Chapitre 17 : Bataille contre Charybde
Partie 2
C’est alors qu’une autre femme vaillante fit son apparition. Je ne savais pas trop où elle l’avait trouvé, mais Eve portait un bandeau sur lequel était écrit le kanji de « victoire certaine », et elle se tapait les joues à deux mains. J’avais failli lui demander pourquoi elle était habillée de façon aussi ridicule, mais je m’étais arrêté.
« Tu as l’air d’être prête à y aller », avais-je dit à la place. « Affronter un titan comme ça, ça t’excite aussi, hein ? »
« Hein ? Je ne sais pas de quoi tu parles », répondit Eve. « Mais oui, bien sûr que je suis prête à y aller. J’ai l’intention de gagner n’importe quel combat, et nous sommes censés mener la charge dans l’ancien labyrinthe. Nous ne pouvons pas nous contenter de reculer. »
J’étais déçu qu’Eve ne partage pas mon sentiment, mais ce n’était pas grave. Le simple fait d’avoir des amis qui se battent à vos côtés rend les choses tellement plus amusantes. Je me sentais probablement ainsi parce que je voyageais toujours seul. Eve et moi travaillions très bien ensemble, et elle pouvait réagir habilement à tout ce que je faisais sans que je dise quoi que ce soit à voix haute.
« Alors, tu comprends le plan de Marie ? » avais-je demandé.
« Oui. Pas tellement les parties confuses, mais en gros, il faut juste le bousiller de l’intérieur, non ? Il n’est invincible qu’à l’extérieur, pas à l’intérieur. »
Je n’étais pas sûr qu’elle comprenne, mais comme elle était du genre intuitif, j’avais l’impression qu’elle pouvait s’en tirer en prenant des décisions à la volée. Trop réfléchir pourrait finir par l’affecter négativement… Non pas que je la trouve stupide ou quoi que ce soit d’autre.
« Tu as juste pensé que j’étais stupide, n’est-ce pas ? » déclara Eve.
« Quoi ? Non ! »
Elle m’avait jeté un regard, et j’avais senti la sueur perler sur mon visage. Il semblerait que son intuition était si aiguisée qu’elle pouvait sentir mes moindres pensées. J’avais donc tendu mon poing vers elle, elle savait exactement ce que ce geste signifiait. Elle avait souri, puis avait frappé mon poing avec le sien.
« Faisons-le. Nous allons battre cette chose et nous aurons du bon saké ce soir », avait-elle déclaré.
« D’accord, mais ne fais rien d’imprudent. Assure-toi de suivre mes ordres, d’accord ? » avais-je répondu.
Eve avait souri comme un chat amical. Son caractère aimable était l’une des choses qui la rendaient si sympathique. J’avais pensé qu’elle serait pénible à gérer lors de notre première rencontre, mais nous étions devenus des amis proches sans le savoir. Notre lien s’était peut-être naturellement développé à partir de notre expérience commune de la mort après que Zarish nous ait poignardés.
Soudain, la voix pleine d’entrains de Doula retentit. « Dormeur, Marie, Eve, tout le monde ! Vous êtes tous prêts à y aller ? »
Nous avions tous les trois confirmé que nous étions prêts, et les autres avaient également répondu par le biais du Lien mental.
Le corps titanesque de Charybde émergea de la mer avec une énorme éruption d’eau, signalant le début du combat.
« Commençons la bataille ! Puseri, Kazuhiho, prenez la pointe et approchez la cible ! »
Nous avions confirmé les ordres de Doula et nous nous étions mis en route. Puseri enfourcha son destrier noir, prépara sa lance géante et s’élança sur les flots. Eve et moi avions sauté sur Roon, qui s’était mis à battre des ailes avant de s’envoler.
Mariabelle nous avait fait un signe de la main pendant que nous nous envolions. Elle ne pouvait pas nous accompagner puisque nous allions voler à une vitesse vertigineuse, mais la sorcière spirituelle avait un rôle bien plus important. Prendre un point peut sembler important, mais nous n’étions que des pions dans cette opération.
Nous volions en arc de cercle juste au-dessus de la surface de la mer, le bout des ailes de Roon projetant de l’eau dans notre sillage. Le corps du géant se rapprochait de plus en plus, et nous devions rester attentifs aux tentacules qui se cachaient sous nos pieds. Je devais avouer que je ne détestais pas ce genre de situation tendue. Je me léchai les lèvres, puis Eve me tapota l’épaule.
« Alors, comment allons-nous servir d’appât ? Nous ne sommes que des insectes bourdonnants pour cette chose », avait-elle fait remarquer.
C’était une question à laquelle il était difficile de répondre. Je ne pouvais pas lui dire qu’il suffisait d’être avec moi puisque Charybde aimait les filles en maillot de bain pour une raison inconnue, même si cela semblait ridicule. Eve était sans aucun doute très attirante, comme l’avait prouvé la réaction des autres garçons hier, il était donc peu probable que nous soyons ignorés. Alors que je réfléchissais à tout cela, quelque chose se passa dans l’eau.
« Tentacules en vue ! Je vous envoie les images ! » annonça la voix de Marie.
C’était ça, le frisson d’une bataille où l’on ne peut pas baisser la garde un seul instant. Comme je l’avais dit plus tôt, je ne détestais pas ce sentiment. Des tentacules géants avaient émergé de chaque côté comme pour nous prendre en sandwich, mais j’avais incliné Roon sur le côté et j’avais accéléré vers l’avant. À ce moment-là, j’étais vraiment content que Shirley ait soigné la pierre magique pour qu’elle soit en parfait état, me permettant ainsi de ressentir l’exaltation de ce moment.
« Wôw, whoa ! Attention, tu as esquivé de très peu ces choses ! » s’écria Eve.
« Ça me rappelle quelque chose », avais-je dit. « Tu te souviens quand tu m’as dit de voler jusqu’à ce que je te fasse crier ? »
« Euh, je… suppose ? Peut-être que oui. Qu’en est-il ? » demanda-t-elle.
« Je n’ai pas l’intention de m’arrêter même si tu cries, alors je voulais juste m’excuser maintenant », avais-je répondu.
Eve avait cligné des yeux, puis je nous avais dirigés directement vers le haut. Notre trajectoire nous avait amenés juste au-dessus des tentacules, puis nous étions retombés en chute libre après avoir atteint le sommet. Les tentacules avaient foncé vers l’avant et en dessous de nous, et j’avais entendu Eve déglutir de façon audible.
Ne me blâme pas si tu te pisses dessus.
Tandis que cette pensée méchante me traversait l’esprit, j’avais fait des embardées, zigzaguant dans tous les sens à une vitesse fulgurante. Je ne me contentais plus de piloter. C’était le moment de faire briller les visions de Marie et mes capacités en tant que spécialiste de la mobilité.
« N’est-ce pas amusant, Charybde ? » avais-je dit. « Je vois une mauvaise fin à chaque coin de rue. Nous allons voir lequel de nous deux est le plus persévérant. Je pense que je peux te donner du fil à retordre, si je puis dire. »
J’avais frôlé un tentacule du bout de l’aile de Roon, j’avais plongé et j’avais foncé juste au-dessus de l’eau. L’énorme créature emplissait ma vision et des tentacules nous entouraient. Je ne pouvais m’empêcher de rire, non pas de nervosité, mais de défi face à la difficulté.
Toutes les extrémités des tentacules s’ouvrirent en même temps, révélant de nombreuses choses qui se tortillaient à l’intérieur. Eve poussa un cri, puis j’avais accéléré en direction de l’ouverture de la grotte qui se trouvait devant nous. Je m’étais écarté juste au moment où nous étions assez près pour sentir la puanteur de sa salive, laissant ma passagère aussi blanche qu’un drap.
« C’était bien ! Quelle note lui donnerais-tu sur cent, Eve ? » demandai-je en me tournant vers elle. « Je dirais qu’il mérite au moins un quatre-vingts. »
« A-AAAHHHHH !! »
Eve était habituellement sans peur, mais elle avait finalement atteint sa limite en criant et en m’entourant de ses bras par-derrière. Sa luette était entièrement exposée, la bouche grande ouverte, et elle criait sans cesse « Non », au bord des larmes, alors qu’elle s’était déclarée prête à gagner il n’y a pas si longtemps. Elle n’avait qu’à s’accrocher encore un peu pour remporter la victoire, et je voulais la soutenir sur ce chemin.
« Ton cri sera utile pour attirer l’attention de Charybde », notai-je. « Puseri, c’est l’occasion ou jamais. »
« Il est clair que tu n’es pas un enfant ordinaire », répondit Puseri. « Mais c’est évident, vu que tu as dirigé les élites de l’équipe Améthyste. »
Je n’avais pas la force de lui dire que j’étais en fait un employé de bureau ordinaire. Le compliment était flatteur, bien sûr, mais la culpabilité que j’éprouvais à faire hurler son équipier était plus importante en ce moment. Mais ce n’était pas comme si je m’amusais juste pour le plaisir.
Un bruit sourd retentit de l’autre côté de Charybde. C’était un coup puissant de Puseri, qui possédait les plus grandes capacités offensives de l’équipe Diamant, qui avait frappé directement. Je n’arrivais pas à croire qu’une telle force massive ne soit qu’une simple frappe physique. Sans compter que son destrier noir était d’une rapidité surnaturelle et qu’il s’était déjà éloigné au galop lorsque les nombreux yeux du titan s’étaient tournés vers son agresseur.
« J’ai oublié de préciser qu’il ne s’agit pas d’un combat. Nous jouons juste avec toi. Pour ta gouverne, tu ne m’attraperas jamais à moins d’avoir un atout dans ta manche. » Ce n’était pas comme si Charybde pouvait me comprendre, mais le trash-talking rendait les choses plus excitantes pour moi. C’était agréable, même si j’avais l’air endormi.
« Derrière nous ! Ils arrivent ! » hurla Eve, m’entourant toujours de ses bras.
J’avais alors replié les ailes de Roon, ce qui nous fit tomber tout droit, le vent hurlant à nos oreilles. Nous avions accéléré en descendant en spirale, puis nous avions viré à l’horizontale le long de l’eau, évitant les tentacules qui s’approchaient de nous.
« Les tentacules modifient leur mouvement. D’après ce qui s’est passé la dernière fois, il devrait préparer une attaque à distance ! » avertit Marie.
« Très bien, il est temps de passer à l’étape suivante », avais-je dit.
Les tentacules dirigés vers nous s’étaient tous contractés en même temps. Bien sûr, c’était un spectacle effrayant, mais c’était comme si un groupe de mouches bourdonnant au-dessus de nos têtes se mettait soudain en colère contre nous. Je nous avais arrêtés en plein vol pour provoquer davantage l’ennemi, et puis lorsqu’ils avaient tous tiré une ligne d’eau pressurisée sur nous, je nous avais manœuvrés pour nous mettre à l’abri.
Je savais par expérience à quel point cela pouvait être ennuyeux. Rien n’était plus frustrant qu’un moustique qui apparaît soudainement alors que vous essayez de dormir, mais maintenant que c’était moi qui le faisais, c’était plutôt amusant. C’était assez drôle de voir les tentacules frapper l’eau avec colère, mais ma passagère n’avait pas l’air de le penser.
« Gyaaaaaa !! »
Eve m’avait entouré de ses bras en gémissant à pleins poumons. Je me sentais mal pour elle et je voulais la convaincre qu’il n’y avait aucune chance que nous nous fassions prendre. Grâce au Lien mental, je pouvais entendre les commentaires inquiets de tout le monde, comme « Putain de merde » et « Eve est-elle en vie ? » Mais j’aurais aimé qu’ils aient un peu plus confiance en moi. De plus, le fait que Charybde se concentre sur moi signifiait qu’elle ne remarquerait pas le bruit des sabots approchant par-derrière.
Boum ! Boum !
Les impacts incroyablement lourds d’une lance retentissaient l’un après l’autre. Puseri frappa dès que l’occasion se présenta, puis recula immédiatement. Malgré les innombrables jets d’eau sous pression qui lui tombaient dessus, elle s’en tirait sans qu’aucun n’atteigne sa cible.
La capacité Indestructible de l’ennemi était toujours en vigueur, et même Puseri n’était pas en mesure de laisser une trace. Nous n’avions pratiquement infligé aucun dégât pendant tout ce temps, et la bataille n’était pas prête de s’arrêter. Une seule erreur pouvait nous coûter cher. Alors que je réfléchissais à cette situation désastreuse, la voix familière de Wridra me parvint à l’esprit.
« Hah, hah, on dirait que tu t’amuses bien. Je soupçonne que tu es heureux d’avoir acquis la capacité d’agir rapidement en l’espace d’une seconde grâce à l’Accélération. »
« Wridra ! » avais-je dit. « Tu peux le dire. C’est grâce à cette capacité que je peux me frotter à cette ancienne bête. »
En tant que spécialiste de la mobilité, les compétences dont je disposais me permettaient de me retirer facilement des ennemis. La Surcharge, que j’avais développée lors de mon combat contre le candidat héros, et l’Accélération, que j’avais apprise en m’entraînant avec l’Arkdragon, étaient inégalées. Les attaques des monstres étaient faciles à éviter en termes de timing et de direction, car je pouvais les esquiver automatiquement après les avoir vues une seule fois. Honnêtement, je ne voyais pas comment je pourrais perdre contre Charybde, mais je ne pensais pas non plus pouvoir gagner.
Soudain, j’avais entendu la voix confiante de Marie dans ma tête.
« Tu peux dire que c’est grâce à toi que j’ai élaboré ce plan, Wridra. »
« Oh ? Je ne pensais pas vous avoir donné beaucoup d’indices », répondit l’Arkdragon.
« C’est tout à fait logique. Si Indestructible rendait Charybde invincible, il n’aurait eu aucune raison de craindre l’Arkdragon. Puisqu’elle essayait tant bien que mal de ne pas se faire remarquer, il devait y avoir une faille dans sa défense… une faille qui devrait être assez évidente. »
merci pour le chapitre