Chapitre 5 : Invitation à un rêve
Partie 3
J’étais retourné dans le hall du deuxième étage et j’avais tout de suite trouvé Toru. Il se tenait seul sur l’aire de repos d’où il pouvait voir le lac scintiller sous les rayons du soleil. Le chat noir nous conduisit, Marie et moi, le long d’une allée, et lorsque nous nous étions approchés, Toru avait détourné son regard du paysage vers nous et nous avait fait un signe de la main.
« Bon retour parmi nous », dit-il. « Et d’ailleurs, quand es-tu parti ? Je ne m’attendais pas à ce que tu me laisses ici… Attends, est-ce vous, Mariabelle ? C’est quoi ces oreilles ? »
« Oh, euh, aurais-je dû les couvrir ? Je suis désolée, j’avais oublié cela. Mais surtout, êtes-vous vraiment le même Toru ? Vous avez l’air si différent. Maintenant, je vois ce que Kaoruko voulait dire, » répondit Mariabelle.
Je ne pensais pas qu’elle avait besoin de se cacher les oreilles puisqu’il était déjà confronté à une vérité bien plus choquante : on pouvait voyager dans ce monde imaginaire et en revenir. Ces pensées me traversaient l’esprit tandis que je regardais un homme-lézard nous apporter du thé. Toru se figea comme un cerf dans les phares lorsque la créature massive apparut, ce qui le détourna de sa question sur les oreilles d’elfe de Marie.
« Faites comme chez vous », dit poliment l’homme-lézard, bien que Toru ne comprenne manifestement pas la langue du monstre. Pourtant, il semblait reconnaître que la créature n’était pas hostile. Je l’avais regardé, et il arborait un sourire troublé.
« Je crois que je commence à comprendre pourquoi Mariabelle est restée chez toi maintenant », me dit Toru, « et aussi pourquoi tu as pensé à la citoyenneté japonaise ces derniers temps. Je suis soulagé de savoir qu’elle n’est pas une réfugiée ou un truc dans le genre. »
À notre grande surprise, nous ne nous attendions pas à ce qu’il assimile la situation aussi rapidement. Le léger tremblement de sa main qui tenait la tasse montrait qu’il avait saisi la gravité de la situation. Sa réaction était bien loin de la façon dont je m’amusais depuis que j’étais venu dans ce monde. Pour ma défense, je n’étais qu’un enfant lorsque j’étais arrivé ici. Si j’étais arrivé à cet âge — en fait, j’aurais probablement réagi à peu près de la même façon. Je n’avais pas trouvé grand-chose de plus amusant que de combattre des monstres.
Nous nous étions assis à côté de Toru et avions dégusté notre thé pendant un certain temps. Les feuilles de thé aromatiques faisaient partie des meilleures choses que l’on pouvait trouver à Arilai. Certaines personnes pourraient trouver le parfum trop fort, car il pourrait dominer la nourriture s’il était associé à un repas. Personnellement, j’appréciais la sensation de fraîcheur après que le parfum floral ait traversé mes narines. On ne trouvait pas ce genre de thé au Japon, et après l’avoir siroté pendant un certain temps, l’expression de Toru s’adoucit progressivement.
« Cette femme nommée Wridra m’a appris à faire l’enregistrement initial, et j’ai officiellement mis mon nom à “Toru”. C’est étrange. À part le fait d’être beaucoup plus jeune et de ne pas ressentir autant la douleur, je ne me sens pas très différent de la réalité », dit-il en baissant les yeux sur son corps. Le yukata bleu marine qu’il portait s’accordait bien avec ses cheveux noirs.
Le chat miaula comme pour dire : « De rien ».
Toru rapprocha son visage du mien. Peut-être que je l’imaginais, mais il semblait plus intense qu’avant. « Maintenant, j’aimerais te demander quelque chose, si cela ne te dérange pas. Ce bracelet que j’ai reçu tout à l’heure affiche des choses étranges comme mon “niveau” et mes “compétences”. Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que cela signifie… Mais surtout, quel est ton objectif ? »
Je n’arrivais pas à lire l’intention de sa question, et son intensité silencieuse me déconcerta légèrement. Mais les soi-disant objectifs qui me venaient à l’esprit étaient tous assez triviaux. Les yeux violets de Marie me fixèrent, ce que je compris comme signifiant que je devais répondre à la question.
« Eh bien, voyons voir », commençai-je. « Pour l’instant, nous avons construit un manoir ici, nous sommes allés pêcher et nous avons combattu des ennemis pour nous amuser. Nous avons travaillé sur une ferme entre les séances d’entraînement, et les citrouilles devraient bientôt être prêtes à être récoltées. Oh, et l’exploration et le nettoyage de l’ancien labyrinthe font aussi partie de nos objectifs. »
La plupart du temps, nous nous étions contentés de suivre le mouvement. Notre groupe n’était pas chargé d’une grande mission, puisque nous nous rendions sur les lieux qui nous intéressaient. Même si nous avions rencontré des batailles difficiles, quelque chose de bon nous attendait généralement à la fin.
J’avais jeté un coup d’œil à Marie, comme pour lui dire : « Voilà qui résume bien la situation. »
Elle hocha la tête pour indiquer : « Oui, jusqu’à présent. »
Toru considéra mes paroles, puis ses yeux noirs rencontrèrent les miens.
« Alors, tu as prévu d’envahir le Japon ? » demanda-t-il.
« Hein ?! Euh, non, pas du tout. Personne ne peut aller au Japon à moins d’être avec moi, et même si c’est le cas, c’est juste pour visiter un magasin ou un centre de loisirs à proximité », avais-je expliqué.
« Je vois », répondit Toru. « J’ai fait beaucoup d’heures supplémentaires et j’espérais que tu les détruirais ».
Ce commentaire inquiétant était sorti de nulle part. J’avais senti une perle de sueur rouler dans mon dos. Mariabelle avait peut-être remarqué ma réaction, car elle s’était penchée pour me chuchoter à l’oreille : « C’est terrible de dire ça d’un pays aussi pacifique. »
« Eh bien, je ne peux pas lui en vouloir. C’est une société assez stressante. J’ai entendu dire que les gens trouvaient satisfaisant que des villes soient détruites dans les films de monstres, et j’ai moi-même apprécié les batailles violentes », avais-je dit.
« Je vous entends, vous savez », nous déclara Toru. « Hmm. En regardant cette vue, je ne peux pas imaginer que les gens d’ici veuillent envahir notre monde. J’ai réfléchi à des contre-mesures pour ce scénario, mais je suis soulagé de savoir que ce n’était pas nécessaire. »
Une autre pensée troublante. Je savais ce que ces « contre-mesures » pouvaient être. Toru pourrait nous dénoncer à la police. Dans ce cas, il devrait ramener à la maison une sorte de preuve que ce monde existe, ce qui pourrait nous valoir des ennuis. Il semblerait que sa question visait à déterminer si nous représenterions un danger pour le Japon. Ma réponse était totalement à côté de la plaque, mais ce n’était peut-être pas une si mauvaise réponse.
Toru nous avait souri, comme si un nuage s’était dissipé. Quel que soit son âge, il avait toujours ce sourire aimable. « Alors, c’est quoi ce bracelet ? J’ai remarqué que vous en portiez un aussi. Est-ce que tout le monde en a un ? »
« Oui, ils sont distribués dans tous les pays. Tu peux l’utiliser pour changer de compétences ou parler avec des amis pour vaincre des monstres coriaces. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi sur un terrain d’entraînement proche ? Ce sera plus facile de te montrer », dis-je.
Après avoir réfléchi brièvement, Toru accepta et se leva. Il but le reste du thé et nous commençâmes à marcher en suivant le chat noir. Quand je lui avais dit que nous avions mis le lac bleu clair pour rendre les promenades plus agréables, il avait ri comme si je plaisantais.
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Nous arrivâmes bientôt arrivés au terrain d’entraînement, dans une zone ouverte entourée d’une forêt dense. Il avait à peu près la taille d’une cour d’école et il y avait même une école en bois à proximité, semblable à une école au Japon. La principale différence était la présence d’un logement, d’une réserve de nourriture et d’une armurerie.
Des animaux se promenaient ici de temps en temps, mais ils n’osaient pas s’approcher maintenant. Des hommes poussaient des cris de guerre et tenaient des boucliers assez grands pour cacher leur corps en entier, affrontant une horde de monstres. Les lames clignotaient au rythme des cris de guerre, s’enfonçant profondément dans les innombrables monstres qu’ils combattaient. Leurs bras puissants retiraient facilement les lames tandis qu’ils marchaient d’un pas en avant.
« Wôw, c’est impressionnant. On dirait d’anciens soldats romains », dit Toru, impressionné par leurs mouvements sans faille.
« C’est un mur de boucliers. Contrairement à une formation en phalange, ils n’ont qu’environ la moitié de leur corps exposé. Mais en réduisant l’espace entre chaque combattant, ils gagnent en vitesse et en souplesse pour faire face aux combats rapprochés. À en juger par la façon dont ils ont repoussé des monstres aussi puissants, ces individus sont aussi puissants qu’un cheval. Ils ont aussi des compétences pour les soutenir, ce qui explique pourquoi ils ont une mobilité et une puissance de feu si supérieures à celles des soldats romains, » expliquai-je.
Toru fit un bruit qui était un mélange de surprise et d’admiration. Cela l’impressionnait visiblement qu’ils écrasent des monstres qui les dominaient.
J’avais continué, « Ils ont beaucoup augmenté leur niveau l’autre jour. Sur ordre du superviseur du labyrinthe, Messire Hakam, ils ont reconstitué leurs rangs, amélioré leurs compétences et peaufiné leur entraînement en tant qu’unité. »
« Attends, tu veux me dire que c’est de l’entraînement ? Tu dois te moquer de moi. Ce genre de choses devrait être fait en images de synthèse », déclara Toru, avec un demi-sourire.
Il y avait une grande différence entre expliquer simplement quelque chose et permettre à Toru de voir par lui-même. Les images lui permettaient d’assimiler encore plus d’informations, et je n’avais plus qu’à les compléter par quelques mots. C’était pour cela que je l’avais amené ici, mais il semblait que la qualité de l’entraînement avait augmenté depuis ma dernière visite. Cette pensée se confirma lorsque j’entendis un grand boum, qu’un nuage de poussière s’envola dans les airs et qu’une bête géante à quatre pattes apparut.
La silhouette bondit en arc de cercle à une certaine distance, et quelqu’un cria un ordre perçant de la part des troupes. Le monstre fonça vers eux avec une telle masse et une telle vitesse qu’ils auraient été piétinés à mort en hurlant à l’agonie, même s’ils étaient tous armés d’armes à feu modernes. Au lieu de cela, ils dressèrent des couches et des couches de barrières, qui brillaient d’un blanc bleuté en absorbant l’impact de la charge dans un fracas assourdissant. La barrière collective ayant dévié l’attaque en biais, le monstre géant se précipita dans une autre direction. Cela révéla le flanc de la créature, et les troupes tirèrent simultanément avec des arbalètes depuis les espaces entre les boucliers.
« Incroyable ! » s’exclama Toru. « Ça devait être de la magie. »
« C’était le pouvoir des miracles. Les pouvoirs défensifs ont tendance à être de nature sacrée, et l’équipe de Doula, positionnée à l’arrière-garde, s’en est fait une spécialité. Elle dirige une équipe géante appelée le front uni, et Messire Hakam attend beaucoup d’elle à l’avenir. »
Les monstres étaient des adversaires incroyablement redoutables, et les humains n’avaient normalement aucune chance face à eux. C’est pourquoi ils se regroupaient en formation pour s’opposer à leurs ennemis inhumains. Cependant, ce ne serait pas si facile dans l’ancien labyrinthe. Maintenant que les créatures de niveau 100 ne sont plus rares, le nombre seul ne suffirait pas.
De plus, les monstres se séparaient de chaque côté pour laisser la place au prochain adversaire. Une silhouette vêtue d’une armure d’un blanc pur apparut et ouvrit lentement ses yeux démoniaques. Le nouvel arrivant était plus petit qu’un ogre, mais avait l’air d’un guerrier en faisant craquer son cou en prévision du combat.
Il s’agissait de Kartina, qui s’était autrefois battue pour détruire le front uni. Son armure était passée du noir au blanc, mais son extraordinaire pouvoir de destruction restait inchangé. Même Toru, un parfait étranger au combat, sentit la tension brûlante qui régnait dans l’air et comprit une chose : aucun simple humain ne pouvait espérer s’opposer à cet être.
Doula, la meneuse, cria vaillamment depuis le milieu de la formation. Son cri de guerre montrait clairement qu’ils se battaient pour leur vie, ce qui donnait encore plus de sens à leur entraînement.
« Diamant ! Formation du diamant ! Maintenant ! »
« Aye ! »
La formation se transforma après qu’elle eut donné l’ordre, et ils se repositionnèrent en un triangle pointu. Il semblerait qu’ils voulaient que cette formation résiste à une charge, mais tiendrait-elle ? Mais les monstres répondirent à leur question quelques secondes plus tard.
merci pour le chapitre