Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 10
Table des matières
- Chapitre 1 : Tragédie au village de récupération
- Chapitre 2 : Les soucis de la Skanda ~ Point de vue d’Iino Yuna ~ : Partie 1
- Chapitre 2 : Les soucis de la Skanda ~ Point de vue d’Iino Yuna ~ : Partie 2
- Chapitre 3 : Le sauvetage
- Chapitre 4 : Le point de vue d’un certain chevalier
- Chapitre 5 : Les blessés
- Chapitre 6 : Nécessités
***
Chapitre 1 : Tragédie au village de récupération
Lorsque j’avais rencontré Shiran pour la première fois, elle m’avait dit quelque chose alors que nous descendions dans ce mausolée souterrain.
« Même si je ne la verrai plus jamais de mes propres yeux, je veux protéger ma ville natale. Je veux protéger les villages qui partagent son sort. Je veux protéger les camarades qui se battent à mes côtés. »
Telle était la volonté de Shiran, la raison pour laquelle elle risquait sa vie au combat. Et en cet instant même, tout ce qu’elle voulait protéger s’écroulait sous ses yeux.
Les maisons brûlaient et s’effondraient. Les villageois fuyaient pour sauver leur vie. À chaque coup d’épée des hommes en armure, un objet irremplaçable pour Shiran tombait au sol. Elle était déjà instable et l’avait été ces derniers jours. Elle avait souffert et agonisé à cause de son corps de mort vivant, elle avait caché sa déception et son désespoir, et elle avait même regretté d’exister. Pour elle, la situation dans laquelle nous nous trouvions était fatale. L’équilibre émotionnel qu’elle avait à peine maintenu venait d’être rompu de façon décisive.
« Aaaaaargh ! »
Une goule rugit — ou peut-être était-ce le cri de mort d’une prière piétinée — et Shiran bondit loin du siège du conducteur de la manamobile.
« Attends ! Shir — ! » J’avais tendu la main sur un coup de tête, mais je n’avais attrapé que de l’air. « Si vite ? »
Mes yeux s’étaient écarquillés. Shiran était censée être beaucoup plus faible à cause de son manque de mana, et pourtant, elle se déplaçait à une vitesse impossible pour un corps affaibli.
Après avoir touché le sol, Shiran se mit à courir sans attendre. En un clin d’œil, sa silhouette s’estompa, paraissant si petite alors qu’elle se dirigeait tout droit vers le village.
« Je vais la chercher ! » hurla Rose.
Rose avait joué le rôle de garde auprès de Leah et Helena; elle se trouvait donc déjà à l’extérieur de la manamobile. Elle était la seule à pouvoir la poursuivre immédiatement.
« Attends ! » lui criai-je à mon tour.
« Maître ? » demanda-t-elle en s’arrêtant et en se retournant.
« N’y va pas toute seule ! »
Ce serait une chose si nous pouvions la rattraper avant qu’elle n’atteigne le village, mais elle était clairement plus rapide que Rose. Tant que nous ne savions pas ce qui se passait en bas, nous devions faire preuve de prudence. Il fallait faire la part des choses entre ce qu’il fallait abandonner et ce qu’il ne fallait pas.
Je m’étais mordu la lèvre inférieure, mais je n’avais pas eu le temps d’hésiter. Je m’étais rapidement retourné et j’avais soulevé le tissu qui recouvrait la voiture. Comme plus personne ne la contrôlait, la manamobile tremblait puissamment, mais je l’avais ignorée et j’avais attendu que tous les regards à l’intérieur se tournent vers moi.
« Maître ! Qu’est-ce que c’était au juste — ! »
« — Le village est attaqué ! » avais-je crié, coupant la parole à Lily. « Shiran l’a vu. Elle est devenue folle et s’est mise à courrir vers le village ! »
« Pas possible ! »
« Je ne sais pas ce qui se passe, mais nous ne pouvons pas la laisser partir seule. Lily ! Gerbera ! Venez avec moi ! »
« Moi aussi ? » hurla Gerbera sous le choc.
J’avais hoché la tête et j’avais expliqué mon point de vue : « Shiran a perdu tout sens de la raison. Au pire, elle risque de mourir si nous ne l’immobilisons pas. Comme nous ne savons pas qui est l’ennemi, nous devons y aller avec tout ce que nous avons. »
J’avais jeté un coup d’œil à la troupe armée qui attaquait le village. Ils portaient tous des armures assorties. Il s’agissait sans doute de soldats, voire de chevaliers. Je n’avais jamais vu ce modèle auparavant et je ne pouvais donc pas savoir à quelle faction ils étaient affiliés. Cependant, je pouvais dire qu’ils avaient reçu un entraînement formel au combat. De plus, nous ignorions leur nombre.
Emmener uniquement mes serviteurs que l’on peut montrer en public pourrait ne pas suffire cette fois-ci. Il fallait en effet tenir compte de l’unité qui attaquait le village, ainsi que de Shiran qui était devenu fou furieux. J’avais décidé qu’il me fallait mes deux serviteurs les plus puissants pour me préparer au pire.
Je savais parfaitement que cela signifiait révéler nos identités. Je pouvais aisément imaginer les conséquences que cela aurait. Au pire, nous ne pourrions plus rester à Aker et devrions tout recommencer. Cependant, la sécurité de mes compagnons était la chose la plus importante pour moi. Je n’allais pas renoncer à mes priorités.
« Tous les autres se cacheront jusqu’à notre retour. Rose, Ayame et Lobivia, restez ici et protégez Leah et Helena. »
« Je vais — ! » Lobivia avait commencé à dire quelque chose d’un air mécontent, mais en croisant mon regard, elle hocha la tête en fronçant les sourcils. « Si tu le dis… »
« Bonne fille. »
J’avais ébouriffé ses cheveux roux, puis j’avais immédiatement quitté la manamobile.
◆ ◇ ◇
Le temps que je sorte du véhicule, Shiran avait déjà disparu. J’avais donné mes ordres aussi vite que possible et il ne s’était écoulé qu’une vingtaine de secondes depuis son départ; nous n’étions donc pas trop en retard.
Gerbera m’avait soulevé et s’était mise à courir, suivie de près par Lily. Ces deux-là étaient rapides. Je ne les avais pas choisies uniquement pour me préparer au pire. Néanmoins, même elles ne pouvaient pas rattraper Shiran avant qu’elle n’atteigne le village. Je m’y attendais, Shiran s’était enfuie trop vite.
Shiran était déjà présentée comme le chevalier le plus fort des Terres forestières du Nord, parvenant à repousser Juumonji Tatsuya pendant un certain temps. Mais elle était alors au mieux de sa forme et avait bénéficié du soutien des quatre esprits qui lui étaient liés par contrat. Ce n’est qu’avec l’aide magique des esprits qu’elle avait pu montrer assez de force physique pour affronter un tricheur.
Mais maintenant qu’elle avait perdu la raison, elle ne pouvait plus bénéficier de leur soutien. Le fait qu’elle ait malgré tout fait preuve d’une vitesse surhumaine signifiait qu’elle utilisait ses capacités physiques comme une goule, comme un monstre. C’est un problème majeur.
« Nous sommes là ! » avais-je crié.
Nous avions atteint les murs qui entouraient le village. Aucun villageois ne montait la garde dans la tour de guet. À la place, nous avions trouvé deux hommes effondrés devant la porte. Ce n’étaient pas des villageois. Étaient-ils des maraudeurs ? L’un d’eux avait été décapité et l’autre avait une profonde coupure le long de la clavicule. Shiran les avait apparemment abattus. À en juger par la grande quantité de sang qui éclaboussait les lieux, la bataille avait été brève, mais intense. Alors que nous passions devant leurs cadavres, les détails de leurs armures maculées de sang m’apparurent.
« C’est du beau matériel… »
C’était bien mieux que ce que portaient les villageois, qui se contentaient de ce qu’ils avaient sous la main. Leur équipement était uniforme et de la plus haute qualité. Il semblerait que ma précédente supposition, selon laquelle ils constituaient une sorte d’armée ou d’ordre chevaleresque, était la bonne.
Mais qu’est-ce qui se passe ? L’armée royale et l’ordre de la défense nationale constituaient les forces armées d’Aker, mais il était difficile de croire qu’ils s’en prendraient à leurs concitoyens alors qu’ils se battaient pour protéger leur pays.
S’agissait-il donc d’une armée étrangère ? Mais dans ce cas, cela signifiait la guerre avec Aker. Dans ce monde, le Saint Ordre servait à maintenir l’ordre public; même un grand noble comme le marquis Maclaurin pourrait être ruiné pour avoir inutilement attisé les feux du conflit. Alors, qu’est-ce que cela peut bien être ?
Pendant que je réfléchissais, Gerbera et Lily continuaient d’avancer. Les portes étant fermées, elles sautèrent par-dessus les murs pour entrer. La plupart des villages de récupération s’étendaient à mesure qu’ils défrichaient les terres alentour, construisant plusieurs couches de murs défensifs au fur et à mesure de leur expansion, et ce village ne faisait pas exception.
Après avoir franchi le mur extérieur, les champs s’étendirent devant nous. À ce stade, il n’était pas étonnant que les villageois prennent Gerbera pour un monstre et se jettent sur nous. Elle aurait pu se débarrasser de n’importe quel villageois sans difficulté, mais nous restions tout de même prudents.
Mais aucune attaque n’eut lieu. Il n’y avait personne pour travailler dans les champs. Maintenant que j’y pense, je n’avais vu personne autour des champs quand je regardais le village tout à l’heure.
Gerbera, qui me portait toujours dans ses bras, traversa en courant le chemin vide au milieu des champs, suivi de près par Lily. Sur le chemin, nous avions entendu un sifflement. S’agissait-il d’un signal ? Je ne saurais le dire, mais il provenait sans aucun doute de quelqu’un. Je m’étais préparé à ce que nous allions découvrir.
Nous avions alors atteint les murs intérieurs. Il y avait beaucoup de bruit de l’autre côté. J’entendais de nombreuses personnes rugir et crier… puis vint le hurlement des morts : Shiran. Gerbera utilisa ses fils pour franchir le mur d’un seul bond. En regardant par-dessus le mur, j’avais pu voir Shiran enfoncer son épée dans le corps d’un ennemi situé à quelques mètres.
« Aaaaargh ! »
« Gah ! »
Son puissant coup en diagonale repoussa l’épée de l’ennemi et continua en traversant son armure, s’enfonçant profondément dans son torse. L’épée, si bien trempée pour protéger l’humanité, était maintenant teinte en rouge par le sang humain.
Deux autres cadavres en armure gisaient sur le sol. À en juger par la situation, Shiran les avait également tués. Il y avait également beaucoup d’autres corps épars. Ceux-ci ne portaient pas d’armure et n’étaient pas non plus armés. Il s’agissait des villageois qui avaient été attaqués par les maraudeurs. D’après ce que j’avais pu voir, ils étaient plus d’une dizaine. Je ne voulais même pas imaginer le nombre de victimes si la même chose se produisait ailleurs dans le village. Peut-être que le hurlement enragé de Shiran était le reflet de l’indignation des morts.
« Aaaargh ! »
Shiran fit tomber le corps loin de son épée d’un coup de pied, fixant son œil bleu sur sa prochaine cible. Plusieurs des maraudeurs se mirent en formation derrière leurs boucliers. Ils avaient réussi à se mettre en place pendant que trois de leurs camarades devenaient la proie de son arme. On aurait dit qu’ils avaient recours à la magie.
« Il n’y a pas lieu de paniquer ! Restez calmes et faites face à la situation ! » hurla l’un des hommes à l’arrière. Il s’agissait probablement de leur chef.
Gerbera sauta du mur juste au moment où Shiran passait à l’action.
« Aaaaargh ! »
Shiran s’élança sur les hommes en poussant un cri épouvantable. Elle combla la distance qui les séparait en un rien de temps.
« Maintenant ! »
Sur l’ordre de l’officier, un glyphe apparut à l’arrière, dans l’arrière-garde de l’ennemi. Une lumière vive enveloppa le sol sur une large surface. Je n’y sentais aucune agressivité, mais il semblait en être autrement pour Shiran.
« Gah ! ? Grrr… »
Un grognement douloureux s’échappa de ses lèvres. Aucune blessure n’avait suffi à l’arrêter lors de son assaut contre Juumonji Tatsuya, mais pour une raison ou une autre, elle semblait maintenant souffrir d’une horrible agonie. Pourtant, elle n’avait pas cessé d’avancer. Même si ses mouvements étaient ralentis, elle se rapprocha de son adversaire et lui porta un coup d’épée, le laissant entièrement à la merci de son élan.
« Aaaaaargh ! »
L’épée et le bouclier s’entrechoquèrent dans un bruit sourd. L’homme qui avait porté le coup perdit pied et trébucha, mais ce fut tout. Étonnamment, il parvint à arrêter l’attaque de Shiran. Immédiatement, l’un des autres membres de l’avant-garde soutint son camarade chancelant. Leurs mouvements étaient fluides. Shiran avait perdu l’occasion d’effectuer une attaque de suivi. En réalité, les autres membres de l’avant-garde lançaient leur propre contre-attaque.
Shiran esquiva l’une de leurs épées, mais elle dut rompre son équilibre pour y parvenir. Un autre coup visait son cou et elle leva instantanément sa lame pour se défendre. Même avec un mauvais équilibre, la puissance de Shiran était anormalement importante.
« Gaaargh ! »
Néanmoins, le coup la fit reculer.
Mes yeux s’étaient ouverts en grand. « Impossible… »
Les maraudeurs avaient repoussé la charge de Shiran. C’était un exploit extraordinaire. Sentant que son adversaire allait passer à l’offensive, Shiran roula en utilisant son élan et sauta loin d’eux. Elle s’apprêta à charger à nouveau, mais trébucha soudain.
« G-Gaargh… ? »
Elle tomba à genoux et poussa ses deux mains vers le sol. Je me doutais bien de ce qui n’allait pas. Après tout, je l’avais prédit.
« Merde ! Elle n’a plus de mana ! »
La capacité de mana de Shiran était actuellement assez faible. Elle avait utilisé tout son mana d’un seul coup pour faire ressortir une puissance massive, mais elle ne pouvait pas continuer ainsi. Elle s’était peut-être épuisée en utilisant tout le mana dont elle avait besoin pour fonctionner normalement, et elle s’était effondrée sur le sol. Ses ennemis ne laisseraient pas passer cette occasion.
« C’est notre chance ! Achevez-la ! »
Les maraudeurs se rapprochèrent.
« Je ne te laisserai pas faire ! » J’avais crié, libérant le mana que j’avais accumulé sur notre chemin. « Loge Brumeuse ! »
Les hommes me remarquèrent alors, mais il était trop tard. La brume dense qui se déversait de mon corps enveloppa les environs en un instant.
« Qu’est-ce que c’est ? Compagnie ! Repliez-vous ! »
Les hommes se retirèrent prudemment. C’est maintenant à moi d’agir.
« Vas-y ! »
« Trreeee ! »
Asarina s’élança hors de mon gantelet, son long corps s’étirant jusqu’à Shiran tombée au sol qu’elle récupéra.
« D’accord ! » Je l’avais attrapée dans mes bras, puis je l’avais posée par terre. « Tu vas bien ? »
Je l’avais appelée, mais Shiran était restée immobile, comme un vrai cadavre. Elle était inconsciente. Je savais que c’était à cause du manque de mana, mais je ne pouvais rien faire pour l’instant. Une fois Shiran en sécurité, j’avais reporté mon attention sur les maraudeurs.
« Qu’est-ce qu’ils ont, ces gars-là… ? » murmurai-je.
La magie de la loge brumeuse n’était pas seulement un écran de fumée; c’était une magie de perception qui me permettait d’obtenir des informations sur tout ce qui se trouvait à l’intérieur du linceul de brume. La précision des informations obtenues dépendait de la densité du brouillard. Pour l’instant, je l’avais réduite à environ un quart de sa puissance maximale, mais j’avais quand même pu obtenir de nombreuses informations.
La magie m’indiquait que la douce lumière émise par le sol était une magie débilitante destinée à entraver les mouvements des monstres morts-vivants. De plus, l’avant-garde ennemie disposait d’une magie de renforcement de l’arrière-garde qui augmentait ses capacités physiques.
Oui. Le fait que l’avant-garde ait réussi à repousser la charge de Shiran n’était pas uniquement dû à leur coordination, mais aussi au soutien de la magie débilitante et de renforcement de l’arrière-garde. Il n’y avait pas beaucoup de gens capables d’utiliser la magie dans ce monde. Ceux qui pouvaient utiliser la magie débilitante et de renforcement, difficile à mettre en œuvre, étaient extrêmement peu nombreux. Même les chevaliers de l’ Alliance n’avaient pas autant de personnes capables de le faire tout en l’utilisant dans des tactiques de groupe.
J’avais encore révisé à la hausse mon évaluation déjà élevée de la menace qu’ils représentaient. Qui étaient-ils exactement ? Je voulais le savoir, mais je n’avais pas le temps d’y réfléchir. Ayant remarqué l’apparition de la brume, leurs camarades, qui se trouvaient ailleurs dans le village, se rassemblaient à cet endroit. Il serait dangereux qu’ils se mettent tous en formation. La victoire revenait au plus rapide. Je les écraserais ici et maintenant.
« Gerbera ! »
« Haut et clair ! »
J’avais immédiatement déchaîné mon plus grand combattant. Gerbera s’était élancée. La magie débilitante était sans aucun doute une menace, mais elle n’avait aucun effet lorsque la capacité de mana de l’adversaire était bien supérieure. Un tricheur était le seul à pouvoir utiliser cette magie sur la grande araignée blanche des profondeurs. Ce nombre d’ennemis n’était pas une menace pour Gerbera à pleine puissance.
« Quoi !? »
Un frisson soudain m’assaillit. Ma magie de perception sonnait l’alarme dans ma tête à propos d’un seul ennemi. C’était l’homme qui donnait les ordres. Il y avait quelque chose de mauvais en lui. Au moment où ce pressentiment me frappa, juste avant que je puisse avertir Gerbera, ses yeux brillèrent d’une lumière inquiétante.
« Gah ! »
L’instant d’après, Gerbera grogna. Elle dut interrompre sa charge et fit un bond en arrière, parvenant tant bien que mal à revenir à nos côtés.
« Espèce de salaud… Qu’est-ce que tu as fait… ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante.
« Gerbera, quoi ?! »
Dès que j’avais vu son visage, j’en étais resté sans voix. Un motif violet courait sur ses joues et le long de son cou, comme un tatouage. Je pouvais voir qu’il descendait sur tout son corps, interférant avec son mana.

« De la magie débilitante… ? »
Un fardeau terrifiant pesait sur tout son corps, bloquant le flux de mana à l’intérieur. N’importe quelle personne normale en serait probablement morte.
« Non… »
Est-ce vraiment de la magie ? L’homme n’avait pas accumulé de mana, ce qui aurait dû être nécessaire pour un sort de ce niveau. Malgré cela, le sort avait fonctionné sur Gerbera, ce qui prouvait que son effet était absurde. C’était comme si…
« Qui es-tu… ? » demandai-je en jetant un regard à l’homme qui avait lancé cela sur Gerbera.
Il avait les cheveux bruns et les traits délicats. Il était svelte, mais son corps était bien musclé et il portait la même armure lourde que les autres.
« Oh, eh bien, excusez-moi pour ça », répondit-il d’une voix douce, mais la malice qui se cachait derrière ses mots contredisait ses paroles.
« Je m’appelle Travis », dit-il en affichant un sourire élégant, mais qui n’était qu’une façade.
« Commandant de la quatrième compagnie du Saint Ordre, Sire Travis Mortimer, celui qui tuera le misérable chevalier déchu. »
***
Chapitre 2 : Les soucis de la Skanda ~ Point de vue d’Iino Yuna ~
Partie 1
Quelques jours s’étaient écoulés depuis le début de mon voyage pour rendre visite au noble impérial mineur, le vicomte Bann. Je voulais en effet confirmer par moi-même les rumeurs concernant le faux sauveur. Après avoir rencontré le vice-maréchal du Saint Ordre et commandant par intérim de la deuxième compagnie, Gordon Cavill, j’avais fini par travailler avec lui. Mais nous n’étions pas seuls. Cinq autres chevaliers du Saint Ordre nous accompagnaient.
Nous avions réservé une auberge dans un village où nous nous étions arrêtés. Après avoir trouvé ma chambre et changé mes vêtements de voyage, j’étais allée dans la chambre que Gordon et les autres utilisaient. L’un des chevaliers vint me saluer à la porte, puis m’invita à entrer.
« Oh, mademoiselle Iino. Bienvenue. »
Gordon était assis à une table et m’avait accueillie chaleureusement. Avec sa peau foncée, son crâne dégarni et sa forte carrure, il avait l’air quelque peu effrayant, mais il se comportait comme un gentleman. Au début, j’étais un peu tendue quand je lui parlais, mais après quelques jours, toute ma nervosité avait disparu.
En me dirigeant vers la table couverte de cartes et de documents, je lui posai immédiatement des questions sur l’enquête concernant le faux sauveur. La deuxième compagnie de Gordon était composée d’environ quatre cents chevaliers dispersés dans les petits territoires nobles de la région. Ils collaboraient avec les forces locales pour mener l’enquête. Gordon avait ensuite compilé toutes les informations recueillies. Malheureusement, ils n’avaient pas non plus obtenu de résultats satisfaisants aujourd’hui.
« Je suis désolé que nous n’ayons rien pu obtenir d’utile », dit Gordon, les épaules affaissées. Il avait l’air d’un ours déprimé, ce qui était, d’une certaine manière, comique. « Nous avons déjà reçu des informations utiles de votre part, et pourtant nous voici dans cet état. Je ne m’excuserai jamais assez. »
Il faisait référence aux informations que je leur avais fournies sur Kudou Riku. À en juger par la façon dont les monstres avaient anéanti les villages visités par le faux sauveur, je soupçonnais le cerveau de l’attaque du fort de Tilia, le seigneur des ténèbres Kudou Riku, d’y être pour quelque chose. C’est la raison pour laquelle Gordon m’avait demandé de l’aide. J’avais accepté et je lui avais révélé tout ce que je savais, mais uniquement ce dont je disposais. Je n’avais encore rien fait.
« Enquêter sur un faux sauveur n’est pas le genre de chose qui donne des résultats tout de suite », avais-je dit en secouant la tête. « Je sais que vous faites de votre mieux, Sire Gordon. »
Après avoir travaillé avec lui, j’avais découvert que Gordon était un homme très diligent. Il conduisait la manamobile pendant la journée et recueillait des informations à chaque étape. Une fois qu’il avait obtenu les informations des autres chevaliers, il examinait soigneusement chaque détail et les rassemblait. Il donnait également des ordres pertinents à ses subordonnés et prenait soin de contacter fréquemment les petits nobles qui coopéraient avec lui. Même si les chevaliers qui l’accompagnaient l’aidaient chacun dans un domaine différent, la quantité de travail qu’il accomplissait seul était extraordinaire. Il était si dévoué que je m’étais demandé s’il dormait suffisamment.
« Je ne peux pas me plaindre quand vous travaillez si dur », lui dis-je. « En fait, vos efforts sont étonnants. »
« Merci, madame », dit Gordon, son visage rocailleux s’adoucissant un peu, « mais j’ai honte d’être félicité pour cela. Ce que nous faisons est une évidence. C’est notre devoir. Nous ne sommes pas des membres de ce monde, après tout. »
« Hum ? »
Pas des membres de ce monde ? Je n’avais pas compris.
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » lui avais-je demandé.
« Hmm… » Gordon posa sa main sur son menton et réfléchit un instant. Après une courte pause, il poursuivit : « Mademoiselle Iino, connaissez-vous ceux qui ont un sang béni ? »
« Hein ? — Oui, ce sont des descendants de visiteurs, n’est-ce pas ? »
Ce que nous appelons des tricheurs était appelé des bénédictions dans ce monde, c’est pourquoi ils appelaient les descendants des visiteurs « ceux qui ont un sang béni ».
« En vérité, chaque chevalier du Saint Ordre est de sang béni. »
« Hein ? Vraiment ? »
C’était la première fois que j’en entendais parler. Par réflexe, je m’étais tournée vers les subordonnés de Gordon qui m’avaient répondu par un signe de tête.
« Oui, c’est exactement ce que dit le commandant », répondit l’un d’eux.
« Je n’en avais aucune idée… »
Mais maintenant qu’ils l’avaient mentionné, c’était tout à fait logique. Gordon avait la peau foncée, ce qui était atypique dans ce monde. De plus, en y repensant, le maréchal que j’avais vu au fort Ebenus avait lui aussi des traits semblables aux nôtres. Cela s’expliquait par le fait qu’ils étaient les descendants de visiteurs.
« Cela dit, tous les sangs bénis ne peuvent pas devenir chevaliers du Saint Ordre », ajouta le plus jeune chevalier du groupe. « Le Saint Ordre est une force de combat de l’élite destinée à se battre aux côtés des grands sauveurs. On ne peut pas devenir chevalier dans ses rangs sans avoir les compétences nécessaires. En fait, c’est parce que le Saint Ordre emploie une doctrine de la force que seuls ceux qui ont un sang béni, et seulement quelques-uns d’entre eux peuvent le rejoindre. »
Son ton était empreint d’une passion juvénile. Son aura ressemblait à celle de Watanabe, le défunt membre de l’équipe d’exploration.
« Donc, seule une partie de ceux qui ont un sang béni peut devenir chevalier ? » demandai-je, nostalgique à cause de la ressemblance du jeune chevalier avec mon ancien camarade. « J’ai l’impression qu’il y a une contradiction là-dedans. »
« Non, il n’y en a pas », avait-il répondu. « Il semble que vous ne compreniez pas ce que signifie être de sang béni, madame. »
« Est-ce que cela signifie que vous êtes plus que de simples descendants de visiteurs ? »
« Oui, nous le sommes. Ceux qui sont de sang béni héritent de bénédictions grâce à leur lignée. De ce fait, beaucoup excellent dans la manipulation du mana, les tactiques de combat et les aptitudes à la magie, toutes choses généralement nécessaires au combat. On pourrait dire que ce pouvoir est la preuve définitive que nous sommes d’une lignée exaltée ! »
En voyant son subordonné porter la main à sa poitrine avec fierté, Gordon esquissa un sourire ironique.
« Cela dit, je préférerais que vous ne vous mépreniez pas, madame », dit-il. « Notre pouvoir est différent de celui des grands sauveurs. Il ne dépasse pas les limites des habitants de ce monde. Même parmi les chevaliers de l’ Alliance et les chevaliers impériaux, il y a des individus qui, à l’image du chevalier Taureau enragé de la Prairie ou du chevalier le plus fort des Terres forestières du Nord, surpassent le chevalier moyen du Saint Ordre. Mais si l’on exclut ces exceptions, on peut dire que le Saint Ordre est un rassemblement de la plus haute élite. »
Le chevalier le plus fort des Terres forestières du Nord désignait Shiran, qui voyageait actuellement avec Majima. J’avais entendu dire qu’elle avait croisé le fer avec Juumonji, qui excellait dans le combat rapproché en tant que guerrier, même si ce n’était que pour une courte période. Comme on pouvait s’y attendre, tous les chevaliers du Saint Ordre n’avaient pas le même potentiel de combat.
Néanmoins, ils avaient déjà une force plus que suffisante. À titre de comparaison, les membres de la deuxième compagnie des chevaliers impériaux, avec lesquels j’avais voyagé pendant un mois, ne pouvaient affronter les monstres de la Frange qu’en groupes de quatre ou cinq. La troisième compagnie des chevaliers de l’Alliance, plus expérimentée, pouvait apparemment accomplir la même chose avec deux ou trois chevaliers.
Mais qu’en est-il du Saint Ordre ? Selon Gordon, le chevalier moyen ne pouvait pas égaler Shiran, mais celle-ci était une exception. Cela signifiait que la force du chevalier moyen du Saint Ordre dépassait largement celle d’un chevalier de l’Alliance; la force de chacun d’entre eux était donc comparable à celle d’un monstre des Franges.
La première compagnie du Saint Ordre comptait environ six cents chevaliers, la deuxième environ quatre cents, la troisième environ trois cents et la quatrième environ deux cents. À l’instar de la deuxième compagnie de Gordon, chacune d’entre elles fonctionnait comme une organisation pratiquement indépendante, si bien qu’elles ne formaient pas vraiment une grande armée. Pourtant, une seule compagnie possédait un pouvoir considérable.
« C’est incroyable », dis-je avec une admiration sincère.
« Oui, mais ce n’est pas tout », dit le plus jeune chevalier, encore plus fier qu’avant. « Parmi nous, il y en a qui peuvent même reproduire les bénédictions que les sauveurs qui nous ont précédés utilisaient autrefois. »
« Hein ? Voulez-vous dire qu’il y a des gens qui ont des capacités innées ? » demandai-je, un peu plus fortement que prévu.
Possédant moi-même cette capacité inhérente de la Skanda, il ne m’était pas difficile d’imaginer l’ampleur de la chose. Je n’avais pas pu cacher mon choc, ce à quoi le chevalier avait répondu par un grand signe de tête.
« Oui, nous appelons ces personnes les bien-aimés du sang béni. Et pourquoi le cacher ? Notre commandant en est un excellent exemple ! »
« Sire Gordon ? » lui avais-je demandé en le regardant.
« Oui », répondit-il en hochant humblement la tête. « Bien que mes capacités soient bien inférieures à celles de l’original… »
« Qu’est-ce que vous racontez !? » s’exclama le plus jeune des chevaliers. « Sire Gordon Cavill des Ailes Radieuses est l’un des plus éminents parmi les bien-aimés de sang béni, même à travers les âges ! N’êtes-vous pas celui qui est le plus proche des grands sauveurs du passé ? »
***
Partie 2
Gordon avait sans doute la force nécessaire pour faire de telles louanges, mais le jeune chevalier semblait tout de même un peu trop zélé. Peut-être l’idolâtrait-il à ce point. Quant à Gordon, même s’il souriait amèrement, il regardait le jeune homme avec tendresse. Je pouvais voir le lien étroit qui les unissait.
Je fus soulagée de les voir ainsi. Pour commencer, l’une des raisons pour lesquelles j’accompagnais Gordon était de découvrir par moi-même le genre d’organisation qu’était le Saint Ordre. C’est Louis qui m’avait donné de fausses informations sur Majima et l’attaque du fort de Tilia, mais il y avait aussi un chevalier du Saint Ordre avec lui : Travis Mortimer.
Si, à l’époque, il avait fait exprès de me donner de fausses informations, et si le Saint Ordre était impliqué… Dans le contexte actuel, mes soupçons étaient tout à fait raisonnables. Je comptais profiter de cette occasion pour découvrir le genre de personnes que sont les chevaliers du Saint Ordre.
Après les avoir observés, j’avais pu constater qu’ils étaient fiers et qu’ils se consacraient à leurs tâches professionnelles. Je n’aurais jamais pensé qu’ils auraient recours à un acte criminel. Il s’est avéré que j’avais trop réfléchi.
« Hm ? — Y a-t-il un problème, Mlle Iino ? » demanda Gordon d’un air perplexe.
« Non… ce n’est rien », avais-je répondu en secouant la tête. « C’est juste que… Hm, c’est vrai. Je trouve ça incroyable. » J’essayais à moitié de changer de sujet en tentant d’attiser l’intérêt du jeune chevalier. « Les bien-aimés de sang béni, est-ce bien comme ça que vous les appelez ? Il y en a d’autres comme Sire Gordon, n’est-ce pas ? »
« Bien sûr ! » répondit-il joyeusement. « Il y a plusieurs bien-aimés de sang béni dans l’Ordre en ce moment. Parmi eux, ceux qui ont des capacités particulièrement puissantes sont les quatre commandants. »
« Les commandants ? »
J’avais déjà entendu parler de tous les commandants du Saint Ordre : le maréchal du Saint Ordre et commandant de la première compagnie, sir Harrison Addington; le vice-maréchal et commandant de la deuxième compagnie, sir Gordon Cavill; le commandant de la troisième compagnie, lady Vivian Maywood; et enfin, le commandant de la quatrième compagnie, sir Travis Mortimer.
« Oh, je les ai toutes rencontrées, à l’exception de Lady Vivian. »
Sans même le savoir, j’avais rencontré des gens qui avaient hérité d’un pouvoir important, semblable à celui des visiteurs. Cependant, comme le personnel de valeur avait plus d’occasions de rencontrer des visiteurs comme moi, ce n’était pas si étrange.
« Mlle Iino, vous avez rencontré Mortimer ? » me demanda Gordon alors que je réfléchissais à des informations inutiles.
« Hein ? Monsieur Travis ? — Oui, je l’ai rencontré. » Je n’avais pas l’intention de révéler à Gordon que j’avais rencontré Travis avant d’avoir fini de découvrir quel genre d’organisation était le Saint Ordre, mais je m’étais dit que le moment était venu. « J’ai eu l’occasion de le rencontrer dans une ville appelée Serrata, dans le comté de Lorenz. »
Après avoir répondu, j’avais été un peu déconcertée par la réaction de Gordon.
« Est-ce que c’est ainsi... », dit Gordon, son expression devenant rigide.
Même l’air autour des autres chevaliers avait changé. Avant même que je m’en rende compte, une atmosphère étrange s’était installée dans la pièce.
« Alors ? Quel genre de relation entretenez-vous avec Mortimer, mademoiselle Iino ? » demanda Gordon, alors que je restais bouche bée.
Il y avait quelque chose de gênant dans son ton. Qu’est-ce qui se passe ? C’était la première fois que je le voyais agir ainsi, ce qui me troublait d’autant plus. Pourtant, je n’avais pas besoin de cacher quoi que ce soit à propos de sa question.
« Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par là… Je n’ai eu l’occasion de parler avec lui qu’une seule fois. C’est tout. »
« Je vois. »
J’avais perçu une légère pointe de soulagement dans sa voix. L’anxiété avait commencé à monter en moi.
« Y a-t-il quelque chose qui ne va pas avec Sire Travis ? » avais-je demandé.
« Non… Pas du tout », répondit Gordon en détournant les yeux.
Il avait nié, mais sa façon d’agir disait le contraire. J’avais regardé autour de la pièce. J’avais croisé le regard du jeune chevalier qui avait tant parlé. Il avait visiblement sursauté quand je l’avais fait, alors je lui avais lancé ma question.
« Il y a quelque chose, n’est-ce pas ? »
« Non, ce n’est pas… »
Il n’aurait jamais pensé qu’il serait soumis à un contre-interrogatoire par un sauveur. Son visage jeune et masculin se crispa. J’avais un peu pitié de lui, mais je n’allais pas reculer. Je l’avais fixé pendant quelques secondes. Incapable de supporter la pression, il avait fini par craquer.
« Sire Mortimer est une personne quelque peu problématique. »
« Problématique ? » répétai-je en me renfrognant. « Problématique comment ? »
Face à mon regard belliqueux, Gordon soupira : « Je suppose qu’il n’y a plus moyen de le cacher à ce stade. »
Il y avait donc vraiment quelque chose.
Gordon poussa un autre long soupir, puis dit gravement : « Laissez-moi d’abord clarifier une chose. Nous, les chevaliers, consacrons nos épées aux sauveurs. Il est du devoir d’un chevalier de personnifier les idéaux de justice et de salut des faibles. En comptant notre maréchal, Sire Harrison Addington, de nombreux chevaliers du Saint Ordre incarnent cet idéal. Bien que je sois encore inexpérimenté, je m’efforce de faire de même. Cela vaut aussi pour tous mes subordonnés. »
« Hum… D’accord. Je le sais très bien. »
Après avoir interagi avec eux, je savais que Gordon et ses subordonnés étaient vertueux. Je n’avais pas moi-même parlé au maréchal Harrison, mais en entendant Gordon le décrire en termes élogieux, j’étais certaine qu’il s’agissait d’un homme de bonne moralité.
« Cependant, je ne peux pas affirmer que tous les chevaliers respectent cette norme. »
Je pouvais aussi le comprendre. Pendant mon séjour chez les chevaliers impériaux, j’en avais vu plusieurs qui n’étaient intéressés que par l’ambition et la vanité.
« Malheureusement, même au sein du Saint Ordre, il y a des personnes qui ne sont pas à la hauteur de cet étendard chevaleresque. »
« Et Sire Travis fait partie de ces personnes ? »
« Pour être plus précis, lui et tous ceux qui l’entourent », admit Gordon avec amertume. « Ceux qui possèdent le pouvoir doivent avoir le cœur de le garder sous contrôle. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Ceux qui assument ce devoir doivent constamment se mettre à l’épreuve, mais… »
« Est-il différent ? »
« Il a beaucoup d’ambition et, pour l’atteindre, il est prêt à tout. J’ai entendu beaucoup de mauvaises rumeurs à son sujet. Honnêtement, je ne peux pas vraiment dire du bien de son caractère. »
Je m’étais alors souvenue de l’apparence de Travis, qui avait une barbe. Il ne m’avait pas semblé si dangereux… Mais en y repensant, je m’étais souvenue des événements de Serrata. Je m’étais rappelé son sourire élégant lorsqu’il m’avait regardé parler avec Louis. C’était une expression de suffisance qui convenait à son allure. Je me souvenais que quelque chose dans ce sourire m’avait dérangée à l’époque.
À l’époque, j’avais pensé qu’il se moquait peut-être de la justice dont Louis et moi avions fait preuve, mais il y avait peut-être plus de malice derrière ce sourire que je ne l’avais imaginé. Voyant que je m’enfonçais dans mes pensées, l’expression de Gordon s’assombrit.
« Ne vous méprenez pas, mademoiselle Iino. Il y a des égarés dans n’importe quel groupe. »
« Je comprends… mais pourquoi ce genre de personne est-il commandant ? »
« Une personnalité exécrable ne suffit pas à le déchoir de son grade. De plus, les mauvaises rumeurs ne sont que des rumeurs. Issu d’une famille noble, il a l’influence de sa famille et est plutôt rusé; il ne montrera pas facilement ses vraies couleurs. Et puis, c’est vrai qu’il est extrêmement talentueux. »
Gordon laissa échapper un soupir douloureux, puis poursuit :
« Il est le descendant du sauveur qui a jadis vaincu le dragon d’or des ténèbres. Il est connu sous le nom de Sire Travis Mortimer du Saint Regard. En tant que chevalier du Saint Ordre, il est certain qu’il traitera un sauveur avec respect, mais il y a des chances qu’il commette une erreur. Mlle Iino, soyez prudente, s’il vous plaît. »
« Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à cette question. »
Même si j’avais imposé un sujet dont il ne voulait pas vraiment parler, Gordon m’avait gentiment prévenue. C’est quelqu’un de bien. Mais peut-être est-il arrivé un peu trop tard. Si Travis avait vraiment été celui qui nous avait fourni de fausses informations en attisant les flammes de l’indignation vertueuse sous nos pieds, j’avais déjà dansé sur son air jusqu’au bout. J’avais ressenti un malaise soudain et j’avais serré les poings.
« Excusez-moi, Sir Gordon. Savez-vous ce qu’il est en train de faire en ce moment même ? »
« Vous voulez savoir ce qu’il prépare ? » demanda Gordon, les yeux écarquillés.
« Pardon ? Chaque compagnie du Saint-Ordre jouit d’une certaine autorité et agit de manière indépendante, alors nous ne savons pas toujours ce que font les autres compagnies… J’ai entendu dire qu’il s’occupait des suites de l’incident au fort de Tilia, mais je ne sais pas ce qu’il fait maintenant. »
« Je vois. »
Dans ce monde, communiquer sur de longues distances n’était pas chose aisée. Il y avait donc de nombreux cas où tout était laissé à la discrétion des agents sur place. Même Gordon, qui enquêtait sur le faux sauveur, s’était vu confier toute l’autorité durant sa mission. Cela signifie que la même chose s’applique à Travis. S’il se déplaçait de façon indépendante pour faire avancer sa carrière…
La déclaration de Gordon selon laquelle Travis était capable de tout faire était restée gravée dans mon esprit.
« Majima… »
Majima se trouvait déjà dans une situation facile à comprendre. Si l’on voulait lui imputer un crime et le faire passer pour un méchant, ce serait assez simple. Pour Travis, qui recherchait la gloire et les honneurs, Majima et son entourage étaient la proie idéale.
Ce n’était qu’une conjecture sans fondement, bien sûr. Je ne savais pas où se trouvait Majima à cet instant ni où se trouvait Travis. Néanmoins, je n’arrivais pas à réfréner ce sentiment qui me serrait la poitrine.
***
Chapitre 3 : Le sauvetage
« Celui qui tuera le misérable chevalier déchu. » J’avais déjà entendu le nom de l’homme qui avait fait cette déclaration : Travis Mortimer. Si ma mémoire était bonne, Iino l’avait rencontré dans la cité commerçante de Serrata. Son apparence correspondait à sa description, il s’agissait donc bien du même homme. De plus, Shiran m’avait déjà parlé du Saint Ordre.
Le Saint Ordre était entièrement composé de chevaliers de sang béni. Parmi eux se trouvaient les Bien-aimés de sang béni, ceux qui avaient hérité en partie des pouvoirs des anciens sauveurs. Travis du Saint Regard en faisait partie, et lorsque j’avais vu la puissance de la malédiction qu’il avait utilisée sur Gerbera, j’avais su avec certitude qu’il s’agissait bien du Saint Regard dont Shiran m’avait parlé.
J’étais également certain d’une autre chose. Je m’étais demandé qui pouvait bien attaquer ce village. L’armée et les chevaliers akériens, aussi appréciés du peuple soient-ils, n’attaqueraient jamais les citoyens qu’ils sont censés protéger. Les forces étrangères ne pouvaient pas non plus attiser inconsidérément les flammes de la guerre. De plus, si la Sainte Église, qui maintient l’ordre public dans le monde entier, considère l’agresseur comme un problème, son Saint Ordre pourrait être ruiné. Cependant, si le Saint Ordre lui-même attaquait, cela poserait un problème.
« Ces caractéristiques, la grande araignée blanche et une fille aux cheveux de lin… Je vois, tu es donc Majima Takahiro. Quelle chance que la répugnante goule Shiran et le méchant dompteur de monstres voyagent encore ensemble. »
En repoussant Gerbera, Travis avait gagné le temps nécessaire pour rassembler ses subordonnés, dispersés dans le village. Entouré de près de cinquante chevaliers, il continua de parler, sa voix devenant de plus en plus forte.
« Pensais-tu pouvoir t’enfuir pour toujours ? Si c’est le cas, je dois te décevoir. Ces sales oreilles pointues ont feint l’ignorance, mais il est impossible qu’elles puissent tromper mes yeux. »
Si le Saint-Ordre avait attaqué ce village, c’était parce qu’il cherchait à tuer Shiran et qu’il soupçonnait ses proches de l’abriter. Mais sa fière déclaration était complètement passée à côté de la plaque.
« Tu es fou…, » avais-je gémit.
J’avais été trop laxiste face à la situation. Je n’aurais jamais pensé que la haine et l’animosité envers un dompteur de monstres et une goule pouvaient être si profondément ancrées qu’elles obscurcissaient la vision de quelqu’un. Mais alors que je continuais à évaluer la situation, le faible sourire de Travis apparut, et j’avais instinctivement su que ce n’était pas le cas. Ce n’était pas une tragédie née de la haine et de l’animosité. Il n’y avait aucune émotion de ce genre dans le comportement de Travis.
« Nous, glorieux chevaliers de la quatrième compagnie, allons prendre vos têtes », cria Travis.
Sa voix sonore et chantante correspondait à son apparence. Il ressemblait presque à un acteur se tenant au sommet de la scène. Il avait qualifié Shiran de goule répugnante et moi de méchant dompteur de monstres, puis il s’était vanté de la façon dont il nous tuerait. Tout dans le ton de Travis témoignait de sa juste cause et de son mépris à notre égard, mais il n’y avait ni haine ni animosité. Tout ce que je pouvais percevoir, c’était une malveillance calculée. Preuve en est, Travis était totalement calme lorsqu’il annonça sa décision.
« Quoique… m’attaquer ici me mettrait dans une situation légèrement désavantageuse », dit-il en abaissant son épée.
« Quoi ? On ne s’y met pas ? » demanda l’un des chevaliers qui avait conduit ici quelques chevaliers éparpillés, le regard acéré.
« Non, Edgar. Nous allons nous replier pour l’instant. »
« Oh, allez. Nous avons enfin trouvé notre putain de proie. »
Edgar pointa son menton dans ma direction. Il avait la langue bien pendue et se comportait de façon belliqueuse, mais je ne percevais aucune haine ni colère en lui. Les autres chevaliers étaient tous pareils, ce qui les rendait encore plus terrifiants. Autrement dit, ce n’était pas la haine des monstres qui avait motivé cette attaque, mais la violence de la pure méchanceté qui avait piétiné le village.
Je m’étais soudainement rappelé le temps que j’avais passé avec les Chevaliers de l’Alliance. Je m’étais souvenu de ce que la commandante m’avait dit un soir, dans un village de récupération. Même parmi les chevaliers, dont le devoir était de brandir leurs épées pour la justice et le salut des faibles, certains étaient désespérément en quête de gloire, d’autres étaient dépravés et d’autres encore assoiffés de sang. Maintenant, je comprends. C’est ainsi que je décrivais les hommes qui se trouvaient devant moi.
« Je ne tolérerai pas l’insubordination, Edgar Guivarch », dit Travis en secouant la tête.
« Je vais faire marche arrière… pour l’instant. »
Le ton de Travis ne laissait place à aucune discussion. Sa voix froide inspirait peut-être la peur à ses subordonnés. Les chevaliers qui regardaient Lily d’un air dégoûté pâlirent. Sans se soucier de savoir si elle était juste, la peur était une forme de commandement valable. Même Edgar, qui avait l’air mécontent, obéit et commença rapidement à battre en retraite. Ils étaient rapides. J’avais seulement eu un aperçu des normes élevées qu’ils appliquaient au renforcement physique par le mana.
« Vous ne vous échapperez pas. » Par réflexe, Gerbera essaya de les poursuivre, mais ils s’y attendaient.
« Ottmar. Marionnettes des anges », dit brièvement Travis.
« Affirmatif », répondit catégoriquement l’un des chevaliers en lançant une sorte de pierre. Au moment où elle toucha le sol, une lumière jaillit dans les airs.
« Hrm ! »
Gerbera cria lorsque vingt humains nus apparurent dans la lumière. Non, Travis les avait appelés les marionnettes des anges. Ils avaient l’air humain, mais ils ne l’étaient pas. Aucun n’avait le moindre poil, ce qui indiquait qu’ils étaient artificiels. Ils n’avaient aucune caractéristique physique distincte, si bien que je ne pouvais pas les distinguer comme étant des hommes ou des femmes. Ils avaient tous le même visage et maniaient une lance.
Les marionnettes des anges pointèrent leurs armes vers l’avant et chargèrent comme un seul homme.
« Encore une fois, ces étranges folies ! »
Gerbera s’arrêta. Elle était sans doute en train de réfléchir à l’attaque mystérieuse dont Travis l’avait frappée. Des motifs violets couraient toujours sur son visage, soulignant son expression vigilante. La prudence l’empêchait d’ignorer ces marionnettes et de poursuivre les chevaliers.
De plus, pour témoigner de la personnalité horrible de Travis, les yeux de verre des marionnettes des anges étaient fixés sur Shiran et moi. Comme Shiran ne pouvait pas bouger, nous devions les intercepter. Heureusement, la charge sinistrement synchronisée n’était pas si rapide.
« Lily, la magie. Gerbera, coupe-leur la route. »
J’étais resté en arrière pour protéger Shiran pendant que Lily s’avançait et lançait une attaque préventive avec de la magie. Ceux qui avaient continué à charger malgré tout avaient été la proie des jambes de Gerbera. Lorsqu’elles avaient été frappées, les marionnettes s’étaient brisées comme de la porcelaine, leurs fragments se dissolvant dans l’air.
Nous étions sur nos gardes, mais ces marionnettes n’étaient apparemment rien d’autre — enfin, elles étaient un peu trop spéciales pour cette tournure de phrase — que des pions jetables. Le temps qu’il nous avait fallu pour les terrasser tous, les chevaliers avaient battu en retraite et étaient maintenant loin.
« Grr… Ils se sont échappés. Devons-nous nous lancer à leur poursuite, mon seigneur ? » demanda Gerbera, semblant sur le point de bondir à tout moment. « Je peux m’occuper de ce groupe. »
Même après avoir affronté le regard sacré de Travis, Gerbera restait inébranlable. Nous avions fait preuve de prudence à cause de l’attaque unique dont Travis avait fait preuve dès le début, mais il ne semblait pas que les autres chevaliers aient des capacités aussi puissantes. Shiran en avait vaincu quatre, même s’il s’agissait d’une attaque surprise; il était donc peu probable que beaucoup d’entre eux soient au niveau de Travis.
Il y avait une cinquantaine de chevaliers. Si c’était tout, Lily et Gerbera pourraient…
Pendant un instant, une envie féroce de me lancer à leur poursuite sans penser aux conséquences m’envahit. Je m’étais même déconcerté par ces pensées. Heureusement, juste avant de passer à l’action, j’avais réussi à me maîtriser.
« Non, ne le fais pas », avais-je dit.
« Pourquoi ? » demanda Gerbera.
« Il y a encore des survivants ici. »
« Mh. »
Gerbera s’en était également rendu compte en observant les villageois tombés au combat. Certains d’entre eux respiraient encore. Grâce à la magie de perception de la brume, j’avais pu compter avec précision le nombre de villageois et leur état. Plusieurs d’entre eux allaient certainement mourir s’ils ne recevaient pas de soins. Pour certains, il était déjà trop tard. Je ne pouvais pas abandonner ces villageois qui avaient été attaqués pour un crime qui n’existait pas. De plus, comme Shiran était inconsciente, quelqu’un devait rester avec elle.
Lily devait soigner les villageois et je devais rester avec Shiran. Gerbera était la seule à pouvoir agir, mais elle était encore sous le choc de l’attaque de Travis; il était donc bien trop risqué de la laisser partir seule. Nous devions donc les laisser en paix. Je sentais que tous les chevaliers quittaient le champ d’action de la loge brumeuse.
« Ils se sont enfuis… », marmonnai-je, impuissant.
« Non, c’est l’inverse, maître. »
« Lily ? »
« Ils ne se sont pas enfuis. Nous les avons chassés. Je suis sûre que cela signifie quelque chose », dit-elle en serrant fermement ma main. « Alors faisons ce que nous pouvons, d’accord ? »
« Tu as raison », avais-je dit après une courte pause.
C’est exactement ce que Lily avait dit. En repoussant les chevaliers qui attaquaient le village, nous pouvions maintenant sauver certains des villageois, même si ce n’était que quelques-uns. Nous avions accompli quelque chose en venant ici, alors nous ne pouvions pas laisser ces vies nous échapper.
Je m’étais mis en marche.
« Lily, commence à soigner les blessés. Gerbera, va appeler les autres. J’utiliserai la brume pour garder un œil au cas où les chevaliers de Travis reviendraient pendant que nous secourons les survivants. »
Après avoir donné mes ordres, je m’étais mis au travail. J’avais utilisé la magie de perception pour localiser les survivants et déterminer l’ordre de priorité de leur traitement. En même temps, j’avais gardé un coin de mon esprit concentré sur la possibilité que le Saint-Ordre ait feint une retraite et revienne. Si c’est le cas…
Pendant un instant, une pulsion vicieuse avait grondé au fond de ma poitrine. Je m’étais rappelé la scène de ces chevaliers, censés protéger le peuple, qui pointaient leurs lames sur les villageois. Mes ongles s’étaient enfoncés dans mes paumes; j’avais inconsciemment serré les poings.
« Maître ? » demanda Lily.
« Ce n’est rien… »
J’avais soupiré pour évacuer la chaleur qui s’accumulait en moi. Pour l’instant, je devais sauver le plus de vies possible. Je m’étais remis au travail, mais la douleur lancinante dans mes paumes ne disparaissait pas.
***
Chapitre 4 : Le point de vue d’un certain chevalier
Dans le campement installé à l’intérieur de la forêt, Zoltan Michalek, un chevalier de la quatrième compagnie du Saint-Ordre, était assis. Il n’était pas de service et les autres chevaliers qui l’entouraient passaient la soirée comme ils l’entendaient.
Ceux qui montaient la garde restaient concentrés, mais les autres étaient loin d’être bien élevés. Aucun d’entre eux n’était un imbécile qui avait mis de côté ses armes, mais toute discipline avait depuis longtemps disparu. Certains idiots s’étaient même assis en rond pour jouer.
Juste à côté de Zoltan se trouvait un homme au regard terriblement acéré. C’était l’un de ceux qui avaient attaqué le village avec Travis : Edgar Guivarch.
« Mon Dieu, quelle poisse ! Penses-tu qu’on doive se replier comme ça ? » marmonna-t-il, n’essayant même pas de cacher son mécontentement.
« Combien de fois devrai-je te le répéter ? » rétorqua Zoltan.
« Qu’est-ce que je peux dire d’autre ? »
Zoltan soupira. Edgar était comme ça depuis un moment déjà, mais Zoltan était simplement resté le même : morose. L’ambition chevaleresque et la gouaille soldatesque lui étaient étrangères. Même tous ses pairs le trouvaient morose. Il en avait conscience lui-même. Pourtant, il était un chevalier glorieux du Saint Ordre, tout comme eux.
Il était le descendant d’un sauveur connu sous le nom de l’Œil qui voit tout. Il était également un bien-aimé de sang béni, ayant hérité du superpouvoir de son ancêtre. Cependant, ses capacités étaient très limitées par rapport à celles de son ancêtre qui avait aidé la Sainte Église à étendre son influence en lisant dans les esprits. Zoltan ne pouvait au mieux lire que les émotions de sa cible.
Cette capacité s’avérait néanmoins assez utile. Il pouvait notamment savoir si son adversaire était en colère lors d’un combat. Grâce à cette information, il pouvait prédire leur prochaine action dans une certaine mesure. C’était particulièrement pratique contre les monstres. De même, lors des négociations, il pouvait détecter si l’autre partie dissimulait de la malice sous son sourire et tentait de l’escroquer, ce qui rendait toute tentative de le piéger impossible.
Selon ce qu’il avait discerné avec son œil omniscient, Edgar était incroyablement frustré. Même sans le pouvoir de Zoltan, tout le monde pouvait le voir. La cause de sa frustration était également évidente. Zoltan était ailleurs à ce moment-là et n’en avait entendu parler qu’après coup, mais le groupe principal, comprenant Travis et Edgar, avait trouvé sa cible : la répugnante goule Shiran.
Mais elle n’était pas seule. Le dompteur de monstres Takahiro Majima était avec elle. C’était une bonne chose pour Travis, qui pouvait désormais se targuer d’une plus grande gloire, mais d’un autre côté, les forces ennemies étaient plus nombreuses que prévu. C’est la raison pour laquelle Travis avait opté pour la sécurité et ordonné une retraite temporaire. Cette décision avait mis Edgar de mauvaise humeur.
« Nous avons passé tant de temps à venir jusqu’ici et nous avons enfin trouvé notre cible. Et maintenant, faut-il remettre ça pour un autre jour ? Bien sûr que je veux râler et me plaindre à ce sujet. »
Il y avait trois bien-aimés de sang béni dans la quatrième compagnie dont les superpouvoirs étaient suffisamment puissants pour être utilisés au combat. L’un d’eux était le commandant, Sire Travis Mortimer du Regard sacré. Un autre était Sire Zoltan Michalek de l’Œil qui voit tout. Le troisième était l’ogre de combat, Sire Edgar Guivarch.
Au combat, Edgar était le plus fort. Sa force rivalisait avec celle des commandants du Saint Ordre. Mais sa nature méritait bien plus d’attention.
« De plus, la dépouille de l’ancien chevalier le plus fort des Terres forestières du Nord n’est même pas en état de se battre correctement. Tu sais à quel point j’espérais une bonne bagarre ? »
Pour faire simple, Edgar était un maniaque de la bataille. Il se consacrait entièrement au combat et ne s’intéressait à rien d’autre. C’était peut-être une façon de penser peu chevaleresque, mais c’était le cas de tous les membres de la quatrième compagnie du Saint-Ordre. Sinon, ils n’auraient pas participé à ce genre d’opération.
La force principale menée par Travis aujourd’hui avait détruit un village entier. Les épées chevaleresques qui devaient à l’origine protéger les gens les avaient au contraire abattus sans pitié. Même un chevalier imparfait, non, aucune personne sensée ne pouvait accepter cela.
Néanmoins, les yeux de Zoltan n’avaient pas pu repérer un seul membre de la force principale qui semblait souffrir de culpabilité. Au contraire, beaucoup d’entre eux étaient très stimulés. Ils étaient différents d’Edgar, qui appréciait simplement le fait de se battre; eux aimaient la violence à sens unique.
Tyranniser les autres était amusant. Manier la violence était amusant. C’est ce que pensait la majorité des membres de la force. Même ceux qui n’étaient pas d’accord n’étaient pas disposés à trouver une quelconque faute dans de tels actes. Zoltan faisait partie de ce dernier groupe.
Peut-être les lignées rayonnantes des sauveurs s’étaient-elles corrompues. Ou peut-être l’idée même que les sauveurs étaient tels que les légendes le racontaient était-elle discutable. Les gens d’ici étaient tellement corrompus que Zoltan ne pouvait s’empêcher d’y penser.
« J’ai besoin d’un moment, Edgar. — Toi aussi, Zoltan. »
Le plus corrompu d’entre eux — et de loin — interpela les deux hommes. Il s’agissait de leur commandant, Travis Mortimer. Il était élégant, mais son cœur était avide de gloire et il était animé par l’ambition. Zoltan pouvait clairement voir la vraie nature de Travis. Si clairement, en fait, qu’il ne pouvait pas le regarder en face.
« Il semble qu’il faudra un certain temps pour que les autres nous rejoignent », dit Travis en jetant un coup d’œil autour de lui.
Il y avait une centaine de chevaliers dans la région, mais la quatrième compagnie du Saint-Ordre en comptait environ deux cents. Travis avait divisé ses forces pour chercher la répugnante goule Shiran, et il faudrait un certain temps pour les rassembler toutes.
« Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir de la fatigue dans nos rangs. Reposez-vous tant que vous le pouvez. »
À première vue, cette remarque semblait provenir d’un lieu d’inquiétude, mais Travis traitait ses subordonnés comme des outils plutôt que comme des personnes. Quelqu’un qui avait envie de se battre s’inquiète naturellement de l’état de ses outils. Il n’y avait aucune sympathie humaine derrière ses paroles.
« Demain, nous obtiendrons de grands honneurs. Même si, pour toi, Edgar, cela risque d’être ennuyeux. »
« Hmph. »
Edgar renifla, et Travis lui sourit. Ce sourire aurait fait passer un frisson glacial le long de l’échine de quiconque. Il y avait une malice crasse derrière.
« Notre ennemi est un visiteur unique, et un visiteur dont les capacités ne sont pas adaptées au combat. Il ne mérite même pas qu’on s’intéresse à lui. »
Pour Travis, qui ne croyait qu’en lui-même, le visiteur, Majima Takahiro, n’était pas un sauveur; c’était juste un extraplanétaire égaré dans ce monde. De plus, il pouvait manipuler les monstres, un pouvoir vraiment maléfique; toutes les excuses étaient donc bonnes à prendre. Travis n’hésiterait pas à éliminer un tel homme.
« Ceux qui nous attendent ne sont rien d’autre que des faibles destinés à être écrasés sous nos pieds. Piétinons-les jusqu’à ce qu’ils soient réduits en poussière, non ? »
Travis était sûr de sa victoire. Pour Zoltan, c’était tout à fait normal. Lors de la rencontre d’aujourd’hui, Travis avait neutralisé le plus puissant combattant de l’ennemi, l’araignée géante, et Shiran, la goule repoussante, n’était pas en état de se battre. Avec ces deux-là à terre, l’ennemi était sans défense. Les chevaliers tueraient leurs cibles et massacreraient les villageois survivants. Cet avenir cruel n’émouvait pas le moins du monde le cœur de Zoltan.
« J’ai hâte d’y être. »
Il leur tourna le dos, mais avant de le faire, Zoltan croisa enfin son regard. En apparence, Travis conservait son expression raffinée, mais un léger malaise se lisait dans le fond de ses yeux. Travis n’était pas le seul. Les autres chevaliers observaient Zoltan et Edgar. Presque tous les chevaliers le considéraient d’un mauvais œil.
Il n’y avait rien à faire. Même s’il ne pouvait lire que les émotions et non les pensées, personne ne pouvait le prouver. La grande majorité se sentait dégoûtée à l’idée de côtoyer quelqu’un comme lui, même s’il était vrai qu’il ne pouvait lire que les émotions. Mais Zoltan n’en pensait pas un mot.
Zoltan ne ressentait rien. Il avait fait le choix de vivre ainsi, c’est pourquoi il restait indifférent à tout ce qui se passait dans le monde. Peu importait à quel point la réalité était cruelle, rien n’émouvait son cœur. Telle était la nature de Zoltan Michalek.
« Franchement, quelle impénitence ! », marmonna Zoltan pour lui-même.
« Qu’est-ce qu’il y a, Zoltan ? » demanda Edgar d’un air dubitatif, l’ayant apparemment entendu.
Il n’y avait aucune émotion dans ses paroles, si ce n’est de la curiosité, et aucune animosité, comme celle que les autres chevaliers ressentaient pour Zoltan. Il n’y avait cependant rien qui ressemble à de l’affection. Cet homme ne s’intéressait qu’au combat et restait indifférent à tout le reste.
« Ce n’est rien », répondit Zoltan.
« Si tu le dis. Si tu ne te sens pas bien, alors dégage d’ici. Si tu te mets en travers de mon chemin, je te tue, malgré notre longue connaissance. »
« Je le sais. »
À peu près au même moment, les chevaliers de garde commencèrent à faire du bruit. Les chevaliers qui avaient cherché ailleurs reprenaient contact avec le groupe. L’heure de la bataille approchait. Le moral était au beau fixe. Travis prétendait que la victoire et l’honneur étaient garantis.
Le moral est extrêmement important pour toute force armée, et Travis excellait à le manipuler. Si l’on faisait abstraction de sa personnalité, c’était un commandant talentueux.
L’ambition, la cupidité et le sadisme. Ces désirs qui animent les hommes brûlaient comme un brasier dans les yeux de Zoltan. Cette flamme ne faisait que grandir et leur donnerait sûrement de la force. Zoltan était le seul à observer ces hommes avec froideur, animés par la cupidité. C’est peut-être pour cette raison qu’une pensée absurde lui traversa l’esprit.
Travis avait affirmé que leurs adversaires n’étaient rien de plus que des « faibles destinés à être écrasés sous les pieds ». Travis piétinait souvent les autres, alors sur ce point, son intuition était la bonne. Mais était-ce une vérité absolue et indéniable ?
Rien ne garantissait que les faibles le resteraient à jamais. Un faible doute vint à l’esprit de Zoltan. Ce n’était qu’une inquiétude insignifiante, et même si ce n’était pas le cas, cela n’avait aucune importance pour lui. À peine la pensée lui était-elle venue qu’elle s’était déjà évanouie.
La nuit avançait et le moment d’écraser les faibles se rapprochait.
***
Chapitre 5 : Les blessés
Je m’étais réveillé dans une chambre sans prétention. Je logeais dans une maison qui avait échappé à la destruction par le Saint Ordre. Il était juste avant l’aube et la lumière commençait à envahir la pièce. Je venais d’apercevoir Shiran allongée dans un lit à côté du mien, quand Asarina avait soudain surgi dans mon champ de vision.
« aîtreeeee ? »
Elle avait incliné sa tête en forme de piège à mouches de Vénus et avait commencé à me mordre l’oreille.

J’avais eu envie de me gratter, alors j’avais fait pivoter mon cou par réflexe, et l’engrenage de ma conscience s’était remis en marche.
« Hm… — Oh. C’est ce qui se passe. »
Je m’étais levé du lit et j’étais sorti dans le couloir.
« Oh. Takahiro. »
« Bonjour, Kei. »
Kei, qui se dirigeait vers ma chambre depuis le couloir, a paru surprise.
« As-tu apporté le petit-déjeuner ? » lui avais-je demandé.
« Oui, je pensais d’abord vérifier si tu étais réveillé… Est-ce que je t’ai peut-être réveillé ? »
« Pas vraiment. Asarina m’a réveillé. C’est elle qui m’a réveillé, pour être plus précis. Je lui ai demandé de surveiller nos environs au cas où il se passerait quelque chose pendant que je dormais. »
« Maî... treeeee ! »
J’avais adressé un sourire ironique à Asarina qui se déplaçait fièrement dans les airs. Kei m’avait ensuite apporté mon repas. Étant donné les circonstances, il s’agissait d’un simple petit-déjeuner composé de ce qui était disponible.
« Hum. — Si tu préfères te reposer un peu, je peux te l’apporter plus tard. »
« C’est bon. Mieux vaut manger tant que j’en ai la possibilité. »
J’avais pris une bouchée de la brioche ressemblant à un manju, faite de farine de pomme de terre propre à cette région. J’avais mâché sa texture élastique et je l’avais avalée avec un peu d’eau. C’est alors que je remarquais les yeux de Kei.
« Et toi, Kei ? Tu vas bien ? Tu n’as pas dormi, n’est-ce pas ? »
« Je ne suis pas utile au combat, après tout. »
J’avais tendu la main et j’avais remis de l’ordre dans ses cheveux en bataille. Kei avait fermé les yeux et m’avait laissé faire pendant un moment.
« Treeee ? » ronronna Asarina.
Sentant quelqu’un approcher, j’avais interrompu ce que je faisais. Un elfe mâle et plusieurs enfants étaient apparus dans le couloir. Après avoir croisé mon regard, l’homme dirigea les enfants vers moi.
« Je m’excuse de troubler votre repos, monsieur », dit-il.
« Il y a un problème, Dennis ? » lui avais-je demandé.
C’était l’un des villageois qui avaient miraculeusement échappé aux lames du Saint Ordre. Il avait été très coopératif avec nous et, grâce à lui, j’avais pu avoir une idée générale de ce qui s’était passé ici. Selon lui, le Saint Ordre avait d’abord obligé les villageois à se désarmer et à se rassembler au même endroit.
Les habitants d’Aker — hommes, femmes, enfants et vieillards — se promenaient tous, plus ou moins, armés. Malgré la différence évidente d’expérience au combat, les villageois avaient probablement jugé imprudent de résister et de se battre.
Le Saint Ordre n’avait subi aucune perte, à part les chevaliers qui avaient combattu Shiran. J’avais trouvé étrange qu’aucun villageois n’ait résisté, mais on les en avait empêchés dès le départ.
Cependant, les villageois avaient senti que quelque chose n’allait pas depuis le début. Aker était situé à proximité des Terres forestières, où le danger était toujours présent. Cela faisait partie de leur quotidien, et les habitants des villages de récupération étaient donc particulièrement sensibles au danger. Ils ne pouvaient pas refuser les exigences du Saint Ordre, mais ils avaient compris qu’il serait dangereux d’y obéir docilement. Sur un coup de tête, ils avaient caché tous les enfants dans leurs maisons, un ordre donné par l’oncle de Shiran, le chef du village.
Grâce à la magie de perception de la Loge Brumeuse, j’avais retrouvé tous les enfants un par un. Certains se trouvaient dans des positions précaires à cause des maisons en feu, mais j’étais arrivé à temps.
Pendant ce temps, j’avais ordonné aux autres, qui s’étaient cachés dans la Manamobile, d’aller voir les villageois survivants. Après les avoir tous rassemblés, Lily avait continué à lancer des sorts de guérison jusqu’à ce que son mana soit épuisé. Le reste d’entre nous n’avait rien à faire, alors nous avions couru partout pour empêcher les gens de se vider de leur sang du mieux que nous le pouvions.
Des vies étaient en jeu. Le temps s’était écoulé en un clin d’œil. Lorsque nous avions soigné tous ceux que nous pouvions, le soleil s’était complètement couché. Grâce à la magie de Lily, nous avions pu sauver de nombreuses vies, mais pas toutes. Certains étaient encore en vie, mais leur état était précaire. Les prochains jours allaient être les plus critiques. Je voulais sauver ne serait-ce qu’une vie de plus, mais à ce stade, je ne pouvais qu’espérer.
« Monsieur Takahiro », dit l’un des enfants.
Ils avaient tous à peine dix ans, ce qui les rendait à peine plus jeunes que Kei.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je.
Les enfants avaient échangé un regard, puis avaient timidement regardé dans ma direction. D’une certaine façon, leur réaction m’avait rappelé la façon dont Kei avait réagi lors de notre première rencontre.
Incapable de rester là à les regarder, Dennis avait pris la parole à leur place : « Je dois m’excuser pour ces enfants, monsieur. Comment va Lady Shiran ? »
Ils étaient apparemment venus ici pour savoir comment elle allait. Malheureusement, je ne pouvais pas leur fournir la réponse qu’ils souhaitaient entendre.
« Elle ne s’est pas encore réveillée… »
Je me retournai pour regarder la pièce dont je venais de sortir. Nous étions connectés par un lien mental, j’étais donc le mieux placé pour connaître l’état actuel de Shiran et pour faire face à tout problème. C’est pour cette raison que j’étais resté avec elle le temps de me reposer, mais même après une demi-journée, elle était toujours inconsciente et à court de mana. J’avais trempé sa bouche dans mon sang à plusieurs reprises pendant qu’elle dormait, ce qui lui avait permis de récupérer une petite quantité de son mana. Je voulais croire qu’elle finirait par se rétablir, mais…
« C’est donc ainsi…, » dit Dennis en soupirant, puis en baissant profondément la tête.
« Monsieur Takahiro, maintenant que la Sainte Église nous a déclarés hérétiques, nous n’avons plus personne vers qui nous tourner. S’il vous plaît, prenez soin de Lady Shiran », dit-il, accablé de chagrin.
« Je… — Oui. Je ferai tout ce que je peux. »
Hagard d’anxiété, Dennis releva la tête et me sourit très légèrement. Il était si désespéré que même mes paroles vides lui suffisaient. Cela montrait également qu’il s’inquiétait sincèrement pour Shiran. Je m’étais senti quelque peu soulagé de le voir ainsi; c’était une crainte que j’avais moi-même.
J’avais craint que, le Saint Ordre ayant pris Shiran pour cible, certains villageois ne la rendent responsable de tout cela. Les chevaliers se trompaient bien sûr, et Shiran n’était qu’une victime. Il serait déraisonnable de lui en faire porter la responsabilité. Pourtant, les gens avaient souvent tendance à agir de façon déraisonnable. Les faiblesses d’un humain acculé se manifestent.
Heureusement, Dennis et les autres survivants du village n’en avaient pas voulu à Shiran. Ou du moins, je n’en avais vu aucun signe. C’est à ce moment-là que j’avais pris conscience de la situation. Dans leur esprit, tout cela n’était pas arrivé à cause de Shiran. Ils avaient été attaqués, Shiran comprise. En bref, ils étaient de la même famille. S’ils me traitaient favorablement, malgré le fait que des monstres m’accompagnaient, c’était en partie parce que je les avais sauvés, mais surtout parce que j’étais lié à Shiran et Kei.
Les elfes des villages de récupération comprenaient la valeur des liens. Ils étaient faibles, écrasés par les plus forts, mais ils avaient aussi le cœur solide. C’est peut-être cet environnement qui avait favorisé la noblesse de Shiran. Néanmoins, ces mêmes elfes étaient au bord d’une crise majeure.
« Quelle est la meilleure chose à faire ? » m’étais-je demandé.
Après le départ de Dennis, de Kei et des enfants, j’étais retourné dans la chambre où Shiran se reposait et j’avais commencé à réfléchir à la prochaine étape. Heureusement, le Saint Ordre n’avait pas encore lancé d’attaque.
J’avais laissé la Loge des brumes activée pour surveiller les alentours jusqu’à ce que je doive finalement dormir. Pendant que je faisais la sieste, Leah, qui s’était remise du choc émotionnel, et Lily, qui attendait que son mana se rétablisse, devaient monter la garde à ma place.
Il était difficile de croire que le Saint-Ordre resterait longtemps sans réagir. Quelle était la meilleure chose à faire ? Je continuais à réfléchir à cette question lorsque j’entendis soudain une voix m’interpeller.
« Takahiro… » Shiran, toujours allongée dans son lit, ouvrit un œil.
« Shiran ! »
J’avais haleté, à bout de souffle. « Tu es réveillée ? »
« Oui. »
C’était la première fois qu’elle ouvrait les yeux depuis qu’elle avait épuisé son mana hier.
« Où est-ce que c’est ? » demanda-t-elle. « Que m’est-il arrivé ? » Shiran ferma les yeux, passant ses souvenirs au peigne fin. « Oh, c’est vrai. J’ai vu le village attaqué, et puis… »
« Alors, tu te souviens ? »
« Jusqu’à ce que je me perde et que je me déchaîne. À ce qu’il paraît, j’ai manqué de mana et je suis devenu immobile. »
Même si elle était physiquement plus faible, elle n’avait pas perdu l’expérience qu’elle avait acquise en tant que chevalier. Elle était calme, même si elle venait de reprendre conscience.
« Combien de temps ai-je dormi ? » demanda-t-elle.
« Environ une demi-journée. Je suis très heureux que tu sois de retour parmi nous. »
Je me suis approché de Shiran, je me suis mis à genoux et j’ai regardé son visage de près. Sa voix était si faible que je ne l’entendais presque pas sans me pencher. Elle avait repris conscience, mais elle était certainement encore affaiblie.
« Est-ce que tu veux du sang ? » lui avais-je demandé.
« Non, merci pour l’offre, mais ça ne servirait pas à grand-chose. Takahiro, tu peux le dire, n’est-ce pas ? »
Sa voix était faible, mais son ton m’admonestait encore tranquillement. Je compris instinctivement qu’elle avait raison. Le corps de Shiran absorbait déjà très peu de mana au départ, mais ses symptômes s’étaient aggravés et elle ne pouvait presque plus rien absorber.
L’état mental d’un monstre mort-vivant influence grandement son corps. L’esprit de Shiran avait été tellement malmené qu’elle ne pouvait plus entretenir son propre corps. Son récipient était fissuré et il ne restait qu’un peu d’eau au fond.
« Qu’est-il arrivé au village… ? »
Même dans un tel état, la première chose qui lui venait à l’esprit était la sécurité des autres. Je ne pouvais donc pas lui cacher la vérité.
« D’après ce que j’ai entendu… » J’avais continué à lui raconter ce qui s’était passé après qu’elle avait perdu connaissance, y compris ce que Dennis m’avait dit.
« C’est tout. »
« Je vois. Parce que le Saint Ordre me poursuivait… » Shiran s’était tue; c’était une situation difficile à accepter pour elle. Mais le temps n’attend pas.
« Désolé, Shiran. Je veux mettre les choses en ordre. Puis-je savoir ce que tu penses ? »
Elle avait de l’expérience en tant que lieutenante des Chevaliers de l’Alliance et connaissait donc le Saint Ordre. Son avis a une grande valeur.
« Tout d’abord, penses-tu que cet incident est soutenu par l’ensemble du Saint Ordre ? » lui avais-je demandé.
« Je ne peux pas l’affirmer avec certitude… » répondit Shiran en détournant les yeux. « Mais je pense que c’est peu probable. »
« Pourquoi ? »
« Les chevaliers qui ont fait ça ont été beaucoup trop violents. Je ne les ai pas encore rencontrés en personne, mais le maréchal du Saint Ordre, Sire Harrison Addington, et son vice-maréchal, Sire Gordon Cavill, ont une formidable réputation. Ce sont tous deux des chevaliers de grande renommée. D’ailleurs… » Shiran cligna lentement des yeux, comme si elle se souvenait du passé.
« J’en ai entendu parler lorsque j’étais dans les Chevaliers de l’Alliance, » poursuit-elle. « La commandante les connaissait. »
« Comment se sont-ils rencontrés ? »
« Il y a plusieurs années, la première compagnie du Saint Ordre a visité le fort de Tilia. C’était à l’époque où mon frère était encore en vie. La commandante les a très bien notés en disant : “Ce sont de vrais chevaliers.” J’ai du mal à croire que des gens comme eux s’en prennent à des civils. »
« Je vois. »
La force de Travis n’était qu’une des quatre compagnies du Saint Ordre. Il serait trop hâtif d’accabler l’ensemble de l’Ordre sur la base de ce que nous avons vu de cette seule compagnie.
« Tu veux dire qu’on peut supposer que Travis a déclenché cet incident de son propre chef ? » demandai-je.
« C’est ce que je crois. »
« Nous ne nous sommes donc pas fait un ennemi du Saint Ordre tout entier. C’est déjà ça… » dis-je en fronçant les sourcils. « Mais dans ce cas, il sera difficile de les convaincre d’arrêter l’attaque. »
« Ce sera le cas. D’après ce que tu m’as dit, Travis du Regard sacré n’a pas agi par simple indignation. Il serait difficile de dissiper tout malentendu et de se réconcilier comme nous l’avons fait avec la Skanda Yuna. »
Disons que tout cet incident s’était produit parce que le Saint Ordre me considère comme un individu dangereux. Dans ce cas, nous aurions pu trouver un compromis, comme nous l’avons fait avec Iino. Cependant, si Travis avait agi par méchanceté, pour la gloire et la célébrité, alors ça ne passera pas. Il serait inutile de prétendre que je ne suis pas méchant et que Shiran n’est pas dangereuse, même si elle est morte-vivante.
Travis défendait la juste cause quant à la neutralisation du méchant dompteur de monstres et de la goule répugnante, mais ce n’était qu’une excuse. La vérité n’a pas vraiment d’importance. Si c’était leur position, je pouvais comprendre pourquoi ils avaient attaqué le village. Si les villageois étaient de mèche avec moi, alors les chevaliers avaient raison de les assassiner. Si les villageois ne l’étaient pas, alors les morts ne racontaient pas d’histoires.
« La réconciliation est impossible. Cela dit, nous ne pouvons pas non plus nous enfuir », avais-je remarqué, lançant des idées au fur et à mesure qu’elles me venaient à l’esprit. « Plusieurs villageois sont au bord de la mort. Nous ne pouvons pas nous échapper avec eux. »
Il serait difficile de les déplacer alors qu’ils sont alités, et encore plus de les évacuer rapidement.
« Le seul choix est de riposter… » murmurai-je. La bataille était inévitable. Je serrai les poings.
Mais contrairement à moi, Shiran était restée calme. Un calme anormal, en fait.
« Non, il y a un moyen d’éviter la bataille », dit-elle.
Sa voix était faible, mais ses yeux conservaient une lueur de puissance. Son expression trahissait une résolution à mourir.
« J’ai une demande à te faire, » dit-elle. « Je vais rester au village. Takahiro, s’il te plaît, prends tous ceux qui sont capables de bouger et enfuis-toi. »
***
Chapitre 6 : Nécessités
« Travis a dit : “M’attaquer ici me désavantagerait légèrement” et “Nous allons nous replier pour l’instant”. Il reviendra une fois ses préparatifs terminés. »
Shiran expliquait tranquillement ses pensées depuis son lit.
« Nous n’avons pas rencontré tous les chevaliers de la compagnie. La quatrième compagnie du Saint Ordre compte deux cents personnes. Selon toute vraisemblance, ils ont divisé leurs forces pour me chercher. Je suis certaine qu’ils ont jugé qu’une cinquantaine de chevaliers suffiraient à m’abattre tant que j’étais seule. Mais tu étais avec moi, Takahiro. Je pense donc qu’ils se sont retirés pour le moment afin de rassembler une force assez puissante pour garantir la victoire. »
Il n’y avait pas de place pour intervenir. J’étais du même avis.
« Travis a parlé comme s’il était déjà au courant pour Lily et Gerbera », poursuit-elle. « Il doit donc savoir que ta capacité n’est pas adaptée au champ de bataille, comme celle de la Skanda Yuna. Le Saint Ordre ne s’enfuira pas par peur de ta présence. Si Travis revient après s’être déjà retiré, c’est qu’il amènera suffisamment de forces pour vaincre un visiteur. Il devrait savoir à quel point les capacités d’un visiteur sont puissantes. Je ne doute pas de son jugement. »
Shiran m’avait transmis avec ferveur le danger de la situation.
« Certains villageois pourraient être déplacés. Il y a aussi des enfants. Takahiro, s’il te plaît, emmène-les avec toi et sauve-toi. »
« Et qu’est-ce que tu comptes faire ? Tu m’as dit que tu allais rester en arrière. »
« Je suis la cible de Travis. Si je reste ici, le reste d’entre vous pourra éviter le danger. »
« As-tu l’intention de mourir ? »
« De toute façon, mon corps ne tiendra pas longtemps. »
Le bras de Shiran tremblait en le soulevant légèrement, mais elle ne pouvait le soulever que jusqu’à un certain point avant qu’il ne retombe sur le lit.
« Takahiro, tu sais que mes symptômes se sont encore aggravés, n’est-ce pas ? »
« Oui… »
En vérité, le corps de Shiran était plus faible que jamais. L’attaque du village avait déjà gravement affecté son état mental, et le fait que nous n’ayons pas réussi à protéger les survivants restants l’avait encore plus affaiblie.
Si nous abandonnions les villageois qui ne peuvent pas être déplacés, mon groupe et une partie des elfes, dont Shiran, pourraient s’enfuir. Cependant, abandonner l’un ou l’autre des villageois briserait le cœur de Shiran. Si ses symptômes s’aggravaient, son corps et son cœur atteindraient leurs limites.
« Il n’y a pas d’avenir pour moi tel que je suis », déclara-t-elle. « J’aimerais au moins aider en gagnant du temps. »
Une aura intense enveloppait Shiran. Elle avait perdu presque tout son mana et pouvait à peine bouger, mais elle était aussi tranchante qu’une lame dégainée.
« Takahiro, grâce à toi, j’ai le strict minimum de mana dont j’ai besoin. Si je me consume complètement, je devrais pouvoir me battre un petit moment. »
— Je suis d’accord. Même avec le peu de mana dont elle disposait, Shiran pourrait probablement déployer toute sa puissance pendant un court instant. Mais tout ce qui l’attendait sur ce chemin, c’était la ruine. Ce serait comme monter à bord d’un train fou sans freins. Une fois à bord, il n’y a plus de retour possible. Et la voilà, le billet en main.
« Je leur rendrai la monnaie de leur pièce au décuple… »
En apparence, Shiran semblait calme, mais une aura féroce de goule se dégageait d’elle. Dans son état actuel, elle pouvait certainement se transformer et combattre le Saint Ordre. Une flamme émotionnelle scintillait dans son œil bleu et la rage qu’elle éprouvait en voyant ses compatriotes massacrés si cruellement brûlait en elle. Elle se préparait à livrer un dernier combat, utilisant son désir de vengeance comme carburant pour se transformer en goule. C’était très malhonnête, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Pour l’instant, Shiran n’était pas une femme-chevalier; c’était juste une fille.
« Tu as raison, » dis-je aussi calmement que possible, en essayant de ne pas me laisser influencer par sa ferveur. « Si tu restes en arrière pour servir d’appât, nous pourrons nous échapper en toute sécurité. Mais… tu crois vraiment que je vais le permettre ? »
« Je… » L’esprit de Shiran vacilla pour la première fois et elle détourna le regard.
« Il n’y a plus rien en moi. Si je peux être utile, alors que puis-je espérer de plus ? »
« Comme si c’était vrai », dis-je en me penchant pour attraper les épaules de Shiran et la forcer à me regarder.
« Je te l’ai déjà dit. Tout ce qui compte, c’est que tu sois ici avec nous, Shiran.
Causer des ennuis, être utile — rien de tout cela n’a d’importance. Tout ce qui compte, c’est que tu sois ici avec nous, Shiran. »
Je n’avais pas menti lorsque Shiran s’était inquiétée de son corps de mort-vivante.
« Ce n’est pas grave si tu ne peux pas te battre, » poursuivis-je. « Tu n’es plus un chevalier. Tu n’es qu’une fille comme les autres. »
Pour le bien de ses compagnons d’armes, de ses compatriotes impuissants et de toutes les personnes vivant dans ce monde, Shiran s’était toujours battue pour les autres. Même lors de l’incident au fort de Tilia, elle m’avait protégé de Juumonji avec dévouement. En conséquence, elle s’était transformée en mort-vivant et avait perdu ses pouvoirs de chevalier. Maintenant qu’elle n’avait presque plus de force, je ne pouvais pas lui laisser le soin de se battre. Ma décision était prise.
« S’il te plaît, laisse-nous nous occuper des combats », lui dis-je.
Nous affronterons le Saint Ordre lors de la bataille. C’était la seule issue. La différence entre Shiran et moi, c’est que je refusais de perdre qui que ce soit. Tant que nous parviendrions à protéger le village, Shiran ne subirait pas d’autres dommages émotionnels. Cela empêcherait également son corps de s’affaiblir, car il était fortement influencé par son état mental.
« Takahiro… »
Je me demandais comment ma détermination résonnait à ses oreilles. Elle resta silencieuse, les épaules toujours sous mon emprise, et me fixa de son œil unique, comme si elle était attirée par moi. Ses lèvres pâles frémirent, puis formèrent un sourire maladroit.
« Ah… C’est tout à fait toi, Takahiro », dit-elle, l’air sur le point de pleurer. « Pourquoi vas-tu si loin ? »
« Hein ? »
« Si je me sacrifie, tu pourras échapper à ce danger », dit-elle, son expression mortellement sérieuse. « Alors, pourquoi ? »
Il y avait un écho d’espoir derrière ses mots. Elle semblait normalement mature pour son âge, mais là, elle paraissait anormalement enfantine. C’était une tout autre facette d’elle, comparée à la dignité du chevalier.
Sa douceur captiva mes sens et j’avais pris conscience de la présence de son corps à travers ses épaules froides. Son regard sérieux me captivait. Mon cœur avait été hypnotisé par une sensation de chaleur. J’avais l’impression d’avoir découvert un sentiment particulier chez elle.
« Je… »
« Oh, je suppose que tu as aussi déjà répondu à ça, hein ? » dit Shiran avant que je n’aie le temps de répondre. Son ton était sérieux, mais légèrement ironique.
« Compagnon. Tu me considères comme l’un de tes compagnons, n’est-ce pas ? »
« O-Oui. Tu es un compagnon précieux. »
C’était la vérité, alors j’acquiesçai, mais je ne savais pas si j’aurais répondu de la même manière. Les sourcils de Shiran s’abaissèrent et elle sourit. Son expression, à moitié cachée par son cache-œil, ne trahissait plus l’émotion particulière que j’avais aperçue une seconde auparavant. Il n’y avait maintenant qu’une confiance absolue en quelqu’un qu’elle respectait.
« Je suis honorée. Je te considère aussi comme un compagnon très cher, Takahiro. »
« Merci… » Je lui avais rendu son sourire, vraiment heureux d’entendre cela.
« Laisse-nous nous occuper du reste », dis-je en me levant progressivement.
J’avais quitté la pièce en fermant la porte derrière moi, et j’avais immédiatement croisé le regard de quelqu’un.
« Treeeee. »
« Salvia ? »
Elle s’était manifestée à un moment donné et m’attendait dans le couloir. Elle avait l’air étonnée et poussa même un soupir en me regardant.
« Toi et Shiran, vous êtes tous les deux un peu trop sérieux. »
Sa déclaration me laissa complètement perplexe.
◆ ◆ ◆
« Treeeee. »
Asarina, qui était restée silencieuse pendant que je parlais avec Shiran, se mit à jouer avec Salvia. Il y avait un lien entre elles, en tant que colocataires à l’intérieur de mon corps, et elles s’entendaient très bien.
« Tu vas te battre contre le Saint Ordre, n’est-ce pas ? » demanda Salvia en laissant Asarina s’enrouler autour d’elle. Salvia était apparemment sortie pour confirmer ma décision.
« Se mettre à l’affût dans ce village, frapper les chevaliers… Tu comptes te faire des ennemis du Saint Ordre, et même de la Sainte Église derrière eux. »
Salvia était normalement très douce et détendue, mais vu la situation, elle ne pouvait pas cacher sa tension. Mais elle avait trop présumé de la situation.
« Non, la Sainte Église ne sera pas nécessairement notre ennemie. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Salvia en levant la tête. « Le Saint Ordre a déjà attaqué ce village. »
« Non, c’est la compagnie de Travis qui a attaqué le village, pas le Saint Ordre lui-même. »
C’est ce que j’avais appris lors de ma conversation avec Shiran. Repousser la compagnie de Travis pourrait nuire aux relations avec le Saint Ordre, bien sûr, mais d’après Shiran, le comportement lâche de Travis différait des normes de l’Ordre dans son ensemble. En tout cas, il serait plus facile d’ouvrir le dialogue avec eux qu’avec Travis. Quoi qu’il en soit, c’était une option à envisager après avoir réussi à repousser Travis. Nous ne pouvions rien faire tant que nous n’avions pas réglé le problème qui se présentait à nous.
« Le Saint Ordre est puissant, » avais-je poursuivi. « S’ils nous traitent comme leurs ennemis, nous n’avons honnêtement aucune chance. Mais s’il ne s’agit que de Travis, c’est une autre affaire. »
« Je vois », répondit Salvia en haussant les épaules. « Mais tu dois quand même affronter deux cents chevaliers. De plus, ta plus forte combattante, Gerbera, a été scellée. »
« Il y a une autre façon de voir les choses. Leur combattant le plus fort est également scellé », avais-je dit avec assurance. « Il a affaibli Gerbera. Je dois admettre que son Saint Regard est terriblement diabolique, mais il n’est pas absolu. »
« Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »
« Parce qu’il ne l’a pas lancé sur nous tous à l’époque. »
« Hum… » Salvia pencha à nouveau la tête et cligna des yeux. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« Si son pouvoir peut affaiblir Gerbera, alors il fonctionnera certainement sur le reste d’entre nous. C’est impossible qu’il en soit autrement. S’il en était ainsi, il aurait pu simplement affaiblir tout notre groupe. Il n’avait pas besoin de se replier et de se regrouper. Il aurait pu nous tuer à ce moment-là. N’est-ce pas ? »
« Eh bien… » Salvia porta la main à sa bouche et s’enfonça dans ses pensées : « Tu as raison. Maintenant que tu le dis, ça me semble étrange. »
« De plus, disons qu’il voulait être sûr à 100 %, alors il a décidé de se retirer en premier. Alors pourquoi ne nous a-t-il pas tous neutralisés ? Travis n’avait aucune raison de nous laisser indemnes, et pourtant il s’est retiré sans rien faire de plus. »
« Parce qu’il ne pouvait plus utiliser le Saint Regard ? » demanda Salvia, une lueur de compréhension dans les yeux.
« C’est l’essentiel. »
Il fallait maintenir les magies de renforcement et de débilitation, sinon leurs effets disparaissaient. C’était la même chose pour le Regard sacré de Travis. La grande araignée blanche des profondeurs n’était pas une proie facile. Un sauveur en bonne et due forme aurait été une chose, mais un simple descendant comme Travis aurait eu du mal à charmer une autre cible tout en maintenant l’effet sur Gerbera. Je l’avais confirmé à Gerbera elle-même : il n’y avait pas d’erreur possible. S’il relâchait son emprise, ne serait-ce qu’un peu, la grande araignée blanche arracherait immédiatement ses chaînes.
« Travis est un bien-aimé de sang béni et l’un des chevaliers les plus puissants du Saint Ordre, mais d’une certaine manière, Gerbera a scellé sa carte maîtresse. Il n’a pas hésité à utiliser son pouvoir sur Gerbera, car il savait qu’elle était notre combattante la plus forte. Cependant, s’il pense que cela suffira à nous battre, alors il paiera pour son mauvais calcul. »
Après avoir quitté Salvia, je m’étais dirigé vers mes serviteurs les plus proches en utilisant le cheminement mental comme guide. Je devais consulter tout le monde et me préparer à l’attaque. J’avais pris ma décision. J’avais une chance de remporter la victoire. S’il y avait une chose dont j’avais encore besoin…
« Rose, j’entre. »
J’avais frappé à la porte d’une chambre, puis je l’avais ouverte. Rose et Katou s’étaient alors tournées vers moi.
« Ah, maître. Je vois que tu es réveillé. Bonjour ! »
« Rose… ? »
J’avais été un peu surpris. Tous les meubles de la pièce avaient été rangés, créant un espace dégagé. Rose était assise au milieu, une ligne de dix bras droits de rechange devant elle. Il semblait qu’elle effectuait de la maintenance. Et ce n’était pas tout. Il y avait toutes sortes d’autres objets qui traînaient : des outils et des objets magiques qu’elle avait fabriqués. La raison pour laquelle elle les avait tous sortis à ce moment-là me semblait évidente.
« J’ai préparé la prochaine bataille pendant que tu te reposais, Maître. »
« Rose a dit que tu décideras de te battre, Senpai », ajouta Katou, portant des imitations de pierres runiques dans ses bras pour aider.
« Il n’y a pas que moi, » dit Rose en me fixant dans les yeux. « Mes sœurs ont toutes commencé à faire ce qu’elles pouvaient. »
« Je vois. »
Un sourire m’était soudainement venu. Je l’avais regardée droit dans les yeux et lui avais pris la main. Elle avait ôté ses gants pour travailler, ses membres en bois étaient donc à nu. J’avais enroulé mes deux mains autour des siennes.
« Merci », avais-je répondu.
« Bien sûr », répondit Rose, l’air ravi.
J’avais ensuite reporté mon regard sur sa meilleure amie qui nous observait avec un léger sourire.
« Katou, ça ne te dérange pas ? » lui avais-je demandé.
« Eh bien, pour être honnête, je préférerais que tu donnes la priorité à ta propre sécurité…, » commença-t-elle, un sourire mature mais ironique sur son visage enfantin.
« Senpai, tu as dit que tu créerais un endroit dans ce monde où tu pourrais vivre avec tout le monde, n’est-ce pas ? À cette fin, cette bataille est inévitable. Leah et Helena t’ont accepté. Tous les autres elfes aussi. Je suis sûre que cette chance ne se représentera jamais. Protéger les elfes de ce village a tout son sens, maintenant qu’ils sont nos amis. »
Jusqu’à présent, Katou avait parlé logiquement, mais elle ajouta une dernière chose.
« S’il te plaît, fais ce que tu penses être le mieux, Senpai. »
Katou m’avait également poussé dans le dos. Tout le monde me comprenait et me soutenait, ce qui me rendait heureux. Ils étaient tous si fiables.
« Battons-nous », avais-je dit, débarrassé de toute réticence. « Nous rencontrerons Travis dans la bataille. »
Nous avions donc immédiatement commencé à nous préparer à lancer notre contre-attaque.
***
Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.