêcher de me demander pourquoi mes paroles de tout à l’heure semblaient avoir affecté Kaoruko si profondément. À ce moment-là, j’avais pensé que quelque chose que j’avais dit avait peut-être touché sa corde sensible et j’avais lentement appuyé sur l’accélérateur.

§

Je regardais une feuille jaune tomber lentement sur le sol. Le cycle des saisons existait ici comme dans n’importe quel monde, et il y avait un net air de mélancolie à l’approche de l’hiver. Pourtant, c’était la façon de faire de la nature et c’était quelque chose d’autre que ce que nous, les humains, pouvions faire. Le changement des saisons était inévitable, et j’avais déjà vécu la transition vers l’hiver à de nombreuses reprises. Cela faisait partie des événements prédéterminés qui se répétaient, comme travailler, faire des tâches ménagères ou aller à l’école lorsque j’étais encore étudiant. J’aurais déjà dû me lasser de tout cela.

Ce spectacle était certainement l’un de ceux que j’avais déjà vus un nombre incalculable de fois. Je n’avais aucune raison qu’il m’affecte à mon âge, du moins c’est ce que je pensais. Avant même de m’en rendre compte, je m’étais arrêté de marcher parmi la myriade de feuilles qui dansaient dans l’air autour de moi. Elles tombèrent doucement en un tas sur le sol à côté d’un banc où était assise une belle fille qui ressemblait à une fée.

On aurait dit une page tout droit sortie d’un livre d’images colorées. Elle fixait un ginkgo, ses pieds scintillants d’or dans la chaude lumière du soleil, ses cheveux aussi blancs que du coton. Si les fées existaient dans ce monde et si l’une d’entre elles pouvait se transformer en humain pour une seule journée, il serait possible de recréer une vue aussi fantastique et pittoresque.

Mariabelle aurait pu attirer mon regard et celui de tous les passants rien qu’en s’asseyant sur le banc couvert de feuilles parce qu’elle était une elfe. Cela ne m’aurait pas étonné qu’elle me dise qu’elle avait utilisé la magie. Tout ce qu’elle avait fait, c’est de me regarder avec ses yeux améthystes et d’adoucir son visage en souriant pour me sortir de ma transe et me faire bouger à nouveau.

Elle me fixait directement alors que je m’approchais, et je sentais mon cœur battre dans ma poitrine. Puis mes nerfs s’étaient quelque peu calmés lorsque je remarquais le chat noir qui dormait sur ses genoux. Une feuille de ginkgo était posée sur sa tête lorsqu’il se réveilla, et je n’avais pas pu m’empêcher de glousser. Cette créature avait l’air bien trop mignonne pour être le familier du légendaire Arkdragon.

« Écoute, » dit Marie, « J’ai dit à Wridra que je voulais faire une promenade toutes les deux, alors elle a envoyé un garde du corps. »

« Il a l’air aussi endormi que moi, mais je ne pouvais pas demander un meilleur gardien », avais-je répondu.

Le familier siffla, ce qui nous fit rire tous les deux.

Pendant ce temps, les tasses que j’avais achetées plus tôt étaient remplies de café latte chaud. J’en avais tendu une à Marie, et ses yeux s’étaient illuminés à la lumière du soleil. Elle avait un air sophistiqué, comme si elle était une dame de haute naissance. Lorsqu’elle avait souri si innocemment, j’avais dû prendre une autre grande inspiration pour stabiliser mon esprit.

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle.

« Oh, ce n’est rien », avais-je dit. « C’est juste que la vue des ginkgos ici m’a coupé le souffle. »

« Je comprends ce que tu veux dire ! Les belles couleurs sur le sol et dans le ciel m’ont stupéfiée. J’ai remarqué cela avec les cerisiers en fleurs. Au Japon, les gens ont planté de nombreux arbres au même endroit, ce qui donne des vues incroyablement vives comme celles-ci. »

Marie m’avait coupé le souffle, mais j’avais fermé la bouche et tendu ma main à la place. Elle l’avait immédiatement prise dans sa main et avait continué à faire l’éloge des ginkgos en se levant du banc.

J’avais acquiescé en l’aidant à se relever, puis j’avais regardé les arbres qui avaient la forme adorable de chapeaux pointus. « Les arbres sont tellement pleins de vie. J’ai été dans beaucoup d’endroits, et ils m’ont émerveillé partout où je suis allé. »

« Ils poussent à de telles hauteurs pour capter la bénédiction de la lumière du soleil. C’est pourquoi les forêts sont si profondes et sombres, et elles ne sont presque jamais aussi colorées qu’ici. »

C’était étrange d’écouter une fille elfe se plaindre de la nature. Ayant vécu dans son village, je savais que les elfes aimaient se plaindre malgré leur apparence d’une beauté stupéfiante. Ils aimaient les sucreries, s’habillaient pour se faire beaux et posaient souvent des questions sur la civilisation humaine lorsqu’ils s’ennuyaient. Marie était particulièrement curieuse dans ce sens. Je trouvais soulageant qu’ils soient comme les gens normaux et qu’ils puissent profiter des mêmes choses que nous.

« Des moments comme ceux-ci vous donnent vraiment un avant-goût de l’automne au Japon », se souvint Marie. « Dans mon village, les oiseaux migrateurs sont les premiers signes du changement de saison. Ils me disaient qu’ils venaient en fuyant parce que l’hiver approchait. »

« En y réfléchissant, j’ai souvent vu des oiseaux se reposer chez toi. »

« Oui, ils devaient avoir besoin de se recharger après avoir volé de très loin. Ils avaient un appétit ridicule. Ils fixaient même longuement mes repas », dit-elle. « Oh, quant aux signes de l’approche de l’automne, tu pouvais le deviner aux fruits qui poussaient, aux bonnets bleus et aux fleurs de Sicrasus. »

« Hm ? C’est quoi un bonnet bleu ? » avais-je demandé.

« Oh, tu as vécu dans notre village et tu ne connais pas les bonnets bleus ? C’est une honte et un peu incroyable, pour être honnête. Tu es vraiment passé à côté de quelque chose. »

Pourquoi me regardait-elle de haut comme ça ?

***

Partie 4

J’avais essayé de me souvenir et je ne me rappelais pas avoir entendu parler de ce « bonnet bleu », même si je n’avais passé qu’un peu moins d’un an dans son village. J’avais donc froncé les sourcils en fouillant dans mes souvenirs, mais Marie s’était esclaffée et m’avait serré le bras.

« Je plaisante ! C’est juste ce qu’on appelle une tenue de mariée. Tout le monde se rassemble avec des fleurs et des plantes bleues pour que la couleur ressemble à celle d’une rivière limpide. Nous n’avions pas de cérémonie quand tu étais là, mais nous utilisons un bonnet bleu en automne et un bonnet blanc au printemps. »

« Une cérémonie de mariage, hein ? Eh bien, je n’étais pas là depuis si longtemps, et j’imagine que les mariages ne sont pas très courants chez les elfes, étant donné qu’ils vivent si longtemps », avais-je dit.

« Oui, mais ils sont tellement amusants. La nourriture a encore plus de goût quand on mange ensemble sous le ciel bleu. S’il y a une autre cérémonie… » Marie s’était interrompue, puis s’était éloignée de moi pour une raison que j’ignore. Le mouvement soudain m’avait semblé froid malgré le temps chaud.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Marie ? » avais-je demandé.

Marie était restée face à moi et elle prit la parole, sa voix se fissurant légèrement. « Rien. » Elle avait fait basculer la tasse dans sa main en se déplaçant avec agitation et avait marmonné « Aïe » en renversant un peu de son contenu fumant.

Elle trébucha.

« Oublie ça, c’est bon… Enfin, ce n’est pas pas bien. En tout cas, c’est tellement agréable pour une promenade pittoresque. S’il y avait un endroit comme ça dans notre quartier, je pourrais m’y promener tous les jours », ajouta-t-elle.

« Oui, je me suis dit que ce serait bien de voir les feuilles qui ont pris les couleurs de l’automne. Je voulais aller à Kyoto, mais Toru s’est contenté de rire quand je lui ai demandé si nous pouvions rester dans de bons endroits. »

« Kyo-to ? » demanda Marie en clignant ses grands et jolis yeux. Elle n’y était jamais allée, il n’était donc pas étonnant qu’elle n’en sache rien. D’un autre côté, j’aurais dû savoir qu’il serait impossible de réserver une chambre dans un endroit aussi populaire à cette période de l’année.

« Je suppose que tu peux considérer ceci comme une sorte d’alternative frugale. Les ginkgos sont le symbole de Tokyo. Certaines universités, comme celle-ci, en ont planté un tas. Tu n’as pas besoin de payer un droit d’entrée pour les voir, il ne faut qu’une demi-heure pour venir ici. »

« Eh bien, “frugal” est l’un de mes mots préférés. Je me sens toujours bien dans les activités qui ne coûtent pas une fortune. Je me sens moins coupable quand tu m’offres des boissons sucrées comme celle-ci », dit Marie en souriant et en laissant sa langue sortir de sa bouche. Notre petite discussion m’avait aidé à me calmer, et j’étais heureux qu’elle se soit rapprochée de moi.

Le chat noir trotta jusqu’aux pieds de Marie, ce qui me fit sourire. Elle me serra la main et me parla de tout ce qui lui venait à l’esprit, et écouter sa belle voix apaisa mon âme.

« Tu ne le sais peut-être pas, mais les esprits deviennent très actifs proches des groupes d’arbres. Les jours de beau temps comme celui-ci, ils deviennent si puissants qu’ils peuvent affecter les émotions humaines. Te souviens-tu de la visite des cerisiers en fleurs au printemps ? Ah — En fait, tu n’as pas besoin d’y penser », dit-elle.

« Ah… » J’avais émis un bruit et m’étais arrêté sur place. Des souvenirs de cerisiers en fleurs vibrants à Aomori et de Marie assise sur un banc me revinrent en mémoire. Je m’étais rapproché d’elle comme attiré par une force mystérieuse, et puis…

« Je t’avais dit de ne pas y penser », dit une voix boudeuse à côté de moi, et mon visage devint brûlant malgré le temps frisquet.

Je ne pourrais pas oublier ce moment si j’essayais, mais je ne voudrais jamais le faire. Alors, j’avais surmonté ma gêne et j’avais pris la main de Marie dans la mienne.

« Nous devrions y retourner un jour », avais-je dit.

« Oui, nous devrions. »

Elle avait détourné le regard quand elle répondit, mais à en juger par son ton, elle était tout à fait d’accord.

J’avais vécu la majeure partie de ma vie dans l’apathie. À mon avis, c’était le cas de la plupart des gens. Les vues que je voyais une fois par an ne m’émouvaient jamais, et je ne pensais qu’au travail que j’avais qui me remplissait l’assiette. Grâce à elle, tout ce qui m’entourait semblait rayonner ces jours-ci.

Les feuilles d’automne colorées captivaient Marie, et sa joie s’était répandue en moi, me remplissant d’une excitation débridée. Toutes les rangées de ginkgos de la ville étaient vraiment à couper le souffle. En la voyant sourire au soleil, je n’avais qu’une envie : continuer à marcher avec elle sur ce magnifique chemin doré.

J’avais remarqué les deux autres personnes que nous devions retrouver. Nous avions dit plus tôt que nous voulions marcher, alors Wridra et Kaoruko nous avaient gentiment donné un peu de temps seul à seul. Elles s’étaient assises sur un autre banc le long des ginkgos et nous avaient fait signe quand elles nous avaient vues approcher.

D’éminents étudiants venus de tout le Japon se rendaient à l’université, ici, dans le quartier de Bunkyo. Comme c’était un week-end, les zones ouvertes au public étaient pleines de monde, y compris des familles et des jeunes.

C’était la première fois que je venais ici, bien sûr. Au-delà de la verdure, il y avait un bâtiment géant. Il y régnait une atmosphère inhabituelle, probablement parce que cette université était l’une des plus difficiles d’accès au Japon. Si j’étais venu ici seul, mes yeux auraient sans doute été braqués dans tous les sens comme ceux d’un campagnard. Mais j’étais accompagné aujourd’hui de quelques compagnons d’un autre monde, et ils avaient été tout simplement émerveillés par le beau bâtiment de l’école.

« C’est un beau bâtiment. Il est digne d’une université prestigieuse et historique », avais-je commenté.

« Oui », acquiesça Marie. « Oh, tu te souviens du portail à l’entrée ? Les portails en bois sont toujours très jolis. Les tuiles du toit étaient aussi une belle touche. Wridra, ne penses-tu pas que notre manoir aurait besoin d’un portail comme celui-là ? »

« En effet. Ce serait encore mieux si nous nous retrouvions entourés d’épéistes armés », dit Wridra.

Je ne savais pas si elle voulait renforcer les défenses du manoir ou se faire attaquer. Les feuilletons historiques étaient de la fiction, mais Wridra pouvait abattre un ennemi après l’autre dans la vraie vie. En y repensant, je ne savais pas trop quand elles avaient commencé à regarder ces émissions, ce qui me poussait à me demander ce qu’elles faisaient pendant que j’étais au travail. Soit dit en passant, Wridra était censée être une fan d’un épéiste aveugle et chevaleresque.

Les rangées de ginkgos offraient un spectacle magnifique. Les feuilles en tombaient et s’empilaient sur le sol, remplissant la majeure partie de la vue de nuances d’or. Tous ceux qui empruntaient quotidiennement ce chemin pour se rendre à l’école devaient se sentir plutôt bien.

Les bâtiments scolaires de part et d’autre de nous possédaient une touche d’esthétique de l’ère Meiji. Ils contribuaient à l’air fantastique, et Marie ne pouvait pas s’en passer. Wridra et Marie s’éloignèrent, attirées par le paysage qui brillait d’une manière différente des cerisiers en fleurs. Pendant ce temps, leur beauté choquait les gens alentour.

J’avais entendu le crissement des feuilles sous les chaussures de quelqu’un et j’avais remarqué qu’une femme se tenait à côté de moi. J’avais alors regardé sur le côté pour trouver une paire d’yeux noirs qui me regardaient.

« Ce campus n’est-il pas magnifique ? C’est ici que mon mari et moi avions l’habitude d’aller. Nous nous promenons encore ici parfois quand nous sommes dans le coin, » déclara Kaoruko.

Elle portait une jupe à carreaux noirs et blancs avec des collants noirs en dessous pour un look moderne. Avec la feuille de ginkgo dans ses cheveux et la couleur subtile de son rouge à lèvres, elle s’intégrait plutôt bien à la vue ici.

Puis elle s’inclina légèrement et dit : « Merci pour tout à l’heure. Ça m’a fait tellement plaisir que vous m’ayez tous accueillie. »

Peut-être se sentait-elle timide, fixant ses doigts pendant qu’elle parlait. Elle cligna des yeux plusieurs fois, et son regard s’adoucit pour laisser place à un sourire.

« Je crois que j’ai abandonné. Je ne m’en étais même pas rendu compte jusqu’à tout à l’heure », poursuit Kaoruko.

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » avais-je demandé.

Elle pointa son doigt, et je l’avais suivi pour remarquer que Marie et Wridra s’éloignaient. Son geste semblait signifier que nous allions les perdre si nous ne les suivions pas. Nous avions commencé à marcher vers les autres, et son regard s’était lentement déplacé de moi vers les ginkgos.

« Nous avons quitté notre ville natale, nous nous sommes mariés, nous avons commencé à travailler et les choses se sont un peu calmées. Je pensais que la vie resterait ainsi pendant les décennies à venir », dit-elle doucement, et je hochai la tête. J’avais ressenti la même chose en travaillant comme employée de bureau. Je voulais vivre en paix, en causant le moins de problèmes possible. « L’idée de sortir et de m’amuser avec des amis me remplit d’une telle excitation que j’ai hâte d’y être. Pendant si longtemps, j’ai été séparée de mes amis proches à Hokkaido. »

J’avais enfin compris où elle voulait en venir. C’était sans doute pour cela qu’elle s’était sentie si émue tout à l’heure dans la voiture. Elle avait versé des larmes parce qu’elle était vraiment heureuse de rencontrer de nouveaux amis et de découvrir un nouveau monde.

Kaoruko avait alors souri pour cacher son embarras et elle parla : « J’ai hâte que vous m’appreniez la langue ancienne, sensei. »

« Êtes-vous sûre de vous ? J’ai peut-être l’air endormi, mais je suis un professeur strict. Seriez-vous capable de suivre ? » avais-je demandé en plaisantant.

« Bien sûr ! Je suis du genre à ne pas pouvoir poser un livre une fois que j’ai commencé à lire, alors je vous utiliserai probablement comme dictionnaire. J’espère juste que vous pourrez continuer à me suivre, » dit-elle avec un grand sourire.

Je lui avais fait signe d’aller de l’avant. Cela ne me dérangeait pas qu’elle me considère comme un dictionnaire pratique et bon marché. Les hommes aiment être utilisés par les femmes, après tout. Pour être honnête, j’étais heureux de cet arrangement. Nous nous connaissions depuis un certain temps, mais j’avais l’impression que nous devenions enfin amis.

J’avais levé les yeux et j’avais remarqué la lumière dorée du soleil qui m’éclairait.

« C’est une sacrée université. Ça sent un peu mauvais, mais je suppose que ça fait partie du charme », avais-je dit.

« Ha ha, vous devrez vous en accommoder. Nous devrions manger quelques noix des arbres et oublier tout ça », suggéra Kaoruko en levant son doigt pointé.

Elle semblait beaucoup plus calme que dans la voiture, peut-être parce qu’elle était de retour en terrain connu. En y réfléchissant, c’était la première fois que je me promenais seul avec elle. Je n’avais jamais imaginé me promener ainsi avec une voisine, et c’était étrange comme les choses s’arrangent parfois.

Les deux autres semblaient avoir terminé leur promenade. Marie s’était approchée en trottinant, puis elle me sauta dans les bras sans ralentir. Je lui avais demandé ce qu’il y avait, et elle leva les deux mains vers mon visage. Sur ses mains gantées semblaient se trouver plusieurs graines ou noix. Quelque chose de lustré émergeait de leurs coquilles craquelées.

« Regarde, nous avons trouvé un tas de noix de ginkgo », déclara Marie.

« L’odeur ne te dérange pas ? » avais-je demandé. « Je me souviens que tu en as déjà mangé et que tu les as aimés. »

« Oui, donc l’odeur ne me dérange pas. Mais ça pue quand même. »

***

Partie 5

D’après son grand sourire, il était difficile de savoir si elle pensait vraiment que ça sentait bon. Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire, et Kaoruko avait fait de même.

Au-delà des rangées de ginkgos se trouvaient de beaux bâtiments scolaires que je qualifierais de gothiques. Sous la chaude lumière du soleil, ils avaient une atmosphère quelque peu solennelle.

§

L’homme qui se tenait devant moi me rappelait un peu Kaoruko, avec ses vêtements propres, ses lunettes discrètes et son atmosphère détendue. Il me tendit quatre cartes d’identité pour notre groupe, et j’avais été soulagé de constater qu’il ne fixait pas Marie et Wridra comme le faisaient la plupart des gens. Ce n’est pas qu’elles ne se distinguaient pas, mais Marie était un peu consciente qu’elle devait ne pas trop attirer l’attention.

« Je serais heureux de vous faire visiter les lieux comme ton mari l’a demandé », déclara-t-il à Kaoruko. « Mais d’abord, permets-moi de te féliciter pour ton mariage. »

« Merci, Hazuki. Je suis désolée de te déranger avec tout ça, mais j’ai pensé que ce serait une bonne occasion de rattraper le temps perdu. J’aurais aussi l’occasion de te voir travailler à la bibliothèque de l’université. »

« Pas de problème du tout. Ça fait un moment, mais es-tu toujours un rat de bibliothèque comme avant ? »

Cette Hazuki semblait déjà connaître Kaoruko. À en juger par la façon dont elle lui touchait le bras pendant qu’ils parlaient, ils étaient assez proches. Il avait d’abord donné une impression de sérieux et de froideur, mais son expression s’était adoucie en un sourire devant elle.

« Alors, permets-moi de te faire visiter les lieux. La bibliothèque est ouverte au public sur rendez-vous en semaine, mais elle est surtout réservée aux étudiants le week-end. J’ai découvert que vous étiez pressés, alors je vais vous guider aujourd’hui. »

Nous nous étions inclinés et l’avions suivi.

Notre guide nous fit traverser le campus, et un grand bâtiment apparut là où les rangées d’arbres se terminaient. Sa conception gothique et l’aspect imposant de la maçonnerie attiraient l’attention. Les bâtiments qui nous entouraient étaient tous de conception occidentale, et j’avais l’impression de me promener dans un monde imaginaire.

Je m’étais retourné, et les yeux de Marie étaient écarquillés, comme je m’y attendais. Comme elle s’attendait à ce que ce soit une sortie ordinaire à la bibliothèque, il n’était pas étonnant que l’impressionnant bâtiment l’ait prise au dépourvu.

Nous avions monté les escaliers à l’entrée pour trouver un pont en arc de cercle orné de verdure. Marie m’avait dit un jour que les portes bien fermées protégeaient les bibliothèques dans son esprit. La différence entre l’attente et la réalité avait dû être brutale.

« Tu ne t’attendais pas à ce que la bibliothèque ressemble à ça, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.

« Cet endroit est tellement grand ! Attends, est-ce la bibliothèque ? Elle est aussi grande que la guilde des sorciers ! »

« Oui, cet endroit est immense. Je me demande si l’ensemble est rempli à ras bord de livres, » déclarai-je.

Marie me serra les bras avec enthousiasme. Elle devait être excitée, car je sentais son poids lorsqu’elle me serrait dans ses bras. Elle fit signe à Wridra, qui gloussa sèchement et offrit son bras à l’elfe. Marie s’était ensuite promenée entre Wridra et moi, comme si nous étions une famille. Je décidai de la laisser faire ce qu’elle voulait et de profiter de notre journée de repos.

De l’autre côté de Marie, des yeux comme des cristaux noirs rencontrèrent les miens. Ils brûlaient de curiosité pour les architectures étrangères, tout comme ceux de l’elfe.

« C’est un excellent bâtiment. Je peux me faire une idée de sa longue histoire rien qu’en le regardant, et la maçonnerie dégage une saveur différente de celle du bois », déclara Wridra.

« Tu penses à ton prochain projet de construction, n’est-ce pas ? » demanda Marie.

« Hah, hah, cela me ramène certainement en arrière. Il y avait d’innombrables trésors de connaissances autrefois. Le raid au troisième étage commence demain, peut-être que je le rénoverai en fonction de cette esthétique. »

Hm ? me dis-je. J’avais peut-être mal entendu, mais l’occasion fut perdue quand Marie me tira par le bras vers l’avant.

Nous étions passés sous l’arche et nous nous étions approchés des portes. Plusieurs portes, apparemment faites de laiton lourd, se dressaient devant nous. Le bâtiment dégageait une impression d’antiquité peu commune au Japon, tout en étant digne d’une université historique.

Un silence complet nous avait accueillis lorsque nous étions entrés dans le bâtiment. La pierre lourde absorbait le son, créant une atmosphère tout à fait inhabituelle. Un tapis rouge ornait les escaliers devant nous, nous invitant à pénétrer plus profondément.

Marie se tourna vers moi et ne put pas contenir son rire. Son sourire rayonnait positivement lorsqu’elle a dit : « C’est merveilleux ! Viens, montons à l’étage ! »

Elle serra mon bras plus fort, et je pouvais presque sentir son cœur battre à travers mon bras. L’excitation de l’inconnu et son amour pour les livres l’appelaient, et elle avait du mal à se contenir.

Le bibliothécaire nous conduit plus loin, en ouvrant lentement la porte. Puis, les yeux de Mariabelle s’illuminèrent encore plus en voyant ce qui nous attendait dans la pièce. Même moi, je n’avais pas pu m’empêcher de laisser échapper un « Wôw ». Je n’arrivais pas à croire que cet endroit se trouvait au Japon.

Le grain de bois tamisé rappelait l’ère Meiji, et le lustre moderne soulignait l’élégance de la pièce. On aurait dit qu’il s’agissait d’une sorte de salle de lecture. Il y avait une longue table vieillie et des chaises, et plusieurs élèves s’y étaient assis. La baie vitrée s’étendait presque jusqu’au plafond, ce qui donnait une impression d’ouverture. Cette installation universitaire était la plus performante du pays et l’atmosphère qui y régnait n’avait rien à voir avec une bibliothèque ordinaire.

Toujours accrochée à mon bras, Marie me regarda et me parla : « Wôw ! C’est donc une bibliothèque pour les grands ! »

« Un endroit si serein », fit remarquer Wridra. « Il est de bon goût et bien éclairé par la lumière du soleil. J’imagine que jouer un film d’animation serait assez amusant ! »

J’avais dû ignorer cette suggestion pour l’instant. Pendant ce temps, Marie me parlait à voix basse, mais elle ne pouvait pas cacher son excitation.

Avant, j’avais entendu dire que la bibliothèque que Marie fréquentait dans l’autre monde était un endroit sombre et souterrain. C’était un conglomérat de magie et de connaissances, et il était très bien gardé pour que ses secrets ne soient jamais divulgués aux étrangers. Je n’étais donc pas étonné qu’il n’y ait pas une seule fenêtre.

Soudain, j’avais senti une tape sur mon épaule. Je m’étais retourné et le bibliothécaire de tout à l’heure me parla : « Par ici. » Il m’indiqua l’extérieur.

Nous avions quitté la pièce selon les instructions, et la porte s’était refermée silencieusement derrière nous.

« C’était la salle de lecture », expliqua-t-il. « Elle est généralement plus vide le week-end, mais il y a beaucoup d’étudiants ici qui se préparent à obtenir leur diplôme ou à faire des études supérieures. Je vais maintenant vous aider à trouver des livres qui vous intéressent, mais je vous demande de ne pas parler entre vous. Quel genre de livre recherchez-vous tous ? »

Marie avait réfléchi pendant un moment, puis elle avait souri doucement avant de parler : « Je cherche des livres éducatifs sur l’agriculture. J’aimerais apprendre à cultiver des plantes dans un climat doux comme celui de Tokyo, qu’il s’agisse de riz, de légumes ou de fruits. Alors, Wridra… »

Puis Wridra sourit et secoua la tête comme pour dire qu’aujourd’hui, tout tourne autour de Marie. L’Arkdragon la serra dans ses bras comme une grande sœur et lui dit : « Hah, hah, fais ce que tu veux et ne t’occupe pas de moi. Je trouverai bien un livre à lire toute seule. En fait, ce bâtiment historique m’intéresse plus que tout. »

« Oh, es-tu sûre ? Je peux choisir le livre que je veux ? » demanda Marie.

J’avais acquiescé. Après tout, je les avais amenées ici pour leur bien et je voulais avant tout qu’elles passent un bon moment. Je me demandais cependant ce qui se passait avec Wridra. Elle avait toujours voulu aller dans un endroit où il y avait beaucoup de livres. Depuis que nous étions arrivés ici, elle n’avait pas mentionné une seule fois les livres qu’elle voulait lire. Je sentais qu’il se passait quelque chose.

Kaoruko hocha également la tête à la question de Marie, affichant un sourire comme une belle fleur épanouie. Cela m’avait fait réaliser à quel point le gilet brodé de fleurs lui allait bien.

« Oh, je commence à être excitée », dit Marie, puis elle m’entoura de ses bras. « Viens, trouvons un livre avant que quelqu’un ne prenne les sièges éclairés par le soleil. »

Je devais admettre que j’adorais à quel point cette fille elfe était pleine de vie. Même si je voulais m’assurer qu’elle ait la meilleure place disponible au niveau de la fenêtre, les places étaient sur réservation. Il n’était pas nécessaire de se précipiter.

Malgré tout, je l’avais laissée me pousser dans le dos alors que nous nous dirigions vers le coin des livres.

++

Il n’avait pas fallu longtemps à Marie pour devenir un rat de bibliothèque. On pouvait entendre la douce rotation des pages près des sièges chauds et ensoleillés près de la fenêtre. Nos regards s’étaient croisés et Marie murmura : « Je suis si contente d’avoir appris à lire moi aussi. » Elle était humble quant à ses capacités de lecture, mais elle parcourait les pages si rapidement qu’on pouvait se demander si elle lisait vraiment. Pourtant, Marie avait affirmé qu’elle absorbait toujours le texte à cette vitesse. Cela m’avait fait penser à la valeur de compétences comme la mémorisation, même dans ce monde.

Kaoruko lisait également un livre sur un siège voisin et profitait de la sérénité. Étrangement, Wridra n’était nulle part de visible. Je m’attendais à ce qu’elle lise à côté de Marie.

Je l’avais cherchée du regard, puis j’avais senti Marie tirer sur ma manche. Elle murmura : « Fais-moi savoir quel genre de livre Wridra est en train de lire. »

Son sourire ensoleillé avait quelque chose de maternel. J’avais cligné des yeux, décontenancé par cet air maternel qui semblait sortir de nulle part. Elle m’avait fait un signe d’adieu avec ses doigts, et je m’étais lentement levé de mon siège pour accomplir la mission qu’elle m’avait confiée.

Je m’étais promené seul dans la bibliothèque de l’université, remarquant que le sol et les escaliers en marbre et les sculptures ornant les murs distinguaient cet endroit des bibliothèques normales. L’atmosphère spacieuse et relaxante avait un sens distinct de l’histoire, et il était intéressant de noter l’odeur des livres qui flottait dans l’air. Je n’avais pas pu m’empêcher d’apprécier l’atmosphère solennelle et sereine.

Cela commence à devenir amusant.

Je me promenais rarement seul, sauf pour me rendre au travail. Il y avait tellement de choses ici qui me donnaient l’impression d’être un aventurier, et c’était rafraîchissant d’explorer cet endroit par moi-même en toute liberté.

Des lampes éclairaient les endroits peu éclairés, créant une ambiance de monde fantastique. J’avais trouvé une table isolée, placée à côté d’une fenêtre dont le rideau était fermé, que je l’avais trouvée étrangement pittoresque. Des livres étaient empilés sur la table, et la chaise vide qui se trouvait à proximité semblait assez confortable.

« Je parie qu’il serait agréable de se détendre ici », avais-je dit.

Il n’y avait personne pour l’entendre, du moins c’est ce que je pensais. J’avais senti un mouvement et j’avais remarqué ce qui semblait être de longs cheveux noirs qui ondulaient. Après avoir cligné des yeux, j’avais vu une paire de grands yeux étroits qui me fixaient.

Une personne porta un doigt à ses lèvres et me fit signe de m’approcher. Je m’étais approché, confus, puis un bras mince se tendit et il m’attrapa.

« Wridra ? Tu étais là tout le temps ? » avais-je demandé.

« Hah, hah, c’est assez amusant quand tes yeux s’écarquillent de surprise », dit-elle en riant aux éclats. Sa langue se montrait légèrement entre ses lèvres rouillées.

Il faisait un peu sombre dans la pièce, et je pouvais voir des grains de poussière danser près de la fenêtre. La robe noire lacée était encore plus belle sur Wridra avec l’intérieur sombre en toile de fond. Sa tenue et l’impression générale qu’elle dégageait avaient complètement changé par rapport à avant. Pourtant, ce n’était pas très surprenant quand je pensais qu’elle était une grande Arkdragon. Étonnamment, je pouvais presque sentir la magie émaner d’elle, même ici au Japon.

« Attends, tu as utilisé une compétence de dissimulation ? » avais-je demandé.

« Hm, je ne m’en souviens pas. Tu es toujours à moitié endormi, alors peut-être que tu n’as pas remarqué », commenta Wridra.

 

 

Avant que je m’en rende compte, Wridra me fit prendre un siège. J’avais alors remarqué une tasse de thé fumant sur la table et j’avais plissé les yeux en la regardant. Les règles de l’université ne signifient-elles rien pour elle ?

***

Partie 6

Wridra avait souri, puis elle reporta son attention sur le livre posé sur la table.

Elle se comportait comme d’habitude, mais à cause d’un étrange changement d’environnement, elle semblait presque différente. Apparemment, elle avait le pouvoir de me faire oublier que nous étions au Japon.

Je m’étais demandé quel genre de livre elle lisait et j’avais regardé pour trouver plusieurs livres de mathématiques comportant des symboles complexes. La table présentait une variété de livres académiques, dont un avec Mécanique des structures au dos, des livres d’histoire liés à la guerre et des livres d’ingénierie.

« Wôw, tu lis tout ça ? » avais-je demandé. « Ne me dis pas que tu essaies de les apprendre tous en même temps. »

« Nn-hm, » dit-elle vaguement.

Je n’arrivais pas à savoir si c’était censé être un oui ou un non, mais j’en avais déduit qu’elle ne me le dirait pas. Au lieu de cela, j’avais suivi le regard de Wridra pour comprendre ce qu’elle lisait grâce au mouvement de ses yeux.

Ses yeux d’obsidienne s’étaient déplacés du haut à droite vers le bas à gauche. Avant même d’avoir tourné la page, son doigt pointait vers un autre livre. Elle feuilleta ce nouveau livre, trouva ce qu’elle cherchait et en prit un autre. Elle était rapide. Mais ses mouvements étaient réguliers, et je pouvais dire qu’elle absorbait les informations à un rythme alarmant. La connaissant depuis un certain temps, je n’avais pas été choqué d’apprendre qu’elle avait de telles capacités.

J’avais alors renoncé à essayer de déchiffrer ce qu’elle faisait et j’avais décidé de traîner avec elle. Ensuite, je pris un vieux livre intitulé World History Changed by Japan (L’histoire du monde changée par le Japon).

Nous avions passé un certain temps à tourner les pages en silence jusqu’à ce qu’elle me dise enfin d’un ton feutré : « Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes ici tout seul. »

Je l’avais regardée fixement, sans savoir si elle me parlait au début. Elle était toujours plongée dans ses livres, et j’aurais pu imaginer qu’il y avait quelque chose de différent chez elle que d’habitude. J’avais fait une pause, ne voulant pas interrompre ce qu’elle faisait, et j’avais attendu qu’elle continue à parler.

« Je quitterai le groupe demain. Cependant, je vous rejoindrai dès que j’aurai fini de m’occuper de mes affaires », déclara Wridra.

« Est-ce à propos de ton mari ? » avais-je demandé.

Le regard de Wridra rencontra enfin le mien. Elle avait des yeux vifs et bien définis, comme ceux d’un chat, et il y avait une pointe de surprise dans son expression. Son léger sourire s’était évanoui et elle referma lentement son livre.

« En effet, » répondit-elle. « Je dois admettre que j’ai eu peur de m’occuper de lui. Ça ne me ressemble pas. »

« C’est compréhensible. Je suis sûr qu’il est important pour toi, et que c’est une grosse affaire — ! »

Mais j’avais ravalé mes mots en remarquant le soupçon de danger dans son regard, et dans l’obscurité, je n’avais pas pu m’empêcher de ressentir un peu de peur. Ses cheveux noirs lustrés avaient ondulé alors qu’elle semblait se ressaisir, puis elle s’en moqua.

« Celle-là n’a rien à voir avec ça. Notre relation diffère complètement de celle que vous avez tous les deux. Il m’a maintenue de force, poussée par son instinct de reproduction. »

Elle retroussa ses lèvres et son regard sombre resta le même, avec l’intensité d’un dragon qui couve. Je ne l’avais jamais vue ainsi. Si Marie avait été là, peut-être ne se serait-elle pas laissée aller à une expression aussi effrayante.

« Est-il… plus fort que toi ? » avais-je demandé.

« Tu ne penses peut-être pas que c’est possible, mais c’était le cas. Depuis, j’ai mis au monde des petits et je leur ai accordé mes noyaux de dragon. J’estime qu’il est deux fois plus fort en termes de puissance brute. Logiquement, je n’ai aucune chance. Cependant… »

Une chaleur parcourut ma main et j’avais baissé les yeux pour découvrir la main gantée de Wridra qui la tenait. La température de son corps était quelque peu élevée, et je pouvais sentir la chaleur se répandre dans le dos de ma main. La sensation m’avait distrait momentanément, puis j’avais remarqué que ses sourcils étaient froncés.

« Je nourris une rage bouillante en moi et je fantasme souvent sur le fait de le réduire en lambeaux avec mes dents. Cependant, j’ai commencé à voir les choses différemment. Si j’avais tendu la main à l’époque, nous aurions pu finir comme vous deux. Cela me fait mal d’y penser », dit-elle.

En l’entendant admettre que cela lui faisait mal sur ce ton malaisé, j’avais compris qu’elle parlait en tant que femme, et non en tant que grand Arkdragon. Elle se tenait devant les chemins qui bifurquaient, essayant de trouver la bonne réponse.

« Que veux-tu faire, Wridra ? » avais-je demandé.

« Je ne sais pas. De plus, je ne comprends rien à son sujet. Je ne l’ai pas vu et il ne m’a pas vu, alors je ne comprends rien. »

J’avais hoché la tête plusieurs fois. Il y avait quelque chose d’important que je devais lui dire, quelque chose qui l’aiderait à décider du chemin à prendre et qui la guiderait vers un meilleur résultat.

Mon esprit était revenu à l’époque où j’avais affronté le candidat héroïque Zarish. À l’époque, elle m’avait gentiment conseillé de ne pas le tuer alors qu’il était inconscient. Sans elle, j’aurais probablement fait quelque chose que je regretterai encore aujourd’hui. Je ne saurais trop insister sur l’importance de cette décision pour moi. Elle savait ce qui allait se passer et m’avait guidé sur le bon chemin. Il était temps pour moi de lui rendre la pareille.

« Wridra, tu es une femme merveilleuse que tout le monde aime autour de toi. Ce qu’il y a de mieux avec toi, c’est que plus je te parle, plus je réalise à quel point tu es géniale. Je veux juste que tu saches que je te trouve géniale », avais-je dit.

Les yeux d’obsidienne de Wridra avaient répondu à mon regard. Elle semblait chercher le sens de mes paroles, mais mon message était simple et n’avait rien à comprendre.

« Tu devrais lui parler », avais-je poursuivi. « Il ne faudra pas trois jours pour qu’il tombe amoureux de toi. Quelle que soit la force d’un adversaire, il n’est plus un ennemi une fois que tu l’as mis de ton côté. Si je me trompe, cela ne me dérangerait pas de donner à la version chat de toi-même mon oreiller préféré. »

« Ce n’est plus un ennemi…, » répéta-t-elle.

Elle ne reconnaissait pas une chose que moi — ou plutôt, quelqu’un d’autre qu’elle — reconnaissait : son charme. La nourriture et les divertissements étaient ses faiblesses, et cela me rendait toujours heureux de la voir si expressive chaque fois qu’elle les appréciait. Mais je ne pouvais pas me résoudre à le dire à voix haute.

« Je ne sais pas trop comment je dois expliquer ce sentiment. J’ai l’impression que tu te fâcherais si je disais que c’est mignon, mais je ne dirais pas non plus que c’est cool… Oh, je sais, je pense que “précieux” est la façon la plus proche de le décrire », avais-je dit.

Il m’avait fallu un peu de recherche, mais j’avais trouvé le mot juste pour décrire son charme. Je l’avais regardée fièrement et j’avais trouvé ses yeux d’obsidienne qui scintillaient dans la lumière du soleil qui passait par la fenêtre. Ses joues avaient une teinte rosée et ses lèvres légèrement entrouvertes frémissaient. Je m’étais demandé par quelles sortes d’émotions elle passait.

Soudain, je l’avais sentie me pincer le dos de la main.

« Yeow ! Aïe, aïe ! Tu vas m’arracher la peau ! » hurlai-je. Alors que mon visage se contorsionnait de douleur, l’expression de Wridra s’illumina d’un sourire. Elle devait être une sacrée sadique, car la mélancolie de tout à l’heure avait disparu sans laisser de traces.

« Espèce d’imbécile. Espèce de bouffon. Toi, l’employé de bureau délinquant au visage endormi qui rentre chez lui immédiatement à la fin de la journée de travail », déclara-t-elle.

« Attends, tu m’insultes ? » avais-je demandé.

« Hmph, je doute que les insultes que je te lancerai parviennent à traverser ton crâne épais. En tout cas, tu proposes une idée intéressante. Quand je l’imagine dans le creux de ma main, mes soucis s’évanouissent comme si je m’éveillais d’un rêve. J’ai l’impression de terminer un roman policier. Ton raisonnement acéré a réduit le problème d’un seul coup. »

Un arôme agréable avait empli l’air tandis qu’une tasse de thé apparaît devant moi comme par magie. C’était peut-être sa façon de me remercier.

« Essaies-tu de faire de moi ton complice ? » demandai-je en gloussant.

« Je te connais. Tu as l’air d’une personne droite, mais tu es du genre à comploter en secret, en attendant l’occasion de renverser la vapeur. Je dois dire que je ne déteste pas les coquins comme toi. »

Elle avait une trop haute opinion de moi. Au travail, les gens me voyaient simplement comme un type ordinaire et inoffensif. Mais je terminais mon travail rapidement pour pouvoir rentrer chez moi immédiatement à la fin des heures de bureau, ce qui ne méritait pas d’être salué.

Nous avions soudain éclaté de rire, bien que nous l’ayons étouffé puisque nous étions dans une bibliothèque. J’avais écouté les doux gloussements de Wridra en buvant une gorgée de thé parfumé. Je faisais attention à ne pas en renverser sur les livres, mais je n’étais pas fière d’enfreindre les règles. Une fois que le rire de Wridra se calma, elle pointa un doigt vers un livre.

« D’abord, je dois m’assurer qu’il écoute. Avec notre différence de pouvoir, il serait juste d’égaliser les chances avec des tactiques sournoises », dit Wridra en souriant.

« Oh ? » dis-je en remarquant la chose plutôt grossière qu’elle pointait du doigt. C’était un livre sur les fusils de gros calibre.

Je me demandais ce que notre Arkdragon préparait, mais elle plissa les yeux dans un sourire séduisant, comme pour me dire que je devais attendre pour le découvrir.

Réparer les relations entre les Ichijos il y a quelque temps avait été une véritable entreprise. Mais une querelle entre deux dragons légendaires allait être d’un tout autre niveau. Comme il s’agissait d’un dragon, j’avais supposé qu’il n’allait pas mourir juste après avoir reçu quelques balles. J’avais donc savouré le parfum du thé en buvant une nouvelle gorgée.

§

Wridra inspira profondément, ferma les yeux et tendit le bras. Sa main frôla une surface rugueuse et texturée. On aurait dit une pierre ou peut-être du métal, mais elle bougeait comme si elle respirait.

L’air était froid contre sa peau, et personne n’avait visité la grotte dans laquelle elle se trouvait depuis longtemps. Toute seule dans cet endroit, elle se pinça lentement les lèvres.

« Cela pourrait changer fondamentalement ma façon d’être en tant qu’Arkdragon », déclara le dragon qui avait traversé l’âge des ténèbres, l’âge de la nuit et l’âge de l’homme. Sa voix contenait une pointe de regret mêlée à l’anticipation et à la joie d’ouvrir une nouvelle porte.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, un dragon couvert d’écailles de la couleur de la nuit à son effigie était apparu. C’était un être fort et majestueux qui dépassait l’entendement humain, avec des yeux clairs et dégagés.

Elle pensait que ses yeux avaient changé lorsqu’elle caressa les écailles du dragon. Avant, elle aurait évité ce genre de batailles imprudentes. Mais son esprit n’avait cessé de chercher un moyen de gagner. Elle sourit, réalisant qu’elle avait guidé le garçon dans la bataille par le passé, alors il serait hypocrite de sa part de fuir maintenant.

Son adversaire était d’une puissance insondable. Le Dragon de la Providence, l’entité antagoniste de l’Arkdragon, l’avait absolument dominée lors de leur dernière rencontre. Étrangement, la fureur qui bouillait en elle comme du magma depuis tout ce temps avait disparu sans laisser de trace.

L’énergie enveloppa Wridra comme une flamme qui brûlait tranquillement. Son armure en forme de robe s’était épaissie, et sa corne et sa queue de dragon s’étaient renforcées. Elle avait transféré ses noyaux de dragon, la source de son pouvoir, dans son corps. Après en avoir absorbé trois, elle comprit ce qu’elle avait voulu dire en changeant sa façon d’être en tant qu’Arkdragon. Elle avait décidé de ne pas se battre en tant qu’Arkdragon, mais sous sa forme draconique. C’était la première fois qu’elle tentait une telle chose, et elle ne pouvait pas dire comment cela allait se passer.

Pendant que Wridra fredonnait un air, elle créait quelque chose d’inconnu dans ce monde. Grâce à sa compétence, la Création, des mécanismes et des suspensions complexes étaient en train d’être assemblés et fixés à un objet cylindrique. Elle l’avait fabriqué en se basant sur la documentation qu’elle avait lue, ce qui avait entraîné des différences dans les détails. De plus, elle avait modifié certaines parties pour que la matière démoniaque puisse servir de source d’énergie.

Les objets s’étaient éparpillés avec un grand bruit de craquement, puis s’étaient réassemblés sous des angles différents.

Après l’avoir assemblé, elle l’avait démonté à nouveau pour l’améliorer. Plusieurs cycles de démontage et de remontage avaient eu lieu, et diverses pièces avaient formé des formes géométriques derrière le dragon rieur.

On sentait qu’elle agissait d’une manière maternelle lorsqu’elle parla : « Ces enfants… Je suis sur le point d’affronter un adversaire aussi redoutable, et ils me demandent quand je reviendrai. Croient-ils que je vais faire une course à l’épicerie ? »

Le canon se fixa au reste de l’arme avec un lourd clic, et elle chargea dans la chambre une balle débordante de matière démoniaque scellée à l’intérieur. Wridra s’amusait avec le processus, trouvant satisfaisant de passer par de multiples révisions pour créer quelque chose de nouveau.

Elle prit une profonde inspiration et expira en se préparant à tisser la plus fine des magies. De plus, elle avait le devoir de faire respecter leurs positions en tant que partie neutre.

Un profond silence s’abattit sur l’antre de l’Arkdragon.

Bien qu’une expression sérieuse et résolue aurait été de mise, Wridra était bien trop heureuse pour faire preuve de stoïcisme. Elle continua à créer d’autres armes que le fusil qu’elle avait déjà fabriqué, et sa tanière ressembla bientôt à un entrepôt d’armes lourdes.

Les armes, produits de la recherche et de l’ingénierie, étaient des œuvres d’art à ses yeux, et elle poussait un soupir extatique.

« Ahh… J’ai hâte d’y être. Bientôt, je poursuivrai de nouveaux sommets de magie à ma guise. Quand je pense que le jour viendra où je comprendrai ce que ressent Kitase », dit-elle en riant.

 

 

Bien qu’elle doive bientôt livrer une bataille grandiose et décisive, elle semblait s’amuser.

***

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