Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 9

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Chapitre 1 : Détermination faite un certain matin

Le matin venu, quand j’avais ouvert les yeux, j’avais trouvé une fille qui souriait devant moi. Ses cheveux blancs rappelaient des fils d’araignée et sa peau était pratiquement transparente. Presque tout en elle était blanc, ce qui faisait ressortir d’autant plus ses yeux rouges comme le sang. Ses traits étrangers à mon monde s’accompagnaient d’une beauté étrangère au monde. Cela lui donnait un air divin.

Contrairement à son allure éthérée, son expression était plutôt enfantine. Elle reposait son menton sur ses mains au bord de mon lit et me regardait avec un sourire ravi qui avait la douceur du miel fondu. Elle ne cachait absolument pas son affection. Normalement, une telle démonstration d’amour me mettrait mal à l’aise, mais comme j’étais groggy à cause de mon réveil, je ne ressentais plus qu’un bonheur honnête.

« Gerbera… »

Je l’avais appelée par son prénom et j’avais tendu la main, pinçant ses lèvres grimaçantes. Je ne pensais vraiment à rien. Je voulais simplement la toucher, et c’est ce que j’avais fait. La sensation était aussi douce que je m’y attendais, et elle rassasia mon esprit brumeux. Ses lèvres se contractèrent par réflexe, se refermant sur mon doigt. Je pouvais sentir son souffle humide sur ma peau. Les joues blanches de Gerbera étaient devenues rouges et ses lèvres avaient frémi comme si elle luttait contre son embarras, mais elle ne s’était pas enfuie et n’avait pas fait semblant d’être mécontente. Elle m’avait laissé faire ce que je voulais, les yeux fiévreusement mouillés.

« Hm… ? »

Juste à ce moment-là, j’avais senti une légère pression sur mon abdomen. J’avais baissé les yeux et j’avais aperçu une énorme patte d’araignée couverte de poils blancs touffus qui s’enfonçait dans mes vêtements. C’était l’une des pattes de Gerbera. Cette scène aurait probablement fait s’évanouir n’importe qui d’autre s’il ne savait rien, mais naturellement, je n’étais pas surpris. Elle m’avait simplement touché pendant que je dormais. Cela nous rendait quittes pour le fait que j’ai touché ses lèvres.

La pression que je sentais contre mon ventre semblait être sa réaction au contact de ses lèvres. Ce n’est que très récemment que j’avais franchi la limite avec Gerbera. Elle ne pouvait pas encore surmonter son inexpérience maladroite, mais résister patiemment à l’envie de me ravir et se crisper ainsi était une forme de croissance.

En pensant à ses lèvres, j’avais réussi à me réveiller complètement. J’avais retiré ma main, déplacé sa patte de mon ventre et m’étais assis.

« Bonjour, Gerbera. »

Ma voix était encore un peu rauque, mais mon esprit était clair maintenant.

« Hm. Bonjour, Monseigneur. »

Gerbera passa son doigt sur ses lèvres et sourit d’un air gêné. Je lui avais rendu son sourire, puis j’avais soudain réalisé quelque chose.

« Ai-je peut-être trop dormi ? » avais-je demandé.

J’avais regardé la fenêtre ouverte. Il faisait sombre dehors, mais le soleil était probablement déjà levé. Nous étions actuellement à Draconia, une colonie cachée où vivait un clan des dragons. À cause de la barrière de brume que la Loge brumeuse avait construite, le brouillard recouvrait toujours le ciel, laissant peu de place à la lumière du soleil.

« Juste un peu », répondit Gerbera. « Il y a encore du temps avant ton entraînement habituel. Tu te réveilles généralement si tôt, après tout. »

« Je vois. Alors tu es venue me réveiller aujourd’hui ? »

« En effet. De plus, cela signifie que je peux aussi profiter pleinement de ta silhouette endormie. »

« Tu es venue me réveiller… n’est-ce pas ? »

« Oh, hum, j’ai bien essayé de te réveiller. C’est vrai. Mais tu n’as pas voulu. »

J’avais trouvé cela suspect compte tenu de l’insouciance dont elle faisait preuve habituellement. Cela dit, j’étais conscient que j’avais du mal à me réveiller.

« Excusez-moi », dit une voix en frappant à la porte. Rose entra, ses cheveux gris tressés se balançant derrière elle. « Gerbera ? Est-ce que notre maître… Oh, tu es donc réveillé, Maître. Bonjour. »

Rose s’inclina poliment. Je connaissais très bien sa tenue de servante maintenant, mais elle ne portait pas ses longs gants habituels. Les articulations de marionnettes à ses coudes et à ses doigts étaient à l’air libre. Son tablier était un peu mouillé, et je pouvais sentir une odeur délicieuse depuis l’embrasure de la porte, elle devait donc être en train d’aider à la cuisine.

Rose jeta un coup d’œil à Gerbera, puis se retourna dans ma direction.

« Je suis venue parce que Lily a dit qu’il était temps de te réveiller », dit-elle.

« Hein ? Est-ce que tu me considères comme indigne de confiance ? » demanda Gerbera. « Je l’ai réveillé, juste pour que tu le saches. »

« Non. Je croyais que tu essaierais, mais s’il ne se réveillait pas, je me suis dit que tu serais d’accord avec ça et que tu le regarderais au moins dans son sommeil. »

« O-Oh… Quand tu vois à travers moi comme ça, je ne peux même pas protester… »

J’avais gloussé en regardant Gerbera s’agiter, puis je m’étais gratté la joue.

« Oups, je crois que ce n’est pas le moment de rire », avais-je dit. « J’aurais vraiment dû me réveiller un peu plus tôt. »

« Oh allez, c’est bien d’avoir des journées comme ça de temps en temps, non ? » déclara Gerbera.

Rose hocha la tête en même temps qu’elle. « Tu peux être trop sérieux, Maître. De tels jours sont bien de temps en temps. »

« Ne me gâtez pas trop », avais-je dit avec ironie. « J’ai l’impression de m’être un peu trop détendu ici. »

C’était Draconia, une colonie où les dragons se cachaient du monde. En tant que personne qui voyageait avec des monstres, je n’avais pas à m’inquiéter des yeux humains qui nous observaient comme je le faisais toujours. Quand j’avais vu tout le monde agir avec autant d’insouciance, y compris Gerbera et Rose, toute la tension avait quitté mon corps. C’est peut-être pour cela que j’avais un peu trop dormi.

« Hrm. Pour ma part, je préférerais que tu te détendes un peu plus, mon Seigneur », dit Gerbera en pinçant les lèvres puis en souriant. « Par exemple… quelque chose comme ça. »

Elle avait parlé avant de faire quoi que ce soit, mais elle avait quand même réussi à nous attraper, Rose et moi, en un instant.

« Quoi !? »

Comme toujours, la grande araignée blanche des profondeurs était admirablement habile… bien que l’on puisse se demander si elle méritait d’être louée dans ce cas. Gerbera s’était servie de son élan pour nous pousser tous les deux vers le bas, et nous avions tous les trois dégringolé sur le lit.

« Venez maintenant. Ahahaha ! »

« Hwahah !? »

Gerbera se roulait joyeusement tandis que Rose poussait des cris — quelque chose que je n’avais jamais entendu auparavant. Bien qu’elle soit si timide en ce qui concerne le contact physique entre amoureux, Gerbera semblait s’accommoder de l’espièglerie enfantine. Rose, en revanche, avait enfoui par inadvertance son visage dans ma poitrine et avait commencé à paniquer de façon inhabituelle.

« H-Hey, st-sto — Ah ! Gerbera ! »

« Heehee. C’est bien de temps en temps, n’est-ce pas, Rose ? Considère cela comme un avantage secondaire. »

Alors que les choses devenaient bruyantes, Asarina était sortie du dos de ma main et avait étiré son corps en vigne. En nous voyant tous emmêlés dans le lit, elle pencha la tête.

« Ssster ! »

Elle avait dû penser que nous jouions, car elle s’était jointe à nous, s’enroulant autour de nous trois. Rose s’était agitée dans tous les sens, tandis que Gerbera souriait. Quant à moi, j’étais juste surpris, mais je m’étais dit que c’était bien une fois de temps en temps et j’avais laissé mon corps se détendre.

Un moment dans le temps où je n’avais pas besoin de me préparer à quoi que ce soit. Un fragment de ce que je souhaitais vraiment du fond du cœur. Ici et maintenant, cela existe bel et bien. Cependant, étant donné notre situation actuelle, il y avait aussi un certain type de danger.

Une fois arrivés en Draconia, nous avons entendu parler de l’ancien sauveur et de la tragédie qui l’avait frappé, du wyrm à carapace Malvina et de leurs enfants. Pour éviter qu’un désastre similaire ne se produise, un désastre né d’un manque de compréhension et d’une rencontre malheureuse, nous devions créer notre propre endroit, un endroit où nous serions acceptés. C’est pourquoi…

 

« Bonjour, Takahiro. »

Pour me faire pardonner ma grasse matinée, je m’étais dépêché de me préparer, puis je m’étais dirigé vers notre lieu de rendez-vous convenu où m’attendait Shiran l’elfe. Elle avait des cheveux blonds et un œil bleu. Le côté droit de son visage était couvert par un cache-œil, et le côté gauche révélait sa peau blanche et pâle.

La raison de sa pâleur est que, depuis qu’elle était devenue une demilich au Fort de Tilia, le sang ne coulait plus dans ses veines. Malgré cela, elle n’avait pas l’air malade, car son expression vaillante reflétait sa forte volonté. De plus, l’expérience qu’elle avait acquise en se battant pour protéger les autres en tant que chevalier lui avait donné un air digne de confiance et bienveillant.

Kei était allongée à plat ventre sur le sol, sa poitrine se soulevant de haut en bas. Shiran avait apparemment surveillé son entraînement avant que je n’arrive. Lobivia, qui avait également observé la scène, touchait le visage de Kei avec sa queue.

 

 

« T-T-T-Takahiro !? » Kei se leva d’un bond lorsqu’elle me remarqua, les joues quelque peu rougies. « B-Bonjour. »

En voyant Kei redresser sa jupe et ouvrir et fermer la bouche, Shiran s’esclaffa.

« Maintenant que Takahiro est là, » dit-elle, « Mettons fin à l’entraînement de ce matin. »

« Oui, madame. »

« Va essuyer ta sueur. N’oublie pas de t’hydrater. Tu peux très bien t’entraîner avec Lobivia ensuite, mais veille à faire des pauses régulières. Je suis désolée de te demander ça, mais s’il te plaît, surveille Lobivia. Elle n’est pas aussi mauvaise que Takahiro, mais elle a tendance à être déraisonnable. »

« Mhm. Laisse-moi faire », répondit Lobivia.

« Mrgh. Je connais au moins mon propre corps », déclara Kei en faisant la moue.

Shiran avait brièvement tapoté la tête de Kei pour la consoler, puis elle marcha dans ma direction.

« On commence, Takahiro ? » demanda Shiran en souriant.

« Oui, je viens vers toi », avais-je dit. « Aussi, je suis désolé de te le demander, mais pourrais-je t’emprunter un peu de ton temps plus tard ? J’aimerais te consulter sur ce que nous allons faire après cela. »

Shiran était un ancien chevalier de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance et originaire d’Aker, le pays situé au sud de Draconia. Elle était l’une des rares personnes de la société de ce monde en qui je pouvais avoir confiance. Son aide était vitale si nous voulions construire une base pour vivre ici.

« Bien sûr », acquiesça Shiran, la face cachée de son visage s’illuminant d’un doux sourire.

C’était le sourire d’un chevalier, une expression qui protégeait les autres et leur donnait la tranquillité d’esprit. Tout comme mes serviteurs, son sourire me rassurait sur le chemin que je devais suivre à l’avenir, bien que dans un sens différent.

Nous allions à Aker pour commencer à travailler sur la résolution que nous avions prise pendant notre séjour en Draconia. Avec nos souhaits d’un avenir chaleureux, nous gardions les yeux rivés sur notre destination. Notre prochaine étape était la ville natale de Shiran.

À l’époque, je ne savais encore rien. Je ne connaissais pas les divers incidents qui nous attendaient, et je ne savais pas non plus que ma relation avec Shiran allait beaucoup changer.

L’heure de notre départ se rapprochait.

***

Chapitre 2 : Quitter le campement des dragons

Au nord d’Aker — l’un des cinq royaumes du Nord — à l’intérieur des Bois sombres qui servaient de frontière avec le sud de l’Empire, nous nous étions approchés de la limite de la barrière de brume. La barrière recouvrait la Draconia comme un dôme géant, si bien que notre environnement était enveloppé d’un fin voile de brouillard. Alors que nous nous apprêtions à quitter la colonie, le brouillard s’épaississait. Il allait finir par tout plonger dans la blancheur.

Lobivia s’arrêta et se retourna, ses cheveux d’un rouge vif se balançant derrière elle. Ses yeux étaient fixés sur le lac. De mystérieux piliers d’eau s’étiraient à partir de la surface de l’eau, alimentant continuellement la barrière de brume qui recouvrait la colonie. On pouvait voir des maisons parsemées sur la rive. Mais les yeux de Lobivia étaient fixés sur l’île au milieu du lac.

Une expression maussade s’accrochait à ses traits pleins de volonté. Comme nous étions reliés par le cheminement mental, je savais qu’elle n’était pas mécontente. Au contraire, elle ne savait pas quelle expression adopter.

« Allons-y », dit-elle avec un gros froncement de sourcils, ses yeux châtains regardant maintenant dans ma direction.

« Ça te suffit ? » avais-je demandé.

Lobivia acquiesça. « Mhm. »

Nous allions quitter Draconia aujourd’hui. Comme il s’agissait d’une colonie cachée, nous ne pouvions pas rester ici sans raison. Mais pour Lobivia, c’était sa ville natale, et elle ne savait pas si elle pourrait y revenir un jour. Ils étaient sa famille. Même si cet endroit n’était rempli que de mauvais souvenirs pour elle, elle éprouvait sûrement des sentiments mitigés au fond d’elle-même.

Pourtant, Lobivia n’avait hésité à s’en séparer que pendant quelques maigres secondes. Même si elle jouait surtout les dures, le fait qu’elle ait pu endurer cela signifiait qu’elle était forte. J’avais posé ma main sur la tête de la fille digne d’éloges. Elle l’a giflée immédiatement, comme d’habitude.

« Je suis content de te voir si énergique », dis-je en riant.

Lobivia fit la moue et détourna les yeux. « Takahiro… »

« Hm ? »

« Tu as dit que je pourrais peut-être retrouver tous les habitants de la colonie un jour, oui ? » dit-elle calmement, presque en grognant. « Alors je ne vais pas faire la déprimée. »

Ses yeux châtains se tournèrent une fois de plus vers l’île au milieu du lac. Il y avait une petite montagne accidentée en son centre. La montagne se leva et regarda dans notre direction.

« Malvina… »

La montagne était en fait un dragon d’une cinquantaine de mètres de haut. C’était la mère de tous les dragons de la colonie, le wyrm à carapace Malvina. À cette distance, on pouvait facilement distinguer son énorme corps. Je me demandais si elle pouvait nous voir de là, à moitié recouvert de brume comme nous l’étions. Je n’en étais pas sûr, mais comme elle s’était levée au bon moment, je me disais que c’était possible. Sa séparation avec Lobivia avait été un peu mouvementée, mais elles étaient toujours mère et fille. Lobivia regarda sa mère, pensant peut-être au jour où elles pourraient se réconcilier.

Deux femmes ayant les mêmes cheveux roux que Lobivia s’étaient alors approchées de nous. Il s’agissait des sœurs aînées de Lobivia, Kath et Ella. Toutes deux étaient venues nous voir en tant que représentantes du clan.

« Lobivia. C’est de la part de tout le monde », dit Kath en plaçant un collier autour du cou de Lobivia.

« C’est une breloque du pays d’origine de notre père », ajouta Ella. « Nous prions pour que ton avenir soit béni par la bonne fortune. »

Le collier était orné d’une sculpture en bois identique à celle que portaient les deux sœurs aînées. Même si c’était la décision de leur aînée, j’avais entendu dire que certains au sein du clan s’opposaient toujours à ce que Lobivia quitte la colonie. À vrai dire, Ella était l’une d’entre elles. Néanmoins, maintenant que le départ de Lobivia avait été décidé, elle ne pouvait s’empêcher de prier pour la sécurité de sa petite sœur.

« Kath, Ella… » dit Lobivia, s’arrêtant un instant avant de souffler sur le côté. « Prenez soin de vous… »

Il lui fallut tout ce qu’elle avait pour dire cela. Son visage avait rougi et ses cheveux roux traînèrent derrière elle tandis qu’elle se retournait et s’éloignait rapidement. Lily me fit signe d’un regard de la laisser faire, puis elle suivit Lobivia. J’avais légèrement souri devant sa maladresse, puis je m’étais retourné vers les deux dragons de Draconia.

« Merci pour votre hospitalité et vos soins », avais-je dit.

« Ne vous inquiétez pas pour ça », répondit Ella. « Je prie pour que votre voyage se déroule sans encombre, entrepreneur de la Loge Brumeuse. »

« Seigneur Takahiro, prenez soin de Lobivia, s’il vous plaît », ajouta Kath.

Nous leur faisions ici nos adieux. Kath nous avait servi de guide en arrivant en Draconia, mais Thaddeus serait le seul à nous accompagner à Diospyro.

« De plus, si vous avez l’impression d’avoir atteint vos limites dans le monde des humains, n’hésitez pas à revenir ici à tout moment », dit Ella en baissant un peu la voix. « Nous vous accueillerons à bras ouverts. L’aînée m’a dit de vous transmettre ce message. »

« Merci », avais-je dit en hochant la tête.

J’étais reconnaissant à Malvina pour sa gentillesse. Parce qu’elle nous avait fourni un endroit où nous réfugier en cas de besoin, nous n’avions pas besoin d’être aussi prudents. Nous pouvions agir et même prendre des risques avec moins de crainte.

J’avais tourné les talons, puis je m’étais arrêté brusquement. Un homme énorme, ressemblant à un rocher et mesurant plus de deux mètres, marchait sur notre chemin à travers le mince voile de brume.

« Rex… ? » avais-je murmuré.

C’était l’un des frères aînés de Lobivia, l’homme qui avait le plus de préjugés contre les humains parmi tous les dragons. Son air renfrogné témoignait d’une hostilité sans équivoque. C’était le même homme qui avait essayé de nous chasser de force de la colonie à notre arrivée. Les autres membres de mon groupe qui étaient encore là se mirent subtilement sur leurs gardes.

« Avez-vous besoin de quelque chose ? » avais-je demandé, faisant signe à tous les autres de se retirer.

« J’ai quelque chose à dire, humain. »

Il avait forcé sa voix sans essayer de cacher son dégoût. Son regard était si dangereux que je n’aurais pas été surpris s’il s’était soudain transformé en dragon et m’avait attaqué. La tension montait autour de lui alors qu’il se préparait à parler.

« En tant que gardien de cette colonie, il m’est impossible de quitter ces terres. » Après un moment de silence, il ajouta : « Prenez soin de Patricia. »

Son expression était si aigre qu’il semblait approprié de demander combien d’insectes amers avaient volé dans sa bouche. À propos, Patricia était le nom d’origine de Lobivia.

Le silence s’abattit sur tout le monde, mais un rire de femme le rompit.

« Pffft. Qu’est-ce que c’était, Rex ? » demanda Ella.

La grande sœur de Rex était sans pitié. Même Thaddeus et Kath, dont l’âge est proche du sien, avaient souri. Il m’était impossible de rire avec eux, mais le décalage entre l’expression de Rex et ses paroles était assurément comique.

Le visage rugueux de Rex devint légèrement rouge. Néanmoins, son regard fort resta fixé sur moi, et son expression resta sérieuse. Je devais réagir de façon appropriée. J’avais corrigé ma posture et je l’avais regardé droit dans les yeux.

« Lobivia est aussi précieuse pour moi. Je la protégerai jusqu’à la limite de mes forces. »

Après que Rex ait passé plusieurs secondes à s’assurer de mon existence, il répondit sans ambages : « Elle s’appelle Patricia. Ne la désignez pas par ce nom bizarre. »

J’avais fait un sourire involontaire. Même aujourd’hui, il ne l’appelait jamais Lobivia. C’était vraiment une tête de mule obstinée et sans défense. Cependant, il était certain qu’il tenait aussi beaucoup à sa petite sœur.

À ce moment-là, une force énorme frappa la tête de Rex avec un bruit sourd. Un sac à dos avait volé dans le côté de son visage rocheux à une vitesse terrifiante.

« Rex ! Espèce d’abruti ! » rugit Lobivia de loin. « Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je n’arrête pas de te dire que je m’appelle Lobivia, bon sang ! »

Nous n’avions pas parlé à voix basse, elle avait donc dû nous entendre. Lobivia piétinait le sol, le visage complètement rouge. Rex garda son air acariâtre et ramassa le sac à dos. Après avoir essuyé la saleté, il me le tendit.

« Prenez soin d’elle. »

« C’est sûr. »

J’avais accepté le sac et sa demande, et j’avais quitté Draconia.

***

Chapitre 3 : Le chemin de la marionnette vers la romance ~ POV de Rose ~

Partie 1

Cela s’était produit sur le chemin du retour de Draconia à Diospyro. C’était au milieu de la nuit et tout le monde dormait. Seuls ceux qui n’avaient pas besoin de sommeil étaient actifs à ce moment-là. Je pouvais entendre la respiration paisible de Mana juste à côté de moi. Son visage endormi était encore plus innocent que pendant la journée. Sa main délicate tenait fermement l’ourlet de ma jupe.

 

 

Maintenant que j’y pense, pendant notre séjour dans les Terres forestières, Lily était restée aux côtés de notre maître pendant la nuit, tandis que je restais près de Mana pour que nous puissions agir immédiatement si quelque chose se produisait. Avant même de nous en rendre compte, c’était devenu une de nos coutumes.

Nous n’étions plus dans les Terres forestières, et notre maître avait maintenant plus de serviteurs et de compagnons de voyage, si bien que notre voyage était exponentiellement plus sûr qu’avant. Nous n’avions plus besoin de rester près d’eux deux. Néanmoins, j’avais l’esprit tranquille lorsque Mana était près de moi comme ça. Je m’étais habituée à entendre sa douce respiration pendant que je travaillais, alors je n’avais pas l’intention d’abandonner cette habitude.

« Hmm… »

Mana remuait légèrement, peut-être en train de faire une sorte de rêve. J’avais senti une sensation me remplir quelque part au fond de ma poitrine, qui s’était transformée en sourire. C’était probablement le sourire le plus naturel que je pouvais faire avec mon visage fabriqué.

J’avais alors détourné mon regard de Mana. Devant moi, j’avais vu une araignée blanche enchanteresse. C’était la seule façon dont je pouvais la décrire.

« Heh. Heh heh… »

Son sourire satisfait et son expression disgracieuse avaient complètement déformé sa beauté sans pareille.

« Eheh heh heh heh… »

Qu’est-ce qui lui passe par la tête ? D’abord, on aurait dit qu’elle grimaçait et devenait rouge vif, puis elle porta ses mains à ses joues et elle applaudit en silence. Après cela, elle commença à fouiller dans le sac magique qui contenait ses affaires.

Elle sortit le peigne et les brosses qu’elle m’avait demandé de fabriquer l’autre jour. Elle peigna ses cheveux, brossa ses poils d’araignée et lissa avec application les endroits difficiles à atteindre à l’aide de la brosse à long manche. Une fois qu’elle eut terminé, elle commença à manipuler les fils dans ses mains.

J’avais déjà vu ce cocon méticuleusement tissé. D’après Mana, certaines araignées enveloppent leurs œufs dans des cocons. Elle avait aussi dit que c’était comme si un humain confectionnait des vêtements pour un futur bébé.

Bon, je pouvais comprendre qu’elle se préparait pour l’avenir, mais pour autant que je sache, elle en avait déjà fait plus de vingt, au milieu de la nuit. Ce qui était encore plus terrifiant, c’est que son rythme n’avait pas du tout baissé. N’en faisait-elle pas trop ? Combien a-t-elle l’intention d’en tisser, d’ailleurs ? Je l’observais, mais Gerbera ne semblait pas le remarquer. Ses yeux rouge sang étaient fiévreusement humides tandis qu’elle terminait son cocon méticuleux et le rangeait dans son sac magique. Après quoi, elle se remit à se livrer à la rêverie, un immense sourire aux lèvres.

C’était tout un festival de comportements suspects. Lily, qui pratiquait un mimétisme partiel aux côtés de notre maître pendant qu’il dormait, souriait également ironiquement à cela. Gerbera dormait dans la manamobile pendant la journée, puisqu’elle devait s’y cacher, donc elle ne manquait probablement pas de sommeil. Pourtant, être trop d’enthousiasme peut se révéler être un poison.

« Tu as l’air de t’amuser, Gerbera », ai-je dit.

« Hrm ? » Gerbera cligna des yeux, confuse.

« On dirait que ta relation avec notre maître se passe bien. »

« O-Oh ? Comment peux-tu le savoir ? »

« C’est clair comme de l’eau de roche. »

Devait-elle vraiment demander après tout ce temps ? Elle perdait toute retenue comme ça la nuit, quand moins d’yeux étaient là, mais même le jour, elle était toujours de très bonne humeur. Il serait plus étrange de ne pas s’en apercevoir.

Étant donné le moment où elle s’était comportée ainsi, je pourrais même conjecturer que sa relation avec notre maître avait progressé pendant notre séjour en Draconia. Pourtant, Gerbera avait l’air surprise d’entendre cela.

« C’est incroyable, Rose. Tu peux le dire rien qu’en regardant ? »

Elle ne pouvait pas être aussi inconsciente de son propre comportement, n’est-ce pas ? J’étais restée sans voix. J’avais regardé à nouveau le visage de Gerbera, mais je n’y ai rien vu d’autre qu’un véritable étonnement. J’étais encore plus surprise qu’elle. Cela dit, c’était assez typique d’elle.

« En tout cas… Je suis contente que ça se passe bien », avais-je dit en me ressaisissant. « Félicitations, Gerbera. »

Gerbera était amoureuse de notre maître depuis notre séjour dans les Terres forestières. Même s’il avait accepté ses sentiments, elle n’arrivait pas à lui faire l’amour — et c’était entièrement de sa faute.

Si le désir qu’elle avait dans son cœur avait été exaucé, alors rien ne pouvait me rendre plus heureuse. En tant que servante et sœur aînée, je lui donnerais bien sûr ma bénédiction. Cependant, après l’avoir félicitée, Gerbera me jeta un regard étrange.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je avec curiosité.

Gerbera se gratta maladroitement la joue. « Hm. En vérité, une partie de moi se demande si c’est bien ainsi. »

« Tu n’es sûrement pas mécontente de ta relation avec notre maître, n’est-ce pas ? »

Ce n’était pas mon intention, mais ma voix était devenue plus grave que je ne l’aurais voulu, et Gerbera sursauta.

« Je ne le ferai pas. Jamais. Il n’y a aucune chance que je le sois. Notre seigneur était très doux, et il a essayé beaucoup de choses jusqu’à ce que nous nous sentions tous les deux bien, et il a été très prévenant envers moi puisque c’était ma première fois. »

« Vraiment ? »

C’est très bien ainsi. Dans la confusion du moment, Gerbera avait dit quelque chose d’assez descriptif, mais en tenant compte des sentiments de notre maître, j’avais décidé que je n’avais rien entendu.

« Le baiser était particulièrement étonnant. Cela m’a surprise. J’avais l’impression que mon esprit et mon corps fondaient… Je me demande si c’est le résultat de l’entraînement de Lily ? »

Oui, je n’ai rien entendu. Je n’ai pas vu non plus l’immense sourire de Lily. En tout cas, Gerbera n’avait pas l’air mécontente. En fait, il était impossible qu’elle ressente cela, vu cette expression disgracieuse collée sur son visage.

« Alors qu’est-ce que tu veux dire par « je me demande si c’est bien » ? “avais -je demandé.

« Eh bien… Comment dire ? Je m’inquiète qu’il y ait un ordre approprié, tu sais ?”

Sa réponse n’avait aucun sens pour moi.

« Un ordre approprié ? » avais-je demandé.

« Je veux dire, considère Katou. Quand il s’agit de notre seigneur, elle est une véritable épave. Dans un sens, je me demande si cela ne va pas la motiver à fond. Mais dans ton cas, je ne crois pas que ce sera le cas. »

« Tu ne crois pas à ce qui va se passer ? »

« Je suppose que c’est exactement ce que je veux dire. Mais je n’arrêterai pas de marcher juste parce que je m’inquiète à ce sujet. Comme c’est difficile… »

Gerbera croisa ses bras sous ses seins et se mit à gémir.

« Dis-moi Rose ? » commença-t-elle, ses yeux rouges se tournant à nouveau vers moi. « Je te l’ai déjà demandé, mais… tu as orné ton corps pour que notre seigneur te serre dans ses bras, n’est-ce pas ? »

« Correct. Qu’en est-il ? »

« Les choses sont restées en suspens la dernière fois que j’ai posé la question. Même aujourd’hui, tu ne penses pas à ce qui va suivre ? »

Elle m’avait posé la même question avant notre dernière visite à Diospyro. J’avais jeté un coup d’œil à notre maître, m’assurant qu’il dormait profondément, puis j’avais répondu aussi silencieusement que possible.

« Non, c’est vrai. Quelque part en moi, je veux ce qui vient ensuite. J’ai réalisé que ce désir était toujours présent. »

J’avais ressenti la même chose lors de mon premier rendez-vous avec mon maître. Je voulais qu’il me prenne dans ses bras. Je voulais qu’il me serre fort dans ses bras, en tant que marionnette et en tant que fille. J’avais fait des efforts pour y parvenir, croyant que c’était tout ce qu’il y avait dans mon souhait.

Mais je m’étais trompée. Quelque part en moi, j’avais envie de plus. Mana et Gerbera m’avaient dit un jour que je manquais de désir, mais j’avais été si heureuse de passer du temps à me promener en ville avec mon maître que j’avais fini par comprendre la vérité.

« Cela veut dire que tu avais raison, Gerbera », avais-je dit.

« Oh, je vois. Tu as donc aussi décidé de ravir notre seigneur ! »

Gerbera se pencha en avant, excitée, lorsque je tendis ma paume.

« Non. S’il te plaît, attends. Ce n’est pas correct. »

« Hrm ? »

« Je ne veux pas faire ça », dis-je en repoussant Gerbera. « En fait, je ne sais même pas ce que je veux faire avec notre maître. »

« Tu ne sais pas ? » demanda-t-elle en me regardant bizarrement. « C’est quelle chose étrange à dire, non ? N’est-ce pas ton propre désir ? »

« C’est le cas. Mais je ne sais vraiment pas. »

Je souhaitais absolument ce qui venait après un câlin, mais ce n’était rien de plus qu’une vague attente. C’était un espoir aveugle. Même lorsque je pensais à ce qui venait après, je n’arrivais pas à me le représenter concrètement. C’était duveteux et brillant comme un nuage resplendissant. C’est à peu près tout ce que je voyais. Mais c’était peut-être logique. Mana m’avait un jour fait remarquer quelque chose. Mon cœur était sous-développé et inexpérimenté, à tel point que je ne le comprenais pas moi-même.

***

Partie 2

« Je suppose que je suis juste terriblement obtus en ce qui concerne mes propres désirs ? » avais-je ajouté.

« Mrgh. Mais tu sais que tu veux que notre seigneur te prenne dans ses bras, n’est-ce pas ? » demanda Gerbera.

« C’est parce que j’en ai fait l’expérience une fois. Je peux souhaiter que cela se reproduise parce que je sais ce que ça fait. »

« Veux-tu dire qu’on ne peut pas souhaiter quelque chose qu’on est incapable d’imaginer ? » demanda Gerbera en se balançant légèrement. « Alors, Rose, veux-tu enlacer notre seigneur, l’embrasser, le laisser te toucher et faire l’amour ? »

Je m’étais figée. Qu’est-ce qu’elle me demandait ? Imaginer ces choses était hors de ma portée. Ce n’était pas seulement que je manquais d’imagination — le concept n’existait même pas pour moi en premier lieu. Honnêtement, je n’arrivais même pas à réfléchir correctement après qu’on m’ait posé une question aussi franche.

Cependant, Gerbera continua à me fixer avec une expression significative. Elle n’avait pas dit cela sur le ton de la plaisanterie, elle était sérieuse. Elle voulait vraiment que j’y réfléchisse. Alors, juste pour un moment, je m’étais permis de fantasmer sur quelque chose qui dépassait largement mes moyens.

Mais j’avais tout de suite atteint ma limite. Étreinte ? Embrasser ? Toucher ? Faire l’amour ? Avec mon maître ? Lorsque c’était énoncé de façon aussi précise, cela n’avait pas le sens de la réalité. Dans le passé, j’avais pensé que mon simple souhait de vouloir qu’il me prenne dans ses bras allait déjà trop loin. Même aujourd’hui, certaines parties de moi y croyaient encore. Comment, alors, pourrais-je décrire un acte au-delà de cela ? Je ne savais pas ce que c’était, et il m’était difficile d’imaginer ce que ce serait.

« Je ne peux même pas l’imaginer… », avais-je honnêtement admis.

« Contrairement à Gerbera, tu n’as pas d’instinct de reproduction en tant qu’espèce, » dit Lily en me lançant une bouée de sauvetage. « Et tu ne peux pas apprendre des souvenirs et des sens de quelqu’un d’autre comme je l’ai fait avec Miho. Il est donc logique que tu te sentes si éloignée de ces concepts. »

« Hmm. Je vois. Est-ce comme ça que ça marche ? » demanda Gerbera.

« Eh bien, sa personnalité est aussi un facteur. Rose est comme la personnification de la loyauté, et elle est tellement sérieuse. »

Apparemment, elles pouvaient comprendre mes sentiments d’un seul coup d’œil. Je n’avais pas conscience d’avoir souhaité une chose aussi scandaleuse, et j’étais donc restée perplexe.

En me voyant ainsi, Lily retint son sourire et me regarda sincèrement. « Rose, je ne sais pas ce qui donnera le coup d’envoi pour toi… mais quand le moment viendra, tu devras l’accepter comme il se doit, d’accord ? Cela deviendra sûrement ton trésor le plus inestimable. »

Ses paroles étaient empreintes de l’affection d’une grande sœur. En même temps, elles étaient aussi pleines de conviction. Elle savait que ce jour viendrait certainement.

Avant même de m’en rendre compte, je lui avais répondu par un signe de tête. « Compris, ma sœur. »

« Très bien ! » Elle avait souri avec satisfaction, mais son sourire s’était ensuite transformé en un rictus taquin.

« Pour l’instant, tu veux que notre maître te prenne dans ses bras, c’est ça ? En parlant de donner le coup d’envoi, c’est un bon point de départ. »

« S-Sœur… ? »

« N’est-il pas temps d’essayer de l’amadouer pour qu’il t’en donne une ? »

« C’est impossible ! »

« Oh, ça m’a l’air bien », ajouta Gerbera. « De toute façon, il y a des choses que tu ne découvriras pas tant que tu n’auras pas essayé d’agir. »

Elles s’amusaient et plaisantaient à moitié, mais l’autre moitié était assurément sérieuse. C’était un peu troublant, car je n’avais pas trouvé le moyen de me résoudre. Mes sœurs essayaient tout de même de me donner une bonne poussée dans le dos parce que j’étais toujours comme ça. Je leur étais reconnaissante de leur considération, mais je me sentais aussi pathétique de ne pas pouvoir répondre à leurs attentes.

Je me sentais un peu déprimée, mais Shiran me sauva en revenant de patrouille.

« Je suis revenue. Oh ? On dirait que vous vous amusez toutes », dit-elle.

« Bienvenue, Shiran », Lily l’avait saluée. « Hein ? Il y avait encore des monstres ? » Le nez de Lily tressaillit. Elle avait détecté l’odeur du sang. « Es-tu blessée ? Tu reviens un peu plus tard que d’habitude aujourd’hui. »

« Je vais bien. Merci de t’inquiéter », répondit Shiran avec un sourire, qui contrastait complètement avec l’expression inquiète de Lily. « Je m’excuse d’être en retard. Berta est retournée auprès de son maître, alors j’ai pensé qu’il serait prudent de faire une patrouille plus approfondie. »

« Oh. Mhm. C’est tout à fait raisonnable, mais… »

« Un peu de sang m’a aspergée, je vais aller me laver. Rose, pourrais-tu me prêter l’ensemble ? »

« Très bien. Je t’en prie, attends un peu. »

J’avais sorti une bassine un peu grande et une serviette de mon sac magique et je les avais tendus à Shiran. Elle les avait acceptées avec un sourire et s’était installée à l’abri des regards. Pendant tout ce temps, Lily regarda son dos.

« Y a-t-il un problème, ma sœur ? » avais-je demandé.

« Hmm. C’est à propos de Shiran », répondit-elle, l’air pensif. « Elle a souvent combattu des monstres pour nous, n’est-ce pas ? »

« Oui, c’est vrai. Shiran a largement contribué à maintenir la sécurité de notre maître pendant la nuit. »

Il y avait un bon nombre de monstres nocturnes. Pendant notre séjour dans les Terres forestières, nous avions été attaqués en pleine nuit à plusieurs reprises. Mais cela ne s’était pas produit récemment, car Shiran patrouillait dans nos campements pour exterminer les monstres qui se trouvaient à proximité.

« J’admire vraiment sa diligence », avais-je dit.

« Mhm. Moi aussi. Mais tu sais…, » dit Lily, ses intentions n’étant pas claires.

« Y a-t-il un problème ? »

Lily hésita un instant, puis elle déclara : « J’ai l’impression que Shiran revient en ayant rencontré trop de monstres. »

« Comment cela ? »

« Je veux dire, nous n’en rencontrons pas autant pendant la journée, n’est-ce pas ? Est-ce que leur nombre bondit vraiment comme ça juste parce que c’est la nuit ? »

« Aah… »

Maintenant qu’elle en parlait, ça n’avait pas de sens. Il était plutôt rare que nous tombions sur des monstres pendant la journée. Cette région était proche des Terres forestières, mais ce n’était pas vraiment les Forêts sombres. C’était certainement un environnement difficile à vivre, mais il n’y avait pas autant de monstres dans la région. De plus, l’Ordre de la défense nationale avait éradiqué ceux qui se trouvaient à proximité des routes principales reliant les villes d’Aker. Ces facteurs avaient réduit le nombre de monstres que nous pourrions rencontrer.

Néanmoins, Lily utilisait souvent son odorat de loup pour signaler que Shiran avait combattu des monstres au cours de sa patrouille. Et encore, ce n’était pas comme si elle pouvait le détecter à chaque fois. Il y avait peut-être eu des moments où elle n’était pas sûre et ne l’avait pas mentionné. Il était donc possible que Shiran ait vaincu encore plus de monstres que ce que nous savions.

« Mais Lily, Berta ne chassait-elle pas aussi des monstres tous les soirs ? », fit remarquer Gerbera. « Elle en trouvait aussi plusieurs à chaque fois. N’est-ce pas la même chose ? »

« Elle sortait pour chasser », répondit Lily. « Elle cherchait activement une proie. N’est-ce pas différent de ce que fait Shiran ? »

« Hmm. Tu marques un point. »

Maintenant que Gerbera avait l’air convaincue, Lily regarda vers la ligne d’arbres où Shiran était partie.

« Je ne pense pas que cela devrait se produire à moins qu’elle ne couvre une zone assez large. Il faut s’en féliciter, mais… »

« Est-ce qu’elle se pousse encore un peu trop ? » demandai-je en regardant dans la même direction avec inquiétude.

« Peut-être… Eh bien, avant de partir, Berta m’a dit : “Fais quelque chose pour le problème de ton propre groupe”. »

« Le problème de notre groupe, dis-tu ? »

« Mhm. Je pense que c’était un lapsus. Elle a réussi à l’effacer sur le moment, mais peut-être que… »

Notre maître s’inquiétait depuis un moment de la tendance de Shiran à se pousser à bout. Il était donc logique que le problème mentionné par Berta soit lié à elle. Néanmoins, quelque chose me frappa.

S’il s’agissait effectivement d’un problème, pourquoi Berta esquive-t-elle la question ? Il n’y avait aucune raison de le faire si le problème était déjà connu. Je ne connaissais pas la vérité, bien sûr. Berta était retournée aux côtés de Kudou, nous ne pouvions donc plus lui poser la question. Il n’était même pas certain que le problème qu’elle avait mentionné soit lié à Shiran pour commencer.

Pourtant, quelque chose me dérangeait. Peut-être que cela dérangeait aussi Lily, parce qu’une ombre d’anxiété s’était abattue sur elle alors qu’elle continuait à fixer les arbres.

 ◆ ◆

Finalement, nous avions consulté notre maître à ce sujet et décidé de garder indirectement un œil sur les choses. Cela dit, la tendance de Shiran à se pousser trop loin était déjà dans nos esprits, alors nous repérerions tout de suite tout nouveau développement. Entre-temps, nous étions arrivés à Diospyro.

Comme la dernière fois, Lily était restée dans la manamobile avec les autres personnes qui ne pouvaient pas entrer en ville. Nous nous étions d’abord rendus à l’auberge pour y retrouver Fukatsu, qui nous y attendait. Alors que nous venions d’arriver dans la rue où se trouvait l’auberge, une femme nous interpella.

« Oh ! Est-ce toi, Shiran !? Et Kei aussi ! »

Une jeune femme aux cheveux blonds, aux yeux bleus et aux oreilles effilées marchait dans la rue vers nous. C’était une elfe. Son sourire joyeux faisait ressortir ses pommettes, mais ses traits ressemblaient un peu à ceux de Shiran et de Kei. Cette ressemblance ne semblait pas non plus accidentelle. Chose rare, Shiran la regarda d’un air complètement hébété.

« Tatie… ? »

« Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vues », répondit la femme avec un sourire nostalgique.

 

 

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