Wortenia Senki – Tome 4

***

Prologue

Alors que le soleil s’apprêtait à plonger sous l’horizon, un vieil homme seul se tenait sur la pelouse d’une propriété à l’ancienne construite dans le quartier Suginami de Tokyo.

Il y est toujours…

Après avoir admis leurs invités inattendus dans le salon, les yeux d’Asuka s’étaient fixés sur la silhouette de son grand-oncle, qui s’entraînait au maniement du sabre. Les rayons du crépuscule se reflétaient sur les deux lames tirées qu’il tenait dans ses mains.

Des mouvements fluides. C’était le genre de pratique qui se faisait en suivant une forme spécifique systématique. Ce qui se déroulait devant les yeux d’Asuka ressemblait plus à une pièce de théâtre ou une danse. Elle possédait quelque chose, comme une grâce raffinée, une beauté qui frappait le cœur de tous ceux qui la regardaient.

Mais comme pour contraster avec cette grâce, la sévérité de cet entraînement était inimaginable. Balancer à plusieurs reprises un katana lourd à une vitesse fixe, sans que la lame ne bouge jamais, frisait l’impossible si l’on possédait une condition physique normale. Toute lenteur dans les mouvements qui aurait pu tuer l’élan de ces balancements aurait remis en question son habileté.

Et en plus de cela, il maniait deux katanas lourds. Tenir et manier deux épées séparément n’avait fait qu’accroître la difficulté de son exploit.

C’était une méthode d’entraînement dont l’objectif différait en fonction du type d’entraînement qui durait de l’aube à la tombée de la nuit. Ses mouvements pouvaient sembler simples aux non-initiés, mais la tension mentale et physique qu’ils apportaient était au moins égale, sinon supérieure, à celle causée par un entraînement prolongé.

Et Kouichiro s’entraînait comme ça depuis plus d’une heure.

Regarde toute cette sueur… Il a passé plus de temps à s’entraîner qu’avant la disparition de Ryoma.

Le calendrier marquait la fin de l’été et l’arrivée de l’automne, ce qui en faisait une saison plus ou moins agréable. Mais en raison des conditions météorologiques inhabituelles de ces derniers temps, cette journée avait été chaude et humide, ce qui en faisait l’un des jours où l’on serait particulièrement reconnaissant de la gracieuse protection de son climatiseur.

Et malgré cela, la sueur coulait du corps de Kouichiro comme une cascade. Asuka pensait pouvoir voir quelque chose comme de la vapeur blanche s’élever de son corps, mais rien de tout cela ne pouvait être attribué au temps.

Cela faisait maintenant plusieurs mois que Ryoma Mikoshiba avait disparu sans laisser de trace de son lycée, et l’entraînement quotidien de Kouichiro ne faisait que s’intensifier depuis.

Bien sûr, Asuka comprenait parfaitement sa peine d’avoir perdu son petit-fils bien-aimé. Et pourtant…

Il semblerait que ce ne soit pas la seule raison. C’était comme s’il essayait de mettre quelque chose en bouteille… C’était comme si… oui, c’est comme s’il sait pourquoi Ryoma a disparu…

Depuis qu’elle était toute petite, Asuka accompagnait souvent sa mère et sa grand-mère dans cette propriété, et sa relation avec Kouichiro allait bien plus loin que celle de simples parents éloignés. Pour dire les choses simplement, ils se considéraient comme une famille proche.

Et c’était d’autant plus vrai qu’en grandissant, elle rendait des visites quotidiennes à Kouichiro et Ryoma, deux hommes vivant ensemble, pour les aider à faire la lessive et d’autres tâches.

C’était ce qui ressortait de la façon dont Asuka et Kouichiro s’appelaient l’un et l’autre. Le grand-père d’Asuka étant décédé lorsqu’elle était jeune, son grand-oncle avait fini par assumer ce rôle pour elle, même si le mot signifiait généralement une relation formelle avec un autre membre de la famille.

Mais même s’ils étaient très proches, il serait parfaitement normal qu’ils ne se comprennent pas parfaitement.

Peut-être que je ne sais pas vraiment ce qui se passe dans le cœur de grand-père…

Pour Asuka Kiryuu, Kouichiro Mikoshiba était une personne vraiment exceptionnelle. La famille Mikoshiba était un ménage fondamentalement riche. Apparemment, ils étaient descendants d’une lignée de serviteurs d’un certain daimyo d’un certain domaine, ou peut-être même du daimyo lui-même. (NdT Ce terme désigne les principaux gouverneurs de provinces issus de la classe militaire qui régnaient sur le Japon sous les ordres du shogun, de l’époque de Muromachi [1336-1573], à celle d’Edo [1603-1868].)

En raison de cette relation, ils possédaient un domaine avec un grand jardin dans l’un des vingt-trois quartiers de Tokyo, le bâtiment lui-même abritant de nombreux objets précieux : des dizaines de katanas japonais et une abondance d’objets qui pourraient très bien être considérés comme des trésors nationaux et des biens culturels importants.

Le domaine abritait également des urnes et des bols à thé dont certains avaient été créé par Sen no Rikyū, ainsi que des parchemins et des paravents suspendus qui feraient saliver toute personne intéressée par les anciennes œuvres d’art. (NdT : Sen no Rikyū est un maître du thé japonais du XVe siècle)

La vente d’un seul de ces produits pourrait rapporter entre plusieurs millions et des dizaines de millions de yens, ce qui lui permettrait de vivre dans le luxe, de porter les plus beaux vêtements et de se régaler de la nourriture la plus exquise.

Si Kouichiro le souhaitait, il pourrait acheter une villa ou un yacht et passer le reste de ses jours à manger dans des restaurants de grande classe. Il pourrait s’habiller avec des vêtements de marque et échanger des montres-bracelets qui coûtent des millions de yens chacun avec la même frivolité que celle avec laquelle on change une cravate.

Il en allait de même pour les travaux ménagers. Kouichiro n’était en effet pas familiarisé avec les tâches ménagères et le nettoyage, mais vu la situation financière du ménage Mikoshiba, il n’avait pas besoin de s’en préoccuper. En mettant de côté les options quelque peu irréalistes d’une bonne ou d’un majordome français, l’embauche d’une femme de ménage aurait été parfaitement possible.

Mais Kouichiro avait choisi de vivre dans le calme et la frugalité.

Lorsqu’il quittait la maison, il se déplaçait uniquement dans le quartier commerçant voisin. Il n’avait jamais voyagé à l’étranger et n’avait aucun passe-temps lui permettant de dépenser son argent.

Le seul luxe auquel il s’adonnait, à la connaissance d’Asuka, était de déguster chaque jour des marques locales de saké célèbres. Cela ne représentait que quelques dizaines de milliers de yens par mois.

À l’aube, il se rendait directement à l’entraînement et, à midi, il s’enfermait dans sa chambre pour lire. Le soir, il s’amusait en jouant au go ou au shogi tout seul, et après le dîner, il retournait à l’entraînement.

Il menait une vie sans désir ni vanité.

Si l’on ne regardait que la surface, les mots « retraite tranquille » pouvaient sembler tout à fait appropriés pour décrire sa vie.

Mais… cela ne peut pas être ça. Après tout…

Bien qu’il avait vécu en reclus, Kouichiro n’avait en aucun cas rejeté ce monde. Son attitude et sa façon de penser à l’entraînement l’avaient clairement démontré. L’intensité pouvait sembler excessive à première vue, mais il avait aussi une soif de connaissances qui le poussait à consommer des livres et des manuels spécialisés tournant autour de sujets comme la politique, l’économie et les tactiques militaires.

Avec tous ces éléments pris en considération, Kouichiro ne donnait vraiment pas l’impression d’être un vieil homme reclus.

Comment devrais-je le dire... J’ai l’impression qu’il travaille jusqu’à l’os dans un but bien spécifique.

L’histoire d’un manga historique qu’elle avait lu l’autre jour, basé sur les archives historiques chinoises, refit surface dans l’esprit d’Asuka. Un prince dont les parents avaient été tués avait utilisé sa soif de vengeance comme source de motivation, construisant ainsi son pouvoir national.

Bien sûr, Asuka n’avait pas supposé que Kouichiro complotait pour se venger de quelqu’un. L’image qui lui semblait la plus proche était celle d’un samouraï rêvant du jour où l’honneur de sa famille serait restauré.

Ah… Oh, que je suis bête. J’ai passé trop de temps à regarder l’entraînement de grand-père alors que les inspecteurs attendent…

L’esprit d’Asuka était revenu aux détectives qui attendaient dans le salon.

La zone où se trouvait la propriété de la famille Mikoshiba était sous la juridiction du commissariat central de Suginami, et ces détectives étaient affiliés au département de la sécurité de la communauté du commissariat.

Plus simplement, il s’agissait d’officiers appartenant au département chargé de la délinquance juvénile.

Ce rappel fit naître un certain doute dans l’esprit d’Asuka.

À propos, grand-père n’a pas immédiatement appelé la police lorsque Ryoma a disparu… Il n’a pas vraiment empêché maman d’appeler à la place, mais…

peu importe ses capacités athlétiques et sa maturité, le cousin bien-aimé d’Asuka n’était encore qu’un lycéen normal, et quoi qu’en pense Ryoma lui-même, si l’on regardait la loi du pays, il était encore mineur.

Il y avait eu quelques cas de personnes indifférentes à la fuite d’un enfant, surtout dans des cas de récidives, mais Ryoma n’avait auparavant jamais quitté la maison sans autorisation. Dans ce cas, pensait Asuka, il serait normal que ses proches signalent immédiatement son absence à la police et demandent qu’elle le recherche.

Je comprends qu’il ait attendu la première nuit après l’école pour signaler l’absence de Ryoma, mais même après cela, grand-père n’a pas contacté la police… Quel en pourrait être la raison ?

Il ne serait pas étrange pour un étranger de penser que Kouichiro était exceptionnellement froid et distant envers son petit-fils, mais Asuka savait très bien qu’il avait élevé Ryoma avec amour, et cela rendait le comportement de son grand-père d’autant plus incompréhensible.

Même si l’on devait faire un compromis et prétendre qu’il avait simplement fait une confiance aussi profonde à Ryoma, il était impossible qu’il ne s’inquiète pas pour son petit-fils alors qu’il avait disparu depuis près de six mois.

Asuka avait plutôt interprété la formation accrue de Kouichiro et le fait qu’il n’avait pas beaucoup dîné dernièrement comme une preuve de son irritation et de son anxiété face à l’absence de Ryoma. En fait, elle en était très convaincue. Il était impossible qu’il ne soit pas inquiet, et c’était pourquoi l’indifférence de Kouichiro à l’idée de demander à la police de rechercher Ryoma lui semblait d’autant plus contre nature.

Il n’a jamais dit qu’il n’aimait pas la police en particulier…

La première chose que l’on faisait quand un parent disparaît, c’était de demander à la police de le rechercher. Le Japon était un pays légaliste, pour le meilleur ou pour le pire, avec 250 000 fonctionnaires occupant des postes dans tout le pays. Bien sûr, cela ne signifiait pas que chacun d’entre eux participerait aux recherches, mais même un enfant saurait que cela offrait quand même de meilleures chances qu’une personne qui chercherait toute seule.

Il y avait encore des gens qui ne comptaient pas sur la police, pour toutes sortes de raisons et de circonstances. Mais la famille Mikoshiba n’avait pas eu de relations douteuses, pour autant qu’Asuka le sache, et même si Kouichiro avait ses propres raisons de ne pas aimer la police, il pouvait toujours engager un détective privé pour enquêter.

Les choses seraient peut-être différentes s’il était confronté à des problèmes financiers, mais cela ne changerait rien au fait que la fortune de ses proches soit entachée comme le font les hyènes affamées.

Il agit comme s’il savait qu’il est inutile de le chercher… Grand-père sait certainement quelque chose… Et quoi que ce soit, il le cache.

Il ne pouvait pas ou ne voulait pas le dire, mais, quelle que soit la vérité, Kouichiro la détenait.

« Grand-père, des inspecteurs sont arrivés. Ils ont dit qu’ils avaient quelques questions à te poser… »

Asuka écarta les lèvres pour parler, faisant taire le doute qui s’était installé dans son cœur.

***

Chapitre 1 : Péché originel

Partie 1

Après avoir retiré toute la sueur qui s’écoulait de lui avec un bain chaud, Kouichiro avait mis ses vêtements de travail de moine bleu et s’était dirigé vers le salon, où les inspecteurs l’attendaient.

« Merci d’avoir attendu. J’étais au milieu de mon entraînement quotidien, donc il a fallu du temps pour arranger mon apparence. »

Kouichiro inclina la tête en s’excusant auprès des détectives assis devant lui, le dos tourné aux épées japonaises qui ornaient le sol de la pièce.

Il s’était assis dans une posture droite propre aux arts martiaux. Même les détectives, qui étaient très ennuyés de devoir attendre pendant près de trente minutes, étaient gênés à la vue de cet homme plus âgé qui leur inclinait poliment la tête.

« Pas du tout, M. Mikoshiba… »

Le détective principal Tachibana inclina la tête maladroitement, tandis que le détective junior Kusuda se dépêchait de suivre son exemple.

« Nous devons nous excuser de vous avoir dérangé sans rendez-vous. »

Après que le vieil homme et les deux détectives aient échangé de modestes excuses, Kouichiro était entré dans le vif du sujet.

« Alors, à quoi dois-je votre visite aujourd’hui… ? Y a-t-il des avancés concernant l’endroit où se trouve mon petit-fils ? »

« Non, rien pour l’instant… Nous sommes venus vous voir aujourd’hui, car nous avons quelques questions sur ce qui s’est passé que nous souhaitons confirmer. »

Le ton direct et le regard de Kouichiro avaient donné à Tachibana un air découragé, même s’il était face à quelqu’un qui aurait dû être un civil normal.

Mais qu’est-ce que… ? Il va déjà droit au but ? Et il est terriblement calme à ce sujet, en plus… C’est ce que je pensais aussi la première fois, mais ce vieil homme est vraiment ingérable… Il y a vraiment quelque chose qui pue vraiment chez lui.

Dire qu’il est resté calme peut sembler incroyable, mais Tachibana n’avait pas vu une seule fois Kouichiro perdre son calme. Pas même une seule fois.

Bien sûr, chaque personne avait sa propre façon de traiter la colère et le chagrin, avec des degrés d’intensité différents. Le fait de laisser ces émotions remonter à la surface différait selon la personnalité de chacun.

Mais même si la façon d’exprimer ou de supprimer ces émotions diffère, les êtres humains avaient tendance à réagir à des événements particuliers avec des modèles de comportement bien définis. Par exemple si sa famille disparaissait sous ses yeux, ou bien des parents qui avaient perdu leur enfant, un enfant qui avait perdu ses parents. Au cours de sa longue carrière de détective, Tachibana avait vu de nombreuses familles frappées par un tel chagrin.

Et c’était pourquoi Tachibana regardait ce vieil homme avec beaucoup de suspicion.

Du point de vue de Tachibana, cet homme donnait une impression presque mécanique, ne donnant que les réponses les plus courtes et les plus minimales à ses questions.

« Oui, nous avons quelques questions concernant votre petit-fils… Êtes-vous sûr de ne pas avoir d’idées sur les raisons de sa disparition ? Vraiment, n’importe quelle petite chose pourrait nous aider. »

Alors que son cadet, Kusuda, lisait quelques questions dans un petit carnet, Tachibana s’était assis à côté de lui, regardant Kouichiro avec attention.

Honnêtement, Tachibana n’avait jamais eu une impression favorable de Kouichiro Mikoshiba. Les circonstances l’avaient amené à travailler pour le département d’observation et de protection des mineurs de la division de la sécurité communautaire, mais il était à l’origine un inspecteur adjoint de la quatrième division d’enquête des affaires criminelles.

Ils s’occupaient généralement de la criminalité organisée et de la violence des gangs de type yakuza et mafia étrangère, une occupation vraiment rudimentaire où l’on était confronté quotidiennement à des criminels dangereux.

Il fallait du cran, de l’endurance et de l’ingéniosité, domaines dans lesquels Tachibana excellait. Il excellait particulièrement dans sa capacité à voir à travers les gens.

Et dans le concret, la plupart des suspects que Tachibana soupçonnait d’être de véritables coupables s’étaient révélés être de véritables criminels, ce qui prouvait à quel point son intuition était juste.

Et c’était dans cette perspective qu’il considérait ce vieil homme comme un individu particulièrement suspect.

Tachibana ne le soupçonnait pas d’avoir commis un crime, ou quoi que ce soit de ce genre. En tout cas, une recherche dans la base de données de la police n’avait pas permis de trouver des traces d’un passé criminel, ni rien de suspect concernant ses proches. C’était un citoyen tout à fait ordinaire.

Le fait qu’il ne semblait pas avoir de passé professionnel enregistré était assez curieux, mais apparemment la fortune qu’il avait héritée de sa famille était assez considérable, il n’avait donc probablement pas besoin d’argent.

Si Tachibana devait en faire une image négative, cet homme était un peu comme un NEET qui se débarrasserait de ses parents.

Au moins, en ce qui concernait les documents officiels, Kouichiro Mikoshiba n’était rien d’autre qu’un membre modérément aisé de la population âgée. Mais en rencontrant l’homme face à face, l’impression que Tachibana avait de lui était complètement renversée.

Je suis moi-même entraîné au kendo, à l’aïkido, au karaté et aux arts martiaux, mais… Quand même.

Tachibana approchait de la cinquantaine, mais il avait des muscles trempés comme de l’acier. Le travail d’un policier consistait à réprimer les criminels, aucune formation ou compétence n’était superflue.

Bien sûr, abattre les criminels serait la solution la plus facile, mais c’était terriblement problématique compte tenu du type de nation qu’était le Japon. Même un coup de semonce en l’air pouvait provoquer des scandales dans la presse et auprès des organisations de défense des droits de l’homme.

Et bien sûr, la bureaucratie policière se souciait peu des difficultés des agents sur place, leur faisant porter toute la responsabilité. Le traitement des situations où l’usage de la force était remis en question n’avait jamais été traité de manière cohérente dans tous ces cas.

Il était vrai que les jugements portés sur les lieux n’étaient pas toujours corrects, mais cela ne signifiait pas non plus que ceux qui n’étaient pas sur place étaient en mesure de fournir une critique valable de ces jugements.

Bien sûr, il y avait eu des cas où l’utilisation d’armes à feu était inévitable, mais cela pouvait prendre des mois, voire des années, pour arriver à cette conclusion officiellement.

Un policier ne serait pas en mesure de travailler si la légitimité de la manière dont il avait empêché un seul crime était constamment remise en question, des mois étant gaspillés à essayer de discerner si c’était la bonne ligne de conduite.

Il ne faisait aucun doute que les armes à feu étaient excessivement puissantes pour le maintien de l’ordre public, mais les difficultés quasi inextricables que l’on pouvait rencontrer en les utilisant signifiaient qu’elles n’étaient pas utilisables, sauf dans les situations les plus graves.

C’était des armes qu’il était permis d’avoir, mais pas permis d’utiliser. On aurait pu tout aussi bien interdire l’utilisation de munitions réelles, et donner aux officiers des balles d’entraînement non mortelles, mais les pistolets paralysants étaient plus pratiques que cela.

Bien sûr, ce genre de plaintes n’avait jamais été transmis aux échelons supérieurs et, en fin de compte, les seules véritables armes dont disposaient les officiers étaient leurs propres corps entraînés, des bâtons pliants et leurs collègues. Et cela ne leur laissait pas d’autre choix que de pratiquer les arts martiaux.

Ils le faisaient non pas pour le sport, mais par nécessité, comme une arme pratique permettant de défendre leur propre vie, ainsi que la vie et les biens du citoyen lambda contre les criminels.

Ainsi, les officiers et autres professions impliquant un danger, comme les membres des forces d’autodéfense, avaient été formés jusqu’au niveau ceinture noire, puis ils avaient été entraînés au-delà même, ce qui les plaçait bien au-dessus des praticiens civils de ce rang.

Ils avaient une plus grande expérience du combat, et une différence de résolution et de disposition. Il était facile de prétendre que la violence était un mal et, d’une certaine manière, cette évaluation n’était pas fausse. Mais des gens comme Tachibana et d’autres comme lui savaient pertinemment que la justice sans pouvoir était vraiment diabolique.

Mais même en tenant compte de tout cela, Tachibana estimait que l’homme assis devant lui était une anomalie.

Cela ne voulait pas dire qu’il se sentait sur les nerfs ni que le vieil homme représentait une menace pour lui. Mais des années d’expérience avaient permis à Tachibana de comprendre quel homme était Kouichiro.

C’est vrai… J’ai déjà fait face à quelqu’un qui semblait être comme lui… Je crois que c’était à l’époque.

Il repensa à un homme qui avait travaillé comme assassin professionnel pour une organisation mafieuse de Hong Kong. Il avait d’abord été formé dans une unité des forces spéciales de l’Armée de libération du peuple et, comme beaucoup de membres de la mafia, il avait trouvé sa voie dans les rues aisées de Hong Kong après avoir connu des moments difficiles.

D’après les documents que Tachibana avait reçus à l’époque, l’homme avait effectué des tâches assez violentes au nom du maintien de la paix pendant son séjour dans l’armée, se salissant directement les mains avec du sang des dizaines de fois.

On disait que les hommes qui avaient l’habitude de tuer des gens dégageaient une aura différente, et en effet, en voyant l’homme, Tachibana remarqua que l’air qu’il dégageait était différent de celui de son entourage.

Ce vieil homme lui ressemble énormément… C’est juste une intuition, mais…

Sur la base d’informations obtenues auprès de l’Organisation internationale de police criminelle, le détective principal Tachibana de l’époque avait reçu l’ordre d’arrêter cet homme qui était entré sur le territoire japonais.

Au départ, il était douteux que cette opération puisse relever de la compétence de la quatrième division d’enquête, mais celle-ci avait reçu un appel visant à coopérer parce que la branche japonaise de l’organisation de l’homme avait pris contact avec un grand groupe de la mafia organisé.

Au début, l’enquête s’était bien déroulée. L’informateur que Tachibana avait infiltré dans le groupe criminel avait fourni des informations rapides et précises. Ils avaient la date, l’heure et le lieu où la cible allait entrer au Japon. Tachibana savait tout, de l’hôtel dans lequel la cible allait séjourner au faux nom qu’il allait utiliser.

Mais juste au moment où il était à deux doigts de l’arrêter, le jeune Tachibana s’était écarté du droit chemin avec un empressement excessif, ce qui avait donné lieu à une contre-attaque sauvage de l’assassin.

Ce fut la pire issue possible et la plus grande bévue de sa carrière : deux membres de l’opération moururent dans l’exercice de leurs fonctions et, une fois son travail terminé, l’assassin disparut de leur radar, pour ne plus jamais être revu, comme s’il avait disparu de la surface de la Terre.

Depuis, Tachibana avait évité de justesse la démission, mais ayant pris la responsabilité de l’ensemble de l’événement, il avait été retiré de la quatrième division d’enquête et du bureau du gouvernement central, pour travailler au contraire pour le département de police régional.

Il avait donc été rétrogradé à un poste au sein du département d’observation et de protection des mineurs, où il se trouvait depuis lors.

Il n’avait nullement l’intention de mépriser le travail du département de la sécurité communautaire, mais c’était certainement une punition assez sévère pour quelqu’un qui avait travaillé en première ligne et qui avait affronté des criminels professionnels.

Cela dit, Tachibana n’était pas mécontent. Il était important de défendre les citoyens contre les criminels professionnels, mais il comprenait que veiller sur les jeunes, ceux qui porteront l’avenir de la nation, était un travail tout aussi important.

D’ailleurs, de temps en temps, je suis confronté à des cas comme celui-ci…

Même du point de vue d’un vétéran comme Tachibana, cette disparition était mystérieuse.

Normalement, les affaires comme celle-ci commençaient par une demande de recherche, suivie d’une enquête officielle pour vérifier s’il y avait des preuves d’un incident, et c’était généralement là que ça se terminait.

Aussi cruel que cela puisse paraître, même la police ne pouvait pas retrouver toutes les personnes disparues. Bien entendu, les cas où il existait des preuves d’une intention criminelle ou d’une urgence, comme l’enlèvement d’un enfant ou une personne disparue qui avait laissé une lettre de suicide, étaient traités différemment. Même si, au fil du temps, il restait de moins en moins de personnes pour travailler sur l’affaire.

La plupart des personnes qui en entendaient parler accusaient la police d’un traitement froid et injuste, et pour ainsi dire, ces plaintes étaient justifiées. Mais le fait qu’il était impossible de défendre chaque citoyen avec des ressources et des effectifs limités était tout aussi vrai.

Cependant, dans cette affaire, il s’agissait effectivement d’un cas inhabituel. Après tout, l’élève disparu avait un physique inhabituellement grand et costaud. Il était mineur, mais contrairement à un élève du primaire ou du collège, il était à un âge plus autonome.

De plus, il n’était pas seulement grand, il était clairement entraîné. Tachibana avait reçu une photo de lui prise lors de son admission au lycée, et le physique imposant du jeune homme se distinguait d’un simple coup d’œil.

***

Partie 2

À moins qu’il ne soit attaqué par un groupe important, il était douteux que la plupart des gens puissent faire quoi que ce soit à ce garçon, Ryoma Mikoshiba, aussi impudent que cela puisse paraître. En d’autres termes, il était peu probable qu’il soit victime d’un crime.

Dans ce cas, la possibilité qu’il disparaisse de sa propre volonté devenait plus convaincante, mais cela posait un autre problème : il n’y avait aucune raison discernable pour qu’il le fasse.

Il a laissé son sac à l’école, avec tous ses cahiers et ses manuels scolaires. Son téléphone portable aussi. La seule chose qui manquait était une boîte à lunch qu’il aurait reçue d’Asuka Kiryuu. Et cela correspond au témoignage de ses camarades de classe, selon lequel il a quitté la classe avec son déjeuner à la main… S’il s’est enfui de chez lui, le moment où il l’a fait n’est pas naturel. Et il n’y a aucun témoin, il n’est apparu sur aucune caméra de surveillance des gares ou des magasins de proximité. Il aurait pu les éviter délibérément, il aurait pu utiliser une voiture, mais…

Il y avait des caméras de surveillance aux quatre coins du monde moderne, et il était extrêmement difficile d’éviter d’être filmé, au moins dans une certaine mesure. Même s’ils n’avaient pas pu obtenir une image claire de lui, il n’était pas naturel qu’il n’apparaisse sur aucune caméra dans un rayon de plusieurs kilomètres. Et même s’il s’était enfui de chez lui, laisser son téléphone portable dans son sac était impensable à notre époque.

Quelque chose ne va pas chez ce vieil homme, mais il n’y a rien de sensé non plus dans la façon dont le gamin a disparu. D’après la photo, je peux dire qu’il n’est pas seulement grand. D’après la largeur de sa poitrine et de son cou, il a manifestement suivi un entraînement considérable, bien au-delà de la portée d’un passe-temps.

Asuka Kiryuu était debout à côté de lui sur la photo, et son corps correspondait à sa taille et à ses cuisses en tailleur.

Il avait également inspecté la photo à la loupe et avait constaté que ses poings avaient des callosités considérables, du genre de celles que l’on obtenait en s’entraînant quotidiennement et pendant une longue période avec un poteau de paille de karaté.

Mais il n’y a aucune trace de la participation officielle de Ryoma Mikoshiba à un art martial ou à une forme de sport… Tout comme ce vieil homme… On dirait que cela a été délibérément caché, mais pourquoi ?

Plus il essayait de le comprendre, plus Tachibana sentait qu’il y avait quelque chose qui clochait avec Ryoma Mikoshiba. Ou plutôt, il y avait quelque chose de pas naturel dans la famille Mikoshiba…

Il y a aussi le problème de ses parents…

L’interrogatoire s’était terminé à peu près comme prévu, et Kusuda tourna son regard vers Tachibana.

« Y a-t-il autre chose, M. Tachibana ? »

À première vue, rien ne semblait changer dans l’expression de Kusuda, mais Tachibana remarqua un léger changement sur son visage.

Il n’est pas incompétent, mais il veut vraiment clore ce dossier dans les règles… Je suppose que c’est logique, vu son jeune âge…

Kusuda n’était pas enthousiaste à l’idée de travailler sur cette affaire, il n’y avait participé que parce que Tachibana, le senior responsable de sa formation, y avait été affecté. Il était franchement apathique dans son enquête, et Tachibana pouvait vaguement dire qu’il voulait en finir le plus vite possible.

Je peux comprendre qu’il ne veuille pas perdre plus de temps sur une affaire qui ne semble pas porter ses fruits…

Basiquement, il y avait deux façons de gravir les échelons en tant qu’officier de police. La première consistait à se présenter à un examen qui vous permettrait de monter en grade. C’était la méthode la plus prudente, la plus sûre et la plus fatigante pour être promu.

L’autre consistait à gagner suffisamment de mérite et de réalisations pour être promu à l’une des affectations souhaitées. Ceux qui prenaient ce chemin restaient dans sa division, tandis que son poste passait du commissariat local au bureau de la juridiction. C’était l’équivalent d’un homme d’affaires passant d’une succursale au siège social d’une entreprise.

Pour tout ce qui concernait le jeune Kusuda, il voulait quitter ce poste et son travail ennuyeux et peu attrayant, et passer au département des enquêtes criminelles, plus tape-à-l’œil et plus attrayant. Tachibana savait qu’à cette fin, il cherchait désespérément une chance de gagner des mérites.

Tachibana n’avait pas l’intention de justifier cette façon de penser, mais vue d’où il venait, il ne pouvait pas non plus lui en vouloir.

Bien sûr, compte tenu de son rôle d’officier de police, cela lui avait semblé faux. Au moins en ce qui concernait les apparences, aucun travail n’était plus ou moins important qu’un autre dans le domaine de la police, il ne suffisait pas que d’attraper les criminels. Retrouver des objets perdus, aider les gens à trouver leur chemin dans les rues et même garder l’entrée du poste de police était des éléments importants du maintien de l’ordre public.

Mais il s’agissait de tâches simples et ennuyeuses qui n’étaient pas appréciées par les citoyens.

Et vu le chef de section que l’on a…

Les lèvres de Tachibana se recourbèrent alors que le visage de leur chef, qui les poussait toujours à obtenir des résultats et à augmenter les chiffres, fit surface dans son esprit. Il n’avait pas une très bonne opinion de lui. Non. Franchement, il le considérait comme la vermine de la terre. Mais là encore, s’il mettait une telle pression sur ses subordonnées, c’était parce qu’il subissait la même pression de la part de ses propres supérieurs.

La société mettait l’accent sur les résultats et l’efficacité, et cela ne se limitait pas au seul travail de la police. Le Japon moderne fonctionnait entièrement sur une logique chiffrée, et une fois que la plupart des gens avaient vu au-delà des faux-semblants et des apparences, ils agissaient comme Kusuda le faisait. En d’autres termes, la société avait une façon d’écraser ceux qui ne se conformaient pas à cette ligne de pensée.

« Non, je n’ai rien à demander. »

Sentant le regard perçant de Kusuda, Tachibana hocha la tête, étouffant le sentiment de tristesse qui germait dans son cœur.

Ils avaient presque atteint leur but. Tachibana était convaincu que son intuition était la bonne.

Ce vieil homme est la clé de cette affaire. Il ne fait aucun doute qu’il sait quelque chose… La seule question est de savoir comment je devrais aborder cette affaire à l’avenir. Je devrais probablement rassembler plus d’informations.

Il ne pouvait rien faire de plus pour l’instant. Même s’il inondait le vieil homme de questions, il doutait qu’il obtienne une réponse convaincante de sa part.

« Je vois… Alors je suppose que nous allons partir. Après tout, il se fait tard. »

Kusuda fit un sourire, soulagé qu’ils puissent enfin rentrer chez eux.

« Oh, voulez-vous que je prépare le dîner ? », demanda Asuka.

« Non, nous apprécions l’offre, mais nous sommes en service en ce moment », déclina Tachibana avec gratitude tout se levant.

« Je vois… Je suis désolé que nous n’ayons pas eu grand-chose à vous offrir. S’il y a quoi que ce soit d’autre, venez nous voir quand vous voulez… Asuka, si tu veux bien… », dit Kouichiro.

« Je vous raccompagne jusqu’à la porte. »

Asuka avait légèrement hoché la tête.

Cela dit, elle suivit Tachibana et Kusuda hors du salon, tandis que Kouichiro les regardait partir.

« Ce détective, Tachibana… »

Kouichiro avait pris son bol de thé préféré, prenant une gorgée de son thé maintenant tiède et laissant le goût s’attarder sur sa langue.

« Hmm. Il a peut-être remarqué quelque chose, mais ça ne doit pas représenter grand-chose. »

Pour Kouichiro, qui connaissait toute la vérité, rien n’était plus irritant que d’avoir un détective comme Tachibana, tout simplement trop fidèle à ses devoirs, qui fouinait partout. Cela dit, Kouichiro ne pouvait pas offrir à Tachibana une réponse qu’il accepterait.

Une invocation depuis l’Autre Monde.

À eux seuls, les mots ne semblaient pas si étranges. De nombreuses œuvres de fiction japonaises en faisaient usage. Mais dire ces mots dans la réalité était une tout autre histoire. Si Kouichiro avait été à la place de Tachibana, il n’aurait pris ces mots que comme les divagations d’un fou.

Pourtant, il n’y a qu’une chose que je puisse faire…

Kouichiro portait cette culpabilité depuis qu’il était revenu de l’autre monde. Le simple fait de se demander pourquoi les compagnons qui auraient dû le suivre n’étaient pas avec lui le rendait fou.

En suivant un chemin pavé de nombreux sacrifices, Kouichiro avait retrouvé le chemin du retour au Japon, et au moment où tout semblait pouvoir enfin être oublié, c’était arrivé.

Un trou s’était ouvert à ses pieds, entraînant son fils et la femme de son fils dans sa sombre étreinte. Ils avaient tous deux entendu parler de son histoire, et bien qu’ils n’y croyaient qu’à moitié, ils savaient maintenant ce que la situation signifiait. Leurs derniers cris, l’implorant de prendre soin de leur fils, résonnaient encore aujourd’hui dans ses oreilles.

La culpabilité de ne pas être retournés sur l’autre Terre avec eux, et de les avoir laissés derrière, coula au fond du cœur de Kouichiro comme une sorte de boue. Mais il continua à vivre jusqu’à ce jour pour tenir la promesse finale qu’il leur avait faite et prendre soin de leur fils.

Mais aujourd’hui, même son petit-fils bien-aimé était devenu une victime de son karma.

Je récolte ce que j’ai semé. On dit que bien que tout doit finir par se payer, et ces mots ne sont que trop vrais.

Kouichiro pensait que tout cela s’était terminé par le sacrifice de son fils et de la femme de son fils. Qu’il avait expié ses péchés ! Mais les chaînes du destin avaient rejeté ses sentiments, revendiquant également Ryoma.

Il n’y avait pas de preuve, mais Kouichiro était convaincu que Ryoma avait été convoqué dans l’autre monde.

J’aurais peut-être dû le dire à Ryoma, même s’il ne m’avait pas cru…

Le regret et le remords formèrent des vagues dans le cœur de Kouichiro. Il regarda dans le bol de thé vide qu’il tenait dans ses mains.

Mais ses émotions s’étaient vite dissipées au son des cris d’Asuka.

« Asuka ! »

À ce moment, Kouichiro se leva, surpris, et entendit un léger bourdonnement provenant de la poignée d’une épée. Le regard de Kouichiro se posa sur ses katanas bien-aimés, qui se trouvaient dans une alcôve.

Comment... Ouka et Kikuka bourdonnent… ?

Ces épées bien-aimées lui avaient sauvé la vie d’innombrables fois dans l’autre monde. Même en retournant sur la Terre, Kouichiro n’avait jamais négligé de les entretenir chaque jour. C’était de véritables lames, des outils d’homicide.

Et maintenant, de nombreuses lunes et des années plus tard, elles parlèrent et chantèrent à Kouichiro une fois de plus.

Est-ce qu’elles me disent de les prendre… ?

C’était, en quelque sorte, une décision de mauvais augure. Prenant les deux épées de l’alcôve, Kouichiro se précipita vers l’entrée.

Impossible… Non, ce n’est pas possible !

Maudissant la taille de sa propre maison, Kouichiro se précipita vers l’entrée.

« Non… Ce n’est pas possible… Pas aussi elle… Tu ne peux pas aussi emmener Asuka. Est-ce la punition que vous me feriez subir ? »

Il avait déjà payé une fois avec son fils et la femme de son fils. Il ne s’attendait pas à devoir supporter un autre sacrifice, mais cette malédiction avait ensuite frappé son petit-fils. Et maintenant, la tragédie allait frapper une troisième fois.

Kouichiro arriva dans le hall d’entrée en prenant deux virages, mais il fut accueilli avec la pire des visions possibles.

Il n’y avait personne. Ni les deux inspecteurs ni Asuka. À leur place, un trou noir béant était ouvert dans le sol. Une ouverture sans fond vers les profondeurs de l’enfer. Et Kouichiro savait très bien ce que cela impliquait s’il plongeait dedans.

Mais je ne peux pas abandonner Asuka. Si je ne la poursuis pas, elle va certainement…

Contrairement au petit-fils qu’il avait élevé et entraîné personnellement, Asuka n’avait pas été aussi bien formée. De corps et de cœur, elle n’était qu’une fille amateur de l’ère moderne. C’était plus que suffisant pour vivre au Japon, et le fait qu’elle devienne trop forte pourrait en fait lui rendre la vie plus difficile à l’avenir, cette pensée avait empêché Kouichiro de la former davantage. Et même aujourd’hui, il ne pensait pas avoir eu tort de prendre cette décision.

Mais dans un monde où la loi avait une présence moins contraignante et où les droits de l’homme étaient un concept douteux, les choses étaient différentes. La non-agression ou l’autodéfense rendaient une personne incapable de se défendre, sans parler des autres.

Pour survivre dans ce monde, il fallait être capable de tuer impitoyablement son adversaire, et il fallait avoir les compétences en gestion de crise pour savoir comment faire face aux menaces à l’avance.

Bien entendu, si l’on parvenait à trouver un moyen de survivre, on en viendrait à développer ces compétences dans ce monde, qu’on le veuille ou non. Mais avant d’atteindre cet état, Asuka devrait vivre l’enfer.

Oui, tout comme Kouichiro l’avait fait une fois, dans sa jeunesse…

Il y a beaucoup de choses que j’aimerais emporter avec moi si je le pouvais, mais… Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. Je vais devoir me contenter de ces deux-là…

Le trou dans le sol se refermait progressivement. Il ne lui restait que quelques instants. En quelques secondes, les deux mondes seraient à nouveau séparés.

Kouichiro resserra son emprise sur les deux épées qu’il chérissait tant. À ce stade, il n’y avait aucun moyen de savoir quel pays les avait invoquées, mais il ne faisait aucun doute qu’il allait devoir se battre.

Pardonnez-moi… Finalement, même Asuka s’est retrouvée impliquée dans tout cela, même si je craignais que cela n’arrive… Mais je vais la protéger. Je le jure. Je la garderai en sécurité, même si cela doit me coûter la vie. Alors, s’il vous plaît… Pardonnez à votre frère pécheur.

Kouichiro s’avança pour exprimer sa gratitude à sa jeune sœur, qui l’avait toujours soutenu, lui et Ryoma.

« Attends-moi, Asuka ! »

L’épée à la main, Kouichiro s’envola à nouveau dans ce monde barbare, afin de ne plus perdre de membres de sa famille.

Avalant Kouichiro, le trou fermait lentement sa gueule, laissant dans son sillage un domaine privé de son maître. Le seul témoin de ce qui se passait entre ces murs était la lune pâle, qui dominait tout depuis une fissure dans les nuages gris.

***

Chapitre 2 : Un messager inattendu

Partie 1

Lupis examina avec soin l’homme qui lui était soudainement apparu. Il s’appelait Akitake Sudou. Il avait les cheveux noirs, les yeux noirs et la peau jaune. Il semblait avoir la quarantaine, et bien qu’il ne fût pas très grand, son corps semblait plutôt solide dans l’ensemble. Il avait un peu d’instinct, mais cela pouvait probablement être attribué au fait que son âge le rattrapait. Ses bras et son cou, cependant, avaient une épaisseur qui le faisait ressembler à un guerrier chevronné.

Elle avait déjà vu des gens avec une combinaison de ces traits, mais c’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un les remplir tous. Oui, à l’exception d’une personne. Ryoma Mikoshiba…

« S’il vous plaît, ne me regardez pas avec autant d’intensité. Je pourrais rougir. »

Vu qu’il parlait à la princesse du pays, le ton de Sudou était bien trop grossier, mais l’expression de son visage lui faisait pardonner ses paroles. Cela était dû à l’aura qu’il dégageait. Cependant, ses mots faciles à prononcer n’avaient fait que renforcer d’autant plus la prudence de Lupis.

« Je réalise qu’il est naturel que vous vous méfiiez, étant donné que je suis apparu au milieu de la nuit sans rendez-vous, mais… pourrais-je au moins m’asseoir ? Vous savez, rester debout très longtemps devient difficile à mon âge. »

Tout en disant cela, Sudou s’était assis sur la chaise sans attendre l’accord de Lupis. C’était une approche vraiment impudente. Lupis n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi effronté auparavant, si ce n’est plus.

« Je demande à nouveau : qui êtes-vous ? », dit Lupis tout en pointant son épée sur le cou de l’homme qui croisait ses jambes sur sa chaise.

« Je m’appelle Akitake Sudou. Vous pouvez me considérer comme une sorte de médiateur. Je suis engagé par un certain individu. »

Les mots de Sudou étaient paisibles, mais leur contenu était assez dangereux. Contrairement aux marchands officiels, les émissaires secrets comme lui mettaient leur vie en jeu. Selon ce qu’il laissait échapper, il pouvait très bien être exécuté.

Il ne ressemble pas à un imbécile qui ne sait pas où est sa place… Mais il est terriblement calme.

Quelque chose dans ce calme avait attiré l’attention de Lupis.

« Qu’est-ce qui vous pousse à venir ici ? »

« Négocier avec vous, Votre Altesse Lupis Rhoadserians. Quoi d’autre ? »

« Comment êtes-vous entré ? »

« J’ai nagé en amont à contre-courant de la Thèbes pour atteindre l’arrière du camp. Franchement, votre commandant… Mikoshiba, je crois… Il est vraiment compétent. Il ne s’est pas contenté de veiller à ce que les douves soient bien gardées, il a aussi étendu son filet de sécurité jusqu’à la Thèbes. La natation est très éprouvante à mon âge, et j’ai failli me faire prendre par les gardes… C’est horrible, je vous le dis. Tout simplement horrible. »

Sudou avait lancé un rire insouciant.

Mais Lupis ne pouvait pas s’empêcher d’être choquée par ses paroles.

Il… a nagé dans la Thèbes… ?

Il y avait des gens qui savaient nager si le besoin s’en faisait sentir, de sorte que cela n’était pas si invraisemblable. Même s’il n’y avait pas beaucoup d’occasions de nager, certaines personnes de ce monde savaient nager ne serait-ce que pour gagner leur vie, comme les pêcheurs et les marins. Il était vrai que l’arrière de la base était patrouillé, mais pas aussi étroitement que l’avant.

Mais la Thèbes était un fleuve massif qui fertilisait l’ensemble de la Rhoadseria, et elle était toujours riche en eau, jamais à sec. Au plus profonds, elle était quatre à cinq fois plus haute qu’un homme, et non seulement elle était assez large pour qu’on ne puisse pas la traverser sans bateau, mais ses courants étaient aussi assez rapides.

À moins que son bateau n’ait coulé et que sa vie ne soit en jeu, personne n’envisagerait sérieusement de traverser cette rivière à la nage, même s’il était marin ou pêcheur. Tout au plus iraient-ils dans les bords. C’était pourquoi le côté faisant face à la Thèbes était moins sécurisé.

La question devint alors la suivante : pourquoi Sudou était-il si désespéré au point de se faufiler dans le camp ?

« Quelles sont vos intentions ? Quelles négociations… ? »

« Pourriez-vous, s’il vous plaît, mettre cette chose dangereuse de côté d’abord ? Je suis après tout un homme timide… Avoir une épée pointée sur moi par la femme connue sous le nom de princesse générale est très perturbant », dit Sudou tout en éloignant la pointe de l’épée de sa poitrine avec un doigt.

Il était difficile de dire s’il était honnête ou s’il essayait simplement de la complimenter, mais Lupis ne pouvait pas discerner l’intention de la personne assise devant elle. Il n’en restait pas moins vrai que saluer un homme qui venait négocier avec une épée pointée sur lui était cruel. Même s’il se faufilait dans la tente d’une princesse au milieu de la nuit.

Lupis hésita à rengainer son épée, bien qu’elle la garda à portée de main, afin de pouvoir réagir à tout assaut surprise.

« Très bien… Nous pouvons maintenant discuter en paix. »

« Vous n’avez pas à commenter tout. Pourquoi êtes-vous ici ? »

Lupis fixa son regard sur Sudou.

Mais Sudou restait désinvolte.

« Eh bien, comme vous l’avez sûrement imaginé, j’ai été envoyé par un certain duc Gelhart… Bien que la vérité soit un peu plus nuancée que cela mais pour l’instant cette explication fera l’affaire. »

Lupis ignora son ton insolent. Si elle s’accrochait à chaque remarque imprudente qu’il faisait, la conversation n’irait nulle part. Sudou, pendant ce temps, devinait ses pensées à partir de son regard, et endurcissait son expression alors qu’il continuait.

« Ce qui m’amène à ceci… Je vais être direct. Le duc Gelhart souhaite vous prêter allégeance, Votre Altesse. »

« Il veut prêter serment d’allégeance ? Vous êtes sûr que vous ne voulez pas dire que vous vous rendez ? »

Lupis s’était moquée.

Aussi inexpérimentée qu’elle fût, c’était une personne de la famille royale. Elle avait ainsi reçu une éducation considérable. Elle savait que si le Duc Gelhart ordonnait quoi que ce soit à ce stade, ce serait soit sa reddition, soit l’assassinat de Lupis.

Bien sûr, puisqu’il se rendait avant l’épreuve de force finale, on pouvait se demander avec quelle sévérité elle pouvait le punir, mais, quelle que soit la manière dont cela se passerait, le pouvoir et l’autorité du Duc Gelhart seraient sévèrement diminués. Il n’y aurait pratiquement aucune chance qu’il retrouve sa place initiale.

Mais s’il se rendait, elle ne pourrait tout simplement pas le faire exécuter. Son territoire serait également une préoccupation, car même si elle pouvait le diminuer, elle ne pourrait pas lui enlever toutes ses terres, et il en serait de même pour sa fortune.

Il y avait une différence entre se rendre après la fin de la guerre et se rendre au milieu de la bataille. Le vainqueur ne pouvait pas faire pression sur le perdant pour obtenir des conditions aussi dures.

Mais étant donné que les forces des deux camps n’étaient pas à l’égalité, il n’y avait donc aucune raison pour que le duc Gelhart décide de prêter serment d’allégeance à la princesse Lupis à ce stade de la guerre.

La faction de la noblesse détenait la supériorité numérique, mais la princesse Lupis l’emportait parce qu’elle avait un plus grand nombre de chevaliers, qui étaient formés et compétents en magie. Ryoma Mikoshiba privait la faction de la noblesse de son avantage géographique. Et surtout, la faction de la noblesse n’était finalement rien d’autre qu’une foule désordonnée. Ils feraient n’importe quoi pour maintenir la position de leurs familles.

Si le Duc Gelhart avait offert son allégeance avant que les forces de la Princesse Lupis ne traversent le fleuve, elle aurait peut-être accepté à contrecœur. Faire traverser le fleuve à une armée était plus facile à dire qu’à faire.

C’était pourquoi les réalisations de Mikoshiba avaient été si importantes.

Lupis l’avait compris, elle avait donc jugé les paroles de Sudou inacceptables. Tout cela mis à part, c’était le duc Gelhart qui avait utilisé cette enfant illégitime et qui l’avait fait sortir de nulle part, Radine, ainsi que le contenu de la volonté pour former une juste cause de bataille. C’était tout simplement un traître à la couronne.

Pour tout ce qui concernait Lupis, le duc Gelhart était la source et le chef de file de ce conflit politique. Lui épargner la vie n’était pas une option pour elle.

Du moins, pas avant qu’elle n’entende les mots que Sudou prononça ensuite.

« Avez-vous entendu parler d’un chevalier du nom de Mikhail Vanash ? »

Au moment où il dit ces mots, Lupis était devenue pâle. Elle ne s’attendait pas à entendre le nom d’un homme dont elle avait pleuré la mort jusqu’à présent, et sa surprise était compréhensible.

« Hein… ? Qu’est-ce que vous voulez dire par… ? Ce n’est pas possible ! »

Un messager venu pour des négociations mentionnait le nom d’un homme qui devrait être mort. Cela fit germer une seule possibilité dans le cœur de Lupis.

« Ce n’est pas possible… Mikhail est… »

Mais quelque chose déchira le tissu de la tente et s’introduit de force, comme pour lui couper les mots.

« Hein ? »

Lupis était alors restée muette devant les mouvements que Sudou avait exécutés sous ses yeux. Son corps lourd, d’âge moyen, avait à un moment donné disparu de la chaise. Il se tenait maintenant sur ses deux pieds. Ses yeux ne pouvaient pas percevoir le moment où il s’était levé. Quelque chose s’était à nouveau fracassé en l’air, mais poignarda la chaise sur laquelle Sudou était assis il y a un instant.

« C’est dangereux. Attaquer sans aucun avertissement est terrible, même si je suis un intrus », déclara Sudou tout en fixant fixement le chakram qui avait était planté dans la chaise.

« Mais oh, c’est inhabituel. Un chakram… Si quelqu’un devait utiliser cette arme, ce serait Ryoma Mikoshiba lui-même, correct ? »

La voix de Sudou résonnait à travers la tente, mais aucune réponse n’était venue. Au lieu d’une réponse, un autre chakram flotta dans l’air, cette fois-ci depuis l’entrée de la tente, tout en rugissant et en se dirigeant vers le visage de Sudou.

« Mon Dieu, en m’ignorant, es-tu… ? »

Sudou bloqua le chakram entrant en ramassant la chaise.

Même si plus de la moitié de la lame avait traversé le bois, le ton de Sudou était resté aussi léger qu’avant. Alors même que de plus en plus de chakrams lui étaient jetés dessus.

« S’il te plaît, pourrais-tu te montrer maintenant ? J’ai l’impression de me parler à moi-même, et ça me fait me sentir assez stupide. »

D’autres chakrams s’envolèrent alors même qu’il disait cela. Bien sûr, Sudou lui-même ne savait pas s’il parlait vraiment à Ryoma, mais il avait simplement essayé de provoquer l’autre partie. Son ton restait désinvolte, mais sa concentration était entièrement fixée sur l’entrée de la tente… Sans savoir que c’était exactement ce que Ryoma voulait qu’il fasse.

« Votre Altesse ! Par ici, dépêchez-vous ! »

***

Partie 2

Tout à coup, la toile de la tente s’était déchirée et Meltina s’était précipitée à l’intérieur derrière Lupis. Après tout, même une tente solide, faite pour résister à la pluie et au vent, était en tissu et pouvait facilement être déchirée par une épée.

« Meltina ! »

« Venez, Votre Altesse, nous devons nous dépêcher ! »

Meltina fit sortir Lupis de la tente par la déchirure, dans un périmètre qui était complètement entouré de chevaliers. Alors que la princesse Lupis était encore sous le choc, incapable de suivre l’évolution rapide de la situation, Meltina haussa la voix.

« Seigneur Mikoshiba, j’ai sécurisé Son Altesse ! »

Comme pour répondre à ses paroles, les chevaliers avaient tous incliné les torches qu’ils tenaient en avant.

« Très bien. Faites-le ! »

Sur l’ordre de Ryoma, plusieurs dizaines de torches furent lancées sur la tente, éparpillant braises et étincelles qui s’envolèrent dans les airs.

« Attendez, non, vous ne pouvez pas le tuer… ! », cria Lupis aussi fort qu’elle le pouvait.

« Meltina, s’il vous plaît ! Vite, allez chercher de l’eau ! Éteignez ces flammes ! »

Au moins pas tout de suite ! D’après ce qu’a dit ce Sudou, Mikhail est peut-être encore…

Cette émotion avait fait avancer la princesse Lupis. Elle savait que les chances étaient faibles, mais les gens avaient une façon de s’accrocher à l’espoir qui se trouvait devant eux. Mais ses paroles arrivèrent bien trop tard, et la rafale de torches avait déjà enflammé la tente. En outre, les chevaliers avaient déjà dégainé leurs épées, s’attendant à ce que Sudou sorte de la tente. Toutes les personnes présentes étaient déterminées à livrer la mort à l’intrus qui s’était glissé dans la tente de la princesse.

« Que dites-vous, Votre Altesse ? N’est-ce pas un assassin ? », demanda Meltina.

Elle avait elle aussi du mal à comprendre la situation. On l’avait réveillée de son lit, on lui avait dit que la princesse Lupis était en danger. Elle s’était alors précipitée vers elle après avoir mis son armure. Elle s’était alors contentée de suivre les instructions de Ryoma.

Meltina ne savait pas ce qui se passait, et ne pouvait pas comprendre ce que la princesse Lupis disait. Elle n’avait aucune idée de l’allusion que Sudou avait faite quand à la survie de Mikhail.

« Oubliez tout ça, sauvez-le, sauvez Sudou ! »

Lupis ordonna à ses hommes de sauver Sudou de la gueule de la mort.

Accablée par les cris de colère de la princesse Lupis, Meltina déplaça son regard vers la tente en feu.

« Mais… À ce stade, c’est… »

Le feu avait complètement dépassé la toile qui constituait la tente, qui était maintenant réduite à un énorme feu de camp. Entrer dans cette tente serait se jeter dans l’un des deux destins suivants : suffoquer par manque d’oxygène ou prendre feu et brûler à mort. Peu importe ce qui s’était passé, il était peu probable que Sudou survive.

Mais c’était alors que le son des voix choquées des chevaliers parvint aux oreilles de Meltina.

« Oh ! Il vient de… ! »

« Préparez les lances ! En avant ! En avant ! »

« Ne le laissez pas s’échapper ! »

Les chevaliers de l’autre côté de la tente crièrent.

« Meltina ! »

« Oui ! »

Meltina ne comprenait toujours pas la situation, mais elle savait que la princesse Lupis souhaitait que la vie de cet assassin soit sauvée. Meltina s’était donc mise à réaliser les souhaits de sa maîtresse, bien qu’elle ne comprenait pas les raisons.

« Ma parole… C’était une chose horrible à faire… Je suis peut-être un ennemi, mais vous pourriez faire preuve d’un peu plus de pitié. Brûler une personne vivante… C’est inacceptable. Tout simplement inacceptable. Je dirais que ça va à l’encontre de la décence humaine. »

Sudou était apparu devant Ryoma. Ses vêtements étaient carbonisés ici et là, mais il n’avait aucune blessure visible.

« Es-tu vraiment humain… ? »

Même s’il était calme, Ryoma ne pouvait pas retenir sa surprise à la vue de Sudou sortant calmement de l’entrée de la tente en feu.

« Ah, tu t’es enfin rappelé comment parler, hein ? Comme c’est heureux. »

Mais Ryoma avait simplement ignoré ses mots, dégainant son katana.

« Hmm, tu es redevenu calme ? Même la brusquerie devrait avoir ses limites… »

Mais Ryoma ignora les sarcasmes de Sudou, cachant le katana avec son corps en le tenant dans une position de flanc, il réduisit ainsi l’écart entre eux en un instant. Et puis, le regard fixé sur l’abdomen de Sudou, il fit avancer son épée.

À ce moment, le bruit sourd du métal qui s’entrechoquait retentit, tandis qu’une gerbe d’étincelles s’épanouit entre les deux.

« Pourrait-on régler cela un autre jour, vu la légèreté de mon armement ? Cela devient vraiment trop lourd à porter, même pour moi. »

À un moment donné, un poignard était apparu dans les mains de Sudou. Celui-ci parla tout en l’utilisant pour parer l’attaque de Ryoma. Il était difficile de dire s’il parlait sincèrement ou non, s’il avait vraiment le loisir de rester calme ou non. Aucun des chevaliers environnants ne pouvait dire ce que pensait Sudou, même Ryoma ne pouvait pas le savoir. Mais Ryoma ne se souciait que d’une seule chose en ce moment, et ce n’était pas les intentions de cet homme.

Après tout, les intentions d’un homme mort n’avaient pas la moindre importance.

La jambe droite de Ryoma heurta le sol de plein fouet. Sudou évita de marcher sur l’avant de sa jambe, ce qui fit perdre à Ryoma sa concentration pendant une fraction de seconde, ce que Sudou avait pris comme une chance de creuser l’écart entre eux.

« Hmph… C’est affreux. Tu n’écoutes pas un mot de ce que je dis… Je ne peux pas me permettre de te combattre ici… »

Mais si Sudou n’avait aucune volonté de se battre, c’était tout le contraire pour Ryoma. Il tenait silencieusement le katana au-dessus de sa tête, sollicitant ses muscles pour lui porter une taillade. Ses yeux brillaient d’une sombre soif de sang, qui menaçait Sudou.

« Une position au-dessus de la tête, la position de frappe… C’est problématique… » murmura Sudou de façon presque résignée.

J’ai essayé de le secouer autant que je pouvais, mais rien ne marche. J’ai pensé que ça pourrait faire vaciller son jeu d’épée, mais ça n’a rien fait. Il lit même calmement mes actions… Il a probablement réalisé que tout ce que j’ai, c’est cette dague pour me défendre…

Il avait laissé derrière lui son épée habituelle et les nombreuses armes qu’il avait gardées cachées dans ses vêtements, car elles l’auraient alourdi dans sa nage à travers Thèbes. Sa seule arme était ce poignard, et ayant réalisé cela, Ryoma avait choisi la position du feu. La position la plus agressive, qui était aussi la moins adaptée à la défense, une position qui était à bien des égards imprudente. Mais avec seulement un poignard en main, Sudou ne pouvait pas bloquer le coup d’épée qui arrivait.

Il était évident que même s’il parvenait à la bloquer, il serait maîtrisé. Le katana levé s’abattrait sur lui avec toute la force de Ryoma et son poids, qui était le double de celui de l’homme du commun. Le mieux qu’il pouvait faire était de prévoir sa portée et d’essayer d’éviter complètement la taillade oblique.

Quel ennui… Je ne peux pas me permettre de mourir ici… Mais en même temps, je ne peux pas le tuer sans l’évaluer correctement…

Sudou tourna sa conscience vers ses propres chakras, mais c’était alors que la déesse du destin lui sourit.

« Seigneur Mikoshiba, arrête ! Ça suffit ! »

Meltina s’interposa entre eux, pour finalement apparaître sur la scène.

Elle avait dû sprinter, car sa poitrine bien galbée se soulevait et s’abaissait avec une respiration fatiguée.

« Qu’est-ce que tu fais… ? Pourquoi m’arrêtes-tu ? » demanda Ryoma tout en gardant sa position.

Son regard était toujours fixé sur Sudou.

Sa voix était aussi aiguisée qu’une lame, c’était contraire à son ton habituel.

« Je ne le sais pas moi-même ! Mais Son Altesse l’a ordonné ! »

« La princesse Lupis… ? Est-ce vrai ? »

« Oui, il n’y a pas d’erreur. Elle m’a donné l’ordre direct de l’épargner. »

Sur ses paroles, Ryoma expira et baissa son épée. Mais il avait seulement changé sa position pour se mettre en position basse, afin de pouvoir couper Sudou au cas où il ferait quelque chose de suspect. Il n’avait pas laissé l’insouciance se faufiler dans son cœur.

« Bien. Je ne vais pas l’abattre pour l’instant, mais nous devons comprendre la situation. Je suis désolé, mais pourriez-vous faire venir Son Altesse ? »

« Je suis là ! »

La princesse Lupis s’était précipitée, en courant entre les chevaliers.

Ryoma lui demanda alors. Son attitude était peut-être trop grossière, vu qu’il s’adressait à la royauté, mais personne ne reprochait à Ryoma cette situation. Même si c’était un ordre de la princesse Lupis, personne ne voyait de raison de maintenir en vie un intrus qui s’était faufilé dans le camp sous le voile de la nuit.

« J’ai entendu ce que Dame Meltina a dit… Pourriez-vous expliquer ce qu’elle voulait dire ? »

« Très bien. Mais d’abord, je dois demander quelque chose à cet homme. », dit la princesse Lupis en faisant un signe de tête.

Elle tourna ensuite son regard vers Sudou.

« Vous vous appelez Sudou, oui ? Je voudrais vous parler. Pourriez-vous venir avec moi ? »

« Oui, oui. Bien sûr. »

Sudou avait accepté avec plaisir la proposition de la princesse Lupis.

« J’aimerais que les choses se calment et que nous poursuivions notre conversation de tout à l’heure. »

« Alors, Mikoshiba, faites préparer une nouvelle tente, s’il vous plaît. Meltina, va appeler Helena et les autres. »

« Très bien… Mais faites attention… »

Alors que Ryoma n’était pas du tout convaincu, il était parti avec Meltina pour faire ce que la princesse Lupis lui avait ordonné.

« Votre Altesse… Pourquoi rassemblez-vous des gens ? Je préférerais de loin vous parler en privé, » demanda Sudou avec suspicion après avoir entendu les mots de la princesse Lupis.

Il avait jugé d’après son comportement que la princesse Lupis était intéressée par des négociations, et le fait qu’il n’avait pas été tué signifiait qu’elle était intéressée par l’état de Mikhail. Mais elle avait quand même réuni des gens.

Pourquoi ?

La princesse Lupis laissait ses émotions personnelles s’exprimer, et elle ne voulait pas que les gens le voient.

« Lorsqu’il s’agit de décider des affaires de l’État, même un dirigeant ne peut pas faire de choix arbitraires. Ou me direz-vous que vous ne parlerez que si nous sommes tous les deux ? »

Sudou réalisa qu’il avait pris la princesse à la légère.

Hmm… Il semblerait qu’elle ne soit pas aussi idiote que je le pensais. Mais cela ne m’oblige qu’à reformuler un peu les choses… Ce n’est encore qu’une princesse inexpérimentée… Le problème, c’est cet homme… Je savais qu’il serait impressionnant, puisqu’il a tué Gaius Valkland, mais… Il est vraiment gênant. Je peux comprendre comment il a réussi à échapper à Saitou.

Sudou avait lutté pour contenir la soif de sang noir qui montait dans son cœur. Il n’était pas encore temps de s’impliquer avec Ryoma Mikoshiba. Sudou avait une mission à accomplir.

Même si je finis par le faire tuer, il ne peut pas être traité de la même façon qu’une autre cible… S’impliquer avec lui inutilement serait dangereux… Mais qu’il en soit ainsi. Pour l’instant, je dois me concentrer sur la tâche à accomplir.

Il avait ainsi rapidement calculé ses choix et s’était incliné devant la princesse Lupis pour donner son accord.

Dans une tente nouvellement préparée se tenaient seize personnes. La princesse Lupis, Meltina, Helena et Ryoma étaient naturellement présents, mais aussi les confidents personnels de Ryoma, Laura, Sara, Lione et Boltz, ainsi que le comte Bergstone et d’autres nobles de la faction neutre. En d’autres termes, tous ceux qui constituaient le noyau de la faction de la princesse.

Leurs regards étaient tous tournés vers l’homme mystérieux qui se présentait sous le nom de Sudou, qui avait finalement écarté les lèvres et parlé avec détermination.

***

Partie 3

« Ainsi, comme je l’ai déjà expliqué, le duc Gelhart souhaite prêter allégeance à Son Altesse… Et pour preuve, il promet de rendre Mikhail Vanash, qui est actuellement sous sa protection à Héraklion. À cette fin, il m’a envoyé comme médiateur. »

Sudou avait conclu ses paroles, et un profond silence s’était abattu sur la tente. Ou plutôt, l’offre avait été si soudaine que tout le monde n’avait pas pu suivre l’évolution de la situation. Le chef de la rébellion était venu leur prêter allégeance à la veille de la bataille finale. Rien ne pouvait être plus inattendu.

« Laura… C’est mauvais, n’est-ce pas… ? », chuchota Sara à l’oreille de Laura.

« C’est… Cela pourrait avoir un effet sur les plans de Maître Ryoma… » répondit Laura, fixant son regard sur Ryoma, qui regardait Sudou parler.

« Il est presque certains que cela aura… »

« Oui… Très certainement… »

Les chuchotements des deux femmes furent noyés par le tumulte qui remplissait la tente. Lione parlait à Boltz, Meltina chuchotait à la princesse Lupis, et les nobles se consultaient à voix basse. Les deux seuls qui s’étaient parfaitement tus étaient Ryoma et Helena.

« Que va faire Maître Ryoma… ? » demanda Sara, mais Laura n’avait pas de réponse.

Finalement, les sœurs ne purent que veiller anxieusement sur Ryoma. On pourrait aller jusqu’à dire que la conclusion à laquelle ils étaient parvenus à la fin de cette réunion n’avait pas d’importance pour les sœurs. Elles n’avaient qu’à agir en faveur de Ryoma Mikoshiba.

Ryoma ferma les yeux et ajusta calmement sa posture. Ce faisant, il avait pu contenir les émotions qui montaient dans son cœur, et c’était sa seule façon de surmonter la situation actuelle. Une fois que Sudou avait terminé son explication, Ryoma jeta un seul regard à la princesse Lupis, qui s’était tue.

Elle ne bougera donc pas… Ça me donne mal à la tête…

Honnêtement, alors que Ryoma faisait confiance à la princesse Lupis en tant que personne, il n’avait pas ou peu confiance en ses compétences. Elle avait reçu une éducation de noble et n’était en aucun cas stupide, et elle avait pas mal de connaissances en matière d’affaires militaires, ce qui signifiait qu’en tant que souveraine, elle était qualifiée.

Mais Ryoma avait vaguement remarqué que Lupis Rhoadserians manquait d’un trait essentiel pour un dirigeant, et pourtant il ne s’attendait pas à ce qu’elle passe pour une idiote.

Ce que Sudou a dit… Qu’ils n’ont commencé la rébellion que par respect pour la volonté du défunt roi, et qu’ils ne voulaient pas se retourner contre la famille royale ? Des conneries… Ils en ont fait bien trop pour que ce soit leur motivation… Et il a dit qu’il voulait se mettre de notre côté parce qu’il ne pouvait pas pardonner à Hodram Albrecht de s’être retourné contre la famille royale et d’avoir fomenté une rébellion ? Il doit penser que nous sommes stupides.

C’était ce que Ryoma avait ressenti en entendant l’histoire de Sudou. Le duc Gelhart espérait s’en tirer en disant qu’il n’avait agi que selon la volonté de feu le roi, et pour lui demander des faveurs et montrer sa loyauté en disant qu’il était indigné par le fait que le général Albrecht l’ait trahi. Il allait faire porter toute la faute de la rébellion sur le général Albrecht, s’en tirant ainsi à bon compte.

Habituellement, on ne réunissait pas tout le monde pour écouter cette proposition, mais personne n’avait élevé la voix pour exprimer sa colère face à cette perspective insensée.

Tout le monde pense la même chose…

Aussi impoli que cela puisse être de penser cela d’un dirigeant, Ryoma ne faisait pas confiance à ces compétences politiques, et pensait donc qu’elle ne devrait pas être autorisée à prendre une décision arbitraire concernant la proposition de Sudou. Lupis elle-même savait qu’elle n’était pas inadéquate dans cette situation, mais Ryoma ne pouvait que louer ce jugement si, après avoir entendu l’explication de Sudou, elle le rejetait de son propre gré.

Finalement, la princesse Lupis ne veut pas que Mikhail Vanash meure…

Le cœur de Ryoma s’était refroidi. Il était vrai que Mikhail était un chevalier passionnément loyal et habile, et qu’il était l’un des serviteurs les plus fidèles de la princesse Lupis aux côtés de Meltina. Il était dans la nature humaine de la princesse Lupis de ne pas vouloir l’abandonner, et Ryoma ne voulait pas la blâmer pour cela en soi. Mais un souverain ne pouvait pas laisser de telles émotions personnelles prendre le dessus. Elle devait les contenir.

La question n’était pas de savoir si Mikhail était digne de confiance ou loyal. Aucun serviteur, aussi cher ou compétent soit-il, ne devait lui enlever la possibilité de réclamer la tête du duc Gelhart.

Le duc Gelhart était un traître qui avait soulevé une rébellion contre la princesse Lupis. Aucune vie, aussi proche et loyale qu’elle puisse être, ne valait la peine d’être sauvée si cela impliquait de lui pardonner…

Était-ce vraiment plus important que de gagner la guerre, plus important que de garder la Rhoadseria unifiée en tant que pays… ?

Il est vrai que la princesse Lupis n’avait pas encore exprimé ses sentiments à ce sujet, donc pour le moment, Ryoma supposait seulement qu’elle voulait que Mikhail soit sauvé. Mais Ryoma était convaincu que c’était le cas.

Non, il était probable que toutes les personnes présentes pensaient la même chose. Elle n’aurait pas gardé Sudou en vie après qu’il se soit faufilé dans la tente royale sans permission si elle ne le pensait pas. Aucune punition ne lui aurait semblé clémente, mais elle avait insisté pour que Sudou soit épargné et amené ici, afin qu’elle puisse entendre ce qu’il avait à dire. Ce seul fait lui avait permis d’exprimer pleinement ses sentiments.

Elle ne veut pas que Mikhail meure, elle doit donc accepter l’offre de Duke Gelhart. Mais la princesse Lupis sait qu’elle n’a aucune légitimité pour prendre cette décision, c’est pourquoi elle a réuni tout le monde ici. Il n’y aura donc pas que son nom qui sera traîné dans la boue.

Si la princesse Lupis devait accepter cette offre sur la base de son propre jugement, d’autres personnes s’opposeraient sûrement à sa décision. C’était pourquoi elle avait réuni tout le monde ici, pour dissimuler qu’elle était responsable de ce choix.

« J’aimerais donc entendre vos opinions. »

Ryoma avait dû retenir un claquement de langue en entendant ces mots sortir des lèvres de la princesse Lupis. Mais aussi furieux que cela l’eût rendu, il ne pouvait rien dire ici.

« Quelqu’un voudrait-il partager ses pensées ? »

Les mots de la princesse Lupis furent accueillis par le silence. Alors que tout le monde se taisait, le regard de la princesse Lupis se promenait sur la table ronde. Ryoma lui-même ne pensait pas que la vie de Mikhail était suffisante pour donner le pardon au duc Gelhart, et toutes les personnes présentes, y compris la princesse Lupis, pensaient la même chose. La simple comparaison semblait insensée.

Ainsi, ce qu’il fallait dire était clair, mais comme la princesse Lupis souhaitait épargner Mikhail, personne ne pouvait se résoudre à le dire. Ce que la princesse Lupis voulait, c’était faire approuver sa volonté sous le couvert d’un avis.

Si Ryoma leur suggérait de se débarrasser de la vie de Mikhail, la princesse Lupis lui en voudrait sans doute après cette rencontre. Et cette rancune grandirait avec le temps, la conduisant finalement à ignorer l’opinion de Ryoma pour des raisons émotionnelles. Et en plus de cela, d’autres chevaliers comme Mikhail se révolteraient contre cette décision.

« Vous laissez Mikhail mourir ?! »

« À quoi bon si tu ne sauves pas tes propres hommes ? ! »

« Comment oses-tu dire ça, espèce d’étranger ! »

Ryoma serait absolument couvert de ces insultes. Parfois, la raison doit prévaloir sur l’émotion. C’était certain. Mais si le dirigeant devait se noyer dans ses propres émotions, cela provoquerait une distorsion qui se formerait ailleurs. Une distorsion qui blesserait de manière décisive quelqu’un d’autre.

À ce moment, Ryoma avait senti Helena lui tourner un regard perçant.

« Je ne peux pas… »

Ryoma secoua la tête en chuchotant à Helena.

Il avait réalisé, grâce à son regard, ce qu’elle essayait de lui dire.

« Alors, laisse-moi… » lui chuchota-t-elle en retour, mais il secoua à nouveau la tête.

« Ne fais pas ça. Si la princesse Lupis se méfie de toi ici, il sera difficile de tout réorganiser plus tard… »

Helena serait même considérée comme la méchante si elle lui disait de renoncer à Mikhail. La princesse Lupis ne lui faisait pas autant confiance qu’à Meltina et Mikhail. Helena était suffisamment puissante pour être connue comme la Déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, de sorte qu’il y aurait moins d’opposition à ce qu’elle fasse cette suggestion par rapport à un néophyte comme Ryoma.

Mais Ryoma ne voyait pas la princesse Lupis choisir de se débarrasser de la vie de Mikhail sur les conseils d’Helena.

« Alors que faire ? La façon dont les choses se passent est… »

Comme Ryoma, Helena semblait penser que la situation était dangereuse.

Accepter les excuses du Duc Gelhart et lui permettre de prêter serment d’allégeance signifierait indirectement reconnaître la Princesse Radine. Il n’agirait ainsi que conformément aux dernières volontés du défunt roi.

Accepter le traître connu sous le nom de duc Gelhart dans le royaume de Rhoadseria élèverait aussi automatiquement la princesse Radine au rang de deuxième dans la succession pour le trône. La princesse Lupis créerait son plus grand adversaire politique par ses propres actions, rendant sa position déjà précaire d’autant plus instable.

La seule personne pouvant régler ce problème serait Meltina, mais…

Les yeux de Ryoma s’étaient tournés vers Meltina, qui était assise à côté de la princesse.

Ce n’est pas bon… Elle est juste heureuse que Mikhail soit vivant… Je comprends que tu sois heureuse que ton collègue et ami soit vivant, mais… Elle ne voit pas à quel point les choses vont mal. Il est inutile d’attendre quoi que ce soit d’elle… Ce qui veut dire…

Abandonnant Meltina, qui souriait simplement de soulagement et de joie, Ryoma s’était creusé la tête pour trouver un moyen de sortir de cette impasse.

Tuer le duc Gelhart est une chose à ne pas faire… Mais se débarrasser du général Albrecht serait suffisant… Le problème, c’est ce qui vient après… La Princesse Lupis ne pourra pas maîtriser le Duc Gelhart… Même si elle le dépouillait temporairement de son pouvoir, il finira tôt ou tard par acquérir un pouvoir politique…

Une pensée froide avait alors fait surface dans l’esprit de Ryoma. Tuer le duc Gelhart était un choix qu’il ne devait faire que parce qu’il considérait l’avenir du royaume de Rhoadseria en tant que pays. C’était le problème de la princesse Lupis. Pourquoi une personne étrangère à ce pays comme Ryoma devrait-elle risquer sa position pour tuer le duc Gelhart ?

Si elle veut à ce point sauver Mikhail… Je suppose qu’on devrait la laisser…

À ce moment, Ryoma avait renoncé à la princesse Lupis.

Ou pour être exact, il avait renoncé à son avenir. À partir de ce moment, l’avenir de Lupis Rhoadseria allait dépendre de ses propres capacités.

Décontractez-vous, Votre Altesse. Je ne vous trahirai pas. Mais vu la façon dont les choses se passent, vous allez absolument mourir. Je ne sais pas combien d’années il faudra attendre, mais je le vois clairement… Je laisserais donc mon avertissement à Helena et aux autres. Mais c’est la dernière fois que je vous aide. Les gens de Rhoadseria devront s’occuper du reste. Je surveillerais Gelhart de très près si j’étais vous.

Chuchotant ainsi dans son cœur, Ryoma leva la main pour recevoir la permission de parler.

« Alors, puis-je parler, si vous le voulez bien ? »

Quand ces mots avaient résonné à travers la tente, Lupis avait été momentanément prise de peur. Elle savait que sa décision était mauvaise. Mais son émotivité, sa gentillesse l’empêchaient de choisir de mettre la vie de Mikhail de côté.

« Très bien. Vous pouvez parler. »

« Merci. »

Ryoma se leva à l’approbation de la princesse Lupis.

« Je suis d’accord pour accepter l’offre de M. Sudou et d’accepter l’allégeance du duc Gelhart ! »

Les mots de Ryoma firent trembler la tente.

« Quoi ?! Vous êtes sérieux, Seigneur Mikoshiba ?! »

« Oui, Comte Bergstone. Très sérieux. »

« Incroyable. Je n’aurais jamais imaginé que de tels mots puissent quitter vos lèvres… »

***

Partie 4

Le comte Bergstone avait passé toutes ses journées dans le palais, aux prises avec cette agitation politique. En tant que noble, il avait une connaissance approfondie des questions d’importance nationale et de la diplomatie. Et cette expérience lui avait fait comprendre à quel point il serait dangereux pour la princesse Lupis d’accepter cette offre.

« Avez-vous… une sorte de plan… ? »

Le comte Bergstone fut tellement déconcerté par les paroles de Ryoma qu’il posa la question même si le messager de l’ennemi, Sudou, était présent.

« Pas du tout. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner un chevalier loyal comme le Seigneur Mikhail, et les paroles du Duc Gelhart ont une part de vérité. Il est préférable d’éviter la guerre chaque fois que c’est possible. Héraklion est entourée de terres agricoles, donc endommager ces terres aura une influence sur la collecte des impôts. Le fait que le Duc Gelhart ait juré allégeance à la Princesse Lupis ne nous épargnerait-il pas ce problème ? »

Rien de ce que Ryoma avait dit n’était un mensonge. Endommager les terres du duc nuirait en effet à la collecte des impôts, et à court terme, lui faire jurer son allégeance à leur côté n’était pas une mauvaise option.

Mais le comte n’avait pas été convaincu. Ils avaient expliqué l’effet qu’aurait la marche sur Héraklion sur les impôts, et Ryoma avait déjà tenu compte de ce fait.

« Mais Votre Altesse ! Avant d’accepter la proposition du duc, je suggère que nous ajoutions nous aussi quelques conditions. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Même s’il n’a pas agi par malveillance, nos armées ont déjà croisé le fer une fois. La libération du Seigneur Mikhail ne suffira pas à équilibrer les choses. Que diriez-vous si nous le révoquions de son poste de duc et exigions des indemnités ? »

La princesse Lupis avait réfléchi aux paroles de Ryoma. Elle n’était pas non plus assez bête pour penser que la proposition de Sudou en valait la peine. Elle ne l’aurait même pas envisagée si le retour de Mikhaïl n’avait pas été mentionné, et l’opinion de Ryoma était donc très claire pour elle.

Mais si on pousse les négociations si loin, elles finiront par s’effondrer… Mikhail pourrait ne pas être sauvé…

Elle l’avait déjà supposé mort une fois, mais s’il était encore en vie, elle voulait le sauver à tout prix. Le cœur de Lupis hésitait entre la raison et l’émotion. Mais sans se soucier de son conflit, Sudou avait fait son prochain coup.

« Très bien. Le duc Gelhart m’a confié toute l’autorité nécessaire au cas où de telles exigences se présenteraient… Donc, j’accepte à ce qu’il renonce à son titre de duc et verse cinquante mille pièces d’or d’indemnités. »

Ses paroles avaient une fois de plus rempli la tente de tumulte.

« Cinquante mille ?! »

Le montant offert par Sudou ne se limitait pas à couvrir les dépenses de guerre. Les nobles avaient poussé un soupir de soulagement. Au moins, ils seraient en mesure de rembourser leurs subordonnés pour avoir mis leur vie en danger et de garantir les revenus occasionnels de leur ménage.

Sudou sourit, sentant l’atmosphère de la tente s’adoucir.

Hmph, les nobles donnent toujours la priorité à leur maison. Avoir choisi une aussi grosse somme était une bonne chose, cela laissera un impact durable. Cela n’aurait pas été le cas si j’avais commencé à marchander petit à petit…

Cinquante mille pièces d’or, c’était une très grosse somme d’argent, même pour une maison noble aisée comme celle du duc Gelhart. Il n’avait offert cette somme que pour prendre le contrôle de la situation. Mais quand Ryoma parla ensuite, le visage de Sudou s’était contorsionné amèrement.

« Non, je voudrais aussi demander qu’en plus de ces demandes, il n’ait aucun poste dans le palais pendant une période de cinq ans. »

Hmph… Il a donc prédit que je ferai cette proposition. C’était un risque que j’étais prêt à prendre avant de venir ici… Mais lui interdire d’avoir une affectation est inattendu.

Mais c’était une condition sur laquelle Ryoma ne reculerait pas. Si cette condition n’était pas respectée, la princesse Lupis et ses prouesses politiques inférieures seraient tout simplement victimes du Duc Gelhart. Et donc, il a dit cinq ans. Dans cinq ans, la princesse Lupis et les nobles sous ses ordres s’habitueraient à diriger le pays et seraient peut-être capables de faire fi des tentatives de prise de pouvoir du duc Gelhart.

Bien sûr, la réalisation de cet objectif dépendait de Lupis et de ses serviteurs, et même Ryoma ne pouvait pas prendre la responsabilité de le voir se réaliser. C’était sa façon d’assurer l’avenir potentiel du pays tout en respectant le souhait de Lupis de sauver Mikhail.

« Et il y a une chose pour laquelle j’aimerais que le duc m’aide », dit Ryoma de manière significative. Sudou baissa à ce moment-là les yeux.

Hmph… Il veut probablement parler de ces espions déguisés en marchands qu’il employait auparavant… Il veut aussi que le duc Gelhart répande ces rumeurs à travers la faction des nobles… Il est vrai qu’une rumeur provenant de plusieurs sources semble plus crédible…

Sudou commençait déjà à voir ce que Ryoma avait prévu. Ayant vécu dans un monde différent de celui-ci qui avait la chance d’être doté de technologie et de science, il savait assez bien à quel point l’information et le renseignement pouvaient être importants.

Quoi qu’il en soit, je dois faire ce que je peux pour préserver la position du duc Gelhart.

Le duc Gelhart était un outil très utile pour l’Empire d’O’ltormea et pour l’organisation. Ils pouvaient s’en débarrasser et le remplacer si nécessaire, mais Sudou voulait franchement continuer à l’utiliser le plus longtemps possible. Après tout, la recherche d’un nouvel outil nécessiterait du temps et des efforts.

« Bon, très bien… Je vais accepter ces conditions à la place du duc Gelhart. Ce sera tout, Votre Altesse ? »

Sudou tourna la conversation vers la princesse Lupis, qui se tenait là, abasourdie, et qui n’avait pas d’autre choix que de hocher la tête.

« Oui… C’est bon… »

En entendant ces mots, Sudou fit un signe de tête satisfait. Ces négociations n’avaient pas été faciles pour lui non plus.

« Bien. Je retourne donc à Héraklion pour faire mon rapport au duc Gelhart et veiller à la libération du Seigneur Mikhail. Après cela, nous parlerons de la demande de M. Mikoshiba. »

Cela dit, Sudou inclina la tête devant la princesse et quitta la tente.

Sudou étant parti, la réunion s’était terminée. Les participants étaient retournés dans leurs tentes respectives, ne laissant que Ryoma, Lione, Boltz et les sœurs Malfistes dans la tente où les discussions avaient eu lieu.

« Est-ce que ça te va vraiment ? », demanda Lione.

« J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai essayé de faire le plus possible vu la situation… Demander plus que ça sans renoncer à Mikhail serait demander la lune. »

Ryoma haussa les épaules.

Ryoma était convaincu d’avoir obtenu le meilleur résultat possible étant donné les circonstances. Il voulait presque se complimenter pour avoir réduit les dégâts à ce point sous l’ivresse émotionnelle de la princesse Lupis.

« Cinq ans seront-ils suffisants ? », demanda Sara.

« Qui sait ? Honnêtement, je ne peux pas me soucier d’eux aussi longtemps. »

Ryoma haussa encore les épaules.

Les actions de Ryoma lors de cette conférence n’avaient pour but que de donner un peu de répit. Si toute cette affaire pouvait être résumée en termes médicaux, alors le duc Gelhart et le général Albrecht étaient des maladies mortelles qui rongeaient le royaume de Rhoadseria.

Mais la princesse Lupis, la soi-disant patiente ayant besoin d’une opération, ne voulait pas que l’on retire le Duc Gelhart, ou plutôt, elle refusait le coût de cette opération. Le coût pourrait être assimilé aux honoraires du médecin ou au temps passé à l’hôpital. Pour gagner quelque chose, il fallait renoncer à une autre, et cela était vrai, que ce soit dans ce monde ou dans celui de Ryoma.

Ainsi, puisque la patiente, Lupis, avait refusé l’opération, Ryoma n’avait pas eu d’autre choix que de prendre la deuxième meilleure solution tout en étant bien conscient des risques. Il avait contenu l’épidémie de la maladie appelée Duc Gelhart pendant cinq ans, espérant que pendant ce temps, le patient gagnerait la vitalité nécessaire pour combattre cette maladie.

Il n’avait pas d’autre choix. Il ne pouvait qu’espérer que la princesse Lupis utiliserait à bon escient les cinq années qu’il lui avait gagnées. Mais les habitants de Rhoadseria devraient s’en inquiéter. Ce n’était pas quelque chose dont Ryoma, qui ne s’était impliqué dans ce pays que par hasard, devait s’inquiéter.

« Je suppose que cela signifie que le seul ennemi qu’il nous reste à vaincre est le général Albrecht et ses deux mille chevaliers… Maintenant que le Duc Gelhart s’est tourné vers la légitimité, les autres nobles vont se démener pour préserver leurs positions. »

Lione et les autres hochèrent la tête face au sourire de Ryoma. La présence des nobles était non négligeable, en raison de la force financière et militaire de leurs territoires, mais ils avaient un défaut majeur. Les nobles étaient un rassemblement de dirigeants individuels, et une fois que la situation se retournerait contre eux, ils se précipiteraient pour défendre leur territoire, quelle que soit la mauvaise image que cela leur donnerait, même s’ils devaient pousser leurs soi-disant alliés, les autres nobles, à s’en écarter pour le faire.

Et Ryoma avait déjà inventé l’histoire qui les pousserait à se défendre.

« C’est donc le général Albrecht qui sera considéré comme étant le seul coupable, hein… ? »

« Même les autres nobles se sacrifieraient s’il le fallait, afin de ne jamais donner la priorité au général Albrecht, qui était à l’origine leur ennemi. Mais oubliez cela, le général sera tellement occupé à se protéger qu’il ne se souciera même pas de ce qui se passe autour de lui. Il lui serait pratiquement impossible de rester maintenant sur le territoire de Rhoadseria. Sa seule option serait de fuir vers un autre pays. On peut supposer que le cas d’Albrecht est déjà géré. La question est de savoir combien de nobles nous pourrons abattre… »

Avec la mort du général Albrecht, la guerre actuelle va se terminer. Mais pour ce qui est de ce qui arrivera au royaume à l’avenir, cela ne ferait que marquer le début des mesures d’après-guerre.

« J’aimerais qu’au moins un tiers d’entre eux disparaissent, mais cette princesse peut-elle faire un choix aussi décisif… ? Qui sait ? »

« Tout cela s’accorde à ton scénario, mon garçon… Ça me refroidit jusqu’à l’os », dit Lione en blaguant tout en haussant les épaules.

« J’ai dû cependant faire beaucoup de changements sur mon plan à mi-chemin », répondit Ryoma avec un sourire amer.

La participation d’Helena, la désobéissance de Mikhail, la trahison du général Albrecht et l’allégeance du duc Gelhart. Ryoma ne pouvait pas vraiment dire que tout s’était passé exactement comme il l’avait prévu. Mais tout allait bientôt se terminer.

« Soit demain, soit après-demain… »

« Nous attaquerons Héraklion », dit Laura.

« Oui. Et c’est la bataille finale ! »

Ryoma fit un signe de tête.

Ainsi, la bataille finale du Royaume de Rhoadseria approchait de son point culminant, d’une manière différente de ce que Ryoma avait initialement conçu.

***

Chapitre 3 : Clash

Partie 1

« Tout le monde ! Nous avons enfin atteint ce champ de bataille… ! La dernière confrontation va commencer. Cette bataille va décider du sort du royaume de Rhoadseria. L’ennemi est peu nombreux. Je suis convaincu que si chacun d’entre vous se bat au mieux de ses capacités, notre victoire sera inébranlable. Je crois en votre loyauté et votre force… ! Que la victoire soit sur nous ! Gloire au royaume de Rhoadseria ! »

La princesse Lupis se tenait sur une plate-forme, parlant devant les chevaliers. Ils répondirent à son oraison par des acclamations qui firent trembler les plaines d’Héraklion.

« « « Victoire ! Que la victoire soit sur nous ! Gloire au royaume de Rhoadseria ! » » »

Levant leurs poings vers le ciel, les chevaliers applaudirent en enfonçant le bout de leurs lances dans le sol. Les rancunes que le général Albrecht avait accumulées au fil des ans parmi les chevaliers étaient maintenant sur le point d’entrer en éruption comme un volcan. Enfin, ils avaient leur chance de se venger.

Et, à ce moment-là, dans des conditions extrêmement favorables, les effets de la défection du duc Gelhart aux côtés de la princesse Lupis furent rapides et visibles. Ce n’était pas pour rien qu’il avait passé ses années au palais, mêlé à des luttes de pouvoir politiques.

Le duc Gelhart avait accepté toutes les conditions de Ryoma et avait immédiatement commencé à travailler pour saper les autres nobles, notamment ceux qui se trouvaient sous le comte Adelheit. Combiné aux efforts de Ryoma lui-même, les résultats de ces actions furent extrêmement puissants.

Tout cela s’était passé la veille du discours de Lupis aux chevaliers. Le comte Adelheit ne put contenir sa surprise en apprenant la visite inattendue du duc Gelhart, mais le salua quand même par politesse.

« Ah, duc Gelhart… Mes excuses pour l’autre jour… »

Le comte Adelheit se trouvait actuellement dans un camp près d’Héraklion, où il rassemblait ses forces pour rencontrer celles de la princesse Lupis. Le comte Adelheit avait été très surpris de découvrir que le duc Gelhart avait quitté la sécurité des murs d’Héraklion pour les zones dangereuses du champ de bataille.

« Oh, non, pardonnez mon intrusion soudaine. »

C’était le genre de discours auquel on s’attendrait à ce moment-là. Il était indéniable que le duc Gelhart était très amer de la trahison du comte Adelheit. Il avait servi à ses côtés pendant de nombreuses années dans la faction des nobles. Il était normal qu’il soit bouleversé.

Cependant, on ne pouvait pas voir cette colère brûler dans les yeux du duc Gelhart. C’était un homme hautain, certes, mais il était capable de se déprécier autant qu’il le fallait, si cela répondait à ses besoins. On pourrait peut-être dire que c’était un bon acteur. Ou simplement un adulte.

Bien sûr, il ne pouvait pas vraiment tromper le comte Adelheit, qui avait été son numéro deux pendant des années, mais cela servait quand même à apaiser la conversation. Les gens étaient plus enclins à écouter quelqu’un lorsqu’ils parlaient calmement, et à ne pas écouter lorsqu’on les regardait de haut.

« Quand même, vous voir venir jusqu’ici… Je dois me demander ce que vous pourriez faire avec moi. Nous nous préparons à combattre comme l’a ordonné le général Albrecht, je n’ai donc pas beaucoup de temps libre… Notre combat contre la Princesse Lupis va bientôt commencer… »

Les paroles du comte Adelheit étaient correctes, mais elles avaient des implications. En d’autres termes, il n’avait pas de temps à consacrer au duc Gelhart, un homme sur le déclin.

« Ah, je suis désolé d’apprendre que je vous ai trouvé à un mauvais moment… Mais comte Adelheit, avez-vous entendu parler des mesures draconiennes que prend la princesse Lupis en ce moment ? » demanda le Duc Gelhart, d’un ton inquiétant.

Le comte Adelheit savait ce que le duc Gelhart allait faire, mais il ne pouvait pas s’empêcher de demander.

« Des mesures drastiques… ? Qu’est-ce que la princesse complote au juste ? »

« Êtes-vous intéressé ? »

« Bien sûr. Dites-le. »

Si la princesse Lupis essayait une sorte de tactique, le comte Adelheit ne pouvait pas l’ignorer, même si c’était le duc Gelhart qui délivrait la nouvelle. L’instinct des nobles les poussait à assurer la sécurité de leur foyer. Être poussé par l’émotion et ignorer cela ne suffirait pas. Il lui faudra simplement confirmer la vérité de ce qu’il avait entendu ici plus tard.

Le duc Gelhart parla brusquement, le comte Adelheit le regardant avec suspicion, essayant de vérifier l’authenticité de ses paroles.

« La princesse Lupis a envoyé de petits groupes de ses chevaliers pour brûler les territoires des nobles associés au général Albrecht. »

À ce moment, le comte Adelheit était devenu complètement pâle.

« Ce n’est pas possible ! C’est impossible… La princesse Lupis n’est pas de ceux qui permettraient une telle conduite ! »

Adelheit ne pouvait s’empêcher d’élever la voix. Il était vrai que brûler des territoires était une tactique viable dans les guerres prolongées. Ravager les territoires de l’ennemi, c’était mettre en pièces leurs fondements financiers et exercer une pression psychologique. Cela permettait également à l’autre partie d’acquérir plus de biens pour financer son effort de guerre. C’était une stratégie vraiment efficace.

Mais cette guerre était différente. C’était une guerre entre compatriotes rhoadseriens. La princesse Lupis, en brûlant les territoires des nobles, porterait un coup à l’économie de son propre pays. C’était en fait une tactique suicidaire qui lui causera autant de dommages qu’à ses ennemis.

Et pour commencer, Lupis Rhoadseria, connue pour être miséricordieuse, emploierait-elle une tactique qui accablerait ses roturiers ?

« J’ai du mal à le croire… La princesse ne ferait pas ça… Êtes-vous sûr de ne pas avoir mal entendu ? »

La question du comte Adelheit était compréhensible. Il l’avait vue dans quelques audiences et ne pensait pas qu’elle était une personne de ce calibre. C’était précisément ce que visait le duc Gelhart. Il était convaincu d’avoir réussi à tromper le comte Adelheit avec ses mots.

« C’est vrai. La princesse Lupis est gentille, comme vous dites… »

« Effectivement, donc vous devez vous tromper. Elle n’accepterait jamais de faire du mal aux citoyens de Rhoadseria ! »

Son ton semblait indiquer que, bien qu’il soit du côté des rebelles, le comte Adelheit ne semblait pas comprendre qu’il était opposé à la princesse Lupis. C’était peut-être la preuve qu’il ne comprenait pas le vrai sens de cette guerre. Dans une guerre conventionnelle, attaquer les territoires de l’ennemi lorsqu’ils étaient relativement peu surveillés était une tactique évidente.

Mais la perception quelque peu complaisante du comte Adelheit était celle que partageaient la plupart des nobles qui avaient rencontré la princesse Lupis en public. En d’autres termes, c’était sa nature gentille et miséricordieuse qui au départ les avait poussés à se rebeller.

Oui, le point de vue du comte aurait en fait été correct… Jusqu’à présent.

Le duc Gelhart supprima le sourire qui s’élevait à ses lèvres et continua à parler avec une expression humble.

« Cependant… Cet homme servant sous les ordres de la princesse ne reculerait pas devant des moyens aussi ignobles… »

L’expression du comte Adelheit se raidit. Il avait deviné ce que le duc Gelhart essayait de dire.

« Cet homme… Vous voulez dire, ce diable dont parle les rumeurs… »

« En effet… Ils l’appellent le diable d’Héraklion »

Le duc Gelhart hocha lentement la tête.

« Ryoma Mikoshiba… »

Le comte Adelheit prononça son nom avec crainte.

Le duc Gelhart acquiesça en silence.

Ryoma Mikoshiba. L’homme qui avait noyé des milliers de personnes lors d’une inondation et qui avait sauvagement tué les survivants. Les habitants d’Héraklion et de ses environs l’avaient surnommé avec terreur le « Diable d’Héraklion. »

C’était une fausse image qui résultait des rumeurs que Ryoma avait répandues et qui étaient grandement exagérées, mais les masses non éduquées y croyaient. En effet, même dans ce monde de luttes sans fin, un commandant qui n’acceptait aucune reddition et ne faisait aucun prisonnier était inhabituel. La plupart prenaient tous les prisonniers qu’ils pouvaient dans l’espoir de demander des rançons pour eux, ou les vendaient à des marchands d’esclaves.

Les rumeurs avaient déjà atteint les oreilles du comte Adelheit. Après tout, de nombreux roturiers les avaient mises en avant lorsqu’ils avaient supplié qu’on leur permette de rentrer chez eux.

« Mais… Ce ne sont que des rumeurs, pas vrai ? Ne me dites pas que c’est un vrai diable ? »

Le duc Gelhart se mit à rire avec force et secoua la tête.

« Je ne m’attendais pas à entendre de telles absurdités de la part d’un comte comme vous. Les seuls qui le croiraient diabolique étant le bas peuple. »

Mais il s’arrêta de rire, et toute émotion quitta son visage. Il regarda autour de lui, comme s’il était inquiet que ce diable puisse se cacher dans les environs.

« Mais je pense certainement que ce Mikoshiba est assez cruel et impitoyable pour être appelé un diable. Cette attaque par inondation et ses actions après cela m’indique clairement qu’il n’hésitera pas à brûler des territoires. »

Son murmure était rempli de terreur envers Ryoma. Bien sûr, ce n’était pas un vrai diable. Aussi impitoyable qu’il puisse être, il ne prenait aucun plaisir à tuer. Mais cette image de diable était importante, et le Duc Gelhart nourrissait une peur réelle envers Ryoma. Il ne faisait qu’à moitié la comédie. L’autre moitié, c’était ses sentiments sincères.

« Eh bien, oui, je suppose que c’est quelque chose que le Diable d’Héraklion pourrait faire, mais… êtes-vous sûr que ce que vous me dites est vrai ? »

Le comte Adelheit ne semblait pas encore y croire. Ou plutôt, il ne voulait pas y croire. Et le duc Gelhart comprenait parfaitement ce qu’il ressentait. Mais il n’était venu ici que pour semer les graines de la peur et de la suspicion dans son cœur.

« Oh, j’ai simplement entendu cette rumeur et j’ai pensé que je devrais la partager avec vous. Que vous y croyiez ou non, c’est à vous de décider, mon cher comte… Alors, maintenant. Je suppose que je ne devrais pas prendre plus de votre précieux temps. Je vais prendre congé. »

« H-Huh… Vous rentrez déjà ? Vous ne devriez pas vous dépêcher ! »

Le comte Adelheit semblait avoir oublié ce qu’il avait dit au début, il essayait maintenant de convaincre le duc de rester. Une partie de lui pensait qu’il ne pouvait pas le laisser partir après l’avoir laissé dans l’angoisse. Il voulait des informations plus claires.

« Oh, non, je n’osais pas m’imposer à vous plus longtemps… Ah, je sais. Si vous voulez en savoir plus, demandez aux commerçants de la ville. C’est là que j’ai appris cette rumeur. Je suis sûr qu’ils pourront vous donner une réponse plus claire. »

Le comte Adelheit ne pouvait plus le retenir après avoir dit tout cela.

« Je vois. Merci d’avoir partagé cette information avec moi. »

« Oh, non, excusez-moi de vous avoir dérangé alors que vous êtes si occupé. Je vous dis adieu. »

Cela dit, le duc Gelhart quitta la tente. Alors qu’il regardait cet homme partir, l’esprit du comte Adelheit s’affola.

« Venez ! J’ai besoin de quelqu’un ! »

Il sonna une cloche, ce qui incita un assistant à entrer. Le comte Adelheit lui ordonna de rassembler les commandants de son armée. Il les enverrait enquêter sur l’authenticité des rumeurs du duc Gelhart.

L’information lui était parvenue le soir même. Apparemment, certains de ses subordonnés avaient eu vent des rumeurs.

« Alors c’est vrai ?! »

Le comte Adelheit avait été surpris par le rapport de ses subordonnés.

« Il est difficile de dire si c’est vrai, mais… C’est effectivement ce que disent les marchands d’Héraklion… »

Les paroles de ses aides lui firent mal au cœur. Les nobles avaient toujours été ceux qui pariaient uniquement sur le cheval gagnant. Préserver le prestige, la richesse et le territoire de leur famille était toujours la première chose à laquelle ils pensaient. Ils s’accrochaient obstinément à leurs territoires, et même s’ils ne chérissaient pas leurs sujets, aucun gouverneur ne restait inactif et ne laisserait sa terre brûler.

Après tout, les nobles ne produisaient rien. Ils vivaient en se régalant des richesses produites par leur peuple. Ils ne pouvaient donc pas se permettre de laisser leurs terres. Et pour couronner le tout, cette expédition de soldats avait pris la plupart des hommes de leurs terres, n’y laissant que les femmes et les enfants. Il était impensable de mettre en place une telle ligne de défense, et les nobles qui quittaient leurs domaines pour venir ici seraient particulièrement touchés.

C’est mauvais… Terrible, même… Mais… qu’est-ce que je peux faire ?

Le comte Adelheit sentit l’anxiété le gagner. Si les rumeurs étaient vraies, il n’avait qu’un seul choix : retirer son armée et l’utiliser pour défendre son territoire et sa famille. Mais s’ils devaient faire demi-tour et rentrer chez lui sans avoir rien montré, il ne leur resterait que des dettes. Ses propres hommes n’avaient pas encore croisé leurs épées avec l’ennemi, mais ils mettaient pourtant leur vie en danger. Ne pas leur offrir de récompense serait trop demander.

Il en allait de même pour les roturiers. Ils avaient mis de côté leur gagne-pain quotidien pour s’engager. Ils n’avaient pas besoin d’une récompense, mais il faudrait au moins les exempter de l’impôt de l’année prochaine. Ainsi, quoi qu’il fasse, revenir les mains vides ne ferait qu’engendrer du mécontentement.

***

Partie 2

Mais si c’est vrai, ma famille… Ma femme et mes petits-enfants…

S’ils devaient être emmenés en captivité, il paierait leurs rançons. S’ils étaient vendus à des esclavagistes, il rachèterait leur liberté. Mais s’ils tombaient entre les mains du diable d’Héraklion… Cet homme ignorerait toute dignité envers les nobles et massacrerait femmes et enfants.

Le cœur du comte Adelheit était enchaîné par la peur. Ses fils, qui se tenaient à ses côtés, comprenaient parfaitement la raison de l’expression perplexe de leur père, mais ne trouvaient pas les mots. Non, il était probable que tous ceux qui étaient présents dans la tente ne voulaient rien d’autre que quitter cet endroit pour aider leur famille…

« Monsieur le comte ! Toutes mes excuses ! »

Un soldat était entré dans leur tente, apparemment pour signaler quelque chose.

« Qu’est-ce qui se passe ?! »

Le comte Adelheit le regarda froidement, agacé d’avoir été distrait de ses pensées, et lui fit un signe dédaigneux de la main.

« J’ai dit que nous ne devons pas être dérangés ! »

« Oui, j’en suis conscient, mais… Le vicomte Romane et plusieurs autres nobles sont arrivés, disant qu’ils veulent une audience avec vous… Je leur ai fait part de vos ordres, mais ils insistent sur le caractère urgent… Euh… Que dites-vous ? », bégayait timidement le soldat.

Le comte soupira. Il devait savoir pourquoi le vicomte Romane était arrivé.

« Très bien. Guidez-les ici… »

En regardant le soldat partir, le comte Adelheit parla à son fils aîné.

« Qu’en penses-tu ? Alors, c’est vraiment… »

« Mon opinion est probablement la même que la tienne, père… »

« Alors tu le penses aussi… Que devons-nous faire ? »

Le comte Adelheit était fier d’avoir élevé son fils aîné en homme sage.

Il est du même avis que moi. Au moins, ce n’est pas un imbécile… Cependant…

« C’est sans doute mieux si nous retirons nos troupes, même si c’est par la force… Rester ici ne va pas nous remonter le moral et je ne crois pas que nous allons gagner. Et plus on mettra de temps à nous retirer, plus il y a de chances que nos soldats enrôlés se révoltent. »

Ils voulaient rentrer chez eux s’ils le pouvaient, mais les nobles ne pouvaient pas se retirer de cette bataille aussi facilement. En agissant de manière irréfléchie, ils seraient simplement considérés comme des traîtres et le reste de la faction de la noblesse se retournerait contre eux. Mais son fils avait suggéré le retrait, même en ayant cela à l’esprit.

Alors, que faisons-nous… ? Est-ce qu’on se retire, ou est-ce qu’on reste ici… ?

De multiples possibilités avaient surgi puis s’étaient évanouies dans son esprit, mais ses pensées avaient vite été perturbées par la voix d’un homme.

« Les mots de ton aîné sont des plus appropriés ! Cette guerre est presque terminée. »

Le soldat lui avait probablement montré le chemin. Six hommes vêtus d’une armure étaient entrés dans la tente.

« Oh, vicomte Romane… »

Le comte Adelheit s’adressa à l’homme d’âge moyen qui se tenait au milieu de la rangée.

« C’est un plaisir de vous voir… Mais quand même, pourriez-vous expliquer ce que vous vouliez dire ? Nous ne pouvons pas simplement faire demi-tour et retourner sur nos territoires avec la princesse Lupis qui nous marche dessus. »

Romane était un petit homme d’âge moyen, qui s’installa impoliment sur une chaise sans y être incité et croisa les bras effrontément. Sa conduite était bien plus grossière que ce qui était normalement toléré par la noblesse, mais personne ne lui en avait fait porter le blâme. Ils savaient que dire n’importe quoi serait un effort gaspillé.

« Épargnez-moi mon manque de courtoisie, cher comte. Nous n’avons pas le temps pour ça maintenant… Nous allons retourner sur nos territoires », dit le vicomte sans ambages.

Mais la brutalité de tout cela n’avait fait que donner plus de crédibilité à ses paroles.

« Quoi ?! »

Le comte Adelheit avait pâli.

Est-il devenu fou… ?!

Le vicomte Romane faisait partie de la faction du comte Adelheit, mais il avait toujours été un homme très hautain et extrêmement difficile à traiter. Mais cette nature lui conférait aussi quelques traits positifs. C’était un guerrier habile, il était devenu une sorte de chef de file des nobles de bas rang.

Les nobles de rang inférieur n’avaient chacun qu’une force comprise entre plusieurs dizaines et une centaine de soldats, ce qui en soi n’était pas une force avec lequel on pouvait faire la guerre. Tout au plus pouvait-elle être utilisée pour la sécurité des camps ou la gestion des réserves de nourriture. Mais même de si petites forces pouvaient devenir des effectifs importants lorsqu’elles étaient rassemblées.

Mais bien sûr, la simple coopération ne suffisait pas. Lorsque des personnes de même rang se rassemblaient, elles ne faisaient que se gêner mutuellement. C’était tout simplement comme cela que les nobles avaient tendance à être. Cependant, tant que quelqu’un détenait une autorité sur les soldats en tant que commandant, tout rassemblement d’hommes pouvait devenir une force utile.

Cela pouvait se faire par la dignité, l’intimidation ou la richesse. Tant que les gens étaient dirigés par quelqu’un ayant quelque chose qui les rendait supérieurs aux autres, n’importe quel pion sur l’échiquier pouvait être transformé en chevalier. C’était pourquoi le comte Adelheit supportait tacitement l’attitude du vicomte Romane.

Mais sa déclaration selon laquelle ils partiraient de leur propre chef était une chose sur laquelle il ne pouvait pas rester silencieux.

« C’est impossible ! », lui cria-t-il, rassemblant toute la dignité qu’il pouvait.

« Comment osez-vous faire cela selon vos propres désirs ?! Avez-vous l’intention de trahir le Duc Gelhart ?! »

Le comte Adelheit et le reste des nobles avaient déjà usurpé la faction du duc Gelhart en faveur du général Albrecht, mais étaient encore considérés techniquement comme l’armée du duc. Même s’il n’avait aucune autorité ou aucun pouvoir effectif, il était toujours nominalement la bannière sous laquelle ils se rassemblaient.

Mais le vicomte Romane considérait simplement le comte avec un ricanement.

« Vous dites cela maintenant, après tout ce qui vient de se passer ? Nous avons tourné le dos au duc Gelhart il y a seulement quelques jours. Aussi vieux que vous puissiez être, cher comte, je suis sûr que votre vieil esprit se souvient encore de ce qui s’est passé il y a quelques jours. »

Sa voix était épaisse et clairement méprisante, ce à quoi les aides du comte avaient réagi en sortant leurs épées.

« Arrêtez ! »

Le comte Adelheit empêcha ses hommes d’abattre le vicomte. Il avait alors montré une expression résignée vers l’homme.

« Vous avez raison. Il est inutile d’essayer de sauver les apparences à ce stade. Alors, venons-en à la question principale… Pourquoi ? »

Il demanda au vicomte pourquoi il avait décidé de se retirer sur son territoire. Il avait déjà une assez bonne idée de ce qu’il allait dire, mais il voulait l’entendre directement de sa bouche. Ce faisant, il pourrait aussi décider lui-même de la manière d’agir.

« Est-ce que ça a besoin d’être dit… ? »

Le vicomte Romane était devenu rouge d’irritation.

« À cause des rumeurs… »

Il était probablement très irrité.

« Je le savais… Alors elles sont vraies… ? »

Le vicomte Romane secoua la tête.

« Vous battez donc en retraite sans confirmer les rumeurs… Vous tous… ? »

Le comte Adelheit regarda les jeunes hommes qui se tenaient derrière le vicomte.

Un jeune homme s’avança pour rencontrer son regard.

« Nous ne pensons pas que l’authenticité de ces rumeurs soit importante à ce stade, monsieur le comte », dit-il.

Le comte Adelheit ne se souvenait pas de son nom.

C’était sûrement un des nobles de bas rang sous le vicomte Romane.

« De quelle maison êtes-vous originaire, jeune homme ? »

« De Lechre, c’est le fils aîné de la famille du baron Mondo. Je l’ai pris sous mon aile. Son père est un parfait bon à rien, mais Lechre est un jeune homme très prometteur. C’est mon aide le plus précieux. », répondit le vicomte Romane.

Le regard du comte Adelheit prit en considération cette introduction.

Le fils aîné de la famille Mondo… On dit que son père, l’actuel gouverneur, est un imbécile, mais j’ai entendu dire que son fils est assez impressionnant… Et bien sûr…

Il y avait plusieurs centaines de nobles à Rhoadseria. La plupart des nobles connaissaient la plupart des autres, mais le comte Adelheit était le numéro deux de la faction des nobles. Pour lui, la majorité des nobles n’était pas différente de la populace.

Mais il connaissait un peu la maison des Mondo. Le gouverneur actuel, le père de Lechre, avait soudainement commencé à augmenter les taxes pour entrer sur son territoire. À cause de cela, les commerçants employés par le comte s’étaient beaucoup plaints.

Après avoir déterré ce qu’il pouvait de ses souvenirs, le comte avait de nouveau fixé son regard sur Lechre.

« Je vois. Alors, Seigneur Lechre, laissez-moi vous reposer la question. Que vouliez-vous dire par là ? »

« La rumeur circule déjà parmi les roturiers, et ils refusent d’écouter nos ordres, insistant pour qu’ils rentrent chez eux. »

C’était les roturiers qui seraient les plus touchés par le rasage des territoires, car leurs maisons et leurs biens seraient réduits en cendres. Les nobles pouvaient toujours recevoir les faveurs de leurs parents, mais les roturiers se battaient juste pour défendre leur gagne-pain durement gagné. Ils ne pouvaient plus guère se soucier de la vie d’autrui à ce stade. Ils voulaient donc rentrer chez eux et protéger leur maigre fortune et leur famille.

Le comte Adelheit, cependant, avait simplement claqué sa langue et lança au garçon un regard exaspéré et moqueur.

« Une telle bêtise… Y a-t-il un moment où ils ne se plaignent pas pour une raison ou une autre ? Blessez quelques-uns d’entre eux pour donner l’exemple et cela devrait faire l’affaire. »

Si quelqu’un disait quelque chose comme ça dans le monde de Ryoma, cela causerait un énorme scandale. Il serait étiqueté comme fasciste et militariste et recevrait l’équivalent verbal d’un lynchage en termes de critique.

Mais ce qu’il venait de décrire était un moyen couramment utilisé pour maintenir l’ordre public et gouverner le territoire d’un noble dans ce monde. C’était en plus un moyen très efficace… Du moins, normalement. Mais cette fois-ci, les choses étaient différentes.

« Eh bien, vous voyez… Les roturiers sont prêts à se révolter… Ils nous ont résisté physiquement. », dit Lechre en secouant la tête.

« Les roturiers ont fait quoi ?! »

Le comte Adelheit se leva de sa chaise.

Il était très choqué par ce qu’il venait d’entendre. Il ne pensait pas que les roturiers étaient si bien soutenus.

« Oui, nous avons étouffé leur résistance cette fois, mais plusieurs chevaliers ont été gravement blessés. Les choses se sont terminées favorablement cette fois, mais ils auraient pu mourir à ce rythme. Nous nous sommes penchés sur la question, et des choses similaires se produisent dans toute la faction des nobles… Et… »

« Et quoi ? Il y a plus ?! »

Le comte Adelheit ne voulait pas que Lechre en dise plus. Si les choses s’aggravaient, même un homme audacieux comme lui ne pourrait pas le supporter.

« Le marquis Schwartzen et sa clique battent déjà en retraite. »

Tout le sang se retira du visage du comte Adelheit au son de ce nom.

« Ce n’est pas possible… Comment ose-t-il ?! »

Le marquis Schwartzen était le troisième homme le plus puissant de la faction des nobles. Le duc Gelhart faisait plus confiance au comte Adelheit, il était donc au-dessus de lui au sein de la faction. Mais en termes de taille de territoires et de nobles de bas rang sous leur aile, le marquis Schwartzen était le deuxième homme le plus puissant après le duc Gelhart lui-même. Les forces qu’il avait fournies formèrent la deuxième plus grande partie du total des rangs de la faction des nobles dans cette guerre. Son retrait du champ de bataille ne pouvait être ignoré.

« Avez-vous signalé cela au général Albrecht ?! »

C’était ce qui intéressait le plus le comte Adelheit. Il était naturel de respecter les décisions du général Albrecht, puisqu’il détenait l’autorité suprême sur l’armée. Mais Lechre avait simplement répondu avec un sourire malicieux et tordu.

« Vous devez sûrement plaisanter. Qu’est-ce que cela changerait si on le lui reportait maintenant… ? L’armée du marquis Schwartzen nous a notifié qu’ils nous attaqueraient si nous entravions leur retraite. Nous ne pouvons donc rien faire… L’armée du marquis Schwartzen forme un quart des forces de la faction des nobles. Si nous nous heurtons à eux, eh bien, peut-être que nous nous en sortirons victorieux, mais nous n’en sortirons pas indemnes. »

« C’est… vrai. »

« Dans ce cas, que devraient faire les nobles maintenant ? Qu’est-ce qui garantirait notre survie ? L’obtiendrons-nous en rendant des comptes au général Albrecht ? »

Comprenant le sens caché derrière ces mots, l’expression du comte Adelheit s’était déformée de façon désagréable.

« Sacrifier les forces du général Albrecht… Et vous êtes tous d’accord avec ça ? »

Ils répondirent à ses mots par le silence. Un silence qui signifiait le consentement. C’était écœurant, mais même s’il était dégoûté par leur approche, il comprenait pourquoi ils faisaient cela. C’était le fruit de l’instinct de la noblesse, qui lui avait été inculqué dès sa naissance. Cela les avait poussés à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre leur statut et leur nom de famille.

Et le comte Adelheit savait que faire un esclandre à ce stade ne servirait à rien. Appuyé sur le dossier de sa chaise, il poussa un soupir résigné dans l’air.

« Très bien… Si vous êtes décidé à aller aussi loin, je n’ai plus rien à dire. Je respecterai votre décision. »

Tous les autres acquiescèrent en silence.

« Je suis heureux que vous compreniez. Nous allons donc battre en retraite immédiatement. Que les rumeurs soient vraies ou non, nous devons veiller à la défense de nos territoires ! », dit le vicomte Romane en tournant les talons.

Alors qu’il le regardait partir, un murmure échappa aux lèvres du comte Adelheit.

« Nous trahissons le duc Gelhart, puis nous nous faisons de même envers le général Albrecht… Maintenir le pouvoir de ses familles peut nécessiter de se salir les mains, mais quand même… »

Les aides qui se tenaient à ses côtés étaient tous uniformément silencieux. Ils ressentaient eux aussi l’amertume de ce que signifie être un noble.

***

Partie 3

« Mais Votre Altesse ! Vous devez donner l’ordre de marcher ! »

Alors que la princesse Lupis était figée sur place, incapable de donner l’ordre de marcher sur Héraklion, Meltina l’implora. Grâce aux manigances de Ryoma, les armées nobles déployées autour d’Héraklion étaient toutes rentrées sur leur territoire.

Avec le duc Gelhart à leurs côtés, il ne restait plus qu’à vaincre le général Albrecht, les 2 500 chevaliers sous son commandement et la petite armée de mille hommes appartenant à des nobles de bas rang qui ne comprenaient pas ce que faisaient les autres et restaient derrière. Ils s’étaient terrés dans un coin d’Héraklion. Leur moral était, bien sûr, au plus bas.

En comparaison, la princesse Lupis avait 25 000 hommes sous son commandement. Il n’y avait pas si longtemps, la princesse Lupis était en position de faiblesse, mais maintenant, la situation avait complètement changé. Les chevaliers qui se tenaient devant elle attendaient tous avec impatience ses ordres. Leur nombre étant dix fois plus élevé que celui de l’ennemi, leur moral était naturellement au plus haut.

Mais le cœur de la princesse Lupis était saisi d’une émotion sombre qui était à l’opposé de l’exaltation de ses chevaliers. Elle ne pouvait pas se réjouir d’une situation où il ne serait pas étrange qu’elle virevolte de joie.

La terreur qu’elle éprouvait pour lui planait sur elle comme une ombre.

C’est donc son pouvoir… Il a renversé une telle position de faiblesse… Ryoma Mikoshiba… Il me fait peur. Son intelligence et son esprit me font peur. Son caractère impitoyable me fait peur. Son cœur, qui ne montre aucun respect pour la royauté, me fait peur… Et si nous vainquons Albrecht, cet homme quittera ce pays. C’est bien… C’est ce sur quoi nous nous étions mis d’accord dès le départ. Mais s’il se retourne contre moi… Je ne serai pas capable de l’égaler, quoi qu’il arrive… Y a-t-il au moins quelqu’un dans ce pays qui le puisse ? Même Helena admet qu’il est meilleur qu’elle… Si jamais il se retournait contre nous… Ce pays tombera dans une crise bien plus grande que celle de Gelhart ou d’Albrecht…

Elle le savait depuis le début. Non, il serait peut-être plus correct de dire qu’elle s’était trompée en pensant qu’elle le savait. L’anxiété dont elle avait pris conscience, et à laquelle elle s’était efforcée de ne pas penser, venait juste de surgir dans son cœur, alors qu’ils étaient sur le point de mettre en déroute l’armée du général Albrecht.

Elle devait cependant repousser cette peur.

Non… Je devrai y penser plus tard. Pour l’instant, je dois me débarrasser d’Albrecht !

La Princesse Lupis, en faisant un signe de tête à Meltina, fixa son regard vers l’avant.

Je ne peux rien faire d’autre… pour le moment !

« À toutes les forces, en marche ! »

Meltina fit un signe de tête à la Princesse Lupis et pointa la direction d’Héraklion. À présent, ce qui comptait, c’était de battre Albrecht.

« Ooooh ! »

En élevant la voix une fois de plus, les soldats se mirent immédiatement en route. Ils n’avaient qu’un seul but : réclamer la tête du général Albrecht.

« Maître Ryoma… En es-tu sûr ? »

Les chevaliers conduits par la princesse Lupis se dirigèrent vers Héraklion, soulevant un nuage de poussière dans leur sillage. Un groupe de personnes surplombait la marche depuis les hauteurs, située à une courte distance des chevaliers.

« Oui, notre participation à l’invasion d’Héraklion ne servirait à rien », répondit Ryoma à la question de Laura.

La centaine de mercenaires dirigés par Lione et Boltz, ainsi que les sœurs Malfists étaient présentes ici. Tout le monde était prêt à partir au front, mais leur commandant, Ryoma, ne s’était pas rendu sur le champ de bataille.

« Mais mon garçon… Tu sais que cette guerre ne se terminera pas si nous n’attaquons pas Héraklion ? »

Boltz exprima ses doutes, exprimant la question que tous les participants se posaient.

« Elle ne se terminera pas si nous n’attaquons pas la ville, hein… ? Je vois… Est-ce que vous ressentez tous cela ? »

Tout le monde acquiesça à la demande de Ryoma. Le général Albrecht n’allait pas déplacer son armée hors de la ville, la guerre ne se terminerait donc pas avant qu’ils ne prennent Héraklion. Après tout, le duc Gelhart s’était déjà tourné vers la princesse. Ryoma sourit, réalisant le sens de la question de Boltz.

« Alors, laissez-moi vous demander quelque chose à la place. En ce moment même, le général Albrecht est dans la ville avec ses chevaliers et les nobles qui n’ont pas pris la fuite à temps. Maintenant que Gelhart est du côté de la princesse, le général est le dernier ennemi qu’il nous reste. Vous me suivez jusqu’à présent ? »

Tout le monde hocha la tête. Les rumeurs que Ryoma avaient répandues sur ses soi-disant tactiques de la terre brûlée firent que les nobles ennemis avaient retiré leurs forces et s’étaient repliés chez eux. Grâce à cela, il n’y avait aucun signe de soldats dans les environs d’Héraklion. C’était ainsi que la princesse Lupis avait pu mener à bien cette bataille finale. Le duc Gelhart ayant prêté serment d’allégeance à la princesse Lupis, ses seuls adversaires restants étaient le général Albrecht et ses laquais.

« Quelle est la taille des forces de la princesse Lupis ? »

« Vingt-cinq mille hommes. »

« Comme l’a dit Sara. Et celles d’Albrecht ? »

« Trois mille, à plus ou moins cinq cents hommes ! » dit Boltz.

« Exactement. »

Ryoma regarda tout le monde.

« Ils sont pratiquement dix fois moins nombreux, alors crois-tu vraiment qu’Albrecht s’est caché à Héraklion dans cette situation ? »

Tout le monde comprit alors ce que Ryoma voulait dire.

« Alors tu dis qu’il ne se cache pas en ville, mon garçon ? », demanda Lione.

« Oui. En toute honnêteté, je dirais qu’il y a une chance sur deux… D’après ce que je sais, Albrecht est un vieil homme très hautain et désagréable, mais en même temps, il ne sait pas quand abandonner. »

« Alors, qu’est-ce que tu penses que Monsieur le Général-qui-ne-sait-donc-pas-abandonner va faire ? »

« Eh bien, pour commencer, s’il se terre à Héraklion, il ne peut pas espérer des renforts. La faction des nobles lui a tourné le dos une fois et n’enverra plus de troupes pour l’aider. Le Duc Gelhart ne l’abritera pas non plus. S’il se montre, il organisera son armée et l’enverra écraser Albrecht. Il a donc deux options : accepter la défaite ou s’enfuir… Mais je ne vois pas cette fouine choisir une défaite honorable. »

« Quoi, donc sa fuite est la seule option qui reste… Mais peut-il vraiment le faire avec un tel désavantage ? On parle d’une armée dix fois plus nombreuse ici. Dix fois plus. La fuite est plus facile à dire qu’à faire, il devra traverser le siège et échapper à la poursuite. »

Il n’acceptera pas la défaite, et tenir un siège ne fonctionnera pas. Son seul choix consistera à quitter Héraklion et à s’enfuir. Même un enfant pourrait en arriver à cette conclusion. Mais la réponse de Lione était appropriée. Elle avait vu de nombreuses batailles et savait combien une retraite pouvait être difficile.

Faire avancer une armée était relativement simple, mais une fois que l’on voulait battre en retraite, les choses devenaient soudainement beaucoup plus compliquées.

En plus de cela, les chevaliers avaient de superbes aptitudes au combat individuel, mais leurs performances chutaient lorsqu’il s’agissait de travailler en formation. Et ce qui importait le plus dans une stratégie de retraite n’était pas la force individuelle, mais spécifiquement le travail d’équipe et le travail en formation. Un groupe ne peut survivre que si tout le monde se couvre les uns les autres.

Inversement, lorsque les gens commençaient à ignorer les formations et à partir seuls, ceux qui restaient derrière ne feraient que mourir. Bien sûr, en fonction des conditions de la bataille, différentes tactiques donnaient des résultats différents, comme l’histoire l’avait montré à maintes reprises.

Ainsi, non seulement les chevaliers avaient été contraints à une bataille de retraite, à laquelle ils n’étaient pas préparés au départ, mais ils avaient dû le faire avec un désavantage numérique écrasant. Leurs chances de survie étaient pratiquement nulles.

« Oui, je pense que tu as raison. »

Ryoma fit un signe de tête face aux doutes de Lione, et poursuivit en exprimant ses propres inquiétudes.

« Eh bien, j’ai un peu modifié les choses pour en arriver là… Mais tout cela en supposant que le général Albrecht avait battu en retraite avec ses hommes… Je pense qu’au pire, il a peut-être abandonné ses chevaliers et s’est enfui seul… »

Tout le monde avait été stupéfait par la suggestion de Ryoma.

« Non, mon garçon… C’est trop. »

« Garçon ! Ce n’est pas un peu… ? »

C’était vrai, il pouvait s’échapper sans ses hommes, mais un chevalier qui arrivait au rang de général ferait-il ce choix ? Un roi ou un noble l’aurait peut-être fait, mais les chevaliers s’accrochaient obstinément à leur honneur et à leur bonne réputation. Alors, abandonner ses hommes et battre en retraite, et avant une bataille finale décisive, est-ce possible ?

Même Boltz et Lione, qui avaient vu d’innombrables batailles, avaient du mal à se souvenir de quelqu’un d’aussi effronté. Mais Ryoma envisageait toujours cette possibilité. Il savait que certaines personnes ne s’arrêteraient devant rien si cela pouvait assurer leur survie.

« Je veux dire, tout est possible jusqu’à présent… Ça ne change rien au fait que notre camp doit attaquer Héraklion. Mais une force de notre taille ne va pas influencer l’issue de cette bataille ? Alors j’ai demandé à la princesse Lupis la permission d’agir en groupe séparé. », dit Ryoma en haussant les épaules.

Je vois. Lione avait jeté un regard exaspéré sur Ryoma. Le général a donc caché ses forces dans la ville afin qu’elles servent de leurre pour attirer l’attention sur lui. Il a ordonné à ses hommes de mourir pour lui… Un vieil homme méchant jusqu’à la fin. Mais quand même, le garçon a lu les actions de cette fouine et a agi en conséquence. Bon sang…

Lione maudissait dans son cœur le vieux général. Ryoma n’avait pas fait de déclaration définitive, mais toutes les personnes présentes ne pensaient pas que c’était du 50-50 comme il l’avait dit. Ils avaient l’impression que ce qu’il avait dit allait à tous les coups se réaliser. Et il était vrai qu’avec un tel avantage, peu importait que Ryoma et son groupe participent à l’attaque d’Héraklion.

Mais si l’on considérait leur récompense après la guerre, leur décision de ne pas participer ne les avait peut-être pas désavantagés, mais cela ne les avait certainement pas aidés. Ryoma étant présent malgré cela, la probabilité qu’Albrecht tente de s’échapper était extrêmement élevée.

« Toujours pas convaincu ? » demanda Ryoma

Tout le monde se mit à secouer la tête.

Il semblerait que son explication était suffisante.

« Très bien. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre le retour de Gennou… »

« Gennou ? » demanda Laura, en regardant autour d’elle.

Bien sûr, Gennou et Sakuya n’étaient pas en vue.

« Oh, ne t’inquiète pas… Je les ai juste envoyés pour entrer en contact avec nos gens à l’intérieur de la ville… Oh ! En parlant du loup, les voilà… Comment ça s’est passé, Gennou ? »

Les mercenaires qu’il avait déguisés en marchands étaient éparpillés dans tout Héraklion, travaillant sous couverture. La plupart de leur travail consistait à faire circuler des rumeurs aux roturiers concernant Ryoma Mikoshiba, tandis que certains s’infiltraient également dans la ville elle-même et faisaient des rapports sur les mouvements de l’ennemi. Sous le couvert du Duc Gelhart, ils avaient concentré leurs enquêtes sur le Général Albrecht.

Gennou et Sakuya s’étaient faufilés à Héraklion pour leur servir de contacts, et Ryoma venait de les apercevoir s’approcher.

« Nous vous avons fait attendre, seigneur. »

« Pardonnez notre retard. »

Les deux individus baissèrent la tête devant Ryoma, s’excusant d’avoir mis trop de temps à revenir avant d’aborder le sujet principal.

« Votre supposition était exacte, seigneur… Les rapports des gens qui surveillaient le général disent qu’il a convoqué des marchands hier encore, et qu’il a apparemment négocié une sorte de marché avec eux. »

Ryoma fit un signe de tête aux paroles de Gennou.

« Des négociations, hein ? Savent-ils ce que c’était ? »

Ryoma anticipa le rapport de Gennou, mais n’avait pas encore prévu de tirer des conclusions hâtives sur les motivations du général Albrecht.

« Oui, ils ont demandé à un des marchands qui partait. Apparemment, il a vendu des vêtements et quelques titres de propriété. On dirait qu’il a liquidé ses biens à la hâte. »

« Bien… Donc ça veut dire… »

***

Partie 4

Transformer ses biens en argent liquide ne pouvait signifier qu’une chose. Après tout, il essayait de fuir le pays.

« Je pense qu’on peut supposer qu’il rassemblait des fonds pour s’échapper… »

« Dans le même temps, il a apparemment acheté beaucoup de conserves », dit n.

« Des conserves… Oui, il se coupe de ses hommes… »

Le regard de Ryoma s’était aiguisé.

S’il accompagnait ses hommes, il n’aurait pas besoin d’acheter de la nourriture, car l’armée avait des unités qui s’occupaient des provisions. Le commandant suprême n’aurait pas besoin de compter sur un marchand pour se nourrir, et pourtant il l’avait fait. Ce qui signifiait qu’il ne voulait pas que ses hommes apprennent ce qu’il faisait.

« Il a probablement attiré l’attention de tous sur Héraklion pour pouvoir s’échapper pendant la bataille. »

« Et son plan d’évasion ? Des idées, Genou ? »

« Non. Malheureusement, je n’ai pas pu creuser aussi profond. Cependant… »

Le vieux ninja secoua la tête.

« Quoi ? Est-ce que quelque chose te semble anormal ? »

« S’il a l’intention d’emmener sa famille, je ne pense pas qu’il soit probable qu’il s’échappe à pied. J’ai vu des voitures chargées, je pense donc qu’il pourrait utiliser la route. »

« Maître Ryoma ! Ici ! »

Sara avait rapidement étalé une carte qu’elle avait portée devant Ryoma.

« Voici donc Héraklion… Il y a quatre routes qu’il pourrait prendre. »

Ryoma trouva rapidement les sept routes qui s’étendaient depuis Héraklion. Trois d’entre elles étaient déjà prises par les forces de la princesse Lupis. Il était possible qu’Albrecht choisisse ces routes précisément pour se glisser sous le nez de la princesse, mais c’était un choix dangereux à faire si sa famille était avec lui. Ryoma garda à l’esprit que le nom et le visage d’Albrecht étaient bien connus à l’intérieur des frontières de Rhoadseria alors qu’il réduisait ses choix.

« Il reste donc les routes du sud-est, du sud, du sud-ouest et de l’ouest… Et puisqu’il prend sa famille, on peut probablement exclure celle de l’ouest qui mène à Xarooda. », souligna Laura.

Ryoma fit un signe de tête.

EffectivementLe pays du fer, Xarooda, a des montagnes escarpées. Le terrain est trop accidenté pour qu’il puisse s’échapper avec sa famille…

« Je pense que Laura a raison. Nous avons été spécialement formés pour pouvoir traverser ce terrain, mais les femmes et les enfants ordinaires auraient des difficultés. Dans ce cas, nous pouvons exclure le sud-ouest pour la même raison. », dit Sara.

Lione jeta un coup d’œil sur la carte, et indiqua deux routes s’étendant vers le sud.

« Ce qui laissait le sud-est et le sud. »

Les deux routes menaient dans les régions des pays du sud. C’était un rassemblement de pays et le site de certains des combats les plus tumultueux de tout le continent occidental. Mais cela signifiait aussi que c’était l’endroit idéal pour se cacher.

« Deux routes, hein… Alors laquelle… ? »

Ryoma leva les yeux. Il avait une centaine d’hommes sous la main. C’était tous des guerriers habiles et brillants, mais l’ennemi allait résister désespérément. Il serait probablement sage de supposer qu’ils étaient aussi forts que ses hommes. Dans ce cas, le facteur décisif serait le nombre d’hommes qu’ils avaient.

Le général Albrecht voulait éviter d’être vu, il ne pouvait donc pas amener une grande armée pour le défendre. Cela dit, dix ou vingt chevaliers ne suffiraient pas pour le protéger, lui et sa famille.

Diviser mes forces serait une mauvaise idée… Mais nous ne pouvons pas non plus laisser Albrecht s’échapper. Qu’est-ce que je dois faire… ?

Pour l’avenir de Rhoadseria, ils devaient tuer le général Albrecht ici. Et il y avait aussi la promesse qu’il avait faite à Helena. Des idées lui étaient venues avant de disparaître. Aussi intelligent qu’il fût, tout avait une limite. Il n’avait qu’un nombre limité d’hommes et deux routes à prendre, et il ne pouvait pas imaginer une tactique qui compenserait cela.

« Maître Ryoma », chuchota Sara à son oreille, le tirant de ses pensées.

« Quoi ? Quelque chose ne va pas ? »

« Nous avons reçu un rapport, une unité s’approche de nous. »

« L’ennemi ? »

Sara secoua la tête.

« C’est Dame Helena. »

L’expression de Ryoma changea en entendant son nom.

« Helena… Elle devrait attaquer Héraklion avec la princesse Lupis… Tu es sûre ? »

« Oui. Ils devraient arriver bientôt. »

« Très bien. Montre-leur le chemin. »

Sara fit un signe de tête et partit. Finalement, le bruit des sabots lui parvint aux oreilles de la route devant lui alors qu’un groupe de vingt à trente personnes arrivait à cheval.

« Oh, Dieu merci. Je suis arrivée à temps ! »

Helena descendit de son cheval devant Ryoma, le saluant d’un sourire calme. Ryoma sentait qu’il y avait une sombre passion dans son sourire.

« Que faites-vous ici, Dame Helena ? Ne devriez-vous pas aider à attaquer Héraklion en ce moment… Êtes-vous sûre que vous pouvez ne pas être là ? »

Helena répondit à la question naturelle de Ryoma par un sourire implicite.

« Oh ! Mais tu ne prends pas non plus part à l’attaque, n’est-ce pas ? Donc, la même chose vaut pour moi… Ce n’est pas que je ne crois pas en toi, mais… »

Le fait qu’elle soit devenue un héros national n’est pas étonnant… Elle est peut-être vieille, mais son esprit est toujours aussi vif. Et elle veut donner le coup de grâce elle-même…

Ryoma réalisa ce qu’Helena cherchait. Elle était venue pour couper la fuite d’Albrecht, comme Ryoma, et lui régler son compte de ses propres mains.

« Combien d’hommes avez-vous, Lady Helena ? »

« Environ trois cents. »

Mon Dieu, elle veut vraiment le tuer… Et bien, c’est que je crois…

Les flammes noires de la vengeance brûlaient en Helena. Helena avait environ trois mille hommes sous son commandement direct dans cette guerre, et elle avait pris les trois cents personnes les plus proches d’elle afin de venir ici. Cela montrait à quel point elle était résolue. Cela signifiait qu’elle ne reculerait devant rien pour réclamer la tête d’Albrecht. Même si le général Albrecht décidait de se rendre, elle l’ignorerait.

« Alors, quelle est la situation ? Albrecht s’est-il déjà échappé d’Héraklion ? »

Ryoma secoua la tête.

« Je vois… Et il n’y a aucune chance qu’il essaie de se cacher à Héraklion et qu’il meure honorablement ? », demanda-t-elle anxieusement.

Ce n’était que des spéculations, et Helena n’était pas assez bête pour penser que ses prédictions étaient toujours justes. Et ils ne pouvaient pas se permettre de se tromper cette fois-ci, car si cela se produisait, la vengeance d’Helena s’arrêterait sur le champ.

« Non, je ne pense pas. J’ai demandé à mes hommes de se pencher sur la question, et apparemment il a liquidé beaucoup de ses actifs pour financer sa fuite… Je pense qu’il y a fort à parier qu’il essaie de s’échapper à la frontière afin de se rendre dans un autre pays. »

« Je le savais… C’est effectivement une sorte de chose à laquelle il penserait », cracha Helena avec amertume.

« Une idée de la direction qu’il prendrait ? »

Ryoma prit la carte de Sara et la montra à Helena.

« Nous avons réduit la liste à deux options. Sachant qu’ils préparaient des voitures et que sa famille n’est pas habituée aux voyages difficiles, nous pensons qu’il ira vers le sud. »

« Hmm, oui… S’il allait au nord ou à l’est, il devrait passer par la capitale. »

Helena acquiesça légèrement.

« Il évitera probablement de passer par là. Il pourrait essayer de la contourner, mais ces régions sont sous le contrôle de la faction des nobles. S’il essayait de passer par là, ils le vendraient probablement à la princesse pour lui acheter ses faveurs… De plus, c’est le plus long chemin vers la frontière. »

La princesse Lupis était sur le point de gagner la guerre, et ceux qui l’avaient simplement regardée de loin ou qui s’étaient opposés à elle cherchaient des moyens de gagner ses faveurs et de conserver leur statut. Se rendre dans les environs de la capitale à un tel moment serait un suicide pour Albrecht.

Il était très probable qu’il l’éviterait. Après tout, tout le monde voulait lui offrir sa tête en guise d’hommage.

« L’est n’est pas non plus probable… Les zones frontalières de Xarooda sont montagneuses et escarpées… Ce qui laisse… »

Helena arriva à la même conclusion que Ryoma, bien qu’elle ne semblait pas du tout en conflit. Elle était d’une certaine manière confiante.

« Ryoma, es-tu déchiré entre le sud et le sud-est ? »

Ryoma acquiesça doucement.

« Alors, laisse-moi résoudre ce problème pour toi. Albrecht va essayer de s’échapper du sud. Je ne le vois pas aller ailleurs. », dit Helena en désignant un certain point sur la carte.

Helena était tout à fait confiante.

« Sans vouloir être irrespectueux, sur quoi vous basez-vous pour dire ça ? », demanda Ryoma.

Il se sentait en confiance avec les mots d’Helena, mais n’avait pas l’intention de lui faire confiance aveuglément. Tout du moins jusqu’à ce qu’elle lui dise quel était le fondement derrière tout ça. Mais les mots qui quittèrent ensuite les lèvres d’Helena lui ouvrirent les yeux.

« Sa femme descend d’une famille noble du royaume de Tarja. »

Le royaume de Tarja était situé à plusieurs centaines de kilomètres au sud d’Héraklion. Le pays d’origine de sa femme serait en effet un bon endroit pour s’enfuir. Son lien avec eux les aiderait à trouver un refuge.

« Je vois… Oui, le fait qu’elle ait un lien avec cet endroit fait de Tarja une bonne option… Sauf qu’il pourrait supposer que l’on arrive à cette conclusion et ainsi choisir une autre direction ? »

Ryoma n’avait pas l’intention de pinailler, et avait admis que son idée était convaincante. Mais quand Ryoma avait prévu de s’échapper de l’Empire d’O’ltormea, il savait que choisir la voie optimale ne donnait pas toujours le meilleur résultat possible. Car c’était précisément cette voie qui attirait le plus d’attention et qui était la plus facile à prévoir.

C’était pourquoi, parfois, choisir délibérément la voie la moins optimale pouvait mettre ses adversaires hors course.

« Tu dis donc qu’il pourrait intentionnellement choisir l’autre voie. Mais je ne pense pas qu’il faille s’en inquiéter cette fois-ci… Parce que s’il va vers le sud-est, il se retrouvera dans le royaume de Britannia. »

Helena pointa du doigt le pays voisin de Tarja.

« C’est à peu près la même distance que Tarja, non ? Ne peut-il pas s’enfuir là-bas ? »

Helena sourit avec ironie.

« Je doute qu’il le puisse. Tarja et Britannia sont rivales depuis des années. S’il n’y avait eu qu’Albrecht, il serait peut-être allé là-bas, mais sa femme est de Tarjan. L’emmener là-bas serait dangereux. Et il ne peut pas non plus se débarrasser de sa femme. S’il fait cela, il va vraiment être à court de factions qui pourraient l’aider… »

« Vous pensez qu’il vise à reconstruire son pouvoir à Tarja ? Qu’il cherche encore à renforcer son influence ? »

« Oh, oui. Il n’y a aucune chance qu’il recule même après ça… Tu sais, il n’est pas si naïf que ça. »

Si Helena avait raison, alors il ne faisait aucun doute qu’il se dirigeait vers Tarja. Il préférait aller dans le pays où sa femme était apparentée, dans un pays qui n’avait rien à voir avec lui.

***

Partie 5

Mais les paroles d’Helena ne firent qu’accentuer un autre doute dans l’esprit de Ryoma. Il n’avait pas pensé à la femme d’Albrecht jusqu’à présent, mais il réalisait maintenant que la vengeance d’Helena ne se limitait pas à Albrecht lui-même. La lame de sa vengeance s’étendrait aussi à sa famille, qui comprenait naturellement sa femme…

Le problème était que le royaume de Rhoadseria risquait de se faire un nouvel ennemi en laissant mourir la femme d’Albrecht.

Helena connaît Albrecht mieux que moi… Je devrais probablement travailler selon son jugement ici, mais… Je m’inquiète du fait que sa femme soit une noble d’un autre pays. Devrions-nous vraiment la laisser tuer quelqu’un comme ça…

Ryoma ne pensait pas qu’un pays supporterait qu’un de ses habitants soit tué par l’armée d’un pays étranger. Ils ignoraient les circonstances et réagissaient émotionnellement, comme c’était le cas lors de nombreuses guerres.

Ryoma avait ignoré cette inquiétude.

Autant faire les choses jusqu’au bout. Ce n’est pas mon monde. Tant qu’on se débarrasse d’un cadavre sans qu’il soit retrouvé, Rhoadseria peut faire comme s’il ne savait rien.

Pour le meilleur ou pour le pire, les normes technologiques de ce monde étaient faibles. Il suffisait d’enterrer un cadavre pour s’assurer qu’il ne soit pas retrouvé. Il n’y avait aucun moyen d’identifier l’ADN dans ce monde, donc une fois qu’un cadavre était suffisamment décomposé, il n’y avait aucun moyen de savoir à qui il appartenait.

« Très bien. Je vais me conformer à vos ordres. »

En disant cela, Ryoma montrait qu’il donnait la priorité à la vengeance d’Helena. Helena hocha la tête discrètement.

« Très bien. Alors que devons-nous faire ? Les attaquer dès qu’ils quitteront Héraklion ? Ou attendre plus loin et leur tendre une embuscade ? », demanda Ryoma.

Le tuer près d’Héraklion lui permettrait de trouver facilement des excuses au cas où son motif de vengeance serait découvert. En revanche, le tuer loin de la ville leur permettait de se déplacer plus ouvertement et de se débarrasser des corps sans craindre d’être vus.

« Je pense qu’ici serait un bon endroit… » dit Helena, en indiquant un certain point sur la carte.

« Qu’en dites-vous ? »

C’était une forêt relativement isolée de toute ville, un endroit idéal pour déployer ses hommes.

« Bien… Alors nous devrions probablement diviser nos forces en deux… Je vais en prendre deux cents et jouer le rôle du chien de chasse. Cela devrait vous faciliter la tâche, non ? »

Helena ferma les yeux, sentant l’intention derrière ses mots.

« Ryoma… Merci. »

Ces mots reflétaient les émotions dans son cœur… scellant ainsi le destin du Général Albrecht et de sa famille.

« Personne ne nous poursuit, n’est-ce pas, Kael… ? » demanda le général Albrecht tout en fixant la voiture, et en regardant Kael qui montait son cheval parallèlement à lui.

« Oui, milord… Pour l’instant… Je pense que personne ne s’est rendu compte que nous nous sommes échappés. »

« Je vois… C’est une bonne chose que j’aie suivi vos conseils et que j’aie pu m’échapper dès que les forces de Lupis allaient arriver sur nous. »

« Oui ! Je vous suis reconnaissant pour vos paroles agréables ! »

Kael inclina la tête respectueusement.

Hmm, c’était essentiellement un pari, mais… On dirait que ça se passe bien. Cet homme a été plus utile que je ne le pensais. J’ai récupéré une bonne main d’œuvre, si je considère ce qui va suivre…

Le général Albrecht fit un signe de tête, appréciant la performance de Kael jusqu’à présent. Albrecht avait liquéfié ses biens et rassemblé ses aides dans sa propriété, en attendant le bon moment pour avoir la chance de s’échapper d’Héraklion.

C’était l’après-midi de ce jour-là. Lorsque les armées de la princesse Lupis commencèrent à marcher pour prendre Héraklion.

La ville elle-même était dans un état de chaos. La nouvelle que le duc Gelhart s’était rangé du côté de la princesse Lupis ne s’était pas répandue parmi les roturiers, il leur semblait donc que la princesse marchait pour purger le pouvoir du duc.

Normalement, les actions des classes dirigeantes n’avaient aucun lien avec ceux des roturiers, mais une armée marchait sur une ville, ce qui signifiait naturellement qu’il y aurait des victimes civiles. C’est pourquoi les roturiers avaient choisi de fuir la ville, tout cela pour protéger leur vie et leur maigre fortune.

Le général Albrecht et son entourage avaient utilisé le chaos résultant de la fuite des roturiers pour fuir la ville.

« Hmph ! Ils feraient bien de ne pas se faire d’illusions en pensant que c’est fini. Je me vengerai pour m’avoir humilié… Lupis ! Gelhart ! Vous allez regretter le jour où vous vous êtes trouvé sur le chemin d’Hodram Albrecht ! »

Soulagé par le fait qu’il n’y avait pas de poursuivants en vue, des propos diffamatoires glissèrent des lèvres du général Albrecht. Il était devenu complètement indigné. Appelez un membre de la royauté par son nom et rien d’autre était généralement un crime passible de la peine de mort, mais il avait déjà renoncé à son poste à Rhoadseria.

La noblesse, la chevalerie, la royauté. Hodram Albrecht avait déjà été expulsé des classes dirigeantes du royaume de Rhoadseria. Pourtant, sa rancune n’avait aucune légitimité. Le fait étant que la princesse Lupis ne l’avait pas piégé. Il l’avait trahie de sa propre volonté, il avait aussi piégé le duc Gelhart. Le seul à avoir tendu des pièges et trahi quelqu’un était le général Albrecht.

Mais à l’heure actuelle, son esprit ne réfléchissait pas de cette façon. La seule chose à laquelle il pensait, c’était comment blâmer tous les autres pour sa situation. Et c’était peut-être cette nature qui était la principale raison de sa fuite du pays.

« Comment vont ma femme et ma fille ? »

Le général Albrecht tourna son regard vers la voiture qui se déplaçait derrière la sienne.

« J’espère qu’elles ne sont pas incommodées ? »

« Non, seigneur ! Les hommes font tout leur possible pour leur faire passer agréablement le temps. »

« Bien. Ces deux-là sont après tout mon dernier espoir. Suis-je bien clair ? Je ne tolérerai aucune erreur. »

« Soyez assuré, seigneur. Nous vous escorterons à Tarja en toute sécurité… Ai-je raison, messieurs ? ! »

Kael incita les hommes à faire le tour des chariots.

« « « Laissez-nous nous occuper de tout, monsieur ! » » »

Le dernier espoir d’Albrecht était aussi le dernier espoir de tous les autres ici. Tous étaient des gens qui ne pouvaient plus rester à Rhoadseria. C’était leur punition pour avoir vécu somptueusement derrière le bouclier de la tyrannie du général.

Accepter des pots-de-vin des marchands de passage ou voler les réalisations d’autrui pour gravir les échelons faisait partie des crimes les plus légers que ces gens avaient commis. Les pires violaient les femmes et les filles de leurs pairs, et les plus méprisables d’entre eux les tuaient même pour s’assurer qu’elles ne parleraient pas.

Le soutien du général était la seule raison pour laquelle ces personnes pouvaient marcher la tête haute au mépris flagrant de la loi et de la décence humaine. Et une fois cela passé, leurs vies ne tenaient plus qu’à un fil. Même s’ils n’étaient pas jugés par une cour de justice, leurs victimes ne leur pardonneraient jamais.

Ces hommes l’avaient parfaitement compris, et c’est la raison pour laquelle ils n’avaient pas trahi le général Albrecht. Son épanouissement s’était traduit par leur succès, et son déclin avait signifié leur disparition. Ils n’étaient pas de son côté par loyauté, mais par simple perception pragmatique du profit. Mais d’un autre côté, c’était ce qui en faisait des pions précieux et dignes de confiance pour le général.

« Bien ! Vous n’avez qu’à attendre que je marie ma fille au prince de Tarja. Je gagnerai du pouvoir en tant que parent maternel, et les choses pencheront en ma faveur. Je veillerai à ce que vous soyez tous traités en conséquence ! »

Le général Albrecht riait avec satisfaction.

« Oui !!!! »

Les chevaliers environnants répondirent à l’unisson et baissèrent la tête.

C’était le dernier recours du général Albrecht. L’existence de la fille qu’il avait engendrée avec sa femme, une noble de Tarjan. Il avait l’intention de la faire épouser un prince de Tarjan, et d’utiliser cela pour élever son statut.

Bien sûr, c’était son souhait. Il n’avait pas encore monté de complot au sein de la royauté de Tarjan. Mais il n’avait que très peu de voies ouvertes, et c’était celle qui lui donnait les meilleures chances de retrouver sa position au sein du pouvoir. Sa volonté était loin d’être brisée. Les hommes qui avaient goûté au doux fruit du pouvoir avaient tendance à devenir avides.

Je… Je ne vais pas dire mon dernier mot ! Je retrouverai le pouvoir, je le jure !

C’était un plaisir qui dominait le cœur de l’homme. Et comme un narcotique, il rongeait le cœur.

« Je ne laisserai pas les choses se finir ainsi ! »

Les flammes noires de la conviction illusoire brûlaient dans le général Albrecht.

Alors que le soleil approchait de son zénith, la lumière du soleil se répandait sur la terre. Les routes étaient dégagées de toute personne en raison du chaos de la guerre. Les hommes d’Albrecht continuaient à faire avancer leurs chevaux, se précipitant sur la route. C’était un groupe de chevaliers en armure à cheval, protégeant plusieurs voitures. Il y avait deux cents personnes.

Une rangée de chevaliers, chevauchant devant tous les autres, aperçut alors une zone boisée devant elle.

« Finalement, nous sommes arrivés ici… »

Le général Albrecht cracha, fatigué.

« Y a-t-il des signes de poursuivants ? »

« Non, mon général… Aucun pour l’instant. Je pense qu’après être arrivés jusqu’ici, nous pouvons supposer que nous sommes en sécurité. En traversant cette forêt, nous serons à une courte distance de la frontière de Tarjan. »

« Juste un peu plus longtemps… »

Le général Albrecht avait souri à ces mots.

Il avait ensuite jeté un regard inquiet sur la voiture derrière eux. Kael, lui aussi, regarda dans cette direction.

« Les deux ont été très patientes. »

« Mmm… »

Albrecht soupira en réponse.

« Oui, effectivement… Mais je suis sûr qu’elles approchent de la limite de leur patience. Il semblerait que ma femme ait perdu l’appétit et ne veuille pas non plus boire d’eau. Elle dit que ça lui donne la nausée… Ma fille est dans un état similaire… Leur endurance s’épuise. »

Cela faisait deux jours qu’ils s’étaient échappés d’Héraklion. La voiture tremblait et secouait en se déplaçant, et elle faisait des ravages sur la femme et la fille du général Albrecht. Ce n’était après tout pas une visite touristique. Elles avaient fui Héraklion en mettant leur vie en danger, et ce fut une source de stress considérable pour ces femmes protégées. Pourtant, elles ne s’étaient pas plaintes une seule fois par le fait d’être secouées par la voiture. Elles avaient compris la position d’Albrecht.

« Kael. Je dis que nous devons trouver un endroit pratique pour installer le camp, et nous arrêter pour nous reposer tôt. Qu’en dites-vous ? »

Le soleil était toujours là, mais le général Albrecht avait demandé à monter le camp plus tôt. Son visage était plein d’inquiétude et d’affection pour la santé et le bien-être de sa femme et de sa fille.

Il sentait que les deux femmes approchaient de leurs limites. Et il ne pouvait pas se permettre qu’elles meurent ici. Sa femme devait servir d’intermédiaire pour entrer dans la noblesse de Tarja, et il avait besoin que sa fille se marie pour sauver sa position.

« C’est une bonne décision, milord… Je suis sûr que les dames sont très fatiguées. Je ferai installer le campement des chevaliers une fois que nous serons entrés dans la forêt. »

Kael semblait bien conscient de la condition des femmes. Elles n’étaient pas loin de la frontière de Tarja, et elles n’avaient pas rencontré d’ennemis depuis qu’ils s’étaient échappés d’Héraklion.

Tout devrait bien se passer… Nous avons échappé à la poursuite de l’ennemi… Ils ont probablement envoyé leurs hommes dans la direction opposée. Ce qui compte maintenant, c’est de s’assurer que les dames restent en bonne santé… Nos vies en dépendent.

L’insouciance et l’intérêt personnel. Ces deux traits avaient scellé leur destin. Parce qu’elles n’avaient pas remarqué la lame de la vengeance qui s’était abattue sur elles…

***

Chapitre 4 : La vengeance d’Helena

Partie 1

Cette nuit-là, la lune illuminait le ciel de sa douce lumière. Ils n’avaient fait qu’un petit feu de camp, mais grâce à la lumière de la lune, la visibilité était assez bonne.

« Nous n’avons vraiment pas de chance… »

« Effectivement… Devoir veiller toute la nuit aujourd’hui est vraiment chiant, surtout cette nuit… »

Deux chevaliers s’étaient plaints tout en regardant la forêt sombre. Ils étaient tous deux en armure et tenaient des lances acérées. Ils avaient tous deux le même âge, mais celui de droite était plus grand. Cette nuit-là, le général Albrecht donna à chacun la permission d’enlever son armure et de se reposer.

Mais quelques malheureux gardes, dont ces deux-là, furent chargés de monter la garde ce soir-là, et ne purent dormir sans leur armure. La marche avait certainement mis leur corps à rude épreuve. Bien sûr, étant des soldats professionnels, leur endurance était impressionnante. Mais ce n’étaient que des êtres humains et la tension était importante. Il était naturel qu’ils se plaignent de leur malheur.

« Mais nous traversons la frontière demain. Et une fois que nous l’aurons fait… » chuchota le plus grand des chevaliers.

« Oui… Après être venu jusqu’ici… » accepta l’autre chevalier.

« Mais en laissant Rhoadseria derrière nous, hein… ? »

Le plus grand chevalier soupira.

Il était né dans une famille de chevaliers qui avaient été fidèles au royaume pendant des générations. Ou du moins, cela avait été le cas jusqu’à la génération de son père. Ce chevalier n’avait aucune loyauté envers la famille royale, et c’était pourquoi il avait obéi au général Albrecht, qui l’avait aidé à réaliser ses aspirations et ses désirs. L’argent, les femmes, sa position au sein de l’ordre des chevaliers… Toutes les choses que la loyauté envers la famille royale ne lui accorderait jamais lui avaient été accordées en se rangeant du côté du général.

Mais à présent, les rouages étaient complètement déréglés.

La princesse Lupis, qui n’était rien d’autre que le porte-parole et la marionnette d’Albrecht, s’était libérée de son contrôle. Et maintenant, les nobles du pays abandonnaient le général Albrecht et sa faction. Ils n’avaient nulle part où vivre en Rhoadseria, et seules deux voies s’offraient à eux. Soit ils erraient sur le continent jusqu’à ce qu’ils trouvent un nouveau maître à servir, soit ils s’en tiennent au général Albrecht et attendent son retour.

Aucune des deux options n’est vraiment bonne…

Jusqu’à il y a quelques mois, ils vivaient leur meilleure vie. Mais maintenant, ils avaient été forcés de fuir leur pays, et la dureté de tout cela leur pesait au plus haut point.

« Ne dis pas ça ! »

Le chevalier l’avait grondé.

« Mais… »

Le plus grand chevalier essaya de s’accrocher à ses mots.

« Tais-toi ! Je sais tout ça sans avoir à l’entendre de ta bouche ! »

L’autre chevalier ressentait la même chose, mais entendre quelqu’un d’autre le dire l’ennuyait.

« Bon… Je suis désolé », s’excusa le plus grand chevalier, accablé par la rage de son ami.

« Oublie ça, pour l’instant, nous devons nous concentrer sur la surveillance ! Et demain, nous arriverons enfin à Tarja… »

Ils entendirent soudainement quelque chose se frayer un chemin dans l’air de la forêt, et les mots du chevalier le plus petit furent coupés à mi-chemin.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Le chevalier le plus grand regarda son ami avec suspicion.

Pour lui, il semblerait que son partenaire gardait le regard fixé sur la forêt, au garde-à-vous comme il le faisait toujours. Mais quelque chose l’avait frappé, quelque chose était différent.

Quoi ? Qu'est-ce qui ne va pas chez lui-

mais ses pensées se figèrent à jamais sur cette question, à cause d’une autre flèche tirée à travers la forêt…

Sakuya fixa son regard sur les deux chevaliers qui étaient maintenant réduits à l’état de cadavre silencieux, et relâcha la corde de son arc. Elle l’avait gardé amorcé pour tirer une autre flèche au cas où l’une de ses cibles parviendrait encore à respirer.

Une flèche teintée en noir était fixée à l’arc. Elle était noire jusqu’à sa pointe, et il était pratiquement impossible de la voir ou de l’éviter dans l’obscurité de la nuit. Et quoi qu’il en soit, la moindre entaille suffisait pour que le poison répandu sur la pointe de la flèche circule dans le corps de la victime et la fasse s’effondrer sur ses pieds, écumant de la bouche.

Il s’agissait d’un ensemble spécial d’arcs et de flèches, fabriqué pour les assassinats et transmis dans le clan Sakuya. En tant que clan de ninjas, ils étaient habiles à se fondre dans l’obscurité.

« Maître Ryoma… C’est fait. C’était les seuls gardes. »

Comme si les paroles de Sakuya l’avaient poussée à agir, un grand homme habillé de noir était apparu derrière elle.

« Oui… Allons-y. »

Ryoma fit un léger signe de tête.

Il fit un signe de la main en direction de Sara, qui se tenait derrière lui.

« Alors, tout se passe comme prévu », chuchota Sara à Ryoma.

Elle tourna son regard vers les mercenaires qui la suivaient.

« Oui, tout se passe bien pour l’instant. Assurez-vous de faire beaucoup de bruit. »

Sara acquiesça sans dire un mot aux instructions de Ryoma et s’approcha du camp tout en s’accroupissant. Elle était suivie par Lione et vingt autres mercenaires. Laura était probablement en train de terminer ses préparatifs dans un groupe séparé, avec Genou.

« Seigneur ! Les préparatifs sont terminés », rapporta l’un de leurs mercenaires.

« Commencez ! » ordonna Ryoma à ses hommes.

Plusieurs des mercenaires disparurent dans la forêt. De longues lumières rouges se mirent à s’élever au niveau du camp. Au début, il s’agissait de petites étincelles rouges dans l’obscurité, mais en quelques secondes, elles s’étaient répandues dans tout le camp, l’éclairant d’un rouge luminescent.

« Feeeuuu ! Un feu s’est déclaré ! Un feeeeeuuuu ! »

« Non, c’est l’ennemi ! Nous sommes attaqués ! »

Des cris avaient rempli le camp, qui était installé à proximité de la route. Bientôt, les bruits de métal s’étaient mêlés aux cris.

« Quoi ? ! Une attaque ennemie ?! »

Le général Albrecht s’assit dans son lit en toute hâte.

« Quelqu’un ! Expliquez ce qui se passe ! »

Déchirant la couverture, le général Albrecht se leva et prit son épée personnelle.

« Bien-aimé ? Que se passe-t-il ? »

Sa femme, qui dormait à côté de lui, se réveilla.

« Père… »

Sa fille, qui dormait un peu plus loin, avait également fait part de son inquiétude.

Le vacarme les avait probablement réveillées.

« Tout ira bien. Vous m’avez à vos côtés. Vous n’avez pas à vous inquiéter ! », leur dit doucement le général Albrecht.

« Seigneur ! »

Un des chevaliers cria de l’extérieur de la tente.

Apparemment, il n’avait pas eu le courage de faire irruption dans la tente de son seigneur sans permission.

« Oui ! »

Le général Albrecht lui parla par l’entrée de la tente.

« Qu’est-ce qui se passe là-bas ? J’ai entendu une voix parler d’un feu et une autre d’une attaque ennemie ! »

« C’est vrai, seigneur ! Toutes nos excuses, nous vous avons fait défaut. Seigneur Kael dirige nos hommes pour monter une défense, et il fait tout pour que vous puissiez partir immédiatement… »

Au moment où le chevalier avait dit cela, le général Albrecht était devenu pâle.

Je pensais qu’ils auraient abandonné à ce stade, mais apparemment je me suis trompé…

« J’ai compris… Vous l’avez entendu ? Vous devez partir d’ici ! »

Le général Albrecht n’avait pas hésité une seconde. Si cela suffisait à lui faire perdre son sens du jugement, il ne serait jamais général d’un pays. Son expression était déjà devenue celle d’un guerrier qui avait vécu de nombreuses batailles.

« Bien-aimé, nous sommes prêts. »

Le général Albrecht se retourna pour constater que sa famille était déjà habillée. Elles avaient apparemment pris conscience de la situation rapidement et s’étaient préparées en conséquence.

« Bien ! Allons-y ! »

Le général Albrecht prit sa famille et se dirigea vers leur voiture, accompagné de chevaliers.

« Milord ! Vous êtes en sécurité ! »

« Kael ! Qu’est-ce qui se passe ?! »

Alors que le général Albrecht faisait monter sa famille dans l’attelage, Kael s’approcha de lui. Il était apparu vêtu d’une armure complète et l’épée à la main. En voyant cela, l’expression du général Albrecht s’était adoucie. En voyant Kael prédire la possibilité d’une attaque ennemie et rester en armure, le général le considérait comme un subordonné fiable.

« Kael, sais-tu ce qui se passe ? »

Le général posa des questions à Kael en succession rapide.

« Ils ne portent pas de bannière, donc c’est difficile à dire avec certitude, mais… La vingtaine d’hommes que nous avons choisis comme garde engagent le combat avec l’ennemi. Le feu est le fait de l’ennemi ! »

Kael lui avait donné un rapport précis.

Les gardes avaient supposé que c’était des poursuivants envoyés par la princesse Lupis, mais étant donné l’obscurité et leur absence de bannière, il était assez difficile d’identifier l’ennemi. Mais qu’ils soient poursuivants ou simples bandits, il n’y avait que deux choix possibles lorsqu’ils étaient attaqués. Soit vous vous battez, soit vous fuyez.

« Je vois… Comment se présente la bataille ? Pouvez-vous retenir l’attaque de l’ennemi ? »

« J’ai peur que non. Mais nous pouvons vous faire gagner autant de temps que possible, Milord… Prenez votre famille et courez aussi vite que vous le pouvez. », dit Kael en secouant la tête.

Kael ouvrit la porte de la voiture, poussant le général à entrer.

« Dépêchez-vous, Seigneur. Vous devez vous dépêcher ! Nous allons les retenir ici. »

« Hmm. »

Albrecht le regarda et fit un signe de tête rapide.

« Je vous laisse le reste… Kael ! Retrouvons-nous à la capitale de Tarja. »

Et avec ces mots, Albrecht monta rapidement dans la voiture, laissant tout aux soins de Kael. Honnêtement, il n’y avait aucun sens à ce que le général reste derrière. Albrecht devait survivre à cela. Tant qu’il vivrait, ses subordonnés seraient remboursés pour leurs services. Aussi hautain que le général Albrecht puisse être, il n’était pas assez fou pour penser qu’il pouvait tout résoudre tout seul.

« Maintenant, allez-y, dépêchez-vous… ! Dépêche-toi de monter sur son cheval, imbécile ! »

En regardant le général Albrecht monter dans la voiture, Kael cria au chevalier qui tenait les rênes.

Le chevalier haussa la voix et son fouet traversa l’air, frappant le derrière du cheval et l’incitant à galoper. La calèche commença à accélérer progressivement, roulant sur la route sombre qui s’offrait à elle.

Les chevaliers de Kael se tenaient aux alentours, celui-ci leur ordonna de surveiller les environs. Ils tenaient des lances et regardaient prudemment, mais n’étaient pas en armure. Il y avait environ trente hommes présents. Kael avait envoyé les chevaliers qui étaient restés vigilants et qui avaient dormi avec leur armure pour accompagner le général Albrecht.

De nombreux chevaliers obéirent aux ordres du général Albrecht et avaient retiré leur armure, mais Kael, ainsi que quelques autres, choisirent de ne pas prendre de risques et gardèrent leur armure.

« Monseigneur… Restez en sécurité ! » chuchota Kael en regardant autour de lui.

Les chevaliers avaient des lances et des épées à la main, mais comme ils n’avaient pas d’armure, on ne pouvait pas compter sur elles dans une bataille. Ils auraient de la chance si les ennemis étaient des amateurs, mais il était difficile de croire qu’un ennemi qui les attaquerait pendant la nuit serait aussi faible.

***

Partie 2

Toutes les personnes présentes attendaient les ordres de Kael. Ils savaient que leur seul moyen de se sortir de cette situation serait de l’écouter.

« Écoutez-moi. Nous devons former une formation horizontale ici. Rassemblez-vous en pelotons, et formez une colonne horizontale ! Vous n’avez pas d’armure, et votre seule chance de survie est donc de reculer progressivement tout en repoussant l’ennemi à la portée de vos lances ! Ne les laissez pas franchir cette distance ! »

Les chevaliers hochèrent la tête sans dire un mot à son ordre et commencèrent à se mettre en formation avec leurs lances à la main. La formation horizontale était pourtant l’une des plus simples au monde. Les soldats se tenaient simplement côte à côte, il n’y avait donc pas beaucoup de préparation à proprement parler. Mais c’était aussi la formation la plus efficace pour leur objectif, qui était d’aider le général Albrecht à s’échapper.

« Ils arrivent ! Ils sont prêts ! »

Sur l’ordre de Kael, les chevaliers mirent en position leurs lances. Ils étaient prêts à se battre pour leur vie.

Ryoma regarda Kael rassembler ce qui restait de ses forces et les disposer en formation horizontale. Ses lèvres firent apparaître un sourire.

« Oh, pas mal… Il les a fait prendre une position défensive assez rapidement étant donné l’attaque surprise. »

« C’est probablement Kael Iruna », dit Lione, debout à côté de lui.

« Oui, je m’en doutais bien. On l’a affronté une fois, mais je suppose que le fait qu’il ait battu Mikhail n’était pas un coup de chance. C’est un commandant compétent. »

Un sourire impitoyable se dessina sur les lèvres de Ryoma, comme pour dire qu’il venait de trouver une proie qui lui fera passer un bon moment.

« Alors, qu’est-ce qu’on fait, mon garçon… ? Charge-t-on en plein dedans ? On subira quelques pertes, mais on peut briser cette formation sans problème. »

La formation choisie par Kael était l’une des plus simples et des plus élémentaires possible. Les chevaliers étaient fiers de leurs compétences individuelles. Bien qu’ils puissent être formés aux arts martiaux et à la magie, peu d’entre eux consacraient du temps à l’entraînement tactique et à la formation. Bien sûr, certaines unités d’élite accordaient plus d’importance aux combats de groupe et étudiaient les tactiques en conséquence. Celles-ci dépendaient cependant entièrement de la personnalité et des choix du commandant.

De plus, la plupart des chevaliers ici n’avaient pas de relation étroite avec Kael. Et rien n’importait plus lors d’un combat en groupe que la confiance que les troupes accordaient à leur commandant. C’était pourquoi il avait choisi une formation aussi simple.

Mais Ryoma avait compris la véritable intention de Kael.

Ce Kael est vraiment malin. Il n’utilise pas une formation compliquée comme l’aile de la grue ici, mais une simple formation horizontale. C’est la preuve qu’il sait exactement ce que vaut chacun de ses hommes. Et en plus de cela…

Même une formation aussi simple pouvait être transformée en une formation redoutable en quelques tours de main. Leur ligne de front tenait de grands boucliers, et pointait leurs lances depuis les espaces entre eux. Les boucliers repoussaient les attaques ennemies, tandis que les lances servaient à réduire le nombre d’ennemis. En fin de compte, il s’agissait d’une formation défensive complète.

C’est ennuyeux… Mais quand même.

C’était juste une formation difficile à briser. Comme l’avait dit Lione, cela pouvait leur coûter quelques hommes, mais un assaut frontal pourrait la traverser de force. La victoire de Ryoma était solidement ancrée. En termes de force individuelle, les deux camps étaient à peu près à égalité, mais les hommes de Ryoma avaient le meilleur moral. Et la plupart des soldats ennemis ne portaient pas d’armure. En termes de puissance de combat, l’ennemi avait un désavantage écrasant.

« Non… Nous les éliminons d’un seul coup ! Que tout le monde reste en arrière, et envoie un message au groupe de Laura. Qu’ils fassent un détour et attaquent l’ennemi par-derrière. Nous les prendrons en tenaille. D’abord, nous les attaquerons de face à pleine puissance et nous ferons en sorte qu’ils se concentrent sur nous. »

Ryoma proposa une attaque en tenaille en utilisant l’unité de Laura, qu’il avait envoyée séparément pour traquer les traînards.

Ryoma avait l’intention de pourchasser l’unité de Kael. Il n’avait aucune intention de leur montrer de la pitié. Le général Albrecht, ainsi que Kael et les chevaliers qui servaient sous ses ordres, étaient des existences qu’il ne pouvait en aucun cas laisser en vie. Tant pour le royaume de Rhoadseria que pour celui de Ryoma.

Ou plutôt, les épargner signifierait maintenir en vie un facteur dangereux qui pourrait les menacer à l’avenir.

« Compris ! Nous devons donc maintenir leur attention sur nous, eh… La magie ne serait-elle pas plus efficace que les flèches pour cela ? », dit Lione.

Ryoma fit un signe de tête.

« Alors, laissons d’abord tomber la foudre sur eux ! Vous êtes prêts, les gars ? Activez un gros éclair et assurez-vous qu’ils nous regardent bien ! »

Obéissant à l’ordre de Lione, les mercenaires avaient tourné les mains vers la formation ennemie.

« Aux esprits qui gouvernent la foudre ! Manifestez vos pouvoirs devant nous, avec notre sang en récompense ! Respectez vos serments, et abattez nos ennemis ! »

Et au signal de Lione, ils se mirent immédiatement à incanter. De petites boules d’électricité crépitantes se formèrent dans leurs mains. Au fur et à mesure que leur chant continuait, les boules devenaient de plus en plus grosses.

« Tirez ! »

« « « Attaque de foudre! » » »

Les projectiles de foudre furent lancés de leurs mains, s’écrasant sur la formation ennemie. Chacun d’entre eux avait fusionné, formant finalement une seule et même énorme boule de foudre.

« À toutes les unités, en position défensive magique ! Levez vos boucliers ! », cria Kael.

Les chevaliers qui tenaient les boucliers baissèrent les cuisses, sollicitant tous les muscles de leur corps pour résister à l’attaque. Le bruit strident de la décharge électrique résonna dans la forêt, qui tremblait alors que la lumière blanche la traversait par intermittence. La boule de foudre éclaboussa les boucliers, faisant pleuvoir des éclairs d’électricité sur la zone.

« Les boucliers ont reçu des enchantements défensifs magiques ! Ne les lâchez pas, quoi qu’il arrive ! Maintenez-les jusqu’à ce que l’électricité se dissipe ! Rangée du fond ! Activez la magie défensive pour le premier rang, à pleine puissance ! », cria Kael, plissant les yeux face à l’éclair blanc.

Si une partie de la formation venait à se briser, la foudre se propagerait au reste des soldats à partir de là. Tout le monde se battait désespérément pour retenir le projectile de foudre, en attendant que la menace passe.

Leur esprit avait complètement oublié la défense de leurs arrières, car leur attention était entièrement fixée sur le sort qui les attaquait devant eux. C’était le plan de Ryoma.

« Deuxième rangée, commencez à incanter ! », ordonna Lione.

Les mercenaires qui étaient restés en arrière jusqu’à présent s’avancèrent, et commencèrent à incanter contre la formation de Kael.

« « Les esprits gouvernant le vent ! Vents turbulents ! Respectez votre contrat, et accomplissez votre mission ! À mon commandement, devenez une tempête, et balayez mes ennemis ! » »

« Feu ! »

Lione leur avait encore une fois donné le signal.

« Vent tourbillonnant ! »

Un coup de vent assez puissant pour emporter facilement un homme adulte sorti de leurs mains en rugissant. Celui-ci s’opposa à Kael et ses hommes.

« Tch, quels efforts inutiles ! Gardez vos boucliers levés ! »

Kael claqua la langue, mais en même temps, il était convaincu que leur position était bonne.

« Leur magie ne peut pas nous atteindre ! S’ils continuent à nous lancer des sorts, ils vont s’épuiser ! Tenez bon jusqu’à ce que cela soit le cas ! »

Hmph ! Je suppose que ce n’étaient vraiment que des voleurs… S’ils savaient que nous étions chevaliers, ils ne tenteraient pas ce genre d’attaque ! Je pensais qu’ils étaient des poursuivants de Rhoadseria, mais apparemment je me trompais… Ils peuvent nous lancer tous les sorts qu’ils veulent. Nous avons des boucliers avec des enchantements défensifs. Ils peuvent facilement bloquer la magie de bas niveau. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’aient plus de prana.

Dans ce monde, la magie verbale était considérée comme une arme peu pratique. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas ses limites d’utilisation. Certains en avaient fait leur domaine d’expertise, comme les mages de la cour de l’Empire d’O’ltormea.

Mais elle avait aussi son lot d’inconvénients paralysants. Tout d’abord, la plupart des magies verbales se manifestèrent par des attaques à longue distance. Le problème était que plus l’attaque était distante, plus le prana diminuait.

Ainsi la plupart des sorts de magies verbales s’affaiblissaient au fur et à mesure que l’attaque s’éloignait du lanceur. Cela signifiait que même si un lanceur de sorts lançait une attaque avec une force de cent sur une distance de dix mètres, l’attaque ne pouvait atteindre que quatre-vingt-dix à cause du prana perdu en cours de route. Plus la distance était grande, moins l’attaque était puissante.

De plus, non seulement les mages, mais tous les êtres vivants avaient inconsciemment du prana dans leur corps, formant ainsi une couche protectrice autour de leur corps. Cela était vrai pour toutes les personnes dans ce monde, indépendamment de leur capacité à utiliser la magie.

Bien sûr, cette couche protectrice était beaucoup plus fragile que tout ce qu’un magicien pouvait créer. Pour un simple roturier, elle assurait le même niveau de défense qu’un mince morceau de tissu. Mais c’était différent avec un magicien. Entre deux magiciens d’égale compétence, le côté défensif serait en fait avantagé.

De plus, dans des cas comme celui-ci, où l’on savait qu’il fallait s’attendre à une attaque magique de la part de l’ennemi, ils pouvaient utiliser leur prana pour augmenter temporairement leur résistance, formant ainsi une puissante défense. Les armures des chevaliers étaient également enchantées avec de la résistance à la magie.

Toutes ces techniques permettraient de repousser la plupart des attaques magiques verbales. Bien sûr, cela consommait du prana, et ne pouvait pas être maintenu indéfiniment.

Il en allait de même du côté des attaquants, sauf que ses attaques consommaient beaucoup plus de prana. C’est pourquoi les combats dans ce monde accordaient plus d’importance à la magie martiale qu’à la magie verbale, à l’exception des plus habiles des pratiquants.

Mais tout dépend de la façon dont elle est utilisée.

Ryoma sourit en regardant la thaumaturgie verbale des mercenaires être bloquée à plusieurs reprises par les boucliers. En effet, dans les jeux et autres supports de fantaisie, les lanceurs de sorts étaient ceux qui possédaient une puissance de feu écrasante, mais dans ce monde, les choses étaient quelque peu différentes. Ryoma lui-même ne pouvait imaginer ce genre de scènes de combat tape-à-l’œil que lorsqu’il pensait à la magie, il avait donc été déçu d’apprendre les restrictions de la magie.

Mais même si la magie ne donnait pas la puissance de feu à laquelle on pouvait s’attendre, elle avait quand même son utilité.

« « « Oooooooh ! » » »

Soudainement, des cris de guerre jaillirent de la forêt derrière la formation de Kael, de nombreuses ombres surgirent de la forêt, se jetant sur les chevaliers.

« Tuez-les, tuez-les tous ! »

« Ne laissez pas un seul d’entre eux s’échapper, vous entendez ?! »

Les hommes les avaient chargés avec des épées à la main et une soif de sang flagrante dans les yeux, entaillant le dos sans défense des chevaliers.

« Quoi ?! Ennemis, il y a des ennemis derrière nous ! »

« Impossible ! D’où viennent-ils ?! L’ennemi n’est-il pas juste devant nous ?! »

« On s’en fout, imbécile ! Défends-toi aussi contre eux ! »

« C’est stupide ! On ne peut pas briser la formation maintenant ! »

« Tais-toi et arrête de pleurnicher ! Veux-tu mourir ?! »

***

Partie 3

Alors qu’ils s’efforçaient de bloquer les attaques magiques lancées par les hommes de Lione, ils avaient été attaqués par-derrière. Tout le monde criait ce qui leur venait à l’esprit. Certains voulaient donner la priorité au blocage de la magie. D’autres voulaient se défendre contre les attaques ennemies. Quelques-uns attendaient que Kael leur donne des instructions.

Aucun de ces choix n’était mauvais, mais aucun d’entre eux n’était bon non plus. Car ils avaient commis l’erreur fatale de permettre au groupe de Ryoma de les approcher par le front.

« Maintenant ! Chargez-les ! »

Sur l’ordre de Lione, les mercenaires dégainèrent leurs épées et se précipitèrent dans la formation ennemie.

« Kuh ! Au premier rang, ne les laissez pas vous approcher ! »

Kael éleva la voix désespérément.

La bataille n’était pas encore décidée. Si les chevaliers obéissaient à ses ordres, ils avaient encore une chance de gagner. Mais la voix de Kael n’atteignait à ce moment-là aucun des chevaliers. Et c’était tout naturel. Dans une situation où ils étaient attaqués simultanément par l’arrière et par le front, il faudrait un entraînement important et une grande confiance entre le commandant et les chevaliers pour maintenir la formation.

Mais Kael et ses chevaliers n’avaient ni l’un ni l’autre de ces éléments.

Pris en tenaille entre l’unité de Laura par derrière et l’assaut de Lione par devant, leur forte formation défensive perdait peu à peu sa forme comme un château de sable battu par les vagues.

« Seigneur Kael, nous ne pouvons pas tenir plus longtemps ! »

L’un des chevaliers cria.

« Nous devrions nous replier ! »

« C’est inutile… Où pouvons-nous aller dans cette situation… ? »

Kael secoua la tête d’une manière résignée.

Il restait moins de vingt hommes en vie autour de lui. L’attaque en tenaille avait divisé leurs forces, et maintenant ils étaient complètement coupés du reste des chevaliers. Certains d’entre eux avaient tenté de fuir dans la forêt, tandis que d’autres étaient restés là où ils étaient. Quelques-uns avaient essayé de se venger des forces de Ryoma. Mais, quel que soit leur choix, ils avaient tous connu le même sort.

La mort.

Bon sang ! Pourquoi est-ce arrivé… ? Une attaque en tenaille ? Donc ce ne sont pas seulement des bandits… Ces poursuivants sont donc du côté de la Princesse Lupis… ?

Kael avait retenu son désir de maudire à haute voix, car il savait qu’aucune plainte ne changerait les choses. Au moment où il perdrait son sang-froid, tout serait vraiment terminé.

Ce sont donc les seuls hommes qu’il me reste… Est-ce qu’on court dans la forêt… Ou essayons-nous de couper à travers l’ennemi… ? Quel choix dois-je prendre ? Si nous mourons ici, alors il n’y aurait aucun intérêt à prendre l’arrière-garde… J’ai pris ce rôle uniquement parce que je pensais pouvoir les bloquer avec ces forces…

Kael n’avait pas laissé le général Albrecht aller de l’avant par bonne volonté. Il n’avait laissé le général et sa famille s’enfuir que par intérêt personnel calculé.

Si nous pouvons bloquer l’ennemi ici, l’opinion que le général Albrecht aura de moi ne fera que s’améliorer. C’est parce qu’il est tombé si bas qu’il a désespérément besoin de trouver des subordonnés fiables !

C’était ce que Kael avait calculé. Il pensait qu’en montrant clairement sa loyauté au général, il contribuerait à améliorer sa position lorsqu’ils atteindraient Tarja. Sans cela, Kael n’aurait jamais donné la priorité au fait de laisser le général Albrecht et sa famille s’échapper en premier.

De plus, Kael n’avait pris ce risque que parce qu’il pensait être confronté à de simples bandits. Les petits voleurs n’auraient aucune chance contre Kael et ses chevaliers. Même s’ils étaient pris par surprise et s’ils étaient d’abord sur la défensive, ils auraient la compétence et l’équipement nécessaires pour sortir victorieux. Mais s’il s’agissait de poursuivants envoyés par la princesse Lupis, les choses étaient différentes.

Que faisons-nous… Comment en sortir vivant… ?

Kael regarda autour de lui, désespérément. Les bruits de métal qui s’entrechoquent se font de plus en plus faibles. Les chevaliers divisés étaient achevés par les mercenaires.

Ce n’est pas bon ! À ce rythme, ils vont nous couper toute voie de retraite ! Si la forêt n’est pas une possibilité… Alors la seule option est… !

Kael fixa son regard sur l’avenir. Même s’il essayait de s’enfuir, il serait poursuivi. Il devait confondre l’ennemi s’il voulait le secouer.

Là ! C’est la force principale de l’ennemi ! Ma seule issue est de frapper là !

Devant Kael se trouvait une formation ennemie qui restait complètement immobile. Kael discerna que c’était probablement là que se trouvait le commandant ennemi.

« Écoutez-moi ! Écrasez l’ennemi devant vous et tuez son commandant ! »

« Vous nous dites de foncer sur l’ennemi ?! »

Les chevaliers avaient été choqués par l’ordre de Kael.

Mais leur surprise s’était vite dissipée. Ils ne voyaient pas non plus de moyen de se sortir de cette situation.

« Concentrez-vous sur le fait de tuer les ennemis devant vous et rien d’autre ! Abattez tous ceux qui se mettent en travers de votre chemin ! »

Kael n’exigeait qu’une chose de ses chevaliers. Tuer l’ennemi, et rien d’autre. Cet ordre simple et clair ramena les chevaliers, qui étaient encore figés par la terreur de la mort, à la réalité.

C’est bien cela ! Tuer, tuer, tuer !

Nous devons les tuer si nous voulons survivre à cela !

Tuer l’ennemi ! Tuez-les !

Le désir de vivre des chevaliers et leur haine envers l’ennemi s’étaient tous deux enflammés.

« « « Oooooooh ! » » »

Le cœur des chevaliers s’était à nouveau enflammé d’un esprit combatif.

« Chaaaaaaargez ! »

Sur ordre de Kael, les chevaliers attaquèrent les mercenaires. Le désespoir avait transformé leur peur en courage. Ayant succombé aux tactiques de Ryoma, Kael et ses hommes étaient l’image même de l’animal acculé. Et là, ils étaient sur le point de jouer leur vie pour mordre à nouveau contre leur prédateur, Ryoma.

« Ugh ! C’est quoi ce bordel ?! Pourquoi deviennent-ils tout d’un coup plus courageux ?! »

« Restez calme ! C’est juste leur dernier moment de résistance avant la fin ! »

Les mouvements des mercenaires s’arrêtèrent lorsque les chevaliers se rassemblèrent contre eux.

« Idiots ! Qu’est-ce que vous faites ?! » Lione éleva la voix.

« Ce n’est pas bon, sœurette ! Vu la façon dont ça se passe maintenant, ils vont percer le front ! » dit Boltz.

Lione claqua la langue et sortit sa lame.

« Assez ! Je vais au front ! »

Pour commencer, elle avait toujours été une guerrière. Elle avait peut-être pris maintenant le commandement de soldats, mais elle montrait sa vraie valeur au moment où elle se trouvait sur le champ de bataille. Dû à l’excitation du combat, les yeux de Lione émirent une lumière rouge, mais Boltz ne pouvait pas se permettre de la laisser partir.

« Tu ne peux pas, sœurette ! As-tu oublié ce que le garçon a dit ?! »

« Idiot ! Est-ce que ça a une importance en ce moment ? ! À ce rythme, ils vont… ! »

La déesse de la bataille tournait cette fois son sourire vers Kael. Pendant que Lione et Boltz se disputaient, Kael et ses hommes avaient percé la ligne de front.

« Sœur, attention ! »

Boltz avait couvert Lione de son corps, et une lame avait balayé l’air au-dessus d’eux.

« Tch ! Il s’est mis en travers du chemin… »

Alors que Lione se dépêchait de rattraper la situation, une voix d’homme inconnu lui parvint aux oreilles.

« Toi ! », dit-elle.

« C’est vous le commandant ici ? ! Pourquoi nous avez-vous attaqués… ?! Peu importe que vous soyez des bandits ou des hommes de Lupis. Vous allez de toute façon mourir ici… »

« Meurs ! »

Kael passa son épée au-dessus de la tête de Lione. Il les regarda de haut avec une soif de sang confuse et pourtant palpable.

« Bon sang ! Sœur ! »

« Éloigne-toi, Boltz ! Esquive-le ! »

Boltz et Lione étaient prêts à mourir. Mais à ce moment précis, quelque chose coupa le vent et la lame de Kael fut déviée par une pluie d’étincelles.

« Qui était-ce ?! Qui s’est mis en travers de mon chemin ?! », cria Kael tout en serrant ses mains engourdies.

Kael avait désespérément fait tomber la lame qui lui avait été lancée de quelque part. Cinq autres chevaliers se tenaient autour de lui, et avaient réussi à percer. Ils regardèrent autour d’eux avec précaution. Et finalement, ils virent la silhouette d’un homme solitaire sortir des bois.

« Garçon… »

La forte stature de Ryoma se reflétait dans les yeux de Lione.

« Tu vas bien, Lione ? »

« O-Ouais ! » dit Lione, en saisissant la main tendue de Ryoma et en se levant enfin.

« Je me suis juste fait un peu mal aux jambes. Oublie ça, quand es-tu arrivé ici ?! »

Ryoma aurait dû mener le groupe qui traquait les soldats qui s’étaient enfuis, Lione fut choquée par son apparition soudaine.

« Ils se sont déplacés mieux que prévu, alors j’ai laissé le commandement à Sara et je suis retournée à l’arrière. Laisse-moi cet endroit… Toi et Boltz devriez vous regrouper avec Sara et l’aider à commander la chasse aux survivants. »

« Mais ! »

« C’est bon… Je vais l’achever. »

Ryoma lui coupa la parole, une lueur froide dans les yeux.

Son regard se porta sur Kael et les chevaliers qui l’entouraient.

« Alors c’est toi qui t’es mis en travers de mon chemin ! » cria Kael.

Mais Ryoma l’ignorait, il leva calmement son katana.

« Je vais te faire disparaître ici, Kael Iruna », dit Ryoma, en cachant la lame derrière son corps dans une position de flanc.

« Tu ne poseras pas la main sur Sire Kael, salaud ! »

Les chevaliers de Kael s’étaient renforcés, consolidant leur défense autour de Kael.

Mais l’instant suivant, du sang rouge jaillit de leur cou.

« Vous ne vous mettrez pas en travers du chemin du Seigneur, jeunes gens. »

Genou était apparu derrière leurs corps brisés, son propre katana dégoulinant de sang.

Sa frappe tranchante avait dû être incroyablement rapide. On était peut-être au milieu du chaos du champ de bataille, mais il avait quand même tranché le cou de cinq chevaliers entraînés d’un seul coup. Son habileté rappelait celle du faucheur au travail.

« Qu’est-ce que… Qui êtes-vous ? »

Les yeux de Kael s’élargirent de terreur.

***

Partie 4

« Qui je suis n’a pas d’importance. Votre adversaire est le seigneur… »

Les mots froids de Genou tombèrent sur le cœur de Kael.

En y repensant, c’était sa machination qui avait déclenché tout ça.

Ryoma pensait qu’il y avait un étrange retournement de situation. Ryoma Mikoshiba n’avait aucun lien avec les conflits internes de Rhoadseria, mais ce qui avait changé, c’était la machination de Kael. Et le lien entre Ryoma et Kael était sur le point de se terminer. Tous les autres sur ce champ de bataille ne pouvaient qu’avaler nerveusement en veillant sur eux deux.

Les cris autour d’eux s’éteignirent progressivement, et un silence s’installa sur la scène. Les mercenaires qui traquaient les chevaliers se rassemblèrent progressivement autour d’eux, formant un grand cercle autour des deux.

« Sœur… Que faisons-nous ? », demanda Boltz à Lione, qui restait immobile là où elle se tenait, d’une voix à demi résignée.

Il la connaissait depuis trop longtemps, et pouvait facilement dire ce qui se passait dans son esprit. Lione ne se retourna même pas pour le regarder lorsqu’elle lui répondit. Son regard était fixé sur l’impasse silencieuse dans laquelle se trouvaient Kael et Ryoma. Ses yeux refusaient de manquer un seul moment de leur combat.

« Les cris ont disparu, ce qui signifie probablement que les ennemis sont presque tous morts. Dans ce cas, nous n’avons plus de traînards à chasser… Et de côté… On n’a pas souvent l’occasion de voir un tel combat. Ton sang de guerrier doit aussi être excité, pas vrai ? »

Boltz ne pouvait que hocher la tête avec un sourire ironique. Lui aussi était un vétéran du champ de bataille. Il avait évité les combats de mêlée depuis qu’il avait perdu son bras gauche, mais son talent de guerrier n’avait pas du tout rouillé. Et comme l’avait dit Lione, les yeux expérimentés de Boltz pouvaient voir l’habileté transcendante de ces deux combattants. Une bataille entre deux hommes aussi compétents n’arrivait pas souvent.

Et les guerriers avaient une dignité qu’ils comprenaient et respectaient. Toutes les personnes présentes ici ressentaient la même chose. Aucun mercenaire n’oserait plus attaquer Kael par-derrière. Non… Peut-être serait-il plus juste de dire qu’ils étaient tous bloqués par la soif de sang que Kael avait fait naître.

« Mais quand même… J’ai entendu dire que ce Kael était doué, mais je ne pensais pas qu’il serait si bon… », dit Boltz.

« Oui. Si tu le combattais avec un seul bras, ce serait plutôt un suicide. Ce type… Je pense que je serais moi-même incapable de le faire tomber en un contre un », murmura amèrement Lione.

Cela signifiait que Lione avait compris que l’habileté de Kael à l’épée dépassait de loin la sienne. L’atout le plus important sur le champ de bataille était d’être capable de discerner les capacités de l’adversaire, pour savoir si votre adversaire était plus fort ou plus faible que vous. Si son équipement était de meilleure ou de moins bonne qualité que le vôtre. Si l’ennemi était plus habile dans les combats en face à face, ou dans les grandes batailles.

Ce pouvoir d’observation était essentiel pour survivre sur le champ de bataille. Peu importait la force de l’ennemi, ou si celui-ci était plus fort qu’eux. Des mercenaires vétérans comme Lione et Boltz avaient naturellement cette intuition. Et cette perspicacité leur avait donné un aperçu de l’habileté de Ryoma et de Kael, un aperçu dont ils étaient incapables de quitter les yeux.

« Je suppose qu’on ne peut pas s’en empêcher. Aucun d’entre nous n’a appris l’escrime… Nos compétences au sabre sont celles que l’on apprend sur le champ de bataille. Je pense que nous aurions beaucoup de chances de gagner si c’était une bataille de mêlée. », déclara Boltz

L’épée d’un mercenaire était affûtée dans les grandes batailles de mêlée. Elle n’était ni plus forte ni plus faible que l’épée traditionnelle, mais son utilité se trouvait simplement ailleurs. Les mercenaires avaient développé ce style d’escrime pour survivre sur les champs de bataille tumultueux, tandis que le style d’escrime de Kael était mieux adapté aux combats individuels.

Lione acquiesça légèrement aux paroles de Boltz. Elle se rendit compte de la vérité qu’ils véhiculaient.

« Pourtant, le garçon lui correspond… Il ne s’éloigne pas d’un pas de ce salaud de Kael… Regarde cette vigueur… Bon sang ! Même moi, je suis submergée d’ici… »

L’atmosphère avait clairement changé. Un air froid et vif s’était répandu entre les deux.

« Le garçon ne va pas bouger d’un pouce ? »

« Ils cherchent tous les deux une ouverture… Et Kael a aussi ce bouclier et cette armure… Ça va être difficile d’obtenir un bon coup avec ces défenses… »

Kael était vêtu d’une armure complète, avec une épée dans la main droite et un bouclier dans la gauche. C’était un chevalier entièrement armé. Ryoma, d’autre part, tenait dans ses deux mains le katana qui lui avait été donné par Genou, et sa seule forme de défense était une armure de cuir. C’était une tenue légère et maniable, mais qui le mettait dans une position très désavantageuse par rapport à Kael en matière de défense.

« Kael est lourdement armé… S’ils respectent les règles, ils se battront afin d’épuiser leur endurance. »

« Oui, mais comme la magie peut améliorer le corps, ce n’est peut-être pas une tactique entièrement fiable… »

« D’accord… Même avec cette lourde armure, l’agilité de Kael ne baissera pas facilement. Et puisque le garçon ne peut pas utiliser la magie, il est désavantagé ici… Alors, comment peut-il garder une aussi grande vigueur ? »

Boltz n’avait pas répondu à la question de Lione. Kael utilisait la thaumaturgie martiale pour renforcer son corps, et pouvait ainsi rester agile même avec son armure lourde. Le chakra Manipura était situé autour du nombril. En opérant sur ce troisième chakra, il avait déjà rempli son corps de prana, gagnant ainsi une force et une rapidité surhumaines.

Il semblait être l’égal de Lione et Boltz en termes de compétences en magie martiale. Le physique de Ryoma était presque le double du sien, mais à part ça Kael avait l’avantage dans presque tous les autres domaines. Il était capable de se déplacer tout aussi rapidement tout en conservant le bénéfice des défenses de son armure.

En regardant objectivement, les chances étaient désespérément élevées contre Ryoma. Et pourtant, le zèle et la vigueur émanant de Ryoma ne faiblissaient pas le moins du monde.

Son cœur était complètement dépourvu de toute pensée obstructive. Il n’y avait ni peur ni doute. Est-ce que cela provenait d’une confiance écrasante ? Ou était-ce encore un autre imbécile qui surestimait ses propres capacités ?

Des étincelles volaient soudain entre les deux. La distance qui les séparait se refermait en un instant lorsque l’épée et le katana s’affrontaient. Les deux lames se frottaient l’une contre l’autre, émettant des cris métalliques aigus.

Au début, les deux étaient de même niveau, mais la lame du katana s’était progressivement rapprochée de la nuque de Kael. Ryoma tenait son katana des deux mains, tandis que Kael ne tenait son épée que d’une seule. La différence entre une prise à deux mains et une prise à une seule main avait créé un écart entre les deux.

Mais le match était loin d’être décidé. Le son émoussé de la chair battue se fit entendre. Kael glissa rapidement son bouclier entre son corps et son épée, poussant de toutes ses forces pour dévier la charge de Ryoma. Les deux corps s’étaient éloignés l’un de l’autre, créant une fois de plus une distance.

Bon sang ! Qui est cet homme… ? ! Il me combat à armes égales ! Contre moi, l’un des chevaliers les plus éminents de Rhoadseria… ! Et quelle est cette arme qu’il utilise… ? Une épée courbée à un seul tranchant ? Une arme spécialisée pour les entailles…

Kael claque sa langue d’irritation à l’intérieur de son casque et brandit son bouclier pour renforcer ses défenses.

Non… Reste calme. L’ennemi est légèrement armé. Mon épée peut couper cette armure de cuir comme du papier… Je bloquerai sa charge avec mon bouclier, et une seule entaille sur son corps suffira à tout achever… Il n’a pas de bouclier, ça me donne un avantage… Je dois juste resserrer mes défenses et attendre qu’une ouverture se présente…

L’épée dans les mains de Kael était un héritage familial transmis de génération en génération. Il en allait de même pour son armure et son bouclier, qui dataient de l’époque où ses ancêtres étaient chevaliers de Rhoadseria. Contrairement à son armure, l’épée n’était pas imprégnée d’une quelconque magie, mais elle était néanmoins fabriquée par un maître artisan. Kael resserra sa prise sur sa poignée.

Mais le choc qui s’ensuivit fut le plus fort qu’il avait jamais ressenti.

« Keeeeeeeeeeeeeeee ! »

Un cri de guerre avait jailli de la bouche de Ryoma, et une onde de choc intense traversa la main gauche de Kael.

Sa main gauche, qui tenait le bouclier, devint complètement engourdie, et son bouclier fut poussé sur le côté de son corps.

Mais qu’est-ce que c’était que ce coup… ?! Mon bras est tout engourdi… C’était encore plus lourd que ses précédentes attaques ! Pas bon… ! Il me faut utiliser toute ma vigueur pour tenir le bouclier… Je n’ai pas le temps de chercher une ouverture et d’attaquer… Bon sang ! Quel monstre…

La lame, qui avait été balancée sur lui à grande vitesse, portait tout le poids de Ryoma, plus de cent kilos. Chaque muscle du corps de Ryoma avait agi, délivrant une taillade vraiment mortelle. Pour preuve, une profonde marque avait été gravée sur le bouclier à l’endroit où la lame frappa.

Les principales matières premières du bouclier étaient le bois et le cuir, la surface était ensuite recouverte d’une fine couche d’acier. Cette surface était maintenant coupée, exposant le bois en dessous. Les yeux de Ryoma avaient calmement remarqué ce fait.

J’ai coupé à travers la surface… Je suppose que ce n’était pas un bouclier en acier… C’est logique, puisqu’il peut le manipuler d’une seule main, mais qu’est-ce que j’en savais ? Ce monde possède donc lui aussi des monstres…

Même Ryoma ne pouvait pas couper un bouclier d’acier de plusieurs centimètres d’épaisseur. Mais la fissure dans le bouclier avait effacé un des doutes de Ryoma. Dans la logique de la Terre, il ne serait pas possible de tenir un bouclier d’acier et de se battre correctement en même temps, mais on n’était pas sur Terre. La magie existait, et pouvait renforcer son corps, cette possibilité existait donc.

C’est vraiment assez étonnant qu’il puisse se déplacer si rapidement avec cette armure faite de métal lourd…

Ryoma avait calmement comparé leur potentiel de combat. L’armure était exceptionnellement lourde et avait tendance à inhiber ses propres mouvements, d’autant plus si le fer était impliqué dans sa création. Mais il suivait toujours Ryoma, qui portait une armure de cuir, en termes de vitesse. Le fait que Kael ait bloqué le katana de Ryoma avec son bouclier le prouvait.

Il a maintenu les défenses de son armure, tout en ignorant son poids et en se déplaçant avec agilité. Il a montré clairement pourquoi les chevaliers étaient considérés comme une présence si écrasante sur le champ de bataille.

Tout en confirmant la sensation de la prise de son katana dans ses deux mains, Ryoma jeta un regard inquisiteur en direction de Kael.

La magie martiale… Une compétence impressionnante… Elle est beaucoup plus difficile à gérer que la magie verbale et ses chants…

Bien sûr, la magie verbale n’était pas non plus à prendre à la légère. Tirer des éclairs et des pluies de flammes depuis le ciel ou à travers les mains avec juste quelques mots était une grande menace. Par rapport à cela, la magie martiale était loin d’être aussi tape-à-l’œil. En fait, cela semblerait même évident.

***

Partie 5

Mais c’était cette simplicité qui la rendait fiable et sans faille. Elle ne nécessitait pas de chant, et comme elle n’affectait que le corps, elle gaspillait beaucoup moins de prana. C’était ce qui en faisait la technique centrale utilisée dans les guerres de ce monde. La capacité à utiliser la magie était le mur qui séparait les dirigeants des dominés.

Trois aspects étaient essentiels au combat. L’esprit, la technique et le corps. Et parmi ces trois aspects, la magie renforçait le corps. Face à une puissance écrasante, la technique et l’esprit ne signifiaient pas grand-chose.

Mais… Ce n’est pas une compétence absolue… Il est toujours humain…

Les yeux de Ryoma étaient déjà fixés sur le point faible de Kael.

Kael… Je te tuerai ici, quoi qu’il arrive… Je vais te montrer à quel point les techniques que grand-père m’a transmises peuvent être puissantes… !

L’atmosphère autour de Ryoma était devenue froide et vive.

« Ryoma… Un katana est comme une partie de ton corps. Tu ne frappes pas avec ton katana, mais tes propres membres et ton habileté… Et tu ne dois jamais hésiter quand tu dégaines ta lame. Les doutes obscurciront ton jugement et ta concentration, et ils se transmettront à ta lame. Concentre-toi sur une seule chose, ton prochain coup d’épée ! Et crois… dans ton entraînement, tes compétences… dans la lame que tu manies ! »

Les mots de son grand-père refirent surface dans l’esprit de Ryoma.

Concentre-toi seulement sur ton prochain coup… Et il n’y a qu’un seul point que je dois viser !

Ryoma éleva la voix et poussa un autre cri de guerre. Il tenait son épée droite dans ce qu’on appelait les hasso gamae, et il réduisit la distance entre eux d’un seul souffle. (NdT : c’est l’une des 5 gardes du kendo)

Viens ! Je vais bloquer ton coup avec mon bouclier et te trancher !

Kael s’était préparé pour le coup. Mais soudainement, le sprint de Ryoma s’était transformé en un saut en l’air.

Quoi ? Il a sauté ? ! Tu as paniqué, imbécile !

En une fraction de seconde, Kael leva sa main gauche au-dessus de sa tête. Ryoma plia son corps au milieu du saut, en tenant sa lame parallèle à son dos. Et en concentrant sa conscience sur chaque fibre de son corps, il les avait toutes unies sous une même volonté, faisant preuve d’une force surhumaine dans le processus.

« Manges çaaaaaaaaa ! »

Il concentra toute la force emmagasinée dans son corps, qui était plié comme un arc, sur un seul endroit. Tout cela pourrait basculer sur Kael, avec tout le poids de Ryoma pour le soutenir.

Le bruit de quelque chose qui craqua se fit entendre. Et puis, Ryoma ressenti une sensation de résistance comme s’il coupait dans quelque chose rempli de liquide.

« Quoi… ? »

Le visage de Kael était déformé par le choc quand il regarda sa main gauche. La première chose qu’il vit, c’était son bouclier, coupé en deux en plein milieu. Puis il vit le katana enfoncé dans son bras gauche. Il pouvait sentir son bras se réchauffer progressivement, et quelque chose de mouillé sur sa peau. Un liquide chaud et visqueux coulait le long de son armure, vers son coude, et tombait sur le sol en gouttelettes.

Une sombre flaque noire commença à se former sur le sol.

« Merde ! »

Kael sortit de ses froides réflexions et fit pivoter son épée dans la direction de Ryoma. Mais ce n’était rien de plus qu’une lutte désespérée. Sa posture était mauvaise et son swing n’avait aucune force derrière lui. Ryoma l’évita facilement.

Mon bras gauche… Pas bon… Il ne bouge pas ! Il est tout engourdi… Ce n’est pas vrai ! Quel genre de monstre est-ce ? ! Il a coupé mon bras, avec mon bouclier ? ! Mon bras en armure ? ! Cet homme… Qu’est-ce qu’il… ?!

Pour Ryoma, les chevaliers capables d’utiliser la magie, une puissance complètement étrangère au monde dont il est issu, étaient de véritables monstres. Mais l’un de ces monstres considérait maintenant Ryoma comme étant une menace contre nature. C’était presque comique, vraiment, de voir les deux se considérer comme aussi horrible l’un que l’autre.

« Avec un aussi grand saignement… J’ai coupé l’os et j’ai sectionné ton artère. C’est fini », déclara Ryoma sans pitié alors que Kael le dévisageait dangereusement.

Le fait même qu’il parlait seul était la preuve que le duel était terminé.

« Tais-toi, la bataille n’est pas encore terminée ! Je peux encore me battre ! »

Kael brandit son épée.

Il était vrai que Kael aurait pu continuer à se battre. Il était encore en vie, et son bras droit était indemne. Mais le duel avait déjà été décidé.

« C’est inutile… Tu ne pourras pas bloquer mon attaque avec un bouclier, alors comment comptes-tu la bloquer avec une simple épée ? Et regarde comment tu saignes. Tu auras une hémorragie si tu n’es pas soigné immédiatement. Et il n’y a personne pour soigner ta blessure… Tu as perdu. »

L’expression de Kael s’était déformée. Ryoma avait dit que le duel était déjà terminé. Le bras gauche de Kael était coupé jusqu’à l’os et ne bougeait pas. Tenir son bouclier et porter son armure l’avait empêché d’être coupé proprement, mais cela n’avait pas changé le fait que son bras gauche était maintenant effectivement mort. Ou du moins, il était mort, à moins qu’il ne reçoive un traitement immédiat ainsi que du temps pour se reposer.

Et le sang qui s’écoulait de son artère sectionnée le privait impitoyablement de ses forces. Si rien n’était fait pour arrêter l’hémorragie rapidement, il se viderait sûrement de son sang en quelques minutes. Mais il se tenait au milieu du champ de bataille, face à face avec l’ennemi et sans un seul allié vivant en vue. Il ne pouvait rien faire pour arrêter l’hémorragie.

« C’est donc ici que je mourrais… », chuchota Kael.

« Oui… C’est fini. »

Ryoma fit un signe de tête.

« Je ne pensais pas que je mourrais ici… Il semblerait que la chance m’ait vraiment tourné le dos. »

L’expression de Kael était remplie d’une certaine compréhension résignée, typique d’un guerrier qui réalisait que sa mort approchait.

« C’est bien toi Ryoma Mikoshiba ? »

« Oui… »

« Je vois… Donc tu n’es pas seulement un sage tacticien, tu es aussi un plus grand guerrier que moi… Tu es vraiment un monstre. »

Kael traita Ryoma de monstre, mais ce mot n’était pas méprisant. Bien au contraire, son expression montrait que c’était plutôt un éloge.

« Je suis fier du fait qu’il n’y a pas de chevalier plus grand que moi… Tant dans le maniement de l’épée que dans l’esprit ! Que je pouvais voir plus loin que n’importe quel chevalier dans n’importe quel pays… ! Mais je n’étais pas de taille face à toi dans chacun de ces domaines… En tant que commandant et en tant qu’épéiste… Pourquoi ai-je perdu… ? Était-ce parce que tu avais plus de talent que moi… ? »

« Non… Je ne suis pas meilleur que toi… Je ne pense pas être inférieur à toi, mais je ne suis pas non plus supérieur à toi. »

Ryoma répondit sérieusement à la question de Kael.

C’était la dignité qu’il montrerait à un homme qui avait un pied dans la tombe. Et en vérité, à cause des compétences inhabituelles de Kael Iruna, tout avait mal tourné pour Ryoma. En tant que guerrier et tacticien, les talents de Kael étaient bien au-dessus de la moyenne.

« Alors pourquoi ai-je perdu ? »

« Tu as perdu à cause de ton propre cœur. Tu as tellement cru en ta force que tu t’es noyé dans la vanité… »

Les yeux de Kael s’élargirent aux mots de Ryoma. En vérité, il y avait deux facteurs qui avaient contribué à la victoire de Ryoma. Le premier était le suivant : les stratégies de Kael reposaient toutes sur la force brute, ce qui émoussa son jeu d’épée.

Ses frappes étaient certainement rapides et tranchantes. Son habileté était également bien plus raffinée que celle d’un chevalier ordinaire. Mais bien qu’il ait appris l’escrime dans une école légitime, sa dépendance à la magie martiale faisait qu’il s’appuyait trop sur la force brute. Le regard de Ryoma, aiguisé par des années d’entraînement avec son grand-père, pouvait discerner à quel point sa portée et sa respiration étaient grossières.

Le second facteur était le suivant : Kael avait recouvert son corps d’une armure complète, comme il l’avait fait sur le champ de bataille. Une armure pesait en moyenne entre trente et quarante kilos. Les chevaliers portaient cette armure ainsi qu’un casque, un bouclier et une épée. Le poids total s’élevait à près de cinquante kilos.

Cela limitait la mobilité des articulations, bien qu’on pouvait se déplacer comme si l’armure était légère en utilisant la magie pour supporter le poids. En soi, c’était extrêmement impressionnant. On pourrait comparer cela à un véhicule ayant le blindage d’un char d’assaut, ainsi que la vitesse et le moteur d’une Ferrari. On pouvait facilement comprendre pourquoi la magie martiale était devenue le symbole de la classe dirigeante dans ce monde.

Mais aussi impressionnante soit-elle, elle sacrifiait quand même la mobilité. En utilisant l’analogie de la voiture, Kael se déplaçait aussi vite qu’un véhicule de tourisme roulant à vitesse maximale. En effet, compte tenu de son blindage, pouvoir maintenir cette vitesse était déjà étonnant. Cependant, s’il n’avait pas ce blindage, il serait sûrement capable de se déplacer aussi vite qu’une voiture de course.

Dans quelle direction la bataille aurait-elle basculé si c’était le cas ? Personne ne pouvait le dire. Bloquer une frappe délivrée avec une vitesse surhumaine par une simple compétence serait encore difficile. Mais en fin de compte, Kael devait sa défaite à sa trop grande confiance dans la puissance de la magie martiale, et à sa propre capacité à l’utiliser. Cette croyance vaniteuse qui le faisait croire qu’être chevalier le rendait plus fort.

« La vanité… La vanité, tu dis… Héhé. Et dire que c’est exactement ce que Mikhail a dit… Laisse-moi te demander une chose. Pourquoi es-tu du côté de la princesse Lupis ? Est-ce à cause de l’argent ? Du pouvoir ? Ce ne sont que des promesses en l’air… Le mur du statut social est épais dans ce pays. Même si la princesse devait te rembourser, les nobles autour d’elle ne le permettraient jamais ! »

« Je n’ai pas l’intention de demander à la princesse de l’argent ou du pouvoir. »

Ryoma secoua la tête.

« Impossible… Alors pourquoi t’es-tu battu ? Pourquoi t’es-tu mis en travers de notre chemin ?! »

Le ton de Kael est devenu plus rude.

Il devait savoir pourquoi l’ennemi qui l’avait conduit à la porte de la mort avait choisi de se battre.

« C’est vraiment simple… Ton ingérence nous a fait prendre le parti de la princesse Lupis. »

« Mon ingérence… ? » L’expression de Kael montrait des signes de surprise.

« Oui… te souviens-tu de la manière dont tu as piégé Mikhail ? »

Après avoir réfléchi un moment, Kael hocha la tête comme s’il s’en souvenait.

« Tu veux dire quand nous avons fait entrer clandestinement la princesse Radine en Rhoadseria ? »

« C’est ça… Nous avons accepté une demande de la guilde, et avons été attaqués en chemin. Nous avons subi l’attaque au nom de la princesse Radine. »

« Oui, j’ai divulgué l’information sur la fausse princesse à Mikhail et je l’ai fait attaquer. Et pendant qu’il faisait ça, nous avons fait entrer la vraie princesse dans le pays… Ça s’est bien passé, en effet… Et c’est grâce à cela que le Duc Gelhart a accepté ma défection à ses côtés ! »

Les paroles de Kael avaient une teinte de fierté face au succès de son propre stratagème.

***

Partie 6

« Oui, ça s’est bien passé. Sauf que ça nous a impliqués dans tout ce bordel ! », dit Ryoma avec un sourire amer.

Peut-être qu’on ne pouvait pas dire que c’était vraiment la faute de Kael. Il se trouvait que les cheveux de Laura étaient de la bonne nuance d’argent. Elle était à ce moment-là la seule mercenaire aux cheveux d’argent de Pherzaad. De nombreuses petites coïncidences s’étaient accumulées jusqu’à ce que Ryoma affronte Kael aujourd’hui. Et si une seule de ces coïncidences n’avait pas eu lieu, le sort de Kael aurait pu être différent.

« Aaah. Je pensais vous avoir vu quelque part, mais c’était donc vous ce jour-là… » Le visage de Kael se tordait amèrement.

N’importe qui maudirait son destin si seulement il entendait l’explication de Ryoma. Ce qui était au départ son propre stratagème devint soudainement la corde qui se resserrait autour de son cou.

« Donc, c’était juste de la malchance… »

Les mots glissèrent des lèvres de Kael.

Tel était le remords de l’homme trahi par la déesse de la fortune et ses caprices.

« Oui. C’était juste de la malchance… »

Ryoma fit un signe de tête silencieux.

En vérité, si les fils s’étaient croisés d’une autre manière, c’était peut-être Ryoma qui serait mort ici. La seule différence entre eux était juste une question de chance.

« J’ai une dernière requête », dit Kael.

Ryoma hocha la tête en silence. Le visage de Kael était déjà pâle à cause de la perte de sang, et la seule chose qui l’attendait était la mort. Et Ryoma n’était pas suffisamment insensible pour ignorer les paroles d’un mourant.

« Je voulais mourir en me battant… comme un chevalier. Seriez-vous mon adversaire ? »

Ryoma fit un autre signe de tête silencieux, et soutint son katana.

« Vous avez ma gratitude… Merci. »

Ryoma leva sa lame. La position du feu. La position optimale pour que Ryoma puisse porter un coup. Kael tenait son épée sur son flanc, et se lança dans un sprint, s’avançant vers Ryoma avec la force qui lui restait.

Ce sera la dernière bataille que je n’aurai jamais…

Au moment où Kael s’apprêtait à trancher l’abdomen de Ryoma, un cri de guerre éclata des lèvres de Ryoma. L’instant d’après, la lame s’était relevée au-dessus de sa tête et avait heurté le casque de Kael. Le corps de Kael était passé à côté de Ryoma. Il fit deux autres pas… un troisième… un quatrième…

La vitesse de course de Kael s’était progressivement ralentie, il avait fini par s’élancer vers l’avant, tombant la tête la première au sol.

Au moment où Kael avait été abattu par la lame de Ryoma, la vengeance d’Helena approchait de son point culminant dans les profondeurs de la forêt.

« Merde ! Nous devons protéger le général et sa famille ! »

« Suivez-moi ! Nous brisons l’encerclement ! »

Des ordres contradictoires s’étaient succédé de toutes parts, compliquant encore la bataille. Certains chevaliers dirent qu’ils devaient protéger la personne d’Albrecht, tandis que d’autres avaient essayé de rassembler les autres chevaliers et tentèrent de briser l’encerclement de leurs poursuivants. Ils évitaient tous désespérément les lames de l’ennemi, leur armure grinçant à mesure qu’ils se déplaçaient.

Mais la réalité était impitoyable. Leurs efforts désespérés ne seraient pas récompensés. Ils levèrent leurs boucliers et brandirent leurs épées pour tenter de percer l’encerclement de l’ennemi, mais ils s’écroulèrent tous, morts, les uns après les autres.

Trente gardes partirent du camp avec Albrecht, mais il en restait moins de vingt. L’unité d’Helena, en revanche, comptait plus de deux cents hommes. Les deux camps étaient des chevaliers entièrement armés, mais la différence de nombre était claire et absolue.

Après avoir été pris en embuscade dans son camp par Ryoma, Albrecht tomba ensuite dans le piège d’Helena. Mais c’était ainsi que leur piège était prévu. Ryoma était le chien de chasse qui le chasserait hors du camp, afin que la chasseuse, Helena, puisse l’achever. C’était effectivement un stratagème mortel.

« Dame Helena… Tout se passe comme vous l’avez ordonné. Il ne reste plus qu’à prendre la tête d’Albrecht et de sa famille. », rapporta l’un des chevaliers.

« Oui, je pense que la fin est en vue. Ryoma a bien agi. »

Helena fit un signe de tête avec un sourire sombre.

« Mais quand même… De voir les choses si bien se dérouler… Ce garçon, il est… terrifiant », chuchota Chris en regardant les combats… ou plutôt, le massacre perpétré devant lui.

Bien sûr, c’était Helena et ses forces qui avaient écrasé l’ennemi. Chaque chevalier ennemi était battu par quatre ou cinq des chevaliers d’Helena, et tout le monde, sauf le plus puissant des guerriers, tombait à la renverse. Ils étaient également entourés d’une multitude d’autres chevaliers qui faisaient obstacle à toute tentative d’évasion. Le seul avenir que les chevaliers d’Albrecht avaient devant eux était la mort.

Et ce qui avait créé cette situation était le plan de Ryoma Mikoshiba. Les yeux de Chris étaient remplis de peur envers Ryoma.

« Oui, il est certainement impressionnant », complimenta Helena au sujet du plan de Ryoma, puis se tourna vers Chris.

« Est-ce qu’il te fait peur ? »

Le sourire qui se trouvait sur son expression d’avant avait totalement disparu. Chris avait simplement tenu sa langue, conservant ainsi ces sentiments en lui-même. Il n’en restait pas moins que Ryoma n’avait rien fait qui n’ait pas profité au royaume de Rhoadseria. Il ne serait pas étrange de le louer comme un allié fiable. Mais Chris ne pouvait pas se débarrasser d’une certaine inquiétude.

Il a obtenu des résultats impressionnants. Il est capable d’élaborer et d’exécuter des plans et c’est un commandant compétent… Mais ce n’est pas un homme de ce pays. C’est un étranger, un vagabond… Si un tacticien comme lui devait se joindre à un pays ennemi, puis tenter d’envahir la Rhoadseria…

Chris avait reconnu ouvertement les compétences de Ryoma, et il avait aussi compris que ses pensées étaient sans fondement. Mais même en sachant tout cela, Chris était terrifié par Ryoma, et cela provenait du fait que Ryoma n’avait absolument aucun lien avec Rhoadseria en tant que pays. Il n’avait pas prêté allégeance à la princesse Lupis, et ne se sentait pas non plus très proche du royaume.

La seule chose qui liait Ryoma à la princesse Lupis était une série de coïncidences empilées, et c’était une opinion partagée par de nombreux lieutenants de la princesse Lupis. C’était pourquoi Chris craignait Ryoma.

Helena et Chris échangèrent des regards en silence pendant un long moment.

« Je pensais que… Je comprends pourquoi tu es anxieux, Chris… Plusieurs autres sont déjà venus me voir avec des doutes similaires. », Helena avait fini par chuchoter tristement.

L’expression de Chris changea à ses mots. Un seul type d’intrigue était utilisé contre les personnages dangereux. Ce choix avait traversé l’esprit de Chris. Le choix dangereux de l’assassinat…

« Je leur ai dit à tous de ne rien faire d’inutile… afin de ne pas remuer le nid de frelons », dit Helena en haussant les épaules.

« Vous voulez dire… assassiner Ryoma Mikoshiba ? »

Helena n’avait pas répondu à la question de Chris. Au moins, les gens semblaient l’avoir proposé.

En enfonçant le clou qui dépasse, hein…

Le cœur de Chris vacillait dans quelque chose comme un mélange de solitude et de frustration. Certes, il craignait Ryoma, mais il n’avait pas envisagé de l’assassiner pour le retirer de la liste des menaces.

Personne n’a gagné autant de mérite que lui dans cette guerre civile. C’est grâce à lui que la princesse Lupis a réussi à écarter le général Albrecht et le duc Gelhart… Même s’il n’est pas un citoyen de Rhoadseria et qu’il n’est qu’un vagabond, rembourser par un assassinat le plus grand contributeur à la conclusion de cette guerre serait…

On ne pourrait pas maintenir un pays sans se salir un peu les mains. Chris l’avait parfaitement compris. Mais il n’était toujours pas à l’aise avec l’idée d’assassiner Ryoma, et ce n’était même pas un problème de sentiments. Même si la situation exigeait son assassinat, il fallait quand même qu’une certaine condition soit remplie.

La condition étant qu’ils puissent réellement l’assassiner.

Il ne pouvait pas y avoir d’échec. Car s’il survivait, le royaume de Rhoadseria se serait créé de ses propres mains un ennemi bien plus dangereux que le général Albrecht ou le duc Gelhart ne l’avaient jamais été. C’était pourquoi Chris n’avait pas ressenti le besoin d’assassiner Ryoma malgré ses craintes.

La meilleure solution possible étant de le faire servir le royaume… De cette façon, Rhoadseria s’épanouirait à ses côtés…

Mais bien sûr, c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Le mur du statut social en Rhoadseria était trop haut, et donc Ryoma, qui n’était même pas citoyen du royaume, allait rencontrer trop de problèmes.

« Quelle est votre opinion à ce sujet, Dame Helena ? » demanda soudain Chris à Helena.

« Moi… ? Je suis contre, bien sûr… C’est seulement grâce à ce garçon que je peux tuer Albrecht. Et si quelqu’un essayait de le tuer et échouait, ce pays serait confronté à une menace bien plus grande… »

Helena répondit de façon ambiguë.

N’importe qui arriverait à cette conclusion avec un peu de réflexion.

Ses compétences en tant que guerrier sont exceptionnellement élevées, et c’est un tacticien et un commandant de premier ordre. Et il y a toujours des gens autour de lui, attirés par son charisme…

Lione des lions cramoisis et son lieutenant, Boltz. Leurs noms en tant que mercenaires étaient bien connus sur tout le continent occidental. Grâce à leurs relations, Ryoma avait pu engager les services de nombreux mercenaires qualifiés. Mais le problème était que leur relation avec Ryoma ressemblait davantage à la relation entre maître et serviteur.

Les mercenaires l’avaient méprisé en raison de son faible rang et de sa jeunesse, mais après sa victoire contre Branzo l’araignée noire et son succès à la rivière de Thèbes, l’opinion de tous sur lui avait basculé en faveur d’un véritable éloge.

À ce moment-là, on pouvait dire que Lione des lions cramoisis était positionnée en tant que chef des gardes du corps de Ryoma. Ce comportement était extrêmement inhabituel pour des mercenaires qui avaient toujours survécu sur le champ de bataille par leurs propres forces.

Ce n’était pas pour rien qu’on disait des mercenaires qu’ils n’étaient loyaux envers personne, et c’était aussi la raison pour laquelle leurs conditions d’emploi et leurs exigences salariales étaient aussi sévères qu’elles l’étaient. Leurs employeurs pouvaient leur couper les vivres à tout moment pour n’importe quelle raison, et les mercenaires ne travaillaient donc jamais plus qu’ils n’étaient payés. Bien entendu, ils pouvaient sembler sérieux dans leur travail, mais à l’inverse, ils gardaient une approche professionnelle pour tout ce qui dépassait le cadre de leur contrat.

Pour les mercenaires, un employeur était une existence temporaire, et non quelqu’un qu’ils serviraient pour toujours. Si l’on s’en tenait aux termes du monde de Ryoma, c’était un peu comme la différence entre les employés temporaires et les employés à plein temps.

Et donc, si ces mercenaires obéissaient aux ordres d’une personne jeune et inexpérimentée comme Ryoma, ce ne pouvait être que parce qu’il avait réussi à gagner leur cœur.

Il doit avoir le calibre d’un général.

Ryoma Mikoshiba possédait quelque chose qu’Helena avait dû avoir dans sa jeunesse.

Un assassinat est une mauvaise idée. Même s’il réussissait, le groupe de Lione riposterait et cela conduirait à un nouveau bain de sang… Et qui sait si on pourra le tuer…

Cette inquiétude secoua le cœur d’Helena. Elle n’avait aucune intention de l’assassiner ni d’admettre qu’elle y réfléchissait. Si l’un de ses subordonnés le suggérait, elle rejetterait simplement l’idée.

***

Partie 7

Mais le problème était que quelqu’un pourrait décider de le faire sans qu’elle le sache. Dans ce cas, tout irait bien si l’assassinat se déroulait sans problème. Si cela dissipait les inquiétudes de Rhoadseria, Helena n’aurait qu’à ravaler ses propres appréhensions et sentiments sur la question.

Mais que se passerait-il si l’assassinat échouait ?

Si cela devait arriver, Ryoma Mikoshiba ne pardonnerait jamais le royaume de Rhoadseria. Il le verrait comme le royaume qui l’avait trahi. Et pourtant, Helena était un chevalier de Rhoadseria. Elle devait combattre quiconque cherchait à nuire à son pays.

« Mais s’il devait se lever contre Rhoadseria… Alors… »

Ce fut une décision terriblement amère pour Helena, et un avenir qu’elle ne souhaitait pas voir se réaliser.

Mais Chris n’avait pas pu entendre Helena finir cette phrase.

« « « Ooooooooh ! » » »

« « « Nous les avons attrapés ! Nous les avons ! » » »

Les acclamations qui s’élevaient du champ de bataille noyèrent ses paroles…

« Vous n’êtes pas blessé, n’est-ce pas ? Nous allons briser l’encerclement ici… Ne lâchez pas mes mains, compris ? Ne vous retournez pas, et gardez les yeux sur moi ! »

Albrecht courait pour tenter de briser l’encerclement, avec sa femme et sa fille dans son dos. Les chevaux de leur voiture avaient été rapidement tués, réduisant le véhicule en une masse de bois immobile. Albrecht avait rapidement aidé sa famille à descendre de la voiture et ils tentèrent de s’enfuir dans la forêt.

Cependant, à ce stade, l’encerclement d’Helena n’était pas un filet déployé autour d’eux, c’était une cage, les enfermant et bloquant tout chemin de fuite. Il n’avait pas d’autre choix que de vaincre les chevaliers qui se rapprochaient de lui. Le monde n’était pas été assez gentil pour permettre à une tactique aussi téméraire de réussir. Ses tentatives d’évasion répétées avaient coûté la vie à quelques-uns des chevaliers qui étaient encore à ses côtés, et il était désormais complètement entouré d’ennemis.

« Père… » Sa fille le regarda avec une expression pâle, sentant la soif de sang qui les entourait.

Il y avait quelques semaines à peine, elle était l’une des jeunes femmes les plus importantes du pays. Elle n’était pas du tout assez endurcie pour résister à la sauvagerie sanguinaire du champ de bataille. Le voyage à Tarja avait également épuisé son endurance.

« Ça va aller, suivez-moi ! Vous n’avez qu’à courir et à garder les yeux sur mon dos ! »

Albrecht éleva la voix pour encourager les deux femmes.

Il pouvait dire que s’il montrait le moindre signe de faiblesse, leur cœur allait probablement se briser.

« Tout ira bien. Crois-en ton père », dit sa femme, à laquelle sa fille fit un signe de tête.

Bien qu’elle n’avait pas vraiment le choix.

« Allons-y ! », dit Albrecht.

Les chevaliers qui l’accompagnaient firent un signe de tête. Seuls quatre d’entre eux restèrent sur les trente envoyés avec sa voiture.

« « « Ooooooooh ! » » »

Tous les quatre chargèrent le mur de soldats qui leur bloquaient le chemin. Ils brandirent leur épée, levèrent leur bouclier, forçant leur corps à passer. La vision de ces chevaliers agitant leur épée et criants était similaire à celle d’un groupe de chiens enragés. Ils avaient complètement abandonné l’idée de se défendre, sachant que la fin du général Albrecht signifierait de toute façon leur propre fin. Cette connaissance les réduisait à tenter des choses téméraires.

« Seigneur, maintenant ! Là-bas ! »

Les soldats de la défense avaient été accablés par leur charge imprudente, faisant s’effondrer l’encerclement pendant un moment.

« Allons-y ! Gardez les yeux en avant et allez droit dans la forêt ! »

La femme et la fille d’Albrecht hochèrent la tête et, après confirmation de sa part, le trio s’était mis à courir.

« Dépêchez-vous, seigneur ! »

Avec les cris de leurs chevaliers qui les poussaient à avancer, le trio se précipitait vers l’avant sans se retourner. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres des bois.

Juste un peu plus ! Si nous pouvons courir dans la forêt, nous pourrons probablement nous enfuir ! Nous devons juste continuer à avancer !

Bien sûr, entrer dans la forêt ne garantissait pas leur sécurité. Mais leurs chances de survie étaient d’autant plus élevées qu’ils pouvaient briser ce blocus.

« Aaaaaaaaah ! »

Sa fille cria dans son dos.

« Comment osez-vous ! Retirez vos mains ! Lâchez-moi… ! »

La voix de sa femme avait également été entendue, mais elle avait été coupée par le son émoussé de la chair battue.

« Mère… ! Arrêtez ! Ne la frappez pas ! »

Le général Albrecht se retourna, mais il était confronté à la vue de sa femme accroupie et de sa fille tourmentée par les soldats. La bouche de sa femme dégoulinait de salive et de vomi. Elle avait probablement été frappée. Lever la main sur une femme était méprisable du point de vue de la chevalerie, mais un tel idéalisme avait rarement sa place sur le champ de bataille. Le général Albrecht hésita.

Bon sang ! Nous étions si près… ! Qu’est-ce que je fais, je les sauve… ? Non, je n’y arriverai jamais. Est-ce que je retourne dans cette situation… ? Mais je ne peux pas abandonner ma fille ici…

Le regard du général Albrecht croisa celui de sa fille. Ses yeux l’imploraient de la sauver, elle et sa mère. Mais le général Albrecht ne bougea pas. Il était à deux doigts, à deux doigts de s’en sortir… !

Sauver sa femme et sa fille ici était tout simplement impossible. Son côté froid l’incitait à privilégier le pragmatisme. Mais cela aussi était impossible. Il ne pouvait pas non plus les abandonner et s’enfuir. Cela lui enlèverait toute chance de faire un retour.

Les abandonner et m’enfuir seul ? Qu’est-ce que cela me donnerait ? Je doute que Tarja me donne même un refuge dans ce cas…

La seule raison pour laquelle le royaume de Tarja lui donnerait asile était que sa femme était la fille d’une famille de nobles de Tarjan. S’il devait abandonner sa femme et s’enfuir, sa famille ne lui pardonnerait jamais. L’instinct de conservation liait son corps. Quel que soit le choix qu’il ferait, il le mènerait tout droit à sa perte.

« Jetez vos armes, Général Albrecht ! »

Un des chevaliers s’avança.

« Faites-le, ou choisissez la mort ! »

L’hésitation du général Albrecht donna aux chevaliers d’Helena la possibilité de l’encercler, rendant sa situation complètement désespérée.

Bon sang !

Les chevaliers lui barraient la route vers la forêt, et il ne semblait pas qu’il soit capable de percer. Toutes les chances qu’il avait de sauver sa famille ou de fuir en toute sécurité s’étaient envolées.

« Que ferez-vous ? Allez-vous rester là à nous regarder décapiter votre femme et votre fille ?! »

Des mots sans aucune pitié avaient été prononcés une fois de plus à l’encontre du général Albrecht. Sa femme et sa fille avaient les mains coincées dans le dos, avec des épées pointées dans leur direction.

« Bien-aimé… »

« Père… »

Leurs deux yeux l’appelaient en tant que mari et père. Cette bataille était déjà bien décidée.

Faire du boucan ici ne me donnera rien. Toute tentative de résistance ne ferait que leur donner une excuse pour nous exécuter. La justification… Tant que j’ai la possibilité de me disculper, je peux faire quelque chose ! Au moins, Lupis n’exécutera pas ma femme et ma fille !

Albrecht jeta son épée au sol.

« Très bien. »

Albrecht fit sortir les mots du fond de son cœur.

« Je… je me soumets. »

Mais tandis qu’il prononçait ces mots, son esprit s’accrochait à l’unique espoir qui lui restait.

« Très bien ! »

Les chevaliers firent un léger signe de tête et levèrent les mains.

Plusieurs chevaliers se précipitèrent sur le général Albrecht, et lui lièrent les mains avec des chaînes.

« « « Ooooooooh ! » » »

« « « Nous les avons attrapés ! Nous les avons ! » » »

Les acclamations résonnaient à travers la forêt. Tous levèrent leur épée en l’air pour célébrer.

« C’est enfin terminé ! Une nouvelle ère pour le Royaume de Rhoadseria commence ! »

« Gloire à Son Altesse ! Prospérité éternelle pour le Royaume de Rhoadseria ! »

Les chevaliers élevèrent la voix dans des acclamations enthousiastes.

« Que vais-je devenir maintenant ? Où aura lieu mon procès ? Garantissez-vous ma sécurité jusqu’au verdict ? », demanda le général Albrecht à un chevalier voisin.

« Un procès ? Vous pensez être en mesure d’exiger un procès ? », répondit le chevalier avec un regard froid et glacial.

« Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?! »

Le général Albrecht oublia qu’il venait d’être arrêté et essaya d’attraper le chevalier.

« Je me suis rendu ! J’ai droit à un procès équitable ! »

Il s’était rendu uniquement parce qu’il pensait que la princesse Lupis le ferait juger. Il ne serait pas tué sans qu’aucune question ne lui soit posée, et sa sécurité serait garantie jusqu’à ce que le procès soit décidé. Il comptait sur la gentillesse et la crédulité de la princesse, croyant qu’au moins sa famille serait épargnée.

Mais tout cela avait été complètement renversé.

« Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que la princesse, est-ce que la princesse Lupis a ordonné cela ?! »

Si c’était le cas, alors le général Albrecht avait complètement mal jugé Lupis Rhoadseria en tant que personne.

C’est impossible, cette femme n’a pas la capacité d’ordonner quelque chose comme ça… !

Lorsqu’elle était poussée trop loin, la pitié n’était rien d’autre que de la naïveté, et c’est la raison pour laquelle le général Albrecht n’avait jamais vu en Lupis qu’une marionnette à manipuler. Si elle était vraiment capable de cela, alors le général Albrecht serait volontairement entré de lui-même dans une mort honteuse et exaspérante.

Mais la réalité était encore plus impitoyable qu’il ne l’avait imaginé.

« Non, c’est faux ! »

Les chevaliers entourant Albrecht s’écartèrent, ouvrant la voie. Et le long du chemin qu’ils avaient ouvert, un chevalier en blanc, vêtu d’une armure d’ébène, d’un casque et d’une cape, marchait d’un pas assuré.

« Vous semblez mal comprendre les choses… Général Albrecht. »

« Cette voix… Et cette armure ! »

Le général Albrecht était devenu pâle.

« Tu es Helena… Helena Steiner ! Comment peux-tu être ici… ?! Tu devrais être dans l’attaque d’Héraklion ! »

Le chevalier retira son casque, se révélant en effet être Helena Steiner.

« Dame Helena Steiner ? La déesse blanche de la guerre de Rhoadseria ? »

« Est-ce… vraiment Dame Helena ? »

La femme et la fille d’Albrecht s’étonnèrent de l’apparition soudaine d’Helena. Elles ne s’attendaient pas à rencontrer une héroïne nationale ici. Helena fit un doux signe de tête aux deux femmes et leva un doigt sur ses lèvres pour les faire taire. Elle rendit ensuite son regard au général Albrecht.

« Pensais-tu que je ne pouvais pas prédire ce que tu allais penser ? »

« Tu dis que tu as anticipé ce que je ferais ?! C’est impossible… ! Tu ne pourrais jamais faire ça ! »

Albrecht éleva la voix avec colère.

***

Partie 8

Pendant de nombreuses années, Albrecht avait regardé Helena de haut comme une humble paysanne, il ne pouvait donc jamais admettre qu’elle verrait à travers lui de manière aussi approfondie.

« Mon Dieu… Je vois que tu es toujours aussi aveugle sur les réalités. Tu surestimes tes propres capacités et méprises celles des autres… Tu n’as pas changé depuis le jour où nous nous sommes rencontrés. Mais en réalité, je t’ai capturé et coincé ici. N’est-ce pas tout ce qui compte ? »

« Tais-toi, sale roturière ! Je suis… Je suis un descendant de la maison Albrecht ! Je ne peux pas perdre face à des gens comme toi ! »

Helena répondit au cri d’Albrecht avec un sourire amer.

Espèce d’idiot… Tu as de l’ambition, de l’intelligence, du pouvoir et la lignée… Comment quelqu’un qui a tant de talent peut-il être aussi stupide… ?

« Pas par toi ! Pas par une roturière comme toi… ! Tu ne peux pas et ne pourras jamais être meilleur que moi ! »

« Toi, homme pathétique… C’est pourquoi l’ancien général m’a désigné comme son successeur à ta place. Il savait que tu es un privilégié et que ta vanité rongerait ce pays… Et il avait raison ! Regarde autour de toi ! Regarde comment tous les chevaliers qui se tiennent ici te regardent ! »

« Tais-toi ! L’ancien général n’avait pas l’œil pour sonder les gens ! S’il l’avait fait, il n’aurait jamais choisi une roturière comme toi plutôt qu’un héritier de la famille Albrecht ! Vous tous ! Vous ne pensez pas que c’est mal ?! De fiers chevaliers de Rhoadseria comme vous devraient-ils être dirigés par une roturière ?! » cria Albrecht tout en regardant autour de lui.

Mais aucun des chevaliers n’était d’accord avec lui. Au contraire, ils le regardaient tous avec une froide répugnance.

« Qu’est-ce qui vous arrive à tous ? Pourquoi me regardez-vous comme ça ? ! »

La façon dont les chevaliers regardaient Albrecht… C’était le même regard avec lequel il regardait les roturiers. La seule différence, c’est qu’ils étaient aussi imprégnés de la haine et du mépris des opprimés.

« Espèce de stupide et pitoyable homme minable… Ce sont tous des chevaliers de bas rang, de descendance commune. Les personnes que toi et les nobles chevaliers avez opprimées et extorquées… Penses-tu qu’ils vont sympathiser avec toi ? En fin de compte, tu ne vois vraiment pas plus loin que le bout de ton nez. Tu t’assois simplement les jambes croisées sur ton trône de statut et de lignage, et tu ne penses jamais une seule fois aux personnes qui soutiennent ton poids ! »

Parmi la masse des chevaliers, certains étaient les enfants de maisons de chevaliers de longue date, tandis que d’autres étaient des roturiers qui avaient gravi les échelons jusqu’à la chevalerie au prix de nombreux efforts. Mais les chevaliers roturiers devaient passer par une porte d’entrée dont le seuil était bien plus petit. Et cela demandait encore des efforts considérables.

Mais à Rhoadseria, même ceux qui avaient fourni tous ces efforts étaient confrontés à un mur distinct qui les séparait des chevaliers de noble naissance. Voir des personnes de naissance commune lutter pour que leur nom ait enfin un certain mérite, pour se le faire arracher par un chevalier de naissance noble, était un événement quotidien.

Les personnes choisies pour participer fièrement aux défilés étaient toujours des chevaliers de noble naissance. Ceux de naissance commune étaient laissés derrière pour faire les tâches en coulisses. Certains des chevaliers présents s’étaient même fait enlever de force leurs amantes par un collègue.

Toute tentative de dénoncer cette corruption n’avait eu pour seul résultat que de les rendre coupables. Certains avaient même été traduits en cour martiale pour leurs problèmes. Les nobles chevaliers étaient toujours les seuls à s’en attribuer le mérite, tandis que les chevaliers du peuple faisaient le sale boulot et assumaient toute la responsabilité.

Et tout cela parce que le général au sommet, Hodram Albrecht, était un chevalier privilégié, partial et dur d’esprit, de noble naissance. La corruption du responsable signifiait que ses subordonnés seraient inévitablement tout aussi pourris.

« Tais-toi ! Nous ne sommes pas égaux ! »

Les émotions d’Albrecht prenaient le dessus sur lui et son visage rougissait de colère.

« Vous les roturiers, vous permettre de devenir chevaliers était dès le départ une erreur ! Nous vous avons simplement laissé devenir chevaliers par pitié, alors taisez-vous, baissez la tête et faites ce que nous disons ! »

Les propos qu’il tenait devenaient incohérents, mais toutes les personnes présentes avaient compris ce qu’il essayait de dire. Les chevaliers du peuple doivent obéir aux nobles chevaliers, comme lui.

« Tu es vraiment un imbécile exaspérant… Mais, bon, ainsi soit-il… Aujourd’hui, c’est la dernière fois que nous devons supporter tes attitudes désagréables… », dit Helena.

« Espèce d’idiote ! As-tu l’intention d’enfreindre la loi nationale… ?! J’ai le droit d’être jugé ! »

Albrecht n’avait pas pu se retenir suite au choc.

Il avait lui-même enfreint de nombreuses règles jusqu’à présent. Il avait injustement réparti ses ressources humaines, envoyant des gens qu’il n’aimait pas monter la garde dans des régions éloignées. Il avait détourné des fonds militaires et avait accepté des pots-de-vin des marchands. Il mettait au pas des collègues qui s’étaient mis en travers de ses promotions et leur fit porter le chapeau.

Mais quand sa vie touchait à sa fin, il voulait dépendre de la loi. Peu importait que son acte soit déraisonnable, car c’était la seule chose à laquelle il pouvait s’accrocher.

« Oh, ne te méprends pas. Il sera consigné dans les archives qu’Hodram Albrecht a prétendu se rendre, pour ensuite tenter de tuer Helena Steiner. N’ayant pas le choix, elle a dû le tuer en légitime défense. Et sa famille a été abattue par les chevaliers qui l’ont aidé à s’échapper. Et tout cela sera fait… par ces bonnes vieilles méthodes que tu as toujours su utiliser. », dit Helena avec un sourire plein d’ironie.

« C’est de la folie ! Tu appelles ça de la justice ?! »

« Justice ? Non, ce n’est pas de la justice… C’est de la vengeance… Pour le mari et la fille que tu m’as pris. »

L’expression d’Albrecht se figea sur ces mots. Sa femme et sa fille avaient réagi avec un choc horrifié.

« Qu’est-ce que tu dis ? ! Je n’ai aucune idée de ce que tu veux dire ! Je ne sais rien de ta famille ! »

« Ne te fous pas de moi… Il y a cinq ans, j’ai battu le marchand d’esclaves que tu avais engagé, Heinz. Et j’ai le témoin qui a aidé à l’interroger à l’époque. »

Un des assistants d’Helena, debout à ses côtés, hocha la tête.

« Je ne sais rien ! Je ne connais aucun Heinz ! Il a de toute façon déjà été exécuté ! Comment peux-tu le prouver ? ! Ce témoignage ne vaut rien ! »

« Bien-aimé… Qu’est-ce qu’elle dit ? As-tu vraiment… fait cela à la famille de Dame Helena… ? »

« Père… ? »

La famille d’Albrecht le regardait avec des regards indignés et douteux.

« Pourquoi me regardez-vous comme ça ? ! J’ai dit que je ne sais rien ! Ne crois-tu pas ton propre père ?! »

Mais plus il essayait de trouver des excuses, plus leurs regards se refroidissaient. Il était évident pour tout le monde qu’Albrecht l’avait fait.

« Tu as raison. Cela ne peut pas servir de preuve… Mais tu vois, je n’ai pas besoin de preuve. Je veux juste te tuer… »

« Toi… »

Albrecht avait finalement remarqué la folie dans les yeux d’Helena.

Et à ce moment-là, il le réalisa. Rien de ce qu’il fera ou dira ne l’aidera à échapper à sa lame.

« Ne t’inquiète pas… Nous donnerons à ta femme et à ta fille une mort rapide… Ma fille a dû être violée à mort par un marchand d’esclaves, mais… C’est bien. Je leur pardonnerai avec ça. », dit Helena tout en sortant son épée.

Elle s’était ensuite dirigée vers sa femme et sa fille.

« Attends ! Elles n’ont rien à voir avec ça ! »

Albrecht essaya de sauter et de se mettre sur son chemin, mais les chevaliers l’avaient coincé.

« Oh, je dirais qu’elles ont toutes les deux à voir avec ça. C’est bien ta famille. »

« Attendez, quelqu’un ! Quelqu’un ! »

Albrecht criait désespérément à l’aide.

« Arrêtez-la ! Elle ne peut pas s’en tirer comme ça ! »

Mais aucune des deux cents personnes présentes ne voulut lui prêter l’oreille. Ils voulaient toute sa mort et celle de sa famille.

« Non… S’il vous plaît… Aidez-moi… »

Des larmes coulèrent dans les yeux de sa fille.

Elle réalisa la gravité du péché de son père, et combien il était détesté par tous les autres. Le fait qu’aucun des chevaliers présents ne lui avait témoigné de pitié en était la preuve.

« Au revoir… Tu n’as rien fait de mal, mais… La chance n’était pas de ton côté. Je vais au moins m’assurer que tu ne souffres pas… »

« Stoooooooooop ! »

Le cri d’Albrecht résonnait en vain. Helena brandit son épée, puis l’enfonça dans le cou de la fille. Le corps de la jeune fille s’était aussitôt affaissé, tombant à terre, maculé de sang cramoisi. Helena avait alors ramené sa lame en arrière, l’enfonçant cette fois en plein cœur de la femme.

« Espèce de salope ! Ma femme ! Ma fille ! Je vais te tuer ! Je te tuerai ! », cria Albrecht, les yeux écarquillés de rage et la salive qui s’écoulait de sa bouche.

Mais plusieurs chevaliers le retenaient, il ne pouvait plus du tout bouger. Ses yeux seuls brûlaient de noires flammes de colère.

« Oui ! Ce sont les mots que je voulais entendre ! C’est pourquoi je me suis accrochée à la vie jusqu’à présent ! », dit Helena avec un sourire innocent alors qu’elle s’approchait d’Albrecht.

Maintenant… c’est fini… C’est enfin terminé… Bien-aimés… Salia… Tu peux reposer en paix maintenant, pas vrai… ? Tes rancunes sont enfin remboursées…

Elle allait enfin être libérée des regrets et du ressentiment qu’elle avait dû porter pendant une décennie. Elle pouvait voir son mari et sa fille dans les yeux de son esprit.

« C’est ainsi que tout se termine… Hodram Albrecht ! »

Helena brandit son épée.

« Merde ! Pas par toi ! Pas par une roturière ! »

C’était ainsi que Hodram Albrecht, général du royaume de Rhoadseria et chef de file de la rébellion, avait connu sa fin. Et c’était aussi ainsi que la guerre civile qui avait tourmenté Rhoadseria pendant des mois prit fin.

***

Chapitre 5 : Un nouveau champ de bataille

Partie 1

« … Que dois-je faire… ? »

La princesse Lupis tourna son regard par la fenêtre de sa chambre dans la capitale : Pireas. Elle était vêtue d’une robe d’un blanc pur avec un décolleté profond, qui accentuait sa beauté féminine. Sa grâce féminine était telle qu’on ne pouvait pas croire que quelques jours plus tôt, elle était la même princesse générale qui traversait le champ de bataille en armure.

Cependant, la tristesse dans ses yeux privait sa beauté de tout éclat. Un profond soupir échappa à ses lèvres. Par la fenêtre, le tumulte des acclamations des habitants s’étendit jusqu’au château. Tous se réjouissaient, remplis d’espoir suite à la fin de la rébellion et au début du règne de la princesse Lupis.

L’épée d’Helena ayant pris la vie au général Albrecht et à sa famille, la guerre civile de Rhoadseria prit fin. Ayant rejoint les rebelles à mi-chemin du conflit, le général Albrecht fut tué, et le véritable chef, le duc Gelhart, survécut. Il y avait certainement des parties de l’histoire dont la princesse Lupis n’était pas tout à fait satisfaite.

Mais elle ne pouvait pas nier qu’avec la mort d’Albrecht, Rhoadseria avait réussi à préserver sa dignité. Tout ce qui comptait pour la majorité des citoyens était que le méchant du conflit soit traduit en justice par leur nouvelle reine, et que les combats prirent fin.

Un mois s’était écoulé depuis la fin de la rébellion. Mais au lieu d’être aussi optimiste que les gens autour d’elle, le cœur de la princesse Lupis était tourmenté par l’anxiété.

« Père… suis-je vraiment un souverain légitime pour ce pays… ? Le suis-je vraiment, alors que chaque action de cet homme me fait vaciller à ce point…, » Lupis le demanda à son père, à maintes reprises.

Un homme mort, cependant, ne pouvait lui offrir aucune réponse. Elle le demanda à son père, sachant qu’il ne pouvait pas répondre. Cette seule réponse montrait à quel point son cœur était inquiet.

Un autre soupir lui échappa des lèvres.

« Votre Altesse… »

Meltina la regardait avec tristesse.

Avec le prochain couronnement de Lupis, Meltina sera officiellement nouvelle capitaine de la garde royale. Normalement, elle devrait s’occuper des tâches liées à ce rôle, mais elle était tout de même restée aux côtés de Lupis. Elle lui servait d’assistante, en plus d’être sa secrétaire personnelle et son escorte, assumer le rôle de capitaine de la garde royale n’était donc pas si difficile pour elle.

Mais pour l’instant, Meltina s’occupait davantage des angoisses de Lupis et de la manière de les dissiper, ne serait-ce qu’un peu.

Effectivement, la condamnation du Seigneur Mikhail à l’assignation à résidence a été un coup dur… Je ne suis pas sûre d’être la seule à pouvoir la soutenir… Mais…

En termes d’intelligence, Meltina n’était pas très différente de Mikhail, mais il était de dix ans son aîné, et ce n’était pas une différence d’âge que l’on pouvait simplement ignorer. Meltina était le chevalier le plus important, mais Mikhail avait aussi plus d’influence sur les chevaliers.

La guerre civile prit fin, et Lupis était sur le point de devenir la nouvelle souveraine de Rhoadseria. Mais cela ne signifiait pas que les bases de son administration étaient consolidées. Elle avait besoin de personnes dignes de confiance pour rendre son gouvernement ferme. Mais Mikhail était assigné à résidence pour une durée indéterminée dans sa résidence de la capitale.

Lorsque la rébellion avait pris fin, le duc Gelhart avait tenu sa promesse et libéra Mikhail de sa garde. Lupis et Meltina avaient bien sûr envisagé de le renvoyer dans son ancien poste, mais son entourage n’approuvait pas cette décision.

Ryoma n’avait rien fait de mal en particulier ici. La punition de Mikhail avait de toute façon été reportée dès le départ. Il n’avait été épargné que dans l’espoir que ses futurs accomplissements compensent ses échecs. Mais il échoua une seconde fois, enfreignant les ordres et agissant de sa propre autorité dans une course impatiente au mérite.

Malgré leurs efforts pour le protéger, Lupis et Meltina ne purent épargner à Mikhail les interrogatoires du comte Bergstone et du reste de la faction neutre.

« Meltina, est-il vraiment impossible de réintégrer Mikhail… ? »

Lupis l’avait déjà sûrement demandé une bonne douzaine de fois.

« Nous pouvons le rétrograder si nécessaire, mais peut-être devrions-nous annuler son assignation à résidence… »

Cela faisait un demi-mois que Mikhail avait été condamné à l’assignation à résidence, et elle avait posé cette question à maintes reprises depuis. Meltina avait retenu un soupir en secouant la tête en silence.

« Même votre parole ne peut le permettre… J’aimerais le faire personnellement, bien sûr, mais… »

Meltina souhaitait vraiment exaucer le désir de Lupis ici. Elle doutait que sa présence ici puisse aider autant à résoudre les problèmes, mais elle pouvait au moins servir de soutien émotionnel à Lupis. Dans ce but, Meltina voulait qu’il retrouve sa place.

Mais ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait approuver étant donné les circonstances. En vérité, les actions de la princesse Lupis étaient assez problématiques. Aussi fiable qu’un chevalier puisse être, elle ne pouvait pas lui permettre d’échapper à la punition après avoir échoué deux fois.

Sa première erreur, qui consistait à se laisser prendre au piège de Kael, avait peut-être déjà été pardonnée. Mais son deuxième échec fut fatal. Pire encore, ce faisant, il s’était écarté de leur plan initial et leur avait donc fait perdre leur chance d’écraser le Duc Gelhart.

Certains parmi les hauts gradés avaient même demandé son exécution. La levée de son assignation à résidence était donc impossible, même avec l’autorité de la princesse Lupis. Les bases de son administration n’étant pas encore solides, elle ne pouvait pas se permettre de faire quoi que ce soit qui puisse ébranler la validité de son règne.

« Oui… Tu as raison… Je suis désolé, Meltina. Je n’aurais pas dû dire ça… »

Lupis avait parfaitement compris cela. Le problème était que même si son esprit comprenait cela, ses émotions n’étaient pas satisfaites par cette situation. Meltina soupirait intérieurement.

« Mais assez parlé de Mikhail pour l’instant… Qu’en est-il de cette autre affaire dont j’ai parlé ? », demanda Lupis à Meltina, essayant activement de faire passer ses émotions.

Mikhail n’était pas son seul problème, après tout.

« Vous voulez dire Ryoma Mikoshiba… ? Eh bien, ça ne va pas bien… Nous pourrions facilement en faire un chevalier du niveau d’un commandant, mais quand il s’agit d’une affectation qui conviendrait vraiment à ses réalisations… »

« Je vois… »

Lupis fronça les sourcils devant la réponse de Meltina.

Le problème était de savoir comment ils allaient gérer Ryoma à l’avenir. La princesse Lupis l’avait déjà aidé à résoudre son problème initial. Utilisant le royaume comme soutien, elle avait prouvé son innocence. Mais par la suite, il avait prévu de quitter le pays.

Peu après la fin de la rébellion, Lupis avait utilisé sa position de princesse pour envoyer des messagers dans les bureaux des nombreuses guildes, afin qu’ils puissent clarifier sa situation. Grâce à cela, Ryoma Mikoshiba et ses alliés avaient été reconnus non coupables. Leur seule plainte était qu’il n’y avait aucune preuve d’un acte criminel de la part de Wallace Heinkel, chef de guilde de la ville de Pherzaad. Cela avait été considéré comme une erreur de procédure, et il n’avait été puni d’aucune manière. Avec la mort de Kael au combat contre Ryoma, il était difficile de trouver un témoignage qui le prouve.

Les autres chefs de guilde ne voulaient pas condamner l’un des leurs sans aucune preuve. Il n’y avait en réalité aucun moyen de le punir. Pourtant, l’innocence de Ryoma était prouvée, et Lupis avait donc tenu sa promesse.

C’était pourquoi Ryoma et ses alliés n’avaient aucune raison de rester longtemps dans le royaume. Ils pouvaient donc quitter le pays à tout moment. Personne n’aurait non plus le droit de les arrêter. Et pourtant, Ryoma était toujours dans le château, ici dans la ville de Pireas.

C’est parce que Lupis avait insisté pour qu’il y reste jusqu’à son couronnement.

« Les chevaliers ne le voient pas d’un bon œil… Les chevaliers du peuple et ceux nés dans la noblesse voient l’idée d’un mauvais œil… »

« D’accord… »

« Donner à une personne qui n’est même pas un citoyen du royaume un poste important dans la défense nationale est probablement inacceptable pour trop de gens… Du moins, c’est ce que je suppose, mais c’est un raisonnement difficile à réfuter. Néanmoins, laisser un homme de son calibre entrer dans les rangs des chevaliers aurait pour conséquence de doter un poste important. Il ne ferait qu’obstruer ceux qui veulent monter en grade, c’est donc probablement une des raisons pour lesquelles ils refusent… »

L’expression de Lupis s’assombrit devant l’explication de Meltina. Lupis craignait beaucoup Ryoma, et cette crainte s’était accentuée. À ce moment, alors qu’elle allait se faire couronner malgré sa position d’infériorité totale, elle était plus terrifiée que jamais.

« S’il n’en tenait qu’à moi, je voudrais que cet homme serve de chevalier à vos côtés, Votre Altesse… Mais cet homme n’a aucun respect ni aucune loyauté envers vous ou Rhoadseria. Il n’agit qu’au service de ses propres intérêts… Je l’ai observé ces derniers mois, et c’est l’impression que j’ai de lui. Je pense que le fait qu’il serve comme chevalier de la maison royale peut-être dangereux… Mais tout de même… »

Elle tenait les capacités de Ryoma Mikoshiba en haute estime, et même ceux qui étaient contre sa nomination étaient d’accord avec cela. Rien qu’en termes de compétences, il était plus qu’assez bon pour servir comme chevalier, voire plus que cela.

Mais le fait qu’il n’était pas digne de confiance fit baisser l’appréciation globale qu’ils avaient de lui. Les chevaliers étaient l’épée et le bouclier du royaume, une force de combat crucial pour que le souverain puisse garder le pays sous son contrôle. Mais que se passerait-il si cette force était contrôlée par quelqu’un à qui on ne pouvait pas faire confiance ? Ils reviendraient simplement à la situation qui prévalait pendant le mandat du général Albrecht. Le roi deviendrait une marionnette pour l’armée et le pays serait plongé dans le désordre.

Lupis devait réorganiser le fonctionnement du pays à partir de maintenant, et à cette fin, une personne à qui on ne pouvait pas faire confiance ne pouvait pas être promue au rang de chevalier. C’était à la fois son opinion et celle de toutes les personnalités de Rhoadseria.

« Mais… La seule chose que nous ne pouvons pas le laisser faire est de quitter le pays comme ça ! Nous ne pouvons absolument pas… ! S’il prend le parti d’un autre pays… »

Lupis éleva sa voix tremblante.

Finalement, c’était à cela que sa peur s’était résumée. On ne pouvait pas lui faire confiance pour un poste important sous ses ordres, mais en même temps le laisser sortir de Rhoadseria était dangereux.

« Je sais… Et je suis d’accord avec vous, Votre Altesse… »

Meltina écarta les lèvres avec hésitation.

« Mais je crois que si c’est le cas, nous devons… Hmm… »

Lupis avait habilement compris ce que Meltina essayait de dire.

« Non… Rien que ça, c’est quelque chose que je ne peux pas approuver. »

Elle avait secoué la tête, ce qui fit taire Meltina.

Le silence s’était installé entre les deux femmes. La mesure que Meltina n’avait pas dite clairement était une mesure que les autres personnalités de Rhoadseria avaient déjà proposée auparavant.

L’assassinat.

En effet, s’ils tuaient Ryoma, ils n’auraient pas à s’inquiéter qu’il rejoigne un autre pays et pourraient dormir tranquillement la nuit.

Cela est évident… Mais il ne s’est pas encore retourné contre nous, et il a tenu sa promesse envers moi. Alors puis-je vraiment le récompenser pour cela, non pas par de la gratitude, mais par sa mort ? Et en plus…

Lupis était gentille, pour le meilleur et pour le pire. Mais surtout, elle était assez intelligente. Si elle était idiote, elle aurait simplement tenu sa promesse envers Ryoma et l’aurait envoyé ailleurs. Si elle était une personne plus vile, elle n’aurait pas tenu sa promesse et aurait ordonné son assassinat.

Son intelligence l’empêchait de l’envoyer hors du pays, mais sa gentillesse lui interdisait de le faire assassiner. Et en même temps, ils ne pouvaient pas laisser ce vagabond être nommé au poste de chevalier.

***

Partie 2

Mais il y avait une autre raison pour laquelle la princesse Lupis n’avait pas choisi l’option de l’assassinat. Une raison qu’elle gardait cachée dans son cœur à tout prix…

Si nous choisissons de le faire assassiner, nos chevaliers peuvent-ils vraiment le tuer ? Et si… Et s’ils échouent, et qu’il réalise que c’est moi qui l’ai ordonné…

Bien sûr, l’armée du royaume réunie pourrait facilement vaincre Ryoma Mikoshiba à titre individuel. Un homme ne peut pas tenir tête à un pays. Mais il pourrait s’échapper. Si l’on y pense rationnellement, la probabilité qu’il réussisse à s’échapper était inférieure à une sur dix mille.

Mais elle n’était pas nulle.

Et elle sentait que Ryoma Mikoshiba avait quelque chose qui allait lui permettre d’atteindre cette probabilité. Tout comme il avait fait de Lupis la reine de ce pays…

Cet homme… Il ne me pardonnera jamais…

Cette peur liait le cœur de Lupis comme une chaîne.

« Mes excuses, Votre Altesse… le Seigneur Sudou souhaite vous parler. Dois-je le faire entrer ? »

Le silence qui régnait entre Lupis et Meltina fut troublé par une servante qui frappa à la porte. Meltina confirma que Lupis avait fait un signe de tête en signe d’affirmation.

« Laissez-le passer. », dit Meltina.

La porte s’était alors ouverte, et Sudou était entré, vêtu d’une tunique de noble.

« Mes excuses, Votre Altesse… Oh ? Vous avez l’air très inquiète », dit Sudou en entrant.

« Cela n’est pas convenable… De tels nuages sombres au-dessus de votre beau visage. C’est peut-être présomptueux de ma part, mais je pourrais vous donner mon avis, si vous le souhaitez, Votre Altesse… Non, pardonnez-moi. Votre Majesté. »

Il n’avait jamais été un homme très maniéré, mais cette fois il était allé trop loin.

« Comment osez-vous parler à Son Altesse si impoliment ?! »

Meltina dégaina son épée.

Peu de gens lui reprocheraient sa mauvaise humeur vu la situation. L’attitude de Sudou était bien trop impolie pour être utilisée devant la royauté.

« Range ton épée, Meltina… Sudou. Vous devriez apprendre l’étiquette. Je vais passer outre cette fois, mais la prochaine fois, vous n’aurez pas autant de chance », dit Lupis de façon menaçante.

Sudou inclina la tête respectueusement devant ses paroles, bien que tous deux comprirent que ce n’était que pour la forme.

« Bien… Alors, à quoi dois-je votre visite ? Je suis très occupée, alors soyez bref. »

Lupis autorisa Sudou à s’asseoir, il alla droit au but.

« Ne vous inquiétez pas, je ne prendrai pas beaucoup de votre temps. J’ai simplement pensé que vous sembliez préoccupé par les conséquences de la guerre et j’ai pensé que je pourrais dissiper certaines de vos préoccupations, en supposant que vous m’accordiez le temps nécessaire. »

Lupis échangea un regard avec Meltina. Elle ne comprenait pas bien ce que disait Sudou. Mais Meltina était elle aussi prise au dépourvu et ne trouvait pas les mots justes.

« Je vois… C’est très encourageant… Mais savez-vous au moins ce qui me tracasse, Sudou ? », dit Lupis avec suspicion.

« Certainement. Ou plutôt, je suis sûr que toute personne ayant un peu d’observation arriverait à cette conclusion… Vous ne savez pas comment gérer le cas Ryoma Mikoshiba et cela vous inquiète, n’est-ce pas ? »

Lupis supprimait désespérément le frisson qui la traversait. En tant que souveraine d’un royaume, elle ne pouvait pas exprimer ses angoisses aussi clairement.

Ne fais pas ça, Lupis ! Tu ne peux pas laisser cet homme voir à travers toi. Calme-toi… Reste calme !

« Qu’est-ce que vous voulez dire, Sudou ? »

Lupis tourna sa tête tout en l’interrogeant, comme si elle demandait pourquoi il disait ça.

Bien sûr, du point de vue de Sudou, son jeu était comparable à celui d’un acteur de troisième ordre.

« Mon Dieu… J’avais donc tort… Alors je m’excuse d’avoir pris un peu de votre précieux temps. », dit Sudou en se levant.

Lupis et Meltina pâlirent.

« Attendez, Seigneur Sudou… Son Altesse a pris le temps, malgré son emploi du temps chargé, d’écouter ce que vous avez à dire. Comment osez-vous partir de votre propre chef ?! », Meltina arrêta Sudou avec justesse.

L’esprit de Meltina était de même niveau que celui d’un gamin espiègle selon Sudou.

« Pardon ? Mais si les préoccupations de Son Altesse n’ont rien à voir avec Ryoma Mikoshiba et son traitement… Alors ma présence ici n’a pas de sens. Je ne peux pas prendre plus de son précieux temps. Dans ce cas, je devrai vous demander pardon. »

En apparence, ses paroles semblaient bien modestes, mais un seul regard sur les yeux de Sudou fit comprendre que ce n’était pas sa véritable intention. Il taquinait Lupis et Meltina. Lupis était très intéressée par ce qu’il avait à dire, car cela pouvait l’amener à trouver un moyen de sortir de cette impasse. Mais elle ne pouvait pas laisser échapper le fait qu’elle hésitait sur la façon de répondre à la question du traitement de Ryoma Mikoshiba.

« C’est vrai… Sudou, je vais vous écouter, puisque j’ai déjà renoncé à une partie de mon temps pour vous. Parlez », ordonna Lupis à Sudou, en s’efforçant d’être le plus direct possible.

« Je vois. Eh bien, puisque je suis déjà là… »

Sudou décida que c’était le bon moment et s’assit sur le canapé tout en ricanant et en écartant ses lèvres pour parler.

« Eh bien, je pense qu’il est clair que la question de savoir comment gérer Ryoma Mikoshiba est compliquée étant donné la situation. S’il était loyal envers le royaume, vous pourriez le faire chevalier, mais c’est un mercenaire, donc ça complique les choses. Mais cela dit, le laisser quitter le pays est un risque en soi, car il pourrait rejoindre le camp d’un autre pays, tout comme il a rejoint le vôtre… On ne sait pas quand il pourrait se retourner contre Rhoadseria. »

Alors qu’il parlait, les yeux des deux femmes s’élargirent de surprise. Il avait deviné leurs préoccupations avec une précision extrême.

« Vous ne pouvez pas le faire chevalier, mais vous ne pouvez pas non plus le renvoyer. De plus, vous ne pouvez pas le faire tuer… Tuer un homme avec autant de mérites à son nom peut vous aider pendant un temps, mais vous causerait des problèmes à l’avenir. »

Sudou s’arrêta de parler, et examina l’expression de Lupis avec un regard tourné vers le haut.

Hmm… C’est vraiment trop pour elle, comme je le pensais. Eh bien, un homme qui peut combattre Shardina à niveau égal est en effet au-delà de la capacité de contrôle de cette femme… Cependant…

Les yeux de Sudou avaient froidement jaugé les capacités de Lupis.

« Hmm… Et ? Comment comptez-vous résoudre ce problème ? » dit Lupis, feignant le désintérêt.

Elle savait qu’il ne servait à rien de le cacher, mais elle s’y accrochait.

« Vous ne pouvez pas en faire un chevalier, et vous ne pouvez pas le laisser partir pour un autre pays. Alors, fais-en simplement un noble. »

Sudou sourit.

Lupis avait été abasourdie par ses paroles, tout comme Meltina, qui se tenait à ses côtés.

« Impossible… » Meltina avait du mal à mettre en mots ce qu’il venait de dire.

« Qu’est-ce que vous dites, imbécile ? Faire d’un roturier… Un mercenaire vagabond… un noble ? »

Sudou fit un signe de tête.

« Nous prenez-vous pour des imbéciles ?! »

Le cri de Meltina résonnait dans la salle.

« On ne peut pas faire ça ! Non… Même si nous le pouvions, les nobles n’accepteraient jamais ça ! Qui accepterait qu’un roturier soit devenu noble ?! Faire de lui un chevalier est plus réaliste que ça ! »

Lupis ne pouvait qu’acquiescer.

« Et qu’en est-il de son territoire ?! Avez-vous l’intention de lui donner un des territoires de la maison royale ?! »

Les nobles avaient besoin de territoires pour gouverner. Bien sûr, il était possible de donner une partie des terres sous le contrôle direct de la maison royale et celles obtenues pendant la guerre civile. Mais cela signifierait que la maison royale ne se renforcerait pas de cette façon. Lupis avait l’intention d’utiliser la guerre civile comme une chance d’unifier le pays entièrement sous sa souveraineté, et elle avait besoin de terres pour y parvenir.

Avec plus de terres sous son contrôle, la maison royale se développerait financièrement et en termes de population. Cela lui donnerait la force de se battre avec les chevaliers à ses côtés si les nobles s’unissaient à nouveau contre elle.

Mais entre ces aspirations et les sentiments des nobles envers les roturiers, faire de Ryoma un nouveau noble était impossible.

Sudou avait déjà prédit ces appréhensions. Il sortit une carte de sa poche et l’étendit sur la table.

« Qu’est-ce que c’est ? Une carte de la partie orientale du continent occidental ? », demanda Lupis.

Sudou fit un signe de tête et posa son doigt sur un seul point de la carte.

« Faisons de Sire Mikoshiba le gouverneur de ce territoire. Qu’en dites-vous ? Si c’est celui-ci, cela n’enlèvera pas de territoires à la maison royale, et aucun des nobles ne devrait s’y opposer… De plus, il y a peu de chances qu’une rébellion éclate là-bas. Quant à son titre… Hmm. Et si on lui donnait le titre le plus bas possible et qu’on en faisait un baron ? Bien qu’en termes de taille de son territoire, il devrait probablement être duc, mais l’endroit étant ce qu’il est… »

La proposition de Sudou avait laissé Lupis et Meltina sans voix. Le territoire qu’il spécifiait était une immense bande de terre, environ un huitième du territoire total de la Rhoadseria. Donner autant de terres à un roturier qu’on venait de rendre noble serait une folie dans toute autre situation. Mais comme l’avait dit Sudou, il n’y avait aucune chance que les nobles s’y opposent. Après tout, absolument personne n’était intéressé à gouverner cette terre…

« La péninsule de Wortenia… » Les mots sortirent des lèvres de Lupis.

La roue du destin commença à tourner pour Ryoma Mikoshiba…

Allongé sur son lit dans le château de Pireas, Ryoma regardait fixement en l’air.

Alors voilà comment ça se termine, hein… Je suppose que j’ai après tout fini par être naïf…

L’expression du visage raide de la Princesse Lupis fit surface dans l’esprit de Ryoma.

Ce matin-là, il avait été convoqué pour une audience avec la princesse Lupis. Là, il avait reçu le titre de baron et le droit de gouverner sur la péninsule de Wortenia. C’était quelque chose que Ryoma n’avait pas du tout prévu. Il était en effet sur le point de proposer aux sœurs Malefist de faire leurs bagages et de quitter le pays.

Il n’avait cependant pas refusé la récompense. Tout simplement parce que Ryoma avait compris. Il vit la peur cachée derrière les yeux de Lupis…

Si Ryoma devait refuser la récompense, Meltina ordonnerait immédiatement aux gardes de la salle de l’attaquer. Ils craignaient Ryoma à ce point. Et ayant compris cela, Ryoma évita de donner une réponse immédiate. Sa priorité était de découvrir quel était le piège ici.

Même si je ne peux pas dire non, il y a des moyens de régler ça… D’abord, je dois trouver quel est leur angle d’attaque.

Ryoma supprima les doutes qui s’élevaient en lui, et exprima sa gratitude à la princesse Lupis. Il devait le faire, s’il voulait laisser le public en vie…

La péninsule de Wortenia, hein… ? C’est vraiment un drôle de tour que cette petite salope m’a joué…

Se rappelant les événements de ce matin-là, Ryoma maudit Lupis dans son cœur. Il n’y avait personne d’autre que lui dans cette pièce. Il fit sortir de la pièce même les sœurs Malfist, qui l’attendaient toujours, et prit le temps de contempler les choses.

La lumière rouge du crépuscule se déversait de la fenêtre, peignant Ryoma en rouge. Son expression était aussi froide que la glace, mais ses yeux brûlaient de sombres flammes de colère.

Il était enragé d’avoir été amèrement trahi par une personne en qui il avait confiance. Il gardait son cœur en éveil, mais la haine de Lupis continuait à bouillonner en lui, parallèlement à l’autodévalorisation. Il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir d’être assez bête pour croire une personne aussi stupide qu’elle.

Ces deux émotions s’étaient mélangées, faisant rage dans le cœur de Ryoma. Comme ce serait facile s’il pouvait simplement mettre ces émotions en voix et crier. Mais Ryoma ne pouvait pas se permettre de laisser ces sentiments se manifester. Au moins pour le moment… Après tout, le propriétaire de ce château, et la future reine de ce pays l’avait trahi.

Les murs ont des oreilles, après tout… Je ne peux pas être trop prudent ici… Et on ne sait pas s’il y a des judas dans cette pièce. Ce serait une mauvaise nouvelle s’ils remarquaient que je suis mécontent ici. Cette situation est bien pire que lorsque j’ai tué ce type, Gaius…

Les faits refirent surface dans l’esprit de Ryoma l’un après l’autre. S’échapper de l’Empire O’ltormea était difficile, mais il avait eu beaucoup de choses en sa faveur. Mais cette fois-ci, ce n’était pas comme ça. Les conditions étaient trop différentes. Il n’y avait aucun moyen réaliste pour lui de s’échapper.

***

Partie 3

Pour commencer, mon visage et mon nom sont trop connus… Et même si je m’échappais de cet endroit, Lupis n’aura besoin qu’à aller à la guilde, et cela me causera de toute façon des problèmes… Au pire, je ne pourrai pas obtenir de travail auprès de la guilde.

C’était la lettre de Lupis qui avait poussé la guilde à gracier le groupe de Ryoma, prouvant ainsi leur innocence. Mais en d’autres termes, si Lupis disait : « Je ne sais rien de cette lettre » ou « On m’a demandé d’écrire une lettre fallacieuse », tout pourrait être renversé. Toute innocence acquise grâce aux paroles de Lupis pourrait perdre sa crédibilité avec un seul témoignage contrasté de sa part.

Merde… Le fait que la famille royale ait tout ce pouvoir ne fait que tout compliquer…

Se rappeler comment il se réjouissait de voir leur innocence prouvée le rendait malade. Peut-être que c’était ce qu’il méritait pour avoir méprisé l’autorité de la royauté. Pour le meilleur ou pour le pire, la force d’un pays est vaste. C’était une puissance qui pouvait tout aussi bien permettre de dire que le ciel était vert et que l’herbe était bleue.

J’aurais dû quitter ce pays dès que j’ai pu… Mais non, cela n’aurait pas été possible. Ils ont des chevaliers qui veillent sur moi 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, prêts à me tuer si j’essaie de m’échapper… Bon sang ! Je suis vraiment un idiot inconscient… Je n’aurais pas dû avaler les paroles stupides de Lupis. « Je veux que vous voyiez le moment où je serais couronnée », a-t-elle dit ! Cette salope est effrontée et condescendante…

Il avait l’intention de quitter le pays dès la fin de la rébellion, c’était pourquoi Ryoma avait pris tous les moyens possibles pour gagner. Il avait évité d’établir des liens inutiles avec les nobles, et avait réprimandé sans hésitation tout ce qui allait à l’encontre de la volonté de Lupis. Il ne se souciait littéralement pas du regard qu’il portait sur tous ceux qui l’entouraient.

Mais la dette de ces actions pesait désormais sur lui, et elle était effectivement très lourde. Cela faisait maintenant plus d’un mois que la guerre civile avait pris fin, et Ryoma restait dans le château même si sa revendication auprès de la guilde était complète. Tout cela parce que la reine Lupis l’avait poussé à le faire.

Le premier indice de Ryoma n’était qu’un signe d’anxiété, la peur de devoir assumer les responsabilités d’un pays. Avec Mikhail, son confident, désormais assigné à résidence, Ryoma pensait que son séjour dans le pays pourrait atténuer une partie de son stress. Et cette petite pointe de sympathie était revenue pour le mordre vicieusement.

Cela fait plus d’un mois que la rébellion a pris fin… Et maintenant, c’est moi qui suis entièrement dos au mur.

Ryoma passa la plus grande partie de ce mois dans sa chambre au château. Il se régalait d’une nourriture abondante, puis il transpirait en pratiquant les arts martiaux contre Lione ou les sœurs Malefist. S’il lui restait vraiment trop de temps libre, il parlait à Boltz ou à Gennou d’un sujet insignifiant ou d’un autre.

C’était les premiers jours qu’il passait depuis qu’il avait été appelé en ce monde où son cœur était vraiment en paix.

Mais tout cela était basé sur son projet de quitter le pays. Si Ryoma avait pris en compte le fait qu’il devait rester à Rhoadseria, il n’aurait pas passé ces jours aussi oisivement.

En ce moment, Ryoma avait besoin de silence pour affronter son propre cœur. Ryoma analysa la situation en silence, mais avec certitude.

Je n’aurais jamais pensé qu’elle romprait sa promesse… Non, j’ai délibérément ignoré cette possibilité… Je suppose que je l’ai sous-estimée… Ou plutôt, j’ai surestimé sa gentillesse…

Il pouvait dire qu’elle avait peur de lui, et c’était en partie pour cela que Ryoma n’avait pas l’intention de rester. Mais ce n’était pas suffisant pour faire disparaître la peur de Lupis.

La péninsule de Wortenia… Honnêtement, c’est une sacrée promotion. Mais je ne vois pas Lupis faire ça pour moi en ce moment… Après tout, faire d’un roturier un noble susciterait beaucoup de résistance. Et le droit de Lupis au trône est instable, il n’y a donc aucune chance qu’elle fasse de moi un noble maintenant… À moins qu’il y ait un piège.

Ryoma avait reçu un titre de noble et un territoire. Normalement, ce serait un grand honneur, mais Ryoma n’avait pas été assez bête pour l’accepter au pied de la lettre. Sans aucun avertissement, la Reine Lupis était allée à l’encontre de sa promesse et lui avait imposé un titre et un territoire. Si elle avait vraiment voulu que Ryoma Mikoshiba lui prête sa force, elle ne s’y serait pas prise de cette façon.

Il aurait été raisonnable de lui dire directement qu’elle voulait que sa force aille de l’avant. Mais entre sa propre situation, le statut actuel du royaume de Rhoadseria et l’attitude de la reine Lupis et la façon dont elle le regardait, Ryoma pouvait reconstituer sa véritable intention.

Je comprends… Elle veut me garder coincé, pour me sceller.

Cela n’avait aucun sens pour quelqu’un qui avait si peur de lui d’en faire un noble. Dans ce cas, si elle devait en faire un noble, il était probable qu’elle lui imposerait une sorte de restriction.

La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la péninsule de Wortenia elle-même… Il y a de fortes chances que l’endroit lui-même soit d’une manière ou d’une autre problématique. Par exemple, elle pourrait être limitrophe d’un autre pays, donc en conflit constant, ou quelque chose comme ça… Mais comme ils veulent me pousser à bout, je ne peux pas dire non. Il me faut une raison pour refuser… Une raison légitime… Alors, comment en trouver une ?

Il lui faudrait une très bonne raison pour refuser un titre et une parcelle de terre qui lui avaient été donnés par une reine sans que cela ne ternisse son honneur. Refuser sans raison traînerait son nom dans la boue. Naturellement, Ryoma ne se souciait pas du tout de la dignité de Lupis à ce stade, mais que se passerait-il s’il le faisait quand même ? Lupis le ferait simplement tuer par dépit.

Qu’il accepte l’offre ou la rejette, tout ce qui attend Ryoma sera l’enfer.

« Au final, je suis juste… faible. »

Les mots d’autodérision échappèrent à Ryoma.

Ryoma était écrasé par l’autorité massive d’un pays. Il pouvait la battre en tant qu’individu, mais il ne pouvait pas défier ses ordres. Même s’il essayait, cela ne lui servirait à rien. Cela signifiait simplement que Ryoma était plus faible que Lupis.

Mais alors que devrait-il faire ?

La seule chose qui puisse s’opposer à un pays… c’est un autre pays.

Une idée avait surgi dans l’esprit de Ryoma.

« Vous semblez préoccupé, seigneur. »

La voix de quelqu’un fit sortir Ryoma de ses pensées.

Ryoma se leva rapidement de son lit et regarda fixement le propriétaire de la voix.

« Comment es-tu entré ici, Genou ? »

« Par cette porte là-bas… je suppose que j’ai négligé de frapper en premier. »

Genou répondit calmement.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne t’ai pas appelé. »

« Franchement, pas besoin d’être comme ça, seigneur. »

Reprenant les paroles de Ryoma, Genou s’était assis sur une chaise.

« J’ai pris la liberté de confirmer la situation par moi-même. La péninsule de Wortenia… On vous a imposé un terrain assez difficile… »

« Comment le sais-tu ? » Les yeux de Ryoma s’étaient rétrécis.

Il n’en avait même pas parlé aux sœurs, et pourtant ce vieil homme le savait.

« Les basses besognes sont mon gagne-pain, seigneur. Chercher des informations comme celles-ci est un jeu d’enfant pour moi. »

« Oui… Je suppose que c’est vrai. »

Ryoma fit un signe de tête.

C’était un clan de Shinobi. Obtenir des informations était une seconde nature pour eux.

« Ne vous attardez pas sur ça… Les jumelles me l’ont demandé. Elles ont dit que votre comportement aujourd’hui était étrange, et elles ont demandé que Sakuya et moi nous en occupions. »

« Les jumelles vous ont demandé de faire ça ? »

Genou fit un signe de tête profond. Selon toute vraisemblance, les sœurs Malfist avaient remarqué le changement d’expression de Ryoma et avaient demandé de l’aide à Genou. Leur attention et leur considération étaient louables.

« Alors vous comprenez la situation ? » demanda Ryoma, en soupirant tout le temps.

« Oui… »

Genou caressa sa moustache.

« C’est une énigme gênante, en effet. Mais d’une certaine manière, c’est aussi un coup de chance. »

« De la chance ? Tu appelles ça de la chance ?! » Ryoma éleva la voix malgré lui.

Le complot de Lupis était évident, et il était anxieux à propos de la terre qu’il était forcé d’accepter. Chaque facteur de cette affaire était entouré d’incertitude. Mais Genou secoua la tête en silence.

« Monseigneur… Acceptez l’offre de Lupis, ses arrière-pensées et tout le reste. Et utilisez-la pour renforcer vos forces. »

Ryoma ne pouvait pas facilement accepter les mots de Genou. Il avait lui-même envisagé cette idée, mais il y avait un facteur sur lequel Ryoma n’avait absolument aucun contrôle par lui-même.

« Ne nous faites-vous pas confiance ? »

Les mots de Genou allaient droit au but, comme s’il avait lu les sentiments de Ryoma dans son expression.

« Nous avons déjà décidé ce que nous voulons faire. Lione et Boltz, et bien sûr les jeunes filles et nous… »

Sur ces mots, la porte de la chambre s’était ouverte, et Lione, Boltz, Sakuya et les jumelles entrèrent dans la chambre.

« Vous l’avez entendu… Pourquoi ne m’as-tu pas demandé de venir, mon garçon ? »

« On te suivra partout, mon garçon ! »

Comme l’avait dit Genou, il semblerait qu’ils avaient déjà pris leur décision collective. Ryoma sentit son expression se relâcher.

« Je veux dire, je ne peux rien promettre… Je suis juste un roturier qui n’a pas la moindre idée de comment gouverner une province. »

Genou hocha la tête en silence. Malgré cela, ils croyaient toujours en Ryoma Mikoshiba.

« Et quoi encore ! Dire qu’elle te traite comme ça après toute l’aide que tu lui as apportée… je vous jure que les nobles sont tous une bande de vrais merdeux ! » dit Lione, reflétant les pensées de toutes les personnes présentes.

Ils s’étaient alors tous rassemblés autour de la table, commençant à planifier leur prochaine étape. La plus grande priorité pour le moment était sa réponse à Lupis demain. La date limite était demain à midi. D’ici là, Ryoma devait décider s’il acceptait le titre et le terrain. Il devra probablement rester debout toute la nuit pour trouver une contre-mesure.

« Je suppose qu’elle a sa position à prendre en considération », déclara Ryoma avec une certaine froideur dans la voix.

Il pourrait se permettre de laisser sa colère se manifester un peu plus.

« Ça ne t’énerve pas ? »

Lione jeta un regard inquisiteur sur Ryoma.

« Eh bien, oui… J’étais énervé au début. Mais s’ils doivent être comme ça, je n’ai pas non plus à leur montrer de pitié », sourit Ryoma.

Au moment où Lione avait vu ce sourire, elle sentit quelque chose de froid se glisser le long de sa colonne vertébrale. C’était le sourire d’un démon. Un sourire rempli de malice et de haine… Né d’une profonde obscurité, plein d’ambition.

Je comprends d’où tu viens, Lupis… Mais tu m’as trahi… Alors je vais m’assurer que tu en paies le prix ! Et puis…

Dans ce monde, seuls les forts survivent. Et les pays étaient l’une des forces les plus importantes de ce monde. On pouvait être aussi habile et spirituel qu’on le souhaitait, mais on ne pouvait pas s’opposer à la puissance d’un pays. Seul un pays pouvait vaincre un autre pays, mais créer un autre pays comme ceux qui existaient déjà dans ce monde n’auraient aucun sens.

L’image que se faisait Ryoma de ce que serait un pays idéal était encore floue, et sa forme était loin d’être étoffée.

Mais avec ces gars à mes côtés…

Cette nuit-là, la lanterne qui illuminait la pièce n’avait été éteinte qu’à l’aube.

« Et c’est tout… Vous comprenez, Votre Altesse ? », demanda Sudou à la princesse Shardina, qui était assise sur la chaise en face de la sienne.

L’endroit était le bureau de Shardina dans la capitale d’O’ltormea. Sur son bureau était posé le rapport intérimaire de Sudou détaillant son infiltration à Rhoadseria.

« Je vois, donc tout se passe bien dans l’ensemble pour l’instant… Il y a eu quelques facteurs imprévisibles, mais il semblerait que l’affaiblissement de Rhoadseria ne soit pas un problème… Est-ce que quelque chose vous a marqué dans cette conversation, Saitou ? »

Shardina se tourna vers Saitou, qui se tenait à ses côtés.

« Grâce à Monsieur Sudou, nous avons réussi à avancer avec des révisions minimales du plan. Si le duc Gelhart mourait, la princesse Radine, qu’il soutenait, serait également éliminée en tant que rebelle. Donc le fait que vous ayez réussi à sortir de cette situation avec les deux vivants… Je ne peux que vous applaudir, comme toujours. Gelhart mis à part, Radine était une marionnette qui nous a coûté beaucoup d’argent. »

« Non, non, je n’étais pas le seul à avoir fait des efforts. »

Sudou sourit à l’éloge qu’il venait de recevoir.

***

Partie 4

« Cette princesse… Je suppose qu’elle est une reine maintenant. Tout se résume à sa folie. Aussi proche qu’il puisse être d’un assistant, accorder autant de valeur à la vie d’un seul chevalier est vraiment un acte de stupidité. »

Sudou parla modestement, mais ses yeux brillèrent de confiance en l’efficacité de ses stratagèmes. Peut-être s’agissait-il d’une démonstration de cette forme particulière de retenue si caractéristique des Japonais, même s’il ne s’agissait que d’une façade de surface.

Shardina savait très bien que Sudou était un homme confiant et hautain. Son attitude arrogante en était le symbole.

« Elle est assez intelligente, mais manque de détermination… En bref, c’est une personne gentille et stupide. »

L’évaluation de Lupis par Sudou avait été impitoyable. Il la méprisait du fond du cœur.

« Oui, j’ai regardé le rapport… Vraiment, à quoi pensait-elle… Bien que je suppose qu’il est bon pour nous que l’ennemi soit stupide. Bien que si elle devient trop stupide, lui faire face deviendra problématique. »

Shardina haussa les épaules avec un sourire.

Sudou fit un signe de tête aux mots de Shardina, tandis que Saitou grimaça avant de se séparer les lèvres pour parler.

« Je penserais qu’un adversaire qui résiste trop pouvait être d’une gênant à sa façon, non ? »

« Vous voulez dire lui… Oui… Je le sais ! Cet homme trouve toujours un moyen de se mêler de nos plans. J’en ai marre de lui ! »

Se rappelant cet homme au visage large et mature, Shardina secoua la tête d’agacement.

On pouvait difficilement lui en vouloir. Cet homme était le seul sujet dont elle souhaitait qu’on ne parle jamais devant elle.

« À en juger par le rapport de M. Sudou, cet homme a été mêlé à tout cet incident par hasard… », dit Saitou.

« Il n’y a pas pris part dans l’intention de se mêler des plans de l’Empire… »

« Et c’est ce qui m’irrite d’autant plus ! Je me demandais où il s’était enfui, et je découvre qu’il participe à la guerre civile rhoadserienne ! Et par coïncidence, à ce moment-là ! Il a failli faire échouer nos plans sans même le savoir ! Quel est cet homme, une sorte de malédiction jetée contre nous ?! », dit Shardina en élevant la voix.

« Peut-être pourriez-vous l’appeler le destin… » dit Sudou avec un sourire plein de sens.

« L’homme qui a tué Gaius a fini par se mettre en travers du plan proposé par Gaius… »

« Le destin, eh… » Shardina poussa un soupir.

La guerre civile rhoadserienne faisait partie du plan d’O’ltormea pour conquérir les régions de l’est, prévue à l’origine par feu Gaius. L’Empire gouvernait les régions centrales du continent occidental, et le nord était sous le contrôle du royaume d’Helnesgoula. L’ouest était sous le contrôle du Saint Empire de Qwiltantia. Actuellement, O’ltormea complotait pour envahir l’est tout en faisant face à la pression des deux autres pays.

Cette guerre à trois avait duré une vingtaine d’années, et lorsque deux pays commençaient à se faire la guerre, l’autre en profitait directement. Cela était évident pour tous, et la tension entre les trois pays ne connaissait donc pas de fin. Ils se regardaient de l’autre côté de la frontière, attendant avec vigilance qu’une ouverture se présente. Il était évident qu’un pays tiers pouvait éventuellement intervenir.

C’est pourquoi Gaius, qui était un magicien de la cour et un stratège de l’empire, proposa un certain complot pour sortir de cette situation. Aucun des deux autres pays n’avait le pouvoir de vaincre O’ltormea, mais s’allier avec l’un d’eux pour attaquer l’autre n’était pas réaliste. Les trois pays avaient des rancunes de longue date et des réseaux compliqués d’intérêts particuliers pour empêcher toute chance d’alliance.

C’est pourquoi Gaius avait tourné son regard vers les régions orientales du continent. Quiconque envahissait et conquérait l’Est acquérait une avance en termes de pouvoir national sur les deux autres pays. Gaius avait donc utilisé son réseau de renseignements pour se concentrer sur les régions orientales. Les régions du sud étaient très disputées et divisées entre quinze petits pays. Les soldats de ces pays étaient bien entraînés et organisés grâce à des escarmouches constantes et répétées.

Mais par rapport à cela, les régions orientales étaient gouvernées par les trois pays suivant : Myest, Rhoadseria et Xarooda. Tous trois avaient de longues histoires, mais relativement peu d’expérience de la guerre.

Pour couronner le tout, le système de classes était particulièrement dur dans ces pays, et l’influence des nobles allait loin. Ils avaient tendance à exploiter les roturiers. Cela signifiait qu’en occupant leurs terres, une réduction d’impôt suffirait à satisfaire les roturiers.

Le plan de Gaius fut immédiatement approuvé et ordonné par l’empereur. Et la première étape dans ce plan fut cette stratégie employée contre Rhoadseria, qui bordait Xarooda. Le fait qu’ils n’aient pas commencé à agir immédiatement contre leur voisin direct, Xarooda, fut un coup de génie de la part de Gaius.

La force de chacun des trois pays de l’Est était insignifiante comparée à celle d’O’ltormea, mais s’ils devaient unir leurs forces, même l’empire ne pourrait pas les battre facilement. Et donc, pour maintenir la division entre les pays, ils décidèrent de déclencher la rébellion dans Rhoadseria.

« Il y a deux ans de cela, Sudou trouva Radine sur l’ordre de Gaius. Nous avons alors progressivement affaibli le dernier roi, Pharst II, avec du poison, faisant croire qu’il se mourait de maladie. Et puis cet homme est arrivé, juste au moment où nous étions prêts… À cause de lui, Gaius est mort et ce complot a failli être enterré… Je suppose qu’on peut appeler ça le destin… », déclara Shardina.

Gaius, en convoquant Ryoma Mikoshiba, avait mis tous leurs plans hors d’usage.

« En effet… »

Saitou fit un signe de tête profond.

« Et ? Que lui est-il arrivé ? »

« Ryoma Mikoshiba, ah oui… Cet homme est un vrai casse-tête… En le regardant de près, on pourrait dire que tout s’est passé comme prévu, mais… »

Les paroles de Sudou s’étaient envolées.

Son expression montrait clairement qu’il doutait des choix qu’il avait faits.

« Quoi ? Tu lui as imposé la péninsule de Wortenia ? »

« Je l’ai fait… Tout s’est passé comme je l’avais prévu, mais cet homme… Il a commencé à poser des conditions supplémentaires à la dernière minute. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Shardina avec surprise. Il a reçu le titre de baron et la terre de la péninsule de Wortenia… Quelles autres conditions a-t-il posées ? »

« C’était une autre démonstration de ses capacités. Sa façon de parler a vraiment entaché ses faiblesses, ne laissant à Lupis d’autre choix que d’accepter… »

Sudou hocha la tête avec une expression sérieuse.

Et avec cette introduction, Sudou commença à relater ce qui s’était passé lors de cette audience fatidique…

Ce jour-là, Ryoma avait rapidement accepté la convocation qu’il avait reçue dans la salle d’audience de Lupis.

« C’est un peu tôt, n’est-ce pas, Mikoshiba… Qu’allez-vous me répondre ? » demanda Lupis, l’expression raide.

« Oui, Votre Majesté… J’ai été très heureux de recevoir votre offre, et si c’était possible, je serais heureux de vous rendre service, mais… »

Les paroles de Ryoma s’éloignèrent, et il dirigea son regard vers Lupis. Ses yeux ne contenaient aucune trace de la rage qu’ils avaient hier, mais étaient plutôt remplis de pur respect pour la reine.

« Dois-je comprendre que vous refusez, Mikoshiba ? »

La voix de Lupis devint basse et froide.

Une reine avait proposé de faire d’un roturier un noble. Il devrait ramper sur le sol en signe de gratitude, mais l’homme qui se trouvait devant elle laissait entendre qu’il voulait refuser. Elle n’avait rien dit, mais son attitude fit comprendre à Ryoma ce qu’elle avait dans son cœur.

Hmph… Stupide salope.

Ryoma retint le désir de la maudire et continua ses paroles, feignant la tristesse.

« Non, que périsse cette pensée… Je suis très impressionné par votre générosité, Votre Majesté, mais… »

« Mais quoi ? »

« Avant d’accepter votre gracieuse proposition, j’aimerais confirmer certaines choses avec vous… Et jusqu’à ce que je puisse entendre vos réponses, je crains de ne pas pouvoir prendre de décision… »

Les mots évasifs de Ryoma firent ressortir l’irritation de Lupis.

Meltina, qui se tenait à côté du trône, chuchota aux oreilles de Lupis.

« Votre Majesté… Je pense que vous devriez au moins écouter ce que cet homme a à dire… Ce serait mieux que de le voir tourner autour du pot comme ça… »

« Très bien… Que voulez-vous savoir, Mikoshiba ? »

Ryoma inclina la tête avec une digne gratitude pour avoir reçu la permission.

« Je voudrais d’abord vérifier quelque chose… Quel est votre degré de connaissance de l’état actuel de la péninsule de Wortenia ? »

« Que voulez-vous dire ? »

L’expression de Lupis s’assombrit.

Meltina, qui se tenait à côté d’elle, fit également une grimace.

« Bien sûr, je ne peux pas prétendre en savoir beaucoup moi-même, mais cette péninsule de Wortenia… est une région plutôt problématique. »

« Mon Dieu… Est-ce que c’est le cas ? » demanda Lupis, donnant l’impression que c’était la première fois qu’elle en entendait parler.

Elle n’était pas assez idiote pour répondre honnêtement à la question de Ryoma, mais là encore, Ryoma supposait qu’elle ferait l’idiote ici.

« Malheureusement, oui… Dès que j’ai reçu votre proposition, j’ai cherché aussi vite que possible, mais… »

Ryoma a jeté un coup d’œil approfondi à Lupis.

« La péninsule de Wortenia est située à l’extrémité nord de Rhoadseria, et sa taille est environ un huitième de celle du royaume… Au vu des autres territoires, sa taille est excessive… Mais il y a beaucoup de problèmes ici… »

Ryoma avait alors commencé à énumérer les problèmes de la péninsule, comme suit.

Tout d’abord, elle servait de zone neutre où les criminels de Rhoadseria étaient exilés. En tant que telle, elle n’avait absolument aucun citoyen à qui réclamer des impôts.

Deuxièmement, la péninsule de Wortenia était un terrain fertile pour de multiples souches de monstres puissants, ce qui rendait la vie des gens ordinaires extrêmement difficile.

Troisièmement, il y avait des rumeurs constantes de tribus de demi-hommes vivant dans la péninsule qui étaient antagonistes aux humains.

Quatrièmement, ses régions côtières servaient de fief aux pirates.

Cinquièmement, elle bordait le pays voisin de Xarooda, ce qui en faisait un lieu d’escarmouches incessantes.

C’était les cinq problèmes que Ryoma avait mentionnés. Chacun d’entre eux était un problème difficile à résoudre, le premier et le second étant particulièrement mortels. Cela signifiait que Lupis voulait lui accorder un terrain où il ne pourrait pas percevoir d’impôts.

Si l’on considérait que les revenus d’un noble provenaient des impôts qu’il perçoit auprès de son peuple, on voyait bien à quel point cette affaire était difficile. Cette terre ne faisait pas vraiment partie du territoire de Rhoadseria au départ. Sur le papier, la péninsule de Wortenia faisait partie du royaume de Rhoadseria, mais elle ne le dominait pas dans les faits. Il n’y avait après tout aucun habitant, il n’y avait donc personne sur qui gouverner.

Lorsque Ryoma l’avait appris après avoir passé une nuit à lire des documents de la bibliothèque, son expression était celle d’un démon enragé. C’était, en quelque sorte, la preuve tangible de la malveillance de Lupis. Mais Ryoma n’avait pas montré ces émotions devant elle. Le moment d’afficher sa colère et sa haine viendra quand il deviendra plus fort qu’elle.

« Je vois. Je n’en attendais pas moins de vous, Seigneur Mikoshiba… » dit Meltina à la place de Lupis, qui s’était tue.

« Vous avez bien fait de saisir si rapidement les circonstances de la péninsule. Alors… Vous comptez utiliser cela comme raison pour refuser l’offre de Sa Majesté ? Pour trahir ses attentes ?! »

Meltina avait alors élevé la voix.

« Seigneur Mikoshiba, vous avez mérité votre nom en battant le Duc Gelhart et en tuant le Général Albrecht. Et donc, Sa Majesté a brisé les coutumes du royaume pour faire de vous en récompense un noble… Certes, la péninsule de Wortenia ne peut être qualifiée de généreuse, mais elle fait toujours partie du territoire de Rhoadseria ! Elle est assez vaste pour correspondre à un territoire de la famille royale ! L’abandonner serait une occasion perdue ! N’êtes-vous pas d’accord ? »

« Je vois… Vous dites que Sa Majesté m’a gentiment légué la péninsule de Wortenia pour que je l’aménage en terre habitable ? »

« Précisément ! Il est vrai que c’est une terre difficile, mais un homme de votre trempe peut sûrement réussir dans cette tâche… Qu’en dites-vous ? »

C’était une façon intelligente de le dire, vu qu’il s’agissait de Meltina. Ils n’avaient accordé cette terre difficile à Ryoma que parce qu’ils croyaient en ses compétences. C’était une tentative de caresser l’ego de Ryoma. Mais il ne se laissait pas avoir.

***

Partie 5

« Dois-je interpréter ce que Lady Meltina vient de dire comme étant les intentions de Sa Majesté ? »

Ryoma déplaça son regard de Meltina à Lupis, assise sur son trône.

Lupis répondit par un hochement de tête brusque et silencieux. Elle ne pouvait, en aucun cas, lui dire en face qu’elle l’envoyait dans une région reculée pour qu’il y reste confiné.

« Oh, je vois… ! Alors cela rend ma demande beaucoup plus facile, Votre Majesté. »

« … Que voulez-vous dire ? » L’expression de Lupis devint perplexe.

« Vous avez seulement dit que vous vouliez confirmer mes intentions. »

Elle pensait que le souhait de Ryoma ici était d’entendre ses intentions, mais bien sûr, Ryoma ne voulait rien d’aussi simple que cela. Jusqu’à présent, il n’avait fait que préparer le terrain pour pouvoir coincer Lupis et Meltina…

« Pas du tout, Votre Majesté ! Ma demande est assez simple… Mais j’ai hésité à la formuler avant de confirmer vos intentions… Mais si vous souhaitez vraiment que je développe la péninsule de Wortenia… »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Les deux femmes avaient un mauvais pressentiment sur ce que Ryoma allait dire.

« Eh bien, vous voyez… J’aimerais que vous me prêtiez des fonds pour développer la péninsule… Mais la somme allant être assez élevée, je ne pouvais pas me résoudre à le demander sans être absolument sûr de vos intentions… Mais, puisque vous me faites tant confiance, Votre Majesté, je suis très honoré. Je vais devoir faire de mon mieux et répondre aux espérances que vous avez portées à mon égard ! »

Ryoma baissa la tête devant Lupis avec sérieux.

« Attendez ! Vous voulez qu’on vous fournisse des fonds ? Qu’est-ce que vous dites ?! »

Meltina éleva la voix avec colère.

« La péninsule de Wortenia est votre territoire ! Pourquoi la maison royale devrait-elle vous fournir des fonds pour cela ?! »

L’expression de Ryoma, cependant, n’avait pas bougé.

« Hein ? C’est une chose assez étrange à dire. J’avais l’impression que Sa Majesté était consciente de l’état de la péninsule, et m’a demandé de la développer pour en faire un territoire florissant. »

« Exactement ! Et c’est pourquoi vous devez la développer en utilisant vos propres ressources ! »

Les revendications de Meltina dans ce domaine devraient normalement être raisonnables, mais dans ce cas précis, elles manquaient de légitimité.

« Mais comme vous le savez, je suis un roturier. Je n’ai pas de fortune ou de biens à mon nom. Je suis sûr que vous comprenez toutes les deux cela, oui ? »

Ryoma avait effrontément menti, gardant pour lui la fortune qu’il avait volée à Azoth le marchand d’esclaves.

« C’est vrai, mais… »

« Et comme je n’ai pas d’argent, il faudrait que quelqu’un me fournisse des fonds pour que je puisse répondre aux attentes de Sa Majesté… Mais aucun marchand du continent ne me prêterait de l’argent pour développer cette péninsule. »

Les commerçants détestaient les risques. Bien sûr, si l’on devait présenter suffisamment de mérite pour compenser ce risque, les choses seraient différentes, mais une péninsule infestée de demi-hommes et de monstres n’offrirait rien de tel. Aucun commerçant ne soutiendrait une chose aussi risquée.

« Alors vous devriez utiliser votre propre esprit pour… »

Meltina s’accrochait désespérément.

Perdre cet argument reviendrait à tout réduire à néant. Ils ne parviendraient pas à contenir Ryoma, et Lupis souffrirait d’un coup à sa dignité. C’était la seule chose qu’ils devaient éviter.

« Bien sûr ! J’ai l’intention de faire tout mon possible, mais je ne suis pas un dieu ! Je ne peux pas développer ce terrain sans fonds… ! Mais je suis parfaitement conscient que Sa Majesté, avec sa sagesse et sa sagacité, comprend parfaitement… »

Ryoma dirigea la conversation vers Lupis, qui pâlit devant l’acuité de son regard. Elle lui avait imposé toute cette affaire tout en sachant pertinemment combien elle était absurde. Et maintenant qu’il était clair qu’il avait tout compris, elle n’avait plus de cartes à jouer. En fin de compte, Lupis ne pouvait que prononcer les mots que Ryoma voulait entendre.

« Combien ? »

« Votre Majesté ! »

Lupis ignora l’exclamation de Meltina. Ils n’étaient pas les seuls présents. Les nobles et les chevaliers de la faction neutre servant de gardes étaient également présents. Elle ne pouvait plus se permettre d’avoir honte sous leurs yeux. Elle devait se présenter comme une sage souveraine qui conférait à un roturier le statut de noble.

« Je savais que je pouvais avoir confiance en votre tolérance et votre sagesse, Votre Majesté… ! Eh bien, je n’ai réussi qu’à faire une première estimation approximative jusqu’à présent, mais une fois converti en pièces, cela revient au moins à un million de pièces d’or ! »

Lorsque Sudou avait mentionné le montant indiqué par Ryoma, Saitou s’était exclamé à haute voix. C’était assez inhabituel, étant donné son attitude généralement recueillie et polie. Mais Shardina ne pouvait pas lui en vouloir. Elle était elle-même terriblement choquée.

Le coût d’une nuit dans une auberge se situait entre cinquante pièces de cuivres et une pièce d’argent. Un repas dans un restaurant moyen en ville coûtait entre cinq et dix pièces de cuivres. Bien sûr, il y avait des endroits plus chers où l’on pouvait aller, mais une pièce d’argent suffisait à la plupart des gens pour passer la journée.

Si l’on compare avec la monnaie japonaise, une pièce de cuivre équivalait à une pièce de 100 yens, l’argent à un billet de 10 000 yens et l’or à un million de yens. Cela relativisait beaucoup la somme demandée par Ryoma, qui lui avait demandé l’équivalent d’un trillion de yens japonais.

« C’est absurde… Ils devraient prêter presque tous les actifs du Royaume de Rhoadseria pour cela ! » dit Saitou.

« Même l’Empire aurait du mal à payer cette somme d’un seul coup… » dit Shardina avec une expression stupéfaite.

Cela signifiait que la somme n’est pas théoriquement impossible, mais qu’aucun pays du continent occidental n’accepterait de payer autant. Les pays décidaient à l’avance de la manière dont ils allaient dépenser leurs revenus. Les fonctionnaires devaient recevoir leur salaire, l’armée devait tenir compte des dépenses d’investissement et de nombreuses autres questions importantes ne pouvaient être négligées.

Tout pays qui décidait de payer ce genre de somme devait passer des années à racler son budget. Même l’Empire aurait du mal à trouver cette somme immédiatement. Rhoadseria, un pays qui ne pourrait pas l’égaler, ni en taille ni en économie, ne le pourrait pas non plus.

« Tout à fait. Mais s’il devait sérieusement développer cette péninsule, il lui faudrait en fait investir autant pour y parvenir. C’est vrai. »

Sudou fit un signe de tête.

Il faudrait abattre les forêts. Les routes devraient être pavées. Des soldats de réserve devraient être engagés et équipés en cas d’attaques de pirates ou de semi-humains. Sans parler des coûts pour les citoyens qui émigrent. Tous ces gens aspireraient l’argent comme des marais sans fond, mais s’ils avaient vraiment l’intention de développer cette terre maudite, il fallait y mettre ce prix.

« C’est possible, mais une telle somme est… » dit Shardina, puis s’exclama : « Ah ! Je vois… C’était donc son angle d’attaque ! »

« Je vois que vous avez compris. Toujours aussi sage, Votre Altesse. »

Sudou sourit, en rétrécissant les yeux.

« Dès le départ, il n’avait pas l’intention de se faire prêter autant d’argent, pas vrai ? Il a préparé d’autres conditions pour compenser son refus ! »

Sudou fit un signe de tête à Sardina, et sortit une feuille de papier de sa poche intérieure.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Une liste des conditions que M. Mikoshiba a données à la reine Lupis… D’après ce que j’ai vu, le contenu est assez problématique… Il veut en effet être complètement indépendant du royaume de Rhoadseria. »

Le document contenait une liste détaillée de clauses, et il y avait pas mal d’éléments qui y étaient énumérés. Shardina avait regardé la page de haut en bas, sa grimace s’approfondissant au fur et à mesure qu’elle lisait. Ryoma cherchait essentiellement deux choses.

La première était que la législation, les affaires militaires, les affaires extérieures et l’économie lui soient toutes confiées. Et la seconde était une exemption d’impôts et de service militaire que les nobles étaient censés fournir au royaume.

Si ces conditions étaient acceptées, il serait en mesure de créer un pays qui, tout en appartenant à Rhoadseria sur le papier, serait totalement hors de son contrôle. En d’autres termes, alors qu’il n’avait que le titre de baron, Ryoma Mikoshiba se verrait accorder plus de pouvoir et d’autorité sur son territoire que le souverain du royaume.

« Et la reine Lupis… a sérieusement accepté cela… ? », demanda Shardina, l’expression de son visage étant absolument stupéfiant.

Sudou hocha la tête en silence.

« J’ai entendu dire que cette femme était stupide, mais la, c’est le pompon. Elle a laissé cette vipère libre de ses mouvements… »

« Il semblerait qu’elle était tellement aveuglée par la somme qu’il lui avait proposée qu’elle a fini par accepter sans y avoir bien réfléchi. »

« Mais quand même, quelle chose à faire… Et en plus, cela stipule qu’il demande également cinq mille pièces d’or en frais de développement pour le moment. »

Lupis avait donné carte blanche à cet homme menaçant, avec un terrain à lui et des fonds pour le construire.

« Eh bien, je pense qu’à part le sentiment de dette qu’elle a ressenti en refusant sa demande de fonds, Lupis avait sa propre opinion sur la question. Elle a probablement rationalisé qu’il ne pourrait pas faire autant avec seulement cinq mille pièces d’or. Et peu importe le nombre de droits qu’il a accordés, cette péninsule est une région non développée, sans aucun impôt à percevoir. Même cet homme ne peut pas produire des choses à partir de rien… »

Cinq mille pièces d’or, c’était certes une grosse somme d’argent, mais ce n’est pas assez pour changer cette zone neutre. Cependant…

« Saitou… Le pensez-vous vraiment ? »

Saitou se tut à la question de Shardina.

Une terre dont on ne pouvait pas percevoir d’impôts, grouillant de monstres, avec peu ou pas d’aide de Rhoadseria… Pouvait-il vraiment faire quelque chose dans ces conditions ? Mais Saitou hésitait à le dire. Lui-même était terrifié par quelque chose que Ryoma Mikoshiba possédait.

Shardina détourna son regard de Saitou. Toutes les personnes présentes avaient le même sentiment d’effroi.

« Saitou… votre petit stratagème… ne reviendra-t-il pas nous hanter ? »

Sudou ne pouvait que lui répondre par le silence. Après tout, c’était lui qui avait insisté sur les inquiétudes de Lupis et lui avait proposé de faire de Ryoma un noble. Il s’agissait d’une comédie visant à s’assurer qu’ils gardent une emprise sur la position de Ryoma. Shardina était tout aussi anxieuse à l’idée que Ryoma s’associe à un autre pays, en particulier les pays du nord et de l’ouest. Mais si, d’une manière ou d’une autre, leur tentative pour contrer cela ne faisait qu’empirer les choses…

Cette peur les avait tous les trois piégés.

« Bien… Sudou… Mais tu ne peux pas le perdre de vue », dit brièvement Shardina.

Sudou fit un signe de tête.

« Dans ce cas, Votre Altesse… je vous ferai mon prochain rapport après que nous ayons commencé l’invasion de Xarooda. Est-ce que cela suffira ? »

« Oui… Nous attaquerons le mois prochain, selon le calendrier prévu… Sudou ! Les préparatifs sont terminés, oui ? »

Sudou et Saitou avaient tous les deux hoché la tête.

« Rassurez-vous. La guerre civile a secoué les nobles et les chevaliers. Nous avons de nombreuses occasions de profiter… Rhoadseria n’enverra pas de renforts à Xarooda. »

À ce moment, l’Empire d’O’ltormea se préparait à montrer ses crocs aiguisés.

***

Épilogue

Un seul domaine se trouvait à la périphérie de la capitale O’ltormea. Il était entouré d’une épaisse bande de bois à l’écart de la route, de sorte que même la plupart des habitants de la région ne connaissaient pas l’existence du domaine. Il avait été construit il y a longtemps comme villa de retraite d’un noble, mais elle avait changé fréquemment de propriétaire avant de tomber en possession d’une certaine société comme bien immobilier à vendre.

Du moins, c’était ce qui était visible à la surface.

S’il était vrai que sur le papier, le domaine était une propriété à vendre, il n’avait en fait jamais été vendu à qui que ce soit, et ne le sera probablement jamais. Si cela devait arriver, ce ne serait que dans le cas où l’ennemi découvrirait son existence.

Après tout, c’était la base principale de l’Organisation, qui agissait dans l’ombre de l’Empire d’O’ltormea.

La sécurité est plus stricte que jamais… Cet endroit est plus fortifié que le palais d’O’ltormea…

En regardant par la fenêtre, le souffle de Saitou s’était coincé dans la gorge à la vue de la sécurité serrée à l’extérieur. Cela dit, il n’était pas patrouillé par des gardes armés de fusils, comme dans un film de mafia qu’il avait vu un jour. D’un point de vue extérieur, il semblerait que ce soit un domaine tout à fait ordinaire. La porte d’entrée était l’un des rares endroits où il y avait visiblement des gardes.

Cela ne voulait pas dire que l’Organisation faisait preuve de laxisme dans la défense du domaine. Les bois environnants disposaient d’un filet de sécurité composé de dizaines de gardiens déployés à l’intérieur, prêts à éliminer furtivement toute personne qui oserait s’approcher de trop près.

Il était probable que même la garde impériale chargée de défendre la personne de l’empereur ou les fiers chevaliers succubes de la princesse Shardina auraient à lutter pour vaincre ces forces, à nombre égal.

Ils n’étaient pas tout à fait à la hauteur du groupe des troupes d’élite de l’Organisation, les Chiens de chasse, mais ils étaient tout de même extrêmement puissants selon les normes de ce monde.

En outre, les vitres des fenêtres avaient été fabriquées avec des matériaux uniques au monde, renforcés par la magie, ce qui les mettait à égalité avec le verre pare-balles. Il était probable qu’il résisterait même à une explosion de Celia Volkland, l’héritière de Gaius au poste de magicien de la cour.

Le développement technologique de l’Organisation se déroule sans heurts… Il ne reste plus qu’à la garder cachée… Et c’est là que se situe le problème.

L’Organisation comptait beaucoup moins de membres que les habitants de ce monde. Il fallait s’y attendre, car ses agents étaient tous des humains qui avaient été convoqués ou mêlés à une convocation depuis la Terre. Si l’Organisation devait régner sur les citoyens de ce monde malgré son infériorité numérique, elle aurait besoin d’un avantage écrasant en matière de puissance de combat et de technologie.

En termes d’image, elle serait peut-être semblable à Hernán Cortés et à ses conquistadors qui régnaient sur l’Amérique centrale au XVIe siècle. Avec seulement quelques centaines de personnes, ils battraient un pays entier.

Et le secret de leur succès résidait dans la supériorité technologique des pays européens de l’époque. Dans la Terre moderne, l’information circulait librement grâce à l’internet, ce qui était une chose merveilleuse du point de vue du développement technologique. Cependant…

Notre objectif n’est pas de développer la paix dans ce monde.

Chaque membre de l’Organisation nourrissait une haine et un ressentiment profonds envers ce Monde. Et l’Organisation ne tendrait la main que pour le salut de ce genre de personnes.

Ce que l’Organisation craignait par-dessus tout, c’était que cette technologie cachée puisse se répandre en raison d’un étrange idéal d’humanisme et d’égalité.

« Ouf, pardonnez l’attente. »

Une voix soudaine sortit de la porte, alors qu’aucun coup n’avait été frappé. Fit sortir Saitou de sa contemplation.

« M. Sudou… Frappez au moins, si vous voulez bien. Pourquoi faire l’effort de cacher votre présence… ? Vous m’avez fait sursauter. »

Il n’avait rien de louche, et comme le domaine était très bien sécurisé, il n’y avait pas à craindre quant aux assassinats. Mais être approché par quelqu’un qui avait dissimulé sa présence laissait même Saitou choqué. Mais Sudou ne semblait qu’amusé par sa réaction.

« Ah, c’est de ma faute, je l’avoue. »

Sudou sourit et se gratta la tête en s’asseyant sur un canapé.

« J’aime simplement voir votre expression surprise, M. Saitou… »

« Je vous jure, vous êtes toujours si… »

Saitou soupira devant la réponse sans excuses de Sudou.

Le comportement de Sudou n’était pourtant pas nouveau, et il agissait de la sorte même devant Kikukawa, son supérieur. Dire quoi que ce soit à ce sujet ne changerait pas grand-chose au comportement de cet homme à ce stade. De toute façon, ce n’était pas le moment de s’occuper de ces questions insignifiantes.

« Cela vous a pris un certain temps, mais qu’a dit le superviseur Kikukawa ? »

« La plupart du temps, il s’est plaint à mon sujet », dit Sudou, en tentant d’attraper une bouteille d’alcool sur la table.

« Bien que je suppose que c’est normal, étant donné que tout était risqué cette fois. »

« C’est vrai… Des changements dans le plan à l’avenir ? »

C’était ce que Saitou voulait le plus savoir. Un changement dans le plan pourrait signifier qu’il devrait changer son approche envers Shardina. Cependant, Sudou avait simplement baissé son verre sans tenir compte des préoccupations de Saitou.

« Aucun en particulier. Vous devez rester tel quel, en aidant la princesse Shardina et en la gardant sous contrôle. Après tout, l’invasion prochaine de Xarooda est une bataille cruciale pour l’Organisation. »

« Nous ne pouvons pas perdre, mais notre victoire ne peut être trop unilatérale… N’est-ce pas ? »

Sudou répondit d’un signe de tête satisfait.

« Oui, tout à fait. Cela dit, Xarooda a un général assez gênant de son côté, donc je ne pense pas que ce soit si simple. »

« Le général Belphares… »

En prononçant le nom de l’homme connu comme le Dieu vivant de la guerre de Xarooda, Saitou sentit un courant d’effroi lui parcourir l’échine.

« Oui, le vétéran général qui est comparable avec la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, Helena Steiner. Bien que, contrairement à elle, il a l’armée fermement sous son contrôle et un roi qui lui accorde une grande confiance. Le vaincre ne sera pas facile. »

L’avantage numérique d’O’ltormea était un fait solide, mais la guerre ne se résumait pas toujours à des chiffres. Surtout si l’on considérait les montagnes escarpées qui constituaient des forteresses imprenables entourant le royaume de Xarooda. Comme il y avait peu d’accès au pays, les montagnes et les forêts rendaient la marche d’une armée extrêmement difficile. Le terrain ne permettait pas le passage d’un grand nombre de personnes.

« Je suppose que nous devrons simplement assister à la mise en œuvre des compétences de la Princesse Shardina. »

Sudou descendit un autre verre, parlant comme si c’était l’affaire de quelqu’un d’autre.

« Vous faites paraître tout si simple, M. Sudou… »

Saitou fit un sourire amer.

« Aussi, si je peux changer de sujet, êtes-vous sûr que c’était une bonne idée ? »

Saitou jeta un regard perçant sur Sudou pour échapper à cette vague question. Aussi vague soit-elle, elle avait suffi pour que le sujet soit clair pour tous les deux.

« Vous voulez dire Ryoma Mikoshiba ? »

Saitou fit un signe de tête.

« Il vous dérange vraiment, hein… ? »

« Je pense que nous ferions bien de ne pas le sous-estimer. »

Saitou avait déjà eu une expérience assez douloureuse avec Ryoma. Il avait poursuivi Ryoma, qui avait tenté de s’échapper des frontières de l’Empire après avoir tué Gaius Valkland. La contre-attaque de Ryoma avait cependant failli coûter la vie à Shardina, un pion précieux pour l’Organisation.

Au final, elle s’en était sortie vivante et les plans de l’Organisation étaient restés intacts. Saitou avait pourtant des années d’expérience dans le domaine des complots en tant qu’agent, et il avait presque réussi à se faire tirer le tapis sous ses pieds par un jeune novice qui venait juste d’être appelé dans ce monde. Ce fait s’attardait dans son cœur comme un os coincé dans sa gorge.

« Je comprends parfaitement vos doutes, M. Saitou. Je me souviens que votre rapport précédent précisait à quel point il était dangereux, mais cette débâcle me l’a fait ressentir sur ma propre peau. Il est vraiment anormal. Nous ne pouvons pas le considérer comme une menace ordinaire. »

La terreur d’être impliqué dans la guerre civile d’un pays pourrait être assimilée à être confronté à une catastrophe naturelle, comme un typhon. La plupart des gens seraient emportés par les vents violents, sans aucun égard pour leur volonté.

Mais pas Ryoma Mikoshiba. Il avait soutenu Lupis Rhoadseria, qui avait la position la plus faible de tous les acteurs de cette guerre, et était sorti victorieux malgré l’état désespéré de la guerre. Il allait sans dire que c’était un exploit inhabituel.

« Vous avez bien fait de vous assurer que nous ne perdions pas la princesse Radine ou le duc Gelhart, mais êtes-vous sûr que lui donner la péninsule de Wortenia était la bonne chose à faire ? »

« Vous dites qu’en faisant cela, j’ai libéré une vipère sur nous ? » dit Sudou, en souriant, en citant les mêmes mots que ceux utilisés par Shardina.

« Je pense que c’est une bonne façon de le dire, oui. »

Saitou acquiesça d’un signe de tête sinistre.

Il comprenait les problèmes de la péninsule de Wortenia, mais cela signifiait seulement que s’ils étaient réglés, elle deviendrait un véritable trésor.

« La princesse Shardina a une certaine prémonition sur la question, mais je suis sûr qu’il n’a accepté que parce qu’il avait vu des choses au lointain. »

La péninsule de Wortenia était un repaire pour les pirates qui saccageaient les côtes nord du continent occidental, cette route maritime était donc extrêmement limitée. Mais si la menace de ces pirates pouvait être écartée, la péninsule pourrait prospérer en tant que port de ravitaillement.

De plus, Wortenia était un habitat pour un assortiment d’articles rares qui pouvaient être vendus. Aujourd’hui encore, des aventuriers y pénétraient pour collecter de tels objets et les vendre à un prix élevé.

« Au pire… cela pourrait causer des dommages irréparables à l’Organisation. »

Les yeux de Saitou brillaient dangereusement.

À l’heure actuelle, Ryoma n’était pas une présence si problématique. Bien sûr, il était considéré comme encombrant dans une certaine mesure, mais ses interférences se situaient toutes dans une marge d’erreur acceptable. Mais tout cela changerait si sa gouvernance de Wortenia finissait par être couronnée de succès. Le problème ne pourrait pas être résolu par un simple changement de plan.

Mais Sudou n’avait répondu aux doutes de Saitou qu’avec un sourire.

« C’est tout aussi passionnant que l’histoire de Xiang Yu et Liu Bang, n’est-ce pas ? »

Xiang Yu et Liu Bang… C’était l’histoire d’un grand héros chinois. Au moment où Sudou dit ces mots, l’expression de Saitou s’était assombrie. Oui, une relégation…

Après la disparition de l’empereur Qui Shi Huang, Xiang Yu, qui avait mené la dynastie Qin à la ruine, craignait la force de son camarade Liu Bang et l’envoya gouverner la terre de Hanzhong, alors en retrait.

Mais en utilisant Hanzhong comme base, et avec l’aide d’officiers tels que Zhang Liang et Xiao He, Liu Bang rassembla ses forces, et en prenant sous son commandement l’incomparable général Han Xin, il finit par vaincre Xiang Yu dans la bataille de Gaixia. Ce faisant, il unit la Chine en un grand empire.

Cet acte d’éloignement de Liu Bang de la capitale de Qin, Xianyang, vers la ville orientale de Hanzhong était resté dans l’histoire comme un cas exemplaire d’accession au pouvoir par une rétrogradation.

C’est vrai… Sa position est similaire à celle de Liu Bang. Mais cela signifie-t-il que Sudou veut qu’il conquière le continent, tout comme Liu Bang a conquis la Chine ?

Ryoma était peut-être japonais, tout comme eux, mais cela ne serait en aucun cas un développement favorable pour l’Organisation.

« Ne vous inquiétez pas, je ne veux pas qu’il conquière le continent ou quoi que ce soit de ce genre. »

L’expression de Sudou n’avait pas changé, même lorsqu’il avait été exposé au regard critique de Saitou.

« Je ne trahirai pas l’Organisation. Je suis simplement enthousiaste. »

« Enthousiaste ? »

Sudou avait simplement secoué la tête en silence.

Celui-là est probablement son…

Le visage de Ryoma Mikoshiba fit surface dans l’esprit de Sudou. Quelque chose dans son style de combat lui rappelait quelqu’un qu’il avait connu, qui était parti depuis longtemps. Mais c’était une chose que Sudou gardait pour lui, un secret de Kikukawa, son supérieur.

« Oui. Je suis excité de voir jusqu’où cet homme peut s’élever dans ce monde. », dit Sudou en élevant la voix.

Comme pour porter un toast à la déesse ironique et inconstante du destin…

***

Illustrations

Fin du tome.

***

Bonus 1 : Une journée dans la vie d’Asuka Kiryuu

Cela s’était passé plusieurs mois avant la disparition de Ryoma Mikoshiba.

« Whoa, froid. »

C’était un matin d’hiver, un peu avant le lever du soleil. Après avoir préparé ses affaires pour l’école, Asuka Kiryuu ouvrit la porte de sa maison et se prépara à partir à l’heure habituelle.

« Passe une bonne journée, Asuka. Passe le bonjour à oncle Kouichiro et à Ryoma. »

« Bien sûr… J’y vais. Je passerai aussi chez eux avant de rentrer. »

Asuka répondit à sa mère, qui sortit la tête de la cuisine et descendit l’escalier de son immeuble, laissant dans son sillage l’écho lumineux de ses pas.

« Bon sang… Elle a à nouveau laissé la porte ouverte. »

En regardant la porte d’entrée ouverte se refermer lentement, la mère d’Asuka fit échapper un soupir. La raison de son exaspération était claire. De son propre point de vue, Asuka était une fille merveilleuse et bonne. Elle était brillante et active, mais cela n’enlevait rien à son charme féminin. Sa beauté et sa dignité créaient un certain équilibre qui attirait l’attention des garçons comme des filles.

En ce qui concernait les études, personne ne pouvait trouver à redire à Asuka. Elle avait des notes élevées. C’était dans le seul cours qui lui posait problème, les sciences, qu’elle avait les notes les plus basses, mais même celles-ci étaient au-dessus de la moyenne de la classe.

On pouvait dire la même chose de sa façon de gérer les tâches ménagères. Cuisiner, semer, nettoyer — Asuka était encore plus compétente que sa mère dans tous ces domaines.

Pour résumer, sa fille était parfaite, mais il y avait un défaut qui faisait exception à cette règle. Son attitude chaque fois que Ryoma Mikoshiba était impliqué.

Je ne peux qu’espérer que cela lui apprenne à être un peu plus calme et plus détendue.

En sortant pour prendre le journal dans la boîte à journaux, la mère d’Asuka jeta un coup d’œil à sa fille alors qu’elle marchait dans la rue. Même si sa mère était à la maison, Asuka n’aurait normalement jamais laissé la porte ouverte sans la fermer. En fait, même lorsqu’elle sortait pour traîner avec des amis le week-end, elle fermait toujours la porte derrière elle. Et elle le faisait même si quelqu’un d’autre était à la maison.

Mais pour une raison inconnue, lorsqu’elle se rendait dans la propriété de Mikoshiba, elle oubliait parfois de fermer la porte derrière elle. C’était comme un enfant si préoccupé par sa hâte de rencontrer un ami qu’il négligeait tout ce qui l’entourait.

Mais je comprends ce qu’elle ressent.

Asuka pouvait être aussi mature et responsable que possible, pour sa mère, elle restait toujours sa fille. Elle pouvait dire les sentiments qu’elle avait dans son cœur, et elle savait aussi que la fille était consciente qu’ils ne se réaliseraient pas facilement.

Et elle n’est pas aussi franche avec ses émotions qu’elle pourrait l’être…

Les sentiments des deux parties étaient importants pour le développement d’une relation entre un garçon et une fille, mais rien n’importait plus que le timing. Et à cet égard, Ryoma Mikoshiba et Asuka Kiryuu étaient proches l’un de l’autre depuis qu’ils étaient tout petits, ce qui signifiait qu’ils avaient grandi trop près l’un de l’autre.

Et si, juridiquement parlant, rien ne les empêchait de se marier, leur lien de parenté constituait un obstacle majeur entre eux.

Compte tenu de la personnalité et des sentiments d’Asuka, il était peu probable qu’elle agisse un jour sur ses sentiments, ce qui rendra le passage à l’étape suivante difficile dans leur relation.

Eh bien, quoi qu’il en soit, je suppose…

Soupirant et secouant la tête pendant un moment, la mère d’Asuka ferma la porte en silence. Tout ce qu’elle pouvait faire était de prier pour le bonheur de sa précieuse fille.

***

Bonus 2 : Une journée dans la vie d’Hideaki Saitou

L’Empire d’O’ltormea était la plus grande puissance militaire du continent, et son unité d’élite la plus importante était l’ordre des Chevaliers Succube, dirigé par la princesse Shardina Eisenheit. Ils se targuaient de prouesses martiales écrasantes et, tout en étant chevaliers, ils s’adonnaient également à des opérations secrètes comme le renseignement et le contre-espionnage. Parmi les dizaines d’ordres de chevaliers répartis sur le territoire de l’empire, ils figuraient parmi les plus hauts gradés et l’élite, aux côtés de la garde impériale et des escortes personnelles de l’empereur.

En tant que vice-capitaine des Chevaliers Succube, les matinées commençaient tôt pour Hideaki Saitou. Il se levait avant le lever du soleil et fixait son apparence, quittant sa chambre dans le château en une foulée rapide à travers le château vers la chambre de Shardina.

Un de ses subordonnés l’attendait attentivement, se précipitant à ses côtés dans un léger jogging, comme toujours.

« Bonjour, vice-capitaine. »

C’était une petite partie de sa routine matinale qui avait toujours lieu avant qu’il ne rencontre Shardina.

Aujourd’hui, la charge de travail est plus lourde que d’habitude…

En fronçant les sourcils devant la petite pile de documents que le chevalier tenait dans ses bras, Saitou lui retourna le salut, comme toujours.

« Oui, bonjour. Y a-t-il quelque chose d’urgent ? »

« Rien de particulier. »

« Je vois. C’est bien. »

Sans arrêter sa marche, Saitou tendit la main au chevalier.

« Au fait, voici les documents qui nécessitent l’approbation de la princesse. Et voici les rapports soumis par les espions envoyés dans les autres pays. »

Cet échange était routinier, et le chevalier répondit de façon très pragmatique. En hochant légèrement la tête aux mots du chevalier, Saitou parcourut rapidement le rapport.

Rien n’a changé à Helnesgoula… Les escarmouches le long de la frontière sud ne s’arrêtent pas. Il faudra les ravitailler… Je vais en informer Sudou.

Il feuilleta les documents un par un. Et pendant qu’il le faisait, il les tria mentalement en deux catégories : les informations qu’il devait communiquer à l’Organisation et celles qu’il devait communiquer à Shardina.

Il occupait peut-être le poste de vice-capitaine, mais en tant qu’homme convoqué en ce monde, Saitou ne voyait dans l’empire qu’un pion utile à exploiter. Et bien qu’il ait été mieux traité que la plupart de ceux qui étaient venus de son monde, il n’en restait pas moins essentiellement un esclave.

Mais même cela joue en ma faveur.

Les informations les plus confidentielles et les plus secrètes d’O’ltormea étaient à sa portée. Et d’une certaine manière, il ne pouvait le faire que grâce à la marque maudite gravée sur son corps. Elle liait son cœur et son corps, l’empêchant de se rebeller. C’était en effet une arme puissante entre les mains de ses dominateurs. Après tout, si quelqu’un sur qui était gravé ledit sceau tentait de résister à leurs ordres, il serait automatiquement assailli par une douleur atroce et pouvait même en mourir.

Cependant, ce dernier recours n’aurait aucune signification s’il était secrètement enlevé. La confiance de l’empire dans le sceau n’avait fait qu’assurer la liberté et la sécurité de Saitou.

« Très bien. J’ai une idée de la situation générale. »

Après avoir posé quelques questions, Saitou fit un petit signe de tête. Cela signifiait qu’il était prêt à donner son rapport à Shardina. À ces mots, le chevalier baissa la tête et se retourna, se dirigeant vers le lieu d’où il venait.

Jetant un regard furtif sur le chevalier alors qu’il s’éloignait, Saitou reprit sa marche vers la chambre de Shardina. Il se rendit bientôt dans le secteur le plus sécurisé du palais. Après avoir fait quelques tours dans les couloirs, une porte familière apparut devant ses yeux.

« Votre Altesse, c’est Saitou. Puis-je ? »

« Oui, entrez. »

Après avoir frappé doucement trois fois à la porte du bureau, la voix d’une jeune femme lui répondit de l’intérieur. Obéissant à ces mots, il ouvrit la porte et s’inclina devant sa maîtresse, qui était assise à son bureau comme elle le faisait toujours. Même s’il gardait cachée la haine qui couvait dans son cœur…

***

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