Chapitre 6 : Le rendez-vous dans un jardin japonais pour une elfe et un dragon
Partie 3
J’avais desserré ma cravate en contemplant ce qui se passait devant moi. Il était tout à fait naturel que je sois envieux de cette journée d’amusement entre filles.
À bien y penser, passer du temps au Japon était comme un rêve de leur point de vue. Leur réalité était le monde imaginaire de l’autre côté, elles avaient donc pu se laisser totalement aller et s’amuser ici. Même si j’avais passé mon temps à travailler, ces pensées solitaires allaient sûrement être effacées par la perspective des moments de plaisir à venir.
« Hm… Je commence à avoir l’air amer. Cependant, je ne peux pas nier que je suis envieux, » je m’étais plaint à moi-même en descendant du train, et le ciel nocturne de Koto Ward m’attendait après la porte d’embarquement. L’air ici n’était pas trop différent de celui du centre de Tokyo, mais j’étais soulagé d’être de retour.
J’étais sûr que les filles allaient courir vers moi et me raconter leur journée au jardin Kiyosumi dès que je serais rentré. J’avais vraiment hâte, et ce n’est pas comme si j’avais été jaloux plus tôt. En fait, j’étais toujours inquiet quand Marie passait du temps seule pendant que je travaillais. En ce sens, Wridra était rassurante à avoir autour de soi, à la fois dans l’ancien donjon et au Japon.
Beaucoup d’étudiants et d’employés qui sortaient du travail étaient alignés au terminal des bus juste à l’extérieur de la gare. J’avais reconnu la silhouette de quelqu’un par-derrière et j’avais décidé de l’appeler.
« Bonsoir, Toru. »
« Oh, bonjour. » L’homme en surpoids s’était retourné, l’air surpris de me voir. C’était le mari de Kaoruko, un voisin de mon appartement… Je crois qu’elle m’avait dit qu’il avait un travail de bureau pour le gouvernement.
« Nous rentrons chez nous par le même chemin, mais c’est la première fois que nous nous rencontrons par hasard, » déclarai-je.
« Probablement parce que j’ai fait beaucoup d’heures supplémentaires. Oh, et merci pour le repas de l’autre soir. J’ai pris quelques verres avec le délicieux unagi que vous nous avez offerts. » Toru avait alors semblé remarquer quelque chose et avait fait un geste comme s’il buvait avec sa main.
« À propos, aimeriez-vous vous joindre à moi pour prendre un verre ? Vous pouvez boire, non ? » demanda Toru.
« Je suis désolé, mais Marie attend pour dîner à la maison. Et je suis sûr que Kaoruko vous attend aussi, » déclarai-je.
« Ah, vous êtes doué pour refuser les offres. Vous l’avez fait sans me faire sentir mal, et vous êtes tellement attentionné. Je suis sûr que vous vous entendez aussi bien avec tout le monde sur votre lieu de travail. » Je l’avais humblement nié, mais en y repensant, je m’étais plutôt bien débrouillé. J’avais évité tout drame majeur, et j’avais fait mon travail correctement. J’avais toujours veillé à me souvenir des choses qu’on m’avait apprises et j’avais fait attention à ne pas causer de problèmes à mes supérieurs… mais tout cela pour éviter de faire des heures supplémentaires, ce n’était donc pas une cause aussi noble que ça.
« Alors, je suppose que je vais vous le demander en rentrant chez vous. Ah, et voilà le bus, » déclara Toru.
« Hm ? Me demander quoi ? » demandai-je.
« Bien sûr, la raison du séjour de Mariabelle. Mais c’est juste par curiosité. Cela n’a rien à voir avec mon travail, » demanda Toru.
J’avais ressenti une soudaine pointe de panique face à ces mots inattendus, mais j’avais souri et j’avais répondu. « Bien sûr, bien sûr. » Être prudent m’avait vraiment aidé dans des moments comme celui-ci.
L’ascenseur monta lentement.
Je regardais vaguement passer chaque étage, puis un son nous informait que nous étions arrivés à destination. Toru était sorti de l’ascenseur, puis s’était tourné vers moi avec un sourire calme.
« Allons boire un verre un jour. J’ai hâte d’y être. »
« Oui, moi aussi. Bonne nuit. » Il avait fait un signe de la main et la porte automatique s’était refermée entre nous. L’ascenseur s’était remis en marche, et j’avais finalement poussé un long soupir. En vérité, j’étais assez secoué qu’il m’ait demandé la raison du séjour de Marie.
« L’excuse du séjour en famille d’accueil ne va pas marcher s’il a un emploi dans un bureau du gouvernement…, » je me l’étais murmurée à moi-même. En outre, les programmes de placement en famille d’accueil étaient généralement réalisés par des personnes âgées de 18 ans ou plus, et Marie ne semblait pas avoir plus de 18 ans tout comme un collégien ou un lycéen. Et j’avais entendu dire que ces programmes ne duraient qu’un mois environ. Elle était chez moi depuis environ le mois d’avril et le fait qu’elle n’avait même pas été à l’école allait naturellement éveiller les soupçons.
J’avais dit à Toru que Marie était l’enfant d’un parent éloigné, et que je l’aidais dans ses études, mais quelque chose me disait qu’il voyait clair dans mon mensonge. Il souriait en m’écoutant, mais j’avais trouvé étrange qu’il n’approfondisse pas les points importants.
Il était possible que des changements importants se produisent dans notre vie commune… mais il semblait amical, alors peut-être qu’il avait simplement laissé tomber. Il avait mentionné après tout que l’affaire n’était que le fruit de sa curiosité et n’était pas liée à son travail.
Je m’étais tordu le cou et j’étais sorti de l’ascenseur. La vue du ciel nocturne depuis la passerelle était couverte d’épais nuages, les étoiles étant obscurcies par leur voile.
***
Szzz… L’huile avait grésillé.
J’avais les bras autour de Marie, mais nous ne faisions rien qui puisse provoquer la colère de l’Arkdragon. Vêtue d’un tablier, Marie fixait l’huile grésillant avec une expression sérieuse alors que nous cuisinions ensemble.
Mais chaque fois qu’elle me regardait avec ses yeux ronds et son visage tel une jeune femme de naissance noble… Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à quel point elle était mignonne.
« Que dois-je faire ensuite ? Est-ce que ça va ? Tu as l’air distrait, » me demanda Marie.
« Désolé, désolé. Je suis peut-être un peu fatigué par le travail. Umm, tu devrais pouvoir utiliser tes baguettes pour vérifier si c’est prêt, » déclarai-je.
« Cette sensation de croustillant, veux-tu parler de ça ? Hm, c’est assez facile à dire comme ça. » Elle tenait dans ses baguettes un morceau doré de poulet frit. C’était du karaage, un aliment de base dans tous les foyers japonais. Son nez se tortilla lorsqu’elle capta le parfum. Elle avait jeté un coup d’œil au réfrigérateur, peut-être parce qu’elle voulait avoir du vin avec sa dégustation. Cependant, lorsqu’il s’agissait de faire frire beaucoup de karaage, le temps était compté.
« Faisons frire le prochain lot. Je vais préparer la salade en attendant, » déclarai-je.
« Très bien. Préparons cette table en un tour de main grâce à notre travail d’équipe bien coordonné ! » Marie semblait de bonne humeur après avoir pris le coup de main. Elle avait l’air vraiment mignonne en penchant joyeusement la tête à gauche et à droite. Je voulais juste la regarder un moment, mais il était obligatoire de prendre une salade avec du karaage, il était donc temps de se mettre au travail.
Lorsque j’avais jeté un coup d’œil à la table, Wridra était tranquillement assise sur sa chaise pour une fois et regardait le ciel nocturne. L’air était froid après la longue pluie, mais cela ne semblait pas la troubler lorsqu’elle était assise dans son pantalon chaud. Elle avait l’air plutôt pittoresque avec ses membres fins et ses cheveux longs alors qu’elle était assise là, en serrant un genou.
J’avais été pris par surprise lorsque ses yeux d’obsidienne s’étaient soudainement tournés vers moi.
« Vas-tu bien, Wridra ? Tu es terriblement silencieuse aujourd’hui, » demandai-je.
« Hm… Je ne suis pas encore tout à fait habituée à ce monde, mais…, » déclara-t-elle d’un ton hésitant inhabituel, puis elle m’avait fait signe d’un doigt pâle. Je m’étais assis à côté d’elle comme demandé et j’avais attendu qu’elle continue. Puis, Wridra me chuchota comme si elle me disait un secret.
« Il semble que vous ne gardiez pas de secrets entre vous, mais cela doit être difficile de le lui dire maintenant. Je n’ai pas l’intention d’intervenir à ce sujet. » J’avais un peu la tête dans les nuages, mais j’avais tout de suite compris de quoi elle parlait. Elle parlait de ma conversation avec Toru de tout à l’heure.
« Écoutais-tu aux portes ? C’est une violation de la vie privée, Wridra, » déclarai-je.
« Idiot. C’est toi qui n’as pas réussi à désactiver ton lien de communication. Quand ai-je déjà violé ton… Ahem. Retour au sujet… » Ouais, elle venait de se rappeler la fois où elle nous avait espionnés dans le monde des rêves. Mais elle n’avait agi que par souci pour nous, alors j’avais décidé de laisser tomber.
J’avais jeté un coup d’œil à Marie, qui travaillait encore joyeusement sur son plat. Cette vue était comme un trésor à mes yeux.
« Ne t’inquiète pas. Tout se passera bien. Mais ce n’est que mon intuition, comme pour les prévisions météorologiques. » Elle m’avait tapé sur l’épaule. J’avais eu l’impression qu’elle essayait de m’encourager et de me remonter le moral. Je l’avais regardée sans réfléchir, et elle avait affiché un sourire vaillant.
« Ce que j’essaie de dire, c’est : ne t’inquiète pas. Au Japon, on dit que la maladie et la santé commencent par l’esprit, n’est-ce pas ? Ce sur quoi tu devrais te concentrer maintenant, c’est de divertir Marie comme d’habitude, et par extension, moi aussi, » continua Wridra.
J’avais senti la tension quitter mes épaules. Il était vrai que je ne pouvais pas faire grand-chose. Cuisiner, voyager et lire ses livres, c’était à peu près tout. Il me fallait juste trouver comment ces deux-là pourraient vivre au Japon en attendant.
merci pour le chapitre