Bienvenue au Japon, Mademoiselle l’Elfe – Tome 10 – Chapitre 10

Bannière de Bienvenue au Japon, Mademoiselle l’Elfe ***

Chapitre 10 : Combat contre le maître du troisième étage

***

Chapitre 10 : Combat contre le maître du troisième étage

Partie 1

« Je ramasse les assiettes. Posez-les ici si vous avez fini de manger ! » cria Eve pendant que les autres se reposaient. Ses collègues de l’équipe Diamant l’aidaient également à nettoyer, mais elles portaient leur équipement de combat au lieu de leurs tenues de domestiques habituelles.

Une centaine de personnes étaient rassemblées dans le hall et l’odeur alléchante de la bonne cuisine flottait encore dans l’air. Si quelqu’un était entré par hasard, il aurait probablement cru qu’il s’agissait d’une grande salle à manger. Pourtant, cette partie de l’ancien labyrinthe restait inexplorée et la présence menaçante des monstres était palpable derrière la porte close.

Ils venaient de terminer un repas léger et de se reposer en prévision du combat contre le maître de l’étage. Avant, les rations militaires sèches et immangeables étaient la norme, mais tout le monde avait changé d’avis après avoir passé autant de temps au deuxième étage. La mission ne durerait pas quelques jours, mais des mois, voire des années, alors je trouvais cela bien. Les rations étaient immangeables, personne ne devrait manger ça tous les jours. Pas question.

J’avais l’impression que la personne la plus satisfaite de ce changement dans nos habitudes alimentaires n’était pas l’un des guerriers d’Arilai, mais la jeune elfe qui se frottait le ventre à côté de moi.

« Oh, c’était tellement bon ! Rien de tel que des sushis inari sucrés pour se régaler. Heureusement qu’on a préparé notre déjeuner bien avant ça », déclara Marie en elfique, souriant triomphalement en regardant autour d’elle. Elle tourna ensuite son joli visage vers moi. « Tu ne trouves pas ? »

Son attitude était un peu condescendante envers ceux qui nous entouraient, et j’eus du mal à trouver une réponse. Les elfes étaient considérés comme des êtres mystiques, mais elle pouvait parfois se montrer… mondaine, pour ainsi dire. Elle aussi avait autrefois rêvé de richesse.

Marie était une magicienne, comme le montrait clairement le grand bâton posé à côté d’elle, et elle savait même contrôler les esprits. Les lumières qui éclairaient les lieux, semblables à des lustres, étaient des groupes d’esprits de lumière qu’elle avait invoqués. Lorsque je l’avais rencontrée, j’avais senti qu’elle privilégiait l’efficacité avant tout. Maintenant, elle se donnait beaucoup de mal pour que tout le monde passe un bon moment.

« Eve a tellement d’endurance. Elle s’est battue jusqu’à être trempée de sueur tout à l’heure. Je n’arrive pas à croire qu’elle ne soit pas épuisée », dis-je sans réfléchir.

« Ouais », acquiesça Marie. Elle s’essuya la bouche avec un mouchoir, but une gorgée de thé, puis ses yeux violets croisèrent les miens. « Je me demande si j’aurais plus d’endurance si j’étais moi aussi une elfe noire. »

« Hmm, c’est peut-être juste moi, mais même si tu étais une elfe noire, je ne pense pas que tu serais très en forme si tu ne faisais que lire des livres toute la journée, » répondis-je.

« Tu crois ? » demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté.

« Probablement », répondis-je en hochant la tête.

Marie cligna des yeux; ses grands yeux ronds exprimaient son manque de conviction. À première vue, elle aurait été mignonne, petite et mince, même en elfe noire.

À en juger par la façon dont elle se frottait les mollets, elle devait être assez fatiguée. « On a beaucoup marché aujourd’hui. Veux-tu un massage ? » lui proposai-je en m’approchant d’elle.

« Hein ? — Oh non, ça va, » répondit-elle, embarrassée, en agitant les mains de gauche à droite. « Tu es fatigué, toi aussi, non ? » dit-elle, embarrassée, en agitant les mains de gauche à droite. Mais mon offre semblait la tenter, car elle hésita un instant. Elle hésitait probablement parce qu’elle s’inquiétait de ce que les autres pourraient penser, d’autant qu’il y avait beaucoup plus de monde que d’habitude.

Alors que nous nous demandions quoi faire, la grande femme nommée Kartina nous fixait ouvertement. Le blanc et le noir de ses yeux étaient inversés et ses cheveux courts bougeaient chaque fois qu’elle mâchait. J’avais remarqué que son épaisse armure traînait jusqu’au sol derrière elle. La partie supérieure de son corps était découverte, à l’exception du torse, ce qui me rappelait une cigale en pleine mue. Elle portait une armure spéciale appelée « bras de démon ». En raison de sa nature semi-organique, elle l’enlevait pendant les repas. Kartina avala le dernier morceau de sushi inari avant de nous parler.

« C’est bizarre. Les hommes s’occupent-ils des femmes à Arilai ? Comme pour la nourriture. »

« Je ne trouve pas ça si bizarre », répondis-je. Je suis habitué à voyager et je pense qu’il est préférable de s’entraider quand on le peut.

Comme Marie était concentrée sur Kartina, j’en avais profité pour poser ses jambes sur mes genoux. Marie sembla surprise et poussa un petit cri. Je commençai à lui masser les mollets, qui étaient très raides. Lorsque je les pressai à travers le tissu de sa robe, je constatai qu’ils étaient tellement enflés qu’ils repoussaient mes doigts. Cela allait être difficile de continuer à marcher ainsi. Pendant que je massais ses mollets, elle laissa échapper un gémissement étouffé.

Marie poussa un nouveau cri, probablement parce que Kartina s’était jointe à moi. Kartina passa ses bras derrière Marie et lui massait les épaules avec des mains expertes.

« Hum, tu es maigre. Je sais que tu es une lanceuse de sorts, mais tu devrais te mettre en forme. C’est un peu problématique que tu te fatigues plus vite que nous quand on monte Roon. »

« C’est vrai, mais je n’étais pas sur Roon tout le temps. Avant, j’ai dû marcher beaucoup plus vite parce que j’étais pressée. J’admets que je ne fais pas assez d’exercice, mais j’ai mon propre rythme. — Oh, là, c’est bon, » dit Marie en fermant les yeux.

Kartina et moi avions souri. Marie vivait dans son village depuis cent ans, avait grandi en tant que sorcière spirituelle et s’apprêtait à défier le maître du donjon dans l’ancien labyrinthe. Elle était suffisamment puissante pour être notre bouée de sauvetage lors de la bataille à venir. Et pourtant, elle était là, adorable comme un chaton.

On disait que marcher trop rendait les jambes « raides comme un piquet ». C’était à cause de l’accumulation d’acide lactique et ce massage était censé favoriser la circulation sanguine et assouplir les muscles raides. Je massai ses talons, ses mollets, puis l’arrière de ses genoux, comme pour pousser l’accumulation vers le centre de son corps. Avant que je m’en rende compte, Marie se pencha en arrière contre Kartina, complètement détendue.

« Oh, c’est agréable… », murmura-t-elle d’un air rêveur.

Cette remarque attira l’attention de quelqu’un. Une femme s’approcha de Marie, ses talons claquant sur le sol et ses cheveux roux flottant à chaque pas. « Qu’est-ce que fait la petite dormeuse ? Ah, je vois. Tu veux que cette elfe ait le visage endormi comme le tien. »

Marie avait l’air heureuse il y a quelques instants, mais pour une raison que j’ignore, cette simple remarque la fit pâlir. Elle tendit la main vers son bâton, puis tenta de rassembler ses forces pour se redresser.

« Je ne laisserai jamais ça arriver ! » déclara-t-elle.

« Pourquoi pas ? On dit que les couples mariés finissent par se ressembler, et vous êtes toujours ensemble », déclara Doula.

« Mais nous ne sommes pas mariées ! » protesta Marie. « On vit juste ensemble, on cuisine à tour de rôle et on se partage les tâches ménagères… »

Doula regarda l’elfe compter ses doigts pendant qu’elle énumérait ses arguments, puis pencha la tête sur le côté, comme pour dire que Marie n’allait pas dans le bon sens avec ses arguments.

Pendant ce temps, Kartina acquiesçait d’un air entendu. « Oui, c’est exactement comme ça quand on a un compagnon d’armes. On est toujours ensemble, même au combat. Même des partenaires entraînés ressentent du stress quand ils cohabitent, mais vous deux, vous êtes tellement naturels l’un avec l’autre. Vous semblez parfaitement assortis, alors elle a raison. Tu semblais très fatiguée tout à l’heure. »

Marie fit une grimace à cette dernière remarque. Je ne savais pas trop quoi penser, mais Marie me jeta un regard comme pour me demander si nous nous ressemblions vraiment. Alors que je réfléchissais à ma réponse, je remarquai que les soldats se préparaient à partir.

« Oh, il est temps de partir. On devrait aussi se préparer », dis-je.

« On a encore un peu de temps. Je suis venue ici pour revoir nos plans tant qu’il est encore temps », dit Doula, puis elle se tourna vers son futur mari. « Zera, viens ici toi aussi. »

Doula, la superviseuse de l’opération, et Zera, l’homme qui allait mener le raid, s’assirent à proximité. Les servantes, ou plutôt l’équipe Diamant, le remarquèrent également. Après un moment, tout le monde se rassembla autour d’eux, les assiettes en bois s’entrechoquant. Le groupe d’hommes et de femmes armés, assis en cercle, donnait l’impression qu’on était là pour écouter un caïd nous faire un cours sur les tactiques de combat. Même si Marie et moi avions l’air d’enfants, nous avions gagné notre place ici après avoir passé tant de temps dans le labyrinthe. Bien sûr, nous ne pouvions pas continuer notre massage dans ces conditions, alors Marie retira discrètement ses jambes et redressa l’ourlet de sa robe.

Les yeux argentés de Doula se tournèrent vers Marie. « Marie, je suis désolée de te faire travailler juste après ton repas, mais pourrais-tu projeter le hall du troisième étage ? »

Avant de faire notre pause, Mariabelle avait déployé son Gardien vigilant devant le hall où le gardien de l’étage nous attendait. Cette compétence nous permettait d’avoir une vision de ce qui se passait dans sa portée. Nous n’étions pas sûrs que cela fonctionnerait au début, car il y avait déjà eu des interférences magiques, mais cela avait fonctionné sans problème. Une lumière apparut, indiquant ce qui semblait être le maître des lieux.

Seul le nom « Adom Zweihander » apparut. Le Gardien vigilant était censé révéler les caractéristiques et le niveau de la cible, mais aucune autre information n’était disponible.

Doula tapota l’écran qui était apparu grâce à l’outil magique. « Regardez. À en juger par l’aspect de cette lumière, il y en a certainement plus d’un. Mais pour une raison inconnue, nous ne pouvons pas voir les niveaux ni les noms des monstres qui nous entourent. »

Zera se frotta le menton barbu et ajouta : « C’est étrange. Les critères pour afficher ou non leur nom sont tellement vagues. Même si certains monstres cachent leur niveau, il est inhabituel que les informations sur tout l’étage, à l’exception du maître d’étage, restent cachées. Je ne sais pas ce qui se passe, mais nous avons probablement affaire à un ennemi coriace ici. » Le grand homme partageait souvent ses pensées directes, basées sur son instinct plutôt que sur la logique ou la raison. Pourtant, cet instinct était aussi aigu que celui d’un animal sauvage et Doula lui faisait beaucoup confiance.

***

Partie 2

L’ambiance avait changé du tout au tout, et Eve trouvait la tension étouffante. Elle regarda autour d’elle, puis leva les deux mains en signe de comédie. « Oh, j’ai une idée ! Et si Kazu et moi allions en éclaireurs ? Rien ne peut nous attraper et nous pourrions revenir avec de meilleures informations. »

« Pas question, » dit sèchement Puseri. « On ne va pas vous envoyer dans une pièce dont la porte se verrouille dès que vous y entrez. »

« Oh, tu es trop sévère, Puseri… »

Je regardai le plafond et pensai que ça aurait été une bonne idée si j’étais entré. Puis je remarquai que Marie regardait dans le vide et qu’elle pensait probablement la même chose. Après tout, si quelque chose m’arrivait, je me réveillerais simplement au Japon. Mais utiliser cette méthode signifierait que tout le monde découvrirait que je pouvais ressusciter plusieurs fois. Cela ne m’aurait pas dérangé de révéler ce fait si nous n’avions pas eu d’autre choix, mais je ne voulais pas en parler ici.

D’un autre côté, l’idée d’entrer là-dedans tout seul pour affronter le boss avait l’air vraiment cool. N’importe quel mec aimerait brandir une épée géante, la cape flottant au vent, puis lancer une réplique du genre : « Tu t’es fait attendre, hein ? » J’avais déjà prononcé cette phrase lorsque je voyageais seul, mais mon adversaire était généralement perplexe et me demandait : « De quoi parles-tu ? » C’était un peu déprimant.

Alors que je repensais à ces souvenirs, Doula se tourna vers Marie et lui demanda : « Marie, si je me souviens bien, ta Larme de Thanatos peut sceller la magie, n’est-ce pas ? Serais-tu capable de l’utiliser pour construire une sorte de forteresse, comme la dernière fois ? »

« Désolée, mais ça ne marchera pas. Elle ne peut sceller qu’un seul sort et construire une structure comme celle-ci nécessiterait l’utilisation de nombreux esprits », expliqua Marie.

L’idée de déployer une forteresse dès qu’on la chargerait était donc exclue. Je soupçonnais Marie de ne pas avoir utilisé cet objet à son plein potentiel. Si elle pouvait utiliser des sorts à longue portée, la possibilité de les activer instantanément aurait été un énorme avantage.

Elle sortit une gemme de sa poche. De couleur bleue translucide, elle présentait des nuances de vert pâle lorsqu’on l’inclinait. Grâce à sa taille complexe, elle émettait une lumière éthérée qui fit soupirer les femmes présentes.

C’était peut-être juste moi, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander si sceller un seul sort était la seule capacité de cette gemme, lorsque je remarquai sa lueur subtile. Même si cette capacité seule la rendait extrêmement précieuse, c’était un objet spécial que Shirley, la maîtresse du deuxième étage, lui avait donné. J’avais le sentiment qu’il recelait un pouvoir extraordinaire.

Je fixais la gemme et Marie se tourna vers moi. Ses yeux violets se plissèrent tandis qu’elle souriait malicieusement, puis elle posa un doigt sur ses lèvres.

J’avais envie de lui demander : « Attends, tu sais déjà qu’il a un pouvoir caché ? C’est bien ce que je pensais ! C’est quoi ce pouvoir ?! » Mais je ne pouvais rien dire, avec tout le monde autour. Mais je ne pouvais rien dire, tout le monde était là. Ma curiosité me tuait. Je devais savoir de quoi cet objet était capable.

Soudain, Zera donna un coup de poing dans sa cuisse et dit : « Bon, on n’arrivera à rien en restant assis ici à réfléchir toute la journée. Adom, c’est ça ? Allons prendre d’assaut la salle du maître d’étage. »

Doula avait l’air pensive, mais elle acquiesça. Son expression me disait qu’elle voulait réduire les risques au minimum. Mais nous ne saurions rien des capacités de la cible ni des monstres qui l’entouraient tant que nous n’aurions pas mis les pieds à l’intérieur.

Elle se leva et annonça que nous allions entrer.

 

+++

Mon souffle blanc s’échappa derrière moi lorsque j’expirai.

Même avec la lumière des esprits, je ne voyais pas le plafond. J’avais vu beaucoup de labyrinthes durant mes voyages, mais même moi, j’étais surpris par la hauteur de cette pièce. En baissant les yeux, j’aperçus une armée de plus d’une centaine de soldats descendant un escalier en pierre.

Sans les esprits qui éclairaient notre chemin, nous n’aurions rien vu à plus de quelques pas devant nous. Les conversations des soldats se firent plus rares à mesure que l’atmosphère devenait plus tendue. Une fois les premier et deuxième étages franchis, ces combattants avaient suivi un long entraînement pour arriver jusqu’ici. Leur expérience leur avait probablement appris à évaluer avec précision le danger qui planait dans l’air. Ils semblaient être passés en mode combat. Quant à nous… Nous, nous étions loin d’être en mode combat, occupés à discuter entre nous.

« Quoi ? — Tu as presque fini là-bas ? » s’exclama Marie. Dans l’obscurité du labyrinthe, elle s’accrochait à une source de lumière carrée, semblable à celle d’une télévision ou d’une tablette. Je partageais sa surprise, car la personne qui parlait de l’autre côté avait affronté l’entité la plus terrifiante de cette bataille : le Dragon de la Providence. Pourtant, elle l’avait vaincu bien plus tôt que prévu. « Comment est-ce possible ? Tu as dit qu’il était plus fort que toi, Wridra ! »

« Plus fort ou pas, je ne serai pas vaincue si je suis déterminée à gagner », répondit Wridra. « Hum, je vois que vous ne me croyez pas. Très bien, je vais vous le prouver. »

Wridra apparut à l’écran, un sourire satisfait aux lèvres. Elle était aussi belle que d’habitude, mais je ne pus m’empêcher de remarquer ses longs cheveux noirs flottant au vent. Une fenêtre lumineuse derrière elle me fit me demander si elle se trouvait dans un restaurant. Mais lorsque Wridra tendit la main vers la caméra et que l’image changea, nous restâmes bouche bée, stupéfaits. Il s’avéra que Wridra était assise dans le siège du pilote d’un avion.

Elle avait en réalité introduit des armes modernes dans le monde fantastique. J’entendais le bruit sourd des tirs. Des objets ressemblant à des trous noirs étaient propulsés vers l’horizon, laissant derrière eux des traînées blanches. À nos yeux, cela semblait encore plus terrifiant que des armes modernes.

« Wridra, ne me dis pas que c’est pour ça que tu voulais aller à la bibliothèque… », dis-je avec hésitation.

« Ha, ha. Vous avez l’air bien amusé. Bien sûr, il m’était impossible de reproduire l’original, car je n’avais pas pu rassembler le matériel nécessaire. Cependant, j’ai créé quelque chose de mon cru grâce à ma capacité à manipuler librement la matière magique. »

Wridra rit, l’air très satisfait d’elle-même. Pour une raison que j’ignore, sa beauté et son charme étaient décuplés à ces moments-là. Elle semblait pleine de vie et rayonnait littéralement dans cet instant de fierté et d’excitation. Honnêtement, tout ce à quoi je pensais, c’était que j’avais complètement raté mon coup. Le magnifique monde imaginaire que tout le monde connaissait était terminé.

Pendant ce temps, Wridra souriait largement et disait : « Regardez, il a l’air content, lui aussi. »

L’avion continua à tirer sur quelque chose qui s’avéra être un dragon de la taille d’une montagne. Le dragon rugit vers le ciel et une pluie de missiles s’abattit sur lui.

Que se passe-t-il ? Est-ce la fin du monde ?

« Ha, ha, voilà votre preuve. Je ne sais pas si je peux l’expliquer avec des mots. Mais j’ai annulé les effets de cette capacité gênante, son Trou Noir, avec ma Brume Divine… Oh, et celle qui m’aide te fait signe par la fenêtre », ajouta Wridra.

Je me demandais de qui elle parlait; j’avais l’impression qu’elle avait défié le Dragon de la Providence toute seule. La caméra changea d’angle, pointant cette fois vers la fenêtre. Un homme aux cheveux rouges fluorescents apparut effectivement à l’écran. Je me demandais comment il pouvait voler avec elle tout en nous faisant signe. « Qui est-ce ? »

« Mon mari », répondit Wridra.

« Hein ?! » Attends, je ne comprends pas ! » dis-je, perplexe.

« OK, j’ai une question… », intervint Marie. « Si c’est ton mari, contre qui te bats-tu ? Je croyais que ton mari était le Dragon de la Providence. »

« Hum. N’est-ce pas évident ? Je me suis alliée à mon mari pour le punir », expliqua Wridra.

Je ne comprenais toujours pas de quoi elle parlait. Marie secoua également la tête et l’Arkdragon gonfla les joues de frustration. Comment pouvait-on comprendre ça ?

« Hum ! Laissez tomber », grommela Wridra, puis son expression s’éclaircit immédiatement. « Quoi qu’il en soit, vous devez vous dépêcher de finir ce que vous avez à faire. Nous avons une fête pour célébrer notre victoire, puis nous partons pour le Japon. Dépêchez-vous. »

L’appel fut coupé avant que nous ayons pu dire quoi que ce soit. Nous avions passé beaucoup de temps avec Wridra jusqu’à présent, et je me demandais quand, si cela arrivait, je m’habituerais à ses manières chaotiques.

Pendant ce temps, Kartina, qui était également avec nous, était sous le choc, mais pour une tout autre raison. Elle avait la bouche grande ouverte et la sueur perlait à tous les pores de sa peau. Elle semblait sur le point de s’évanouir. Marie et moi avions ri, pensant que c’était juste à cause des agissements de Wridra, mais les yeux de Kartina s’étaient encore plus écarquillés avant qu’elle ne parle.

« Vous vous rendez bien compte que c’est le Dragon de la Providence, n’est-ce pas ? Le dragon terrifiant et maléfique qui vaporise toute vie sur son passage en un instant ?! Elle le torturait sans pitié, et c’est votre réaction ?! »

Je m’étais demandé si nous aurions dû garder secret ce que Wridra était en train de faire. Soudain, je m’étais souvenu que Kartina venait de Gedovar et qu’elle était donc techniquement notre ennemie. Mais j’avais pensé qu’on n’avait pas à s’en soucier, car elle était folle amoureuse de Shirley.

Marie réfléchit un instant, puis demanda :

« Le Dragon de la Providence était-il une lueur d’espoir pour Gedovar ? »

« Ouais… Je ne sais pas si une créature aussi maléfique peut être qualifiée d’“espoir”. » Kartina soupira, fixant un instant l’étendue de l’ancien labyrinthe en contrebas.

Le choc de tout à l’heure s’était dissipé et elle semblait rassembler lentement ses pensées.

« S’il doit périr, qu’il en soit ainsi. Compter sur ce maudit Dragon de la Providence pour mon avenir, c’est comme laisser cette chose me vider de ma vie », dit-elle en frappant ses bras démoniaques. « Je veux vivre ma vie en faisant ce que je pense être juste, sans être liée au mal. »

Ses bras démoniaques n’étaient pas une simple armure, mais une arme dotée d’un instinct meurtrier sans limites. Quiconque était consumé par l’armure était condamné à devenir un monstre errant sans fin dans les anciens labyrinthes. Kartina aurait suivi cette voie si Shirley n’avait pas été là. Je pouvais lire la tristesse dans ses yeux; peut-être se souvenait-elle de son passé et imaginait-elle son pays répétant un cycle incessant de destruction sous l’emprise des forces du mal.

« Très bien, j’ai pris ma décision ! » dit-elle en se tournant vers nous, un sourire radieux aux lèvres. « Au lieu de ce dragon maléfique, je nomme Lady Shirley déesse de mon peuple ! »

Marie et moi étions abasourdis, tentant de comprendre ce qui se passait, un peu comme lors de notre conversation avec Wridra. Kartina nous ignora et continua, les joues rougies par l’excitation.

« Ah, je suis sûre que tout le monde va tout de suite comprendre ! Sa beauté et sa gentillesse sans limites ! Elle est tellement adorable. C’est le genre d’individu qui se glisse discrètement dans ton lit la nuit pour te réchauffer quand il fait froid. Oh, elle est tout simplement géniale ! Croire en Lady Shirley, c’est bien mieux qu’un dragon maléfique ! »

Ses mots résonnaient dans le vaste labyrinthe tandis que Marie et moi restions sans voix, perplexes. Pour une raison que j’ignore, l’équipe de raid, que l’on entendait au loin, répondit « C’est vrai ! » un instant plus tard.

Attends… Pourquoi Shirley est-elle devenue un objet de culte ? C’est juste une femme normale… En fait, c’est une ancienne maîtresse d’étage, mais je ne pensais pas qu’elle attirait beaucoup l’attention, puisqu’elle ne peut pas parler.

Bref, le combat contre le maître d’étage approchait à grands pas. Après avoir marché encore un peu, l’équipe d’assaut pénétra dans les profondeurs du troisième étage. Les hommes comptèrent jusqu’à trois, puis poussèrent la lourde porte métallique de toutes leurs forces. Alors qu’elle s’ouvrait lentement en grinçant, des éclats de plâtre se détachèrent de la porte.

***

Partie 3

Nous avions regardé la porte massive tandis que la poussière tombait de partout. Des soldats armés se rassemblaient juste devant nous, attendant silencieusement le combat à venir, avec Puseri à leur tête à cheval et vêtue d’une armure lourde.

C’est alors que je remarquai quelque chose d’inhabituel : un homme appuya son doigt contre sa lame et le fit lentement glisser vers la pointe. Ce qui était inhabituel, c’était la couleur de la lame, qui changea sous mes yeux pour prendre celle du sang. Du moins, c’est ce que je crus jusqu’à ce que je réalise qu’il s’agissait bien de sang.

« Est-ce une nouvelle compétence, Zera ? » demandai-je.

« Hé, hé, c’est ça. Je l’ai apprise en m’entraînant avec le vieux. Cool, hein ? »

J’étais jaloux parce que j’avais très envie d’apprendre un mouvement spécial, mais je ne pouvais pas utiliser cette technique. J’avais entendu dire que le sang des membres de la famille des Milles était unique et qu’ils pouvaient le manipuler pour le transformer en lame et abattre leurs ennemis. On disait même qu’ils pouvaient mettre fin à une bataille contre une armée entière à eux seuls, en manipulant le sang de leurs ennemis. Pas étonnant qu’ils soient considérés comme les meilleurs combattants au corps à corps de tous les temps.

« Hum, je pense que je vais appeler ça le Déferlement de sang », dit-il.

Marie grimaca un peu à cause de l’odeur du sang, mais il ne faisait aucun doute que Zera serait un atout encore plus précieux que jamais sur le champ de bataille. L’homme aux larges épaules s’accroupit à côté de moi et murmura : « En fait, je voulais rejoindre l’équipe de défense de l’oasis. Les batailles chaotiques à grande échelle sont ma spécialité, mais je ne pouvais pas quitter Doula. »

« Je comprends, » répondis-je. « Doula a l’air d’une personne réfléchie, mais elle peut parfois se montrer imprudente. »

Zera gémit pour marquer son accord. Doula était prête à relever les défis les plus difficiles pour gagner. Zera, lui, était tout le contraire. Il avait peut-être l’air d’un casse-cou, mais il préférait jouer la sécurité. Peut-être formaient-ils un bon couple, car ils s’équilibraient bien.

Je pensais que nous chuchotions assez bas, mais Doula avait dû nous entendre, car elle se retourna et nous lança un regard noir. Marie mit un doigt sur ses lèvres pour me faire signe de me taire, et je hochais la tête à plusieurs reprises.

La porte s’ouvrit lentement. Marie et moi étions emplis d’anticipation et de curiosité à l’idée de découvrir le monde inconnu qui nous attendait juste devant nous. Je pris la main de Marie dans la mienne et nous nous étions dirigés vers l’avant de la foule, laissant Zera derrière nous.

Un grincement lourd et fort retentit alors que la porte rouillée continua à s’ouvrir, dévoilant pour la première fois le hall du troisième étage. Au-delà de l’entrée, il n’y avait qu’une obscurité totale. Même en éclairant le sol, il semblait recouvert d’encre. Le couloir était complètement différent de l’endroit où nous avions affronté le Bras Démoniaque Kartina et les soldats de Gedovar. J’entendis un bruissement et réalisai que le sol était recouvert d’une herbe noire. Elle n’était pas fanée et semblait pousser là depuis des siècles, ce qui suggérait qu’il ne s’agissait pas d’herbe ordinaire. Marie et moi ouvrîmes grand les yeux en découvrant ces plantes anciennes qui poussaient de manière luxuriante.

« C’est de la couleur de l’Âge des Ténèbres ! » m’écriai-je.

« Comme les peintures qu’on a vues », acquiesça Marie. « C’est comme si ce monde avait dormi ici tout ce temps. »

J’acquiesçai, avec l’impression qu’on se promenait à l’heure des sorcières, quand tout le monde était plongé dans un profond sommeil. Il y avait quelque chose de sombre dans cette atmosphère, mais le silence était étrangement réconfortant. Je trouvai cela plutôt agréable, quand Marie me murmura : « Je ne sais pas pourquoi, mais cela me rappelle la promenade qu’on a faite de nuit à Aomori.

« Oui, c’est vrai que ça y ressemble. C’est sans doute l’origine de la nuit dans ce monde. »

J’avais exprimé cette pensée sans raison particulière. Apparemment, Marie ressentait la même chose, car elle hocha la tête en guise de réponse. Malgré la foule qui nous entourait, j’avais l’impression que nous étions seuls au monde. J’avais expiré et mon souffle s’était transformé en une buée blanche à cause du froid.

Seule une faible partie de la lumière existante filtrait à travers la porte ouverte. Au-delà de l’entrée, un monde différent s’étendait. Nous avions fait nos premiers pas à l’intérieur, aux côtés du reste de l’équipe de raid, avec Kartina qui protégeait nos arrières.

Une lumière fantomatique éclairait notre chemin alors que nous pénétrions dans le monde de la nuit. Si quelqu’un nous avait vus, nous aurions ressemblé à des voyageurs égarés essayant de trouver leur chemin à la lueur d’une lampe. En y réfléchissant, je me rendis compte que je ne savais presque rien de la nuit dans ce monde, car je m’endormais au coucher du soleil pour vivre ma vie au Japon. Mais la vue qui s’offrait à moi me donnait envie d’en savoir plus sur la nuit dans ce monde.

Nous avions avancé lentement dans l’herbe qui nous arrivait aux genoux. Zera écarta l’herbe en s’approchant de nous, puis il nous regarda, Marie et moi, avec un air perplexe, nous voyant immobiles. Il suivit notre regard, regarda devant lui et se figea, comme nous. Quelqu’un se tenait là. Non, pas quelqu’un… quelque chose. C’était une silhouette humanoïde qui tendait les deux mains vers nous, l’expression désespérée et douloureuse. Sa peau était blanche comme neige, ayant perdu toute couleur à cause des intempéries au fil des ans.

« Qu’est-ce que… ? » marmonna Zera, abasourdi.

Est-ce bien ce que je pense ?

C’était une personne, ou plutôt une statue, vêtue d’une robe. En plissant les yeux, j’en vis beaucoup d’autres derrière la première. Leurs visages et leurs vêtements étaient différents, mais ils avaient une chose en commun : ils semblaient tous avoir couru vers la porte.

« Ça me fait flipper. Est-ce qu’ils fuyaient quelque chose ? » demanda Zera d’une voix rauque.

J’étais tellement secoué par ce que nous voyions que je ne remarquai pas que Marie s’était accrochée à mon bras. Elle dit d’une voix effrayée : « Cet endroit a des centaines d’années… Sont-ils toujours restés comme ça ? De quoi essayaient-ils de s’échapper ? »

« Je ne sais pas. Peut-être n’ont-ils pas réussi à prendre le contrôle de cet étage », répondis-je. Ce n’était qu’une supposition de ma part, mais cela me semblait logique.

J’avais entendu parler d’une installation servant à contrôler les monstres au troisième étage, probablement gérée par les Anciens. Après avoir étudié leur langue ancienne et découvert les vestiges de leur civilisation et de leur culture, je savais que leur magie était bien plus avancée que la nôtre. Alors, comment avaient-ils péri ?

Mon regard se déplaça progressivement derrière eux et je me demandai si l’herbe noire avait toujours été là. Je ne le pensais pas. Une énorme épée était plantée au hasard dans le sol, au centre de la salle, et l’herbe semblait avoir poussé à partir de là. Il devait y avoir quelque chose à cet endroit avant sa destruction.

J’avais remarqué des débris sur le sol, puis j’avais levé les yeux pour découvrir un énorme trou dans le mur. À en juger par les fissures qui le parcouraient, un impact puissant l’avait frappé, tel un météore. Un incident s’était produit ici : ces gens étudiaient, puis une épée géante avait volé et s’était plantée dans le sol, mettant fin brutalement à leurs recherches et à leur civilisation. Les anciens avaient disparu et le temps semblait s’être arrêté ici depuis lors.

Quelqu’un ou quelque chose était figé à côté de l’épée, dans une posture qui semblait respectueuse. Le géant restait immobile, comme une statue, et même sa présence semblait être celle d’une pierre. Pourtant, je pouvais sentir que cet être était incroyablement puissant.

Le tchat de raid était resté silencieux jusqu’à présent, mais la voix tendue de la commandante Doula rompit le silence. Elle se tenait debout, les jambes écartées, à l’entrée, hésitant à avancer ou à reculer.

« Avancez », dit-elle après une pause.

L’instant d’après, des pas retentirent à l’unisson. Les meilleurs soldats d’Arilai lui faisaient confiance et obéirent à son ordre périlleux.

Doula avait déjà failli perdre toute son escouade par le passé. Ils s’étaient aventurés dans un ancien labyrinthe inexploré, avançant sans vraiment connaître la force de leur ennemi. D’innombrables soldats avaient été dévorés par des monstres. La décision d’avancer avait dû être très difficile à prendre pour elle, car elle ne savait toujours rien des capacités de l’ennemi.

« Bon, je ferais mieux d’aller lui donner un coup de main. À plus tard, faites attention à vous », dit-il avant de retourner auprès de Doula.

C’était Zera et son équipe qui l’avaient sauvée du danger par le passé. Cet événement avait été le catalyseur de leur relation, et personne d’autre n’aurait mieux convenu à Doula dans un endroit pareil.

Les soldats avancèrent silencieusement, essayant de faire le moins de bruit possible. Un à un, les cent membres de l’équipe d’assaut pénétrèrent dans l’obscurité derrière la porte, puis formèrent une ligne horizontale une fois à l’intérieur.

Je ne savais pas trop quoi faire. L’ennemi ne bougeait pas, nous accordant un peu de répit avant le début de la bataille. Je voulais profiter de ce répit pour me préparer et coordonner mes actions avec Kartina. Cependant, en tant que chevalier de Gedovar, elle n’accepterait rien d’autre que de protéger Marie.

« Kartina, connectons-nous sur le tchat de lien mental », lui chuchotai-je, mais ses yeux brillaient d’excitation pour une raison que j’ignorais. Elle ne semblait pas m’entendre, alors j’avais agité les doigts devant ses yeux. Quand elle me remarqua enfin, je lui demandai : « Qu’est-ce que tu regardais ? »

« Ça… », dit-elle en pointant un doigt tremblant vers l’avant. Je suivis son regard et vis qu’elle parlait de l’épée géante plantée dans le sol.

« Quoi, tu la veux ? » demandai-je.

« Idiot, bien sûr que oui ! C’est une vraie lame enchantée. Ce n’est pas du tout comme ces jouets dans lesquels les soldats d’Arilai enfoncent des pierres magiques. Écoute bien… Cette épée vaut à elle seule tout un pays. »

Elle affichait un air satisfait, mais Marie et moi, nous nous étions échangé un regard, puis nous avions poussé un grognement pensif, peu convaincus. L’Arkdragon avait créé le bâton que Marie tenait dans sa main, qui avait sans doute beaucoup plus de valeur que cette épée. Après tout, il pouvait créer une magie presque illimitée.

Marie entrouvrit les lèvres, comme si elle cherchait une réponse qui ne blesserait pas Kartina. « Euh… — Eh bien, peut-être que si tu te bats bien, tu la recevras en récompense. Mais c’est difficile de se battre pour toi, non ? On affronte des monstres et tu trahiras ton propre pays. »

« Non, ça va, » dit Kartina. « Si on réfléchit à ça, même s’ils sont techniquement mes ancêtres, ce sont des êtres pitoyables qui ne peuvent pas mourir naturellement. En tant que chevalier, je pense qu’il est de mon devoir de leur offrir une mort paisible et de libérer mes proches de leur triste sort. »

Elle acquiesça, mais son expression ne trahissait aucune tristesse. En fait, ses yeux brillaient et je remarquai qu’elle chantait un air différent de celui de tout à l’heure.

Euh… Je suppose qu’elle est d’accord ? Je lui suis reconnaissant de coopérer avec nous, donc je ne me plains pas. « Quoi qu’il en soit, nous devrions déterminer notre formation pour l’instant. Nous ne connaissons pas les capacités de l’ennemi, donc nous ne savons même pas si nous devons préparer une plate-forme comme la dernière fois », dis-je.

« C’est vrai. S’ils peuvent voler, une plate-forme ferait de nous une cible », avait convenu Marie.

« Hum, prendre les hauteurs, hein ? Je pourrais rester avec Marie et la protéger », proposa Kartina.

« Oh, c’est différent si j’ai un garde du corps », répondit Marie. « Et si l’on construisait une tour plus petite cette fois-ci ? Prendre les hauteurs nous donnerait un gros avantage, mais une tour plus petite serait beaucoup plus rapide à construire. »

« Bonne idée. Comme ça, on peut réduire notre défense au minimum tout en se concentrant pleinement sur l’attaque. L’équipe de raid dispose également d’un bon arsenal d’armes à distance. Parlons-en à Doula », suggérai-je.

***

Partie 4

Nous avions continué à discuter de nos plans. Kartina s’était déjà émerveillée de la capacité de notre groupe à s’adapter à diverses situations, mais elle ne semblait pas se rendre compte qu’elle en faisait désormais partie. C’était probablement notre capacité à enrichir continuellement notre répertoire de compétences qui nous rendait si forts. Après tout, je n’avais jamais entendu parler d’autres équipes qui faisaient les mêmes choses que nous.

La porte se referma dans un bruit sourd, indiquant que tous les soldats étaient entrés dans la pièce et que la bataille allait commencer. Même si la tension était palpable, je marchais dans l’herbe comme si je me promenais dans une prairie. Je gardais bien sûr mon épée dans son fourreau. Il n’y avait que de l’herbe noire autour de moi et des nuages blancs sortaient de ma bouche à chaque expiration, mais j’étais parfaitement lucide.

J’avais balayé du regard le champ herbeux tout en respirant l’air froid, puis j’avais regardé droit devant moi, vers le dos du géant. Il était énorme et devait mesurer trois mètres de haut, même assis. Il était immobile comme une statue, mais je savais que si jamais il se réveillait, la bataille serait féroce.

« Hé, je suis en position », dis-je calmement via le tchat de raid. Je ne voulais pas être trop tendu, car une tension excessive pouvait causer de la fatigue et rendre la réflexion plus difficile. Mieux valait ne pas prendre les choses trop au sérieux. C’est peut-être à cause de cette attitude que les gens me trouvaient toujours endormi.

« Je suis prête aussi, Doula. La tour peut être activée à tout moment », signala Marie.

« L’équipe Diamant est prête aussi », ajouta Puseri. « Notez que je ne pourrai peut-être pas répondre, car je vais me concentrer sur le combat. Isuka Orion prendra le commandement de l’équipe Diamant à ma place. »

« L’équipe Pierre de Sang est prête », dit Zera.

Alors que les équipes faisaient leur rapport par le biais du tchat de raid, la commandante Doula prit une profonde inspiration. Elle pointa ensuite son épée vers le champ de bataille et un éclair argenté brilla sur sa lame dans le champ d’herbe noire. « Équipe Andalusite, commencez les incantations ! »

À son ordre, un chœur d’hommes et de femmes résonna dans la salle, tel un cri de guerre, avec un rythme plus rapide qu’un battement de cœur et une résonance puissante et majestueuse, suffisant à enhardir les cœurs les plus timides. C’était en effet un chant pour chercher le combat et pour que les faibles continuent à résister et à trouver leur place dans ce monde. Une myriade de voix se superposaient et s’entremêlaient, faisant vibrer l’air, les faibles flammes se fondant en un brasier déchaîné. Le combat était désormais une seconde nature pour moi, et pourtant, même moi, j’étais stimulé par leur puissance.

Je sentis une goutte de sueur couler sur mon visage sous l’effet de leur puissant chant de guerre. Il y avait une détermination inébranlable dans leurs voix. Dans cette situation cruelle où leurs options se limitaient à la victoire ou à l’anéantissement total, Doula rugit : « Saisissez la victoire ! Dans cette bataille, vous ne partirez pas pour l’Éden ! Sachez que l’avenir de notre pays ne peut exister que si nous sortons victorieux ! À l’attaque ! »

Une rangée de boucliers d’acier s’écarta de chaque côté, laissant apparaître des soldats aux yeux assoiffés de sang. Enhardis par le chant de guerre, ils n’avaient plus peur et étaient déterminés à tuer leurs ennemis et à rentrer chez eux vivants.

Ils firent un pas en avant puissant et empilèrent leurs boucliers les uns sur les autres. Un instant plus tard, d’innombrables lances apparurent entre les deux rangées, prêtes au combat. Le sol gronda à l’unisson tandis que de nombreux esprits de pierre construisent une tour. Mariabelle prononça ses incantations, son bâton levé, tandis que Kartina tenait sa lance prête, toutes deux étant portées haut dans les airs.

J’étais impressionné par l’air héroïque de tous. Quoi qu’il en soit, il était temps de comprendre pourquoi le niveau de notre cible n’apparaissait pas et pourquoi nous ne pouvions pas connaître les noms des monstres qui l’entouraient.

Comme pour répondre à mes pensées, du sable commença à s’écouler de la statue. Elle devait être immobile depuis des siècles, attendant ceux qui un jour attaqueraient le troisième étage.

Un bourdonnement retentit, puis une vive étincelle éclaira les lieux. Quand je me retournai, une lumière bleue pâle illumina les boucliers des soldats lourdement armés. Plusieurs monstres apparurent soudainement, provoquant des tremblements alors qu’ils descendaient vers le sol.

« Un Gazer de niveau 98 à gauche ! Un Geheroth de niveau 102 à droite ! Et derrière eux, un Azagyur de niveau 119 ! Ce sont tous des démons uniques de haut rang ! » Un soldat qui observait la scène depuis la tour avait pratiquement crié son rapport.

« Ce n’est pas possible », murmurai-je. À ce moment-là, un portail s’était ouvert vers le royaume des démons pour invoquer plusieurs monstres de haut rang. Le mystère était résolu. Maintenant que les démons étaient apparus, l’effet du Gardien de prison révélait leurs caractéristiques.

Je ne pouvais plus bouger. Le géant qui se tenait devant moi avait lentement ouvert un œil et je sentais mon cœur battre de plus en plus vite. Alors que la créature se levait et que sa peau, semblable à de la pierre, prenait une teinte bronze, des symboles apparurent sur tout son corps. Le cœur de la créature se trouvait au centre de ces symboles et le symbole correspondant prit une teinte violet foncé. Pendant ce temps, le géant coiffé d’une capuche noire leva ses bras en forme de tonneau. Il enroula ensuite ses doigts rugueux et noueux autour de la poignée de l’épée géante et la saisit. Le tissu en lambeaux qui recouvrait ses bras battit au vent et s’envola dans les airs.

On ne connaissait que le nom de la créature : Adom Zweihander. Même maintenant, il était impossible de déterminer son niveau. Je me sentais partagé en regardant le titan de dos. D’un côté, je voulais profiter de l’apparition palpitante du boss. D’un autre côté, nous étions en plein combat et le laisser en vie pourrait causer de sérieux dégâts.

« Désolé, je dois en finir rapidement », dis-je comme si je parlais à un ami, tandis que mon épée, l’Astroblade, bourdonnait dans ma main.

Mon épée, l’Astroblade, avait tendance à drainer mon énergie de manière avide. Pourtant, après tout l’entraînement que j’avais enduré, elle ne me fatiguait plus autant qu’avant. Le bourdonnement devint encore plus aigu, comme si l’arme me disait : « Je vais en drainer encore plus. »

Les monstres semblaient aussi passer à l’offensive. Un anneau violet foncé descendit du ciel et se posa sur le géant. L’anneau dégageait une aura sinistre, semblable à un halo. Il se fixa au-dessus de la tête du géant. C’est à ce moment-là que j’activais mon attaque avec l’Astroblade.

Une forte déflagration retentit lorsqu’elle libéra une explosion d’énergie. J’observai la trajectoire de l’attaque, mais j’eus le sentiment que cela ne suffirait pas. Je ne voulais pas que cela se termine par une seule attaque surprise. Des couches d’une barrière violette apparurent et protégèrent le dos du géant, brisant le météore avant qu’il n’atteigne sa cible. Le projectile explosa alors, créant une rafale violente qui souleva de la poussière tout autour du point d’impact.

Le bruit de l’impact résonna pendant un moment, et je murmurai : « Oh, ça ne va pas. Il a plusieurs couches de barrières. — Marie, j’aimerais que tu enchantes mon épée si tu n’es pas trop occupée. »

Ma voix était calme, mais mon cœur battait la chamade. Je n’avais réussi à briser que deux barrières avec mon attaque. Une autre barrière était fissurée, mais la moitié de ses couches restaient intactes malgré tous mes efforts.

« Un enchantement d’élément sacré, comme d’habitude ? — Pas de problème, » répondit Marie. « Oh, et pas besoin de venir ici. Toute cette salle est à portée de mon sort. »

« Hein ? — Qu’est-ce que tu veux dire ? » demandai-je. Alors que je me retournais, je compris quand une lumière vive jaillit de mon épée. Je fus surpris de voir « Élément sacré, niveau 142 » s’afficher dessus. Je donnai quelques coups qui incinérèrent les brins d’herbe qui volaient dans le vent. Cette chose était rapide et puissante, et l’enchantement l’était encore plus.

Je me souvins alors que Marie avait une Larme de Thanatos, qui permettait d’activer instantanément la magie. Elle avait dû deviner ce que je lui demanderais plus tard et s’était préparée. Elle avait même appris la Double Incantation et la Triple Incantation. Je pouvais imaginer son expression satisfaite. Elle devait probablement expirer par le nez en émettant un « hum » satisfait.

Cela me rappela le moment où Marie avait dit qu’elle allait tellement s’améliorer que je serais dans le pétrin sans elle. J’aurais aimé qu’elle réalise qu’elle avait déjà atteint ce niveau depuis longtemps. Telles étaient mes pensées alors que je fixais le géant flottant dans les airs.

Je ne pouvais pas dire si le maître de l’étage Adom avait quatre pattes, car ses membres étaient enfouis dans la terre. Chacune de ces pattes se terminait au niveau des chevilles, et leurs extrémités brillaient d’une lumière aux couleurs vives. Ce monstre devait être imprégné d’une magie très puissante. Il semblait si puissant que je commençais à penser que je ne pourrais pas le battre. Le géant pointa son épée ridiculement massive vers moi, mais je ne ressentis pas la moindre peur. J’étais si calme que je pouvais regarder l’herbe danser dans le vent et se dissoudre dans l’obscurité de la nuit.

Un bruit sourd retentit lorsque la lame du géant fendit le sol. Par chance, j’eus le temps de m’accroupir à temps pour laisser l’épée passer au-dessus de ma tête. L’arme arracha un morceau d’herbe et de marbre, puis vola de droite à gauche. Elle fit un terrible vacarme en décrivant un mouvement en croix, déchirant tout sur son passage. Je compris alors pourquoi Kartina avait envié cette arme. Je devais partir du principe que ni l’acier, ni plusieurs couches de barrières ne pourraient l’arrêter.

Mais je n’avais pas passé des années à errer et à jouer dans ce monde pour rien. Ma compétence « Surcharge », que j’avais même utilisée pour vaincre le candidat héros, avait mémorisé l’attaque de l’ennemi, ce qui signifiait que ma deuxième esquive n’était pas le fruit du hasard. Je l’avais évitée automatiquement, même si cela donnait l’impression que je n’avais fait aucun effort. Bon, c’était vrai, mais quand même.

— OK, c’est parti, maître d’étage Adom. Oh, on a déjà commencé, je dirais. Je voulais juste brandir légèrement mon arme en parlant, mais l’enchantement sacré de haut niveau fit un bruit de vrombissement, donnant l’impression que je cherchais à impressionner. Bon, c’est embarrassant. Heureusement qu’il n’y a personne pour assister à la scène. Voyons voir… Celui-ci est de niveau 140, non ? Hé, hé. Ça devrait être marrant.

J’affichai un sourire endormi.

***

Partie 5

Le sol trembla lorsque le monstre atterrit et Puseri fut la première à charger.

Azagyur, le démon, ressemblait à un cavalier à quatre pattes et se déplaçait à une vitesse incroyable malgré son armure lourde, tout comme Puseri. Azagyur n’aurait probablement eu besoin que de quelques secondes pour semer le chaos total dans la formation de combat des soldats d’Arilai.

Outre les deux autres unités, son instinct lui disait qu’il serait particulièrement dangereux de laisser Azagyur en liberté. Incapable d’ignorer la tension inquiétante qui régnait dans l’air, elle tourna la tête de sa monture vers lui.

Puseri était la cheffe de l’équipe Diamant et du manoir des Roses noires; son élégance témoignait clairement de son ascendance prestigieuse. D’un autre côté, sa brutalité et son esprit combatif profondément enracinés provenaient de la maison Blackrose, les anciens dirigeants d’Arilai. Lorsqu’elle affrontait un ennemi puissant sur le champ de bataille, un désir brûlant s’éveillait en elle. Elle voulait écraser et piétiner ses adversaires, leur enfoncer sa lance et les regarder périr.

Ses cheveux couleur crépuscule, attachés à l’arrière de sa tête, flottaient au vent tandis qu’elle avançait, ses yeux brillant sous son heaume fermé. À califourchon sur sa bête mystique, elle tenait sa lance, désormais transformée en avatar de destruction et de malice. Elle savait que cela se passerait ainsi, c’est pourquoi elle avait annoncé à l’avance qu’elle ne pourrait pas participer au tchat de raid.

Elle expira un nuage blanc qui contrastait fortement avec l’herbe noire du sol. Azagyur se rapprocha alors qu’elle avançait et la créature sembla la reconnaître comme une ennemie. Les sabots tonnèrent des deux côtés alors qu’ils se ruaient l’un vers l’autre, puis un éclair noir traversa le champ herbeux.

Puseri esquiva l’attaque de son adversaire en se penchant en diagonale, puis donna un ordre à sa bête mystique sans changer d’expression. « Accélère ! »

Beaucoup d’hommes trouvaient son apparence féminine attirante. Elle était considérée comme une beauté inaccessible, une aristocrate gracieuse et raffinée. Mais s’ils avaient vu cette facette d’elle, une bête féroce grognant d’un rire sauvage, ils auraient tous pris leurs jambes à leur cou.

« Meurs sous ma lance ! » rugit-elle en se penchant de manière agressive en avant. Lorsque les deux adversaires se rencontrèrent, elle glissa la pointe de son arme dans la jointure de l’armure de son adversaire.

Des étincelles jaillirent dans l’obscurité. Une force puissante repoussa l’attaque de Puseri, déviant la trajectoire de sa monture sur le côté. Le choc faillit lui faire lâcher son arme, mais elle la maintint fermement. Ce fut une erreur qui lui coûta sa lance, désormais tordue, et son bras droit, brisé.

Puseri jura entre ses dents, fit pivoter sa monture, puis observa son ennemi. Du sang bleu coulait du flanc d’Azagyur, mais Puseri avait l’air d’avoir pris le plus gros du choc. Elle réfléchit à la manière dont elle allait transpercer son adversaire. Devait-elle charger plus vite ? Le prendre par surprise ? Les options se bousculaient dans son esprit tandis qu’elle chevauchait à côté du démon, puis elle se coucha instinctivement contre sa monture. Un éclair noir apparut là où se trouvait sa tête quelques instants auparavant, et une explosion retentit loin derrière elle, là où l’attaque avait frappé.

« Puseri ! Tu m’entends, Puseri ?! Ton bras est cassé ! »

Elle réalisa qu’Eve courait à ses côtés, sur sa gauche. Personne n’aurait pu suivre sa vitesse, à part un ninja.

Puseri posa ses yeux calmes sur l’elfe noire. Eve n’était pas spécialisée dans les attaques puissantes, ce qui n’aurait normalement pas posé de problème.

Mais Puseri s’était dit que cela ne serait pas efficace contre le démon lourdement armé. Elle tourna donc la tête vers son ennemi, décidant qu’elle devait mettre fin à ce combat elle-même et rapidement.

« Oh non, elle ne m’entend pas », dit Eve. « Milia, tu peux la soigner ?

« Elle est trop loin ! — Je peux utiliser mes ailes pour voler jusqu’à elle, » répondit Miliasha.

« Attends, n’y va pas seule. Cassey et Hakua, couvrez-la », ordonna la capitaine Isuka depuis la tour construite par Marie. C’était une mission difficile, mais les deux jeunes filles acceptèrent.

L’équipe Diamant voulait à tout prix éviter de perdre leur maître si tôt dans le combat. Puseri était non seulement cruciale pour leur offensive, mais elle était également un soutien émotionnel essentiel pour beaucoup. Miliasha, celle de sang divin, et Hakua, la voyante, dépendaient d’elle comme d’une grande sœur.

Miliasha réussit à rejoindre Puseri grâce à l’aide des archers depuis la tour. Alors qu’elle descendait du dos du cheval de Puseri et repliait ses ailes, le maître de l’équipe Diamant était trop absorbé par l’action pour réagir.

« Mademoiselle Puseri, je vais te remettre tes os en place. Montre-moi ton bras », dit Miliasha.

Puseri comprit que c’était nécessaire et tendit tant bien que mal son bras droit mutilé. Elle avait chevauché sans immobiliser son bras cassé et l’os ressortait. Cette vision horrible faillit faire pleurer la jeune fille. Puseri lança un regard à Miliasha, comme pour lui demander d’agir rapidement, et tendit timidement sa main.

Miliasha voulait la soigner avec soin pour éviter toute séquelle. Puseri avait toujours caressé sa tête avec ses belles mains de porcelaine. Les larmes aux yeux, elle déploya encore plus ses ailes blanches, dévoilant les traits caractéristiques des divins.

Ses pouvoirs de guérison s’amplifièrent de façon exponentielle et une douce lumière commença à soigner la blessure de Puseri, que le démon ne pouvait ignorer.

« Ah ! Ça vient par ici ! Attention, Cassey ! » cria Eve alors qu’Azagyur se précipitait vers eux à toute vitesse.

Plusieurs flèches se plantèrent soudainement dans le crâne de la créature, comme attirées par un aimant, ce qui modifia sa trajectoire juste assez pour que le groupe n’ait pas à se battre.

Un soupir de soulagement collectif s’échappa. Quiconque avait assisté à ces tirs aurait dit que le tireur d’élite avait prédit l’avenir. En effet, Hakua pouvait lire l’avenir et le partager avec les autres grâce à son don. C’est ainsi que Cassey, la Neko, savait ce qui allait se passer quelques secondes à l’avance et pouvait tirer avec une telle précision.

Les yeux de la Neko s’écarquillèrent. « Miaou ! La pierre magique sur ma flèche n’a pas explosé ! Pourquoi ? »

« L’ennemi utilise la Négation magique ! Reste cachée, il te vise ! » cria Isuka.

Azagyur chargea ses nombreux yeux d’une énergie magique bleu pâle, se préparant à éliminer la tireuse d’élite gênante.

« Miaou ! »

Cassey continua à tirer des flèches, ignorant l’ordre de se cacher. Les flèches volèrent en arc de cercle, comme attirées par les yeux du démon, puis il y eut une explosion tonitruante lorsqu’un rayon incandescent frappa la tour.

« Cassey ! Hakua ! » cria Isuka.

De la fumée s’éleva à l’endroit de l’impact et Kartina flotta dans les airs, un grand bouclier à la main. Isuka poussa un soupir de soulagement. Cassey avait dû décider de ne pas battre en retraite parce qu’elle avait vu les renforts arriver. Avoir des alliés capables de prédire l’avenir était utile, mais ces surprises n’étaient pas bonnes pour son cœur.

Alors qu’Isuka était distraite par ses amies qui toussaient dans la fumée, la voix d’Eve retentit. « Je te l’avais dit, Puseri ! Tu ne peux pas vaincre cette chose en te contentant de charger ! »

Isuka regarda dans la direction d’où venait la voix et vit Eve et Hakua tenter en vain d’empêcher Puseri, qui venait d’être soignée, de foncer à cheval pour retourner au combat. La capitaine par intérim ressentit alors le poids immense de la pression et de la responsabilité dans le chaos incessant de la bataille.

« Allons-y, Darsha. Rejoignons les autres au front », dit-elle.

« D’accord. Chasser le démon avec toute l’équipe, ça peut être sympa de temps en temps », répondit la barbare en souriant.

Les deux se précipitèrent à travers le champ d’herbe noire. Ce n’était pas le moment de s’amuser, et Isuka, d’habitude si stoïque, semblait visiblement en colère.

Il n’y avait en effet pas de place pour s’amuser sur le champ de bataille. Eve ne s’amusait certainement pas en courant à côté du cheval de Puseri vers le démon Azagyur. Elle poussa un cri d’horreur, mais ne pouvait pas abandonner le maître de son équipe. Elle décida alors d’utiliser l’atout qu’elle avait gardé pour le moment où elle en aurait vraiment besoin.

« Au secours, Kazu ! Je vais mourir ! » hurla-t-elle, les larmes aux yeux.

« Hein ? — Quoi ? » répondit une voix après un moment de silence dans le tchat mental.

Le son d’un démon hurlant de rage et de douleur alors que ses nombreux yeux étaient détruits résonna à travers le champ de bataille.

 

+++

Bon, ça ne sent pas bon.

Adom, le maître d’étage, se tenait devant moi, enfonçant son épée géante dans le sol à côté de ses pieds. Il n’était pas satisfait de son attaque précédente, qui avait creusé un trou dans le sol, et il enchaînait en crachant de la fumée noire en ma direction. J’étais curieux de savoir ce qui se passerait si je le touchais, mais ce n’était probablement pas une bonne idée.

Je me téléportai à droite d’Adom et brandis mon épée qui s’était transformée en un rayon de lumière. Des étincelles jaillirent lorsque mon arme rencontra une résistance, mais elle ne parvint pas à pénétrer les nombreuses barrières de l’ennemi. À ce rythme, je n’allais pas lui infliger de dégâts décisifs. Le problème ne venait pas des barrières, mais du fait que l’équipe Diamant était en danger. Eve m’avait appelé à l’aide, mais je n’avais aucune idée du problème dans lequel elle se trouvait.

Je n’avais pas d’autre choix que de me téléporter à un endroit plus éloigné pour avoir une meilleure vue d’ensemble. C’est alors que je compris que tout le champ de bataille était plongé dans le chaos depuis l’arrivée des quatre démons. Deux d’entre eux avaient atterri au centre, où Zera et Doula semblaient les retenir. Mais une créature maléfique ressemblant à une araignée fluorescente semblait poser problème.

Soudain, je m’étais rendu compte que le maître d’étage criblait d’impacts les images rémanentes que j’avais laissées derrière moi. J’avais décidé de le retenir encore un peu, mais j’aurais aimé que tout le monde comprenne que je pouvais mourir à tout moment. Il n’était pas toujours facile de se rendormir immédiatement après s’être réveillé.

Je jetai un coup d’œil à l’équipe Diamant et constatai que Puseri s’apprêtait à charger à nouveau son adversaire. Même si elle avait l’intention d’adopter une approche loyale et honorable en affrontant son ennemi de front, cela ne fonctionnerait pas ici. Pas étonnant qu’Eve ait appelé à mon aide.

« Je crois que je n’ai pas d’autre choix que d’essayer », dis-je. « J’emmène le maître d’étage avec moi, mais je ne veux entendre aucune plainte. »

Peu après, le haut de mon corps disparut sous un coup du maître d’étage. Mes restes se désintégrèrent alors en un gaz noir : c’était bien sûr un autre leurre. Il était difficile pour mes adversaires de voir à travers si j’utilisais mon énergie avec précaution.

Quoi qu’il en soit, ma mission consistait essentiellement à empêcher deux voitures de foncer l’une vers l’autre à toute vitesse, ce qui était plus facile à dire qu’à faire. De plus, un camion-benne me poursuivait en même temps… En fait, cela me donna une idée.

« Un camion-benne… C’est ça ! »

Je réglai ma destination de téléportation à l’endroit où Puseri et son adversaire risquaient de se percuter. J’étais encore assez loin et il me faudrait plusieurs pas pour y arriver. Heureusement, ma Surcharge s’occuperait automatiquement des ajustements nécessaires.

***

Partie 6

J’avais eu l’impression de me téléporter plusieurs fois de suite. Avant même que je m’en rende compte, Puseri se trouvait à ma droite et le démon à ma gauche. Derrière moi, Adom fonçait dans ma direction. Pourquoi avais-je l’impression d’être le seul en danger ?

L’un des avantages d’utiliser la Surcharge pour me téléporter automatiquement vers ma cible était de me donner plus de temps pour réagir, même lorsque je devais prendre des décisions à la volée. Cependant, dans ce cas précis, je n’avais pas grand-chose à faire, si ce n’est avancer tranquillement.

« Je pense qu’on est assez loin », dis-je.

Le maître d’étage avait percuté le démon et j’avais cru que mes tympans allaient exploser sous le choc. On aurait dit une scène de film d’action. J’avais toujours l’impression d’être perdant, même si mon plan consistant à « recréer la scène du camion poubelle » semblait avoir fonctionné.

« Ah ! » avais-je crié, surpris par le bruit. « Alors, Eve ?! »

« Bien joué, Kazu ! Je te le rendrai ! »

Je me dépêchai alors de me téléporter à nouveau. Avant de partir, j’avais aperçu l’expression vide de Puseri qui fixait la scène incroyable. L’instant d’avant, le démon se précipitait sur elle, et l’instant d’après, il était réduit en miettes par le maître d’étage.

« Assure-toi de travailler avec ton équipe, Puseri », lui dis-je en me téléportant à côté d’elle. Elle recula de surprise, puis hocha la tête à plusieurs reprises. Je fus soulagé de voir qu’elle s’était remise de ses émotions. L’équipe Diamant était douée pour la coordination, et j’étais certain qu’ensemble, ils viendraient à bout de démons puissants. Sachant que cette zone était entre de bonnes mains, je m’éloignai en me téléportant rapidement à plusieurs reprises, ce qui me donna la nausée.

La zone du champ de bataille que j’avais laissée derrière moi avait beaucoup changé depuis que Puseri avait repris ses esprits.

 

+++

Azagyur se releva et se remit à charger, les flèches toujours plantées dans près de la moitié de ses nombreux yeux. Dans sa vision floue, il distingua trois femmes : la guérisseuse ailée, une cavalière tenant une lance légèrement tordue, et une elfe noire aux longues oreilles.

« Je dis juste que tu devrais essayer d’être plus flexible. Je comprends que tu t’inquiètes pour nous, ce qui fait de toi un bon maître, mais tout de même », protesta l’elfe noire en marchant.

Le bras droit d’Azagyur se transforma en une lance géante en craquant. Pendant ce temps, il ne pouvait s’empêcher de se demander comment ses ennemis pouvaient rester aussi calmes face à un démon de niveau 119. Il avait ciblé le plus puissant du groupe, mais ceux-ci devenaient de plus en plus difficiles à combattre à mesure que d’autres les rejoignaient. Quelqu’un était apparu de l’autre côté du champ d’herbe et le sniper dans la tour était assez embêtant. Après avoir balayé les environs du regard et analysé la situation, Azagyur se précipita immédiatement. Il projeta la lance de son bras droit, divisa son côté gauche en cinq épées et atteignit sa vitesse maximale en quelques pas seulement. Ses sabots résonnèrent sur le sol tandis qu’il fixait sa cible, la plus faible des trois : l’elfe noire.

« Valkyrie, prête-moi ta force », murmura-t-elle sans montrer la moindre crainte.

Soudain, quelque chose de lourd atterrit derrière Eve, produisant un bruit sourd. Des sabots blancs piétinèrent l’herbe et une femme en armure apparut, chevauchant un destrier.

La Valkyrie était un esprit étrange qui apparaissait sur les champs de bataille les plus féroces, et elle semblait avoir reconnu le troisième étage comme un lieu digne de sa présence. Bien que l’on dise que cet esprit ressemble à une belle femme, ses yeux injectés de sang brillaient avec la férocité d’un animal sauvage.

Le corps d’Ève absorba l’esprit. Une fumée blanche s’éleva de sa peau bronzée, tandis que sa température corporelle augmentait, comme si elle était sur le point de s’enflammer. Une force parcourut ses muscles bien entraînés tandis que le démon bondissait vers elle.

Il y eut un sifflement, et tout ce qu’Azagyur comprit, c’est qu’une femme tendait le bras et touchait le ventre de son cheval. Son sourire saisissant et la façon dont elle caressait son ventre trahissaient son éducation dans sa nature sauvage. Le démon la frappa de cinq coups instantanés, mais elle avait disparu en un clin d’œil.

Azagyur se précipita, ses sabots résonnant bruyamment sur le champ. Il n’avait pas le temps de se demander où était passée l’elfe noire. Un instant plus tard, il réalisa que le bruit d’une lame qu’on dégainait lentement provenait de derrière lui et poussa un cri étouffé.

La femme était véloce, d’une rapidité inquiétante. La créature lança une rafale de coups violents en direction de l’elfe noire, mais aucun ne la toucha. Au moment où il pensait qu’elle avait battu en retraite, un coup de genou puissant s’abattit sur l’arrière de sa tête, avec une force suffisante pour enfoncer son corps, pourtant plus solide que le fer ou l’acier.

Malheureusement, Azagyur avait perdu beaucoup de sang lors des combats précédents; sans ces blessures, il ne l’aurait pas perdue de vue. Elle n’était pas seulement rapide, elle avait aussi un instinct incroyablement aiguisé. Le combat donnait l’impression de brandir une grande épée contre un petit écureuil. Comprenant qu’il était inutile de se battre contre elle, Azagyur sprinta à travers le champ à une vitesse vertigineuse. Il balança sa lame derrière son dos dans un mouvement flou et implacable, comme pour chasser une mouche. Son arme avait balayé chaque centimètre carré de l’espace derrière lui, ne laissant aucun doute sur le fait que le parasite avait pris la fuite.

Azagyur remarqua alors quelque chose qui volait vers lui et leva les yeux pour voir une hache géante foncer droit sur lui. La hache avait suffisamment d’élan pour abattre un grand arbre, mais le démon, dont le bas du corps était semblable à celui d’un cheval, l’esquiva facilement. Il glissa sur le champ herbeux avec ses pattes arrière, comme une voiture en dérapage, et changea de trajectoire pour que la hache s’enfonce dans le sol avec un bruit sourd, projetant de la terre dans les airs. Azagyur réalisa alors qu’une femme barbare se tenait sur le manche de la hache, après avoir sauté dessus depuis ce qui semblait être le néant.

« Ha ha ! Allons-y ! Raz-de-marée ! » cria-t-elle. La barbare avait dû activer son pouvoir pendant qu’elle était en l’air. Elle sourit, et son armure rudimentaire se gonfla tandis que ses muscles se développaient de façon impressionnante.

La barbare envoya une énorme onde de choc sur le corps d’Azagyur, le faisant changer de trajectoire de force. Mais le démon fut surpris par la suite.

« Whoa, tu m’as presque touchée ! » dit une voix derrière lui.

Il n’eut pas le temps de s’étonner que l’elfe noire soit toujours sur son dos. Une femme se tenait devant lui, une épée brillante à la main. Ses cheveux flottants étaient bleus et laissaient apparaître des cornes de démon enroulées. Des pierres précieuses recouvraient tout son corps, renforçant son énergie magique, et des éclairs jaillissaient des pierres pour se diriger vers sa lame.

« Pourquoi ne descends-tu pas, Eve ? » demanda la femme, dont la lame et les yeux brillaient, tandis que la magie crépitait autour d’elle.

Isuka, la capitaine adjointe, était une magicienne épéiste pure souche. Les démons avaient un don pour la magie, mais Isuka avait délibérément choisi de ne pas lancer de sorts.

Elle avait concentré toute son énergie magique dans son épée afin de terrasser ses ennemis, ce qui lui valait d’être considérée comme une magicienne épéiste « pure ».

La vague géante de tout à l’heure avait pour but de détourner Azagyur vers Isuka. Alors qu’il comprenait ce qui se passait et que le danger se rapprochait, le démon rugit : « Aaargh ! — Décimation abyssale ! »

Il frappa le sol de ses sabots, provoquant une éruption d’énergie destructrice dans la zone. Il avait invoqué le pouvoir du royaume des démons situé profondément sous terre à travers une porte. Des vagues noires apparurent, émettant des bruits d’aspiration, et des trous se creusèrent dans le sol dans un rayon de dix mètres. Un vide sombre engloutit tout ce qui se trouvait à sa portée.

Alors que l’air tremblait, le démon ralentit progressivement sa course. Il fit demi-tour pour observer les dégâts et vérifier les cadavres des femmes qui lui avaient résisté.

« Yo ! Tu en as mis du temps. »

« C’est la faute aux grosses jambes de Darsha. »

« Qu’est-ce que mes jambes ont à voir là-dedans ?! »

L’échange entre les femmes fit gonfler une veine sur le front du démon, qui fut immédiatement touchée par une flèche. C’était extrêmement agaçant. Non seulement il devait composer avec une vision réduite, mais s’il baissait sa garde ne serait-ce qu’une seconde, cet archer capable de lire l’avenir le transperçait de ses flèches. Bien que ces flèches semblaient être imprégnées de pierres magiques, elles étaient inefficaces grâce à la négation magique d’Azagyur, qui n’avait donc pas encore subi de dégâts importants.

Azagyur réalisa alors que les femmes n’avaient pas la puissance de feu nécessaire pour constituer une menace réelle. Cette prise de conscience l’apaisa et il se remit à courir pour les achever une bonne fois pour toutes. La lance du démon crépita en se divisant, puis il brandit ses cinq épées courbées. Désormais doté d’une puissance encore plus grande, il n’aurait aucun mal à éliminer ses ennemis. Il escaladerait ensuite cette tour agaçante et la détruirait de l’intérieur.

Il maudit les humains ennuyeux dans sa propre langue, mais il se trompait en grande partie. Plus de la moitié de leur groupe était composé de démons, et même un descendant des dieux se trouvait parmi eux. Seules la voyante dans la tour, la barbare armée d’une hache et la femme qui se précipitait vers lui depuis la gauche étaient des humains.

« Gah ! »

Azagyur écarquilla les yeux en voyant la cavalière foncer vers lui à cheval, ses cheveux couleur crépuscule dansant derrière elle, un flou d’acier et d’ombre. Cette fois, ses yeux étaient complètement différents. Ils brûlaient d’intensité, mais la soif de sang qui menaçait de les submerger était clairement contenue. Mais pourquoi attaquait-elle maintenant ? Elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait pas lui infliger suffisamment de dégâts pour pénétrer son armure. Puis il entendit l’elfe noire crier quelque chose.

« Puseri ! Le glyphe de négation magique se trouvait sur sa nuque !

« Compris ! Contemple mon élégant maniement de la lance ! » Puseri sourit gracieusement, puis expira et lança son destrier dans une charge furieuse.

Azagyur n’y comprenait rien. Cette elfe noire avait-elle pris ce risque juste pour découvrir l’emplacement du glyphe ? D’ailleurs, aucun d’entre eux n’était spécialiste de la magie. Ils ne sauraient pas comment le désactiver, même s’ils découvraient où il se trouvait. Il hurla intérieurement, ne sachant pas ce que ses ennemis allaient faire ensuite, puis frappa le chevalier à la rose noire qui chargeait sur son flanc.

Cinq épées jaillirent de ses tentacules, chacune avec assez de force pour transpercer l’acier. Elles auraient facilement pu trancher un humain, armure comprise. Mais Puseri était une guerrière redoutable. Le démon tordit son corps équin pendant qu’il attaquait et des étincelles jaillirent du bouclier épais de Puseri. Elle ne cilla même pas, même si sa joue et ses cheveux avaient été coupés. Elle expira un souffle glacial, puis cria le nom de sa technique : « Lance Traversante ! » Son arme traversa directement l’armure et les vertèbres cervicales d’Azagyur, faisant jaillir du sang noir comme de l’encre de la blessure de la créature.

La Négation Magique avait été désactivée, comme les femmes le voulaient. Cependant, elles ignoraient le puissant sortilège jeté sur le glyphe. Dès que celui-ci serait détruit, le pouvoir régénérateur immense qui y était scellé serait libéré et il se régénérerait en quelques secondes.

***

Partie 7

Azagyur se demanda quel était leur plan, tout en continuant à courir. Il eut bientôt la réponse à sa question. Un bruit inquiétant, semblable au craquement d’un diamant, retentit derrière lui. Le craquement se répéta plusieurs fois, puis il se souvint enfin : les flèches à pointe de pierre magique.

Toutes les flèches plantées dans sa tête explosèrent en même temps. Le groupe ennemi avait toujours eu l’intention de faire exploser les pierres magiques activées par le glyphe. Le haut du corps de la créature fut vaporisé dans une explosion d’énergie bleu pâle et tous applaudirent ce spectacle grandiose.

« Woow ! C’était génial ! »

La musique de fin de niveau résonnait sans discontinuer, récompense grandiose pour les vainqueurs de cette intense escarmouche. L’équipe Diamant ne pouvait s’empêcher de sourire et même Isuka, d’habitude si stoïque, courut vers son maître, affichant une expression de joie débridée.

En les observant de loin, je faillis éclater de rire, même s’il restait encore des ennemis à vaincre. Cette explosion spectaculaire était exactement ce dont nous avions besoin. Si les films hollywoodiens sont moqués pour leurs explosions exagérées, c’est qu’il y a une raison pour laquelle de nombreux films continuent à les utiliser. Une explosion aussi massive était parfaite pour conclure les choses avec clarté et finalité. Il y avait quelque chose de satisfaisant à voir les femmes pousser des cris de joie, les mains en l’air.

C’est ce que je pensais en attendant le maître des airs.

+++

Depuis la tour, on pouvait voir une étendue d’herbe noire, ce qui était pour le moins étrange pour Mariabelle, la sorcière des esprits. L’herbe dansait dans le vent, mais il n’y avait pas un seul esprit dans toute la salle. Pour autant, elle n’aurait pas dit non plus que cet endroit était mort. Elle avait l’impression que le temps s’était arrêté, que tous les êtres vivants étaient plongés dans un profond sommeil.

Les soldats d’Arilai avancèrent dans l’obscurité, torches brandies. Ils ressemblaient à des colons traversant une forêt primitive, à l’exception des deux démons féroces qu’ils avaient combattus et qui les attendaient devant eux. Bien qu’il s’agisse d’une escouade de combattants courageux et entraînés, il ne serait pas facile pour des humains normaux de vaincre ces monstres.

Un démon cracha un jet de flammes noires sur les soldats qui résistèrent en se cachant derrière leurs épais boucliers. Ils furent brûlés, mais survécurent sans crier. La jeune elfe observait le spectacle terrifiant depuis le haut de sa tour, le cœur battant à tout rompre.

« S’en sortiront-ils ? » demanda Mariabelle. « Ils affrontent un démon tellement puissant. Et s’ils se faisaient tuer ? »

« Ils devraient pouvoir tenir un certain temps. J’ai travaillé avec eux pendant ma formation au commandement de première ligne; ce sont des soldats courageux et expérimentés. Ils se sont bien battus au deuxième étage. »

Mariabelle se retourna vers la voix qui venait de parler et vit Kartina, ses bras démoniaques recouvrant tout son corps à l’exception de son visage.

Kartina sourit, puis se dirigea vers le bord de la tour. Elle avait auparavant travaillé avec les forces d’Arilai, mais elle était auparavant chevalier du pays ennemi. Elle profita de la position privilégiée de la tour pour observer le déroulement de la bataille et déclara : « Tout d’abord, leur formation en bouclier est excellente. Leur façon de se positionner pour se soutenir mutuellement les empêche d’être facilement submergés, même face à des adversaires plus puissants. Cette explosion de feu est problématique, mais leur jeune commandant semble bien le comprendre. »

Elle parla d’une voix calme et posée pour rassurer la jeune elfe, suivant probablement l’exemple du jeune garçon. Pourtant, son ton paisible contrastait fortement avec la tension inquiétante de la bataille qui faisait rage en contrebas. Le spectacle était en effet si horrible qu’il aurait pu faire s’évanouir n’importe qui. Des flammes noires dansaient dans la gueule des monstres, la chaleur s’accumulait pour incinérer leurs ennemis dans une explosion infernale.

Les équipes Andalousite et Pierre de Sang criaient à travers le champ de bataille.

« Hé, Doula ! Déploie autant de barrières que possible ici et maintenant ! On en a un gros qui arrive ! Tu m’entends ? »

« Silence ! — Je m’en occupe ! » rétorqua le jeune commandant.

L’équipe Andalousite entonna un hymne sacré à l’arrière de l’unité afin d’apaiser les dieux. C’était aussi pour montrer leur détermination inébranlable face à leurs ennemis démoniaques et implacables. La mort était partout autour d’eux, mais le chant de l’équipe n’en était que plus puissant.

Sur le champ de bataille empestant le sang, Doula entrouvrit les lèvres. Elle tendit la main dans le vide et fut surprise de la voir briller comme si elle était exposée au soleil. Elle fut surprise par le son de sa propre voix. Sa voix résonnait clairement et magnifiquement à travers le champ de bataille, et son cœur battait la chamade, empli de joie et d’excitation. Avant même qu’elle s’en rende compte, tous ceux qui l’entouraient avaient cessé leurs activités, et seule sa voix résonnait dans le chaos de la bataille. Pendant un instant, Doula apparut comme une déesse aux yeux de ceux qui la regardaient.

Un bruit semblable à celui du vent soufflant sur une cape se fit entendre, et de nombreuses couches de voiles translucides enveloppèrent la zone. Peu après, le démon cracha un jet de feu noir implacable. Les flammes rugirent en dévorant l’oxygène de l’air, puis se propagèrent le long des barrières pour les faire fondre. Son attaque ne s’arrêterait pas là, car ce démon avait autrefois réduit en cendres une métropole humaine entière en une seule nuit.

Les flammes crépitaient tandis que la puissance des flammes de l’enfer augmentait progressivement. Une énergie très dense brillait dans sa bouche, déchirant ses propres joues, puis il libéra un souffle de feu en forme de croix avec un bruit assourdissant.

Un bruit insupportable, semblable à celui du métal déchiré, résonna autour d’eux. Une masse noire et solide déforma sévèrement les barrières, transperçant l’équipe en moins d’une seconde et provoquant une violente explosion. L’horreur ne fit qu’empirer lorsque le souffle projeta les soldats dans les airs. Tout semblait se dérouler au ralenti. Dans leurs derniers instants, les humains sentirent leurs sens s’aiguiser, comme s’ils avaient soudain acquis la compétence « Accélération » dans leur lutte contre la mort. Geheroth, le démon à quatre pattes, grogna avec rage.

Son attaque Flamme de l’enfer incinérait généralement instantanément les humains sur une large zone, mais la puissance de celle-ci semblait avoir été redirigée vers le haut. La raison en devint vite évidente lorsque l’onde de choc se dissipa. Il y avait manifestement quelque chose d’étrange dans les boucliers que les soldats Arilai tenaient prêts. Comme le groupe s’était positionné de façon à se défendre contre le centre de l’explosion et non contre le démon, la plupart d’entre eux avaient conservé leur intégrité sans être détruits.

Doula avait rapidement renoncé à bloquer le plus gros de l’attaque et avait déployé une barrière défensive pour rediriger l’énergie de l’explosion vers le haut. Cette incroyable concentration lui donna momentanément l’apparence d’une déesse. Mais ce n’était pas tout : tous les soldats qui avaient été projetés en l’air se relevèrent. Geheroth fut stupéfait de découvrir que Doula avait prédit les dégâts que les soldats subiraient et les avait guéris en plein vol.

Geheroth fixait les soldats, le regard à la fois sceptique et incrédule. Cela n’aurait pas dû être possible; c’était presque comme si cette femme pouvait lire dans le futur.

Pendant ce temps, Mariabelle poussa un soupir de soulagement et s’assit près du bord de la tour. « Ça ne va pas être bon pour mon cœur. J’ai l’impression que ça va me tuer prématurément. »

« Ha ha, c’est drôle, venant d’une elfe qui a vécu pendant des centaines d’années. Je suis impressionnée qu’ils aient résisté à cette attaque. »

L’elfe se retourna et lança un regard noir à Kartina qui lui répondit par un sourire. Mariabelle fit la moue, puis baissa les yeux vers le bas de la tour. La tour avait été construite en contrôlant des esprits de pierre et ceux qui étaient doués pour le combat à distance avaient été rassemblés ici. La hauteur leur permettait de tirer des flèches et de soutenir leurs alliés à leur manière.

« L’équipe Diamant regorge de membres talentueux. Je n’aurais jamais cru qu’il était possible de partager la capacité de voir l’avenir, même si ce n’est que quelques secondes à l’avance. »

« Oui, je crois que ça s’appelle le don de compétence. C’est tellement rare qu’il n’existe aucun document écrit à ce sujet, mais cela peut grandement influencer le cours d’une bataille lorsqu’on le partage avec un commandant sur le terrain. »

Leur succès venait de leur capacité à voir l’avenir et à minimiser les pertes causées par les démons. Même s’ils voyaient la mort arriver, pouvoir la contrer était une autre histoire. La capacité à prendre le contrôle de la bataille dépendait entièrement du niveau de compétence du commandant.

« Oh, ils s’apprêtent à passer à l’action. Ils sont plutôt énervés d’avoir gaspillé leur énergie magique sans rien obtenir en retour. Voyons voir ce qu’ils vont faire maintenant », dit Kartina en regardant le champ herbeux en contrebas. Son expression montrait clairement qu’elle appréciait beaucoup le spectacle. L’elfe ne savait pas trop pourquoi, mais la raison était plutôt simple.

Elle avait déjà défié les soldats d’Arilai et, malgré une préparation minutieuse, elle avait lamentablement échoué sans pouvoir faire grand-chose. C’est pourquoi elle avait décidé de s’amuser cette fois-ci. En d’autres termes, elle se moquait simplement du malheur des autres.

Geheroth, la bête à quatre pattes, bondit, mais le groupe compact de boucliers forma une puissante formation défensive. Chaque soldat soutenait son voisin, créant ainsi un mur plus solide que la somme de ses parties. Cette stratégie était fondée sur des principes scientifiques et même des enfants auraient pu l’utiliser pour repousser un adulte. De la même manière, la bête démoniaque ne fit que légèrement plier le mur de boucliers, sans causer de dégâts réels.

Kartina remarqua quelque chose et observa leur formation. « Oh, ils sont bons. Ils l’ont appâtée. »

Marie ne comprit pas, mais la réponse ne tarda pas à venir. Alors que Geheroth griffait les boucliers et tentait de cracher du feu entre eux, une épée rouge se glissa entre eux et le transperça. Il était difficile de le dire depuis leur position, mais c’était probablement l’œuvre de Zera, car personne d’autre n’aurait enduit son épée de son propre sang.

Une myriade de lances fut enfoncée dans la blessure fraîchement ouverte et le démon recula. Juste avant qu’il ne touche le sol, une voix cria : « Maintenant ! Tirez ! »

Des arbalètes apparurent entre les boucliers et tirèrent une rafale de projectiles. Des flèches couvrirent le côté droit de Geheroth, le faisant hurler de douleur. Il aurait ignoré des carreaux normaux, mais ceux-ci avaient été enchantés par une magie sacrée; certains étaient même munis de pierres magiques. Ils explosèrent à l’intérieur de son corps, enflammant sa fourrure épaisse d’une flamme bleue et le forçant à reculer davantage.

« Soldats, en avant ! Éliminez ces démons ! » tonna le commandant, et les soldats répondirent d’une seule voix puissante.

Le démon arachnéen battit également en retraite, abandonnant les œufs qu’il avait pondus sur place, piétinés par la vague de soldats qui se précipitait. Les démons comptaient faire éclore les œufs pour que les araignées brisent la formation défensive et dévorent les humains en contrebas. Mais le commandant, qui avait gardé la tête froide, avait compris le danger et ordonné l’assaut, malgré les risques. La compétence de Mariabelle, qui leur permettait de détecter les ennemis dans leur domaine, avait grandement contribué à la contre-attaque du camp d’Arilai.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire