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Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 18
Table des matières
- Prologue
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 1
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 2
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 3
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 4
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 5
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 6
- Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair : Partie 7
- Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours. : Partie 1
- Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours. : Partie 2
- Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours. : Partie 3
- Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours. : Partie 4
- Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours. : Partie 5
***
Prologue
« Maître Zagan, je suis si heureuse. »
Néphy souriait, une robe d’un blanc pur ornant son corps. Ses cheveux étaient tout aussi blancs, scintillant comme de l’argent sous la lumière. Cela lui donnait un air de solennité divine. On aurait dit un esprit de la lune. Le haut de sa robe, au niveau de sa poitrine, et ses gants jusqu’aux coudes étaient brodés d’une crête de laurier en fil d’or. Sa jupe descendait jusqu’au sol et était ornée de volants et de dentelle. Elle tenait à la main un bouquet de fleurs roses-pâles et blanches. Au-dessus de sa tête, un diadème argenté et un fin voile transparent cachaient son visage, comme pour protéger la pureté de la mariée.
Zagan laissa échapper un soupir d’admiration. Il ne pouvait rien faire d’autre que de rester là, tentant désespérément de réprimer les battements de son cœur.
Comme c’est beau…
Aussi éculé et galvaudé que soit ce mot, l’esprit de Zagan était incapable de trouver une autre façon de la décrire. Oui, ici et maintenant, sa bien-aimée portait une robe de mariée.
Zagan regarda ses propres vêtements. Il était vêtu d’une queue de pie blanche. C’était le moment de leur cérémonie de mariage.
Aaah, ce doit être un rêve.
C’était peut-être le fait de Lilith. Il l’avait emmenée en vacances, alors peut-être était-elle prévenante. Ce n’était vraiment pas nécessaire, mais tout de même, ce n’était pas un mauvais rêve.
S’il pouvait se permettre d’être un peu gourmand, Zagan aurait aimé voir Néphy dans cette tenue seulement après qu’il l’ait demandée en mariage. Voir tout cela dans un rêve, c’était du gâchis. Dans un sens, cela nuirait à l’expérience lorsqu’il serait finalement témoin de la vraie chose.
Quoi qu’il en soit, elle était si belle qu’il ne pouvait détacher ses yeux d’elle.
« Hum, Maître Zagan, » déclara son adorable épouse, ses oreilles pointues rouge vif et frémissantes. « Tu ne vas rien dire… ? »
« Oh ! Désolé ! Tu es si belle que j’ai perdu connaissance ! »
« Hyah !? »
Sa bien-aimée portait une robe de mariée.
Hein ? N’est-ce pas un rêve ?
La vue sortait tout droit d’un rêve, mais cela semblait être la réalité.
« Hic… Tu es vraiment magnifique, Néphy. Je n’ai plus de regrets maintenant que je vous ai vu tous les deux le jour de votre mariage. »
« Hé ! Ne va pas te casser la figure toute seule ! »
« Ce n’était qu’une façon de parler ! Tu le sais déjà, n’est-ce pas ? Je n’ai pas l’intention de mourir et de te laisser seul… »
« Haaah ? Qu’est-ce que tu racontes comme conneries embarrassantes ? »
Peut-être que c’est vraiment un rêve.
Maintenant qu’il y regarde de plus près, Chastille était habillée comme l’officiant, en train de se disputer avec Barbatos dans une querelle d’amoureux idiote. Zagan ne pouvait pas distinguer s’il s’agissait d’un rêve ou d’une réalité, mais quoi qu’il en soit, il voulait vraiment que ces deux-là choisissent le bon moment et le bon endroit pour se disputer. Cependant, donner un coup de poing à Barbatos risquait d’éclabousser de sang la robe de mariée de Néphy, alors Zagan rassembla toute la force de sa volonté et supporta l’envie.
« Aaaaaaaaagh ! »
« Zagan ! C’est de notre faute, alors s’il te plaît, laisse-le partir ! La tête de Barbatos va éclater ! »
Chastille poussa un cri en entendant le crâne de Barbatos craquer. Il semblerait que Zagan avait résisté à l’envie de lui donner un coup de poing, pour l’attraper inconsciemment par le visage. Enfin, cela n’avait pas vraiment d’importance. Les yeux de Barbatos se révulsèrent lorsque Zagan le jeta sur le côté.
Comment en est-on arrivé là encore… ?
Tout avait commencé il y a plusieurs jours… non, il y a environ un mois.
***
Chapitre 1 : Mieux tu te connais, plus ce que tu dois faire est clair
Partie 1
« Alors tu es le dieu du tonnerre Furfur ? »
Le matin après avoir repoussé le seigneur du meurtre Glasya-Labolas dans l’ancienne cité d’Aristocrates et avoir échoué à protéger le marionnettiste Forneus, un garçon et une fille se tenaient devant Zagan. Le garçon tremblait. N’ayant pu retenir un soupir, la voix de Zagan avait fini par paraître un peu trop autoritaire.
Le garçon était vêtu d’un simple uniforme et portait une épée sacrée dans le dos. C’était pratiquement la première fois que Zagan le rencontrait. Le garçon ne faisait pas partie de la faction de Chastille. S’il ne portait pas d’armure sacrée, c’est parce qu’elle avait été pulvérisée lors de la récente bataille.
Le garçon venait tout juste d’avoir seize ans. Il avait l’air plutôt faible pour être un archange, et il semblait aussi très timide. En résumé, il avait des traits très simples. Zagan n’était pas sûr de pouvoir se souvenir du visage du garçon la prochaine fois qu’ils se rencontreront. Compte tenu du fait qu’il n’était rien de plus qu’un ouvrier agricole il y a un an à peine, c’était compréhensible.
Le garçon s’appelait Micca Salvarra. C’était le porteur de l’épée sacrée Haniel. Mais ce n’est pas à lui que Zagan s’adressait. Zagan s’était adressé à la fille qui se trouvait à côté de lui. Elle avait des cheveux noirs de jais et des yeux violets. Elle portait une coiffe et un tablier, tous deux richement ornés de froufrous. Elle portait une robe qui lui descendait jusqu’aux chevilles et des gants blancs qui lui couvraient les coudes. Avec le peu de changement dans son expression, elle rappelait à Zagan Néphy lors de leur première rencontre.
Maintenant que j’y pense, cela fait un moment que je n’ai pas vu Néphy dans sa tenue de bonne.
Maintenant que Néphy était un Archidémon, elle portait toujours des vêtements plus formels. C’était digne, beau et éblouissant à sa manière, mais sa tenue de soubrette lui manquait.
Non, ce n’est pas le moment de le faire.
Lors de sa tentative pour entrer en contact avec le fondateur de l’alchimie, l’un des plus grands Archidémons, le Marionnettiste Forneus, s’était soldé par un échec. Alors que Zagan avait envoyé Shax et Kuroka pour négocier avec lui, Marchosias avait envoyé le Seigneur du meurtre pour l’assassiner. En conséquence, Forneus était mort. Zagan n’avait perdu aucun de ses subordonnés, mais il n’avait pas obtenu ce qu’il voulait. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il avait les mains vides.
Une chose qu’il avait gagnée, c’était cette fille devant lui. Furfur souleva l’ourlet de sa jupe et fit une révérence. Zagan entendit quelque chose grincer comme une porte en bois que l’on ouvre.
« Oui. Marionnette blindée dotée d’une âme artificielle infusée par la foudre, le dieu du tonnerre Furfur. »
Cette fille était le plus grand chef-d’œuvre de feu l’Archidémon Forneus, sa fille bien-aimée qui avait hérité de son Emblème d’Archidémon.
Elle est nécessaire pour libérer les séraphins des épées sacrées, mais d’abord, je dois décider comment m’occuper d’elle.
Forneus avait perdu sa capacité à transmettre sa volonté aux autres. Il était donc peu probable que Furfur ait hérité de ses connaissances. Néanmoins, il y avait beaucoup de connaissances à acquérir en examinant le corps de cette marionnette.
Cependant, Shax et Kuroka souhaitaient que cette fille soit traitée comme une personne. Et en tant que leur roi, Zagan ne pouvait pas la traiter durement. Assis sur son trône, Zagan croisa les jambes et s’adressa à elle d’un ton autoritaire.
« Furfur, je te propose deux choix », dit-il en levant un doigt. « Premièrement, tu peux te défaire de l’Emblème d’Archidémon ici même et vivre une vie tranquille comme une personne normale. Tu peux même emmener ce morveux avec toi comme compagnon. Tant que je vivrai, je pourrai au moins garantir ta sécurité. »
On pouvait se demander s’il était possible pour elle de vivre parmi des gens normaux dans le corps d’une marionnette, mais Zagan n’avait aucune obligation d’aller aussi loin pour elle. Si ça ne marchait pas, elle pourrait faire comme Orias et s’isoler dans une forêt. Zagan était au moins capable de protéger la vie paisible que Furfur souhaitait.
J’ai toujours besoin d’un Emblème d’Archidémon pour donner à Barbatos, après tout.
Au cours de l’affaire avec Chastille l’autre jour, Barbatos avait été transformé en un véritable jouet. Zagan s’était dit qu’un Emblème serait le moins qu’il puisse faire pour le récompenser. La question était de savoir si Barbatos accepterait un Emblème de Zagan dans de telles circonstances. Quoi qu’il en soit, il valait mieux pour la paix entre les chevaliers angéliques et les sorciers que cet homme soit un Archidémon.
Alors, qu’est-ce que cela signifiait pour Furfur d’abandonner son Emblème ? Le garçon à côté d’elle devait avoir une idée. Micca se pinça les lèvres. Lui jetant un regard en coin, Zagan leva un autre doigt.
« Deuxièmement, tu peux hériter de l’Emblème de Forneus et vivre en tant que prochain Archidémon. Je désire le savoir de Forneus. Si tu coopères, je t’offrirai une formation de sorcier. Cependant, tu devras renoncer à ce morveux. Tu es une sorcière bien trop faible pour être avec un archange. »
Elle était une ancienne candidate au poste d’Archidémon, mais encore trop faible pour être Archidémon maintenant que Marchosias manigançait quelque chose. Elle allait se faire tuer et se faire voler son Emblème en un rien de temps. Elle avait besoin d’un protecteur pour continuer à vivre en tant qu’Archidémon. C’est pourquoi Furfur devait faire un choix : renoncer à la volonté de Forneus et vivre avec Micca, ou renoncer à Micca et hériter de la volonté de Forneus. Furfur regarda Zagan de ses yeux vitreux et lui donna une réponse claire.
« Je n’aime ni l’un ni l’autre. Je refuse. »
« Hmm… ? »
Zagan lui jeta un regard amusé, tandis que Micca était devenu pâle et attrapa la main de Furfur.
« F-Furfur ! Tu ne peux pas », murmura-t-il. « Cette personne est bien plus forte que ce Glasya-Labolas. Nous n’avons aucune chance contre lui. »
Il avait une compréhension étonnamment précise de la situation. Pourtant, Furfur ne se découragea pas et baissa les yeux sur l’Emblème de sa main droite.
« Cet Emblème est la dernière chose que mon maître m’a confiée », dit-elle. « Je ne le remettrai à personne. Il est précieux… et nécessaire. Mais Micca est tout aussi précieux… important. Mon maître choisit… a choisi, la vie de Micca plutôt que la sienne. Il est tout aussi précieux… nécessaire que la volonté de mon maître. »
La marionnette avait mis une main sur sa poitrine, avait fermé les yeux, puis avait relevé la tête avec détermination.
« Je veux savoir », dit-elle. « Je veux savoir pourquoi mon maître est mort avec un sourire. »
« Le rire n’est pas du tout un mauvais début pour une amitié, et c’est de loin la meilleure fin pour une amitié. »
Telles furent les dernières paroles du grand fondateur de l’alchimie. Zagan ne pouvait même imaginer un début de sens dans ces mots.
« Pour trouver cette réponse, je crois que j’ai besoin à la fois de l’Emblème et de Micca. »
« Furfur… » marmonna Micca.
Zagan planta un coude sur son trône, puis éclata d’un rire incontrôlable.
« Alors, tu veux dire que tu veux les deux ? La profondeur de ta cupidité ne connaît pas de limites. Je vois. Une telle avarice ne peut certainement pas venir d’une marionnette. C’est tout à fait humain. »
Les marionnettes n’avaient pas de désirs. Elles n’avaient pas de volonté propre. Ignorant le garçon qui devenait de plus en plus pâle à chaque seconde, Zagan avança un doigt et pointa Furfur.
« Très bien. Je vais m’arranger avec les chevaliers angéliques. Tu apprendras à devenir un Archidémon. »
« H-Huh… ? » marmonna Micca, la bouche ouverte sous le choc.
« Il dit que tu peux rester avec la petite dame », dit Shax en posant une main sur la tête de Micca. « Et qu’elle peut garder l’Emblème de Forneus. »
Auparavant, Shax s’était toujours voûté et portait une blouse de médecin usée et peu fiable, mais maintenant, son dos était droit et il portait une belle robe. Il possédait désormais la dignité d’un Archidémon — à l’exception de sa barbe habituelle.
Kuroka n’était pas là. C’était la première fois qu’elle revenait en ville depuis un mois, elle avait donc plusieurs personnes à voir et à qui parler. Si Zagan se souvenait bien, elle était actuellement en route pour l’Église.
« Patron, essaie de ne pas trop les taquiner », ajouta Shax.
« Je ne fais pas de tout ça », déclara Zagan. « Je ne les connais pas. Je ne suis pas tendre au point d’assurer la protection de parfaits inconnus. »
C’est pourquoi il avait besoin d’en être sûr.
« Eh bien, je suis soulagé de voir qu’ils sont à la hauteur de tes exigences », répondit Shax en souriant ironiquement.
« Hmph. Une marionnette qui ne peut même pas faire un choix correct aurait juste fini sur la table de recherche. »
Cela dit, Shax et Kuroka avaient fait appel à Zagan pour qu’il la protège. Il savait déjà qu’elle n’était pas une telle marionnette. Ce qui fait une personne, c’est l’existence d’une volonté. Quiconque n’en avait pas n’était pas différent d’une marionnette.
Furfur avait fait son choix. Non seulement cela, mais elle avait choisi une option que Zagan ne lui avait pas présentée. Elle n’était pas une marionnette. C’était pour cela qu’il la prenait sous sa protection. Le fait de ne pas choisir ou d’être incapable de choisir était deux choses différentes.
« Hum, je ne comprends pas vraiment…, » dit Micca, l’incrédulité et la perplexité transparaissant clairement dans sa voix. « Que voulez-vous dire par “vous arranger” avec les chevaliers angéliques ? »
Eh bien, compte tenu de sa profession, il est logique que ce soit la première chose qui lui vienne à l’esprit.
« Tu manies peut-être une épée sacrée, mais personne ne se plaindra si tu prétends surveiller un nouvel Archidémon, n’est-ce pas ? » répondit Zagan avec indifférence. « Tu peux simplement leur donner de temps en temps des rapports arbitraires sur la façon dont les choses se passent. D’ailleurs, ça me convient parfaitement que vous soyez tous les deux un archange et un Archidémon. Je suis sûr que les masses se réjouiront d’avoir une deuxième source d’amusement. »
En ce sens, Barbatos et Chastille avaient été extrêmement utiles. Grâce à la divulgation complète de leur vie amoureuse, les véritables autorités de l’Église — les cardinaux — étaient incapables de faire des déclarations inconsidérées. S’ils perdaient le soutien de la population, ils seraient renversés en un instant. D’un autre côté, tant que les chevaliers angéliques serviront à dissuader les sorciers, ils resteront nécessaires, même sans le soutien des cardinaux. Les choses pourraient changer radicalement, mais les chevaliers angéliques ne seraient pas complètement perdus.
Micca avait semblé se rendre compte de ce à quoi Zagan faisait allusion, alors il haussa la voix sous le choc.
« Une deuxième source… Ne me dites pas que c’est vraiment vous qui avez fait ça !? »
« Je n’ai aucune idée de ce dont tu parles », répondit Zagan, feignant audacieusement l’ignorance.
Enfin, je ne pensais pas que Gremory irait aussi loin…
Même maintenant, cela l’effrayait un peu. Il ne voulait pas l’entendre mentionner si possible.
« Je comprends un peu ce que vous dites, mais comment allez-vous exactement arranger la situation avec l’Église ? » demanda Micca, qui n’était pas encore totalement convaincu. « Je suis un archange, mais le plus bas dans l’échelle. Ma voix n’a pas vraiment de poids… »
« Il n’y a pas lieu de s’inquiéter à ce sujet », déclara Zagan. « Le pape est actuellement absent. Personne dans l’Église n’est vraiment en mesure de prendre des décisions. Pour quelque chose de ce niveau, nous pouvons demander à la faction de l’unification de faire avancer les choses. »
Même si la voix de Chastille ne suffisait pas à elle seule, il y avait plusieurs autres Archanges qui coopéreraient. Si cela ne suffisait pas, Zagan pourrait même s’appuyer sur Orias, en utilisant sa position d’Obéron. Ce n’était pas si compliqué que ça. Pour l’instant, en tout cas.
Micca tomba faiblement à l’arrière, accablé par l’ampleur de l’influence de Zagan dans l’Église.
***
Partie 2
« Tu viens juste de perdre ton maître », dit Zagan en se retournant vers Furfur. « J’aimerais te laisser le temps d’apaiser tes sentiments, mais tu es dans une position dangereuse — même avec ma protection — alors, j’aurai besoin que tu accumules assez de force pour pouvoir dignement te faire appeler Archidémon. »
« Une bonne… inévitable ? Conclusion. Je m’y conformerai. »
La bataille contre Glasya-Labolas avait dû l’affecter, mais Furfur avait accepté avec une facilité inattendue. Le problème était de lui trouver un professeur…
Andrealphus… n’a vraiment pas le temps pour ça en ce moment.
Cet homme avait revendiqué le titre de plus fort à la fois comme sorcier et comme chevalier angélique. Il était la personne la plus qualifiée pour former ces deux-là à partir de rien. Cependant, il était retourné à Raziel, et les choses étaient extrêmement difficiles là-bas en ce moment.
Je n’aurais jamais pensé que Samyaza finirait par dériver vers Raziel…
Samyaza était un démon intelligent qui était un amalgame de dix mille entités. C’était un monstre que même Zagan était incapable de vaincre en combat singulier. Ou peut-être que « phénomène » serait un meilleur mot pour le décrire. Même à son apogée, il aurait probablement été impossible pour Andrealphus de le vaincre.
Pour une raison ou une autre, ce même démon avait été observé à Raziel. Zagan s’était dit qu’il était toujours en vie, mais ne savait pas quel était son objectif. Se remettait-il des blessures qu’il avait subies lors de la bataille contre Zagan ? Pour l’instant, il ne montrait aucun signe de vouloir bouger, en tout cas.
Dès le début, j’ai eu l’impression qu’il voulait me tester.
Ce serait une mauvaise idée de le pousser inutilement, mais Zagan ne pouvait pas non plus l’ignorer. C’était justement pour cela qu’il avait demandé à Andrealphus de le surveiller. Et donc, ce n’était pas vraiment le moment pour lui d’entraîner des jeunes.
Il voulait vraiment prendre sa retraite…
Même Zagan avait un peu pitié de lui. Il décida que s’il trouvait du tabac de qualité, il en enverrait à Andrealphus en guise de remerciement.
Orias était un autre ancien Archidémon qui pouvait faire l’affaire, mais ses deux filles — Néphy et Nephteros — avaient toute son attention. Furfur et Micca n’étaient pas assez importants pour que Zagan prive sa belle-mère d’un temps aussi précieux avec ses filles.
En termes de simples compétences, Foll et Shax n’avaient aucune lacune. Ils avaient aussi à leur disposition des gens qui savaient se servir d’épées. Cependant, ils n’étaient pas capables d’enseigner à d’autres la sorcellerie au niveau d’un Archidémon, surtout quand cela sortait de leurs propres spécialités.
Il ne restait plus qu’à Zagan à leur enseigner personnellement, mais il était déjà occupé à s’occuper d’un grand nombre de personnes. Il ne voulait pas non plus perdre le temps qu’il aurait pu passer avec Néphy. Alors, qui pourrait leur servir de professeur ?
« Hm hm hmm ! Mon seigneur ! As-tu oublié quelqu’un ? Laisse-moi faire, et je les élèverai à la possession d’un pouvoir de l’amour qui surpasse même le Purgatoire ! »
« Va t’asseoir dans le coin ! »
Après les avoir écoutés quelque part, la grand-mère que personne n’avait demandée fit irruption, ses arrière-pensées apparaissant au grand jour. Elle était suivie d’un jeune homme géant au visage de lion.
« Allons, Miss Gremory, » dit-il, un air de récrimination dans la voix. « Je vais m’asseoir avec toi, alors présentons des excuses en bonne et due forme. Je suis sûr que tu sais à quel point cette affaire est délicate. »
« Tais-toi, Kimaris ! » hurla Gremory. « Crois-tu que je suis assez compréhensive envers les autres pour rester tranquille quand une telle puissance d’amour est devant moi !? »
« N’est-ce pas justement pour cela qu’on te gronde ? » rétorqua Kimaris.
Ces deux-là avaient travaillé séparément ces derniers temps, mais ils étaient revenus ensemble aujourd’hui. Kimaris avait pris place à côté de Gremory, un air de soulagement sur le visage, comme s’il était enfin rentré chez lui après une longue absence.
Zagan croisa les bras et continua à réfléchir à la question qui l’occupait quand soudain, on frappa à la porte de la salle du trône.
« Monsieur Zagan ! J’ai entendu dire que vous étiez revenu ! »
« Attends un peu, Selphy. On dirait qu’il est en train de recevoir des invités. »
« Hein ? Mais Mlle Gremory est entrée comme ça. »
Une voix insouciante résonna dans la salle du trône, provenant d’une personne totalement incapable de lire l’ambiance. C’était la sirène Selphy.
Bon sang, l’un après l’autre. Je suis occupé à trouver quelqu’un pour former ces deux-là…
Il n’y avait tout simplement pas beaucoup de personnes capables d’enseigner à la fois l’épée et la sorcellerie.
« Selphy, mes affaires peuvent attendre. Revenons plus tard, n’est-ce pas ? »
Et en apercevant le garçon qui était entré dans la pièce avec Selphy, l’un de ses problèmes fut immédiatement résolu.
« Oh, il y en a un juste ici », déclara Zagan, en pensant à un professeur.
« Hein ? Un quoi ? » demanda le garçon.
C’était le père de Zagan, le premier Archidémon en chef, le deuxième roi aux yeux d’argent, Lucia — ou du moins son Nephilim, Ain. Zagan expliqua la situation et Ain accepta de s’occuper d’eux. Cela étant décidé, ils avaient besoin d’un endroit où vivre. Zagan finit par proposer le vieux château dans la forêt qu’il occupait auparavant. Le Palais de l’Archidémon aurait également fait l’affaire, mais Ain avait choisi de vivre une vie séparée de celle qu’il menait auparavant. Il serait bien trop gênant pour lui de croiser fréquemment Alshiera.
Et au moment où la réunion dans la salle du trône s’acheva, Shax ajouta une dernière chose.
« Patron, avant de nous séparer, j’ai quelque chose à vous dire. »
« Oui, je sais. »
Zagan pouvait déjà deviner ce dont il voulait discuter.
◇
« Hé, hé, tu es une nouvelle venue ? »
Après son audience avec l’Archidémon Zagan, Micca s’était retrouvé à l’intérieur d’une cuisine. Furfur avait été entraîné par la fille qui était entrée dans la salle du trône, et Micca les avait suivis jusqu’ici. Furfur semblait plus confus qu’inquiet. Elle jeta un coup d’œil à Micca, un air choqué sur le visage, alors qu’on l’emmenait plus loin dans la cuisine.
« Hmm, alors tu t’appelles Furfur, hein ? C’est un nom très mignon. Moi, c’est Selphy ! Es-tu une sorcière ? Sais-tu cuisiner ? C’est bon ! Même si tu ne sais pas, Monsieur Raphaël t’apprendra à tous les coups ! »
« Je vais essayer… non, de faire de mon mieux ? »
Micca pensait que cette fille avait mal compris les choses à cause des vêtements de Furfur, mais cela ne semblait pas être le cas. Cela n’avait fait que rendre les choses encore plus confuses. Il y avait aussi une petite fille aux cheveux verts dans la cuisine qui, en voyant Furfur, s’était mise à trembler. Furfur n’étant pas très expressif, c’était peut-être cela qui avait effrayé la fillette.
Et alors qu’il restait immobile, un garçon qui semblait avoir à peu près le même âge que Micca entama nonchalamment la conversation. Il avait des cheveux châtains et des yeux bleus. À en juger par sa robe en lambeaux, c’était probablement lui aussi un sorcier.
« Hein ? Non… ? Je suis ? » dit Micca, pas tout à fait sûr de lui.
« Je suis Furcas ! » déclara le garçon en souriant. « Il n’y a pas beaucoup de gens de mon âge par ici, alors c’est bien de t’avoir ! »
« Oh, bonjour. Je m’appelle Micha Salvarra. Tu peux simplement m’appeler Micca. »
« Compris. Enchanté de te rencontrer, Micca. »
Micca était resté distrait tout au long de leurs présentations. Son attention était rivée sur le vieux monsieur qui semblait diriger la cuisine. Il portait ce qui ressemblait à une queue de pie de majordome, mais on ne pouvait pas se tromper sur les cicatrices qui ornaient son visage.
« H-Hey, Furcas ? » demanda Micca. « J’ai une question. Est-ce que… ? »
« Monsieur Raphaël ? C’est un type extraordinaire ! C’est le majordome et le chef cuisinier ici ! »
Micca commençait à avoir mal à la tête.
Pourquoi le Seigneur Hyurandell travaille-t-il comme majordome et chef cuisinier ?
Il était le plus ancien archange vivant et possédait la plus grande force parmi eux. Micca avait entendu de vagues rumeurs selon lesquelles il avait été pris dans une sorte de discorde interne dans l’Église et avait dû se cacher sous la protection d’un Archidémon qui était en bons termes avec la faction de l’unification. Pourtant, cette situation dépassait de loin l’imagination de Micca.
Au début, il pensait avoir des hallucinations, mais cela semblait être la réalité. Il voulait que tout cela ne soit qu’un rêve.
« Micca, es-tu mauvais en cuisine ? » demanda Furcas en penchant la tête. « Ce n’est pas grave. Monsieur Raphaël a un visage effrayant, mais il t’apprendra correctement. Même moi, je peux t’aider maintenant. »
« Non, j’ai cuisiné plein de choses à la maison. C’est juste que… »
Cela faisait maintenant une semaine qu’il était parti de chez lui.
Je me demande si tout le monde va bien…
Le prêtre local surveillait la maison de Micca pendant son absence, mais Micca ne savait plus très bien quelle était sa position dans l’Église. Zagan avait garanti sa sécurité, mais cela ne semblait pas être une affaire si simple. Il était possible qu’on le croie perdu au combat après l’incident de l’autre jour, et compte tenu de sa situation actuelle, il était même possible qu’on le considère comme un traître. L’anxiété commençait à lui donner mal au ventre.
« Tu sais cuisiner ? Ça veut dire que tu sais éplucher les légumes, hein ? » demanda Furcas en lui tendant une chaise. « Je suis assez mauvais dans ce domaine, alors donne-moi un coup de main. »
« Oh, bien sûr. »
Furcas lui tendit un couteau et une pomme de terre, et Micca commença à l’éplucher à moitié inconsciemment. Curieux de savoir comment Furfur se débrouillait, il lui jeta un coup d’œil. On lui avait confié la préparation d’une salade pendant que les pâtes bouillaient dans une marmite.
On dirait que les choses se passent bien là-bas.
Pour l’instant, rien ne semblait dangereux. Après avoir confirmé cela, Micca reporta son attention sur Furcas.
« La cuisine de Monsieur Raphaël est super savoureuse, » dit Furcas. « Tu te dérideras une fois que tu en auras mangé. »
On dirait qu’il essaie d’encourager Micca à sa manière.
« Merci. Tu es très gentil », répond Micca.
« Ha ha, tout le monde ici a connu des moments difficiles », déclara Furcas. « J’ai été si bien traité par eux, alors je le transmets. »
Furcas avait l’air d’avoir à peu près le même âge que Micca, et il était là… à travailler dans le château d’un Archidémon. Il avait dû vivre des moments difficiles.
« Furcas, qu’est-ce qui t’a amené ici ? » demanda Micca avec désinvolture.
Furcas continua d’éplucher la pomme de terre qu’il avait entre les mains, ne sachant pas trop comment expliquer sa situation.
« Pour te dire la vérité… Je ne me souviens de rien de mon passé », déclara-t-il.
« Hein ? Tu n’as pas de souvenirs ? »
« Mhm. Je me suis un peu égaré dans un endroit ridiculement dangereux, et alors que j’étais au bord de la mort, Zagan et Lilith m’ont sauvé. Oh, Lilith est la rousse là-bas qui prépare la soupe. C’est une fille si belle et si mignonne ! »
***
Partie 3
Furcas montra du doigt une jeune fille au caractère bien trempé. Elle avait des cheveux roux et des yeux dorés et semblait avoir à peu près le même âge que Furcas. Elle portait un tablier par-dessus des vêtements plutôt révélateurs, mais Micca était plus concentré sur ses cornes incurvées.
Les races dotées de telles cornes étaient, en général, très rares. Il était miraculeux qu’elle soit en vie sous les ordres d’un Archidémon, ou même d’un sorcier, mais il ne semblait pas que sa vie soit en danger ici.
Je me demande si Furcas est amoureux d’elle. Micca pouvait le deviner à la passion évidente dans la voix de Furcas.
« Elle est vraiment très jolie, » dit Micca. « Est-elle aussi une sorcière ? »
« Non, » dit Furcas. « Lilith est la princesse de Liucaon. »
« Pourquoi une princesse fait-elle de la soupe dans la cuisine ? »
Est-elle forcée d’obéir à Zagan en échange de sa vie ?
« Ha ha ha, j’ai demandé la même chose quand je suis arrivé ici, » déclara Furcas en souriant avec nostalgie. « Au fait, celle qui montre les ficelles du métier à l’autre nouvelle venue est Mlle Selphy. C’est la princesse d’une autre famille. »
Et celui qui dirigeait la cuisine était le plus terrible des archanges.
« Que se passe-t-il ici… ? » marmonna Micca.
« Oh, et la belle femme qui fait cuire la viande là-bas, c’est mademoiselle Néphy. C’est la femme de Zagan, alors veille à ne pas être impolie avec elle. »
« Zagan, comme l’Archidémon Zagan ? Alors il a une relation normale… ? »
Maintenant que Micca y pensait, il se souvint vaguement d’une belle elfe qui accompagnait Zagan lors de l’attaque de la salle du trésor de Raziel.
« Oui. Et la petite dame aux cheveux verts à côté d’elle, c’est Foll », ajouta Furcas. « C’est la fille de Zagan et de Mlle Néphy. »
« Ils sont assez âgés pour avoir une fille de cet âge ? »
L’apparence d’un sorcier n’est pas vraiment un indicateur fiable de son âge, mais d’une manière ou d’une autre, Zagan et cette elfe semblaient aussi jeunes qu’ils en avaient l’air.
« Non », dit Furcas en secouant la tête. « Ils ne sont pas liés par le sang. Foll est un dragon et tout ça. »
« Les dragons existent ? »
C’était encore plus choquant. Micca avait eu l’impression que les dragons n’existaient que dans les livres d’images.
« C’est aussi l’Archidémon le plus fort ici, à part Zagan, » ajouta Furcas.
« N’est-ce pas bizarre qu’un dragon soit un Archidémon !? »
« Mlle Néphy est aussi devenue un Archidémon récemment. »
« Devenir un Archidémon, est-ce si facile que ça ? »
Pour commencer, combien d’Archidémons Zagan employait-il ? Le roi tigre Shax était également l’un des nouveaux Archidémons. Tout cela était trop choquant pour Micca. Il reprit son souffle tandis que Furcas riait à côté de lui.
« Ha ha ha, tu réagis exactement comme prévu. »
« Arrête de te servir de moi pour te divertir », se plaignit Micca.
« Mais tu t’es un peu égayé, hein ? »
Micca avait été décontenancé.
Je vois. Je devais avoir l’air vraiment déprimé…
C’est pourquoi Furcas le taquinait à moitié pour lui remonter le moral.
« Merci, Furcas. »
« Je n’ai rien fait. »
C’est alors que Micca remarqua quelque chose. Néphy et Foll avaient chacun un écusson sur leur main droite. Il avait vu la même chose sur les mains droites de l’Archidémon Zagan et de Shax. Et juste devant lui, il vit le même écusson sur la main droite de Furcas…
« Furcas, puis-je te demander quelque chose… ? » demanda Micca. « Cet écusson sur ta main droite… »
« Oh, ça ? C’est apparemment ce qu’on appelle un Emblème d’Archidémon. »
Micca n’avait jamais imaginé que ce garçon serait lui aussi un Archidémon. Micca tremblait à l’idée de lui avoir parlé avec autant de désinvolture.
« Je suis presque sûr qu’il y a d’autres personnes qui devraient l’avoir à ma place », dit Furcas d’un air troublé. « Mais je l’ai depuis avant de perdre mes souvenirs, alors Zagan m’a dit de le garder… »
« Vraiment… ? »
Micca avait honte de lui. Furcas avait été si gentil avec lui alors qu’il s’agissait de leur première rencontre, et pourtant Micca avait eu peur de lui simplement parce qu’il avait un Emblème d’Archidémon. Pour Furcas, c’était peut-être le seul et unique indice qu’il possédait sur son propre passé.
Micca jeta un coup d’œil au tas de pommes de terre qui s’accumulait à côté d’eux. C’est Furcas qui avait demandé de l’aide, mais il avait épluché plus de pommes de terre que Micca. Il n’avait pas vraiment besoin d’aide, mais il avait donné à Micca quelque chose à faire parce que ce dernier semblait perdu. Les gens étaient après tout capables de vider leur esprit des pensées inutiles lorsqu’ils avaient du travail devant eux, après tout.
Quel bon gars !
Micca eut soudainement envie de devenir son ami.
« Tu es incroyable, Furcas », dit Micca. « Même si j’ai une épée sacrée, je suis le plus faible des archanges, alors je ne sais pas du tout pourquoi on me traite si bien ici… »
« Ne dis pas ça. Je suis certainement aussi le plus faible parmi ceux qui ont cet Emblème. »
Il ne se qualifiait pas lui-même d’Archidémon. C’est parce qu’il comprenait la situation mieux que quiconque. Cependant, il n’y avait pas de timidité dans la voix de Furcas comme dans celle de Micca.
« Mais même ainsi, Zagan et Lilith m’ont sauvé. Ils auraient pu m’arracher l’Emblème, mais au lieu de cela, ils m’ont dit de devenir plus fort et me soutiennent. Je veux leur rendre la faveur qu’ils m’ont accordée… Toi aussi, tu as quelqu’un comme ça, n’est-ce pas ? »
Sur ce, il jeta un coup d’œil à Furfur.
Il est vraiment extraordinaire.
C’est exactement pour cela que Micca ne voulait pas avoir l’air pathétique devant Furcas ou Furfur.
Micca hocha la tête.
« Oui… Je veux devenir quelqu’un dont les gens qui ont été si gentils avec moi peuvent être fiers. »
Les deux garçons sourirent. Pourtant, même après s’être fait expliquer tout cela, Micca avait mal à la tête.
« Royauté, archange et Archidémon… Y a-t-il quelqu’un de normal dans cette cuisine ? » demanda Micca.
« Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as aussi une épée sacrée. »
Micca l’avait presque oublié. La vie tranquille et normale dont Micca avait longtemps rêvé lui paraissait soudain si lointaine.
« Oh là là, il y a encore plus de monde ici que d’habitude. »
Et juste à ce moment-là, une autre fille entra dans la cuisine. Elle avait des cheveux blonds et des yeux dorés comme la lune. Elle portait une robe noire et semblait être aussi jeune que Foll, ou peut-être un peu plus âgée.
« C’est Mlle Alshiera », dit Furcas. « Elle est apparemment une vampire. »
« Il n’y a vraiment pas de gens normaux ici ! » s’exclama Micca.
Pourtant, le fait de ne pas avoir de titre comme celui d’archange ou d’Archidémon signifiait qu’elle était peut-être la plus normale qui soit.
« C’est une veuve qui a vécu environ mille ans », ajouta Furcas. « C’est aussi la mère de Zagan. »
« C’est elle qui est la plus anormale ici ! », cria Micca sans le vouloir, faisant sursauter la vampire.
« H-Huh ? Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle, déconcertée.
« Alshiera. Il est nouveau », dit Foll.
« Aaah… »
Maintenant, elle avait un regard de pitié dans les yeux. C’était comme si elle disait : « Il est sur le point de vivre les mêmes choses que moi autrefois. »
Micca pensait déjà savoir que le château d’un Archidémon ne pouvait pas être normal, mais les choses avaient largement dépassé son imagination.
J’abandonne. Ce qui sera sera…
Il cessa donc d’y penser.
◇
« On dirait que tu t’es une fois de plus chargé de toutes sortes de fardeaux, Zagan. »
Après que Furfur et les autres soient partis, il ne restait plus que Zagan, Ain et Shax dans la salle du trône. Celui qui s’adressait à Zagan était Ain. Pour l’instant, l’affaire de Furfur et de Micca allait certainement s’arranger avec l’aide d’Ain. Maintenant que Zagan avait décidé de traiter Furfur comme une personne, il ne se pencherait sur les moyens de libérer les séraphins qu’une fois qu’elle aurait obtenu un pouvoir digne d’un Archidémon.
« Cependant, je n’ai jamais eu l’intention de le faire », dit Zagan en gémissant. « Ça finit toujours comme ça avant que je m’en rende compte. »
Ain gloussa.
« Ha ha ha, je ne déteste pas cette partie de toi. »
« Hmph… »
Incapable de répondre à cela, Zagan détourna le regard. Il se serait moqué si c’était quelqu’un d’autre qui le dirait, mais venant de ce garçon, cela le gênait et le mettait mal à l’aise.
Zagan se racla la gorge, puis il alla droit au but.
« Eh bien, maintenant que tu es là, je suppose que je vais devoir t’expliquer la situation. »
« Ça va t’aider », accepta Ain.
Selon toute vraisemblance, les affaires de Shax concernaient à la fois Zagan et Ain. Il resta lui aussi en silence et hocha la tête.
« J’ai trois problèmes à régler », poursuit Zagan. « L’un d’eux, tu le connais déjà : Marchosias. Il a rassemblé trois Archidémons et essaie de commencer quelque chose. »
Selon la façon dont les choses se déroulaient, il était possible que Naberius rejoigne également ce camp. L’objectif de Marchosias restait un mystère, mais c’était justement pour cela que Zagan essayait de contacter les autres Archidémons et les anciens candidats au rang d’Archidémon.
Avec un peu de chance, j’arriverai à temps…
Les Archidémons et les anciens candidats au rang d’Archidémon s’isolent souvent des affaires du monde. Cela avait été encore plus clair après avoir échoué à protéger Forneus. Même les talentueux subordonnés de Zagan avaient du mal à les retrouver. Il était inévitable que Marchosias les devance.
Les seuls Archidémons que Zagan n’avait pas encore contactés étaient Phenex et Astaroth. Des anciens candidats au rang d’Archidémon, il ne restait que leurs disciples — Gaoler Acheron et Godsight Flauros. Les disciples prennent souvent exemple sur leurs maîtres, mais Zagan aurait préféré qu’ils ne le fassent pas quand il s’agit d’être si difficile à trouver.
Après avoir vérifié qu’Ain suivait bien, Zagan continua.
« Ensuite, les démons. La barrière d’Alshiera n’a pas été brisée, mais pour une raison ou une autre, ils apparaissent un peu partout. »
La raison de cette situation était restée un mystère, et Zagan n’avait pas réussi à trouver un moyen de la résoudre.
Asmodée s’en occupe toute seule, mais je ne peux pas compter sur elle indéfiniment.
Les choses allaient bientôt échapper à son contrôle. Quelle que soit sa puissance, elle ne pourrait pas les arrêter s’ils apparaissaient sur tout le continent en même temps.
« Et enfin, les épées sacrées », dit Zagan. « Pour une certaine raison, je vise à les détruire… ou plutôt à libérer les séraphins qui y sont scellés. »
Ce sont les trois problèmes majeurs de Zagan, mais Ain leva quatre doigts et en ajouta un autre pour lui.
« Et aussi, n’as-tu pas aussi la bague que tu as gardée dans ta poche pendant tout ce temps ? »
« Bon… Que dois-je faire ? Je n’ai aucune idée du moment où je dois la donner », dit Zagan, le ton beaucoup plus grave qu’auparavant.
Ain avait souri devant l’honnêteté avec laquelle Zagan l’avait admis.
***
Partie 4
« Cela ne semble peut-être pas très convaincant de la part de quelqu’un qui n’a pas d’expérience », déclara Ain. « Mais je suis sûr que le moment opportun arrivera. Quand il arrivera, tu ne devras pas être timide. Rappelle-toi de cela, et je suis sûr que tout se passera bien. »
Le plus gros problème, c’est d’être timide le moment venu !
Non pas que Zagan puisse dire cela à son père, même si techniquement ce n’était pas lui. Zagan ne pouvait que détourner les yeux d’un air maussade.
C’est alors que Shax se joignit à la conversation.
« Patron, mon intuition me dit que les trois problèmes que tu as évoqués sont tous liés. »
Zagan et Ain le regardèrent tous deux avec étonnement.
« Quoi ? » demanda Shax.
« Je me disais justement que tu étais très doué pour ce genre de choses », lui dit Zagan.
« Tu n’obtiendras rien en me flattant. »
Eh bien, il se comportait davantage comme un homme envers Kuroka ces derniers temps. Il était temps qu’il obtienne son diplôme et qu’il ne soit plus critiqué en permanence par Zagan.
« C’est exactement ce que tu dis », confirma Zagan. « Je doute que ces problèmes ne soient pas liés. »
« Hmm… Veux-tu dire que Marchosias est impliqué dans la réapparition des démons ? » demanda Ain.
« Je n’irais pas jusque-là », répondit Zagan. « Cependant, il y a des signes qui montrent qu’il essaie d’utiliser les démons pour quelque chose. »
Zagan en était arrivé à cette conclusion à cause de la bataille contre Samyaza l’autre jour.
Cette chose est un amalgame de démons.
Sa puissance était énorme et son intelligence équivalente à celle d’un Archidémon. Zagan n’aurait jamais pu le vaincre seul. C’est dire à quel point cet être était grotesque. Marchosias avait dû apprendre son existence il y a un millier d’années. Et si c’est le cas, il n’avait pas pu le laisser tranquille.
« Et quel est le lien entre les épées sacrées ? » demanda Ain, un air de prudence dans la voix.
« C’est exactement ce que je voulais te demander », répondit Zagan alors que Shax et lui reportèrent leur attention sur Ain. « L’arme que brandissait autrefois le deuxième roi aux yeux d’argent Lucia, l’épée sacrée Azazel, pourquoi porte-t-elle le même nom que le Roi-Démon ? »
« Je vois…, » marmonna Ain en haussant un sourcil. « Je n’ai pas été informé des détails, mais c’est apparemment parce qu’ils étaient tous les deux “à l’origine une seule et même personne”. »
« Les épées n’ont-elles pas été créées en sacrifiant ces séraphins ? » demanda Shax en penchant la tête. « Est-ce qu’un démon a été utilisé à la place d’un séraphin ? »
« C’est — ! »
Au moment où Zagan commençait à s’expliquer, il ressentit un froid soudain. Une perle de sueur froide coula le long de sa joue.
La soif de sang… ? Alshiera… ? Non, c’est…
« Cette conversation s’arrête là, » dit Zagan en portant un doigt à ses lèvres. « Je ne peux pas en dire plus pour le moment. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Shax avec prudence.
« Ça m’ennuie d’imiter ma mère, mais je ne peux pas en parler », lui dit Zagan avec un soupir. « Vois ça comme une malédiction qui m’infectera si je le fais. »
Zagan avait vu Azazel « à l’extérieur » de la barrière d’Alshiera. Cela signifiait qu’Azazel l’avait également vu. Maintenant que c’était le cas, en prononçant simplement les mauvais mots, Zagan pouvait devenir un moyen pour Azazel de franchir la barrière.
C’est vraiment pénible à gérer.
Cependant, Shax et Ain étaient tous deux des hommes talentueux.
« Compris…, » dit Shax. « Alors pour l’instant, appelons-la Chat. »
« Hmmm… »
Zagan poussa un soupir d’admiration. En lui donnant un autre nom, il était possible d’éviter d’être détecté dans une certaine mesure. Shax était vraiment sage d’avoir eu une telle idée sur le champ.
Il est vraiment préférable de consulter d’autres personnes lorsque tu as un problème.
« Pourquoi Chat ? » fit remarqué Ain avec curiosité.
« Ne demande pas…, » déclara Shax. Il l’aurait probablement inventé sur le champ.
Ce type aime vraiment les chats…
Eh bien, son professeur et son amoureuse étaient tous deux des chats, c’était donc compréhensible. Une fois l’affaire de Marchosias et des démons réglée, Zagan décida de laisser cet homme faire des recherches sur les chats à sa guise.
« Alors ce Chat était quelque chose comme un dieu pour les séraphins, c’est ça ? » poursuit Shax, un peu rouge au visage. « Et pour une raison ou une autre, ce Chat est devenu un démon… ou a été transformé d’une manière ou d’une autre en démon. »
« Tu veux dire comme Nephteros, » observa Zagan.
Shax était également présent lorsque Bifrons avait restauré le fragment d’Azazel en tant que seigneur des démons de la boue. En d’autres termes, il avait vu Nephteros se faire avaler par lui et se transformer.
Il est donc possible que la même chose soit arrivée à Az… Chat.
« Je vois…, » dit Ain. Il n’avait pas envisagé cette possibilité. « Donc il pourrait absorber plus que les démons ? »
« Attends, qu’est-ce que tu viens de dire ? » demanda Zagan.
« Hm ? A propos de Chat ? »
Maintenant que Zagan y pense, Ain avait croisé le fer avec Azazel il y a mille ans — à l’époque où il était Lucia.
Ain mit un doigt sur sa tête et sombra dans la réflexion.
« Le Chat de mes souvenirs était le roi des démons, capable d’engendrer des démons à l’infini. Il pouvait aussi les absorber pour se transformer en géant. »
Zagan et Shax étaient restés sans voix devant cette effroyable révélation.
Un roi des démons qui se propage tout seul… ?
Non, le principal problème était de savoir comment cela était lié à la situation actuelle.
« Veux-tu dire que l’épidémie actuelle de démons est due à Samyaza ? » demanda Zagan avec un gémissement. « Non, la séquence des événements est erronée. Dans ce cas… »
« Le prochain roi est quelque part là-bas », termina Ain pour lui.
La salle devint silencieuse. Aucun d’entre eux ne put nier cette possibilité.
Ne faiblis pas, Zagan. N’es-tu pas un roi ?
Quel genre de leader serait-il s’il tombait dans le désespoir au premier signe de mauvaise nouvelle ?
« Alors si nous le trouvons et le tuons, nous nettoierons toute cette affaire de démons. »
Séduits par ses paroles, Shax et Ain avaient souri.
« Je suis vraiment content d’avoir choisi de te suivre, patron, » dit Shax.
« En effet », acquiesça Ain. « Marchosias doit aussi le savoir. C’est pour cela qu’il prend les choses si lentement. »
Si quelque chose d’aussi scandaleux qu’un roi des démons existait, Marchosias essaierait de l’utiliser. L’écraser ne mettrait peut-être pas un terme aux plans de Marchosias, mais cela leur donnerait un sérieux coup de pression.
Pourquoi Alshiera est-elle restée silencieuse à ce sujet… ? Zagan s’enfonça dans ses pensées sans que cela ne se voie sur son visage. Il y a mille ans, elle s’était battue aux côtés de Lucia. Elle devait savoir. Alors pourquoi ne l’a-t-elle pas dit à Asmodée ? Était-ce aussi quelque chose qu’elle ne pouvait pas dire ?
Ou peut-être est-elle convaincue que cela n’a rien à voir avec cette affaire ?
Il semblait nécessaire de la questionner à ce sujet.
« Donc, le problème immédiat, ce sont les épées sacrées », marmonna Shax.
« Tu veux libérer les séraphins, ouais ? » De façon inattendue, c’est Ain qui lui répondit. « Je ne suis pas totalement dépourvu d’idées à ce sujet… »
« Quoi ? » répondit Zagan, confus, alors qu’il se levait involontairement.
« L’autre jour, l’un de tes subordonnés l’a utilisée, n’est-ce pas ? La technique que nous appelons la confession… »
« Ah ! »
Zagan et Shax avaient tous deux fait un bruit bizarre.
C’est vrai, cette technique doit convoquer le séraphin.
Il en avait été témoin à plusieurs reprises, mais n’avait jamais fait le lien à cause des formes en armure des séraphins.
« Quel angle mort…, » marmonna Zagan en se passant une main sur la tête. « Juste pour être sûr, est-ce que ça libère le séraphin à l’intérieur de l’épée sacrée ? »
« Mm-hmm », acquiesça Ain. « C’est une forme temporaire créée par l’aura, mais c’est bien le séraphin. »
Cela signifie qu’il existe déjà un moyen de libérer temporairement le séraphin à l’intérieur d’une épée sacrée. Il ne restait plus qu’à trouver un moyen de couper son lien avec l’épée elle-même.
Le corps de Furfur est peut-être la clé de cette histoire…
Elle était une âme dans un corps inorganique. Il est fort probable qu’il s’agisse d’un indice permettant de transférer les âmes des séraphins, étant donné qu’elles étaient également enfermées dans des objets inorganiques.
« Raphaël et Chastille sont tous deux capables d’effectuer la confession », déclara Zagan. « Richard sera peut-être lui aussi capable de la maîtriser. »
Tout avait commencé avec l’épée sacrée Camael de Richard. Il serait plus rapide pour lui d’apprendre la confession. Stella était une autre possibilité, mais elle se trouvait à Raziel, ce qui rendait difficile son déplacement jusqu’ici. Zagan sentit enfin la tension dans ses épaules se relâcher maintenant qu’une solution était en vue.
« Ça te dérange si on s’occupe de mes affaires maintenant ? » demanda Shax.
« À propos des yeux de Kuroka, je présume ? » demanda Zagan.
Shax hocha la tête.
« Kuroka est cette fille cait sith, oui ? » dit Ain. « Celle que j’ai accompagnée pendant le voyage depuis Raziel ? »
« C’est elle », confirma Zagan. « Il semblerait que Marchosias l’ait appelée “la quatrième”. »
« La quatrième… ? » marmonna Ain en plissant les yeux. Les mots avaient dû résonner en lui.
Zagan hocha la tête.
« Les trois familles royales de Liucaon sont les descendantes de Lilithiera… de la fille de Lucia. »
« Les descendants de Lilith… ? »
En d’autres termes, ils étaient les descendants de la jumelle de Zagan d’il y a mille ans.
Je ne me souviens même pas de son visage. C’est normal qu’elle m’en veuille pour cela.
Au moment où Zagan avait pris conscience de ce qui l’entourait, il était en train de pêcher dans les poubelles des ruelles. Ce n’est que récemment qu’il avait découvert qu’il avait une famille. Mais tout cela n’avait aucune importance pour son interlocuteur.
« Parmi eux, le sang du roi aux yeux d’argent est particulièrement présent chez les Adelhides — la famille de Kuroka. »
Lilithiera elle-même tenait apparemment plus d’Alshiera que de Lucia. Les Hypnoels avaient hérité de son sang, qui s’était encore accentué pour donner naissance à la Lilith d’aujourd’hui. Cependant, le sang du roi aux yeux d’argent était toujours présent en chacun d’eux… et ce pouvoir avait complètement pris le dessus lors de la bataille contre Glasya-Labolas.
« Les yeux de Kurosuke ont retrouvé leur couleur habituelle maintenant, » dit Shax avec un gémissement. « Mais le pouvoir lui-même n’a pas disparu. »
« Veux-tu dire qu’elle ne peut pas le contrôler ? » demanda Zagan.
« Probablement… »
« Veux-tu donc que je lui apprenne à s’en servir », conclut Ain.
« Peux-tu ? » demanda Zagan.
« J’aimerais bien…, » commença Ain avec une expression compliquée. « Mais Zagan, tu peux aussi voir le flux de mana, n’est-ce pas ? »
« Oui. »
Zagan savait également comment utiliser ce pouvoir.
Mais je suis apparemment spécialisé dans la vision des circuits derrière la sorcellerie.
C’était le pouvoir fondamental qui sous-tendait sa capacité à dévorer la sorcellerie — le pouvoir qui l’avait élevé au rang d’Archidémon. Cependant, l’utilisation qu’il en faisait était trop spécialisée. S’il pouvait imiter Ain, il était loin d’être aussi doué pour lire les mouvements de son adversaire.
« Es-tu capable d’expliquer son fonctionnement à quelqu’un d’autre ? » demanda Ain.
Zagan n’avait pas répondu.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Shax d’un air confus.
« Zagan et moi pouvons voir le flux de mana, » expliqua Ain. « Cependant, nous n’essayons pas consciemment de le percevoir. Dès notre naissance, nous pouvions le voir comme si c’était parfaitement naturel. »
***
Partie 5
On pouvait se demander ce qu’ils pouvaient apprendre à Kuroka alors qu’elle n’était capable de voir le mana que depuis peu.
« Vous n’avez pas à vous inquiéter de cela, » dit Shax, inébranlable. « Kurosuke le surmontera sans aucun doute. Cependant, je veux quelqu’un qui puisse lui montrer la voie, ne serait-ce qu’un peu. »
En vérité, Shax voulait le faire lui-même. C’était son seul regret. Il croyait en Kuroka.
Il est vraiment devenu viril…
Ce n’était pas à Zagan de se mettre en travers de son chemin.
« J’aimerais aussi te demander ceci », dit Zagan en baissant la tête. « S’il te plaît, aide Kuroka. Tant qu’elle peut en saisir l’essentiel, elle devrait pouvoir s’approprier ce pouvoir. »
« Comment pourrais-je refuser quand tu me le demandes comme ça ? » dit Ain en riant. « Assure-toi de bien gérer cela aussi, d’accord ? »
« Erk ! » gémit Zagan, incapable de maintenir sa façade vaniteuse. C’était le quatrième problème qu’Ain lui faisait remarquer.
Quand pourrai-je lui offrir cette alliance ?
L’artisan mystique Naberius avait créé cette bague il y a deux petits mois. Malgré cela, Zagan n’avait pas réussi à trouver le bon moment pour l’offrir à Néphy. Zagan paniquait déjà, mais il y avait encore un autre homme dans cette pièce qui le poussait encore plus dans ses retranchements.
Shax et Kuroka ont seulement commencé à sortir et ils sont déjà plus loin que nous !
Pendant leur pause d’un mois, ils s’étaient rendus dans la ville natale de Kuroka, avaient salué ses proches parmi les deux autres familles royales de Liucaon, et avaient même fait approuver leur mariage. Officiellement, ce voyage d’un mois était une mission, mais on pouvait facilement l’appeler une lune de miel. Zagan avait harcelé Shax pour qu’il devienne un homme, mais il ne s’attendait pas à ce qu’il progresse aussi rapidement.
Bon, Kuroka a aussi été assez agressive pour essayer de faire de leur relation un fait établi…
Une fois que Shax s’était résolu à accepter Kuroka, il était normal qu’ils procèdent sans encombre.
Mais qu’en est-il de moi ? Cela fait un an que j’ai rencontré Néphy, et je n’ai pas du tout fait progresser notre relation !
Ignorant l’agonie interne de Zagan, Shax leva les yeux vers le plafond — vers Kianoides — et marmonna pour lui-même.
« Kurosuke… Elle ne va pas pouvoir repasser à l’Église avant un moment, hein… ? »
« Eh bien, oui… »
Elle était techniquement affiliée à l’Église mais n’y était pas allée ces deux derniers mois. Cela semblait la déranger, mais elle avait une formation à suivre, il lui serait donc difficile de s’y rendre pendant un certain temps.
◇
« Kuroka Adelhide, au rapport pour le service. »
À la même heure, Kuroka était passée au bureau de l’Église de Kianoides. Techniquement, elle était prêtre ici, mais depuis la bataille contre Shere Khan, elle se trouvait dans une position précaire, si bien qu’elle ne s’était pas rendue à l’Église depuis plus de deux mois.
« Hm ? Mlle Nephteros ? Où est Dame Chastille ? » demanda-t-elle, les yeux écarquillés.
Celle qui était assise au bureau était une elfe à la peau sombre et aux cheveux argentés — la petite sœur de Néphy, Nephteros. En raison de sa position dans l’Église, Kuroka s’était auparavant adressée à elle en tant que Dame Nephteros, mais comme elle s’était adressée à la grande sœur de Néphy en tant que Mademoiselle Néphy, Nephteros avait demandé à Kuroka de faire de même pour elle.
Elles sont vraiment des sœurs à cet égard.
Le chevalier personnel de Nephteros, Richard, était lui aussi en uniforme, une liasse de documents à la main. Même en faisant du travail de bureau, il faisait bonne figure. Cela dit, le bureau était censé appartenir à Chastille.
« Bienvenue, Kuroka », lui dit Nephteros. « Désolé, nous sommes un peu occupés en ce moment… »
« Dame Nephteros, nous venons de mettre du thé, que dirais-tu de faire une pause ? » proposa Richard.
« Bon sang… Ne me gâte pas comme ça… » protesta Nephteros en gonflant ses joues.
En voyant ses oreilles pointues frémir, Kuroka ne put s’empêcher de sourire. Sa propre vie amoureuse se déroulant bien, elle avait plus de temps pour observer la romance des autres.
« Kuroka, pourquoi ne prendrais-tu pas un peu de thé toi aussi ? » demande Rachel en lui tendant une tasse. « Tu dois être fatiguée de ton long voyage. »
« Merci, Rachel. »
Elle avait dû préparer le thé avec Richard. Rachel était la fille de course de Chastille dont le signe distinctif le plus marquant était ses taches de rousseur. Elle s’entendait très bien avec Kuu — la colocataire de Kuroka — si bien qu’elles se parlaient souvent toutes les trois.
Elle cache sa présence de la manière la plus étrange qui soit parfois. Je pense presque qu’elle doit être un assassin ou un truc du genre.
Même avec les sens aiguisés de Kuroka, il était parfois difficile de la percevoir. Kuroka avait du mal à croire qu’elle n’était qu’une civile normale.
Avec l’absence de Chastille, Kuroka ne savait pas trop quoi faire pour son rapport, alors elle prit place sur le canapé des invités et accepta la tasse de thé.
« Oh oui, Kuroka ! » dit Rachel d’un ton enjoué. « J’ai réussi l’examen de qualification des nonnes ! »
« Waouh ! Félicitations ! » s’exclama Kuroka en tapant dans ses mains et en souriant comme si cela lui était arrivé personnellement. « Tu as vraiment étudié dur. Nous devons fêter ça. »
« Non, non, c’est pour toi que nous devons organiser une fête », dit Rachel, incapable de retenir un sourire. « J’ai eu des nouvelles de Kuu, tu sais ? T’es-tu trouvé un homme ? »
« Augh… Hum, j’allais t’en parler, mais… oui. Je suis maintenant en couple avec un homme qui s’appelle Shax. »
Tout comme Kuu, les histoires d’amour étaient la nourriture préférée de Rachel.
« Tu as pris des vacances terriblement longues », dit Rachel, un filet de sang coulant de son nez. « Est-ce que tu as vraiment passé des vacances privées avec lui ? »
« Hwah ? Comment as-tu… ? Oh. »
Officiellement, on avait appris que Kuroka était membre des trois familles royales de Liucaon — la dernière survivante des Adelhides — et elle avait été convoquée au siège de l’Église. C’était effectivement vrai et cela avait occupé la première moitié de ses deux mois d’absence. La seconde moitié, cependant, elle l’avait passée avec Shax à Liucaon, où elle avait rencontré les deux autres familles royales. Cependant, seuls quelques rares membres du camp de Zagan étaient au courant de ce fait.
Le temps que Kuroka se rende compte qu’elle l’avait laissé échapper, Rachel avait un deuxième jet de sang qui sortait de son nez et se penchait en avant, excitée.
« Alors, Kuroka, as-tu eu un rendez-vous de deux mois !? » demanda-t-elle.
« Un mois ! » corrigea Kuroka. « Les choses étaient vraiment sérieuses au début. »
« Alors c’était vraiment un rendez-vous ! Hein ? Mais attends, j’ai entendu dire que tu étais rentré chez toi à cause d’un tas de complications avec Liucaon… »
Il semblerait que Rachel ait été correctement informée de cela. Kuroka acquiesça et les yeux de Rachel s’ouvrirent en grand.
« Rentrer chez toi avec ton homme pendant un mois entier ? N’est-ce pas juste un moyen de faire approuver ton mariage ? »
Eh bien, Kuroka allait finir par lui dire.
« Hum, eh bien… oui », confirma-t-elle bassement. « Nous sommes… fiancés. »
« Pow ! »
Poussant un cri comme un certain maniaque de l’homicide, Rachel bascula en arrière. Nephteros faillit renverser son thé, mais Richard la retint.
« Bon sang… Permets-moi de m’excuser pour ma petite sœur, Mlle Kuroka », dit Richard en traînant Rachel inconsciente dans un coin de la pièce. Malgré leurs personnalités follement différentes, ces deux-là étaient en fait frères et sœurs.
« Ce n’est pas grave. C’est la norme », lui dit Kuroka.
Richard se couvrit le visage de honte en constatant que sa sœur agissait ainsi assez souvent pour que Kuroka y soit habituée.
C’est à ce moment-là que Kuroka reporta finalement son attention sur Nephteros. Elle avait commencé à faire une pause et sirotait le thé que Richard avait préparé pour se calmer.
Elle est vraiment très jolie.
Bien qu’il partage le visage de Néphy, Nephteros paraissait belle pour Kuroka, tandis que Néphy paraissait mignonne. Elles partageaient toutes les deux la même nature apaisante, alors pourquoi cela ? Si Kuroka devait dire, Néphy était adorable comme un tamia ou un petit oiseau. En revanche, Néphy avait la beauté d’un chat errant ou d’un loup sauvage qui n’arrive pas à s’attacher aux étrangers. Quoi qu’il en soit, toutes deux avaient un charme qui dépassait de loin la nature téméraire de Kuroka.
Sa relation avec Richard est également très mature.
Kuroka envisageait de se laisser pousser les cheveux parce qu’elle avait vu Richard embrasser les cheveux de Nephteros. C’est pourquoi Kuroka l’admirait beaucoup.
« Tu es incroyable, Kuroka. »
« Hwuh ? »
Kuroka laissa échapper un bruit bizarre à cet éloge inattendu. Il semblerait que Nephteros n’avait pas voulu le dire à voix haute. Elle se couvrit la bouche en vitesse. Après une courte pause, elle poursuivit humblement.
« Je veux dire, tu n’as jamais su si la personne que tu aimais répondrait à tes sentiments, on t’a ignoré encore et encore, et pourtant tu n’as jamais abandonné… Et tu es même en train de te marier maintenant, n’est-ce pas ? »
La peau sombre de Nephteros était devenue un peu rouge tandis qu’elle passait un doigt dans ses cheveux argentés.
Oh, elle est aussi très mignonne.
On dirait qu’elle enviait Kuroka de s’être fiancée à Shax.
« Je crois que tu as beaucoup de courage », dit Kuroka en jetant un rapide coup d’œil à Richard.
« Seulement ce que j’ai reçu de Richard…, » marmonna Nephteros.
Elle parle beaucoup de sa vie amoureuse.
Kuroka plissa les yeux et sourit à cette découverte. Kuroka appréciait une bonne histoire d’amour, mais secoua la tête pour l’instant.
« Tu es ici aujourd’hui parce que tu as tenu bon face à de nombreuses épreuves », déclara-t-elle. « Cela demande beaucoup de courage. »
Kuroka ne connaissait pas tous les détails, mais elle savait que Nephteros avait été dans une situation bien plus difficile qu’elle. L’espérance de vie de Nephteros, en tant qu’homoncule, avait atteint sa limite, mais elle avait tenu bon sans même savoir si elle vivrait un jour de plus. Qu’est-ce que cela pourrait-il être d’autre que du courage ?
Les yeux de Nephteros s’écarquillèrent de surprise. Le bout de ses oreilles pointues tressaillit et frémit, et ses mains firent tourner paresseusement la tasse qu’elle tenait.
« Merci… » dit-elle. « Je suis heureuse de t’entendre dire cela. »
« Augh… De même… »
Les deux filles rougirent et baissèrent la tête comme si elles se trouvaient à un entretien de mariage. Kuroka aurait aimé continuer sur sa lancée et se laisser aller à partager des histoires d’amour, mais elle avait un devoir à accomplir, alors elle se racla la gorge et redressa sa posture.
« Alors ? Quelle est la situation ici ? » demanda-t-elle. « Est-ce que dame Chastille n’a toujours pas… ? »
Kuroka avait eu vent du fait que l’histoire d’amour passionnée de Chastille avec un sorcier avait été diffusée sur tout le continent. Cela faisait déjà plus d’un mois. Ne s’était-elle toujours pas remise ?
« Cela a été assez long pour que même Chastille s’en remette, » dit Nephteros en secouant la tête. « Ils en sont tout de même étrangement conscients. »
« Veux-tu dire que toute cette histoire n’est pas une sorte de menace ? C’est vraiment… ? »
Kuroka savait que Zagan était à l’origine des rumeurs, elle était donc à peu près sûre que ce n’était pas le cas. Cependant, avec cette sorcière appelée Gremory dans les parages, les choses étaient un peu plus incertaines. Elle avait aussi fait de Kuroka un véritable jouet.
D’une certaine manière, cette dame Manuela est la même…
Kuroka avait vaguement compris qu’il y avait une sorte de lien entre elles. Elle avait aussi l’intuition qu’elle était sous la juridiction de Manuela. Elle veillait toujours à ne pas s’approcher de cette boutique si elle était seule, mais cette aviaire rendait visite à Néphy tout le temps, il était donc impossible de l’éviter complètement.
***
Partie 6
« Eh bien, même moi, je peux dire que ces deux-là s’intéressent l’un à l’autre », dit Nephteros en soupirant. « Et pourtant, ils sont restés indécis pendant si longtemps. Je crois que Grand Frère voulait simplement leur mettre le feu aux poudres. »
« Alors c’est bien », déclara Kuroka. « J’étais prête à en finir avec ce sorcier s’il le fallait. »
Kuroka n’aimait pas vraiment insulter l’intérêt amoureux de quelqu’un d’autre, mais l’homme que Chastille affectionnait — le sorcier nommé Barbatos — était la pire espèce d’homme. D’un point de vue extérieur, elle ne pouvait le voir que comme un méchant homme qui profitait d’une jeune fille ignorante. Elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.
« Le sorcier qui est récemment venu mon Grand Frère a dit la même chose, » dit Nephteros en posant sa tasse et en souriant. « Vepar, je crois qu’il s’appelle ? Il a l’air d’avoir vécu beaucoup de choses. »
« Vepar… Je crois que c’est le nom d’un ancien candidat au rang d’Archidémon. Est-ce qu’il pourrait s’agir de la même personne ? »
Il avait été l’un des candidats lorsque Zagan était devenu Archidémon, il y a un an. Kuroka avait été blessée et avait abandonné le côté obscur de l’Église à l’époque, mais elle avait eu l’occasion d’entendre ce nom rien qu’en étant dans l’Église.
« C’est probablement lui, » confirma Nephteros.
Zagan s’efforçait actuellement de contacter tous les Archidémons vivants et les anciens candidats au rang d’Archidémon. Forneus, l’homme avec lequel Kuroka et Shax avaient été envoyés pour négocier, avait été l’un de ces cas.
On dirait que les autres négociations se déroulent bien.
Kuroka avait cafouillé en ne protégeant pas Forneus, mais le plan dans son ensemble semblait progresser.
« Hum, sans vouloir mettre le feu aux poudres, fais attention, » marmonna maladroitement Nephteros.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Kuroka.
« À propos de ton état, » expliqua Nephteros. « Tu vas probablement bien, puisque tu as quelqu’un qui s’inquiète pour toi, mais, quelle que soit ta force, il y a des moments où tu es complètement impuissante, n’est-ce pas ? »
Elle était apparemment préoccupée par la prédisposition de Kuroka à la malchance. Les cait sith étaient une race qui portait chance, mais en conséquence, leur vie quotidienne était remplie de malheurs. Kuroka traversait actuellement un énorme pic de bonheur, et c’était justement à ce moment-là que les mauvaises choses avaient tendance à se produire.
« C’est vrai. Je ferai attention », répondit Kuroka en hochant la tête.
« Cela me rappelle quelque chose », ajouta Nephteros. « Kuroka, il y avait un message pour toi de la part de l’Église. Quelque chose à propos de te conférer le titre de Saint de l’épée ? »
« Oh, ça… » soupira Kuroka. Honnêtement, elle n’était pas particulièrement intéressée. Elle avait utilisé l’Église pour se venger des sorciers, et pour pousser les choses encore plus loin, elle avait juré le reste de ses jours à son amant sorcier. Comment était-elle censée recevoir des titres ou des honneurs de l’Église dans cet état ?
Cela pourrait tout à fait gêner l’oncle Hypnoël et aussi les autres. Ils pourraient finir par organiser une protestation bizarre.
De plus, ceux qui tentaient de lui conférer ce titre n’étaient pas les Chevaliers angéliques, mais les cardinaux de l’Église. Depuis l’incident avec Chastille, il semblerait que des disparités soient apparues entre les intentions des Chevaliers angéliques et celles de l’Église. Si l’Église faisait pression pour cela, cela signifiait qu’elle espérait attirer Kuroka de son côté. Et franchement, elle n’avait aucune envie de se laisser entraîner dans leur lutte de pouvoir.
De plus, le seigneur du meurtre Glasya-Labolas s’était vu accorder ce titre par le passé… et elle refusait d’avoir le même titre que ce sorcier. L’Église devait savoir à quel point ce titre était inquiétant à cause de lui, c’est pourquoi il n’avait été accordé à personne depuis si longtemps.
« Tu as l’air mécontente », fit remarquer Nephteros.
« Eh bien, oui. »
« Compris. Je refuserai pour toi. »
Kuroka la dévisagea avec confusion. Nephteros avait pris cette décision de façon si naturelle.
« Es-tu sûre ? » demanda Kuroka.
« Tu n’en veux pas, n’est-ce pas ? »
« Je ne… »
« Alors je refuserai. Ce n’est pas la peine de te forcer à prendre quelque chose dont tu ne veux pas. »
Nephteros était la successeur de Lady Oberon — la créatrice de l’armure de l’Église. Sa voix avait plus d’influence que nécessaire.
Pourtant, Kuroka ne s’attendait pas à ce qu’elle lui offre cela si facilement.
« Hum, merci beaucoup », dit Kuroka en s’inclinant profondément.
« Arrête ça. Tu m’aidais même quand tu ne pouvais pas voir », lui dit Nephteros. « Laisse-moi au moins te rembourser quand je le peux. »
Richard était toujours aux côtés de Nephteros, mais Kuroka l’accompagnait aussi assez fréquemment. C’était une chose très banale, mais Nephteros n’allait jamais l’oublier. Kuroka se sentait à la fois heureuse et embarrassée, les oreilles au sommet de sa tête se rabattant à plat.
« J’ai l’impression que c’est la première fois que je te vois réagir ainsi, » dit Nephteros en plissant les yeux et en souriant.
« Vraiment ? »
Maintenant que Kuroka y pensait, elle se rendait compte qu’elle ne réagissait pratiquement comme ça qu’en présence de Shax. Contrairement à Kuroka, qui était complètement obsédée par Shax, Nephteros était curieuse de tout ce qui l’entourait.
« Ah oui, à propos de Chastille, » dit Nephteros en tapant dans ses mains. « Elle est actuellement absente de Kianoides pour d’autres affaires. »
« Hein ? Elle est loin ? » demanda Kuroka.
« Oui. C’est pourquoi je suis ici pour faire du travail de bureau jusqu’à ce qu’elle revienne. Richard s’occupe aussi des patrouilles. »
Bien qu’il vienne à peine d’accéder aux rangs des archanges, les compétences de Richard rivalisaient désormais avec celles de Chastille.
« Tu es devenu très fort », dit Kuroka à Richard en souriant.
« Mais je suis loin d’être aussi fort que toi…, » répondit Richard.
« Tu n’en sais rien. Nous n’avons pas eu de combat avec toi utilisant ton épée sacrée. »
Richard convoitait plus de force. C’est pourquoi Kuroka l’avait accompagné plusieurs fois pendant son entraînement. Bon, en raison de son absence prolongée, ça n’avait pas été si souvent que ça.
« S’il vous plaît, restez-en là », déclara doucement Nephteros. « Je sais très bien à quel point tu es extraordinaire, Kuroka. »
« Ce n’est pas vraiment… Oh, c’est quoi cette affaire dont s’occupe Lady Chastille ? » demanda Kuroka.
Même Kuroka pouvait voir que laisser Kianoides au milieu d’un gros scandale était plutôt dangereux.
« Oh, à ce propos…, » commença Nephteros, un ton d’exaspération dans la voix.
Elle continua à expliquer les choses, et Kuroka ne put pas s’empêcher de porter une main à sa bouche.
« Tu veux dire que dame Chastille passe à la contre-offensive ? »
On s’était tellement moqué d’eux qu’il était normal que Chastille et Barbatos se vengent une fois ou l’autre.
◇
« Fais-tu vraiment ça, Bato ? »
À l’intérieur d’une grotte-canyon effondrée qui n’avait vu personne y mettre les pieds depuis des centaines d’années se trouvait un laboratoire de recherche lugubre. Au centre de ce laboratoire, éclairé par les faibles lanternes suspendues au plafond, Marchosias interrogeait son vieil ami.
Devant lui se trouvait un homme attaché à un lit. Les traits de l’homme ne permettaient pas de dire s’il était jeune ou vieux, et il avait des yeux très fins. Ses cheveux étaient attachés et un peu longs pour un homme, et il était actuellement torse nu.
Il s’agissait d’une table d’opération. Non seulement cela, mais la chirurgie qu’ils tentaient avait un taux de réussite extrêmement faible.
« Recules-tu à ce stade, Marchosias ? » dit l’homme avec un sourire amer. « Toi et moi sommes les seuls à avoir des aptitudes pour cela. De plus, c’est toi le chef ici. Nous ne pouvons pas te laisser faire quelque chose d’aussi dangereux, alors c’est le seul choix possible. »
C’est précisément parce qu’il le savait — et selon toute vraisemblance, il avait lu jusqu’ici immédiatement après la bataille entre Zagan et Shere Khan — qu’il avait rejoint le camp de Marchosias.
« Dame Alshiera nous a dit quelque chose », poursuit-il d’un air satisfait. « Peu importe comment nous avons été créés, nous sommes maintenant des humains vivants. »
Il fit une pause, puis sourit.
« Elle a plus qu’assez de raisons de me détester à mort. Et pourtant, elle m’a dit que c’était normal que je continue à vivre. »
Marchosias sentit son expression s’adoucir. C’était tout à fait dans l’esprit de sa petite sœur de dire une chose pareille.
« C’est pourquoi je ne fais pas ça pour toi », poursuit Bato. « Je donne ma vie pour elle, alors ce n’est pas la peine de t’inquiéter pour moi, mon bon ami. »
« Me vois-tu toujours comme ça ? » demanda Marchosias, ses yeux s’écarquillant derrière ses lunettes rondes.
En mille ans de vie, cet homme était le seul à l’avoir désigné ainsi.
« Après tout, tu n’as jamais eu d’amis », ajouta Bato d’un ton taquin.
« Ne commence pas… » marmonna Marchosias avec un soupir agacé.
« Je ne prévois pas que les choses se terminent ici », dit Bato en souriant. « Alors s’il te plaît, fais-le vite. Il ne reste plus beaucoup de temps. »
« Je te dois beaucoup… mon bon ami. »
Plusieurs heures plus tard, un seul homme sortit de la grotte lugubre. Il s’appuya contre le mur et glissa jusqu’au sol.
« Tu ferais mieux de t’occuper du reste, Eligor… »
Au bout d’un moment encore, lorsque l’homme se releva enfin et partit, des cris continuèrent à résonner dans la grotte.
◇
« L’archange Salvarra a non seulement rejoint la faction de Lillqvist, mais il se range même du côté de l’Archidémon Zagan. De plus, le successeur de l’Archidémon Forneus, le dieu du tonnerre Furfur, est devenu la subordonnée de Zagan. Il n’existe plus aucune force capable de le défier dans une confrontation directe. »
Dans une taverne éloignée de Kianoides, un homme parlait d’un air élégant. Il portait un chapeau de feutre et une veste élégante avec un mouchoir cramoisi dans sa poche de poitrine. La fumée s’élevait du tabac roulé entre ses doigts, et chacun de ses gestes semblait exagérément théâtral. S’il n’y avait pas son épais manteau hors saison, il semblait être le type d’homme qui attirerait facilement le sexe opposé.
Assise en face de lui, reposant son menton sur ses mains, se trouvait une femme dont les yeux étaient couverts de breloques. Elle portait des vêtements originaires de Liucaon qui mettaient son décolleté à nu et avaient un grain de beauté près des lèvres. Sa silhouette envoûtante et lascive était durement contrastée par le collier et la chaîne en métal qu’elle portait au cou. L’astrologue Eligor tira une bouffée sur une fine pipe orientale — un kiseru — et sourit.
« Tu as l’air d’être terriblement enjoué, Gaoler Acheron, » dit-elle.
« Dandy », corrigea l’homme en levant un doigt tout en gardant la main sur sa fumée. « Si tu veux ajouter un titre à mon nom, alors utilise Dandy. Je n’aime pas le nom de Gaoler. »
Eligor secoua la tête.
« Oh ? N’est-ce pas un merveilleux surnom ? En tout cas, je crois que Phenex te l’a accordé avec beaucoup d’affection. »
« C’est justement ce que je veux dire », répondit Acheron en claquant des doigts. « En tant que compagnon Archidémon, tu dois savoir à quel point ma maîtresse a une sale personnalité. Elle m’a donné ce nom en sachant que je le détesterais. »
***
Partie 7
Phenex, l’un des treize Archidémons, était la professeur d’Acheron.
« Gaoler n’est pas un nom pour ma sorcellerie, mais pour l’outil que j’utilise », ajouta-t-il en faisant voltiger le bord de son chapeau de feutre et en s’enfonçant dans sa chaise. « Quel sorcier veut être traité comme un accessoire de l’outil qu’il utilise ? »
« Hee hee, tu es d’une pureté inattendue. J’aime plutôt les garçons comme ça, tu sais ? Pourtant, cela ne change pas le fait que Gaoler fait partie de ton pouvoir. C’est ce qui a fait de toi un candidat Archidémon, n’est-ce pas ? »
« Un titre au-dessus de mes moyens », dit Acheron en écartant les bras de façon exagérée. « Je ne surestime pas mes propres capacités. J’étais probablement le pire des candidats au rang d’Archidémon il y a un an. On dit que Valefor et Furfur étaient inexpérimentés, mais ils étaient tout de même meilleurs que moi. Je ne me sens pas mal de me tenir aux côtés de mes supérieurs, mais cela dépend aussi de la situation. »
Il y avait beaucoup à gagner du prestige d’être parmi les anciens candidats Archidémon, mais cela entraînait aussi la jalousie inutile des autres. Au cours de l’année écoulée, Acheron avait été profondément troublé par ce démérite. Après tout, Phenex n’était pas le genre de sorcier à protéger son disciple, et Acheron n’avait donc personne pour le soutenir comme cela avait été le cas pour Valefor et Furfur. En d’autres termes, il avait appris sa place dans le monde. Bien sûr, il avait fait beaucoup d’efforts pour ne pas faire honte à son nom. Cependant, après avoir vu des monstres comme le Purgatoire Barbatos et l’Enchanteresse Gremory, il avait été forcé de comprendre qu’il était incapable de se tenir dans la même arène qu’eux.
Si Micca Salvarra était l’archange le plus faible, alors Acheron était l’ancien candidat Archidémon le plus faible. Et pourtant, Eligor sourit en tirant une bouffée sur sa pipe.
« Être capable de tirer le meilleur parti d’un outil est un talent en soi, » dit-elle. « Tu peux en avoir honte, mais personne au monde ne peut l’utiliser mieux que toi. N’y a-t-il pas là de quoi être fier ? »
« Ha ha, tu es une sacrée flatteuse. »
Aucun homme au monde ne se sentirait mal à l’aise d’avoir une femme aussi bien qu’Eligor pour le féliciter. Cependant, Acheron sentit une sueur froide lui couler dans le dos.
Elle est toujours un Archidémon. Il est impossible qu’elle soit ici juste pour me flatter.
L’instinct défensif d’Acheron lui disait qu’il serait dévoré s’il baissait sa garde, ne serait-ce qu’un instant. Il sentit que de la sueur allait se former sur son front, mais il se retint et sourit.
« Et alors ? Je doute que tu m’aies fait venir ici pour des ragots futiles », dit-il. « Qu’est-ce qu’un sorcier de ton calibre a besoin d’un petit vieux comme moi ? »
« Ne sois pas si pressé », dit Eligor en inclinant la tête avec un sourire. « C’est bien de pouvoir aller droit au but, mais il est parfois important d’apprécier le processus. »
Eligor fit une pause, et à peu près au moment où la fumée de sa pipe atteignit le plafond, elle ouvrit la bouche une fois de plus.
« Mon affaire avec toi concerne la raison pour laquelle tu es de si bonne humeur. Zagan a envoyé quelqu’un en éclaireur, n’est-ce pas ? »
Acheron grogna involontairement.
Cela ne fait qu’un jour, mais elle le sait déjà ?
C’était arrivé la nuit dernière. L’Archidémon Zagan avait envoyé un messager à Acheron. Contrairement à ses manières extérieures, Acheron était un homme très prudent. Lassé de la jalousie des autres sorciers, il s’était caché. Pour se recycler, il avait coupé les ponts avec tous ceux qu’il connaissait, si bien qu’il n’avait aucune idée de la façon dont on l’avait trouvé. Il ne pouvait que s’en remettre à l’habileté de ceux qui servaient l’Archidémon Zagan.
Le messager avait invité Acheron à servir Zagan. C’était une offre alléchante, mais Acheron n’était pas irréfléchi au point de sauter sur l’invitation d’un étranger. Il avait dit au messager de lui laisser le temps de découvrir quel genre d’homme était cet Archidémon Zagan. Et maintenant, Eligor était venue le voir.
Zagan recherche des techniques qui affectent l’âme.
La caractéristique de l’outil dans lequel Acheron s’était spécialisé signifiait qu’il avait acquis de vastes connaissances concernant l’âme. C’est ce que Zagan recherchait. Il ne voyait pas la valeur de l’outil, mais celle d’Acheron lui-même.
C’était peut-être la première fois que quelqu’un le reconnaissait. Après une brève enquête, Acheron avait découvert que le traitement favorable dont bénéficiaient les subordonnés de Zagan était célèbre parmi les sorciers. Et une fois qu’il l’avait découvert, Acheron n’avait plus aucune raison de refuser. Et alors qu’il s’était résolu à accepter l’offre, il s’était retrouvé assis en face d’Eligor.
« Et si tu oubliais Zagan et que tu venais à nos côtés ? » demanda Eligor, souriant comme pour dire que l’offre de Zagan était trop belle pour être vraie. « Nous t’accueillerons chaleureusement. »
Acheron s’était raidi sur sa chaise.
On dirait que les rumeurs selon lesquelles Zagan et Marchosias sont en désaccord sont vraies.
Ne pouvant plus le supporter, une perle de sueur coula sur la joue d’Acheron.
« Et à quoi dois-je m’attendre exactement ? », demanda-t-il en faisant voltiger le bord de son chapeau.
« Voyons… Je crois que nous pouvons répondre à tous tes besoins, mais pour ce qui est de ce qui est le plus important pour toi… » Eligor marqua une pause, posant un doigt sur ses lèvres de façon séduisante, puis poursuivit d’une voix enjouée comme si elle avait trouvé la plus merveilleuse des idées. « Nous pouvons te garantir la vie. Est-ce que ce serait insuffisant ? »
Acheron avait gémi.
« Je suis à peu près sûr que je ne serai jamais assez menaçant pour que tu doives faire des pieds et des mains pour me menacer. »
« Surestimer ses propres capacités est une mauvaise initiative, mais je n’admire pas non plus le fait de les sous-estimer. Avec ton outil, tu possèdes une valeur plus que suffisante. Il serait quelque peu problématique que cela tombe entre les mains de Zagan. »
Comme je le pensais, il s’agit toujours de Gaoler Acheron.
Acheron tira une longue bouffée de son tabac, faisant s’éparpiller des braises à son extrémité, puis souffla un dense nuage de fumée.
Eh bien, je n’ai même pas vraiment besoin d’y penser.
Sa réponse avait été décidée dès le début.
« D’accord, je ferai ce que tu dis », dit-il avec un sourire obéissant. « Je tiens à ma vie, après tout. »
Il écrasa son tabac contre le cendrier… puis renversa la table d’un coup de pied et tendit son autre bras.
« Avale-la — Boussole à mensonges Antikythera ! »
Le clic d’un engrenage grinçant résonna dans l’air. Acheron tenait un disque d’argent dans sa main. D’innombrables roues dentées se trouvaient sur sa surface. Au premier coup d’œil, il avait l’air tout à fait ornemental, mais ceux qui connaissaient bien la sorcellerie pouvaient voir les circuits qui composaient sa structure.
Antikythera était une boussole pour le concept connu sous le nom de domaine complexe, ou espace complexe. Les nombres complexes n’existent que dans les équations. Ils n’avaient pas leur place dans la réalité. L’espace complexe était le domaine des équations qui n’existait pas physiquement. Ce n’était pas la même chose que le sous-espace ou la vallée entre les dimensions. C’était un monde qui n’existait pas fondamentalement. S’il existait, ce serait un monde où toutes les lois fonctionneraient différemment.
Si le monde réel était un espace où toute la matière était composée de nombres positifs, alors l’espace complexe était l’inverse — un monde où toute la matière était composée de nombres négatifs. Pas zéro. Négatifs. Il était impossible de dépasser la vitesse de la lumière dans le monde réel, mais dans l’espace complexe, il était impossible de descendre en dessous de la vitesse de la lumière. Les objets de l’espace complexe n’existaient pas dans le monde réel, et les objets du monde réel ne pouvaient pas exister dans l’espace complexe. On ne sait pas si un objet est annihilé ou maintenu en stase, mais dans le sens où il ne peut pas être observé, le résultat est le même.
Antikythera était une boussole qui guidait vers les coordonnées du domaine complexe et permettait d’interagir avec lui. Cependant, il fallait des calculs en quatre dimensions pour qu’un humain physique puisse atteindre le domaine complexe. Un être tridimensionnel est incapable de percevoir des équations quadridimensionnelles, et encore moins de les comprendre. Et même si l’on était capable de pénétrer dans l’espace complexe, il serait impossible de maintenir son existence.
On ne savait pas exactement quand cet outil avait été créé ni qui l’avait fabriqué. Peut-être était-il vraiment la création d’un dieu. Quoi qu’il en soit, Acheron était la seule et unique personne capable de comprendre les équations à quatre dimensions. C’est pour cela qu’on l’appelait Gaoler. C’est pourquoi il n’était pas apprécié en tant que sorcier. Et pourtant, Zagan voyait quelque chose dans la sagesse que possédait Acheron — même si elle n’avait aucune valeur pour la sorcellerie. Il avait besoin d’Acheron.
Je vais te vaincre et rejoindre Zagan !
Cela valait la peine de risquer sa vie.
« Ghhh ! Libitina ! »
Le visage d’Eligor se raidit alors qu’elle libérait sa chaîne, mais il était trop tard. Ses coordonnées étaient déjà liées au domaine complexe, et tout son être s’était séparé de ce monde.
J’ai gagné.
Dès qu’Acheron en était convaincu…
« Hein… ? »
… La silhouette d’Eligor disparut de ces coordonnées comme si elle avait fait un bond dans le temps. Elle n’avait pas été avalée par le domaine complexe. Après tout, Acheron n’avait pas encore scellé les coordonnées. Il remarqua alors que quelque chose de transparent sortait de sa poitrine.
« Gaaargh… ? »
Du sang jaillit de sa bouche. Ce n’est qu’aux gouttelettes rouges qui couraient à sa surface qu’Acheron comprit que c’était une lame qui l’avait empalé.
« Bonté divine, quel pouvoir terrifiant ! Tu as vraiment attrapé l’astrologue avec. »
Un vieux monsieur se tenait derrière Acheron, une poignée sans lame à la main. Depuis combien de temps était-il là ?
« Bien que tu aies saisi la victoire de tes propres mains, la mort te l’a arrachée de façon si déraisonnable. Hélas, comme c’est doux ! »
Le vieux monsieur sortit l’épée sans lame. Les genoux d’Acheron fléchirent et il mourut avant de s’effondrer sur le sol.
« Il n’y a rien de plus terrifiant que celui qui sait à quel point il est faible. Ne le penses-tu pas toi aussi, Astrologue ? »
En rengainant son katana hex, le vieux monsieur regarda Eligor qui haletait à ses pieds.
« Nous avions vraiment besoin de deux Archidémons pour le défier… »
Si le vieux monsieur n’avait pas utilisé le Rideau de la Nuit pour arrêter la perception du temps d’Acheron, Eligor aurait été avalée par le domaine complexe sans aucun moyen de s’échapper. Si le vieux monsieur avait essayé d’utiliser le rideau de la nuit lors d’une confrontation directe en prévision de l’activation de l’Antikythera, les chances auraient été de cinquante-cinquante.
Grâce à Eligor qui jouait le rôle de leurre, le vieux monsieur avait pu prendre Acheron au dépourvu. Cela n’avait été possible qu’en un seul instant. Cela n’avait été possible que ce jour-là, alors qu’Acheron était de bonne humeur depuis l’invitation de Zagan.
S’ils avaient laissé passer cette chance, Acheron aurait fini sous la coupe de Zagan, et ils n’auraient plus pu lever la main sur lui. Ils n’avaient eu d’autre choix que d’attendre que cet homme prudent sorte de sa cachette de son plein gré.
Acheron n’avait aucune valeur en tant que sorcier, mais il avait été suffisamment terrifiant pour que les Archidémons ne puissent pas le vaincre sans mettre leur vie en jeu.
« Je suis parfaitement satisfait tant que j’ai l’occasion de tuer, mais est-ce vraiment bien ? » demanda le vieux monsieur en haussant les épaules. « L’autre jour, c’était le Marionnettiste, et maintenant Gaoler. Ne manquons-nous pas de ressources significatives pour la bataille décisive ? »
« Marchosias a pris la décision… Nous devons juste nous taire et faire ce qu’il dit. »
« Vraiment ? »
Le vieux monsieur réajusta son haut-de-forme et tourna sur ses talons. Sans y prêter attention, Eligor prit le disque d’argent de la main du pitoyable cadavre.
« Avec ça, nous sommes enfin prêts. Nous pouvons tuer Asmodée dans l’œuf. »
« … »
Le vieux monsieur resta silencieux et disparut sans bruit.
***
Chapitre 2 : La victoire revient à celui qui fait le premier pas, mais cela ne fonctionne pas toujours.
Partie 1
« La liste des Archidémons a bien changé en un an », marmonna Vepar avec nostalgie en renversant son verre de vin.
Il était de petite taille, ses cheveux argentés étaient attachés par un ruban noir et ses yeux étaient étroitement fermés. Cependant, malgré les apparences, c’était un homme.
Un mois s’était écoulé depuis que l’Archidémon Zagan avait pris le nouvel Archidémon Furfur sous sa protection. Pour autant qu’ils puissent en juger, il n’y a pas eu de mouvements majeurs. Tout au plus, les démons se manifestaient avec une fréquence qui augmentait rapidement. Grâce à cette période de calme relatif, les sorciers du camp de Zagan étaient capables de concentrer leur énergie sur les missions qui leur étaient confiées.
À l’intérieur du palais de l’Archidémon, dans une pièce servant de salon, Vepar était accompagné de Gremory et de Kimaris. Il y a un an, ils étaient tous candidats au rang d’Archidémon. Vepar était entré dans la pièce avec l’intention de prendre du thé, mais il avait trouvé ces deux-là déjà à l’intérieur.
Ainsi, avec ces anciens candidats au rang d’Archidémon réunis au même endroit, le premier sujet sur leurs lèvres était la nouvelle génération d’Archidémons.
« En effet. Dame Néphy, Dame Foll, et maintenant même Dame Furfur se sont élevées au rang d’Archidémon. »
« Veuillez également inclure le nom de Sire Shax, Mlle Gremory. »
Kimaris pouvait déjà imaginer ce que la mamie allait ensuite dire. Il se força à sourire tandis que Vepar se bouchait les oreilles, espérant ne pas être impliqué dans cette histoire.
« Le monde traverse véritablement un âge d’or du pouvoir de l’amour ! Un paradis fait spécialement pour moi est arrivé ! »
« Tant que tu t’amuses, » dit Kimaris en prenant une gorgée de son thé.
« Je préférerais que tu prennes en compte les sentiments de ceux qui sont entraînés dans tout ça… » marmonna Vepar.
« Mais le fait que ce soit un âge d’or n’est pas forcément une blague, n’est-ce pas ? » dit Gremory. « Il n’y a pas de précédent pour que près de dix candidats Archidémon soient tous dignes du titre d’Archidémon. »
En vérité, parmi ceux qui étaient devenus archidémons au cours de l’année écoulée, Zagan, Foll et Furfur avaient déjà été candidats. Les trois qui se trouvaient dans cette pièce à présent ne manquaient de rien par rapport à eux. Ce n’était qu’une question de chance. Seul le destin les avait empêchés de devenir déjà des Archidémons. De plus, parmi ceux qui n’étaient pas là, Gaoler Acheron, la Vision Divine Flauros et le Purgatoire Barbatos n’étaient en rien éclipsés par les autres. En ce sens, c’était vraiment un âge d’or.
Sans l’obsession de Barbatos pour Zagan, il en serait sûrement déjà devenu un.
Selon Vepar, la puissance dont Barbatos avait fait preuve lors de la bataille contre Eligor était tout à fait dans les cordes des Archidémons. Et tandis qu’il se remémorait l’ami avec lequel il n’avait pas vraiment envie de s’entendre, Gremory tourna vers lui un regard taquin.
« Vepar, si ce n’était ton obsession pour Asmodée, il ne serait pas étrange que tu sois déjà un Archidémon, tu ne crois pas ? » dit-elle, retournant ses propres pensées contre lui.
« Après tout, Zagan distribue le pouvoir très généreusement… » déclara Vepar.
Non seulement son nouveau roi lui avait fourni les épées sacrées comme matériel de recherche, mais il avait même accordé à Vepar un libre accès à sa sagesse. Grâce à cela, Vepar avait acquis les moyens de s’opposer à Asmodée.
Même dans ce cas, je n’arrive pas à vaincre cette femme agaçante.
Il avait besoin de plus de pouvoir. Les autres Archidémons n’avaient pas d’importance pour lui.
« Alors ? Comment se passent tes recherches ? » demanda Gremory en se penchant vers l’avant avec intérêt. « Tu veux extraire le pouvoir de l’amour… euh, les séraphins des épées sacrées, c’est ça ? »
« Une partie de moi a l’impression que je ne devrais pas te le dire… mais je suppose que tout se passe bien. »
Vepar était le principal chercheur dans le domaine des épées sacrées. Il avait également le soutien total de l’archange vivant le plus puissant, Raphaël. Comment pourrait-il ne pas obtenir de résultats ?
« Tu peux dire qu’un moyen de libérer simplement les séraphins a déjà été pratiquement établi. Les archanges eux-mêmes avaient une réponse à cela, après tout. Mon travail consiste à peaufiner un réceptacle auquel les apposer… et le prototype est à peu près terminé. »
« Hmm. Impressionnant », marmonna Gremory.
« Mais il y a plusieurs problèmes », ajouta Vepar en levant un doigt. « Tout d’abord, la technique de libération d’un séraphin, la Confession, dépend entièrement de l’habileté de celui qui la pratique. Actuellement, six d’entre eux ont atteint ce niveau. Cela ne représente que la moitié des archanges. »
« Six ? » dit Kimaris, trouvant cela inattendu. « Veux-tu dire qu’il a aussi atteint ce niveau ? »
Vepar hocha la tête avec un regard de pitié.
« Pour le meilleur ou pour le pire, il y a plusieurs maîtres de la lame ici. Bosser avec eux jusqu’à l’os jour après jour obligera n’importe qui à obtenir la maîtrise d’une manière ou d’une autre. »
« Aaah… »
Kimaris sourit en comprenant. Ces derniers temps, les nouveaux arrivants étaient guidés par le deuxième roi aux yeux d’argent, Ain, le majordome Raphaël, sa fille Kuroka et, lorsqu’elle en avait envie, Orias sous le nom de Lady Oberon. Il n’y avait pas d’autre choix que de devenir fort dans cet environnement. Rester faible aurait simplement conduit à la mort, après tout.
« Et la deuxième raison ? », demanda Gremory en se penchant en avant, excitée.
« Même si nous transférons un séraphin dans un autre réceptacle, le lien avec l’Épée sacrée demeure », expliqua Vepar. « Si le réceptacle se brise, il retournera directement dans l’Épée sacrée. Ce sera difficile à résoudre, à moins que les épées sacrées ne puissent être anéanties. »
« Mais les épées sacrées fonctionnent encore même après avoir été réduites en poussière, n’est-ce pas ? » demanda Gremory.
Vepar hocha la tête avec amertume.
« Elles ont été construites en sacrifiant les séraphins. Leur fonction de prison est d’une minutie agaçante. Nous aurons probablement besoin d’un pouvoir démesuré comme celui de pouvoir couper les fils de la cause et de l’effet. Gremory, ta faux-hex Thanatos peut-elle faire quelque chose à ce sujet ? »
Gremory regarda la grande faux posée sur son épaule.
« Hmm, ce n’est pas vraiment ce qu’elle fait, » dit-elle. « Nous pourrons peut-être faire quelque chose pour modifier sa fonction, mais il sera inutile tel qu’elle est maintenant. »
« C’est ce que je pensais… »
Vepar ne faisait que vérifier pour être sûr, alors il hocha tranquillement la tête.
« Mais comment as-tu créé un réceptacle ? » demanda Kimaris. « Mlle Furfur est encore en formation. J’ai entendu dire qu’elle n’était pas disponible pour t’aider dans tes recherches. »
« Oh, je me le demandais aussi », dit Gremory. « L’âme est une chose terriblement délicate et instable, après tout. Avec rien d’autre qu’un simple récipient, l’âme ne s’y attachera pas et finira par s’éteindre à la place. »
L’âme était encore une quantité inconnue. L’une des raisons en est qu’il est impossible de contenir une âme seule. Créer un récipient capable de le faire signifiait créer quelque chose d’identique à l’âme elle-même.
Même le fait de forcer une âme à entrer dans un autre corps conduirait à son extinction. Il était possible de dominer un corps à l’aide de la sorcellerie, mais cela se dégradait au fil des ans. La raison pour laquelle un homoncule était capable de changer de corps était que les nouveaux corps étaient identiques au réceptacle d’origine de l’âme.
Andras le Ressentiment avait été le principal chercheur dans ce domaine, mais même lui avait eu besoin de ses propres parents de sang pour réussir à s’emparer d’un corps. Il avait utilisé le sang comme moyen de synchroniser la chair et l’âme. Les archives de Zagan contenaient plusieurs de ses grimoires, qui s’étaient révélés très utiles pour cette recherche.
On dirait que le karma a vraiment suivi ce sorcier partout…
Il avait été le professeur et l’ancêtre de Barbatos, et avait été purgé deux fois — une fois par Alshiera et une autre fois par son fils Zagan.
« L’existence même de Furfur était l’indice dont j’avais besoin », dit Vepar avec un sourire désinvolte. « Ou plutôt, je doute que j’aurais pu résoudre ce problème sans l’étudier. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Gremory.
Gremory et Kimaris lui jetèrent des regards perplexes. En mettant une âme vivante à l’intérieur d’un réceptacle inorganique, l’esprit ne pourrait pas le supporter et se détruirait. Et pourtant, Furfur fonctionnait normalement.
« Son âme est spéciale », déclara Vepar.
Le dernier et le plus grand chef-d’œuvre de Forneus était l’âme artificielle. Il avait rendu le corps de Furfur inorganique pour prouver qu’il avait créé une âme, mais ce n’était pas la seule raison.
« On dit que Furfur a versé des larmes », poursuit Vepar. « C’est absolument impossible pour une poupée de porcelaine. S’il y a une chose qui peut rendre cela possible, c’est que son réceptacle lui-même est en train de changer. »
Gremory et Kimaris étaient tous deux des sorciers capables de comprendre le sens de ces mots. Ils déglutirent à l’unisson.
Lors de sa première rencontre avec Micca, Furfur avait apparemment ignoré le monde et n’avait pas pu parler correctement. On aurait dit que son âme artificielle était dans un état pur et innocent.
Cependant, en vivant des choses avec Micca, elle avait appris les émotions et avait fait le deuil de sa mort. Son réceptacle avait réagi à la croissance de son âme. Elle était littéralement une marionnette vivante.
« Ce réceptacle a été conçu exclusivement pour l’âme connue sous le nom de Furfur », dit Vepar. « Un jour, elle pourrait très bien devenir indiscernable d’un humain. »
C’est parce que Forneus avait confirmé la possibilité qu’il avait pu quitter le monde.
« Quelle incarnation de la puissance de l’amour ! » s’exclama Gremory, si profondément émue qu’elle tomba dans une prière solennelle. « Je ne connais pas les mots pour exprimer de tels sentiments. »
« Eh bien, je suppose que c’est tout ce dont tu as besoin pour t’enthousiasmer…, » marmonna Vepar, exaspéré.
« Je vois que tu t’y habitues aussi », déclara Kimaris en souriant d’un air impuissant.
« Non pas que je veuille le faire. »
« De plus en plus, nous nous rappelons à quel point la perte de Lord Forneus a été un coup terrible », dit Gremory, la voix pleine de regret, en baissant la tête.
Vepar et Kimaris avaient tous deux partagé un moment de silence.
« Et aussi Acheron…, » ajouta Vepar.
Il y a un mois, l’un des sorciers que Zagan avait essayé de contacter, Gaoler Acheron, avait été retrouvé mort.
Est-ce parce que Zagan l’a contacté ? Ou y avait-il autre chose ?
Bien qu’il y ait eu d’autres clients à la taverne où il était décédé, personne ne savait quand il avait été tué, même si la table à laquelle il était assis avait été renversée. Cela avait suffi à identifier le coupable comme étant Glasya-Labolas.
« Kimaris, c’est du sérieux ! »
Juste à ce moment-là, la porte du salon s’était ouverte sans même qu’on ait frappé.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Kimaris.
Zagan prenait un jour de congé. Il avait donné l’ordre de ne pas recevoir d’invités, mais pour les situations qui ne pouvaient être évitées, Kimaris avait été désigné comme son représentant.
« Un pilleur… Non, un invité. »
Le sorcier qui était venu faire un rapport sur la situation était paniqué. C’est compréhensible. En se tournant vers celui qui se tenait à côté du sorcier, Vepar l’avait tout de suite compris.
« Tu es… ! »
Un invité inattendu était arrivé à la base de Zagan.
***
Partie 2
« Je t’ai enfin trouvé, seigneur doré Phenex. »
Un homme avec des liens sur tout le visage parlait d’une voix épuisée. À côté de lui se trouvait une fille dont tout le corps était restreint par ses vêtements. Elle était également épuisée et commençait à s’assoupir en s’appuyant sur lui.
L’homme s’appelait Behemoth. Il avait une carrure longiligne et une peau basanée. Son âge est un véritable mystère. Il portait plus un pardessus qu’une robe, ce qui donnait terriblement chaud en cette saison. À cause des attaches en cuir, les traits de son visage n’étaient pas visibles, à l’exception des yeux rouges qui apparaissaient à travers les interstices.
La fille s’appelait Léviathan. Elle avait des nageoires en guise d’oreilles et les mêmes cheveux et yeux bleus qu’une autre certaine sirène insouciante. Ses vêtements contraignants l’empêchaient d’utiliser ses bras, mais ils étaient ouverts au niveau des jambes, ce qui lui permettait de marcher. Les cordes décoratives qui pendaient de ses manches étaient assez particulières.
Ces deux-là avaient été maudits de telle sorte que lorsqu’un des deux prenait forme humaine, l’autre se transformait en un monstre hideux. On pourrait appeler cela une malédiction liée aux vœux du mariage. Ils avaient erré dans le monde pendant cinq cents ans en essayant de trouver un moyen de la dissiper.
Sans Zagan, ce serait encore le cas aujourd’hui.
Leur malédiction n’avait pas été dissipée, mais Zagan avait réussi à la sceller. Et grâce à sa grande action, ces deux-là s’étaient enfin réunis. C’était précisément pour cela que Béhémoth et Léviathan avaient accepté de travailler pour lui jusqu’au jour où leur malédiction serait vraiment dissipée.
Cela faisait deux mois qu’ils avaient reçu un nouvel ordre de Zagan. Tous deux s’étaient lancés à la recherche d’un certain sorcier. D’autres avaient été envoyés aux quatre coins du continent avec des ordres similaires, mais Behemoth et Léviathan étaient probablement les derniers à réussir. Behemoth avait appris que Shax avait contacté Forneus et était ensuite retourné à Kianoides il y a un mois entier.
Ce n’était pas très surprenant. Le sorcier que Behemoth et Léviathan étaient chargés de trouver était le plus délicat du lot. Leur proie avait une silhouette des plus étranges. Sa caractéristique la plus remarquable était le masque étrange qu’elle portait. Il avait une forme bizarre qui semblait s’inspirer d’un bec d’oiseau, et sa surface était couverte d’innombrables rivets. Les yeux du masque étaient recouverts de lentilles de verre dépoli. Elle portait une robe faite de plumes d’oiseaux et, comme elle se recroquevillait, son physique restait un mystère.
À travers sa robe, on aperçoit des mains gantées de laiton. Ses protège-tibias et son étrange masque sont également en laiton mat. Si ce n’était sa couleur délavée, elle serait probablement à la hauteur de son nom — le seigneur doré Phenex. Elle était l’une des treize Archidémons, la plus ancienne juste après Forneus et la créatrice d’une multitude de sorcelleries abominables.
« Hmm. J’ai cru entendre une voix familière », dit-elle en secouant la tête. « Alors c’est vous deux. »
Sa voix était extrêmement désagréable, comme celle d’un oiseau écrasé. Incapable de la supporter, Léviathan frotta sa tête contre la poitrine de Behemoth, sans doute pour tenter de se boucher une oreille, si bien qu’il l’aida à couvrir l’autre avec sa main. Les yeux cramoisis de Phenex semblaient s’ouvrir en grand sous le choc derrière ses lentilles de verre.
« Vu que vous êtes tous les deux apparus en même temps… avez-vous vraiment dissipé cette malédiction ? »
Sa réaction était tout à fait naturelle pour quelqu’un qui connaissait la situation de Behemoth et de Léviathan.
« Eh bien, cela n’a pas été dissipé, mais notre souhait a été exaucé pour l’instant », répondit Behemoth en haussant les épaules en signe d’acceptation. « Plus important encore, qu’est-ce qui se passe avec ta voix ? Est-ce à cause de ce masque ? »
« N’est-ce pas merveilleux ? » déclara Phenex en écartant les bras dans une démonstration grandiose. « Cela fait six cents… non, sept cents ans maintenant ? C’était en vogue quand Orias a déclenché cette épidémie… Oh, je veux dire le vieil Orias. »
Celle qui se faisait actuellement appeler Orias était la haute elfe qui avait tué le précédent Archidémon Orias. Phenex parlait de l’original.
« La mode de ce putain de bâtard ? » dit Behemoth en secouant la tête d’un air déconcerté. « Pas étonnant qu’il ait l’air si horrible. Je suis surpris que tu puisses garder ton sang-froid avec une telle merde sur la tête. »
« Behemoth. Cela va trop loin. »
Même si Léviathan l’avait réprimandé, elle avait aussi un regard froid et dédaigneux. Ce n’est qu’une question de logique.
C’est le nom du connard qui nous a maudits. Je ne veux plus jamais entendre parler de lui.
Shere Khan avait apparemment été celui qui l’avait ordonné, mais c’est l’Archidémon Orias qui avait lancé la malédiction. Phenex haussa les épaules, ne s’offusquant pas de leur dégoût évident.
« Est-ce que ça a l’air si grave que ça ? » demanda-t-elle. « Ça pue horriblement. J’ai déjà vomi trois fois. Pour le dire franchement, c’est dur. »
« Alors, enlève cette foutue chose ! »
C’est peut-être pour cela que sa voix était si horrible.
« Ma conscience est floue et je sens que mes fonctions cérébrales se détériorent », dit Phenex en se balançant d’un côté à l’autre comme si elle avait des hallucinations. « Quelle expérience inconnue ! Si ça continue, j’ai l’impression que je ne serai plus capable de penser à quoi que ce soit et peut-être même que je mourrai. Ne penses-tu pas que cela vaut la peine d’être vérifié ? »
« Tu n’as toujours pas réglé ton problème d’automutilation… ? »
Bien qu’elle soit un Archidémon, cette sorcière avait des habitudes inquiétantes. Elle s’infligeait constamment des blessures. N’importe quelle personne normale en serait morte, et Behemoth n’avait pas pu s’empêcher de la rappeler à l’ordre.
Pourtant, elle a servi d’Archidémon jusqu’à aujourd’hui. Quel monstre… !
Les subordonnés de Zagan étaient tous talentueux, mais les seuls capables de négocier avec ce monstre étaient Behemoth et Léviathan.
« Alors, dites-moi, qu’est-ce que vous voulez ? » demanda Phenex en se redressant enfin. « Vous êtes même venu jusqu’ici pour me voir. »
Ils se trouvaient sur un ancien volcan à l’extrémité nord du continent — le mont Kulio. Ses éruptions avaient été mentionnées à plusieurs reprises dans les légendes anciennes, mais à l’heure actuelle, ce n’était plus qu’un volcan éteint. Naturellement, personne ne venait ici de nos jours. Même à pleine vitesse dans une calèche, il fallait deux jours pour atteindre le village le plus proche.
Tout cela était censé être le cas, mais Behemoth déglutit en regardant la mer de lave bouillonnante.
« J’ai entendu dire que le mont Kulio était entré en éruption », dit-il. « J’ai pensé que tu pourrais être impliquée et je suis passé te voir, et te voilà… Qu’est-ce que tu mijotes cette fois-ci ? »
« Un volcan est le phénomène naturel le plus puissant de la planète », répondit Phenex sans enthousiasme. « J’étais sûre que redonner vie à un volcan mort aurait un coût extraordinaire, alors j’ai essayé et… eh bien, tu peux deviner le résultat. »
La grande entreprise consistant à faire revivre un volcan mort relevait plus du mysticisme que de la sorcellerie. La sorcellerie ne pouvait pas manifester des coïncidences commodes que l’on pourrait qualifier de miracles. Pour accomplir quelque chose qui dépasse ses moyens, il fallait en payer le prix. Dans la plupart des cas, le prix à payer était la vie du lanceur de sorts.
Cependant, Phenex semblait n’avoir rien perdu et allait parfaitement bien. Tout comme le Marionnettiste Forneus avait été le fondateur de l’alchimie, le Seigneur Doré Phenex était le fondateur d’innombrables sorcelleries sacrificielles. L’homme avec lequel Barbatos avait fait équipe, l’Éplucheur de Visages, était de sa lignée.
Pourtant, en regardant la chaleur torride sous ses pieds, la voix de Phenex était remplie de déception. Même après avoir réussi l’exploit ridicule de ranimer un volcan par la sorcellerie, ce résultat n’était rien d’autre qu’un échec pour ce terrifiant sorcier.
Behemoth n’était cependant pas là pour lui demander comment elle avait accompli cet exploit. Il s’était armé de courage et était allé droit au but.
« Ton disciple Acheron a été tué. On dirait que c’est Glasya-Labolas qui l’a fait. »
« … Je vois. » Il y avait un air de complainte dans sa voix qui détonnait. Elle écarta ensuite les bras dans un geste exagéré. « Vous êtes si gentils tous les deux. Avez-vous fait tout ce chemin jusqu’à cette région reculée juste pour m’informer ? »
Immédiatement après avoir échoué à une expérience, elle avait appris la mort de son disciple. Cela devait faire mal, même pour un sorcier. Elle avait l’air complètement abattue. Pourtant, ce n’était pas la raison de la présence de Behemoth.
« Je me suis dit que je ne devais pas le garder pour moi », dit-il en se grattant la tête. « Nous sommes ici parce qu’il y a un homme que nous voulons te présenter. »
« L’Archidémon Zagan ? » Phenex prononça ce nom sans avoir besoin d’explication. « Il a fait beaucoup de bruit pendant que je m’éloignais des affaires du monde. J’ai entendu les rumeurs. A-t-il vraiment tué Shere Khan ? »
« Oui. »
« Héhé, héhé, héhé… » Phenex avait ri de façon inappropriée comme pour dire que cela ne valait vraiment rien. « Il était l’Archidémon le plus faible. C’est une honte pour tous les Archidémons d’être brisés par un humain. »
« … »
Behemoth et Léviathan étaient abasourdis, ne sachant pas trop ce dont ils étaient témoins.
J’ai entendu dire qu’Acheron était un sorcier étrangement théâtral… Je suppose qu’il s’est inspiré d’elle de la pire des façons.
Après avoir ri toute seule, Phenex s’affaissa soudainement.
« Je vois… Il est donc vraiment mort. Comme c’est malheureux. Je pensais qu’il était du genre à refuser de mourir. »
« Même toi, tu pleures la mort des autres…, » déclara Behemoth.
Cette sorcière n’avait même pas manifesté aussi clairement son émotion face à la mort de son propre disciple, mais voilà qu’elle se lamentait sur la perte de la vie de Shere Khan.
« C’était un bon ami, après tout », dit Phenex, la voix triste. Elle repoussa ensuite sa robe et se mit à rire étrangement. « Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire de rencontre avec Zagan ? Il a été très espiègle ces derniers temps. J’ai entendu dire qu’il était impliqué non seulement dans la mort de Shere Khan, mais aussi dans celle de Bifrons, du second Orias et d’Andrealphus. Sans parler de la disparition de Furcas. »
Après avoir compté tout cela sur ses doigts, Phenex se tourne vers Behemoth avec un regard incrédule.
« Hum, n’est-ce pas beaucoup ? Qu’est-ce qu’il est ? Est-ce un porte-malheur ? Pas question. Je ne veux pas m’impliquer… »
« Eh bien, le patron est tout simplement impitoyable envers ses ennemis. »
Après avoir joué les effrayés pendant un moment, Phenex s’affala de nouveau langoureusement.
« Et maintenant, je suis la prochaine cible ? » dit-elle. « Comme c’est inutile. C’est tellement pénible de devoir éduquer un petit garçon. »
Même après avoir pris connaissance des réalisations de Zagan, Phenex avait pu faire cette déclaration. Cependant, elle y avait immédiatement réfléchi et avait secoué la tête.
« Oh, attendez, laissez-moi reformuler cette question. Est-il prétentieux parce qu’il a réussi à vaincre des gens comme Shere Khan et Andrealphus ? Quel nouveau venu insolent ! »
« Pourquoi exactement fallait-il que tu reformules… ? »
« Hein ? Attends », dit Phenex en se retournant vers Behemoth avec un regard confus. « Il a battu Andrealphus ? Comment peux-tu même battre ce type ? »
« C’est toi qui en as parlé. Pourquoi fais-tu l’étonnée maintenant ? »
« Je veux dire que je ne suis pas tellement surprise qu’il soit mort. Je me suis dit qu’il allait probablement se casser la gueule d’une manière ou d’une autre. Mais, comment dire… ? Je n’arrive pas à l’imaginer en train de perdre un combat. »
***
Partie 3
Le dieu de l’épée Andrealphus était en possession d’un Emblème d’Archidémon et de l’épée sacrée Zachariel. Il pouvait même arrêter le temps. Il avait d’ailleurs été le plus fort du monde. Même maintenant qu’il avait lâché l’emblème et l’épée sacrée, il était difficile d’imaginer quelqu’un capable de le battre.
De plus, je suis presque sûre qu’il est techniquement en vie.
« Eh bien, peu importe », dit Phenex, se désintéressant immédiatement de la question. « Andrealphus était certainement fort, mais c’est tout. Il était loin, très loin, très loin d’être à la hauteur de mon rêve. »
Sa voix était teintée de désespoir, comme si elle avait eu un jour la moindre lueur d’espoir.
« Et puis, est-ce que ce Glasya-Labolas à la grande gueule peut déjà mourir ? Il a même tué mon disciple ? Non seulement il est prétentieux, mais il est aussi plein d’air chaud. Je le déteste vraiment. Seigneur du meurtre, mon cul ! »
« … »
Behemoth et Léviathan étaient une fois de plus abasourdis.
Elle a vraiment perdu son sang-froid…
Phenex devait être quelque peu ébranlée par la perte de son disciple. Il était également évident que ce qu’elle préparait ici ne s’était pas bien passé. Cette sorcière avait une grande ambition qu’elle poursuivait depuis plus longtemps encore que Behemoth et Léviathan n’essayaient de dissiper leur malédiction. Il compatissait un peu avec elle à cet égard, mais cela ne changeait rien au fait qu’elle était pénible à gérer. Pourtant, même s’il s’en plaignait auprès d’elle, cela ne ferait qu’empirer les choses, alors il décida d’aborder un sujet qui l’intéresserait probablement.
« Oh, en parlant de Glasya-Labolas, il a apparemment été tué récemment. »
« Hein ? Sérieusement ? C’est super. Qu’est-ce que tu comptes faire à me faire plaisir à ce point ? Que penses-tu de ça ? Veux-tu l’Emblème d’Archidémon ? »
« Es-tu si heureuse que ça… ? » marmonna Béhémot en reculant dans la pièce sous son plaisir. « Je ne fais que deviner, mais il est probablement encore en vie, juste pour que tu saches. »
Acheron était mort après que Kuroka et Shax eurent vaincu Glasya-Labolas. Il était étrange que le Seigneur du meurtre soit encore en vie après avoir été tué, mais les Archidémons étaient comme ça. Cela dépendait du moyen utilisé pour les tuer, mais ils étaient du genre à se remettre calmement face à un cœur arraché ou une tête écrasée.
Marchosias a apparemment pris le cadavre et tout le reste. Il ne l’aurait pas fait s’il n’en avait pas eu besoin.
« Alors, on peut le tuer à nouveau », répondit Phenex en hochant la tête de satisfaction. « C’est très bien. Mhm. Merveilleux. Je le ferai ensuite. Ça ne te dérange pas si je le tabasse, n’est-ce pas ? »
« … »
Qu’elle soit de bonne ou de mauvaise humeur, elle était pénible à gérer. Behemoth en était au point où il ne voulait même plus ouvrir la bouche. Voyant cela, Léviathan jeta un coup d’œil derrière lui.
« Phenex, si vous n’écoutez pas, nous partons », a-t-elle dit.
« Oh ? Lady Levia, on aurait dit que vous n’aviez pas l’intention de me parler. »
Levia hocha la tête d’un air sérieux et répondit : « Je dois dire que votre voix est trop dure pour les oreilles. Je n’ai pas envie de parler avec vous. »
« J’ai aussi un cœur, tu sais ? »
Et alors que Phenex était au bord des larmes…
« Hm !? »
Ils se tournèrent tous les trois à l’unisson vers la bouche du volcan. Quelque chose sortait des profondeurs de la mer rouge. Elle n’avait ni tête ni membres, mais elle se déplaçait avec une certaine volonté.
« Qu’est-ce que c’est… ? » marmonna Behemoth.
C’était comme une sphère de boue brûlée qui montait en flèche.
Ce n’est pas une créature… Est-ce un démon ?
Ce n’était pas la première fois qu’il en voyait un, mais il n’avait jamais vu de démon ayant cette forme auparavant. Il n’était pas évident de savoir ce qui les définissait. Ce n’était même pas une question d’être totalement étranger à l’humanité. Ils n’avaient pas l’air d’être vivants. On ne savait pas comment ils maintenaient physiquement leur forme. Malgré tout, il dirigeait suffisamment de soif de sang et de mana vers le groupe de sorciers pour qu’on s’en étouffe. Il y avait une volonté claire derrière cet acte.
Malgré sa confusion, Behemoth prit Levia dans ses bras et sauta loin de la bouche du volcan.
« Oh ? Est-ce la première fois que tu en vois un ? » marmonna Phenex sans une once de tension dans la voix. « C’est un démon. Maintenant que j’y pense, ils apparaissent souvent ces derniers temps. Je me demande s’ils ont une sorte de saison de reproduction. C’est très intéressant. »
« Ce n’est pas le moment ! »
Behemoth était sûr de pouvoir vaincre lui-même un seul démon. Cependant, celui qui se trouvait devant lui avait absorbé la lave du volcan. Il dégageait une chaleur qui pouvait brûler la peau rien qu’en étant en sa présence. Il ne se sentait même pas capable de l’approcher. Et pourtant, Phenex secoua la tête avec étonnement.
« Ne panique pas », dit-elle. « Les démons sont faits de telle sorte qu’ils ne peuvent jamais défier les Archidémons. Pour être précis, ils ne peuvent pas défier les Emblèmes que nous possédons. Il n’en existe aucun qui ne soit pas affecté par l’Emblème. »
« Euhhh… »
Pourquoi cet Archidémon doit-il tenter le destin de la sorte ?
« Toi là, démon », dit Phenex en levant sa main droite. « Par le sceau de l’Archidémon, Phenex t’ordonne. Il fait trop chaud, alors va lo — Hein ? »
Ses paroles furent interrompues par un bruit sourd et une petite onde de choc. Phenex regarda son corps avec étonnement.
Le démon volcanique avait lancé un petit rocher, transperçant le corps de l’Archidémon.
◇
« Hé… Lily ? Pourquoi les seuls hommes qui m’approchent sont-ils ceux qui s’enfuient et m’abandonnent ? »
« Qui sait ? Peut-être que tu n’as tout simplement pas l’œil pour les hommes. »
De l’autre côté du continent, dans une ville située à l’extrémité sud, une femme pitoyable grommelait sur sa chance, tandis qu’une autre fille la regardait avec étonnement. Cette dernière avait des cheveux argentés qui scintillaient faiblement sous la lumière de la lune et des yeux violets avec le symbole d’une étoile à l’intérieur. Elle portait un pendentif en argent qui pendait sur sa poitrine et avait de beaux traits avec un air un peu enfantin. Si elle s’abstenait de parler, tout le monde serait charmé par son apparence.
Cette fille, qui ne semblait avoir que quinze ou seize ans, était Asmodée… et elle était généralement reconnue comme l’Archidémon le plus redoutable. Il y a quelques minutes, des maisons entouraient la zone, mais maintenant, elles étaient toutes tordues, pliées, brisées et en morceaux. Chaque fois qu’elle utilisait sa sorcellerie, cela se terminait toujours ainsi. La racaille ne pouvait que maudire sa malchance d’avoir été entraînée là-dedans.
« Je me demande plutôt comment un journaliste parvient à croiser autant de démons en si peu de temps. Es-tu sûre que tu ne souffres pas d’une vilaine malédiction ? »
Asmodée avait reçu l’ordre de Marchosias d’éliminer les démons partout où ils apparaissaient. Elle venait de finir d’en nettoyer un ici. Elle était capable de prédire où les démons allaient se manifester grâce aux prophéties de l’Archidémon Eligor. À l’époque actuelle, seule Eligor pouvait diriger Asmodée directement vers les démons. Et pourtant, Asmodée trouvait souvent cette pitoyable journaliste — Rebecca — à ses destinations.
« Peut-être que je suis maudite », dit Rebecca en souriant d’un air absent. « Tu me sauves à chaque fois, mais pour une raison mystérieuse, tout l’argent que j’ai en main ne cesse de se volatiliser. »
« Aha, tu devrais apprendre à mieux gérer tes fonds. On dit que l’argent va et vient, mais on ne peut pas gagner sa vie comme ça. »
« À qui penses-tu que tout cela va aller ? »
Chaque fois qu’Asmodée la sauvait, elle faisait pression sur Rebecca pour obtenir tout ce qu’elle avait. Il était normal que Rebecca s’en plaigne, mais Asmodée considérait qu’elle acceptait sa juste récompense, alors elle se contentait de la regarder en réponse, confuse. Voyant cela, Rebecca tomba finalement par terre et se mit à se débattre sauvagement.
« Gaaaaaah ! Je veux un homme qui me chouchoute et me protège ! Est-ce que quelqu’un ne peut pas simplement s’occuper de moi pour le reste de ma vie !? »
« Je pense que tes partenaires ont le droit de choisir, non ? » dit Asmodée, tout à fait raisonnablement.
Rebecca lui lança un regard en larmes.
« Haaaaaah ! Comme c’est bien pour toi ! Tu as sans doute le choix du prétendant ! »
« Eh bien, je ne nierai pas que je suis populaire, étant donné ma belle apparence », répondit Asmodée, en touchant ses beaux cheveux argentés et en souriant.
« Gyaaah !? » Rebecca cria et devint sans force, mais elle se releva immédiatement et sortit son stylo et son carnet. « Haaah… Peu importe. Puisque tu es une telle gagnante, peux-tu me raconter quelques-unes de tes histoires d’amour ? »
« Hein ? Pourquoi dois-je parler de telles choses avec quelqu’un dont je ne suis même pas proche ? »
« Hm ? Pour que je puisse me permettre de manger, évidemment. Pourquoi dois-je t’expliquer cela ? »
« D-Désolé… »
Était-ce sa volonté de survivre ? Ses yeux étaient lourds et sombres, et une veine se gonflait sur son front. En voyant ce regard sérieux de la journaliste, Asmodée s’excusa involontairement. C’était probablement le premier individu qui forçait cet Archidémon à s’excuser. Peut-être fallait-il s’attendre à cela de la part d’une femme qui avait survécu bien qu’elle ait rencontré des démons à de multiples reprises.
Après avoir pris tout son argent à plusieurs reprises, même Asmodée commençait à ressentir un léger sentiment de culpabilité. Elle n’avait pas l’intention de se laisser faire, mais elle releva vite la tête.
« Les histoires d’amour valent-elles de l’argent ? » demanda-t-elle.
« Que dis-tu ? Les histoires d’amour valent manifestement plus que tout le reste en ce moment. Tu ne sais pas ? L’amour passionné de l’archange Chastille et de l’ancien candidat Archidémon Barbatos a fait la une des journaux pendant deux mois entiers. »
Asmodée utilisait le journal comme moyen d’échange d’informations, alors elle l’avait aussi vu. L’Archidémon Zagan s’était déjà retiré de cette affaire, mais une fois le feu allumé, ce sujet particulier n’allait pas se calmer de sitôt. Ces deux-là étaient susceptibles de créer un certain tumulte chaque jour, même lorsqu’on les voyait de loin, et ils constituaient donc une source inépuisable de matériel. C’est ainsi que deux mois après l’incident initial, le monde entier était toujours en ébullition à ce sujet.
« Hmm… Les gens ont vraiment des goûts étranges », dit Asmodée en se forçant à sourire. « Et maintenant, j’aimerais bien le voir de mes propres yeux. »
Elle n’était pas particulièrement intéressée. En fait, elle avait été présente lors du scandale lui-même, mais pour le meilleur ou pour le pire, elle n’en avait même pas eu conscience.
Les gens ont tous tendance à avoir le même visage. Je suis surprise que quelqu’un puisse ressentir quelque chose de spécial pour quelqu’un en particulier.
Le peuple d’Asmodée s’était éteint il y a quatre cents ans, tout ça parce que le joyau du cœur d’une escarboucle valait beaucoup d’argent. Pour elle, toutes les autres personnes étaient des ennemis malveillants ou faisaient partie de la racaille. Qu’ils soient sorciers, membres de l’Église ou civils, tous convoitaient le sang spirituel. Ainsi, même s’il y avait de rares exceptions, elle ne voyait pas ce qu’il y avait à gagner à reconnaître les individus.
***
Partie 4
Ne prêtant aucune attention aux pensées internes d’Asmodée, Rebecca continua de parler avec passion.
« Bon, le monde entier s’agite autour de l’affaire Barbatos/Chastille, mais mon gagne-pain, c’est Lily ! Je suis sûre que tes histoires d’amour me mèneront au sommet ! »
Oh oui, Foll aime aussi ce genre de choses.
Asmodée se rappela la petite dragonne qui l’avait interrogée sur sa vie amoureuse. Elle se souvenait encore très bien de ce jour-là. Et comme à l’époque, elle plissa ses sourcils en inclinant la tête.
« C’est ce que tu dis, mais je n’ai jamais eu ce genre de sentiments pour quelqu’un en particulier. »
Les yeux de Rebecca se transformèrent en soucoupes et sa bouche s’ouvrit en grand.
« Hein ? Tu veux dire que tu n’es jamais sortie avec quelqu’un ou que tu n’as jamais été amoureuse ? »
« Tous les sorciers ne sont-ils pas comme ça ? »
« Alors, qu’en est-il de ton premier amour… ? »
« Je te dis que je n’ai aucune idée de ce qu’est l’amour… »
Asmodée ne pouvait que hausser les épaules, se sentant désolée d’avoir trahi les attentes de Rebecca. Elle pouvait au moins comprendre que les histoires d’amour feraient gagner de l’argent à cette journaliste à potins, mais Rebecca avait choisi la mauvaise personne à qui poser la question. Pourtant, les yeux de la journaliste brillent.
« Oh. Oh mon… oh ma chère… Quelle savoureuse… ! Je veux dire, une histoire intéressante ! »
« Pourquoi l’as-tu reformulé ? »
Rebecca sortit deux chaises de la ruine voisine et lécha la pointe de son stylo.
« Dis-m’en plus. Est-ce que quelqu’un a déjà essayé de te faire la cour ? » demanda-t-elle en la fixant avec suffisamment d’intensité pour qu’il soit impossible de la rejeter.
« Haaah… Je suppose…, » déclara Asmodée en s’asseyant à contrecœur.
« Alors est-ce que quelqu’un t’a déjà laissé une forte impression ? »
« Umm… Oh, je suppose que c’était il y a environ deux ou trois mois ? Eh bien, j’ai rencontré quelqu’un comme un parent qui m’a laissé une impression. »
Elle ne savait pas si c’était de l’amour, mais elle le voyait d’un bon œil. Il s’était occupé d’elle dans la capitale des opprimés et lui avait dit qu’il s’enfuirait avec elle si le moment était venu. Asmodée avait au moins assez de cœur pour comprendre ce qu’il avait voulu dire.
Shura est une bonne personne…
Même s’il avait eu l’impression qu’Asmodée avait perdu ses souvenirs, il avait été si gentil avec elle. Elle lui en était au moins reconnaissante, alors elle donna ces détails à Rebecca.
« Haaah ! Pourquoi ne t’es-tu pas enfuie avec lui !? » demanda-t-elle, pleine d’intérêt.
« Mais pour le dire franchement, où est-ce que je m’enfuirai ? D’ailleurs, même s’il était venu avec moi, je l’aurais probablement utilisé comme pion sacrificiel ou carrément abandonné… »
En tant que compagnon d’escarboucle, il ne mourrait probablement pas. Cependant, même si Asmodée ne causait pas sa mort, quelqu’un finirait par le tuer. Après tout, c’était une escarboucle. C’est pourquoi il valait mieux qu’il reste sous la protection de Foll.
Je souhaite probablement qu’il survive…
Contrairement à Asmodée, qui ne pouvait pas revenir sur ce qu’elle avait fait, il existait une escarboucle qui pouvait vivre en pensant à l’avenir. Pour elle, c’était une petite forme de salut. Cependant, elle ne croyait pas qu’il s’agissait d’une émotion connue sous le nom d’amour.
« Pour commencer, quel genre de sentiment est cet “amour” ? » demanda Asmodée d’un air perplexe.
« Hnnngh ! Tu gagnes beaucoup de points pour avoir posé cette question si honnêtement ! Ça fait quatre-vingt-dix points d’amour ! »
« De quel genre de points s’agit-il ? »
« C’est un concept qui s’appelle le pouvoir de l’amour. Une sorcière dont j’ai récemment fait la connaissance m’a enseigné ce concept. Cependant, à moins que je ne lui donne une quantité numérique, les lecteurs ne comprendront pas. »
« C’est vrai… »
Le stylo de Rebecca parcourut son bloc-notes intensément avant de lever les yeux vers Asmodée, les yeux injectés de sang.
« De toute façon, l’amour, c’est vouloir être avec quelqu’un et vouloir qu’il soit toujours à tes côtés ! »
La première personne qui lui était venue à l’esprit était la petite dragonne.
Foll est une bonne fille.
Cependant, même Asmodée savait qu’il s’agissait d’amitié. Elle posa son menton sur ses mains et pencha la tête.
« En quoi est-ce différent de l’amitié ? » demanda-t-elle.
« Plus quatre-vingts points d’amour ! Tu es vraiment extraordinaire, Lily. Comment peux-tu ne pas connaître l’amour à ton âge ? Tu es comme la quintessence du tête en l’air naturel. »
Eh bien, c’était peut-être étrange de ne pas connaître l’amour pendant quatre cents ans. C’était probablement quelque chose dont il fallait avoir honte.
« Alors ? Combien de points représente une note parfaite ? »
« Une centaine, évidemment. »
« Cependant, nous avons déjà dépassé ce stade… »
« C’est tout simplement le potentiel que tu as ! Oh, contrairement à l’amitié, tu penses que cette personne est la seule, comme s’il ne pouvait y avoir de remplaçant. Tes sentiments sont suffisamment forts pour que tu sois prêt à mourir pour elle. »
Quand elle l’avait dit comme ça, un visage lui était venu à l’esprit.
« Hmmm, cela s’appliquerait-il à un disciple ? »
Plutôt que de mourir pour lui, elle était d’accord pour qu’il la tue.
Un jour, quand son pouvoir pourra m’atteindre, je suis d’accord pour me coucher tranquillement pour lui.
Les disciples étaient censés surpasser leurs maîtres. De plus, Vepar avait bien assez de raisons d’en vouloir à Asmodée au point de la tuer. C’est pourquoi il était la seule personne par qui elle acceptait d’être tuée. Selon toute vraisemblance, ce serait la mort la plus paisible qui soit pour elle. Même maintenant, il était adorablement rebelle.
« Un disciple ? » demanda Rebecca, les yeux écarquillés par le choc. « Lily, tu es assez âgée pour avoir un disciple ? »
« En fait, je suis sorcier depuis assez longtemps. Mais un disciple est un disciple. Ce n’est pas comme si je voulais me nourrir à tour de rôle de dessert avec lui ou l’embrasser ou quoi que ce soit d’autre. »
« Oh mon Dieu ! Oh là là ! Tu es donc au courant ! C’est à ça que servent les sorties ! »
« Non, c’est parce qu’on m’a forcé à regarder quelque chose comme ça au point d’en avoir des brûlures d’estomac…, » déclara Asmodée d’un air déconcerté.
Elle parlait de Zagan et Néphy. Cette conversation était passée à l’échange d’informations sur les démons, mais avant ça, ça avait été un éternel spectacle d’interactions maladivement douces entre les deux. Asmodée ne voulait plus rien voir de tel avant un bon moment.
Rebecca hocha la tête en signe de compréhension.
« Tu es donc du genre à vouloir une relation tranquille. Alors connais-tu quelqu’un avec qui tu te sens en paix ou contre qui tu as envie de te blottir ? »
« Oooh, dans ce cas, j’ai peut-être quelqu’un en tête. »
Après avoir traversé ces brûlures d’estomac, elle avait fini par prendre le thé avec ce vieux majordome.
Je crois qu’il a dit qu’il s’appelait Raphaël ? C’est lui qui m’a rendu le joyau central de ma sœur. J’ai l’impression que nous sommes étrangement liés d’une certaine façon.
« Il m’a préparé un thé vraiment délicieux… J’aimerais essayer d’en reprendre. »
En y repensant, Asmodée fut surprise à esquisser un sourire naturel. En voyant cette réaction, les yeux de Rebecca s’ouvrirent en grand.
« Plus deux cents points d’amour ! Tu as dépassé les limites de l’échelle ! Bravo, Lily ! »
« Dois-je prendre cela pour une insulte ? De plus, c’est un vrai grand-père, juste pour que tu le saches. »
« Et qu’est-ce qui ne va pas avec ça ? » demanda Rebecca avec curiosité. « Tu n’es pas aussi jeune que tu en as l’air, n’est-ce pas ? Tu as même un disciple. »
« Mrgh… »
Asmodée n’avait pas trouvé de réponse à cette question. En termes d’âge, elle avait vécu environ huit fois plus longtemps que Raphaël. L’âge physique d’une personne est une question triviale pour un sorcier. L’espace d’un instant, elle y réfléchit sérieusement, puis elle secoua la tête en signe de dénégation.
« Non, il a un enfant, alors ce genre de chose n’est-il pas impossible ? »
« Plus un amour est interdit, plus il brûle passionnément. Qui est-il ? »
« Je ne suis pas assez stupide pour te dire son nom. »
Si elle le faisait, il était clair comme de l’eau de roche que Rebecca en ferait des jouets dans le journal. Même Asmodée ne voulait pas le déranger à ce point.
« Je ne te demande pas de me dire son nom, » dit Rebecca en s’accrochant. « Qu’en est-il de ses traits ou de sa personnalité et d’autres choses de ce genre ? »
« Sa personnalité… ? Eh bien, je suppose que c’est quelqu’un de bien, mais sa maladresse ressort beaucoup. C’est un gentleman, pour ta gouverne. »
« Hmmm, ce genre d’éloge est rare venant de toi. Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? »
« Combien de temps allons-nous parler de cela ? »
Asmodée commençait à s’ennuyer, mais il ne semblait pas qu’elle allait être libérée si elle ne répondait pas aux questions de Rebecca. C’est donc à contrecœur qu’elle se remémora les traits de Raphaël.
« Si je devais le décrire, je dirais que c’est un grand-père morose », dit-elle. « Il est aussi très fort. »
C’est alors qu’une idée soudaine lui vint à l’esprit.
Oh, je pensais bien qu’il me rappelait quelqu’un. Il ressemble à mon professeur.
Asmodée n’avait pas su utiliser la sorcellerie lorsqu’elle avait échappé à l’attaque du village des escarboucles. Quelqu’un lui avait enseigné les bases. Son professeur était à l’époque un candidat Archidémon. Elle n’était pas restée très longtemps avec lui, et ce n’était ni une bonne personne ni un gentleman, mais il lui avait tant donné et avait laissé beaucoup de choses derrière lui. Elle lui devait beaucoup. Raphaël ressemblait un peu à son professeur.
Surtout qu’ils sont difficiles à comprendre…
Et alors qu’Asmodée se prélassait dans une telle nostalgie, le stylo du journaliste s’arrêta.
« Lily, d’après la façon dont tu parles, tu fais référence à un chevalier angélique ? »
Asmodée mit une main sur sa bouche. Elle en avait trop dit.
Cette fille est d’une vivacité inattendue.
Asmodée se trouvait au sommet de tous les sorciers, il était donc très rare qu’elle qualifie les autres sorciers de forts ou de faibles. Ils étaient tous en dessous d’elle, après tout. Ainsi, pour qu’Asmodée parle de quelqu’un de fort, elle devait faire référence à une personne spécialisée dans un autre domaine, comme les chevaliers angéliques ou les hauts elfes.
Pourtant, il s’agissait d’une notion propre à Asmodée. Quelqu’un ne pourrait pas arriver à cette conclusion s’il ne la comprenait pas bien. Et pourtant, Rebecca l’avait percée à jour avec une telle désinvolture. Peut-être était-elle en fait une journaliste étonnamment douée. Il était bien trop tard pour se voiler la face, mais Asmodée afficha un faux sourire et pencha la tête.
« Aha, pour une petite demoiselle frêle, tous les hommes semblent forts. »
« Lily, sais-tu ce que signifie le pouvoir de persuasion ? »
« Je connais la définition du dictionnaire », répondit Asmodée sans vergogne.
***
Partie 5
Contre toute attente, Rebecca se retira discrètement. Il semblerait qu’elle avait déjà assez de matière pour son article. La fin était enfin en vue. Asmodée relâcha ses épaules et s’étira tandis que Rebecca jetait, un peu tardivement, un coup d’œil à la dévastation qui les entourait.
« Oh oui, tu as dit que c’était un démon, n’est-ce pas ? Cette chose que tu as combattue, je veux dire. N’y en a-t-il pas beaucoup trop ces derniers temps ? »
« Hmmm, eh bien, je suppose qu’il y en a eu beaucoup. »
Le ton d’Asmodée était indifférent, mais elle rétrécit ses yeux brusquement.
C’est le contraire. Il devrait y en avoir beaucoup plus.
Compte tenu de leur taux de propagation, il y a un mois, il y avait moins de la moitié du nombre qu’Asmodée avait supposé devoir gérer. C’était bien qu’elle ait moins de travail, mais le mystère de ce phénomène était inquiétant. D’après ce que Zagan lui avait dit, il avait émis l’hypothèse qu’il existait un spécimen semblable à Samyaza qui créait tous les démons.
Peut-être que quelqu’un les élimine ?
Asmodée n’était peut-être pas la seule à tuer des démons. Cependant, pour combattre des démons jour après jour, il faudrait une puissance qui rivalise avec la sienne. Même parmi les Archidémons, peu pouvaient se vanter d’une telle puissance.
Les seuls à pouvoir le faire sont Zagan et Phenex…
Mais Zagan ne lui avait rien dit de tel, et Phenex ne s’embarrasserait jamais de quelque chose d’aussi gênant. Si des démons se manifestaient devant elle, au moins, elle s’en occuperait. Alors, que se passe-t-il exactement ?
De plus, Marchosias ne prenait pas vraiment au sérieux la tâche de s’occuper des démons. Peut-être savait-il que les choses se termineraient ainsi. Ou peut-être avait-il besoin d’un grand nombre de démons pour lui tout seul. On dirait qu’il préparait quelque chose en utilisant ce Nephilim appelé Bato.
Il est grand temps pour moi de couper les ponts avec lui.
Si Marchosias s’occupait des démons, cela signifiait qu’il ne voyait plus aucune valeur à Asmodée. De plus, il ne lui restait plus qu’un ou deux joyaux à collecter. Il s’agissait maintenant de savoir qui serait plus malin que l’autre. Les deux étaient de méchants Archidémons. Il n’y avait aucune chance que leur alliance soit rompue pacifiquement.
« J’ai oublié que j’avais une affaire urgente à régler », dit Asmodée en se levant. « Il faut que j’y aille. »
« Oh ? S’est-il passé quelque chose ? »
« Hmmm, je me disais justement que j’aimerais profiter un peu plus de la vie. »
Laissant derrière lui la journaliste déconcertée, Asmodée s’était évanouie dans les airs.
◇
La pierre lancée par le démon de lave transperça le corps de l’Archidémon. Le projectile en fusion continua à enflammer le seigneur doré.
« Hein ? Qu… ? Oh… ? Chaud… ? OOOOOOOOOW ! »
Phenex cria puis elle s’effondra sur le sol.
Elle a l’air plus à l’aise avec ça que je ne le pensais…
Honnêtement, elle n’avait pas du tout l’air d’avoir besoin de l’aide de Behemoth.
« Soyez maudit ! » hurla Phenex avec indignation, des larmes derrière ses lentilles de verre. « Espèce d’imbécile ! Comment oses-tu !? Sur qui crois-tu tirer !? »
Encore sous le coup de la colère, elle se leva calmement.
« Si tu dois le faire, tire pour tuer ! À quoi bon se contenter d’infliger de la douleur !? »
« Est-ce le problème ici… ? » marmonne Levia avec exaspération dans les bras de Behemoth.
Il n’y avait aucune chance que ces mots parviennent au démon. Au lieu de cela, la sphère de lave s’étira comme une corde et s’enroula autour du corps de Phenex.
« Pas un soupçon de remords, espèce de forme de vie inférieure ? » cracha Phenex. « Peu importe, tu n’as qu’à mourir. »
Phenex balança son bras ganté de laiton sur le côté dans un grand geste. Immédiatement après, une lumière dorée enveloppa le démon de lave.
Une flambée d’or…
Phenex n’était pas connue sous le nom de Seigneur doré en raison de son apparence. Son surnom venait des flammes qu’elle maniait. L’énorme corps de lave céda, et lorsque Behemoth ouvrit les yeux, le démon n’était plus en vue. Seul un feu doré se balançant dans le vent se tenait là où il avait été.
Elle a réussi à faire s’évaporer de la lave…
Elle ne lui avait même pas laissé le temps de crier. Ce qui était encore plus surprenant, c’est que Behemoth n’avait pas ressenti la moindre bouffée de chaleur de sa part alors que son feu était capable d’une telle prouesse. Et ce, bien que la bouche du volcan soit encore fâcheusement chaude.
« Quel être sans valeur ! Quel être vraiment sans valeur. Excuse-toi auprès de moi pour le reste de l’éternité dans l’autre monde. »
Behemoth et Léviathan regardèrent l’Archidémon maudire l’autre comme s’ils assistaient à un spectacle vraiment triste.
Pourquoi doit-elle se comporter comme une petite frappe alors qu’elle est si forte ?
En termes de compétences pures, elle faisait probablement partie des Archidémons les plus forts, mais à cause de sa personnalité minable, il était rare que quelqu’un la vénère.
Après avoir fulminé jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite, Phenex se retourna finalement vers Behemoth.
« Pardonnez-moi. Quelle obstruction sans intérêt… ! Et alors ? De quoi parlions-nous déjà ? »
Face à un Archidémon qui avait affronté un démon comme s’il s’agissait d’un bébé, Levia alla droit au but.
« Zagan veut connaître tes projets. Ce sera gênant si tu rejoins Marchosias. »
« Marchosias ? Oh, maintenant que tu en parles, j’ai bien reçu une sorte de lettre d’invitation. Je pensais qu’elle était fausse. Est-ce le vrai ? C’est vraiment stupide. Il est finalement mort, alors pourquoi est-il revenu à la vie ? » Phenex marmonna un véritable étonnement, puis elle pencha la tête. « Alors tu veux que je décide si je me range du côté de Marchosias ou de Zagan ? Malheureusement, je n’ai pas l’intention de soutenir l’un ou l’autre. De plus, ma sorcellerie est de mauvais goût. Zagan ne va-t-il pas refuser mon aide ? »
Behemoth secoua la tête.
« C’est par notre opinion que nous voulons que tu rencontres Zagan. »
« Hmm… ? »
Zagan détestait la sorcellerie sacrificielle. Il ne voulait en aucun cas que Phenex fasse partie de ses subordonnés. Cependant, Behemoth et Levia pensaient que Zagan devait rencontrer ce sorcier.
S’appuyant sur Behemoth, Levia ajouta : « Zagan pourrait être capable de — ! »
Le seigneur doré déglutit derrière son masque. C’était comme si elle regardait un rêve dont elle en avait assez d’être déçue, mais qu’elle n’arrivait pas à oublier.
« Penses-tu vraiment que je vais croire cela après toutes ces années… ? » dit-elle. « Combien de centaines, combien de milliers de fois penses-tu que mes espoirs ont été trahis ? »
« Si tu n’aimes pas ça, alors c’est tout ce que nous avons à dire », lui déclara Behemoth. « Nous partons. »
Et juste avant de le faire, Levia ajouta une dernière chose.
« Celui qui nous a réunis à nouveau, Behemoth et moi, c’est Zagan. »
« Gh… ! »
Phenex grinça des dents assez fort pour qu’on puisse le voir à travers son masque. Elle fit ensuite trois fois les cent pas sur place avant de se tourner vers Levia.
« Je ne vous tuerai pas tous les deux parce que je nous considère comme des amis », dit-elle. « Votre situation est très similaire à la mienne, après tout. »
Behemoth et Levia avaient rencontré de nombreuses personnes au cours des cinq cents dernières années — des sorciers, des chevaliers angéliques et, naturellement, des humains ordinaires. Parmi toutes ces personnes, celle qui les comprenait le mieux — à part Alshiera — était Phenex. Ils avaient même déjà coopéré l’un avec l’autre dans l’espoir d’accomplir leurs rêves. Selon toute vraisemblance, elle les voyait sous le même jour qu’eux. C’était pour cela qu’ils négociaient avec elle alors que Zagan ne l’avait pas demandé.
« Même si vous mentez, je ne vous tuerai jamais tous les deux », dit Phenex, un air de nostalgie dans la voix. « Ça m’énervera quand même. »
Elle parla calmement comme si elle interagissait avec les amis les plus proches, mais l’instant d’après, sa voix était glaciale.
« Cependant, si vous me trahissez, je tuerai Zagan. »
Elle parlait de l’homme qui avait vaincu plusieurs Archidémons lors d’affrontements frontaux, et dont la puissance pouvait même atteindre Asmodée. Et pourtant, ses paroles ne venaient pas d’une surestimation de ses propres capacités. C’est ce que signifie être un Archidémon, après tout. Avoir du pouvoir n’a pas d’importance. Une fois qu’ils avaient dit qu’ils feraient quelque chose, ils le faisaient.
Levia acquiesça, son teint ne changeant pas face à la colère de Phenex.
« Fais comme tu veux. Ce garçon répondra sûrement à tes attentes. »
« Haaah… » soupira le seigneur doré en s’asseyant sur un rocher. « Mais j’en ai tellement marre d’avoir des attentes… J’en garderai rancune. »
« Ne t’inquiète pas », lui répondit Levia. « Ça ne finira pas comme ça. »
Même si Phenex grommelait, elle commença immédiatement à faire ses bagages. Elle se retourna ensuite comme si elle se souvenait soudain de quelque chose.
« Alors ? Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? » demande-t-elle. « Vous ne m’avez pas dit ça sans rien attendre en retour, n’est-ce pas ? »
Behemoth et Levia échangèrent un regard, puis commencèrent à chuchoter l’un à l’autre.
« Hein ? Qu’est-ce qu’on fait ? Avons-nous quelque chose à lui demander ? »
« Pas vraiment. Mais Zagan est toujours à court de bras. Ne sera-t-il pas content si nous la ramenons ? »
« Mais Zagan ne va-t-il pas vraiment la détester ? »
« Peut-être… Qu’est-ce qu’on fait ? »
« Vous n’avez vraiment pas réfléchi à tout cela ? » interrompit Phenex, complètement étonnée par leur comportement.
« Eh bien, tu sais, c’est simple », dit Behemoth en affichant un sourire. « Quand un ami est dans le besoin, ne veux-tu pas lui donner un coup de main, hein ? »
« Hmph… Tu as vraiment l’air heureux maintenant », dit Phenex. « Combien de temps dois-je encore attendre pour ton mariage, espèce d’âne ? »
Behemoth avait à tous les coups vu sa vieille amie sourire derrière ce masque. Cependant, cette paix fut brisée par une voix soudaine.
« Aha, alors pourquoi ne pas plutôt écouter ma demande ? »
Surgie de nulle part, une fille avec des étoiles dans les yeux les regarda du haut d’un rocher. Behemoth et Levia avaient clairement grimacé en entendant la voix ennuyeusement familière. Il en allait de même pour Phenex.
« Argh ! Asmodée ! »
« Pourquoi agis-tu comme si un parasite venait de débarquer ? » demanda Asmodée.
« N’est-ce pas à peu près ce que tu es ? » demanda Behemoth, ouvertement méfiant à son égard.
La dernière fois qu’ils s’étaient rencontrés, elle avait eu l’air d’une petite fille normale, mais maintenant elle était redevenue l’avare qu’elle avait toujours été. Cela dit, elle était habituée à ce genre de réaction. Asmodée soupira et brossa ses cheveux argentés en arrière.
« Franchement…, vous êtes tous aussi charmants que d’habitude », dit-elle. « Et si vous preniez exemple sur moi et agissiez de façon un peu plus amicale ? »
« Combien de fois penses-tu que nous avons été piégés par ton amabilité ? » rétorqua Behemoth.
« Qu’est-ce que tu dis ? Si c’est tout ce qu’il faut pour te tromper, alors je ne pense pas que tu sois fait pour être un sorcier », dit Asmodée en riant d’une manière irritante.
« Alors ? Qu’est-ce que tu veux ? » demanda Levia en faisant un pas en avant.
« Oh, je ne veux rien de vous deux. Je suis venue pour Phenex », dit Asmodée en se tournant vers l’autre Archidémon, en joignant les mains et en penchant la tête d’un air coquet. « Hé Phenex, veux-tu faire un marché avec moi ? »
***
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