Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 17
Table des matières
- Prologue
- Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts : Partie 1
- Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts : Partie 2
- Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts : Partie 3
- Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts : Partie 4
- Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts : Partie 5
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 1
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 2
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 3
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 4
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 5
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 6
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 7
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 8
- Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour : Partie 9
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 1
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 2
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 3
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 4
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 5
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 6
- Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté : Partie 7
- Chapitre 4 : Les hommes deviennent stupidement imprudents devant la fille qu’ils aiment : Partie 1
- Chapitre 4 : Les hommes deviennent stupidement imprudents devant la fille qu’ils aiment : Partie 2
***
Prologue
« Hé, hé, Grand Frère, tu travailles avec Lady Chastille, c’est ça ? As-tu rencontré ce Barbar ? Quel genre d’individu est-il ? »
Au moment où Micca se dirigeait vers son travail, sa jeune sœur lui posa cette question. Alors qu’il venait d’avoir seize ans cette année, Micca travaillait pour l’Église depuis une bonne année maintenant. Il avait porté son uniforme tous les jours au point qu’on voyait bien qu’il n’était plus neuf, mais il n’arrivait pas à se débarrasser de l’impression que les vêtements lui allaient plutôt bien.
Bien qu’il soit un peu maigre, il commençait enfin à prendre du muscle. Il avait de courts cheveux brun foncé et ses yeux fatigués étaient d’un brun rougeâtre. Il n’avait pas de traits particuliers. Personne qui le croiserait dans la rue ne se souviendrait de lui. Cependant, son apparence médiocre était contrastée par une épée loin d’être médiocre qui se balançait dans son dos. Elle se heurtait à l’entrée étroite chaque fois qu’il la franchissait, si bien qu’un nombre important d’égratignures étaient gravées sur le cadre de la porte. Un jour, il devrait probablement la remplacer.
« Je n’ai rencontré Lady Lillqvist qu’une seule fois », dit Micca en se grattant la tête. « C’est une personne assez effrayante. Elle m’a grondé sans crier gare. Je n’ai aucune idée sur le sorcier. »
« Quoiiiii !? Ils sont si passionnément amoureux, comment peux-tu ne pas le savoir ? Oh, c’est vrai ! À l’époque, il s’agissait encore d’une relation secrète. Mais bon. »
En voyant les étincelles dans les yeux de sa petite sœur, Micca ne put que forcer un sourire. Elle était en train de décrire les événements survenus il y a un mois. Des rumeurs avaient fait état d’une relation amoureuse entre l’archange de troisième rang, Chastille Lillqvist, et le sorcier le Purgatoire, Barbar — non, Barbatos, s’il se souvenait bien — qui se trouvait être un ancien candidat Archidémon.
Dans un premier temps, l’Église avait refusé d’admettre qu’il s’agissait de ragots malveillants, mais à cause d’un journal enchanté qui se répandait dans les terres, elle ne pouvait plus rien y faire. Le ragot en question était assez gênant. On y voyait Lillqvist et Barbatos se rencontrer en secret. Le sorcier la protégeait littéralement dans l’ombre alors qu’elle risquait d’être assassinée, ils prenaient le thé ensemble, se choisissaient mutuellement des tasses, et d’autres scènes romantiques de ce genre. Il avait même rejoué des scènes où ils se préparaient pour leur anniversaire.
On ne savait pas qui avait fait ce journal ni pourquoi, mais son contenu s’était répandu comme une traînée de poudre dès sa parution. Il s’agissait probablement d’un plan scrupuleusement planifié. Il y avait même des rumeurs selon lesquelles un Archidémon était responsable, mais il était encore moins logique qu’un Archidémon répande de telles rumeurs.
Lillqvist était déjà connue pour être la seule femme parmi les archanges, et la plus jeune à avoir atteint ce rang, elle bénéficiait donc d’un soutien important de la part du peuple. Certains voulaient même garder cet enregistrement d’elle pour la prospérité, tant sa beauté était grande. Il n’y avait aucun signe d’affaiblissement de sa popularité. C’est exactement pour cela que la rumeur avait envoûté tout le continent en une seule nuit.
Une amoureuse, hein ? J’aimerais une fille normale. Quelqu’un de simple et de gentil comme une fleuriste ou une femme de ménage. Elle n’a pas besoin de faire quoi que ce soit pour moi. Je veux juste quelqu’un qui restera à mes côtés dans les moments difficiles.
En tant que jeune homme de seize ans, Micca s’intéressait naturellement au sexe opposé. Il ne voulait rien avoir à faire avec une femme aux circonstances compliquées comme Chastille Lillqvist, mais l’idée d’avoir une amoureuse était quelque chose à laquelle il pensait souvent.
Cependant, même s’il rencontrait quelqu’un de merveilleux, il était sûr de donner la priorité à sa famille. C’est ainsi que la vie de Micca s’était déroulée jusqu’à présent. C’est pourquoi il rangea ce faible désir dans un coin de son esprit.
« Tous les sorciers ne sont pas de mauvaises personnes, hein ? » déclara sa sœur en levant les yeux vers lui. « As-tu déjà rencontré un bon sorcier ? »
« Il n’y a aucune chance que cela exist — ! »
Micca s’apprêtait à nier qu’une telle chose puisse exister, mais ne savait plus où donner de la tête.
« Alors, tu l’as fait ? », demanda sa sœur, les yeux remplis d’attente.
« Oui, hum, je ne suis pas sûr que ce soit un bon sorcier, mais j’ai rencontré un Archidémon. »
« Archidémon ? C’est le plus étonnant des sorciers, non ? Quel genre d’individu était-il ? »
« Il s’entendait très bien avec son… amoureuse ? »
Micca n’était pas tout à fait sûr que l’homme soit quelqu’un de bien, mais l’Archidémon en question ne correspondait pas non plus au symbole du mal que l’Église lui dépeignait.
« Incroyable ! Alors il y a vraiment de bons sorciers ! » s’exclama sa sœur en souriant et en sautant innocemment.
J’ai eu une réduction de salaire et les supérieurs me grondent depuis…
Il y a six mois, deux Archidémons s’étaient déchaînés sur la trésorerie du siège de l’Église dans la ville sainte de Raziel. Douze archanges avaient été incapables de vaincre un seul Archidémon. Cet échec cuisant avait obligé Micca et les autres à reprendre l’entraînement depuis le début. De plus, la personne chargée de leur formation était l’archange Stella Diekmeyer, toujours aussi mystérieuse.
Elle ne sait vraiment pas comment nous ménager…
L’archange en chef Ginias Galahad II, qui était encore plus jeune que Micca, était pratiquement battu à plate couture tous les jours, mais il avait le courage de continuer à s’accrocher. Honnêtement, Micca le respectait pour cela.
Et puis, après avoir été enfin libéré de cet entraînement infernal, cet incident leur était arrivé. L’Église était gérée avec le soutien du peuple sous forme de dons, elle ne pouvait donc pas fonctionner si elle ignorait la population.
De plus, cet incident avait permis de découvrir que certains sorciers protégeaient les gens, soignaient secrètement les malades et les blessés et partageaient la nourriture avec eux. Le temps pour l’Église de réévaluer ses relations avec les sorciers approchait à grands pas. Même un mois après l’incident, la ville était remplie d’histoires d’amour. L’enthousiasme débridé n’était en aucun cas limité à la sœur de Micca.
« Je devrais peut-être rejoindre la faction de l’unification… »
Chastille Lillqvist était la chef de la faction d’unification, un groupe qui appelait à la coexistence avec les sorciers. Le récent incident avait grandement renforcé leur position. Il serait plus intelligent de les rejoindre si Micca voulait continuer à gagner sa vie dans l’Église. Cela lui valut un autre regard ravi de la part de sa sœur.
« C’est le truc de la faction de Lady Chastille, c’est ça !? Tu es incroyable ! »
« Oui, » répondit Micca avec un sourire avant de lui faire un signe de la main. « Il est grand temps que ton grand frère se remette au travail. »
« D’accord. Fais de ton mieux, Grand Frère ! »
« Je le ferai, Ayla. Prends soin de maman. »
« Laisse-moi faire ! »
Sur ce, il partit finalement. Cette petite maison en briques située dans le coin du village était la maison de Micca. Le village lui-même était petit. Même au centre, il n’y avait rien d’autre que quelques endroits où manger et un magasin général qui vendait des produits de toutes sortes. S’il y avait une chose pour laquelle ils étaient connus, c’était que l’herbe était bonne, ou que le lait produit ici était délicieux. Il y avait moins d’un millier d’habitants, et ils étaient presque tous des connaissances. Pourtant, même dans la cambrousse, des voyageurs passaient de temps en temps par ce village tranquille.
Hm ? Est-ce un étranger ? C’est très rare.
Au moment où Micca aperçut une silhouette inconnue devant lui, un morceau de papier frappa le voyageur au visage.
« Mph !? Qu’est-ce que c’est que ça… ? »
Le voyageur resta immobile, perplexe, puis enleva ses lunettes rondes et les essuya avec sa manche avant de fixer le papier.
« Uhhh… Franchement, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe… ? »
Le jeune homme déconcerté fixait le célèbre torchon à potins. Cela faisait un mois qu’il n’avait pas été publié, mais il avait été transporté ici par le vent depuis quelque part. Les chevaliers angéliques existent pour protéger les gens. Micca était techniquement un chevalier, alors il interpella le voyageur à lunettes.
« Hum, allez-vous bien ? » demanda Micca. « Vous avez l’air plutôt pâle… »
« Hm !? »
Le voyageur était tellement absorbé par la lecture du journal qu’il n’avait pas remarqué Micca. Le jeune homme eut l’air surpris et posa une main sur sa hanche.
« Hé, calmez-vous », déclara Micca en levant les deux mains pour montrer qu’il n’était pas un ennemi. « Je ne suis qu’un chevalier angélique de passage. »
« H-Hein ? Oh, pardonnez-moi », répondit le voyageur, qui reprit enfin ses esprits. « Je viens de voir quelque chose d’incroyablement inexplicable… Qu’est-ce que c’est ? »
Il y avait encore un soupçon d’incompréhension dans sa voix.
« Oh, ça ? » dit Micca. « Il s’agit d’un journal datant d’un mois. Même si j’ai honte de le dire, l’un des archanges entretient une relation amoureuse avec un sorcier. »
« Est-ce la vérité ? L’Église n’est-elle pas en colère à ce sujet ? »
Le voyageur avait l’air de ne pas y croire. Il semblait que c’était la première fois qu’il entendait la nouvelle. Eh bien, le fait d’être en voyage aurait pu l’éloigner de ce qui était considéré comme un savoir commun maintenant.
Non, un voyageur ne devrait-il pas en savoir encore plus sur ces choses-là ? A-t-il été dans un endroit isolé ?
La réaction de l’homme était un peu mystérieuse, mais Micca n’était pas là pour l’interroger ou quoi que ce soit d’autre.
« Eh bien, c’est devenu un peu un problème », répondit Micca en souriant amèrement. « Mais le public l’a accepté, et la personne en question est plutôt haut placée, alors c’est devenu assez compliqué… »
Bien sûr, des voix s’étaient élevées au sein de l’Église pour demander que Chastille Lillqvist soit punie. Cependant, elle avait beaucoup trop de soutien de la part de la population pour cela. Avant que l’Église ne puisse faire une annonce, des manifestations avaient eu lieu, appelant à « reconnaître l’amour de Chastille ». L’attitude clairement négative à l’égard de l’Église avait entraîné une chute drastique des dons.
L’Église ne pouvait plus faire de déclarations inconsidérées maintenant. Même si elle avait raison, cela pourrait faire basculer l’équilibre des pouvoirs entre l’Église et les sorciers. De plus, le chef de l’Église, le pape, n’avait rien dit à propos de l’incident. Il ne s’était pas montré en public ces dernières années, si bien que des rumeurs discrètes circulaient sur sa mort. Son silence confirmait ces rumeurs. C’était presque la même chose qu’une déclaration publique. Si leur chef fermait les yeux sur la situation, l’Église ne pouvait pas prendre de mesures énergiques.
C’est presque comme s’ils savaient que Sa Sainteté le Pape resterait silencieux.
Non pas que ce soit possible, bien sûr. Quoi qu’il en soit, maintenant que les choses en étaient arrivées là, les chevaliers angéliques ne pouvaient plus agir comme ils l’avaient fait. Il était hors de question de dégainer leur épée dès qu’ils apercevaient un sorcier.
« Vous devez plaisanter », dit l’homme à lunettes, les mains sur la tête. « Cette situation ridicule est-elle acceptée ? Comme c’est insondable… »
Peut-être, juste peut-être, cet homme était-il un fervent croyant de l’Église. La situation actuelle était très difficile à accepter pour ces personnes.
« En tant que membre de l’Église, je comprends ce que vous ressentez », déclara Micca avec un sourire réconfortant.
« Ohhh… C’est vrai. Merci. Désolé de vous avoir fait perdre du temps. »
L’homme à lunettes froissa le chiffon à potins en boule et le fourra dans sa poche, puis s’éloigna en titubant sur des pieds instables.
Est-ce qu’il va s’en sortir ?
Le dos de l’homme dégageait une aura qui semblait dire : « Comme si quelqu’un au monde pouvait comprendre ce que je ressens. »
Quoi qu’il en soit, Micca avait un travail à faire. Le voyageur toujours en tête, il s’éloigna.
C’était un petit village, il ne lui fallut donc pas longtemps pour atteindre l’église, qui était un simple bâtiment en bois. Même lorsqu’ils organisaient des offices, les courants d’air étaient si importants que la plupart des participants n’écoutaient même pas les sermons. En frappant à la porte, Micca prit une respiration tranquille et éleva la voix.
« Archange de douzième rang, Micca Salvarra, au rapport ! »
Il laissa alors échapper un soupir involontaire.
Pourquoi l’un de mes semblables sert-il d’archange ?
Micca n’était pas un noble, ni issu d’une famille de fervents croyants. Son père avait servi en tant que chevalier angélique, mais il n’avait été que dans les rangs les plus faibles et il était mort quand Micca avait six ans.
Il respectait son père pour s’être battu pour le bien des autres, mais après sa mort prématurée, Micca avait été contraint de renoncer à l’école et de travailler pour un marchand afin de subvenir aux besoins de sa famille. Naturellement, il n’avait jamais manié d’épée, c’est pourquoi il occupait le siège le plus bas parmi les archanges.
Pour ce qui est de la façon dont cela s’était passé, il avait été choisi par une épée sacrée l’année dernière et avait soudainement été promu au rang d’archange. Naturellement, il avait d’abord refusé, pensant qu’il ne pourrait pas remplir une tâche aussi importante, mais il n’avait pas eu le choix. Une épée sacrée ne pouvait apparemment pas être utilisée par quelqu’un d’autre tant que son porteur n’était pas mort. De plus, le fait d’être un archange s’accompagnait au moins d’un revenu important.
Je veux que mes frères et ma sœur aillent à l’école.
Il avait une petite sœur, deux frères encore plus jeunes et un autre frère de treize ans. Le corps de sa mère s’était brisé à cause du surmenage. Elle était en mauvaise santé, et Micca était donc le seul à pouvoir subvenir aux besoins de la famille Salvarra.
Il ne se souciait pas d’accomplir de grandes actions. S’il pouvait s’acquitter de ses devoirs jusqu’à ce que ses frères et sa sœur soient adultes, alors c’était suffisant. Tant qu’il était en vie, il pouvait subvenir aux besoins de sa famille.
« Seigneur Salvarra », dit le prêtre en souriant. Il connaissait Micca depuis que ce dernier était un petit garçon. « Le village est redevenu paisible aujourd’hui grâce à votre présence. »
« Non, je n’ai vraiment rien fait… »
La majorité des archanges étaient dépêchés lorsqu’un incident nécessitait leur attention. Même quand ce n’était pas le cas, ils n’avaient pas besoin de rester dans une église spécifique. Ils vivaient généralement dans les villes par commodité, mais pour aider sa famille, Micca s’était installé dans ce minuscule village. Il était souvent absent, mais en raison d’un incident récent, il n’avait pas reçu de véritables missions ces derniers temps. Au contraire, l’Église en tant qu’organisation n’arrivait pas à bouger. Au cours du dernier mois, Micca avait aidé aux tâches ménagères de cette église et avait patrouillé dans le village. Mais tout cela était sur le point de changer.
« Seigneur Salvarra, j’ai une mission pour vous », déclara le prêtre avec une certaine gravité, comme s’il prononçait une sentence de mort. « Je vous ordonne de surveiller un certain Archidémon. »
Je comprends maintenant. S’ils ont un archange inutile, ils peuvent simplement l’envoyer mourir et espérer en obtenir un nouveau.
Tels étaient les événements sans espoir d’un certain jour à la fin du printemps de la seizième année de la vie de Micca.
***
Chapitre 1 : Faire quelque chose d’inhabituel conduit généralement à un gaspillage d’efforts
Partie 1
« Quelle est la part exacte de cet incident qui vous revient, Archidémon Zagan ? »
À l’intérieur de la salle du trône du palais de l’Archidémon, sous Kianoides, un sorcier aux yeux fermés interrogeait Zagan. C’était le Tremblement de Terre Vepar, un homme aux cheveux blancs et à la silhouette élancée. Il était si beau que si Zagan n’avait pas entendu parler des traits de Vepar auparavant, il n’aurait jamais supposé que Vepar soit un homme. Vepar était l’un des anciens candidats Archidémon, ainsi que le disciple d’Asmodée. Bien qu’ils aient tous deux été candidats pour être un Archidémon à un moment donné et que Vepar ait été mêlé à l’incident du mois dernier de façon grandiose, Zagan ne l’avait jamais rencontré avant cela.
« Depuis cet incident, les relations entre les sorciers et les chevaliers angéliques ont beaucoup changé », poursuit Vepar, l’admiration transparaissant dans sa voix. « Vous avez détruit la structure du monde, et pourtant vous n’en parlez que comme de “cette affaire insignifiante”. Cet exploit s’apparente à raser une montagne en jetant un caillou. Honnêtement, vous me terrifiez. »
Il y avait de l’admiration dans sa voix. Zagan appuya un coude sur son trône et répondit hardiment… ou pas. Il répondit avec un sentiment de peur dans sa propre voix.
« Eh bien, c’est moi qui l’ai ordonné, mais c’est Gremory qui a réellement exécuté le plan. Elle aussi me terrifie. »
« Vraiment… ? »
Une perle de sueur coula sur la joue de Vepar tandis qu’il acquiesçait, un étrange sentiment de compréhension dans le cœur.
Les chevaliers angéliques et les sorciers étaient des ennemis qui s’affrontaient depuis toujours. Cependant, ces hostilités avaient été créées par les mains tordues de l’aîné Marchosias il y a huit cents ans. Jusque-là, les chevaliers angéliques et les sorciers avaient travaillé ensemble pour développer le monde. L’Archidémon en chef de l’époque, Lisette Dantalian, avait apporté la paix grâce à ses grands efforts. Cependant, en piétinant son travail, les deux groupes s’étaient transformés en ennemis.
Quelqu’un s’était déjà vengé de cet acte, mais la paix voulue par Lisette et Shere Khan restait brisée. C’est pourquoi Zagan et Gremory avaient élaboré un plan pour favoriser l’harmonie entre les chevaliers angéliques et les sorciers. Cependant, Zagan ne s’attendait pas à ce que Gremory accomplisse cette tâche avec un succès aussi stupéfiant. Mais pour le dire franchement, Gremory avait été le témoin direct des souvenirs de Shere Khan, alors peut-être avait-elle été poussée par un sens du devoir plutôt que par son seul hobby.
L’attention de la population était désormais entièrement focalisée sur la romance entre un chevalier angélique et un sorcier, et par conséquent, les chevaliers angéliques ne pouvaient plus chasser les sorciers avec un abandon insouciant. Pourtant, les sorciers cessèrent également de se quereller avec les chevaliers, comme si cela était parfaitement naturel. C’était parce que le sorcier au centre de ce bouleversement n’était autre que Barbatos. Il était impossible de savoir comment il les massacrerait s’ils attiraient son attention. C’est ce que croyait le sorcier moyen.
De plus, les sorciers savaient vaguement que Zagan était à l’origine de tout cela. Après tout, Gremory avait audacieusement utilisé son nom pour inciter ces reporters à agir, et Zagan l’avait approuvé. Les sorciers n’avaient rien à gagner à contrarier les chevaliers angéliques si cela signifiait s’attirer les foudres d’un Archidémon et d’un ancien candidat Archidémon. Ainsi, comme Vepar l’avait dit, le monde était en train de changer.
J’ai pu fêter l’anniversaire de Néphy en paix grâce à ça, alors je n’ai pas vraiment à me plaindre.
Zagan lui en était au moins reconnaissant, mais Gremory le terrifiait toujours. Même un Archidémon ne parviendrait pas à maîtriser cette mamie.
« Je m’excuserai correctement de t’avoir entraîné dans ces maudits ennuis », dit Zagan en se ressaisissant et en faisant de nouveau face à Vepar. « Pour preuve, je te remettrai toutes les informations que je possède sur Asmodée. Si tu souhaites autre chose, j’y réfléchirai tant que cela reste dans le domaine du raisonnable. »
« Quelle offre somptueuse », répondit Vepar, bouche bée.
« Je sais à quel point il peut être difficile de s’impliquer avec Gremory… »
« Je vois… »
Elle radotait toujours sur le pouvoir de l’amour ou autre chose, faisant de Zagan un jouet. Il comprenait mieux que quiconque à quel point c’était pénible. C’est à ce moment-là qu’un étrange sentiment de camaraderie était né entre deux victimes de Gremory.
Néanmoins, Gremory était essentielle à ses plans. Zagan l’avait utilisée tout en étant bien conscient du risque. Personne d’autre que la mamie n’aurait pu obtenir de tels résultats, même en utilisant aussi Barbatos et Chastille, c’était donc à son roi de gérer les suites.
« Est-ce que ça suffit pour se rattraper ? » demanda Zagan à Vepar en le fixant du regard. « Alors, permets-moi de passer à d’autres négociations. Je m’intéresse à tes tentatives de reproduction des épées sacrées. »
Bien qu’il soit un sorcier, Vepar connaissait les épées sacrées et savait même comment les fabriquer. C’était une information que Zagan voulait avant tout pour pouvoir détruire les épées sacrées et libérer les séraphins qui y étaient enfermés.
En entendant cela, les sourcils de Vepar s’étaient dressés sous le choc.
« Quoi ? Est-ce si surprenant qu’un Archidémon s’intéresse aux épées sacrées ? » demanda Zagan.
« Oh, eh bien… c’est en fait surprenant, mais cela fait un moment que je n’ai pas eu quelqu’un avec qui je peux mener une véritable négociation », répondit Vepar en s’essuyant le coin de l’œil avec sa manche.
« Je m’excuse vraiment pour cet idiot et cette mamie, » déclara Zagan du fond du cœur.
S’impliquer avec Gremory et Barbatos, c’est s’assurer d’une énorme douleur. Il n’en fallait pas plus pour que le concept même de négociation paraisse futile. Zagan attendit que Vepar se calme avant de poursuivre.
« J’ai une épée sacrée à ma disposition. Si nécessaire, je peux t’en fournir deux autres… non, trois autres. »
Le premier était, bien sûr, celui de Raphaël. Les autres étaient celles de Richard, de Chastille et de Stella. Ils accepteraient probablement que leurs épées soient étudiées si Zagan le leur demandait. Richard et Stella étaient particulièrement susceptibles de remettre simplement leurs épées sacrées. Il était même possible que les archanges qui faisaient partie de la faction d’unification de Chastille coopèrent si les conditions étaient réunies.
« C’est tout ce que je peux garantir, mais j’en ai d’autres que je pourrais obtenir », ajouta Zagan. « Tant que tu réponds à mes exigences, tu peux les utiliser comme bon te semble. »
Il s’agissait de permettre à Vepar de les utiliser à ses propres fins, c’est-à-dire de réaliser le but de sa vie, à savoir vaincre Asmodée. C’est la récompense offerte par Zagan.
Non pas que cela plaise à Foll… Mais si ce n’est pas le cas, elle n’a qu’à intervenir à sa manière. Elle possède le pouvoir et le statut pour le faire si elle le souhaite.
« Vous continuez à montrer à quel point vous êtes un Archidémon terrifiant », dit Vepar, interloqué par cette offre extraordinaire. « Vous êtes-vous frayé un chemin jusqu’à l’intérieur de l’Église ? »
Zagan était resté silencieux et avait souri hardiment.
Ce n’est pas que j’en avais l’intention… Il se trouve que j’ai eu plus d’archanges dans mon entourage proche au cours de l’année dernière. Malgré tout, j’utiliserai tout ce qui est à ma disposition.
Zagan avait déjà écrasé plusieurs Archidémons, mais il n’avait pas trop confiance en ses propres forces.
« Un Archidémon de VOTRE calibre fait-il une telle fixation sur les épées sacrées à cause du monstre de l’autre jour ? », demanda Vepar, à la recherche d’une réponse.
Samyaza, bien qu’étant un démon, possédait une grande intelligence. C’était un amalgame de plus de dix mille démons. Zagan n’avait pas été capable de le vaincre seul. Il y avait bien un moyen, mais il était peu pratique. La pluie de phosphore des cieux des morts gémissantes était une sorcellerie que Zagan avait créée pour détruire absolument tout. Elle était destinée à être utilisée par un groupe, il lui faudrait donc une journée entière pour la tisser seul. Cependant, les démons apparaissaient dans des endroits inattendus à des moments inattendus, il ne pouvait donc pas utiliser cette méthode. Si Néphy ne s’était pas présentée, Zagan n’aurait rien pu faire.
Nous l’avons repoussé, mais je doute qu’il soit mort.
De plus, il y en avait peut-être d’autres de son espèce. Zagan devait donc accumuler du pouvoir. Marchosias préparait aussi quelque chose, il ne pouvait donc pas se permettre de prendre du retard maintenant.
« Celui-là, tu veux dire », dit Zagan en hochant gravement la tête. « C’est vraiment un démon épouvantable. J’ai besoin d’un moyen de le vaincre, lui ou tout autre de son espèce, lors de leur prochaine apparition. Cependant, j’ai d’autres raisons d’enquêter sur les épées sacrées. »
« Et c’est ? » demanda Vepar nerveusement, en déglutissant.
« J’ai l’intention de détruire toutes les épées sacrées », déclara Zagan, une résolution tranquille et absolue dans la voix.
Vepar sursauta. Pour être précis, Zagan voulait libérer les séraphins enfermés dans les épées sacrées, mais cela prendrait beaucoup de temps à expliquer. De plus, libérer les séraphins rendrait les épées sacrées impuissantes, ce qui reviendrait en fin de compte à détruire les armes.
« Pourquoi feriez-vous cela ? » demanda Vepar, une perle de sueur coulant sur sa joue. « Les épées sacrées ne devraient pas représenter une grande menace pour un Archidémon de votre calibre. »
Ils représentaient une certaine menace, mais pas suffisamment pour qu’il doive les briser. Zagan avait du mal à répondre à cette question. C’était parce que l’amant de sa belle-sœur le lui avait demandé et que sa promise le voulait. Cependant, dire cela maintenant risquait de provoquer un malentendu. Alors, après avoir réfléchi à la meilleure façon de répondre à cette question, Zagan trouva une réponse.
« Parce que je l’ai promis à un ami. »
Pour Zagan, Richard était le sauveur de sa belle-sœur et un ami hors pair auprès duquel il pouvait apprendre comment les amoureux étaient censés agir. Il était presque le professeur de Zagan. Zagan parlait avec un respect évident pour lui dans sa voix. Vepar ouvrit la bouche sous le choc. Aucun mot ne sortit, mais après avoir compris, il ferma la bouche et adressa un beau sourire à Zagan.
« Je vois », répondit Vepar. « J’ai entendu dire que vous étiez un homme avec un grand sens du devoir, mais ceci dépasse mon imagination la plus folle. J’aurais aimé rencontrer la personne que vous tenez en si haute estime. »
« Hm ? Je suis sûr que je vous présenterai tous les deux tôt ou tard. »
« Non, je passe mon tour. Ce n’est pas à moi de m’immiscer dans ce genre de choses. »
Vepar parlait comme si Zagan faisait référence au défunt, mais Zagan n’y avait pas vraiment réfléchi.
« En tout cas, même si vous vous taisez pour l’instant à propos de ça, je me doutais que vous étiez hostile envers ce Marchosias » autoproclamé" », poursuit Vepar en hochant la tête. « Même si c’est pour tenir la promesse faite à un ami, il est inattendu que vous mettiez si audacieusement en pièces une source de grand pouvoir. »
Marchosias, qui avait été ramené à la vie sous la forme d’un Nephilim, préparait quelque chose. Il ne s’était pas encore directement battu avec Zagan, mais ce dernier savait qu’un conflit était inévitable après les incidents avec Asmodée et Eligor. Il valait donc mieux que Zagan consacre toutes ses forces à l’affrontement avec Marchosias. Cet Archidémon s’appelait l’Ancien. Il avait vécu mille ans, tout en dirigeant le monde à la fois en public et derrière les rideaux.
« J’ai déjà tout préparé », déclara Zagan en souriant hardiment. « Mes subordonnés sont talentueux, après tout. »
« Je vois. Je suppose que tous les nouveaux Archidémons sont vos subordonnés », marmonna Vepar, avant de comprendre et de sourire à nouveau. « Maintenant que j’y pense, je n’ai pas encore entendu parler de l’un des nouveaux Archidémons. Ça vous dérange si je vous pose des questions à son sujet ? »
Zagan n’avait pas eu besoin de demander à qui il faisait référence.
« Tu veux parler de Shax. Cet homme ne sait pas comment diffuser son nom, c’est compréhensible. Cependant, je crois qu’il est le plus terrifiant des nouveaux Archidémons. »
Foll était la sorcière la plus puissante d’entre eux. Son pouvoir avait détruit le dragon zombie Orobas et avait contraint Asmodée à un match nul. En revanche, Néphy était l’ennemie naturelle de tous les sorciers. Son mysticisme céleste manipulait la nature elle-même, et elle était même suffisamment versée dans la sorcellerie pour que cela ne fasse pas honte à son titre d’Archidémon. Elle était également en phase avec les épées sacrées.
Cependant, malgré tout cela, Shax était le plus terrifiant d’entre eux. Même s’il avait bien saisi les capacités de Foll et de Néphy, c’est ce que Zagan croyait vraiment.
***
Partie 2
« Atchooo ! »
Le « terrifiant Archidémon » laissa échapper un grand éternuement au milieu de la rue. Les piétons qui l’entouraient lui lancèrent des regards agacés. Le printemps était terminé, et c’était le début du mois de Vodi, le temps était donc censé se réchauffer, mais il faisait peut-être encore un peu frais aujourd’hui.
Depuis qu’il était devenu Archidémon, il avait cessé de se voûter et avait remplacé sa robe blanche miteuse par une robe plus digne. Pourtant, il ne dégageait toujours pas un air de majesté. En plus, il était parti en voyage, alors il s’était laissé pousser la barbe, ce qui n’arrangeait rien. La fille qui marchait à côté de Shax le regarda avec une expression inquiète.
« Monsieur Shax, as-tu attrapé un rhume ? »
C’était Kuroka Adelhide, la cait sith de l’extrême est. Ses oreilles triangulaires dépassaient de ses cheveux noirs qui s’agitaient dans tous les sens. Elle avait également des oreilles humaines, et ses yeux auparavant aveugles étaient rouges. Ses deux queues se balançaient avec bonne humeur, contrastant avec son ton inquiet.
Ils se trouvaient tous les deux loin de Kianoides, dans l’ancienne ville d’Aristocrates. Elle avait apparemment été autrefois la capitale d’un grand pays, mais avait décliné en raison de la montée en puissance de l’Église. Elle n’était plus qu’un marigot dont les ruines historiques constituaient la principale attraction touristique. Le paysage urbain est un mélange de vieilles ruines en pierre et de bâtiments en bois beaucoup plus récents. C’était un étrange mélange de cultures, mais curieusement, rien ne semblait vraiment déplacé. Chaque section se complétait l’une l’autre, créant un espace de vie étrangement équilibré.
Il n’y avait qu’un millier d’habitants, donc ce n’était pas très grand. Pourtant, c’était un centre touristique, et il y avait donc pas mal de visiteurs. Le mélange d’une telle ville et d’une fille étrangère semblait tout droit sorti d’un conte de fées, ce qui donnait à ce spectacle un étrange manque de réalité, car avant de venir ici, Kuroka était retournée chez elle, à Liucaon, et portait donc elle aussi un vêtement oriental.
Les tenues de Liucaon donnaient généralement l’impression d’avoir de grandes manches ingérables, mais Kuroka portait actuellement un fringant uniforme militaire. Il s’agissait apparemment de la tenue officielle de la famille Adelhide. Elle portait un écusson familial avec un cordon décoratif sur la poitrine et des épaulettes dorées.
Cette fille le tirait toujours par la manche et pouvait se montrer plutôt puérile, mais elle était en fait la plus forte épéiste du monde, capable de vaincre non seulement un archange, mais même un Archidémon. Le bâton qu’elle tenait dans ses mains contenait le trésor sacré de Liucaon, le ciel sans lune. Combiné à son uniforme, cela lui conférait une dignité digne de sa lignée royale. Shax se trouva complètement charmé par elle.
« Y a-t-il un problème ? » demanda Kuroka.
« Oh, non, rien. Mon nez me démange juste un peu. »
Shax secoua la tête, cachant le fait qu’il était si épris, mais Kuroka plissa les yeux, souriant comme si elle voyait clair en lui.
« Hrgh ! »
Puis, pour une raison ou une autre, elle lui donna un coup de tête. Shax gémit sous l’impact contre ses côtes, tandis que Kuroka ne lui prêtait aucune attention et continuait à presser sa tête contre lui.
Cela arrive souvent ces derniers temps…
On disait que les chats avaient souvent l’habitude de se cogner contre les autres. En est-il de même pour Kuroka ? Quand un chat le faisait, c’était souvent une preuve d’affection. Il n’avait pas besoin de confirmer cette partie avec Kuroka après tout ce temps, et Shax était résolu à répondre à ses sentiments en nature. Il se sentait terriblement désolé de l’avoir fait attendre si longtemps pour qu’il se décide, alors il ne pouvait pas se résoudre à critiquer un tel comportement. Pourtant, il voulait qu’elle réfléchisse à l’heure et à l’endroit. Les regards que leur lançaient les passants étaient douloureux.
« Kurosuke, c’est difficile de marcher…, » dit Shax.
« Hee hee hee, désolée. Je suis juste heureuse de découvrir tes goûts. »
« Mes goûts ? » répéta Shax en penchant la tête.
Kuroka écarta les bras et tourna sur place. Malgré tous les autres piétons qui se trouvaient dehors, ses mains n’avaient heurté personne.
« Tu aimes ces vêtements, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle.
« Eh bien, je ne les déteste pas. »
« Bon sang, ne peux-tu pas dire honnêtement qu’ils me vont bien ? »
« Je suis presque sûr que je te l’ai déjà dit une tonne de fois… »
Shax avait beau être mauvais pour lire l’humeur, il savait au moins féliciter une dame lorsqu’elle s’habillait. Ou plutôt, il avait appris à le faire auprès de son patron Zagan, qui l’avait grondé à maintes reprises avant ce voyage. C’est pourquoi il lui avait dit que ça lui allait bien quand il l’avait vue pour la première fois dans ces vêtements.
Cela signifie-t-il que je n’en ai pas dit assez ?
« Tu sais, les filles veulent être félicitées autant de fois que possible ? » dit Kuroka, ses queues se balançant dans tous les sens.
« Oh là là… C’est la robe de soirée de ta ville natale. Comment pourrait-elle ne pas te convenir, Kurosuke ? Tu es si jolie. »
« Hnnngh… ! »
Il lui donna son opinion en toute honnêteté, et Kuroka s’était raidie en réponse, devenant rouge vif par la même occasion. Elle commença alors à se frotter les joues et à sourire. Même les oreilles humaines qui dépassaient de ses cheveux étaient rouges.
« Heh… Heh heh heh… C’est plutôt embarrassant quand tu me dis ça en face », dit Kuroka.
« Franchement, qu’est-ce que tu attends de moi… ? »
Cela dit, elle semblait avoir apprécié le compliment de Shax. Elle tourna à nouveau sur place, puis continua à marcher à ses côtés. Shax ne put s’empêcher de sourire. Remarquant son regard, les épaules de Kuroka tressaillirent.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle. « Tu fixes mon visage. »
« Je suis juste soulagé de te voir si joyeuse. »
Shax et Kuroka agissaient actuellement sous les ordres secrets de Zagan. Cependant, ces ordres leur avaient été donnés il y a un mois. Pour ce qui est de ce qu’ils avaient fait le mois dernier avant d’agir selon ces ordres, les deux individus avaient visité la ville natale de Kuroka à Liucaon. Ils s’étaient rendus sur les tombes de la famille détruite Adelhide. Liucaon comptait trois familles royales qui protégeaient ses terres : la famille de succubes Hypnoel, la famille de sirènes Neptunia et la famille de cait sith Adelhide.
Et les Adelhides sont morts à cause de moi.
L’Archidémon Shere Khan avait été celui qui les avait tués, mais Shax avait aussi été là en tant que disciple. Il n’avait pas pu arrêter son mentor. Il n’avait pu sauver personne. Kuroka lui avait pardonné, mais cela ne signifiait pas que ses péchés avaient disparu. C’était un crime que Shax devait accepter.
Cependant, même s’ils avaient accepté ces circonstances, cela ne concernait que Shax et Kuroka. Ayant hérité du nom de Roi Tigre, et en tant que disciple direct de Shere Khan, il n’y avait aucune chance que Shax soit bien accueilli sur les terres des Adelhides.
Naturellement, les deux rois restants d’Hypnoel et de Neptunia avaient été furieux. D’ailleurs, Kuroka était également en colère. Kuroka avait simplement essayé de défendre Shax, et ce dernier avait dû faire des pieds et des mains pour qu’ils se calment et discutent. Malgré tout, Kuroka était d’excellente humeur.
« Je dois dire que les oncles Hypnoel et Neptunia ont fini par accepter notre relation, » déclara Kuroka en souriant fièrement. « Ils comprennent aussi que tu as l’intention de rejoindre notre famille. »
Shax avait l’intention de s’occuper de Kuroka pour le reste de sa vie, ce qui revenait à se marier.
« Eh bien, vas-y doucement avec moi, d’accord ? »
Finalement, ils avaient accepté Shax. Eh bien, étant responsables de tant d’espèces rares qui étaient constamment ciblées par les sorciers, ils avaient toujours besoin de puissants soutiens. Même s’il n’était pas le meilleur d’entre eux, Shax portait quand même le titre d’Archidémon et pouvait remplir ce rôle.
« Tu étais tellement cool et audacieux à l’époque », dit Kuroka en souriant jusqu’aux oreilles et en rougissant.
« Je veux dire, comparé au vieux Raphaël qui me poursuit…, » répondit Shax en souriant amèrement.
Lorsqu’il s’était souvenu que le plus terrible des majordomes brandissait son épée sacrée avec une intention mortelle, tout lui avait semblé beaucoup plus relaxant. Au moins, personne n’avait essayé de lui couper la tête en le voyant, et il avait pu leur parler ouvertement.
« Au fait, » dit Kuroka en se souvenant de quelque chose alors qu’elle faisait tourner un doigt dans ses cheveux. « Je connais maintenant tes goûts en matière de vêtements, mais qu’en est-il des cheveux ? »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« Allez, comme long ou court, ou attaché ou lâché. Il y a toutes sortes de styles. »
« Je n’y ai jamais vraiment réfléchi », répondit Shax en croisant les bras. « Je suis presque sûr que n’importe quelle coiffure te conviendrait. »
Kuroka gonfla ses joues et elle déclara : « Ce n’est pas ce que je demande… »
Cela s’était avéré que c’était la mauvaise réponse.
Par contre, je ne connais rien aux cheveux…
Une fois de plus, Shax s’était creusé la tête et avait réfléchi à la question pendant un moment, puis il trouva une réponse.
« Je trouve que ta coiffure habituelle est bien, Kurosuke, » dit-il. « Bon, je suppose qu’une partie de moi veut aussi te voir avec des cheveux longs. »
« H-Hmm, c’est bien ça ? Alors peut-être que je vais essayer de la laisser pousser un peu…, » marmonna Kuroka en tripotant sa frange, l’air plus satisfait qu’elle ne le laissait paraître.
Cela semblait être la bonne réponse. Les joues de Kuroka rougirent et elle serra ses mains devant sa poitrine comme pour se motiver. D’ailleurs, ses deux queues s’enroulaient autour du dos de Shax pendant toute la durée de leur marche, mais elle n’avait pas l’air de s’en rendre compte. Shax essayait de s’y habituer, mais cela le rendait toujours aussi agité.
« En mettant de côté mes goûts, et toi, Kurosuke ? », demanda-t-il en essayant de se ressaisir.
« Moi ? Euh, qu’est-ce que tu veux dire… ? »
« Je parle évidemment de tes goûts. Comme une tenue ou n’importe quoi d’autre. Qu’est-ce que tu attends de moi ? Si je peux faire quelque chose pour toi, je ferai de mon mieux. »
Kuroka faisait des efforts pour son apparence personnelle, alors Shax devait aussi faire quelque chose. Kuroka prit une expression docile, puis s’arrêta. Shax se tourna pour la regarder et la trouva plongée dans ses pensées.
« Euh, c’est un peu problématique de se faire demander ça comme ça, » dit-elle. « Je pense que tu es très bien comme tu es… »
« Tu dis la même chose que moi. »
« Erk… C’est vrai ! Mais ! Mais ! »
Shax ne comprenait pas les subtilités du cœur d’une femme et était horrible pour lire l’humeur. Il avait vécu une vie de regrets, et n’avait donc pas eu l’occasion de ressentir une attirance romantique pour qui que ce soit. Mais Kuroka était pareille… Non, la moitié de sa vie avait été bien plus horrible que tout ce que Shax avait vécu. Bref, Kuroka ne savait pas non plus ce qu’elle attendait d’un amant. Elle commençait à s’agiter lorsque Shax posa sa main sur sa tête.
***
Partie 3
« Ne t’inquiète pas, il n’y a pas besoin de se précipiter », lui déclara-t-il. « Nous avons tous les deux beaucoup de temps. Prenons le temps d’y réfléchir. »
« C’est vrai… »
S’ils ne savaient pas, ils pourraient le découvrir petit à petit. Kuroka hocha la tête en signe de satisfaction, puis tira sur la manche de Shax. Il lui serra la main maladroitement. Mais bon, le simple fait de lui prendre la main comme ça pouvait être considéré comme un progrès. Kuroka ne déclara rien et se contenta de lui rendre la pareille. Ils continuèrent à marcher en silence pendant un moment quand Kuroka finit par marmonner doucement.
« Monsieur Shax. »
« Quoi ? »
« Si je me laisse pousser les cheveux, il y a quelque chose que je veux que tu fasses. Est-ce que tu es d’accord ? »
« Oui, je ferai tout ce que tu veux », répondit immédiatement Shax.
Il ferait tout ce que cette fille lui demanderait sans condition. Peu importe ce que c’était.
Kuroka sourit timidement, puis continua : « L’autre jour, Lady Nephteros et Sire Richard ont fait une certaine chose. J’ai un peu envie de les imiter. »
« Hmm. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? »
« C’est, hum… »
Kuroka trébucha sur ses mots, ayant du mal à lui dire. Il attendit patiemment qu’elle continue, et après un long moment, Kuroka parla d’une voix des plus calmes.
« Je veux que tu… embrasses mes cheveux. »
« Hein ? »
« P-Pas grave ! » hurla Kuroka, devenant rouge jusqu’aux oreilles et agitant les mains en signe de panique.
Qu’est-ce que ces deux-là ont bien pu faire ? Shax avait gémi intérieurement. Si Kuroka était au courant, cela signifiait qu’ils l’avaient fait en public. Shax avait cru que Richard, contrairement à Zagan, était un homme doté d’un bon discernement, aussi, s’étonnait-il de cette évolution.
Quoi qu’il en soit, un baiser dans les cheveux… Comment cela fonctionne-t-il ?
La première chose qui lui était venue à l’esprit était un parent qui embrassait son enfant sur le front. On pourrait dire que c’est un baiser sur la frange. Shax voyait bien le sens de la chose. L’obstacle était bien moins grand qu’un baiser sur les lèvres ou la joue… mais c’était tout de même gênant. Malheureusement, cet homme était désespérément incapable de lire l’humeur. Il ne pouvait même pas imaginer ce que l’acte impliquait réellement, aussi, répondit-il avec un sourire et une aisance décontractée.
« Quoi, est-ce tout ? »
« Hwuh ? »
Kuroka commença à s’agiter comme si elle entendait l’impensable. Shax jeta un coup d’œil autour de lui. Malheureusement, il y avait beaucoup de monde autour de lui. Il voulait faire ce que Kuroka souhaitait, mais le faire au milieu d’une rue peuplée manquait de bon sens.
« On dirait qu’il n’y a pas beaucoup de monde là-bas », déclara-t-il.
« Hein ? Qu’est-ce qu’il y a ? Attends ? »
Shax tira la main de Kuroka, puis s’engagea dans une ruelle vide. Il avait bien entendu attiré quelques regards en raison de son changement soudain de direction, mais personne ne lui prêta plus d’attention que cela.
« D’accord, juste ici devrait faire l’affaire. »
« Qu’est-ce qu’il faut faire ? Devrais-tu faire ? Bien n — Hyah !? »
« H-Hey ! »
Perdant la tête à cause du choc pour une raison inconnue, Kuroka trébucha sur un morceau de bois inexplicablement placé, dégringolant en arrière. Shax essaya de la soutenir, mais c’était si soudain qu’il tituba et que sa paume heurta le mur. Par conséquent, il était maintenant suspendu au-dessus de Kuroka.
Ils étaient assez près l’un de l’autre pour que leurs nez se touchent. Peut-être pour sauver les apparences en vue de leur destination, un doux parfum s’échappa d’elle. Kuroka serra son bâton devant elle, les larmes brouillant ses yeux. Cependant, elle ne montrait aucun signe de vouloir le repousser. Les yeux de Shax furent attirés par les lèvres roses tremblantes de la jeune femme, et il eut un haut-le-cœur involontaire.
Merde, j’ai l’impression de faire quelque chose de vraiment indécent.
Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Il se demandait pourquoi cette fille était si sans défense. Il essaya de toucher sa joue. Elle sursauta d’abord, puis leva sa propre main vers son visage. En y réfléchissant bien, elle était adulte, et leur entourage avait déjà accepté leur relation. Rien ne s’opposait à leur relation, si ce n’est la lâcheté de Shax.
Attends, ce n’est pas la question !
C’était censé être le moment de planter un baiser dans ses cheveux.
« Prête, Kuroka ? » demanda Shax, comme s’il préparait son cœur à ce qui allait suivre.
« O-Oui. »
Kuroka ferma les yeux et leva la tête.
L’ambiance donne l’impression que nous sommes sur le point de nous embrasser, mais ce n’est pas ce qui se passe, d’accord ?
Il avait envie d’embrasser ses cheveux maintenant pour la mettre dans l’embarras, mais Shax se demandait s’il serait capable de garder sa raison s’il l’embrassait sur les lèvres. Ainsi, alors qu’il approchait son visage de son front… Kuroka ouvrit soudain les yeux. Son regard n’était pas l’adorable regard qu’elle faisait, mais un regard avec le tranchant d’une lame dégainée. Ses yeux cramoisis ne regardaient pas Shax, mais à l’instant où ils s’étaient détournés de lui, son cœur avait palpité avec force.
« Là-bas, espèce de démon ! »
Kuroka dégaina rapidement un couteau de lancer de sa manche et le lança plus profondément dans la ruelle.
« Quoi — !? »
Kuroka changea également de posture, ses oreilles triangulaires se dressant devant Shax. Il ouvrit la bouche sous le choc, et du coup… l’une de ses oreilles s’y enfonça directement alors qu’il la refermait.
« Hwah… ? »
Kuroka se figea. En peu de temps, son visage devint suffisamment rouge pour prendre feu.
« Myaaah… ? »
Ses yeux s’étaient retournés et elle s’était mise à genoux.
« Kurosuke ? »
Shax l’avait soutenue en panique, les yeux fixés dans la direction où elle avait jeté le couteau. Il n’y avait personne. Le couteau était planté dans le mur.
Kurosuke a raté… ?
Non, même en tenant compte de la situation, il était douteux qu’elle le rate, ce qui signifiait que quelqu’un l’avait esquivé.
« Il semblerait qu’un fou nous suive… »
Compte tenu de la personne que Shax était sur le point de rencontrer, c’était une hypothèse tout à fait raisonnable.
◇
« La reine des fées Néphélia… »
Néphy marmonnait le surnom qu’on lui avait donné alors qu’elle était assise à l’intérieur de sa chambre dans le palais de l’Archidémon. Il lui semblait que ce surnom était trop grand pour une novice. Il appartenait à sa mère, Titania Nimueh Oberon. Zagan l’avait donné à Néphy le jour de son anniversaire. C’est à ce moment-là qu’on lui avait donné le surnom, mais elle le connaissait déjà.
« Et toi, tu es la reine des fées Néphélia, c’est ça ? »
L’astrologue Eligor avait appelé Néphy par ce nom avant même qu’elle ne le reçoive. Néphy l’avait ignoré à l’époque, ne sachant pas ce que cela signifiait, mais après avoir fait des recherches, elle avait découvert qu’il s’agissait du surnom de sa mère. Grâce à cela, elle en connaissait la signification lorsque Zagan le lui avait donné. Cependant, Eligor l’avait su à l’avance car l’astrologue pouvait voir l’avenir. Elle ne faisait pas de prédictions. Elle voyait l’avenir inévitable.
« C’est après tout comme ça que tu détruiras le monde. »
C’est ce qu’avait dit Eligor lorsque Néphy lui avait tourné le dos pour s’enfuir. Pourtant, Néphy était sûre de ne pas avoir mal entendu. C’était sans doute la raison de l’énorme animosité d’Eligor à son égard.
Qu’est-ce que je vais faire, je me demande… ?
Honnêtement, Néphy pensait que c’était une exagération. Elle était devenue un archidémon surtout à cause des circonstances. Barbatos ou Gremory auraient été des sorciers bien plus appropriés. Il lui était impossible de croire qu’elle détruirait un jour le monde. Même avec le mysticisme céleste, les habitants du monde n’étaient pas si faibles qu’ils lui permettraient de les détruire à elle seule. De plus, avant tout cela, si jamais Néphy s’égarait à ce point, Zagan l’arrêterait.
Quoi qu’il arrive à Zagan, Néphy serait toujours son alliée. Ce n’était pas une croyance aveugle, une servitude ou une adoration. C’était parce qu’elle l’aimait. Si elle pensait qu’il prenait le mauvais chemin, elle mettrait sa vie en jeu pour l’arrêter. Elle le ferait par tous les moyens nécessaires. Elle était donc certaine que Zagan ressentait la même chose à son égard. Après tout, il était d’une gentillesse et d’une rigueur à toute épreuve.
Si Néphy faisait quelque chose qui menaçait de détruire le monde, il la gronderait certainement, puis l’arrêterait. Il lui dirait que ce n’est pas la Néphy dont il est tombé amoureux. C’est justement parce qu’elle en était convaincue qu’elle ne comprenait pas.
Que vais-je faire exactement, et pourquoi, pour provoquer la destruction du monde ?
Peut-être que ce n’était pas littéral et qu’il s’agissait plutôt d’une métaphore. Cependant, la déclaration d’Eligor ne pouvait pas être une remarque irréfléchie, il valait donc mieux supposer qu’il s’agissait d’un futur inévitable.
Néphy en avait assez d’être appelée « l’enfant maudit qui détruira le monde » par les elfes du village caché. C’était essentiellement leur façon de la saluer. Ils avaient tous péri parce que Néphy les avait abandonnés, et en ce sens, elle avait détruit leur monde. Cependant, les mots d’Eligor avaient une autre connotation.
« Ce n’était probablement pas une malédiction, mais un conseil. »
C’était une mise en garde pour la préparer à ce qui l’attendait. Bien qu’il ne lui ait parlé que très peu, Néphy savait qu’Eligor était une personne douce et gentille dans l’âme. C’était peut-être une façon comique de décrire un Archidémon, mais même si elle disait que l’avenir ne pouvait pas être changé, Eligor priait pour qu’il le soit. Non, elle se battait bec et ongles pour essayer de le changer. Eligor n’avait pas renoncé à l’avenir. C’est pourquoi Néphy éprouvait de la sympathie pour elle. Elle avait été hostile, mais ce n’était pas la même chose que la haine répugnante des elfes.
Néphy devait mettre à profit les conseils d’Eligor. Elle devait se préparer. Cependant, cela la ramenait à sa question initiale. Qu’allait-elle faire exactement à l’avenir ?
« J’aimerais la rencontrer une fois de plus et lui demander… »
Et alors qu’elle continuait à agoniser sur de telles pensées, on frappa de l’autre côté de la porte.
« Oui, qui est-ce ? »
« Néphy, tu es là ? »
Celle qui avait jeté un coup d’œil à l’intérieur était sa fille, Foll. Elle était également un Archidémon à présent et régnait sur son propre territoire. Elle y consacrait toute son énergie depuis quelque temps, si bien qu’elle n’était pas souvent revenue. En la voyant, Néphy sentit ses joues se détendre en un sourire.
« Bienvenue, Foll », dit-elle en écartant les bras.
Foll se précipita sur elle en poussant de petits cris et sauta contre sa poitrine.
« Je suis de retour, Néphy. »
On dit que les enfants grandissent vite, mais Néphy avait l’impression que c’était particulièrement vrai pour Foll. Elle ne savait pas combien de temps encore elle pourrait dorloter la petite dragonne de la sorte. Néphy retourna l’étreinte de Foll avec toute l’affection dont elle était capable.
***
Partie 4
« Comment ça se passe là-bas ? » demanda Néphy. « Est-ce que quelque chose te préoccupe ? »
« Tu es vraiment inquiète, Néphy. Je vais bien. Dexia, Shura et les autres m’aident pour tous les trucs difficiles. »
« Hee hee, on dirait qu’il n’y a déjà plus rien où je peux t’aider. »
« Je suis plus heureuse quand tu es toujours la même Néphy », dit Foll en se dégageant des bras de Néphy et en s’asseyant sur ses genoux. « Qu’est-ce qu’on mange ? »
« Une tourte à la viande aux herbes, une soupe d’agneau et un pudding à la mandragore pour le dessert. »
« Oh ! Tous mes favoris ! »
« C’est après tout la première fois que tu reviens depuis longtemps. Maître Zagan est lui aussi ravi. »
« Heh heh heh… »
« Ah oui, Dexia et Aristella se portent-elles bien ? » demanda Néphy en caressant les cheveux de Foll.
Comprenant immédiatement ce qu’elle voulait dire, Foll hocha la tête sérieusement.
« Je pense qu’elles vont très bien… et de toute façon, personne ne cherche encore la capitale des opprimés. »
Les jumelles néphilims qui servaient de conseillers à Foll étaient actuellement la cible de l’Archidémon Glasya-Labolas. Il n’était pas évident de savoir s’il visait Dexia ou Aristella. Peut-être visait-il les deux, ou peut-être ne savait-il même pas lui-même laquelle des deux il visait. Bien qu’il en soit venu aux mains une fois déjà, il ne montrait aucun signe évident d’attaquer à nouveau.
Je me demande si Lisette va bien.
Cette fille partageait le visage des jumelles, mais vu que Zagan ne l’avait pas mentionnée, il était peu probable qu’elle soit prise pour cible. Lisette vivait à Raziel, où se trouvaient Stella, Ginias et les autres. Même un Archidémon ne pouvait pas agir de façon inconsidérée là-bas.
« Je doute qu’il ait abandonné, mais j’ai l’impression qu’il se retient pour l’instant », déclara Foll.
« On ne peut qu’espérer… »
Ces filles avaient également mené une vie difficile, Néphy espérait donc qu’elles pourraient un jour vivre en paix.
Cet homme a infligé tant de blessures à Maître Zagan. Il vaudrait mieux que nous n’ayons jamais à le combattre…
Cependant, le fait qu’il ait reculé tranquillement était plutôt de mauvais augure. Alors que Néphy réfléchissait à la question, Foll leva les yeux et changea de sujet.
« Ah oui ! J’ai rencontré Nephteros sur le chemin du retour. »
« Oh, vraiment ? Est-ce qu’elle se porte bien ? Elle a été terriblement occupée ces derniers temps. »
« Elle dit que la Tête de Cheval est coincée en mode pleurnicharde, alors c’est une énorme douleur. »
« Aaah… »
Un mois s’était écoulé depuis, et Chastille ne s’était toujours pas remise. C’était un peu inévitable, compte tenu de ce qui s’était passé.
« Si la Tête de cheval sert de jouet encore longtemps, Nephteros la perdra », ajouta Foll.
« Je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter. Maître Zagan a atteint son objectif. »
Foll pencha la tête et demanda : « L’homme à tout faire et la Tête de cheval n’ont toujours rien fait. Est-ce que ce n’est pas grave si cela n’avance pas ? »
« Maître Zagan voulait que les chevaliers angéliques et les sorciers se réconcilient. Il a fait un spectacle de leur relation dans ce but, rien de plus. »
Foll n’avait pas l’air tout à fait convaincue.
« Je ne comprends pas vraiment. Tout le monde pense qu’ils sont en couple, mais ils ne sortent toujours pas ensemble. Est-ce normal que la réalité ne corresponde pas à l’histoire ? »
Néphy sourit et passa doucement son doigt le long de la corne de Foll.
« Alors, disons que Chastille et le seigneur Barbatos sortent vraiment ensemble. Que penses-tu qu’ils diront si tu les interroges à ce sujet ? »
Foll sombra dans la réflexion, gémit pendant dix bonnes secondes, puis marmonna d’un air dubitatif : « “N-N-Nous ne sortons pas vraiment ensemble”… !, ça sonne plutôt juste. »
Elle avait même imité le ton de Barbatos. Néphy faillit éclater de rire et se tourna sur le côté pour cacher son visage.
« N’est-ce pas la même chose qu’ils sortent réellement ensemble ou non ? » demanda-t-elle.
« C’est vrai… »
L’important était que tout le monde soit au courant de leur existence. La façon dont ils percevaient leur propre relation n’avait pas d’importance. Tout le monde savait qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre, mais ils refusaient de l’admettre. Leur relation ne risquait pas de changer même s’ils commençaient à sortir ensemble, donc leur propre perception était sans importance.
D’ailleurs, nous n’arriverons jamais à les faire admettre sans aller au moins aussi loin…
Pourtant, le choc avait peut-être été un peu trop grand pour Chastille. Mais Barbatos était sûr de faire quelque chose pour elle, il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter.
« L’amour reste un mystère total pour moi », déclara Foll, alors que son visage affichait un air ahuri. « Je n’arrive pas à le comprendre. »
« Eh bien, tu comprendras un jour quand tu tomberas amoureuse. »
Si ce moment arrivait un jour, Néphy était sûre qu’elle, Zagan et Raphaël feraient un énorme tapage.
« Oublie la tête de cheval. Ça va, Néphy ? » demanda Foll en levant les yeux vers elle.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« On dirait que tu t’es inquiétée de quelque chose ces derniers temps. »
Il semblerait que les enfants gardent toujours un œil attentif sur leurs parents.
Je ne peux pas aller inquiéter Foll, n’est-ce pas ?
Cela dit, cette fille était l’aînée de Néphy, à la fois en termes de sorcier et d’Archidémon. Après avoir accepté ce fait, il valait peut-être mieux s’ouvrir à elle.
« C’est vrai… » commença Néphy. « Pour te dire la vérité, j’ai rencontré une certaine Lady Eligor… »
Néphy raconta à Foll le conseil qu’on lui avait donné.
« Tu vas détruire le monde ? » demanda Foll, les yeux écarquillés par le choc.
« Il semblerait que oui. »
« Comment ? »
« Je ne sais pas. »
Foll regarda le sol, plongé dans ses pensées.
« S’il y a quelque chose qui peut accomplir cela, c’est le mysticisme céleste. »
« Peut-être, mais on pourrait dire la même chose de ma mère et de Nephteros. »
Même après être devenue Archidémon, Néphy n’avait pas pu égaler la puissance de sa mère. Maintenant que Nephteros avait un corps stable, elle possédait également un pouvoir qui rivalisait avec celui de Néphy. Si l’on tient compte de la sorcellerie de Nephteros, elle avait peut-être même une longueur d’avance sur Néphy. Quoi qu’il en soit, Néphy allait apparemment être celle qui détruirait le monde.
Foll secoua la tête en signe de résignation et demanda : « As-tu parlé à Zagan ? »
« Non… je voulais saisir un indice quelconque avant de le consulter. Il est terriblement occupé en ce moment. »
« Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? »
« Une petite affaire impliquant les épées sacrées. Il est actuellement en pleine discussion avec le seigneur Vepar, un ancien candidat Archidémon. »
« Un ancien candidat Archidémon ? » répéta Foll en se triturant les sourcils.
« Le connais-tu ? »
« Non. Je ne me suis jamais vraiment impliqué avec les autres candidats, » Foll fit une pause, puis se rendit compte de la situation. « Oh. Mais j’en ai rencontré un. »
« As-tu été proche ? »
Foll secoua la tête avec crainte et répondit : « Non. Je n’ai fait que l’apercevoir de loin, mais j’ai eu peur. »
« Vraiment ? »
Foll trembla.
« Le Dieu du tonnerre Furfur — un étrange sorcier dont l’identité est un mystère complet. »
Même après avoir obtenu un pouvoir considérable en tant qu’Archidémon, Foll parlait de lui avec de la terreur dans la voix.
◇
« Mon père… Répondez-moi s’il vous plaît. L’argent de l’assurance en cas de décès dans l’exercice de ses fonctions est-il suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille de cinq personnes ? »
À l’intérieur de l’Église d’Aristocrates, Micca plaidait à moitié jusqu’aux larmes. Dans un coin de la chapelle se trouvait une petite cabine avec deux espaces juste assez grands pour qu’un adulte puisse s’y asseoir. Au-delà de la fenêtre qui divisait les espaces se trouvait un prêtre décharné qui semblait avoir une trentaine d’années. C’était une petite église, il n’y avait donc pas d’évêque comme à Raziel.
« Seigneur Salvarra… » déclara le prêtre d’un ton visiblement troublé. « Je ne crois pas être en mesure de répondre à cette question. D’ailleurs, c’est un endroit où l’on peut confesser ses péchés. »
Sa réaction chagrine n’était pas simplement due au fait que la question portait sur l’argent. Micca était un archange, donc par commodité, il portait le titre d’évêque. Quiconque se verrait poser une telle question par une personne d’un statut plus élevé resterait perplexe. Néanmoins, c’était la seule personne à laquelle Micca pouvait se raccrocher, alors il continua sa plaidoirie.
« S’il vous plaît, écoutez-moi, mon père. On m’a envoyé ici pour observer la réunion clandestine d’un Archidémon en ville. Je manie une épée sacrée, mais je suis du rang le plus bas qui soit. Père, croyez-vous que je puisse rentrer chez moi en vie ? »
« Aah… Umm, j’ai entendu dire qu’il était très rare qu’un archange soit aussi jeune que vous. C’est peut-être difficile pour vous maintenant, mais il est essentiel d’avoir plus confiance en vous. »
Le prêtre ne lui donnerait rien d’autre que des platitudes.
Je voulais au moins vivre assez longtemps pour que mes plus jeunes frères puissent aller à l’école… La vie est une chose si bon marché. Si Micca mourait, Ayla serait obligée de partir en apprentissage. À ce moment-là, ses petits frères ne pourraient pas gérer seuls la maison et leur mère. Sa famille était en pleine crise. Ils pourraient au moins me donner une aide ou quelque chose comme ça…
« Seigneur Salvarra, » poursuit le prêtre, la voix emplie d’optimisme. « J’ai entendu dire que cette mission vous avait été confiée sur la recommandation de Lady Diekmeyer. C’est peut-être une femme particulière, mais j’ai entendu dire que ses compétences étaient assurées. Cette même Lady Diekmeyer vous a reconnu. Je vous prie de croire en vous. »
Cela n’avait fait que plonger davantage Micca dans les profondeurs du désespoir. Ainsi, même Lady Diekmeyer a renoncé à moi… Elle ne savait pas comment se retenir, mais elle était d’une gentillesse inattendue. Bien qu’il n’ait fait aucun progrès, elle avait dit à Micca : « Les gens ont des qualités et des défauts, Micca. Tu peux simplement t’améliorer dans ce pour quoi tu es fait. » Ces mots l’avaient sauvé à l’époque. Et pourtant, au bout du compte, il n’avait jamais bloqué une épée à l’entraînement, et encore moins porté une touche correcte. Il était donc logique de conclure qu’il n’avait aucun talent pour cela. Micca quitta la cabine de confession, complètement découragé.
« Désolé, Ayla. On dirait que c’est la fin pour ton grand frère… »
Micca avait l’impression qu’il allait pleurer s’il se mettait à pencher la tête, alors il fit le contraire. De rares nuages flottaient dans le ciel bleu clair, et un léger rayon de soleil se déversait sur lui. Aristocrates avait décliné depuis ses jours de gloire, mais c’était une ville tranquille et agréable à vivre. S’il n’était pas devenu un archange, Micca aurait aimé ouvrir une boutique ou quelque chose comme ça pour passer le reste de ses jours.
Il continuait d’observer la ville lorsqu’une certaine fille entre dans son champ de vision. Ses cheveux, longs jusqu’aux épaules, étaient d’un noir corbeau, sur lesquels elle portait une coiffe à froufrous. Elle regardait autour d’elle d’un air troublé. Elle semblait chercher quelque chose, mais les touristes qui l’entouraient ne faisaient pas attention à elle.
***
Partie 5
« Je ne peux pas vraiment la laisser seule, n’est-ce pas… ? »
Il n’y avait plus rien à faire maintenant qu’il l’avait vue. Micca se fraya un chemin dans la foule en courant vers elle.
« Toi là, as-tu fait tomber quelque chose ? »
La jeune fille leva les yeux vers Micca, choquée. Peut-être nerveuse, son expression était très raide. On aurait dit une poupée. Elle devait avoir entre quinze et seize ans, ce qui lui donnait le même âge que Micca. Ses grands yeux ronds étaient violets, ce qui lui donnait une allure un peu mystérieuse. La bouche de Micca s’était ouverte à cette vue. Elle était en plein dans sa zone de frappe. La jeune fille l’avait regardé fixement en penchant la tête. Cela ramena Micca à la raison.
« Ah, euh, je ne suis pas quelqu’un de suspect. Je suis un chevalier angélique. Si quelque chose te préoccupe, je peux t’apporter mon aide. »
Il était évident au premier coup d’œil qu’il était un chevalier angélique, mais c’était la mauvaise habitude de Micca de se présenter ainsi. Il était également fréquent qu’il enchaîne en panique et qu’on lui réponde : « Je vais bien. » Cela donnait l’impression qu’il essayait de draguer, mais Micca essayait de garder un ton ferme.
« Un chevalier angélique ? » répéta la jeune fille, l’air quelque peu soulagé.
Elle avait une belle voix, comme celle d’un oiseau chanteur qui gazouille pour signaler l’arrivée du printemps. Même si cela l’envoûtait, Micca acquiesça d’une certaine façon.
« Mm-hmm. Un chevalier angélique. »
La jeune fille fouilla un peu dans son tablier, puis en sortit un bout de papier.
« Es-tu obsédé par les histoires d’amour ? » demanda-t-elle.
« Non… C’est un peu faux. »
« C’est un peu faux ? »
Comme on pouvait s’y attendre, il s’agissait de l’article sur Lillqvist. C’est vraiment une fille particulière…
La jeune fille affaissa ses épaules en signe de déception pour une raison inconnue, puis rangea à nouveau le papier à ragots dans son tablier.
« S’est-il passé quelque chose ? » demande Micca. « Ça fait un moment que tu regardes autour de toi sans bouger. »
« Je suis… en train d’enquêter ? En train de chercher ? Pour mon maître. »
Micca n’était pas tout à fait sûr de la raison de l’inflexion interrogative.
« Ummm, étiez-vous séparés ? » demande-t-il. « Êtes-vous tous les deux du coin ? »
La jeune fille secoua la tête. Ses cheveux noirs se balançaient, chatouillant le nez de Micca d’un parfum fleuri.
« Pas de… du coin. Séparés ? Inconnu. Tout d’un coup… disparu. »
« Je suis presque sûr que c’est ce que veut dire séparé. »
« Je vois ? Disparaître… c’est se séparer. Noté. »
« Alors… ton maître est quelque part en ville ? » demande Micca en retenant un sourire. « Sais-tu où tu as été séparée de lui ? »
La jeune fille secoua à nouveau la tête. « Destination ? Inconnue. En ville… inconnue également. »
« Hmmm. Alors sais-tu pourquoi vous êtes venus ici tous les deux ? »
Une fois de plus, la jeune fille secoua la tête. « Le but… inconnu. Le maître… n’est pas doué pour parler. »
« Aaah… Je vois. »
Ce qui veut dire que sa façon de parler avait probablement été héritée de son maître. En tout cas, cela signifiait qu’on ne lui avait rien dit.
« C’est un peu un problème, » dit Micca. « Hmmm, que faire ? Veux-tu essayer d’attendre à l’église ? Si tu es perdu, ton maître viendra peut-être te chercher là-bas. »
La jeune fille secoua à nouveau la tête. « Le maître a dit… de ne pas s’approcher de l’Église. »
« Hein ? Pourquoi ? »
« Le Maître… déteste ? Ennemi ? De l’Église. »
Micca était devenu tout pâle. Hum, un ennemi de l’Église signifie un sorcier, n’est-ce pas ? En voyant sa réaction, la jeune fille perdit confiance en ses paroles et pencha la tête. Micca entendit un grincement comme si quelqu’un avait ouvert une porte.
« Mots… corrects ? Description… adaptée ? »
En voyant cela, Micca envisagea une autre possibilité. Peut-être vient-elle d’un endroit où l’on parle une autre langue ? On disait qu’il y a des terres comme les terres saintes du nord et certaines parties de l’île-nation de Liucaon où les gens parlent d’autres langues. L’Église n’ayant aucune influence sur ces terres, il arrivait qu’elle se heurte aux croyances locales. Les mots « haine » et « ennemi » pourraient décrire une telle situation. Si elle venait d’un tel endroit, son discours chancelant était également compréhensible.
« Oui, » dit Micca en souriant pour la mettre à l’aise. « C’est surtout moi qui l’ai compris, alors tu t’en sors bien. »
Micca était revenu sur ce qu’elle avait dit.
Quelqu’un qui vient de loin avec une femme de chambre doit être assez important, n’est-ce pas ? Cela signifie qu’il pourrait s’agir d’une affaire délicate. L’autre jour, on avait appris qu’un membre de la famille royale de Liucaon avait été secrètement amené à travailler comme prêtre pour l’Église, et cette nation s’y opposait farouchement. C’était probablement un problème du côté de Liucaon, mais la section à laquelle elle avait été affectée se tenait apparemment à l’écart des regards du public. De plus, la personne en question possédait un statut important et une grande habileté à l’épée. On disait qu’elle était la première personne depuis des centaines d’années à obtenir le titre de Sainte de l’épée.
Liucaon avait clairement compris les faiblesses de l’Église. C’est pourquoi les relations avec les puissances autres que les simples sorciers vacillaient. Honnêtement, on pouvait se demander si son maître s’appuierait sur l’Église dans une telle situation.
Techniquement, je suis ici pour travailler, mais… le fait de Surveiller un Archidémon est clairement au-dessus de ses forces. S’il s’approchait suffisamment pour en observer un, Micca serait tout simplement tué sur place.
« D’accord ! J’ai compris. Je vais t’aider à chercher ton maître. »
Micca avait seize ans. Il était inévitable qu’il choisisse d’aider une fille dans le besoin plutôt que de faire une mission où il était sûr de mourir.
C’est juste un petit détour. Je ne m’enfuis pas du tout. S’il s’enfuyait, cela pourrait avoir un effet sur l’argent de l’assurance-vie. Abandonner son devoir était une chose qu’il ne pouvait pas se permettre de faire.
« Je n’ai pas… d’argent », déclara la jeune fille en le fixant avec étonnement.
« Peux-tu ne pas me traiter comme un arnaqueur ? »
« J’ai entendu dire que la gentillesse avait… un prix ? Qu’elle coûte de l’argent ? »
Eh bien, proposer son aide gratuitement semblait plutôt louche. Il semblerait que le maître de cette fille lui ait au moins appris cela.
« C’est le devoir d’un chevalier angélique d’aider les gens dans le besoin, » dit Micca aussi gentiment que possible.
« Vraiment ? Mon devoir… est d’aider mon maître. »
La fille gonfla sa poitrine avec fierté dans une étrange démonstration de rivalité. C’est à ce moment-là que Micca s’est rendu compte de la situation.
« Par aide, veux-tu dire que ton maître est en mauvaise santé ? » demanda-t-il.
« Mauvaise… santé ? Inconnu. Mais quand il marche… il utilise toujours une canne. »
« Une canne… Alors ton maître est plutôt âgé ? »
« Âge… inconnu. »
Même s’il s’agissait de son maître, il y a beaucoup de choses qu’elle ne sait pas. Apparemment, ce maître n’est pas doué pour parler, alors je suppose que c’est logique…
« Alors, peux-tu me dire à quoi ressemble ton maître ? » demanda Micca.
Ce n’est que maintenant que la jeune fille recula prudemment.
« Pourquoi… as-tu besoin de savoir ? » demanda-t-elle.
« Ne devions-nous pas partir à la recherche de cette personne ? »
« Oui. Est-ce bien ça ? »
Micca commençait à avoir mal à la tête.
« Comment vais-je trouver quelqu’un que je ne peux pas identifier ? »
« Je vois. Je n’y avais pas… pensé. »
La jeune fille tapa dans ses mains comme si c’était une idée formidable. Elle s’enfonça ensuite dans le silence pendant un moment avant d’ouvrir la bouche pour parler avec difficulté.
« Mon maître… est un homme. »
« Mm-hmm. »
« Oui. »
« Hum… Et ? »
La fille cligna des yeux, confuse, comme si elle demandait : « Pourquoi cela ne suffit-il pas ? »
« Quelle est… la bonne réponse ? » demanda-t-elle.
« Hmmm. Tu sais, comme la longueur des cheveux, l’âge ou la taille. »
« Ses cheveux… plus courts que les miens. »
« C’est assez courant chez les hommes. »
« Et… plus âgé que moi ? C’est ainsi qu’il apparaît. »
« C’est assez courant pour un maître. »
« Taille… plus grande que moi. »
« Je vois. Tu es plutôt petite. »
Une sueur froide coula le long de la joue de Micca alors qu’il essayait de garder le sourire. Que dois-je faire ? Tout ce que ça me dit, c’est que c’est un homme. Pourtant, elle faisait de son mieux pour lui répondre à sa manière. Il n’avait pas d’autre choix que de mener cette recherche avec de si maigres indices.
« Ummm… Oh, c’est vrai ! Si tu n’es pas de la ville, il aura besoin d’un endroit pour dormir, n’est-ce pas ? Et si tu cherchais dans les auberges ? »
« Une bonne idée. Oui. Une idée brillante. »
Après avoir poussé un soupir d’admiration, la jeune fille hocha la tête à plusieurs reprises. Ce geste rappelait à Micca sa sœur Ayla, et il ne put s’empêcher de sourire. Tout d’abord, il devait trouver où se trouvaient les auberges de cette ville. C’était un lieu touristique, il y en avait donc beaucoup. Il était sûr de le trouver s’il se rendait dans des endroits très fréquentés.
« Une servante qui a été séparée d’un monsieur ? Je n’ai rien entendu à ce sujet. »
« Vraiment ? Si vous entendez quoi que ce soit, transmettez l’information à l’église, s’il vous plaît. »
Eh bien, il était hors de question que Micca le retrouve aussi rapidement. Sa première tentative s’était soldée par un échec. Il s’inclina devant l’aubergiste et la fille l’imita. Après cela, ils retournèrent dans la rue et tombèrent par hasard sur un vieil homme.
« Wôw là, attention. »
Par réflexe, Micca s’avança devant la jeune fille pour l’arrêter, mais finit par heurter le vieil homme à sa place.
« Hmmm… ? »
« D-Désolé ! êtes-vous blessé ? »
Micca baissa la tête d’un air agité, et le vieil homme se détendit, comme décontenancé par son comportement. Il ôta alors son chapeau et sourit doucement.
« Non. Excusez mon inattention. Je dois plutôt vous demander si vous êtes blessé, mon garçon, et la petite dame là-bas aussi. »
Le vieil homme portait un monocle sur l’œil droit et une canne surmontée d’une tête de chien décorative. Il avait une épée de style étranger à la taille et portait une queue de pie. Micca échangea un regard avec la jeune fille, puis laissa échapper un soupir de soulagement.
« Nous allons bien tous les deux. »
« Superbe. Ce soir s’annonce comme une nuit splendide. Se blesser maintenant serait un tel gâchis. »
« Une nuit splendide… ? » répéta Micca. »Y a-t-il un festival ou une autre fête comme ça ? »
« Je vous dis adieu », dit le vieil homme en remettant son chapeau. « Mon garçon, ma petite dame, passez une merveilleuse soirée. »
Il partit ensuite d’un air serein. Micca leva les yeux. Le soleil commençait à se coucher, mais il restait encore quelques heures avant le soir.
« Quel vieil homme pressé, hein ? »
« Oui. Il était ? »
La jeune fille pencha à nouveau la tête, ne précisant pas si elle avait compris ou non. Micca n’avait aucune idée du genre de monstre qu’ils venaient de rencontrer.
***
Chapitre 2 : La rencontre avec un Archidémon est trop difficile pour deux débutants en amour
Partie 1
« Haah… Qu’est-ce que je dois faire à partir de maintenant ? »
Chastille dînait chez elle, ce qui était rare, et laissa échapper un profond soupir. Elle avait un jour de congé, alors elle avait les cheveux lâchés et portait une chemise et une jupe simples. Sa relation avec Barbatos, les détails de leur rendez-vous et à peu près tout ce qui concernait leur association s’étaient répandus sur tout le continent il y a un mois. Après une série constante d’erreurs insignifiantes au travail, Nephteros l’avait finalement forcée à quitter son bureau pour se reposer convenablement.
Depuis, les choses étaient tellement gênantes que Chastille n’avait pas pu parler à Barbatos. Il était encore dans l’ombre à ses pieds, alors il avait l’œil sur elle. Chastille ébouriffa ses cheveux écarlates, ses yeux également écarlates étant constamment remplis de larmes depuis quelque temps.
La nourriture qu’elle avait préparée distraitement avait l’air bien plus atroce que d’habitude. Si Néphy voyait la substance dangereuse, elle risquerait de mettre la cuisine en quarantaine. Un jour, elle avait dit à Chastille : « Les esprits risquent de mourir, alors permets-moi de prendre le relais » à propos de sa cuisine, puis elle avait expulsé Chastille de la cuisine. Le goût était horrible, bien sûr, mais Chastille ne pouvait rien goûter dans son état actuel.
En tant qu’archange et chef de la faction d’unification, elle avait d’innombrables choses à faire. Et pourtant, une simple histoire d’amour avait tout interrompu.
Reprends-toi, Chastille ! Ta détermination se résume-t-elle à cela après avoir pris l’épée sacrée et poursuivi ton frère !? Elle se tapa les joues pour se réconforter, mais…
« Au fait, Chasty, Barbatos ne se joindra-t-il pas à nous pour le dîner ? »
« Pffft !? »
Les mots que sa mère avait lancés depuis l’autre côté de la table avaient fait cracher à Chastille des fragments de viande brûlés — ce qui était censé être un steak. Chastille avait hérité ses yeux écarlates de sa mère. Mais contrairement à sa fille, la mère de Chastille ne comprenait pas le concept de tension. Elle arborait toujours un sourire insouciant, et malgré sa quarantaine, il lui arrivait de se perdre en ville à la poursuite de papillons ou autres. Elle paraissait plus jeune qu’elle ne l’était, mais on pouvait facilement penser que son âge mental était égal ou inférieur à celui de Chastille.
« Qu-Qu-Qu-Qu-Qu’est-ce que tu dis, maman !? »
« Oh là là ! Barbatos n’est-il pas la fée qui prend toujours le thé dans ta chambre ? Tu ne manges pas souvent à la maison, alors tu aurais dû l’emmener. »
La mère de Chastille était une personne très douce et calme, et pour le meilleur ou pour le pire, elle ignorait tout du monde. Un chevalier angélique ne pouvait pas avoir de relation avec un…
« Attends. Comment es-tu au courant de ça ? » demanda Chastille.
« Hm ? Essayais-tu de le cacher ? Oh là là, tu dois faire plus attention. Nos murs sont minces, alors tu devrais au moins baisser le ton. »
« Hwah ? Je pensais que la maison elle-même était correctement construite. »
« C’était le cas, mais les petits termites l’ont rongé et il est tout usé maintenant. Tous les sons sont assez faciles à entendre. »
Chastille se couvrit le visage. Elle n’avait rien fait qui puisse la faire culpabiliser, mais c’était extrêmement gênant qu’on le lui fasse remarquer comme ça.
« Tu aurais pu me le dire si tu m’avais entendu…, » se plaignit-elle.
« Mais tu es toujours en train de bavarder si joyeusement. Je ne voulais pas me mettre en travers de ton chemin… »
À vue de nez, sa mère avait tout entendu depuis le début.
« Je n’ai rien fait d’indécent. »
« C’est bon, c’est bon. Ne t’inquiète pas pour ça. Chasty ma chère, tu as toujours été si dévouée au travail que ta mère s’inquiétait de te voir arrêter d’être une fille. »
« Ce n’est pas… »
Elle avait essayé de le nier, mais n’y était pas parvenue.
Nous ne sortons pas ensemble, mais j’étais si heureuse qu’il ait fêté mon anniversaire avec moi… Ses mains s’étaient naturellement dirigées vers son oreille, touchant la boucle d’oreille qu’il lui avait offerte.
« Et ne portes-tu pas tous les jours ces boucles d’oreilles qu’il t’a offertes ? »
« On m’a dit que les trous se scellent si je ne les porte pas constamment ! »
Il lui avait percé les oreilles pour son anniversaire, mais il s’est avéré que la façon dont Barbatos l’avait fait n’était pas correcte. Vepar était ensuite passé la voir et l’avait correctement désinfectée. C’était vraiment quelqu’un de bien.
Est-il vraiment un homme… ? Chastille lui avait parlé comme s’il s’agissait d’une autre amie féminine sans vraiment y penser, mais avait éprouvé des sentiments mitigés après coup lorsqu’elle s’était souvenue qu’il s’agissait d’un homme.
Non, je ne serai jamais aussi féminine. Sois réaliste. Elle secoua la tête pour éloigner ces désirs disgracieux comme celui de vouloir lui ressembler, puis remarqua que sa mère avait dit quelque chose d’étrange tout à l’heure.
« Maman, qu’est-ce que tu entends par fée ? » demanda Chastille.
« Veux-tu parler de Barbatos ? Tu as refusé de me dire son nom, mais je me suis dit que ce ne serait pas bien de demander. Sais-tu qu’il m’aide de temps en temps quand je fais tomber les assiettes ? C’est pour ça que j’ai cru qu’une fée vivait soudainement dans la maison. »
Sa mère rit. Tout comme sa fille, elle était plutôt maladroite. C’est en partie à cause d’elle que la maison était en si mauvais état. Cependant, sa maladresse était d’une autre dimension que celle de Chastille.
« Ah. »
Comme pour le prouver, elle renversa le moulin à poivre. Chastille le faisait elle-même assez souvent… non, juste de temps en temps. Cependant, la maladresse de sa mère ne s’arrêtait pas là.
« Ah, ah, ah ? »
Le moulin à poivre était tombé sur une fourchette, la faisant basculer dans les airs au-dessus de la table. La fourchette heurta ensuite un vase à fleurs et le renversa. Le vase tomba de la table, juste au-dessus d’un rat qui se baladait sur le sol. Le rat fit alors un bond de côté sous le choc, puis s’enfuit et heurté l’étagère, faisant tomber un cadre photo. Le cadre se heurta à une épée décorative sur le mur, brisant le loquet qui le retenait. Chastille et sa mère regardent, hébétées, l’épée décorative s’écraser sur le sol avec un bruit strident, et d’autres objets s’éparpiller.
Cependant, alors même qu’elles croyaient que c’était enfin terminé, elles remarquèrent qu’un ornement en laiton qui ornait l’étagère avait maintenant été envoyé dans les airs. Il se heurta au lustre au-dessus de la table comme s’il y était aspiré, produisant un autre bruit désagréable. La chaîne d’événements provoquée par le renversement d’un moulin à poivre était presque artistique, s’achevant avec la destruction du lustre.
« Oh là là ! »
« Pourquoi ? »
Chastille cria quand le lustre s’écroula sur elles, quand l’ombre à ses pieds frétilla.
« Hé… Ta mère n’est-elle pas maudite ? »
Le lustre s’arrêta en plein vol juste avant de s’écraser contre la table. Barbatos sortit son visage pâle de l’ombre, oubliant la tension gênante qui l’avait empêché de parler.
« Ne parle pas de ma mère comme si c’était un mauvais présage », lui répondit Chastille en chuchotant. « Mais merci de m’avoir sauvée. »
« Regarde-moi dans les yeux et essaie de répéter la première partie. »
Chastille détourna les yeux.
« En tout cas, Chasty, c’est ça ? » ajouta Barbatos avec amusement.
« Argh, c’est, hum… Elle a tendance à donner des surnoms bizarres aux gens. »
« Ce n’est pas bizarre », déclara sa mère d’un ton irrité, en entendant clairement leurs chuchotements. « C’est joli et mignon, n’est-ce pas monsieur la fée ? »
« Fée… ? Me parles-tu ? »
Maintenant qu’elle lui parlait, Barbatos sortit à contrecœur de l’ombre. Naturellement, ses cheveux étaient défaits et il portait sa robe et ses amulettes, montrant clairement qu’il était un sorcier. Il ne portait pas de boucles d’oreilles.
« Oh là là ! Vous êtes terriblement grand, monsieur la fée. Vous vous êtes enfin montré sous votre vrai jour. Vous êtes bien plus cool que ce que le torchon à ragots vous a fait paraître. »
« S-Salut… »
Ne sachant pas trop comment réagir, c’est tout ce que Barbatos avait réussi à dire. La mère de Chastille avait bien sûr vu le torchon à ragots. Elle en avait même orné sa chambre. Chastille aurait vraiment préféré qu’elle ne le fasse pas, mais elle avait obtenu de sa mère qu’elle retire les exemplaires de partout en dehors de sa chambre, alors elle ne pouvait pas insister davantage.
La mère de Chastille tira une chaise de la table, mais elle n’avait pas été utilisée depuis si longtemps qu’elle était couverte de poussière. Elle l’avait balayée d’un revers de main, éparpillant la poussière sur toute la table à manger.
« Hak, hak. Désolée, c’est la seule chaise dont nous disposons. »
« Non, ne faites pas attention à moi… s’il vous plaît. »
« S’il vous plaît… ? »
Chastille était déconcertée par le phénomène bizarre de Barbatos qui se montrait respectueux.
« Ferme-la, Chasty. »
« Pourquoi dois-tu dire des choses comme ça ? Je ne te pardonnerai pas si tu m’appelles ainsi à l’extérieur ! »
« Quoi ? N’est-ce pas bien ? C’est un surnom mignon. »
« Mignon ? C’est… ? »
« Waaaah !? Je n’ai pas dit ça ! »
« Tu viens de le faire ! »
« C’est sûr », intervint la mère de Chastille. « Chasty est mignonne, c’est clair et net. »
« On n’est pas allé aussi loin ! », lui crièrent les deux à l’unisson.
« Non, non, vous deux », dit sa mère, quelque peu troublée par leur comportement. « Les voisins vont vous entendre, alors baissez un peu le ton. »
Réalisant à peine que toute leur conversation puisse être entendue à l’extérieur, Chastille et Barbatos se couvrirent le visage.
« Peut-être devrions-nous aussi donner un surnom à Monsieur la Fée ? » poursuit sa mère, sans une once de timidité dans la voix.
« Non, je n’en ai pas besoin… merci. »
« Voyons… Je suppose que Tossy n’est pas tout à fait juste. Mais Batey ne sonne pas très bien… »
Elle ne l’écoutait pas du tout. Barbatos se tourna vers Chastille avec amertume. Ne me regarde pas, je n’y peux rien. Dès le départ, Chastille n’aurait pas eu autant de mal avec sa mère si elle en était capable.
***
Partie 2
Après avoir réfléchi un peu plus longtemps, la mère de Chastille frappa ses mains l’une contre l’autre comme si elle se souvenait soudainement de quelque chose.
« Ah oui. Toute cette histoire de malédiction n’est peut-être pas vraiment fausse. »
Bien qu’ils soient soulagés qu’elle ait apparemment mis de côté la question du surnom pour l’instant, Chastille et Barbatos n’en croyaient pas leurs oreilles.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Chastille.
« À l’époque où ta mère avait à peu près ton âge, je cassais des vases et je faisais des culbutes sur le sol pratiquement tous les jours. »
« C’est impressionnant », railla Barbatos sans y penser.
« Mais ensuite, sans que je m’en rende compte, les vases ont aussi commencé à casser d’autres choses, liant un événement à un autre. Je pensais que c’était juste mon imagination, mais en y repensant maintenant, n’est-ce pas un peu bizarre ? »
« Je ne sais pas vraiment de quoi me moquer ici, mais je suppose que c’est un peu un soulagement que tu puisses au moins remettre cela en question », déclara Chastille.
« Hé, ce n’est pas là-dessus qu’il faut se concentrer », dit Barbatos en devenant encore plus pâle. « Comprends-tu vraiment ? Si ta mère dit la vérité, ton empotage ne fera qu’empirer. Je ne sais pas si c’est génétique, ou une malédiction, mais à ce rythme, tu vas mourir si je ne te surveille pas. »
« Je ne suis pas une empotée au point d’avoir besoin d’un baby-sitter ! »
« C’est vrai », acquiesça la mère de Chastille. « Ça ne s’appelle pas du baby-sitting, mais une expression d’amour. »
« Qqabqhbpoqehrbopahfdb !? »
L’attaque sans merci avait fait reculer Chastille et Barbatos.
Encore… une malédiction ? Chastille avait été témoin de malédictions qui s’étaient abattues sur Zagan et Stella. Quelque chose de semblable était-il arrivé à la famille Lillqvist ? Si oui, la mort prématurée de son frère y était-elle également liée ? Chastille avait réfléchi à cette question d’un air grave lorsque sa mère frappe à nouveau ses mains l’une contre l’autre.
« Ah oui ! Alors Barry, tu te joins à nous pour le dîner ? »
« Barry… ? Eh bien, peu importe… merci. »
Barbatos se résigna et prit place sur la chaise poussiéreuse. Il prit ensuite un scone — ou le morceau noir qui était censé en être un — et le jeta dans sa bouche.
« Horrible…, » murmura-t-il.
« Quelle impolitesse ! » protesta Chastille.
« Mais vous l’avez quand même mangé ! » dit la mère de Chastille en les observant avec un sourire lumineux.
« Je connais quelqu’un qui me battra pour avoir gaspillé de la nourriture… »
Maintenant que Barbatos était assis, Chastille et sa mère poursuivirent elles aussi leur dîner.
« Au fait, une fois que vous serez mariés, vous vivrez ici ? », demanda la mère de Chastille. « Ou bien tu emménageras avec Barry ? »
« Pffft ! Gah ! Hak ! »
Ils s’étouffèrent tous les deux avec leur nourriture, incapables de répondre à sa question.
Ne dînons plus à la maison.
Le lendemain, Chastille réussit tant bien que mal à se remettre en mode travail. En guise de parenthèse, elle consultera plus tard Zagan au sujet de sa malédiction et on lui répondra : « Ne mets pas ta maladresse sur le compte d’une malédiction. C’est tout simplement ce que tu es. »
◇
« T’es-tu calmée, Kurosuke ? »
De retour à Aristocrates, dans un coin d’une taverne tard dans la nuit, Kuroka engloutit son verre d’eau tandis que Shax l’appelait avec prévenance. Choquée par le fait qu’il ait joué à lui mordre l’oreille, elle avait perdu toute force dans ses jambes et n’avait pas pu bouger. Se faire monter dessus à cet âge — ce qui lui semblait assez courant maintenant qu’elle y pensait — était extrêmement embarrassant. Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas ça, bien sûr. Au contraire, elle avait apprécié, mais la gêne ne s’expliquait pas par la logique.
« Hum, Monsieur Shax… » marmonna Kuroka d’une voix des plus calmes, en se couvrant le visage. « Les filles sont très délicates là-dessus, alors je préférerais que tu sois un peu plus doux. Hum, tu sais, au lit, ça irait, mais… »
« Tu ne peux pas vraiment penser que j’ai fait quelque chose d’indécent !? » hurla Shax, honteux.
Peut-être que Kuroka l’avait mal formulé. Les gens avaient regardé Shax d’un air dubitatif lorsqu’il avait fait du tapage dans la taverne, mais Kuroka n’avait pas eu le sang-froid d’y prêter attention.
Que dois-je faire ? Monsieur Shax est beaucoup trop sûr de lui !
Quand tout cela a-t-il commencé ? Depuis leur visite à Liucaon ? Ou peut-être depuis son entraînement avec Andrealphus ? Non, c’était probablement depuis qu’il était devenu un Archidémon. Jusque-là, il la traitait comme une enfant et ne se retournait pas pour la regarder. Kuroka avait mené une offensive si féroce pour l’amener à avoir une relation, et soudain, il était capable de l’attraper dans ses bras… et même de repousser vigoureusement une offensive de son côté. C’était ce qu’elle avait toujours voulu, mais l’inversion soudaine des positions l’avait fait paniquer et elle ne pouvait pas répondre à ses sentiments.
Quelle triste situation ! Et tu te prétends samouraï Adelhide ?
Cependant, alors que Shax lui caressait la tête en signe d’inquiétude, son cœur battait la chamade et ses pensées n’arrivaient plus à suivre.
« Barman, quelque chose de léger à grignoter et un autre verre d’eau pour elle. »
« Cela arrive tout de suite. »
Shax commanda de la nourriture, tout en caressant la tête de Kuroka. Cette dernière lapa peu à peu l’eau qu’elle avait remplie à nouveau pour se calmer. Son pouls parvint à ralentir quelque peu lorsque Shax lui adressa un sourire.
« Qu’est-ce qu’il y a, Monsieur Shax ? »
« Oh, rien. Je me disais juste que tu étais très mignonne… »
« Mig — !? »
Shax la félicitait beaucoup ces derniers temps. Elle était heureuse, mais tellement ébranlée qu’elle n’arrivait pas à formuler une réponse. À ce rythme, elle capitulerait sans résistance.
« E-Et tu es beaucoup plus cool maintenant ! »
Kuroka passa résolument à l’attaque, portant ses mains à ses joues pour tenter de retenir un sourire. Face à son attaque, Shax cligna des yeux de surprise, puis sourit doucement.
« Imbécile, ne dis pas des choses embarrassantes comme ça. »
Il se gratta la joue en n’affichant aucune timidité, puis il posa sa main sur sa tête.
Maudite soit sa contenance d’adulte !
Elle était bien consciente que ce sang-froid lui faisait palpiter le cœur et rougir les joues.
« Ça va, Kurosuke ? »
Se prosternant sur la table, Kuroka comprit enfin la situation dans laquelle elle se trouvait.
Je n’ai aucun moyen de défense.
Kuroka était le plus grand des samouraïs, capable même de mettre à terre un Archidémon. Le secret de sa force était sa capacité à voir à travers tout et à passer entièrement à l’offensive. C’était un pouvoir qu’elle avait acquis précisément parce qu’elle avait un jour perdu la vue. En lisant tout, de la respiration de son adversaire à la façon dont il s’avance, en passant par la distance qui les sépare, elle était capable de passer à travers les épées et la sorcellerie. Ainsi, la lame qu’elle avait prise pour se venger des sorciers avait été aiguisée jusqu’à atteindre un tranchant terrifiant et imparable.
Son style de combat n’était pas différent lorsqu’il s’agit d’amour. Pour porter un coup décapitant, elle se débarrassait de toute forme de défense et se précipitait, taillant de toutes ses forces en prenant le chemin le plus court et le plus direct possible. Et maintenant qu’elle avait réussi à porter ce coup, Kuroka se tenait sans défense à portée de Shax. Dans ce cas, elle pouvait peut-être se contenter de suivre le mouvement et de s’abandonner à lui…
Mon cœur et mes poumons ne peuvent pas suivre !
Face à une situation où il répondait à n’importe laquelle de ses taquineries, Kuroka n’était pas immunisée contre ses avances.
« Je n’ai pas vraiment l’habitude », dit Shax en lui caressant doucement la tête comme s’il voyait à travers ses pensées. « Mais je suis là pour toi. Ne te mets pas dans tous tes états toute seule. »
« M-Monsieur Shax… »
Est-ce que c’est un homme qui a pris sa résolution ? Sans exagération, c’était peut-être le plus cool que Shax ait jamais regardé dans ses yeux. Et alors qu’elle s’apprêtait à s’appuyer sur son épaule…
« Quelqu’un capable d’esquiver ton attaque n’est pas un adversaire normal, mais à nous deux, nous n’avons même pas perdu contre le vieil homme, tu te souviens ? »
Kuroka n’avait pas compris ce que disait Shax pendant une seconde.
« Argh… »
« Qu’est-ce qui ne va pas, Kurosuke ? »
Ayant compris, elle tapa sa tête contre la table, ce qui lui avait valu une réponse déconcertée.
C’est vrai. Une personne bizarre nous surveillait.
À cause de cela, Shax lui avait mordillé l’oreille. De plus, même s’il s’agissait d’une attaque improvisée, il avait esquivé son couteau lancé. Un sorcier aurait dû avoir le pouvoir d’un ancien candidat Archidémon pour réussir cela, alors qu’un chevalier angélique aurait dû être un archange. La prudence de Shax allait de soi. Il avait l’impression qu’elle était déprimée d’avoir laissé filer un tel adversaire et essayait de la réconforter.
Et ma tête était remplie de pensées fleuries… !
Ressentant maintenant deux fois plus de honte, Kuroka dut faire des efforts importants pour se calmer. Elle était une ancienne élite de l’Église. Elle vida jusqu’à la dernière once d’air dans ses poumons, puis se reconcentra immédiatement.
« Désolée. Je vais bien maintenant », dit-elle.
« Vraiment ? Ton visage est encore rouge. »
« Je vais bien ! » répéta Kuroka en tendant la main vers la nourriture qui est arrivée. « Sur le moment, vu la situation, je ne pouvais pas me retenir. Si l’adversaire s’est quand même enfui, c’est qu’il doit avoir des compétences importantes. »
« C’est vrai. Ton couteau n’avait pas de sang dessus », répondit Shax en posant son couteau sur la table. Il n’y avait pas une seule tache de sang dessus. « Qui penses-tu que c’était ? »
« Voyons… Vu la personne que nous allons rencontrer, ce n’est pas bizarre que quelqu’un nous prenne pour cible. »
Sur ce préambule, Kuroka s’était tu un instant.
Comment expliquer cette sensation… ?
À cet instant, elle avait senti quelque chose d’étrange. En y réfléchissant un peu, elle avait décidé de décrire la situation telle qu’elle était.
« Pour te dire la vérité… Je ne suis pas sûre que nous étions réellement surveillés. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« C’est comme s’il n’y avait aucun signe. Peut-être que c’était juste mon incompréhension… »
Sa voix s’était rapidement éteinte. Elle était si pathétiquement anxieuse.
« Tu n’es pas du genre à lancer un couteau pour un malentendu », dit Shax en secouant la tête. « Quelqu’un devait nous observer. Si tu n’as senti personne, alors qu’est-ce que tu as pu sentir ? »
« Hum, n’est-ce pas parce que tu étais sur le point de m’embrasser ? »
« Ce n’était pas un baiser ! »
Elle avait pensé que ce serait le cas, mais il semblerait que Shax n’avait pas l’intention de l’embrasser sur les lèvres. Kuroka sentit son visage s’échauffer, mais ils avaient une conversation sérieuse en ce moment même.
***
Partie 3
« Je crois que notre observateur a été un peu désarçonné », poursuit Kuroka. « Il a émis un son, et c’est là que j’ai réalisé pour la première fois que nous étions observés. »
« Je vois… »
Après l’avoir mise en mots, Kuroka s’était aperçue qu’elle avait étonnamment peu confiance en son affirmation. Décontenancée comme elle l’était, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle tirait des conclusions hâtives. Et pourtant, Shax semblait examiner attentivement cette information.
« Si tu n’as pas pu le détecter, vaut-il mieux supposer qu’il s’agit d’un sorcier !? »
« Je me le demande… C’est une vieille histoire maintenant, mais je n’ai jamais été capable de sentir la présence de ma mère. Il y a aussi des maîtres comme ça dans la nature. »
« Des maîtres qui peuvent éviter d’être détectés par toi avec ton niveau actuellement de compétences ? Ce n’est pas un exploit humain. »
« Hum, je suis une fille, juste pour que tu saches… »
Elle ne savait pas si elle devait être en colère ou heureuse de ce qu’il venait de dire. Elle savait où il voulait en venir, mais ça lui faisait quand même mal. Le seul archange capable de le faire est Raphaël. C’était impossible même pour Stella et Chastille. Même Zagan et le roi aux yeux d’argent de la deuxième génération auraient du mal à lui cacher leur présence.
« Crois-tu qu’il soit possible d’effacer sa présence en utilisant la sorcellerie ? » demanda Kuroka.
« Il est plus probable que quelqu’un ait utilisé la sorcellerie pour déstabiliser tes sens. Ce n’est pas simple, même pour un ancien candidat Archidémon, mais pas impossible. »
« Je vois… »
Kuroka n’en avait jamais été témoin auparavant, mais c’était techniquement possible.
Cela signifie qu’il peut même s’agir d’un Archidémon…
« Alors peut-être qu’ils sont tous les deux… ? » dit-elle.
« Oui… »
Il y avait un précédent pour qu’un Archidémon manie une épée sacrée — l’homme le plus fort, Andrealphus. Il ne serait pas étrange qu’un autre Archidémon possède une force similaire.
Comme le Seigneur du Meurtre Glasya-Labolas, par exemple…
D’après Zagan, il y avait un Archidémon qui était auparavant un chevalier angélique et qui portait le titre de Saint de l’épée. C’était le subordonné de Marchosias. Vu l’objectif de Kuroka et Shax, il était possible qu’il soit ici pour leur faire obstacle.
« Je ne veux pas dire que nous avons été négligents, mais il semblerait que nous devrions nous concentrer encore plus », déclara Kuroka.
« Oui… mais une chose m’inquiète. »
« Qu’est-ce que c’est ? »
Shax regarda son verre pendant un moment.
« Être secoué en regardant un baiser doit signifier qu’il est plutôt jeune… ou en fait, un enfant, tu ne crois pas ? »
Kuroka avait eu envie de rougir, mais releva ensuite la tête. Elle avait entendu dire que Glasya-Labolas était un vieil homme.
« Quelqu’un qui a les capacités d’égaler un Archidémon et mon père… qui est un enfant ? » dit-elle.
« Je suppose que c’est tiré par les cheveux… »
« Hmmm… Mais si c’est une possibilité, je ne pense pas qu’il faille l’ignorer. »
Même si cela ne semblait pas réaliste, le monde était un endroit où de telles choses se produisaient. Pourtant, même avec leurs têtes réunies, ils avaient trop peu d’indices pour identifier le coupable. Kuroka rumina tout cela alors que Shax semblait soudainement penser à quelque chose.
« Barman, deux hydromels, s’il vous plaît. »
« Cela vient tout de suite ! »
Le barman avait répondu comme s’il veillait sur un jeune couple. Il n’avait aucun moyen de savoir la dangereuse conversation qu’ils étaient en train d’avoir. Shax était en fait l’un des Archidémons, et il utilisait la sorcellerie pour empêcher quiconque d’entendre ce qu’ils disaient. Même si le barman entendait leurs voix, il ne les entendrait que comme s’il s’agissait d’une partie du bruit de fond autour de lui.
« L’hydromel est une sorte de liqueur, n’est-ce pas ? » demanda Kuroka avec curiosité. « Pourquoi en as-tu commandé ? »
« Je ne t’ai pas dit que je t’apprendrais la bonne façon de boire ? », répondit-il avec désinvolture.
« Je suis contente de l’entendre, mais ça ne veut pas dire que tu dois le faire maintenant… »
Kuroka et Shax avaient une mission importante à accomplir. Ils ne pouvaient pas commencer à boire comme ça. Et pourtant, Shax avait l’air étonnamment sérieux.
« C’est précisément parce que ce qui s’annonce est important », déclara-t-il. « J’ai besoin que tu sois dans les meilleures conditions. En fait, je compte sur toi, tu sais ? »
« Bon sang… »
Elle ne pouvait pas refuser quand il le disait comme ça.
Ai-je l’air si troublé par tout cela ?
Un ennemi qu’elle ne pouvait pas détecter était une menace, mais elle ne voulait pas se sentir intimidée par lui. En y réfléchissant, elle s’était rendu compte que ce n’était pas tout à fait exact.
Oh, j’ai compris. C’est pour rattraper ce qui s’est passé avant !
Elle ne savait pas ce qu’il avait essayé de faire, mais le fait qu’il lui ait mordillé l’oreille avait été un accident. Kuroka avait été déstabilisée à cause de cela, alors il essayait de se rattraper. Même à un moment comme celui-ci, Shax essayait de chérir le temps qu’ils passaient ensemble. Kuroka s’en rendit compte et décida de le laisser la gâter.
Le barman déposa les verres devant Kuroka et Shax avec un bruit sourd. Il y avait un liquide doré dedans, rempli à ras bord. Kuroka prit un verre.
« L’hydromel a donc la même couleur que le miel ? », observa-t-elle avec ravissement.
« Ha ha, la plupart des liqueurs distillées sont dorées, » expliqua Shax en faisant tinter son verre contre le sien. « À une mission réussie. »
« Oui. Pour en revenir avec toi en toute sécurité. »
Ils avaient partagé un toast et Kuroka avait porté l’hydromel à ses lèvres.
« Hm ? N’est-ce… pas sucré ? »
La chaleur caractéristique de l’alcool qui s’engouffrait dans sa gorge fut suivie d’une sensation fruitée rafraîchissante. Techniquement, on pouvait dire que c’est sucré, mais c’est différent du miel ou du sucre. La boisson laissait une légère sensation d’aigreur dans sa bouche.
« Eh bien, ça n’a pas le goût du miel », dit Shax en riant et en faisant tourner le liquide dans son verre. « C’est l’une des plus anciennes liqueurs de l’humanité. Après tout, il est facile de commencer à fermenter, puisqu’il suffit de mélanger du miel et de l’eau. »
« Hein ? Est-ce tout ce qu’il faut pour faire de l’alcool ? »
« Oui. Cela dit, elle finira plus faible qu’une bière de ce type, c’est pourquoi celles qui sont vendues par les bars se voient ajouter un peu de levure pour la renforcer. »
Kuroka ne comprenait toujours pas ce qu’était le fort et le faible quand il s’agissait d’alcool, mais elle savait que le fait d’être plus faible était une mauvaise chose.
« De toute façon, la facilité de fabrication est l’argument de vente de l’hydromel », poursuit Shax. « Le miel est aussi très bon pour toi. Il y a longtemps, il était très apprécié en tant que complément alimentaire. Il y a aussi eu une période où la fabrication de ce produit faisait partie de la formation des jeunes mariées. »
« F-Formation des jeunes mariées… ! »
Il l’avait mentionné après avoir parlé de son entrée dans sa famille, ce qui avait fait rougir le visage de Kuroka.
« Ha ha, je ne te dis pas de le faire toi-même, » dit Shax. « Mais tu sais qu’on appelle le premier mois des jeunes mariés la lune de miel ? Ce mot est dérivé de la période pendant laquelle les mariés faisaient de l’hydromel — c’est ce que dit l’histoire. »
Shax se gratta alors timidement la joue et détourna le regard.
« Alors, tu sais…, » commença-t-il en hésitant. « Si je devais partager un vrai verre avec toi, je me suis dit qu’on devrait commencer par ça. »
« Aaah… »
Elle était en train de se dire que tout ce qu’il disait était fluide, ce qui était anormal venant de lui. Il avait probablement préparé ce discours pour cette occasion. Une telle considération rendit Kuroka suffisamment heureuse pour qu’elle pousse un soupir. Savoir qu’il la portait dans son cœur la faisait sourire sans même y penser. Kuroka se couvrit les joues en signe d’agitation, mais il était sans doute trop tard. Il était inutile de sauver les apparences, alors Kuroka s’appuya sur l’épaule de Shax.
« Ces histoires d’alcool sont intéressantes, » dit-elle. « En connais-tu d’autres ? »
« Oui. »
C’était agréable de voir à quel point une telle approche le secouait.
Hmm… Je ne suis pas la seule à perdre.
Alors qu’elle se convaincait de ce fait, Shax commença une autre histoire.
« D’accord. La saveur de l’hydromel change clairement en fonction du type de miel utilisé. »
« Il y a différents types de miel ? »
« Oui ! En vérité, il y en a pas mal. La saveur et le parfum changent en fonction de la fleur dont les abeilles récoltent le nectar. Par exemple, le miel créé à partir de fleurs de pommier sent la pomme.
« Miel de pomme… »
Elle voulait maintenant essayer. Shax observa sa réaction en souriant.
« Celui-ci a un goût similaire à celui du vin blanc, il provient donc probablement d’une fleur de vigne. Bon, on dirait que la saveur ne se traduit apparemment pas toujours directement. »
« Le vin blanc a donc ce goût-là ? »
« C’est tout simplement similaire. Le vin a une grande variété de goût qui lui est propre. J’ai mentionné que l’hydromel était utilisé comme complément alimentaire, tu te souviens ? Ceux-là utilisent naturellement des variétés de miel à haute valeur nutritionnelle. Il y en a parmi eux qui utilisent du sarrasin, qui sont particulièrement haut de gamme. »
« Du sarrasin ? C’est ce qu’on utilise pour faire des nouilles à Liucaon. »
« Hmm, vraiment… ? Eh bien, le miel de sarrasin a une odeur horrible, pour ta gouverne. »
Kuroka avait eu l’air déconcertée par ce fait. Elle ne l’avait jamais vu auparavant, mais on disait que le sarrasin produisait de belles fleurs blanches.
« Est-ce que les fleurs de sarrasin puent ? » demanda-t-elle.
« Oui… C’est un peu comme la bouse. C’est assez mauvais pour masquer toute autre odeur. »
« Wow… »
Elle ne voulait pas imaginer un miel qui sentait la bouse. Kuroka pâlit à cette idée.
« C’est une histoire qui date d’il y a longtemps », dit Shax, amusé par sa réaction. « Le produit qu’ils vendent dans les établissements est différent. Tu ne peux pas le boire tel quel, alors ils utilisent une tonne d’herbes et d’épices pour l’équilibrer. On dirait que cet endroit n’en a pas beaucoup en stock, par contre. »
Regarder Shax s’amuser à raconter des histoires sur des choses que Kuroka ne connaissait pas lui rappelait qu’il était plus âgé et plus mature qu’elle. Elle sentit ses joues s’échauffer lorsqu’elle leva les yeux vers son visage.
L’hydromel… Sera-t-il content si j’en fais… ?
Il lui avait appris tout cela, alors elle voulait en faire une sorte de souvenir. Et tandis que ces pensées lui traversaient l’esprit, elle vida son verre. Il n’y avait pas grand-chose dedans, elle n’était donc pas assez ivre pour que cela pose problème.
« Il est temps », dit Shax en sortant une montre à gousset. « Nous devrions nous mettre en route. »
« D’accord. »
L’expression de Kuroka n’était plus du tout la même, mais un air sinistre s’était dessiné sur son visage.
« Le Marionnettiste Forneus — le fondateur de l’alchimie. »
Le couple était venu dans cette ville pour rencontrer cet Archidémon.
***
Partie 4
« Tu vas… détruire le monde ? »
Sur la terrasse d’un certain restaurant de Kianoides, Néphy avait consulté Zagan au sujet de l’avertissement qu’elle avait reçu. Il doutait de ses oreilles. Il l’avait invitée à manger, voyant que quelque chose la tracassait ces derniers temps, et c’est sur cela qu’elle s’était ouverte.
« C’est ridi… »
Il voulait le nier, mais s’arrêta au milieu de sa phrase.
Attends, est-ce qu’elle veut dire… ?
Néphy avait pâli devant sa réaction.
« Maître Zagan, as-tu une idée de ce que cela peut signifier ? »
« Non… Ce n’est pas possible. »
De plus, il ne pouvait pas en parler à Néphy. Il tenta d’éluder sa question, mais Néphy corrigea sa posture et persistea avec détermination.
« Maître Zagan. S’il te plaît, dis-moi. Je suis prête. »
« Très bien…, » déclara Zagan après un moment d’hésitation. « Ta mignonnerie a peut-être franchi le stade où elle peut détruire le monde. »
L’air se figea.
« Maître Zagan ! » hurla Néphy, ses oreilles tremblèrent et devinrent rouge vif. « Je suis sérieuse ! »
« Et tu crois que je traite ce que tu as à dire comme quelque chose d’autre que du sérieux ? Je suis aussi sérieux que possible. Tu as été plutôt adorable ces derniers temps, bien plus que jamais auparavant. Je ne sais pas combien de fois tu as arrêté mon cœur. Il est fort probable que le choc me fasse accidentellement détruire le monde ! »
« Hwah !? »
Une coupe trônait sur la table entre eux — un parfait bourré de glace et de crème fraîche. Zagan avait créé et vendu l’appareil de sorcellerie permettant de créer des glaces justes pour que Néphy puisse en profiter. C’est donc tout naturellement qu’il se soit rendu dans cette boutique pour essayer de lui faire prendre l’air. Ce n’était vraiment pas l’endroit idéal pour parler du sort du monde. Quoi qu’il en soit, les autres clients les regardaient avec délectation en disant des choses comme « Oh, comme d’habitude » et « C’est donc la fameuse attraction de Kianoides. »
Si Barbatos ou d’autres étaient présents, ils diraient probablement à Zagan qu’il est trop instable émotionnellement, mais malheureusement, la seule personne dans la zone était une mamie, le sang coulant de son nez alors qu’elle marmonnait : « Quel pouvoir d’amour raffiné ! Il n’y a pas de fin ! ». Néphy ne pouvait pas non plus s’empêcher de sourire. Elle posa ses mains sur ses joues et détourna les yeux.
« Maître Zagan… C’est injuste de dire de telles choses en public. »
« Désolé. Pardonne-moi. Je n’ai pas réussi à maîtriser mes émotions fulgurantes. »
« Non, je dois aussi m’excuser. Après tout, c’est moi qui ai insisté pour que tu me le dises. »
Les deux avaient ensuite pris une boule de glace comme pour se calmer.
« Hmm… »
Néphy s’était fendue d’un grand sourire et avait porté une main à sa joue.
Yup ! Le simple fait de voir ce sourire suffit à mettre fin au monde !
Zagan sentait monter en lui une bienveillance qui lui permettait de tout pardonner, même la prédiction désagréable d’Eligor.
Néphy secoua alors la tête, reprenant soudain ses esprits. La façon dont ses cheveux blancs se balançaient lui donnait l’air d’une fée des neiges.
« Attends, ce n’est pas la question », dit-elle. « Je crois que Lady Eligor m’a donné des conseils pour m’aider à préparer l’avenir. Qu’en penses-tu, Maître Zagan ? »
Elle regarda Zagan avec les yeux tournés vers le ciel. Elle était si belle qu’il avait l’impression que son esprit allait s’envoler, peu importe le nombre de fois qu’il verrait cette expression, mais Zagan rassembla la volonté d’un Archidémon et lui répondit d’un signe de tête.
« Je vois. Des conseils, dis-tu ? Les choses changent un peu quand on les considère sous cet angle. »
« Oui. »
Néphy serra les lèvres en regardant fixement Zagan.
Néphy est si belle quand elle agit avec dignité !
Cela ne faisait que renforcer l’idée de Zagan selon laquelle la gentillesse de Néphy le rendrait fou et finirait par détruire le monde, mais il avait déjà évoqué cette théorie.
« Si elle t’a donné des conseils, cela signifie qu’il y a quelque chose que tu es la seule à pouvoir faire », déclara Zagan.
« Quelque chose que je suis la seule à pouvoir faire… ? »
Une seule chose lui était venue à l’esprit.
« Le mysticisme céleste », dirent Néphy et Zagan à l’unisson.
Cependant, Néphy secoua la tête.
« Ma mère est meilleure en mystique céleste, et même Nephteros… »
« Non, tu es la seule à pouvoir manier à la fois un Emblème d’Archidémon et le mysticisme céleste en ce moment. »
« Oh… »
Orias possédait à l’origine l’Emblème de Néphy. Elle avait été l’être qui avait manié à la fois le pouvoir de la mystique céleste et un Archidémon.
Mais elle a scellé son mysticisme céleste en prenant le nom d’Orias.
L’une de ses raisons avait été de cacher son identité, mais pour commencer, Orias était aussi un grand sorcier qui n’avait pas besoin de s’appuyer sur le mysticisme céleste.
« De plus, Orias a mentionné qu’en termes de puissance brute du mysticisme céleste, tu la surpasses de loin. Ton mysticisme céleste devrait être plus fort que le sien. »
Maintenant que les hauts elfes avaient disparu, Néphy était probablement le haut elfe le plus puissant du monde.
« Ce n’est pas possible… »
Néphy avait été choquée par ce fait, et celui qui avait donné suite à cela… n’était pas Zagan.
« La question est de savoir s’il faut sceller ou développer davantage ton mysticisme céleste, hein ? »
Le propriétaire de la voix avait pris une copieuse bouchée de la glace de Néphy.
« Hmm ! C’est trop doux. Serveuse, je prendrai la même chose ! »
Celle qui parlait sans une once de timidité était une fille avec des symboles d’étoiles au fond des yeux. L’Archidémon Asmodée se tenait à leur table, ayant surgi de nulle part.
Elle s’est approchée et je n’ai pas pu la percevoir… ?
Non seulement cela, mais elle l’avait fait dans le propre domaine de Zagan. Asmodée tira une chaise sans rien demander, puis prit place comme si c’était parfaitement naturel. Néphy la regarda avec étonnement.
« Qu’est-ce que tu veux ? » demanda Zagan.
« Aha, je n’ai pas pu finir de manger quand je suis venue ici avec Foll. »
« Achète-nous-en une nouvelle ! » hurla Zagan en frappant ses mains sur la table et en se levant. « Comment Néphy et moi sommes censés nous nourrir l’un et l’autre après que tu l’aies touché !? »
« Peux-tu ne pas me traiter comme une sorte de bactérie ? Tu me harcèles ? » demanda Asmodée, son sourire posé se tordant. « Ummm, tu es Zagan, c’est ça ? Tu n’as pas l’air de correspondre à la personne dans mes souvenirs. »
Zagan hocha la tête en entendant cela.
Eh bien, je crois que la seule fois où nous avons vraiment parlé, c’était quand elle était Lily.
Il se demandait dans quelle mesure elle se souvenait encore de cette époque, mais il ne pouvait pas nier la possibilité qu’elle ait mal compris quelque chose ici.
« Je ne sais pas ce que tu veux, mais tu devrais surveiller ton ton, » déclara Zagan aussi calmement que possible. « La seule raison pour laquelle je ne te tue pas pour avoir interrompu mon rendez-vous avec Néphy, c’est parce que tu es l’amie de Foll. »
Une telle offense justifiait une bastonnade sans merci, quelle que soit la personne, mais Zagan faisait preuve d’une grande bienveillance en lui accordant un avertissement à la place. C’est un acte de bonté remarquable.
« Oh, je vois », dit Asmodée en poussant un profond soupir de compréhension. « Je suppose que Foll n’est pas là. »
« Hm ? Si tu es ici pour voir Foll, tu n’as qu’à le dire. Je peux la faire venir tout de suite. »
« Aaah, arrête, arrête. Ce n’est pas pour ça que je suis là. »
« Hmph ! As-tu une raison d’être troublée par la présence de Foll ? »
C’est presque comme si elle ne voulait pas entraîner Foll dans quelque chose.
Zagan n’avait pas dit cette partie à haute voix, mais Asmodée avait fait claquer sa langue comme s’il l’avait laissé échapper.
« J’ai un peu l’impression que tu me déstabilises », dit-elle. « Oui, oui, j’irai voir Foll et j’en parlerai avec elle… éventuellement. »
Même si des Archidémons opposés se rencontraient, la seule chose dont ils parlaient était la fille de Zagan. C’était inévitable dans un sens, puisque Zagan considérait Asmodée comme n’étant rien de plus que l’amie de sa fille qui n’était pas honnête avec elle-même.
« C’est bon de te revoir, Lily », déclara Néphy en déplaçant sa chaise pour mieux faire tenir trois personnes autour d’une table. « Foll a été ravie des nouvelles que tu lui as envoyées. »
« Haaah… Tu es tout aussi mauvaise. »
Malgré la gentillesse de Néphy, ce parasite fit la grimace.
« Hmph ! Je ne me soucie pas de cette affaire dans la salle du trésor », dit Zagan. « Si c’est ce qui t’empêche de parler à Foll, alors réconcilie-toi maintenant avec elle. Le fait de voir sa fille se tracasser autant n’est pas amusant pour un parent. »
« Je n’arrête pas de te dire que ce n’est pas le cas », protesta Asmodée alors que son parfait arrivait. « Peux-tu arrêter de me harceler sur ce sujet ? Je veux dire, vous parliez de quelque chose d’assez intéressant, n’est-ce pas ? J’avais un peu envie de participer à cette conversation. Oh, vas-y, prends ça, Néphy. Ton mari fulminait à l’idée d’acheter un produit de remplacement. Je prendrai ta sucrerie à moitié mangée en échange. »
« Il n’est pas encore mon mari… Oh, merci. »
Asmodée échangea rapidement le nouveau parfait avec celui de Néphy, puis récupéra sans hésiter une partie de celui qui avait été à moitié mangé.
Maudite, sois-tu ! C’était censé nous permettre de nous nourrir l’un l’autre !
« Oh, s’il te plaît, ne fais pas attention à moi », déclara Asmodée en souriant à Zagan lorsqu’elle remarqua son regard. « Allez, allez, vous n’étiez pas en train de vous nourrir l’un et l’autre ? N’hésitez pas à continuer. »
Elle disait en gros : « Je vais regarder, alors allez-y, faites-le. »
« On dirait que tu connais ta place », répondit Zagan avec un grognement exagéré. « Je te pardonne ton impudence de tout à l’heure. »
Il préleva un peu de crème fraîche et la présenta devant le visage de Néphy.
« On fait ça maintenant ? »
Néphy était tellement déconcertée qu’elle avait les larmes aux yeux et que ses oreilles tremblaient. Elle avait l’air si adorable que Zagan faillit reculer sous le choc.
Hnnngh ! Sa timidité s’ajoute à sa gentillesse habituelle ! Quelle sublime synergie !
***
Partie 5
Incapable de réprimer complètement son mana, des décharges électriques s’étaient manifestées autour de lui, faisant s’éparpiller dans toutes les directions les clients qui se trouvaient à proximité. Il était quelque peu préoccupé par le fait que certains d’entre eux tenaient des jumelles, mais il se rappela alors avoir vu un panneau à l’entrée qui disait « N’hésitez pas à utiliser ceux-ci », pour une raison ou une autre.
Néphy avait compris qu’elle ne pouvait plus reculer. Elle avait donc retenu ses cheveux blancs qui flottaient dans le vent artificiel et avait approché son visage de la cuillère avec un air déterminé, comme si elle affrontait une tempête.
« Nom ! »
Elle engloutit la cuillère avec enthousiasme.
« C-Comment est-ce… ? »
« T-Très doux… »
Les clients environnants laissèrent échapper des soupirs de soulagement et commencèrent à applaudir.
« Hum… quel genre de spectacle m’offrez-vous ici ? », demanda Asmodée, qui ne savait plus où donner de la tête, incapable de comprendre ce qui se passait.
Zagan eut l’impression de sentir le regard d’une vampire sortie de nulle part qui sous-entendait : « Je comprends ce sentiment à un point douloureux », mais il n’y prêta pas attention.
Maintenant que j’y pense, nous n’avons pas eu le temps de faire ce genre de choses ces derniers temps.
On s’était enfin occupé de Shere Khan, mais avec les conséquences et à cause de cet idiot de Marchosias, il avait été plus occupé que jamais. Grâce aux efforts de ses subordonnés, les choses s’étaient enfin calmées. Il avait pu s’en rendre compte à quel point le temps passé à se prélasser dans le bonheur avec Néphy était précieux. En les regardant de loin, une certaine mamie était émue aux larmes.
« En se donnant en spectacle, ils portent leur puissance amoureuse à un niveau encore plus élevé… Haaah, j’ai gravé cette démonstration dans mon âme, mon seigneur. »
« Je crois que j’ai choisi les mauvaises personnes à consulter…, » marmonna Asmodée, donnant l’impression de vouloir partir. Ce n’est qu’à ce moment-là que Zagan se souvint qu’elle était présente.
« Ah oui, c’est vrai. Avais-tu quelque chose à me demander ? Alors, va y maintenant. »
« Désolé. Est-ce que je peux avoir un peu de temps pour y réfléchir ? » marmonna Asmodée.
Il ne savait pas ce qui lui était arrivé, mais la fille normalement insensible baissait faiblement la tête.
◇
« Une amitié qui commence par un sourire n’est en aucun cas une mauvaise chose. Si elle est liée par ce sourire, alors tu ne peux pas demander plus. »
Le sorcier parlait d’une voix qui n’était ni masculine, ni féminine, ni jeune, ni vieille, ni stridente, ni profonde, ni dure, ni douce. C’était comme si sa voix n’avait aucune caractéristique, tout en étant un mélange de toutes. On aurait dit un homme tout droit sorti d’un opéra. Malgré la fin du printemps, il portait un manteau noir à l’ancienne avec une écharpe nouée autour de son col. Il avait l’air d’avoir une cinquantaine d’années. Il y avait de légères rides sur le visage et ses yeux étaient verts. Il avait des cheveux noirs ondulés fendus de façon parfaitement régulière sur son front, soulignés par des mèches grises. Ses traits ciselés étaient surmontés de petites lunettes à pince-nez sur le bout de son nez. Il tenait une canne à deux mains, toutes deux recouvertes de gants blancs. L’un de ces gants devait cacher un certain Emblème. Un Emblème de l’Archidémon que Shax pouvait sentir.
Le Marionnettiste Forneus — maintenant que Shere Khan avait été vaincu et qu’Andrealphus avait pris sa retraite, il était l’Archidémon le plus âgé. Il était assis en face de Shax, derrière lequel se tenait Kuroka, le visage crispé par la tension. Leur mission était d’obtenir la coopération de cet Archidémon, ou celle de son disciple Furfur.
L’un des objectifs de ce voyage était bien sûr de visiter la maison de Kuroka à Liucaon, mais ils n’y avaient pas consacré un mois entier. Grâce au réseau de renseignements de Liucaon, ils avaient cherché à localiser cet Archidémon. Ils l’avaient localisé il y a quelques jours, et Forneus avait désigné Aristocrates comme lieu de rencontre. Et pourtant, lors de leur rencontre, c’est la première chose qu’il avait dite.
Qu’est-ce que cela signifie ? Veut-il que nous le fassions sourire ?
Cela ne sonnait pas juste, même pour une demande adressée à un jeune Archidémon. Il devait y avoir une autre signification, mais Shax sentait qu’il était inutile d’essayer de comprendre par lui-même.
« Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » demanda Shax.
« De nos jours, les gens comprennent le prix des marchandises, mais pas leur valeur », répondit Forneus. On aurait dit qu’il marmonnait sans bouger les lèvres.
Est-ce une sorte d’énigme ?
Il ne pouvait pas non plus lire les intentions de Forneus dans son expression. En fait, le regard de l’homme n’était même pas dirigé vers Shax. Il n’était donc pas évident de savoir s’il s’adressait à Shax ou à lui-même. Il était normal que le comportement d’un Archidémon s’écarte de la norme, mais ici, il était même difficile de tenir une simple conversation. C’est alors qu’une certaine idée lui vint à l’esprit.
Le surnom de ce sorcier était maître des marionnettes. Il ne serait pas étrange que l’homme devant eux soit une marionnette. Dans ce cas, il s’agissait peut-être d’un test. Shax croisa les jambes dans l’autre sens et réfléchit encore une fois.
« Je ne peux rien dire pour ma défense si vous m’accusez d’ignorance », déclara Shax. « C’est un fait indubitable que je suis encore un jeune d’une vingtaine d’années. »
Il commença par affirmer les paroles de Forneus et il se heurta à une expression inébranlable et à une énigme de plus.
« Après tout et avant tout, vous possédez une magnifique jeunesse, et cette jeunesse possède sûrement une valeur. »
Shax fronça les sourcils encore plus profondément.
Non. Je ne comprends pas du tout.
Cette fois, il avait reçu un compliment. Cela ne permettait pas de savoir si sa réponse avait été correcte. Shax ne savait plus où donner de la tête quand Kuroka fit soudainement un bruit comme si elle avait réalisé quelque chose.
« Oh. »
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Shax en regardant par-dessus son épaule.
Kuroka réfléchit un peu, puis dit : « Je ne crois pas que ce soit le cas. »
Pour la première fois, les yeux de Forneus avaient bougé.
« Vous ne le ressentez peut-être pas maintenant, mais quand vous vieillirez, quand les rides raviront votre visage, quand des lignes strieront votre front lorsque vous serez plongé dans vos pensées, quand l’agonie sera comme un torchon enflammé sur vos lèvres, vous finirez sûrement par y croire. »
Kuroka hocha la tête en signe de compréhension.
« Qu’est-ce qui se passe, Kurosuke ? » chuchota Shax.
« Il prononce les paroles d’un opéra », répondit Kuroka en chuchotant. « C’est une histoire qui s’appelle Le portrait de Yarg Nirod. C’est assez célèbre. »
C’était apparemment une histoire sur l’amour et la haine d’un sorcier qui avait obtenu l’immortalité. Les oreilles humaines de Kuroka rougirent un peu lorsque Shax approcha son visage pour lui chuchoter, mais elle feignit le sang-froid. Malgré la situation, elle sentit un frisson lui parcourir l’échine à cause de l’agréable sensation de chatouillement contre son oreille.
« Un opéra ? » chuchota Shax après s’être éclairci la gorge. « Pourquoi connais-tu ce genre de choses ? »
Compte tenu de la vie que Kuroka avait menée jusqu’à présent, elle n’aurait pas dû avoir le loisir d’apprécier de telles choses. L’opéra de Liucaon était censé être très différent de celui du continent.
« À l’époque où j’étais du côté obscur de l’Église, l’un de mes collègues m’a recommandé un livre pour tuer le temps lorsque nous n’étions pas en mission. Il était basé sur un opéra. »
Shax hocha la tête en signe de compréhension. Les opéras n’étaient pas très répandus dans la population en général, mais des transcriptions d’opéras circulaient pour les riches. La plupart des riches savaient lire et écrire, alors pour l’Église, qui était capable d’imprimer des livres pour les distribuer en masse, ils représentaient une importante source de revenus. De tels livres étaient également distribués aux églises pour répandre leur contenu. Shax n’avait jamais eu le temps d’en lire, mais lors de son affectation à l’église de Kianoides, il avait vu des patients en lire. Il n’était pas étrange que le côté obscur de l’Église en possède aussi quelques exemplaires.
Quoi qu’il en soit, pourquoi cette conversation détournée ?
Shax réfléchit à la question et se rappela ce dont Andrealphus l’avait mis en garde avant cette mission.
« Forneus est un énergumène d’une tout autre manière que Naberius. La plupart du temps, je n’arrive pas à comprendre ce qu’il dit. Il est apparemment affligé d’une malédiction gênante. »
Plus un sorcier vivait longtemps, plus il avait de chances d’être impliqué dans une malédiction. Même Shere Khan avait fait des recherches sur les malédictions avant que Marchosias ne le rende infirme. Il y avait donc une possibilité qui lui vint à l’esprit.
« Je suppose que… vous ne pouvez rien dire qui n’ait été écrit par d’autres ? »
Si sa bouche n’était pas fonctionnelle, il pouvait écrire des choses. Un Archidémon serait aussi naturellement capable de télépathie. Néanmoins, il avait choisi cette méthode de communication. C’était une bonne supposition.
« Nous souffrons précisément à cause de ce que les cieux nous ont accordé », dit Forneus en tournant ses yeux verts vers Shax. « Nous souffrons plus que tous les autres. »
Il était comique pour un Archidémon de parler de ciel et de dieux, mais il s’agissait vraisemblablement d’une affirmation.
« Je vois… J’aimerais bien avoir un dictionnaire ou quelque chose comme ça », dit Shax, complètement désemparé par cette situation difficile.
« Ce serait bien », acquiesça Kuroka. « Je ne connais pas non plus bien l’opéra… »
« Le fait de suggérer à quelqu’un de lire est soit dénué de sens, soit malveillant, » déclara Forneus solennellement.
Kuroka et Shax avaient échangé un regard.
« Je comprends un peu ça », dit Shax. « Nous n’avons pas besoin d’un dictionnaire ou autre… n’est-ce pas ? »
Forneus ne l’avait ni confirmé ni infirmé. Shax commençait à comprendre comment interagir avec cet homme. Il posa une main sur son genou et redressa son dos.
« Permettez-moi d’aller droit au but », dit-il. « Notre patron — l’Archidémon Zagan — veut votre pouvoir et votre sagesse. Pouvons-nous obtenir votre coopération ? »
Forneus posa ses deux mains sur le haut de sa canne, réfléchit un instant, puis ouvrit la bouche pour parler.
« Le seul malheur est de devoir payer un nombre incalculable de fois pour une seule erreur. En vérité, il faut payer encore et encore. Ce qu’on appelle le destin ne ferme jamais son grand livre à l’humanité. »
Shax et Kuroka furent une fois de plus contraints au silence. Ses paroles ne pouvaient pas être littérales, mais elles étaient tout de même troublantes venant d’un Archidémon.
« Hmm, ça veut dire que vous avez un prix… ? » s’aventura Shax.
Forneus ne répondit rien pendant un moment, apparemment perdu au fond de ses pensées.
« Tout ce que je veux, c’est observer la vie », finit-il par répondre. « Si vous voulez bien, regardons-la ensemble. »
Encore une réponse inintelligible.
« Vous… voulez aller quelque part ? » demanda Shax, dont le visage commençait à se crisper.
Forneus ne montra aucun signe de mouvement.
Si aller quelque part n’est pas le but, alors « observer » est le mot clé ici.
Que voulait-il observer ? L’Archidémon bizarre resta silencieux, ne montrant aucune indication sur la justesse de la réponse de Shax.
Patron. Cette mission me dépasse largement…
Toujours face à l’Archidémon qui ne bougeait pas et ne parlait pas, Shax et Kuroka ne savaient plus trop quoi faire.
***
Partie 6
De retour à Kianoides, dans un restaurant où trois Archidémons étaient réunis, une jeune fille avait fait un regard mélancolique comme si elle en avait assez du monde.
« Est-ce que c’est ce qu’on appelle un sentiment de défaite… ? C’est comme si un vide que je n’avais jamais ressenti auparavant m’écrasait. »
Face à la jeune fille déprimée, Zagan lui asséna sans pitié un nouveau coup.
« Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais tu es un sorcier étonnamment ennuyeux. Je pensais que tu avais plus de nerf. »
« À qui penses-tu que c’est la faute !? »
« Hm ? »
On aurait dit qu’elle en voulait à Zagan, mais il n’avait aucune idée de ce qu’elle racontait.
« Haaah… Peu importe. Il était temps de toute façon. »
« Du temps pour quoi ? »
Au moment où Zagan leva un sourcil à ces mots inquiétants…
Zagan et Néphy avaient levé les yeux à l’unisson. Quelque chose comme une tache noire s’étendait sur le ciel ensoleillé.
« Pétale unique du phosphore du ciel. »
Zagan était passé à l’action rapidement et silencieusement. Il claqua du doigt avec désinvolture, lançant une aiguille noire dans les airs et coupant en deux la tache dans le ciel. Ce qui avait tenté de s’extirper du vide avait suffisamment de puissance pour faire frissonner un Archidémon, mais il avait été anéanti sans même avoir eu la chance de se manifester pleinement. Certains des autres clients avaient tout au plus ressenti un frisson, mais ils avaient tous décidé qu’il s’agissait de leur imagination et étaient retournés à leurs repas et à leurs conversations.
« M-Maître Zagan, qu’est-ce que c’était ? » demanda timidement Néphy.
« Probablement un démon », répondit-il simplement.
« Ouais. C’était un gros démon effrayant », acquiesça Asmodée, qui s’était enfin reprise en main et qui s’était remise à manger son parfait.
« Je n’aime pas ça », dit Zagan en lui lançant un regard noir. « Tu savais bien que cette chose apparaîtrait ici, n’est-ce pas ? »
« Eh bien, duh ! J’étais venue pour en finir avec cette chose. Oh, merci d’avoir fait mon travail à ma place. Tu m’as évité une tonne d’ennuis. »
« N’agis pas de façon aussi éhontée. Tu as pris place ici pour m’imposer ton travail. »
Si Asmodée utilisait sa sorcellerie, elle endommagerait certainement la ville. De plus, un nombre non négligeable de citoyens ici avaient été témoins de Samyaza la dernière fois. Zagan ne pouvait pas permettre à la population impuissante d’être plusieurs fois témoin de démons. Même si leurs corps pouvaient le supporter, leurs esprits ne le feraient pas, alors Zagan n’avait pas eu d’autre choix que de l’éliminer rapidement.
« C’est un malentendu, » protesta Asmodée, les yeux écarquillés tandis que Zagan faisait claquer sa langue. « On ne m’a pas dit où il apparaîtrait exactement, et je ne suis pas assez ignorante pour me déchaîner dans le domaine de quelqu’un d’autre. »
« Hmmm… »
Zagan avait franchement admiré sa réponse.
Elle est incroyable. Bien qu’elle soit si effrontée, je ne sens pas la moindre méchanceté chez elle.
Quelqu’un comme Bifrons s’amuserait de la réaction de l’autre partie tandis qu’un vil sentiment de méchanceté entrerait et sortirait de tout ça. Cependant, Zagan ne sentait rien de tout cela chez cette fille, et ce n’était pas parce qu’elle était douée pour cacher ses émotions. Cette méchante sorcière ne pensait pas du tout que tout cela était de sa faute. C’était la première fois que Zagan était témoin d’une telle audace. C’était pour cela que Béhémot et Léviathan l’appelaient du bout des lèvres un serpent rempli de haine.
Non, ce n’est peut-être pas tout à fait ça.
C’était comme si c’était si naturel pour elle qu’elle s’était résignée à son sort. Zagan n’arrivait pas à déterminer si elle avait toujours été comme ça ou si c’était le résultat d’un quelconque changement.
« Lily, » déclara Néphy alors que Zagan continuait de réfléchir à la question. « Tu viens de dire qu’on ne t’avait rien dit, n’est-ce pas ? Est-ce que tu veux dire… ? »
« Yup. Eligor. Ses prédictions sont plutôt vagues. Elle devrait essayer de courir un peu dans mes bottes pour voir ce que ça fait. »
Asmodée prit une énorme boule de glace et la croqua avec indignation. Son visage s’était alors crispé comme s’il avait été frappé par la foudre.
« Hnnngh ! Aïe, aïe, aïe ! Qu’est-ce que c’est que ce mal de tête… ? »
« Tu es une idiote, » dit Zagan. « Lorsque tu manges trop d’aliments froids à la fois, cela déclenche une réponse excessive du nerf trijumeau, qui à son tour provoque un mal de tête. »
« Waaah… ? Même si je manipule mon flux sanguin… ? »
« Tu ne peux pas l’empêcher si tu ne t’occupes pas aussi des nerfs sensibles. »
C’est peut-être pour cela qu’elle s’est fait prendre par le Gekien de Glasya-Labolas.
La sorcellerie du Seigneur du Meurtre arrêtait la perception du temps d’une autre personne. Plus les sens d’une personne sont aiguisés, plus il est facile pour elle de tomber dans le panneau. Il était l’ennemi naturel de Kuroka à cet égard. Cela dit, cette fille était un Archidémon. Après lui avoir expliqué la cause, elle continua à mâcher tout en marmonnant quelque chose et en tissant sa sorcellerie.
De toute façon, vu qu’elle ne sait pas quelque chose d’aussi basique, elle ne doit pas avoir beaucoup d’expérience dans la dégustation d’un repas.
Son repas avec Foll avait probablement été la première fois qu’elle mangeait de la glace. Et même si ce n’était pas le cas, on pouvait se demander si elle avait déjà pu en savourer le goût. Zagan pouvait voir un peu de lui-même en elle, et peut-être ressentir la moindre affinité avec cette fille.
Asmodée finit par essuyer ses larmes, puis se tourna à nouveau vers Zagan.
« De toute façon, les démons sont assez coriaces pour qu’Eligor et ses semblables aient des problèmes avec eux », dit-elle. « En vaincre un aussi facilement est assez impressionnant. Tu dois être le deuxième plus fort après moi. »
« La confiance en soi est un bon trait de caractère », dit Zagan en haussant un sourcil. « Si tu ne peux même pas croire en toi, personne ne te fera confiance. Cependant, la suffisance est un défaut fatal. »
Comme ces deux-là étaient les deux faces d’une même pièce, ils ne s’entendaient pas du tout. Zagan aurait dû suivre son propre conseil, mais il s’était retrouvé à agir de façon prétentieuse sans s’en rendre compte. C’est pourquoi il avait été sur le point de subir une défaite cuisante contre le démon Samyaza. Puisqu’il s’agissait de l’amie de Foll, Zagan décida de lui donner un avertissement.
« Bon sang, » dit Asmodée en gonflant ses joues. « Et moi qui étais en train de faire l’éloge d’un débutant. Tu n’es pas du tout mignon. »
« Hmph, tu es bien placée pour parler. »
Se souvenant d’une certaine personne qui lui avait déjà dit la même chose, Zagan détourna les yeux.
« Eh bien, je suppose que tu gagnerais probablement dans un match ? » ajouta Asmodée.
« Tu parles comme si tu gagnais en dehors d’un vrai combat. »
En vérité, Zagan n’avait pas remarqué sa présence avant qu’elle ne leur parle. Il y avait aussi probablement des objets parmi le trésor d’Asmodée que Zagan ne pouvait pas dévorer. Elle avait plus de chances de gagner, mais ce n’était pas absolu. Au mieux, ses chances étaient de six contre quatre.
« Ahah, je suis une personne humble. Je ne dirais pas une telle chose. Cependant…, » Asmodée s’était interrompue, haussant les épaules avec désinvolture avant de plisser ses yeux violets. « J’aurais pu tuer Samyaza. »
Zagan se tut à la mention de ce nom. Samyaza était probablement encore en vie. Zagan n’avait pas réussi à vaincre le démon. Il avait réussi à le repousser avec l’aide de Néphy, mais il doutait de pouvoir tuer ce qui était un amalgame de dix mille démons. Il était certain qu’il réapparaîtrait devant lui, alors il avait besoin de puissance pour pouvoir vaincre seul d’ici là. Il ne pouvait pas nier que l’une des raisons pour lesquelles il avait invité Néphy à ce rendez-vous était qu’il se sentait pressé par ce besoin.
« Pourquoi diable connais-tu ce nom ? » demanda finalement Zagan.
« Eh bien, je me suis aussi battue contre lui », dit Asmodée, son calme inébranlable mettant sa force en évidence. « Mais si je l’avais tué, le monde lui-même n’aurait pas pu résister à la force, donc ça aurait été la même chose à la fin. »
De telles paroles étaient bien trop arrogantes, même pour un Archidémon, mais Zagan savait qu’elle disait la vérité. C’est pourquoi il la regarda avec exaspération.
« On ne penserait jamais que de telles paroles viennent d’un Archidémon », lui déclara-t-il. « Tu devrais être capable de contrôler parfaitement ta propre sorcellerie. »
Un sorcier de premier ordre serait capable de déchaîner les feux de l’enfer, brûlant uniquement sa cible sans faire roussir une seule feuille dans les environs. Ce n’était rien de moins que de la négligence pour quelqu’un qui se tenait au sommet de tous les sorciers de causer des dommages collatéraux.
Cela dit, aucun idiot de ce genre n’aurait tenu des centaines d’années en tant qu’Archidémon.
La maîtrise de la sorcellerie par Asmodée devait être sans faille. Quoi qu’il en soit, il y avait quand même de petites ondulations qui pouvaient se répandre après un sort. Si Zagan utilisait plusieurs fois le Phosphore du Ciel au même endroit, la végétation finirait par se flétrir, par exemple. Dans le cas d’Asmodée, ces minuscules ondulations étaient suffisantes pour détruire le monde. Elle savait que Zagan ne la critiquait pas vraiment pour cela, alors elle haussa les épaules sans montrer la moindre honte.
« Ahah, ce n’est pas la peine d’en attendre autant de moi, » dit-elle. « Je n’avais aucune raison d’être aussi gentille avec ce monde. »
Elle pourrait tout aussi bien détruire le monde en voulant vaincre son ennemi. C’était le mode de vie d’Asmodée, qui avait passé ses années à récupérer les gemmes de son peuple. Malgré tout, Zagan resta perplexe face à sa déclaration.
Est-elle au moins consciente qu’elle parle au passé ?
Peut-être que cette fille terrifiante était en train de changer. Peu importe le méchant, cela valait la peine de lui donner une chance de changer ses habitudes. Cette fille avait-elle aussi eu cette chance ? Mais ce n’était pas le moment de lui poser la question.
« Peu importe. Ce n’est pas à moi de pinailler sur tes défauts », lui dit Zagan. Il n’avait pas besoin de lui dire ce qu’il sous-entendait. Cette fois, Asmodée resta silencieux. « Je suppose que tu n’es pas venue ici pour te vanter. Occupe-toi déjà de tes affaires. »
Asmodée avait souri comme si elle avait attendu d’entendre ces mots exacts.
« Zagan. Veux-tu faire un marché avec moi ? »
La plus méchante des Archidémons avait impudemment tranché dans le vif comme un diable qui lui chuchotait à l’oreille.
***
Partie 7
« Ce n’est pas possible… était-ce un démon ? » marmonna un garçon en posant ses mains sur les deux épées qu’il portait à la taille.
« Qu’est-ce qu’il y a, Ain ? » demande Selphy en observant son visage avec confusion.
Bien qu’elle soit une sirène, elle marchait actuellement avec deux jambes humaines. Deux filles et deux garçons marchaient ensemble dans les rues de Kianoides. Il y avait le garçon appelé Ain, Selphy, et Lilith et Furcas, innocemment aligné à un pas derrière eux.
Ain était en train de parcourir le continent afin de se renseigner sur l’époque actuelle. Il utilisait Kianoides comme base d’opérations. Il y retournait tous les quelques jours, et chaque fois, il rencontrait Selphy et ses amis. Aujourd’hui, Ain traversait la ville pour se réapprovisionner en vue de son voyage.
« Non, ce n’est rien », dit-il à Selphy en secouant la tête sous le regard inquiet de la jeune femme. « On dirait que c’était juste mon imagination. »
« Vraiment ? »
Selphy pencha la tête et Ain lui sourit.
Il a disparu avant même de se manifester. Est-ce que c’est l’œuvre de Zagan ?
Bien qu’il n’ait pas eu à jouer un rôle, Ain sentait une sueur poisseuse dans ses paumes. Ce n’était pas un ennemi contre lequel il aurait été désespéré. Les héros d’il y a mille ans auraient probablement pu l’emporter dans un combat singulier contre lui — même si cela leur avait coûté la vie. Le problème, c’est que le démon était apparu en pleine ville.
Il est impossible de prédire où et quand les démons se manifesteront sans la clairvoyance de quelqu’un comme Ipos.
Ipos était l’un des anciens compagnons d’Ain, l’un de ceux que l’on appelait désormais les premiers Archidémons. Elle avait également été ramenée à la vie en tant que Nephilim, mais avait été détruite par le coup de Zagan avant de retrouver son sens de l’identité.
Les démons pouvaient apparaître soudainement n’importe où sans le moindre avertissement. Parfois, ils se manifestent dans des plaines ou des montagnes vides, et comme dans le cas présent, ils pouvaient aussi apparaître en pleine ville. S’ils commençaient à se manifester avec une certaine fréquence, même Zagan ne pourrait pas suivre. Dans ce cas, il est fort probable que les nouveaux amis d’Ain soient exposés au danger.
« Hmmm… »
« Ça n’a pas l’air d’être rien », dit Selphy, l’inquiétude transparaissant sur son visage face à l’expression déprimée d’Ain. « Quelque chose te préoccupe ? Je peux au moins écouter ce qui te préoccupe ? »
« Je suppose que oui…, » dit Ain, prenant sa décision grâce aux paroles de cette gentille fille. « Je me sers de cette ville comme base pour mes voyages, n’est-ce pas ? Eh bien, je commence à me dire que ce serait bien d’avoir un endroit où m’installer. Qu’en penses-tu, Selphy ? »
« Tu vas vivre ici ? » demanda Selphy en souriant largement. « Je suis tout à fait d’accord ! On pourra jouer tous les jours ! »
« Je suis presque sûre qu’Ain ne cherche pas un endroit où vivre pour pouvoir jouer », déclara une voix de derrière, incapable d’en supporter davantage.
« Il sera peut-être difficile de jouer tous les jours, mais je suppose qu’il sera plus facile d’essayer ? » déclara Ain.
« Tu sais que si tu dis des choses comme ça, Selphy va le prendre au sérieux et faire exactement ça, n’est-ce pas ? » dit Lilith.
« Selphy n’est cependant pas le genre de fille à ignorer son propre travail », rétorqua Ain avec un doux sourire.
Lilith le regarda avec exaspération et répondit : « Elle n’abandonne peut-être pas son travail intentionnellement, mais je suis presque sûre qu’elle l’a accidentellement oublié un paquet de fois. »
« Ha ha… Eh bien, tu sais, je l’écris pour ne pas oublier », dit Selphy. « Mais je perds ces notes quelque part et je finis de toute façon par tout oublier. »
Maintenant, Ain ne pouvait plus trouver d’excuses pour la soutenir. Lilith commença à gronder Selphy pour son comportement, et Furcas en profita pour chuchoter à l’oreille d’Ain.
« Hé, Ain. La sensation désagréable de tout à l’heure provenait-elle d’un démon ? »
« Tu l’as remarqué ? » murmura Ain, les yeux écarquillés.
« Oui. J’ai senti un frisson me parcourir l’échine… C’était la même sensation que la dernière fois que je les ai vus. »
Furcas baissa les yeux sur le chasseur séraphique qu’il portait à la hanche. Il avait appartenu à Alshiera, mais elle le lui avait confié. Il ne lui restait qu’une seule balle. Maintenant qu’il avait perdu ses souvenirs d’Archidémon, cette balle était le seul moyen de combat de Furcas.
« Ain, vas-tu te battre contre ces choses ? » demanda-t-il.
« Je ne sais pas encore. Il y a plein de gens forts dans cette ville, y compris Zagan. »
« Mon frère est invincible ! »
Furcas sourit, sa confiance en Zagan étant inconditionnelle. Peut-être que la force d’Ain n’était pas nécessaire dans cette ville. Cependant, il n’y avait pas de seconde chance lorsqu’il s’agissait de démons, alors il voulait être aux côtés de Selphy et de ses amis au cas où quelque chose arriverait.
Peut-être que je suis devenu un lâche.
Ain ne s’était pas considéré comme vaniteux à l’époque, mais il avait perdu en duel contre Asura. Il se trouvait dans une époque située mille ans dans le futur et il ne savait pas qui il était. Cette hésitation se reflétait dans sa lame, mais Asura était censé être dans la même position. Malgré cela, Asura était resté inébranlable. Ain ne possédait pas les pouvoirs des héros d’autrefois dans son état actuel. En d’autres termes, posséder le corps et les souvenirs des forts n’équivalait pas à la force elle-même.
La force du cœur est indispensable.
Il avait parcouru le continent sans aucune destination en tête pour essayer de trouver la réponse à ce dilemme. C’est exactement pour cela qu’il vacillait maintenant.
Je n’ai pas encore trouvé ma réponse. Puis-je vraiment m’arrêter maintenant ?
Rien ne garantissait que son voyage lui apporterait une réponse. Mais s’il s’arrêtait maintenant, il ne trouverait jamais la réponse. Il ne savait pas quoi faire. C’est alors que Selphy fut libérée du sermon de Lilith.
« Alors Ain, veux-tu vivre au Palais de l’Archidémon ? » demanda Selphy.
« Palais de l’Archidémon… »
Honnêtement, il était encore gêné de voir Alshiera. Elle était forte, mais il se doutait que c’était aussi gênant pour elle.
Pourtant, ce n’est pas comme si j’avais beaucoup d’argent sur moi.
Il serait problématique d’acheter ou de louer une maison et de l’entretenir. En cette époque paisible, l’argent était nécessaire pour mettre de la nourriture sur la table. Au cours de ses voyages, il s’était débrouillé en se faisant payer comme garde du corps, mais il n’avait pas de travail qu’il pouvait faire en ville.
La Lucia d’il y a mille ans a vraiment été soutenue par tant de personnes.
Ces liens avaient sûrement conduit à sa force.
Mais dépendre de mon fils pour financer ma vie, c’est vraiment mal !
Ain était différent de la Lucia d’il y a mille ans. C’est ainsi qu’il se voyait, mais ce n’était que son opinion. Zagan avait le droit de le considérer comme un père et de le détester. Tant qu’Ain existait dans ce monde avec le corps et les souvenirs de Lucia, il devait remplir ce rôle. Son moi passé avait été celui qui était mort sans rien laisser derrière lui après avoir conçu ce garçon, après tout.
« Eh bien, peu importe où tu vivras, tu seras toujours Ain », dit Selphy avec un sourire, coupant court à ses pensées. « Je viendrai te voir quoi qu’il arrive. »
« Selphy… Tu es si gentille. »
C’étaient sûrement les mots qu’Ain voulait le plus entendre. Il fut submergé par l’émotion.
« Mais si tu comptes vivre à Kianoides, tu devrais quand même soumettre l’idée à Son Altesse », renchérit Lilith. « C’est son domaine, et ce serait problématique pour lui si tu choisissais un endroit bizarre pour vivre. »
« Je vois… Tu n’as pas tort. »
Honnêtement, Ain était extrêmement opposé à l’idée d’admettre qu’il n’avait nulle part où aller, mais il semblait ne pas pouvoir éviter complètement la conversation.
« Alors, allons voir Monsieur Zagan ! » s’exclama Selphy en tirant sur la main d’Ain.
« Attends, Selphy. Et les courses d’Ain ? » demanda Lilith.
« Ça va aller », lui répondit Ain. « Je ne suis pas pressé. »
Et c’est ainsi qu’Ain avait été traîné au palais de l’Archidémon. Malheureusement, Zagan n’était pas là, et il avait fini par passer un moment délicieusement gênant avec Alshiera, qu’il avait rencontrée par pure coïncidence. Mais c’est une histoire pour une autre fois.
◇
« Zagan. Veux-tu faire un marché avec moi ? »
C’est à ce moment-là que Zagan avait été confronté à un choix. C’était une invitation rare et suspecte, mais sa réponse n’aurait pas pu être plus évidente.
« Non. »
« N’est-ce pas méchant de refuser catégoriquement ? »
« Alors, laisse-moi te demander ceci : quelle partie de notre conversation t’a fait penser que j’accepterais ? »
Chaque mot marmonné par Asmodée était pénible à écouter et elle était aussi méfiante que n’importe qui peut l’être. Son comportement avait été plus que suffisant pour qu’il ne veuille jamais s’impliquer avec elle. Il ne la frappait pas simplement parce qu’elle était l’amie de Foll. Ce n’est pas pour autant qu’elle valait la peine qu’on négocie avec elle.
« Pourquoi es-tu une telle brute ? » demanda Asmodée, les yeux écarquillés comme si elle était blessée par ses paroles. « N’as-tu pas par hasard passé un accord avec mon disciple !? »
« Jette un coup d’œil à Vepar et trouve les différences entre vous deux. Il s’agite pour faire un commerce correct parce qu’il est entouré de gens qui en sont incapables, au premier rang desquels tu te trouves. Je doute de pouvoir conclure un marché valable avec toi. »
« C’est moi qui l’ai élevé pour qu’il soit si droit ! »
Même si elle s’y opposait, elle devait savoir qu’il s’agissait d’un cas d’apprentissage à partir d’un mauvais exemple. Les yeux d’Asmodée se perdirent dans le lointain.
« Si tu comprends, va te perdre et va voir Foll », déclara Zagan.
Pour lui, elle n’était rien de plus qu’un cadeau destiné à améliorer l’humeur de sa fille. C’était un compromis suffisant pour qu’il la laisse partir indemne. Et pourtant, Asmodée devint impudemment arrogante.
« Ahah, es-tu sûr que tu peux être aussi insolent ? » demanda-t-elle. « Je ne te sauverai pas même si tu me supplies de le faire. »
« Si tu fais référence à Samyaza, alors ton aide n’est pas nécessaire. Comment puis-je rendre Néphy heureuse si je suis incapable de m’en occuper moi-même ? »
« Je ne sais pas d’où vient ta confiance, mais il semblerait que tu me comprennes mal ici. »
« Qu’est-ce que tu essaies de dire… ? » demanda Zagan en haussant un sourcil devant son étrange conviction.
« Zagan, ne crois-tu pas qu’un combat est une question de nombre ? »
« Je suis d’accord là-dessus, mais qu’est-ce que… attends, ne me dis pas… »
Un frisson lui parcourt l’échine.
« Ouaip, bingo. À ce rythme, en été, tout le continent sera un festival de démons. »
***
Partie 8
Zagan savait que des démons se manifestaient dans tout le pays. Il avait également compris qu’ils le faisaient à une fréquence qui s’accélérait. Malgré tout, il semblait qu’il n’avait pas le temps de prendre les choses à la légère.
Bon sang ! Est-ce pour cela qu’elle a attendu que les démons apparaissent ?
Si elle s’était présentée en proposant des informations sur les démons, Zagan l’aurait probablement renvoyée sans l’écouter. Cependant, après que Samyaza et plusieurs autres démons aient envahi son domaine, Zagan n’avait pas eu d’autre choix que de s’occuper d’eux.
Maintenant, Asmodée lui proposait un marché, soulignant que les méthodes actuelles de Zagan ne faisaient que gagner du temps. Eh bien, c’était la façon d’un Archidémon de rechercher la victoire, quelles que soient les circonstances. Zagan reconnut qu’Asmodée l’avait dupé. Voyant qu’il avait maintenant l’intention de l’écouter, Asmodée joua avec sa cuillère tout en prenant un air sérieux.
« Zagan, tu es vraiment très fort. Il n’y a pas beaucoup d’Archidémons capables de mettre à terre un démon en un seul coup de poing. Cependant… » Elle s’arrêta et poussa soudainement sa cuillère pour la pointer vers Zagan. « Si cela se produit tous les jours, encore et encore, combien de temps pourras-tu tenir ? »
« Environ sept jours au maximum », répondit Zagan tranquillement.
Ce n’était pas vraiment un problème si plusieurs démons se présentaient en même temps. Zagan avait prouvé depuis longtemps qu’il pouvait en éliminer environ sept simultanément. Le problème, c’était que cela se reproduisait sans cesse. Même contre le Nephilim de Shere Khan, se battre pendant toute une journée avait épuisé son mana. Et ce, alors qu’il n’avait pratiquement pas utilisé de sorcellerie et qu’il les avait fauchés à mains nues. Contre les démons, qu’il devrait utiliser le Phosphore du Ciel pour vaincre, et même avec le mana de l’Emblème de l’Archidémon, il ne pouvait tenir que sept jours au maximum. Et si des démons comme Samyaza apparaissaient, on pouvait se demander s’il pourrait même gagner.
De plus, utiliser le Phosphore du Ciel en permanence poserait un problème. C’était la marque d’un sorcier de première classe de ne pas affecter autre chose que sa cible, mais il ne s’agissait au fond que d’empêcher les effets de se produire. Cela ne signifiait pas isoler complètement les effets de la sorcellerie. Quelle que soit la perfection de son contrôle, chaque utilisation verrait une petite fuite s’échapper à chaque fois. Et avec une accumulation suffisante, elle empiéterait sûrement sur les terres et même sur Zagan lui-même.
« C’est comme ça que ça se passe », dit Asmodée en hochant la tête à sa réponse. « Si nous ne prenons pas des mesures maintenant, même les Archidémons ne pourront pas les gérer. »
Et ils n’avaient que quelques mois au plus avant que cela n’arrive. Zagan envisagea de dire : « Et qu’est-ce que ça peut te faire ? », mais il décida que ce serait de mauvais goût. Si Asmodée s’en fichait vraiment, elle aurait pu résoudre le problème en transformant tout le continent en un trou béant. Le fait qu’elle ne l’ait pas fait signifiait qu’elle serait troublée par la destruction du monde.
« Même si nous continuons à les traiter au hasard, la situation finira par se détériorer », poursuit Asmodée en détournant maladroitement les yeux du regard scrutateur de Zagan. « Il nous faut un moyen d’empêcher les démons de se manifester à un niveau plus fondamental. »
« Si tant est qu’une telle chose pratique existe. »
On croyait que les démons avaient quitté ce monde il y a de nombreuses années. Le monde tel qu’il était aujourd’hui disposait de bien trop peu d’informations sur eux. Il y avait trop de choses inconnues à leur propos pour qu’ils puissent être traités facilement.
Si seulement j’en avais capturé dans l’espace d’Alshiera…
C’était une occasion rare de voir un essaim de démons, mais il avait fallu à Zagan tout ce qui était en son pouvoir pour les tuer. En tout cas, Zagan comprenait maintenant dans quelle position Asmodée s’était retrouvée.
Ce qui signifie que Marchosias prévoit de l’utiliser avant de la tuer.
Asmodée n’était pas le genre de sorcier dont les rênes pouvaient être prises par surprise par un autre. Il était impossible de la contrôler et on ne pouvait pas savoir quand elle deviendrait une traîtresse. Ainsi, l’un des moyens valables de traiter avec elle était de l’utiliser et de la tuer pendant qu’elle était encore une alliée. Mais si c’est Marchosias qui l’avait fait, il devait y avoir plus que cela.
Il y a quelque chose qui vient après sa mort.
Cette fille possédait une bombe sous la forme du trésor de la Collectionneuse. Ce serait un objectif évident, tandis qu’un autre serait les joyaux du cœur des escarboucles en sa possession. Asmodée devait faire quelque chose avant que cela n’arrive. Pourtant, elle ne montra pas le moindre signe d’être acculée au pied du mur. Au contraire, elle souriait de façon provocante.
« Il en existe apparemment un », dit-elle. « Je parle d’un moyen d’arrêter les démons. Enfin, d’après Alshiera, en tout cas. »
« Elle t’a dit ça ? »
C’était la première fois que Zagan en entendait parler. Il ne pouvait pas ignorer tout ce qui venait d’Alshiera.
« Mais la petite Alshiera ne sait pas non plus ce qu’il faut faire exactement », ajouta Asmodée en se croisant les bras et en réfléchissant à la question. « Tout ce qu’elle dit, c’est qu’elle ne peut pas m’en dire plus. »
« Je vois… »
Alshiera était toujours comme ça quand il s’agissait de sujets datant d’il y a mille ans.
Pourtant, si elle a mentionné l’existence d’un moyen, celui-ci doit être impliqué.
En ce qui concerne Azazel, Alshiera ne pouvait pas dire un mot sans réfléchir. Cela suffirait à briser cette barrière, alors elle ne pouvait absolument pas en parler à qui que ce soit.
« Dans ce cas, cela a à voir avec quelque chose d’il y a un millier d’années en arrière, » dit Zagan en hochant la tête alors qu’il cherchait le sens de ces mots. « Et vu la façon dont tu nous en parles, cet indice a un rapport avec les séraphins ? »
Asmodée s’était joint à la conversation à la mention du mysticisme céleste.
« Ahah, c’est bien ce que j’attendais de toi, Zagan », dit Asmodée en tapant dans ses mains. « Sinon, tu ne vaudrais pas la peine qu’on passe un marché avec toi. »
Cette fille gênante était venue pour négocier, mais ne l’avait pas reconnu comme un partenaire digne de ce nom jusqu’à présent. Elle avait probablement l’intention de lui soutirer les informations nécessaires, puis de s’enfuir sans rien donner en retour. Eh bien, si elle était une personne suffisamment honnête pour faire un échange équitable, on ne l’appellerait pas la Collectionneuse et l’Archidémon la plus méchante. Il était tout à fait évident pour un sorcier de poursuivre ses propres intérêts avant tout. Zagan n’avait pas l’intention de lui en vouloir d’agir ainsi. Pourtant, Asmodée tourna un regard dubitatif vers Néphy.
« Hum, pourquoi as-tu l’air si heureuse ? » demanda-t-elle en voyant que les oreilles de Néphy tremblaient fièrement.
« Hwah ? Oh, hum, quand Maître Zagan est reconnu, je ne peux pas m’empêcher de me sentir heureuse… »
« Hmm. Je crois que je comprends », dit Zagan, qui éprouvait beaucoup d’empathie pour elle. « Je suis également heureux chaque fois que tu reçois des éloges, Néphy. »
« Maître Zagan, c’est embarrassant. »
« Hum, si vous faites ça à chaque fois que vous en avez l’occasion, cette conversation n’aboutira à rien », coupa Asmodée, faisant taire complètement Zagan et Néphy. Elle n’avait pas tort. « Eh bien, revenons à nos moutons, d’accord ? » Asmodée secoua la tête pour se recentrer, puis présenta ses cartes une à une. « Il semblerait qu’une énorme épidémie de démons se soit produite il y a mille ans. Alors, ceux qui s’occupaient de la situation à l’époque étaient ce que les gens d’alors appelaient des séraphins. »
C’était l’ancien nom des hauts elfes. C’est logique. Une théorie affirmait que le mysticisme céleste était spécialisé dans le combat. Il ne pouvait y avoir rien d’autre que les démons contre lesquels utiliser une telle puissance. Dans ce cas, cela expliquait aussi pourquoi il avait été jusqu’à présent si efficace contre les démons et le Roi-Démon de boue.
« Mais ils ont été exterminés par le premier roi aux yeux d’argent et Marchosias », déclara Zagan. « Ça ne veut-il pas dire que Marchosias a un indice ? »
« Je n’ai pas vraiment confiance en ce type. Même s’il sait, crois-tu qu’il va donner des informations à quelqu’un qu’il s’apprête à tuer ? Il est évident qu’il va juste débiter un mensonge plausible. »
Que pouvait-il attendre de plus de l’Archidémon le plus détesté ? Elle comprenait très bien sa position.
« Je pourrais peut-être arrêter les démons… ? » dit Néphy alors que tous les regards se tournent vers elle.
« Peut-être », déclara Asmodée. « Alors, ce qui est curieux maintenant, c’est l’oracle d’Eligor. Elle a dit que tu détruirais le monde, non ? »
Les choses commençaient à prendre forme.
« Cela signifie que… je vais échouer ? » demanda Néphy.
Pour l’instant, ils n’avaient aucun indice. C’était faire fausse route que de demander à Néphy de prendre ses responsabilités, mais paradoxalement, cela prouvait que Néphy était la clé de tout.
« Il y a une autre chose qui me dérange », déclara Zagan.
« Quoi ? » demanda Asmodée.
« Samyaza. Il m’a dit : “Je suis venu vérifier le potentiel que j’ai confié à — à travers notre ancienne promesse.” »
Asmodée et Néphy avaient toutes deux fait la grimace.
« Désolée, qu’est-ce que tu viens de dire ? » demanda Asmodée. « Je n’ai pas vraiment pu t’entendre. »
Zagan avait regardé de son côté, et Néphy lui avait répondu par un signe de tête.
Hmmm. On dirait qu’ils ne peuvent pas reconnaître le nom de Salomon.
Jusqu’à ce que Samyaza le mentionne, il n’avait pas du tout été capable de le reconnaître. Il y avait eu un précédent similaire à celui-ci lors d’un rapport de Kuroka.
« C’est apparemment le nom de quelqu’un, mais un puissant sceau… non, une malédiction est placée dessus », expliqua Zagan. « Même si vous l’entendez, vous ne pouvez pas vous en souvenir ou le percevoir. »
« Je ne me souviens pas… ? Hmm, impressionnant, Zagan. C’est peut-être ça. »
« Que dis-tu ? »
« J’allais reprendre les choses dans l’ordre, mais allons droit au but », dit Asmodée en souriant avec complaisance. « Après la disparition des séraphins, quelqu’un a apparemment tenté de sceller tous les démons. C’est sur ce point que je veux rassembler plus d’informations. »
C’est la première fois que Zagan en entendait parler. Asmodée se bourra les joues avec une bouchée de crème glacée. Le fait qu’elle ne montre aucun signe de fonte malgré leur longue conversation était probablement le fruit d’un travail d’une sorcellerie pour maintenir sa température. Zagan s’apprêtait à l’imiter quand soudain, elle poussa sa cuillère vide vers lui.
« Selon Alshiera, cette personne qui a scellé les démons il y a mille ans a vu son nom et son existence effacés du monde. Ahah, n’as-tu pas l’impression que tout se met en place ? »
Zagan n’avait pas pu cacher sa grimace.
Quel genre de réseau d’information possèdent cette femme et son disciple ? Il est impossible qu’Alshiera ait blablaté sur des choses datant d’un millier d’années. Et pourtant, elle est maintenant ici avec ces informations.
Vepar possédait également des informations détaillées que Zagan venait tout juste d’acquérir. Peut-être qu’Asmodée n’avait pas seulement doté son disciple de sorcellerie, mais aussi de techniques de collecte d’informations. Si c’est le cas, cela avait dû être profondément ancré dans son esprit. Observant la réaction de Zagan, Asmodée sourit avec conviction.
« Zagan, tu connais ce nom et celui de la personne qui a disparu, n’est-ce pas ? Peux-tu me dire quel genre de personne c’était ? »
Zagan soupira.
Bon sang, je voulais avoir le contrôle de cette conversation.
Elle avait mis le doigt sur le problème. Il n’y avait pas moyen d’y échapper à ce stade.
« C’est celui qu’on appelle le roi aux yeux d’argent », répondit Zagan avec résignation.
« Hm… ? N’est-ce pas ton surnom ? »
Elle ne semblait pas savoir ce que cela impliquait, mais elle savait qu’Alshiera désignait Zagan ainsi.
« Le premier roi aux yeux d’argent », précisa Zagan. « Je suis apparemment le troisième. »
« Veux-tu dire que c’est ton grand-père ou ta grand-mère ? »
« Il semblerait que oui. »
À en juger par le nom, Salomon était un homme, mais Zagan n’avait rien d’autre sur quoi travailler.
***
Partie 9
« Hmmm…, » marmonna Asmodée, puis elle croisa les bras, plongée dans ses pensées.
« Quelque chose te tracasse ? » demanda Zagan.
« Non, pas vraiment. Je me suis juste dit que je devais enquêter sur Liucaon si c’est le cas. »
Apparemment, elle savait au moins que le roi aux yeux d’argent était un nom dans les légendes de Liucaon.
En d’autres termes, bien qu’elle n’en sache pas plus, elle s’est adressée à moi avec une grande précision.
Il ne savait pas si c’était son instinct qui était à l’œuvre, mais elle avait jeté son dévolu sur une utilisatrice du mystique céleste et le roi aux yeux d’argent qui étaient les plus proches de sceller les démons. Elle avait une vision terrifiante. Elle donnait un aperçu de ses quatre cents ans de vie passés à être détestée par le monde entier. Puisqu’ils étaient arrivés jusqu’ici, il était inutile de se donner des airs.
« Tu ne devrais pas t’attendre grand-chose de Liucaon », dit Zagan en secouant tranquillement la tête. « Les histoires qui y sont racontées sont celles du deuxième roi. »
« Quelle confusion ! » se plaignit Asmodée. « Mais s’ils ont des archives sur le second, peut-être auront-ils aussi quelques indices ? »
« Si tu es si curieuse, va demander à l’homme lui-même. Je ne sais pas si on peut vraiment parler de la même personne, mais il a au moins les souvenirs de l’homme. »
« Hmm, quelle chance ! »
Asmodée n’avait pas du tout l’air surprise. En fait, il était probable que c’était précisément ce qu’elle voulait.
« Je comprends maintenant », dit Zagan. « Ton véritable but en venant me voir, c’est les Nephilims. »
Demander à ceux qui étaient là il y a mille ans était le meilleur moyen d’en savoir plus sur le passé.
« Ahah, je suis venu te voir parce que je me suis dit que tu saurais. Tu ne vas pas me dire que tu n’as pas demandé d’informations à ces Nephilims sous ta protection, n’est-ce pas ? »
Cependant, si c’était son but, elle aurait dû aller à Foll. La capitale des opprimés où vivaient désormais les Nephilims était son domaine, après tout. Zagan avait une idée de la raison pour laquelle elle ne l’avait pas fait… ou pourquoi elle ne le pouvait pas.
Mercurius. C’était une arme que Zagan avait donnée à Foll et qui avait la forme d’un diapason. Elle faisait partie de l’héritage de Marchosias, et l’« actuel » Marchosias la recherchait. N’ayant pas réussi à la récupérer, si Asmodée était considéré comme proche de Foll — en tant que Collectionneuse distante de surcroît — peu importe l’imbécile, ils soupçonneraient Foll d’être de mèche avec elle. C’est pourquoi elle ne pouvait pas aller voir Foll.
Si je dois respecter l’amitié de Foll, je ne peux pas prendre cette décision à la légère.
Zagan croisa les jambes, prit une cuillerée de son parfait, puis ouvrit la bouche pour parler.
« Très bien. Je te transmettrai les informations dont je dispose. Si j’obtiens de nouvelles informations relatives aux démons, je les partagerai aussi. »
Asmodée le dévisagea, clignant des yeux de surprise à sa déclaration.
« Tu es accepté terriblement vite, » dit-elle. « Eh bien, je suppose que c’est une bonne chose pour moi. »
« Insatisfaite ? »
« Rien n’est plus effrayant qu’une chose donnée gratuitement. Je suis contente, mais aussi effrayée par ce qui va suivre. »
« Tu t’en es tenu à ton honneur », dit Zagan en secouant la tête. « Je ne fais que répondre en nature. »
Asmodée était sûre de comprendre ce qu’il voulait dire.
« Elle est vraiment aimée, hein ? » dit-elle en détournant les yeux.
« Bien sûr qu’elle l’est. Quel genre de parent n’aime pas son enfant ? »
La déclaration inébranlable de Zagan avait finalement fait naître un sourire sur les lèvres d’Asmodée.
« Eh bien, si elle est traitée aussi chèrement, alors je n’ai pas besoin de m’inquiéter », répondit-elle.
C’était peut-être la première fois qu’elle souriait vraiment devant lui. Asmodée termina son parfait, puis se leva de son siège.
« Cela dit, le fait de venir pour conclure un marché, mais d’obtenir des choses gratuitement n’est pas très agréable », ajouta-t-elle. « La plupart du temps, je m’occuperai des démons pour toi. »
Cette seule phrase avait considérablement changé le teint de Zagan.
« Qu’est-ce que tu viens de dire ? »
Alors qu’il chargeait par inadvertance ses paroles de mana, la table se brisa sous la pression. Asmodée plissa les yeux et chargea ses propres mots de mana en réponse.
« Ahah, comme c’est malheureux ! J’avais l’impression que nous nous entendions bien. »
Les tempêtes de mana qui s’entrechoquèrent formèrent un vortex et déformèrent l’espace.
Les deux Archidémons étaient soudain prêts à faire la guerre. Les clients environnants s’étaient dispersés dans toutes les directions. Cependant, il y avait encore quelques imbéciles parmi eux qui restaient assis avec leurs jumelles sorties, supposant que c’était « comme d’habitude ».
« Je te demande ce que tu viens de dire », répéta Zagan en fixant Asmodée dans les yeux.
Sa voix était sévère, mais ne contenait ni hostilité ni haine. Cela troubla quelque peu Asmodée.
« Je m’occupe des démons pour toi ? Est-ce que ça te dérange ? »
Zagan s’était levé d’un coup, les yeux écarquillés.
« Je t’ai mal comprise ! » hurla-t-il du fond du cœur, résistant tant bien que mal à l’envie de lui saisir la main. « Je m’excuse pour mon comportement avant cela. Tu es une sorcière digne de confiance. Si tu as besoin d’aide, alors Néphy et moi ne lésinerons pas sur les moyens pour te fournir de l’aide. »
Comprenant ce qu’il voulait dire, Néphy hochait la tête à plusieurs reprises à côté de lui. La façon dont le bout de ses oreilles pointues rougissait légèrement était si adorable.
« Euh… »
L’inversion complète du traitement avait fait reculer Asmodée, déconcertée.
« En y réfléchissant, chacun de ces salauds à qui j’ai eu affaire m’a toujours apporté des affaires qui ont entravé le temps que je passais avec Néphy. »
Mais qu’en est-il de cette fille ? Elle se proposait galamment de s’occuper des démons qui allaient très probablement interrompre le temps précieux que Zagan passait avec Néphy. Il devait préserver l’existence d’une fille aussi bénéfique. Certes, le fait qu’il soutienne pleinement Vepar dans ses aspirations à vaincre Asmodée tout en disant de telles choses montrait qu’il était vraiment un sorcier égoïste, mais tout de même…
Asmodée s’était tourné vers Néphy avec un regard suppliant pour obtenir des précisions.
« Euh, ce ne sont pas de mauvaises personnes, mais Maître Zagan a effectivement été très occupé à cause d’eux, » expliqua Néphy. « Les choses vont devenir très difficiles pour moi aussi, alors nous sommes ravis de t’entendre dire que tu vas nous aider, Lily. »
Comme on peut s’y attendre de la part de Néphy, elle avait traduit tout ce que Zagan essayait de dire. Asmodée avait dû retenir un mal de tête.
« Ummm, d’accord. D’accord. Chacun son truc, je suppose ? » dit-elle.
« En effet ! J’attends beaucoup de toi », dit Zagan avant de sombrer dans la réflexion. « Oh, c’est vrai. On dirait que tu t’es bien entendue avec le Nephilim Shura. Si tu le souhaites, tu peux l’utiliser comme bon te semble. »
« Oh, je vais passer mon tour. Je travaille toujours en solo, alors les autres ne font que me gêner », dit Asmodée, avant d’incliner la tête avec un regard séducteur. « En plus, ce type a l’air d’avoir des sentiments pour moi. Je me sentirais mal de le désillusionner, alors c’est mieux pour moi de ne pas m’impliquer avec lui. »
Voyant qu’il n’avait aucune chance, Zagan ressentit un peu de sympathie.
Je doute cependant qu’il soit désillusionné.
Cependant, forcer les choses n’apporterait pas de résultat positif. L’attente peut apporter un changement. Il y avait un précédent avec Richard et Nephteros, il valait donc mieux les laisser tranquilles pour l’instant.
« Hmm, maintenant que j’y pense…, » marmonna Zagan, se souvenant de quelque chose à la mention des Nephilims.
« Quoi ? » demanda Asmodée.
« Il est possible que Shere Khan ait su quelque chose à propos du premier roi aux yeux d’argent. »
« Hein ? Kitty l’a fait ? »
« Kitty… ? Oh, tu veux dire Shere Khan. »
Zagan avait sympathisé avec lui intérieurement.
Il a vraiment eu la vie dure…
En y repensant, Shere Khan avait été l’un des rares à avoir une personnalité respectable parmi les Archidémons. Cela avait dû être difficile pour lui d’être entouré de tels excentriques.
« Tout le monde fait une drôle de tête quand j’utilise le surnom de Shere Khan », dit Asmodée, trouvant cela inattendu. « Pourquoi ? »
« Je préfère te demander pourquoi tu penses que les gens ne seraient pas décontenancés par cela. »
« C’est bizarre. En fait, il avait l’air d’aimer ça… »
« Je vois… »
Eh bien, c’était idiot de demander à cette sorcière de comprendre ce que ressentent les autres.
« Oh, tu ne me crois pas du tout, n’est-ce pas ? » dit Asmodée. « Je te dis que c’est vrai. Il a dit que cela lui rappelait son professeur et il était plus content qu’il ne le laissait paraître. »
« Lisette Dantalian… »
Zagan réagit involontairement à ces mots. Selon toute vraisemblance, il avait fait référence à l’Archidémon en chef de deuxième génération, dont la vie et les idéaux avaient été réduits en poussière par Marchosias. Shere Khan avait tenté de la ressusciter. Le résultat avait été Lisette, la fille que Stella avait recueillie et prise en charge comme sa petite sœur.
Marchosias pourrait également les cibler.
Il avait déjà partagé cette information avec Stella, qui était donc sûre de protéger Lisette. Néanmoins, avec Marchosias comme ennemi, il n’y avait aucune garantie. Asmodée devait avoir un intérêt pour ce nom, mais voyant que Zagan ne s’étendait pas, elle en conclut que cela n’avait rien à voir avec les démons et remit la conversation sur les rails.
« Alors ? Pourquoi penses-tu que Kitty connaissait ce roi aux yeux d’argent ? »
« Il a utilisé la même malédiction. »
« Hein ? Sérieusement ? » demanda Asmodée, les yeux écarquillés.
« C’était incomplet par rapport à l’original, mais il a lancé cette malédiction sur Marchosias. À cause de cela, plusieurs de ses facettes ont été effacées du monde. »
Cela comprenait son nom Marc et son statut dans l’Église en tant que pape. Il pouvait y avoir d’autres choses, mais c’était tout ce que Zagan savait personnellement. À cause de cela, l’Église avait passé cinq étranges années avec leur pape absent sans même se poser de questions. Cela dit, contrairement à Salomon, ceux qui entendaient son nom n’oubliaient pas, et une fois connus, ils étaient capables de reconnaître ces aspects normalement. Que la malédiction ait dû être réduite à ce point pour être contrôlé ou qu’il n’ait tout simplement pas réussi à la reproduire entièrement, la version de Shere Khan avait un effet bien plus faible que l’original.
« Mais n’as-tu pas réduit la base de Kitty en cendres ? » demanda Asmodée avec un gémissement.
« C’est ce que j’ai fait. »
Il a eu recours à la pluie de phosphore du ciel des morts en larmes. Absolument tout avait été réduit en poussière et la zone entière avait été transformée en un terrain vague où pas même un seul brin d’herbe ne pousserait pendant des siècles. Même s’il avait eu d’autres bases, Marchosias les aurait détruites il y a cinq ans, il serait donc difficile de trouver des traces. Asmodée resta un moment plongé dans ses pensées, puis sembla se souvenir de quelque chose.
« Oh, Kitty n’avait-il pas un disciple ? »
« Si tu fais référence à Shax, il n’est pas en ville. Il faudra attendre plusieurs jours avant qu’il ne revienne. »
Shax était en train de négocier avec l’Archidémon Forneus. Zagan ne pensait pas qu’il s’agissait d’une tâche simple. De plus, Dexia avait été traitée comme un familier, pas comme un disciple. Il avait déjà confirmé qu’on ne lui avait pas donné d’informations importantes.
« Il ne semble pas qu’on puisse obtenir beaucoup d’indices de sa part », dit Asmodée en haussant les épaules.
« Peut-être pas. Je demanderai quand il sera de retour. »
C’était à peu près toutes les informations que Zagan avait à partager. Asmodée semblait elle aussi satisfaite, et avait retrouvé son habituel sourire frivole.
« Alors utilise-le pour me contacter », dit-elle. « Je te ferai savoir s’il y a des développements de mon côté. »
« Compris. Veille à rester sur tes gardes. »
Asmodée ne faisait pas confiance à Marchosias, et il ne lui faisait pas confiance. Il était sûr de la trahir un jour.
« Ahah, c’est très paternel d’agir ainsi », dit Asmodée, l’air quelque peu étonné. « Eh bien, je suis célèbre pour ne pas savoir quand abandonner, tu sais ? »
Laissant derrière lui cette mystérieuse déclaration, Asmodée s’était évanoui dans les airs en riant.
« Es-tu sûre que tu n’avais pas besoin de lui parler ? » demanda Zagan au siège derrière lui.
Foll et ses accompagnatrices, les jumelles Dexia et Aristella, y avaient pris place.
« Hmm… Je sais que Lily s’inquiète pour moi, alors ça va », dit Foll en faisant tourner sa cuillère dans un verre à parfait.
« Foll… »
Dès l’apparition d’Asmodée, Foll s’était cachée à l’arrière.
Je parie qu’elle évitait le sujet de Foll parce qu’elle le savait.
Leur relation était tellement maladroite, mais c’était le type d’amitié qu’elles partageaient.
« Merci de nous avoir accompagnées, Dexia, Aristella, » dit Foll. « C’était un soulagement ! »
« Petite dame, je vous prie de ne plus faire cela », dit Dexia, l’épuisement se lisant clairement sur son visage. « Vous allez raccourcir mon espérance de vie. »
Pour Dexia, il n’était pas certain qu’Asmodée et Lily soient la même personne. Elle s’était probablement sentie très mal à l’aise lorsque la situation avait atteint un point critique.
Mais elle est restée sur place pour protéger Foll et sa petite sœur, alors elle est digne de ma confiance.
Zagan avait décidé de lui accorder un jour une récompense spéciale.
« Mais sœurette, tu as toi aussi l’air soulagée », dit Aristella.
« Ce n’est pas vrai… »
Mettant de côté leur verre vide, le groupe de Foll disparut à son tour.
***
Chapitre 3 : L’âge apporte son lot de fierté
Partie 1
« Manteau noir… est un peu trop simple. Sans visage… n’est pas tout à fait juste. Hmm, et pourquoi pas sans visage ? »
Dans la ville sainte Raziel, la ville la plus prospère du continent, existaient des taudis et des ruelles sombres. La nuit venue, aucun citoyen digne de ce nom ne s’approcherait de tels endroits, même par hasard. Dans l’un de ces endroits, une jeune fille bien habillée, hors de propos, marmonnait pour elle-même d’un air insouciant. C’est Lisette Diekmeyer. Deuxième fille adoptive de l’ancien archange Michael Diekmeyer — actuellement considéré comme disparu — elle était la petite sœur de l’actuelle archange Stella Diekmeyer. Sa tenue formelle était l’uniforme de l’académie des Chevaliers angéliques, mais ici, elle était assise dans une ruelle sans se soucier de la salir.
« De quoi parles-tu… ? »
Les ténèbres de forme humaine qui se trouvaient à côté de la jeune fille se balançaient. Sa voix ressemblait un peu à celle d’un homme. Lisette avait rencontré cette étrange créature il y a un mois. Il n’était pas humain. On ne savait même pas s’il était vivant comme un monstre ou une bête. Selon toute vraisemblance, les Chevaliers angéliques essaieraient de le soumettre, mais Lisette l’avait mis à l’abri sans rien dire à personne. Chaque fois que l’école se terminait, elle passait un moment à traîner près de lui comme ça.
En fait, j’aimerais demander conseil à ma sœur à ce sujet… Mais si Stella décidait de le frapper, Lisette n’avait aucun moyen de l’arrêter. Même ignorante comme elle l’était, Lisette savait que cette obscurité était quelque chose de dangereux. Si Stella décidait plutôt de le mettre à l’abri, elle finirait par en assumer la responsabilité si quelqu’un le découvrait. C’est pourquoi elle n’avait pas parlé de lui à Stella. Mais elle va sûrement le découvrir toute seule… Stella essayait sans doute de savoir ce qu’il était exactement.
« Oh, tu as enfin parlé », dit Lisette en souriant comme si sa petite farce avait fonctionné. « Je parle de ton nom. Lequel aimes-tu ? Tu ne me réponds jamais quand je te parle. C’est gênant si tu n’as pas au moins un nom. »
L’obscurité était restée insensible à son comportement.
« Je me demande ce qui pourrait marcher », poursuit Lisette avec délectation. « Tu es toujours assis au détour d’une ruelle, alors peut-être Kitty ? »
« Samyaza… »
L’obscurité voyait sans doute qu’on ne pouvait pas savoir quel nom lui serait attribué si Lisette était laissée en roule libre, alors il prit enfin la parole.
« Samyaza… Est-ce ton nom ? »
« Oui. »
« Hee hee. Samyaza, hein ? C’est un nom merveilleux. »
Honnêtement, Lisette avait commencé à se demander s’il s’agissait d’une illusion qu’elle seule pouvait voir. Elle était sincèrement heureuse qu’il lui ait répondu.
« Tu devrais arrêter d’apporter du pain ici », dit Samyaza. « Les enfants de passage le récupèrent tout simplement. »
« Aah, alors tu n’as vraiment pas mangé. N’as-tu pas besoin de manger ? Oh, ne t’inquiète pas pour le pain qui a été volé. Je m’en doutais un peu. »
Samyaza avait tourné vers elle ce qui ressemblait à un visage empli de doutes. Le contour de sa tête ressemblait un peu à un visage, mais le seul élément qui y figurait était un dessin géométrique composé de cercles et de lignes droites. Il lui parlait enfin, mais on pouvait se demander si sa voix venait bien de là. Il était difficile de lire quoi que ce soit dans le comportement de cette masse de ténèbres, mais elle pouvait dire qu’il soupirait.
« Si tu l’as remarqué, pourquoi apporter du pain ici ? » demanda Samyaza. « Ça n’a pas de sens. »
« Ce n’est pas dénué de sens », dit Lisette. « J’ai été la même que ces enfants, alors je partage ma part. Un simple morceau de pain peut faire la différence entre la vie et la mort. Tant qu’ils vivront, le jour viendra peut-être où ils trouveront la bonne fortune. L’enfant qui a arraché le pain a saisi un morceau de cette fortune. »
Sur ce, Lisette arracha une partie de son propre pain et le jeta dans sa bouche.
Y a-t-il un humain à l’intérieur ? J’ai l’impression que beaucoup de ses comportements sont très humains. Alors qu’elle continuait à l’observer, l’obscurité — Samyaza — marmonna avec confusion.
« Je ne peux pas comprendre. »
« Je suppose que non », dit Lisette en souriant sans se vexer. « C’est juste ce que je crois. Ceux qui ont reçu la fortune doivent la transmettre à quelqu’un d’autre. »
Lisette aurait dû mourir lors de l’Alshiere Imera il y a plusieurs mois. Mais elle avait rencontré Stella et Zagan, elle avait assisté au dernier moment de cet homme, elle avait été aidée par tant de gens et on lui avait tant donné. C’est pour cela qu’elle était ici aujourd’hui. Même avant tout cela, à l’époque où elle se battait avec des ruffians pour trouver des restes de nourriture dans les ruelles, il y avait eu des gens qui l’avaient aidée — des gens qui avaient fait semblant de ne pas remarquer les pièces de monnaie, le pain ou les fruits qu’ils avaient laissés tomber.
Peut-être n’avaient-ils cherché qu’à gonfler leur ego en faisant preuve de pitié envers ceux qui étaient plus malchanceux qu’eux. C’était une coïncidence qu’elle ait été celle qui les avait ramassés, et à l’époque, elle n’avait même pas remercié l’un d’entre eux. Néanmoins, ces petits tours de fortune l’avaient maintenue en vie.
C’est pourquoi Lisette faisait la même chose maintenant dans cette ruelle — tout cela pour transmettre à un autre la chance qui lui avait été accordée.
« Quand je disais que je ne pouvais pas comprendre, je parlais du fait de s’impliquer avec moi, » dit Samyaza en secouant la tête. « Si tu cherches à t’apitoyer sur ton sort, va le faire chez les humains. »
« Une fête de la pitié… ? Eh bien, je suppose que c’est ce que tu crois. » Lisette mâcha le dernier morceau de son pain et lui rendit son sourire. « D’une manière ou d’une autre, tu avais l’air de vouloir de l’aide. »
Quand ils s’étaient rencontrés pour la première fois, il avait l’air si triste. Samyaza avait relevé son visage sans traits. L’intimidation qu’il dégageait s’était évanouie et il avait eu l’impression que sa bouche s’ouvrait.
« Quand tu trouves quelqu’un comme ça dans les ruelles, ça te donne envie de lui donner un coup de main », dit Lisette, sans la moindre trace de doute dans la voix. « Comme des frères et sœurs de la rue, tu vois ? »
Quelqu’un avait fait la même chose pour Lisette, après tout.
« Ha ha… Dire que le jour viendrait où je serais considéré comme le frère ou la sœur de quelqu’un », dit Samyaza en posant une main sur son visage.
« Ah, tu as ri. Tu es vraiment comme un humain. »
Samyaza s’enfonça dans le silence comme l’obscurité qu’il était encore une fois, mais cela ne semblait pas provenir d’une irritation. Lisette avait l’impression qu’il était timide.
Oh, il est gêné ? C’est plutôt mignon. Pour une raison ou une autre, elle avait l’impression que quelque chose de similaire s’était produit il y a très longtemps. Non pas qu’elle ait des souvenirs remontant à plus de cinq ans.
Lisette s’était levée et avait tapoté la saleté sur sa jupe. Cela ne suffisait pas pour s’en débarrasser entièrement, alors elle utilisa discrètement la sorcellerie pour accomplir cette tâche.
« Il est bientôt temps pour moi de partir. Je reviendrai demain, d’accord Samyaza ? »
Comme toujours, Samyaza était resté silencieux, mais elle avait bien vu qu’il ne l’ignorait pas. Lisette était donc partie d’un pas plus léger que d’habitude.
« Alors ? Tu ne fais rien aujourd’hui ? » marmonna Samyaza dans la ruelle désormais vide.
Comme en réponse à cela, une silhouette descendit du ciel.
« Tant que tu ne fais rien de bizarre à ma jolie petite sœur, ça me va. »
C’était Stella Diekmeyer, la femme qui servait actuellement de tutrice à Lisette. Lisette n’avait aucun moyen de savoir que, pendant toutes ses rencontres avec Samyaza, Stella l’avait observée avec des yeux meurtriers. Aujourd’hui, elle ne montrait aucun signe d’hostilité.
« Quoi qu’il en soit… Hm, j’ai compris. Des frères et sœurs de la rue, hein ? » dit Stella avec un sourire curieux. « Ça veut dire que Lisette t’a acceptée. »
« Quelle fille étrange ! »
Stella hocha la tête avec plaisir. « En tant que grande sœur, je dois répondre aux attentes de ses caprices égoïstes. »
En bref, il s’agissait d’une offre de compromis.
« Il semblerait que les humains possèdent le concept d’être redevable d’une dette de logement et de repas », marmonna Samyaza à voix basse.
Même une dette aussi modeste était quelque chose qu’il ne fallait jamais oublier.
« Je vais rester ici, dans cette ruelle crasseuse, un peu plus longtemps », poursuit-il. « Les inhumains sont de ma compétence. »
Stella cligna des yeux de confusion à ses paroles, puis elle éclata de rire.
« Ha ha ha ha ! Une dette à rembourser ? Tu dois être un vieil homme. »
Face à ces rires bruyants, Samyaza était resté perplexe, comme toujours.
◇
« Ton maître est introuvable… »
Malgré le fait d’avoir parcouru toute la ville à la recherche du maître de la servante, il y avait bien trop peu d’indices à trouver. Et sans rien trouver, le ciel s’était assombri. Micca leva les yeux vers le croissant de lune suspendu au-dessus de sa tête.
Il se souvient du melon qu’il avait reçu pour célébrer son intronisation en tant qu’archange. Il l’avait partagé avec sa mère et ses cinq frères et sœurs. Il avait été plus délicieux que tout ce qu’ils avaient déjà mangé. Ses petits frères avaient même tenté de manger la peau. La lune dans le ciel ressemblait maintenant exactement à cette peau.
Oh non ! Ma vie défile devant mes yeux. Que quelqu’un me donne de l’espoir pour l’avenir.
« Fatigue… épuisement ? » demanda la jeune fille avec prévenance tandis que Micca fixait la lune avec des yeux creux.
« Ah, non, je vais bien. »
« Mes excuses… pardonne-moi. Désolé… de t’avoir demandé de m’aider. »
Micca secoua la tête d’un air contrarié. « Je ne cherche pas ton maître que parce que je le veux, et on peut considérer que c’est aussi mon travail. Tu n’as pas à t’inquiéter. »
« Est-ce que c’est… ainsi ? »
La dépression de Micca venait du désespoir de devoir retourner à son travail initial une fois qu’il aurait trouvé le maître de la jeune fille. S’il y avait quelque chose à faire, c’était de le sauver en l’aidant. C’est alors qu’un grognement pathétique s’échappa de son estomac. Ah oui, je n’ai même pas déjeuné.
La jeune fille n’avait pas du tout l’air fatiguée. Il se demanda si elle avait déjeuné. Quoi qu’il en soit, il était temps qu’elle ait faim elle aussi. Micca avait donc fait une suggestion audacieuse.
« U-Um ! As-tu faim ? Nous n’avons pas encore trouvé ton maître, mais que dirais-tu d’une petite pause ? »
« Repos. Un repas. Tu veux dire ? » Elle pencha la tête avec curiosité, et après avoir compris, elle hocha la tête. « Perception… réalisation ? Insuffisant. Oui, reposons-nous. »
Micca s’était senti déprimé par sa réaction. Il avait l’impression qu’elle disait : « Désolé de ne pas l’avoir remarqué. »
***
Partie 2
On a l’impression qu’elle a de la considération pour moi plutôt que l’inverse ! Pourtant, elle était si gentille de se préoccuper de quelqu’un qui n’avait été d’aucune utilité bien qu’elle ait proposé son aide. Micca se souvient alors de quelque chose qu’elle avait dit plus tôt.
« T-Tu sais, quand tu as dit désolée plus tôt, il y a un meilleur mot que tu devrais utiliser. »
« Plus tôt ? »
« Tu te souviens ? Quand tu m’as dit que tu étais désolée que je t’aide. »
« Oui. C’est ce que j’ai dit. »
« Dans ces moments-là, je crois que dire merci rendra les deux parties plus heureuses. C’est seulement si cela ne te dérange pas, bien sûr. »
La jeune fille hocha la tête en signe de compréhension. « Merci… toi ? »
Il y avait encore une inflexion étrange, mais Micca avait souri.
Maintenant que j’y pense, je n’ai toujours pas entendu son nom. Mais comment pouvait-il le demander maintenant ? Micca ne s’était même pas non plus présenté. Cela rendait la question encore plus difficile à poser. Pourquoi n’avait-il pas donné son nom lorsqu’il s’était présenté comme chevalier angélique ? Alors qu’il réfléchissait à tout cela, il jeta un coup d’œil autour de lui et gémit.
« Oh non… Tous les restaurants sont pleins. »
Micca ne possédait pas de montre, mais il semblerait que c’était l’heure du dîner. Il y avait beaucoup trop peu de restaurants pour le nombre de personnes qui se trouvaient dehors. Tous les endroits semblaient bondés. Bien que ce soit lui qui ait suggéré de faire une pause, Micca ne trouvait pas d’endroit où aller.
Dois-je la ramener à l’église ? Le maître de la jeune fille n’avait pas l’air de faire grand cas de l’Église, mais ils pourraient au moins s’y reposer. Et alors qu’il s’apprêtait à revenir sur ses pas, une certaine boutique qui n’avait pas de file d’attente à l’extérieur attira son attention.
« On dirait qu’on peut entrer par là ? »
« Il semble que oui. »
Si personne ne faisait la queue à cette heure-ci, cela signifiait sûrement que la nourriture n’était pas bonne. Pourtant, ils devaient au moins servir de l’eau. Ayant passé toute la journée à marcher, cela suffirait à reposer son corps.
Micca se rapprocha du restaurant. Cela avait l’air d’une taverne tout à fait normale. Elle était plutôt bien située dans la rue et il n’y avait pas de saleté qui aurait pu faire hésiter les gens à entrer. L’intérieur était relativement grand et l’odeur de nourriture provenant de plus loin attisait l’appétit.
Micca franchit la porte, se demandant pourquoi personne ne venait ici, et le découvrit immédiatement.
« Excusez-moi. Avez-vous de la place pour t — ! »
Micca ravala ses paroles.
« Monsieur Shax. Ce n’est qu’une suggestion. Et si nous enlevions cette personne et que nous la ramenions ? »
« Calme-toi, Kurosuke. Nous pourrons rentrer à la maison de cette façon, mais tout ne sera-t-il pas terminé si nous le faisons ? »
« Cependant, cette fois-ci, c’est de ta faute. Le livre que tu m’as prêté était tout simplement si fascinant que j’ai perdu la notion du temps. »
« C’est sans espoir ! C’est comme si tout ce qu’il disait était crypté et que nous n’avions aucun moyen de le résoudre ! C’est à se demander si nous sommes même en train de nous voir les yeux dans les yeux ! »
« Je comprends ce que tu ressens, mais il essaie de déclarer ses intentions à sa manière ! Réfléchissons-y un peu ! »
Assis autour d’une table, il y avait une fille tabaxi portant un bâton qui semblait à bout de patience, un homme qui essayait de la calmer d’un air épuisé, et un vieil homme au visage lugubre. Un vortex de soif de sang et de mana tourbillonnait autour d’eux. Même ceux qui n’étaient pas des chevaliers angéliques ou des sorciers seraient capables de voir à quel point cet endroit était dangereux. Cependant, Micca n’avait pas salivé à cause du carnage qui se déroulait devant lui. C’était parce qu’il savait qui était l’un de ceux qui participaient à ce carnage.
Le roi tigre Shax ! C’est l’un des nouveaux Archidémons. La mission de Micca était d’observer sa réunion clandestine. La première impression de Micca fut qu’il s’agissait d’un homme aux manières douces. Il avait l’air d’un type normal qui avait beaucoup de soucis à se faire. Cependant, Micca savait que les Archidémons étaient bien plus que ce que l’on pouvait voir.
Une fois, il avait été témoin de l’Archidémon Zagan, qui avait agi comme un gentleman en lune de miel tout en écrasant plusieurs Archanges à la fois. Tous possédaient bien plus de pouvoir que Micca, mais il n’y avait même pas eu de combat. Tout ce que Micca avait réussi à faire, c’était de supplier pitoyablement l’homme que l’on appelait l’Archange le plus fort, Michael Diekmeyer, de l’aider — qui ne l’avait même pas écouté. Même en tenant compte du fait que Zagan était l’un des Archidémons les plus puissants, il était clair que le Roi Tigre qui se trouvait devant Micca était bien au-dessus de ses moyens.
Et c’est avec lui qu’il a un rendez-vous clandestin ? Micca reporta son attention sur le vieil homme assis en face de l’Archidémon. Il était étrange qu’un Archidémon tienne une réunion dans une taverne banale, mais c’était ce que la situation impliquait.
« On dirait que cet endroit n’est pas bon ! » hurla Micca, tournant sur ses talons sans hésiter. « Cherchons ailleurs — ! »
« Maître ! »
« Hein… ? »
La jeune fille passa devant Micca en courant, jusqu’à l’Archidémon Shax… non, jusqu’au vieux monsieur qui se trouvait en face de lui. Elle prit la main du vieil homme et parla avec un visage inexpressif.
« Maître, disparaître… se perdre ? Ce n’est pas bon. Chercher… chercher ? C’était très difficile. Tu as causé… beaucoup de problèmes. »
Sa formulation était toujours aussi maladroite lorsqu’elle s’adressa au vieil homme, qui lui lança un regard affectueux et lui tapota la tête.
« Je suis tellement content de t’avoir trouvée », déclara-t-il.
« Maître… C’est moi qui ai cherché. »
« Hm ? Et qui es-tu ? » demande le roi-tigre en haussant un sourcil devant son apparition soudaine.
Si je m’enfuis maintenant, je peux encore le faire. Micca n’avait pas beaucoup de présence. L’Archidémon ne l’avait probablement pas perçu, même si Micca se tenait dans son champ de vision. La porte était encore ouverte. S’il se retournait et faisait un pas, il pourrait s’échapper de cet espace cauchemardesque. Cela signifierait abandonner la fille dont il ne savait rien, mais il venait à peine de la rencontrer et ne connaissait même pas son nom. Il était désolé pour elle, mais il n’y avait aucune raison de risquer sa vie pour ça. Ce n’était pas censé être le cas.
« Dépêche-toi ! Sauve-toi ! »
Micca s’était interposé entre le roi-tigre et la jeune fille. Il écarta bravement les bras pour la protéger, mais ses jambes tremblaient pathétiquement. Quant à la jeune fille, elle pencha la tête et cligna des yeux avec confusion, incapable de comprendre ce qui se passait.
« Cours ! Vite ! »
Micca cria à nouveau, mais la jeune fille ne fit pas mine de bouger. Elle s’était sans doute dit qu’elle ne pouvait pas quitter son maître après l’avoir enfin retrouvé.
« Attends un peu », déclara le roi-tigre en s’adressant à Micca. « Est-ce que tu as mal compris quelque chose… ? » Il fit une pause, les yeux fixés sur la grande épée dans le dos de Micca. « Hmm, une épée sacrée, hein ? »
Le roi-tigre avait souri tel un chasseur.
Oh, je suis sur le point de mourir.
Un archange avait fait irruption dans la réunion clandestine d’un Archidémon. L’Archidémon n’avait aucune raison de le laisser en vie. Comme pour le prouver, la fille tabaxi qui se trouvait à côté de Shax avait soudainement disparu.
Hein ? Où est-elle passée ? Micca s’apprêtait à hausser le ton, mais il entendit soudain un tintement métallique derrière lui. Cela provenait des ornements d’un bâton. Immédiatement après, des frissons parcoururent son corps comme si un glaçon avait été pressé contre son arrière-train.
Aah, c’est donc à cela que ressemble la véritable soif de sang. Il ressentait un esprit intense qui ne lui permettrait jamais de s’échapper. Il ne s’était pas mouillé simplement parce qu’il tremblait tellement qu’il ne pouvait pas. La fille était comme une faucheuse derrière lui, sa faux à portée de main.
« Je vois…, » murmura-t-elle. « Alors tu es le soutien de l’Église ? »
Les larmes coulant pitoyablement dans ses yeux, Micca leva ses deux mains tremblantes pour montrer au minimum qu’il n’avait pas l’intention de résister. Même dans cette situation, il voulait rentrer chez lui en vie. Il savait qu’il serait critiqué comme un archange raté pour cela, mais il ne voulait pas mourir. N’ayant plus aucune possibilité de retraite, Micca resta immobile tandis que le Roi-Tigre se levait lentement.
« J’ai entendu parler de toi. Tu es plutôt talentueux, hein ? »
Micca n’avait jamais su à quel point il était cruel de jouer avec sa vie. Qualifier l’archange le moins gradé de talentueux devait être un sarcasme, mais ce n’est pas pour cela que Micca avait pâli.
Nos renseignements ont été divulgués ? Ils avaient depuis le début compris que l’Église les surveillait. C’était peut-être tout à fait naturel pour un Archidémon. Micca avait été irréfléchi de ne pas y penser. Shax passa un bras autour de l’épaule de Micca, comme un ami proche. Son contact doux était terrifiant.
« Alors, quel est ton nom ? Allez, assieds-toi. »
Il ne voulait absolument pas le faire. Dès qu’il serait assis, il était assuré de mourir. Il aurait dû écarter la main de l’homme et s’enfuir, mais le chemin vers la porte semblait inaccessible, comme s’il se trouvait au-delà d’une falaise abrupte. La fille tabaxi lui glissa une chaise et Micca s’installa à la table sans qu’aucune autre option ne lui soit proposée.
« Alors, combien de choses as-tu déjà entendues ? Oh, commençons par les présentations. Je suis Shax, le deuxième roi-tigre. Voici Kuroka Adelhide. C’est la samouraï la plus forte de Liucaon. »
Ils formaient déjà une paire cauchemardesque, mais Shax avait plongé Micca encore plus loin dans les profondeurs de l’enfer avec ses prochaines œuvres.
« Alors, celui qui est assis en face de nous, c’est le marionnettiste Forneus. C’est l’Archidémon le plus âgé actuellement. »
Il s’avérait que le roi-tigre était sorti personnellement pour rencontrer un autre Archidémon. Le fait qu’il explique courtoisement tout cela était la preuve irréfutable qu’ils n’avaient pas l’intention de laisser Micca partir d’ici en vie.
Shax et la tabaxi nommée Kuroka avaient pris place de part et d’autre de Micca. Leur attention se portait alors sur la servante.
« Désolé de vous avoir fait perdre votre temps. Est-ce que je peux aussi te demander des nouvelles de toi ? » dit Shax, et les mots qu’il prononça ensuite furent un nouveau choc pour Micca. « Vu que tu l’appelles Maître, est-ce que ça fait de toi le Dieu du Tonnerre Furfur ? »
Micca se souvenait vaguement que c’était le nom d’un ancien candidat Archidémon — des sorciers qui devaient être traités avec presque autant de prudence que les Archidémons eux-mêmes. Cependant, son esprit n’arrivait pas à se faire à l’idée que la charmante servante qu’il avait sous les yeux était l’un de ces sorciers. Il tourna les yeux vers elle, se demandant s’il s’agissait d’une plaisanterie, et elle souleva les ourlets de son tablier blanc et fit une révérence.
« Oui. Furfur. Mon nom. Celui qui m’a été donné. »
Est-ce que c’est ça que d’avoir le désespoir forcé devant ses yeux ?
Qu’est-ce que j’ai bien pu me promener avec… ?
Micca devint mortellement pâle, et l’ignorant, les deux personnes assises à ses côtés la regardèrent avec de l’espoir dans les yeux.
« Alors, peux-tu dire ce que cette personne dit !? »
Micca n’avait pas compris les paroles de la tabaxi. Elle désignait l’Archidémon Forneus. La servante — Furfur — jeta un coup d’œil à son maître, puis secoua vigoureusement la tête.
« Parler… parler ? Le maître n’est pas doué pour ça. C’est difficile. Inintelligible. J’ai du mal à comprendre. »
« C’est ce que je pensais… »
***
Partie 3
Kuroka et Shax s’étaient étalés sur la table comme s’ils en avaient assez de tout ce qui se passait dans le monde, leur solennité de tout à l’heure s’évanouissant dans l’air. Furfur était resté immobile sans faire le moindre mouvement, tandis que Forneus avait fait comme si cela n’avait rien à voir avec lui et avait renversé son verre de whisky.
« Monsieur Shax, j’ai une idée formidable », chuchota Kuroka. « Et si nous revenions avec seulement sa tête et sa main droite ? Zagan devrait au moins être capable de lire ses souvenirs vu ce qu’il en est. »
« Kurosuke, je comprends ce que tu ressens, mais arrête avec ça. Ça ferait de nous des tueurs à gages. »
« As-tu déjà oublié ? C’est à l’origine mon métier. »
« Je dis que tu n’as plus à faire ce genre de choses. S’il y a des meurtres à faire, je les ferai. »
« Bon sang… C’est injuste de dire des choses comme ça… »
Quel genre de spectacle lui fait-on regarder ici ? Micca ressentait plus de confusion que de peur à présent.
« Aah, désolé pour ça, » dit Shax, remarquant son ahurissement. « Nous sommes ici pour négocier avec ce type, mais nous sommes complètement perdus puisque nous ne pouvons pas communiquer avec lui. »
« Hm ? »
« Pour le dire franchement, le fait d’avoir, ne serait-ce qu’une personne de plus ici pour partager notre souffrance, est plutôt agréable. »
« Hmmm ? »
Micca était encore plus perplexe à présent. N’en pouvant plus, il éleva la voix.
« U-Um, je ne comprends pas vraiment… la situation ou quoi que ce soit… »
En entendant cela, Shax et Kuroka avaient échangé un regard.
« Je suppose que non. Reprenons depuis le début », dit Kuroka. « L’Église est au courant que nous organisons une réunion dans cette ville, mais ils ne peuvent pas faire semblant de ne pas voir que deux Archidémons entrent en contact, alors un Archange a été dépêché pour se joindre à eux. C’est toi. »
« Hein… ? Mais…, pour commencer, pourquoi avez-vous des informations privilégiées sur l’Église ? » demanda Micca.
« Oh, je suis techniquement de l’Église », répondit Kuroka.
Un tabaxi de Liucaon dans l’Église ? Où ai-je déjà entendu cela… ?
« Aaah ! Le problème international ! », avait-il crié sans le vouloir.
« Suis-je un problème international maintenant… ? Désolée », déclara tranquillement la fille tabaxi.
Elle n’est… pas si effrayante que ça… ?
« Eh bien, comment dire ? » dit Shax d’un air fatigué. « Je suis sûr que tu es confus, mais nous faisons partie de la clique de l’Archidémon Zagan. Nous sommes un peu comme ta faction d’unification. Je t’assure que tu vivras, alors ne t’inquiète pas pour ça. »
« Hein… ? »
Micca n’aurait jamais pensé que de telles paroles viendraient d’un Archidémon. Il doutait de ses oreilles.
« Je… ne vais pas mourir ? » demanda-t-il.
« Es-tu venu ici en pensant que tu allais mourir ? Je ne connais pas ta situation, mais soigne-toi mieux. L’Église ne veut pas non plus que les Archanges qui ont affronté un Archidémon avant meurent en vain. »
« M-Mais… Je n’ai aucun talent. Je suis aussi le moins bien classé… Je suis inutile… »
Il se sentait soulagé de savoir qu’il n’allait pas mourir. N’en pouvant plus, Micca se mit à sangloter convulsivement. Shax et Kuroka échangèrent à nouveau des regards.
« Ne dis pas ces conneries », lui dit Shax. « Il n’y a personne au monde qui devrait simplement mourir. »
« C’est exact, » acquiesça Kuroka. « Mlle Stella a dit qu’elle envoyait quelqu’un de prometteur. C’est toi, n’est-ce pas ? Aie plus confiance en toi. »
L’Archidémon l’encourageait avec une gentillesse choquante.
« Pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ? » demande Micca.
« Je veux dire… nous pouvons au moins parler avec toi. »
Shax et Kuroka détournèrent maladroitement les yeux. Ils devaient avoir leurs propres difficultés. Et puis, sans qu’il s’en rende compte, la servante — Furfur — se tenait devant Micca.
« Merci… d’avoir cherché mon maître et de l’avoir trouvé. Est-ce que c’était… bien ? » déclara-t-elle en s’inclinant rapidement devant lui. Elle le regarda ensuite dans les yeux avec inquiétude. « Je suis heureuse… d’avoir reçu de l’aide. La prochaine fois… je t’aiderai ? »
Peut-être que le monde était bien plus gentil que Micca ne le croyait. Il essuya enfin ses larmes et s’apprêta à sourire…
« Pow ! Quelle magnifique assemblée d’invités nous avons ce soir ! »
Quelqu’un qui n’aurait jamais dû exister dans un monde doux se tenait devant lui.
◇
« Je suis crevée… »
Le soir venu, après avoir terminé sa rencontre avec Zagan, Asmodée était toujours à Kianoides. La raison en est simple. Elle était tout simplement trop fatiguée pour aller ailleurs.
Est-ce qu’ils ne s’épuisent pas à se tourner autour comme ça ? C’était un peu charmant de les voir si innocents, mais le fait d’en être témoin de près lui avait donné mal à l’estomac. Si elle ne marchait pas, elle risquait d’attraper une intoxication alimentaire.
Heureusement, Zagan avait nettoyé le démon dont elle était censée s’occuper elle-même. Elle avait du temps à perdre en ville. Sa seule inquiétude avait été de tomber sur Foll, mais cette petite fille faisait partie des Archidémons. Elle devait savoir qu’il y avait une raison pour laquelle ils ne pouvaient pas se rencontrer. Même si elles se croisaient par hasard, Foll pourrait passer sans dire un mot. Alors qu’Asmodée continuait à marcher sans destination particulière, elle contempla le paysage urbain.
« C’est sûr que c’est paisible ici. »
Même lorsque Zagan avait chargé ses paroles de mana, la majorité des clients n’avaient fait que reculer un peu et avaient continué à les observer avec de l’amusement dans les yeux. Ils semblaient tellement habitués.
Maintenant que j’y pense. J’ai l’impression de ne pas avoir observé l’humanité depuis très longtemps. La plupart du temps, les humains étaient les cibles d’Asmodée ou faisaient partie de la racaille qu’elle piétinait sans état d’âme. Elle avait récemment capturé une journaliste bizarre, mais on pouvait se demander si elle avait reconnu la pauvre fille en tant que personne.
Ici et maintenant, elle voyait les racailles qui marchaient autour d’elle comme des personnes. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait pensé ainsi. Cela faisait-il des décennies, voire des siècles ? Et alors qu’elle poursuivait sa marche sans but, hébétée, elle croisa un visage familier.
« Ah… »
« Hrm… ? »
C’était un vieux monsieur qui portait une queue de pie. Il avait ce qui ressemblait à un bras artificiel fait d’une armure de plaques. Même s’il était assez tard dans la nuit pour que le dîner soit terminé, il tenait un énorme bouquet de fleurs à la main.
Ummm, comment s’appelle-t-il déjà ? Elle se souvenait qu’il était le majordome du palais de l’Archidémon, mais maintenant qu’elle y pensait, elle n’avait peut-être pas entendu son nom. Pourtant, il y avait une raison pour qu’elle le reconnaisse comme un individu et non comme un membre de la racaille.
C’est lui qui m’a donné le joyau central de ma sœur… Il était l’un de ceux dont elle devait faire un exemple pour avoir posé ses mains sur le sang spirituel. Mais il avait aussi donné à Asmodée le joyau de sa sœur. De plus, cet homme avait accepté de servir d’exemple. On peut se demander si le tuer servirait à quelque chose.
Et puis, sans lui, moi ou Foll serions morts. En y pensant comme ça, peut-être qu’elle lui était redevable d’une certaine façon. En d’autres termes, Asmodée ne savait pas du tout comment interagir avec lui. Et comme elle restait incapable de trouver quelque chose à dire, le majordome prit la parole en premier.
« Hmph. Je vois que je suis dans le chemin. »
Il commença rapidement à passer devant elle comme s’il avait vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir.
« Non, non, non, attends une seconde », dit Asmodée en l’appelant à s’arrêter. « Pourquoi agis-tu comme si tu venais de voir une personne bizarre ? N’est-ce pas un peu grossier ? »
Le majordome tourna vers elle un regard inattendu.
« Je suppose que tu as raison », dit-il en hochant la tête en signe de recueillement. « J’ai promis de te donner ma tête. Très bien. C’est une vieille tête, mais prends-la. »
« Peux-tu arrêter de me traiter comme un maniaque de l’homicide ? »
Elle ne supportait pas l’idée d’être mise dans le même sac que le seigneur du meurtre. Certes, on l’avait déjà qualifiée d’être l’Archidémon la plus abominable, pas loin du roi sans visage récemment décédé, mais c’était une autre histoire. C’était désagréable de se le faire dire en face.
« Hm ? Je pensais que tu étais ici pour finir ta quête », dit le majordome en haussant un sourcil.
« Eh bien, tu sais, c’est un peu en suspens pour l’instant… »
Il secoua la tête. Ces paroles ne siéent pas à la Collectionneuse.
« Mais pour le dire franchement, ne trouves-tu pas que c’est bizarre de jeter sa vie si facilement ? » demanda Asmodée en s’indignant. « N’es-tu pas assez fort ? Et si tu faisais un peu plus d’efforts pour vivre ? »
Si Behemoth ou Levia entendaient cela, ils hurleraient qu’elle n’était pas autorisée à dire ça vu ce qu’elle avait déjà fait, mais Asmodée conservait son sang-froid. Cet homme était le maître de l’épée sacrée de Zagan. Asmodée avait croisé le fer avec lui une seule fois, et cela lui avait suffi pour croire qu’il était parmi les plus forts de tous les Archanges actifs. Il était étrange qu’un tel homme offre si facilement sa tête à un autre.
Et pourtant, le majordome se contentait de lui rendre un sourire apathique. Non pas qu’Asmodée s’en soucie vraiment… mais pour tous ceux qui les entouraient, on aurait dit qu’un vieil homme souriait férocement en menaçant une petite fille impudente, ce qui fit s’arrêter les passants.
« L’effort de vivre…, » dit le majordome en ignorant leurs regards. « J’ai trop perdu pour lutter pour la vie à cet âge. Je ne peux pas dire que cela m’intéresse. »
Asmodée se surprit à hocher la tête. « Je peux sympathiser un peu avec ça… »
Lorsqu’elle avait obtenu le pouvoir, Asmodée était déjà seule. Tous les autres de sa race étaient morts depuis longtemps et elle n’avait plus rien à protéger. Tout ce dont elle avait été capable, c’était de récupérer les joyaux de son peuple qui avaient été traités comme des marchandises. Même si sa sœur était morte pour qu’elle puisse vivre, la vie d’Asmodée n’avait eu aucun but. Maintenant, elle avait l’impression de comprendre enfin le sens de ces mots.
Aah, j’ai compris. Le « bonheur » dont ont parlé ma soeur et Foll se réfère à l’avenir.
C’est vrai. C’était quelque chose qu’elle ne possédait pas. Après avoir récupéré tous les joyaux de noyau, elle était sûre de mourir dans l’obscurité sans se mêler à qui que ce soit d’autre. Si elle n’y parvenait pas, elle détruirait absolument tout, y compris elle-même. Asmodée était une bombe. Une bombe n’a pas d’avenir.
« De plus, » déclara le majordome alors qu’Asmodée penchait sa tête, « à cet âge, il ne me reste plus grand-chose à faire ou à vouloir faire. Si je peux devenir une source d’encouragement pour les plus jeunes, alors mourir ne me semble pas si terrible. »
« Les jeunes ? J’ai vécu plusieurs fois ton âge. »
« Comme c’est risible », dit le majordome en s’ébrouant tout en transférant le bouquet dans sa main blindée. « Je suis sûr que c’est le cas, mais même si vous, sorciers maudits, vivez de longues vies, ce n’est pas plus que de vivre dans une bulle gelée. Vous êtes différents de moi. À l’intérieur, je ne vois pas beaucoup de différence entre nous. »
Même si Asmodée avait essayé d’être amical avec lui, ce bref commentaire l’avait fortement irritée.
« Qu-Quoiiiiiiiiiiiiii !? Quelle impudence ! Crois-tu que je ne vais pas te tuer !? »
« C’est moi qui t’ai dit de prendre ma tête… »
***
Partie 4
Malgré ce qu’elle disait, il avait sans doute raison. Asmodée avait haussé le ton sans aucune dignité. Voyant sa réaction, le majordome lui posa une main sur la tête comme s’il voyait clair en elle.
« Si tu n’aimes pas qu’on te traite de jeune, alors laisse les mains du temps bouger à nouveau. Sinon, tu finiras par dépérir à l’intérieur de ta bulle gelée. »
La pire et la plus méchante des Archidémons n’avait rien qu’elle puisse dire en réponse.
Qu’est-ce qui se passe avec ce type ? Il m’énerve vraiment.
Ses yeux s’étaient ensuite portés sur les fleurs qu’il portait si délicatement.
« Tu as un passe-temps terriblement mignon pour un vieil homme », dit-elle en arrachant le bouquet.
Le majordome avait un pouvoir remarquable, mais personne au monde ne pouvait empêcher la Collectionneuse de les voler.
« Tu manques pourtant de bon sens », poursuit-elle. « Il n’y a rien de joyeux dans le blanc et le vert. »
Asmodée avait virevolté sur place, éparpillant des pétales tout autour d’elle tandis qu’elle riait d’un air méprisant.
« Ce sont des fleurs pour une tombe, après tout », dit tranquillement le majordome. « Je ne peux pas utiliser des couleurs gaies. »
Asmodée s’était arrêtée complètement, puis baissa profondément la tête.
« Euh… Désolée pour ça. »
Elle utilisa alors la sorcellerie pour remettre les pétales éparpillés à leur place et tendit le bouquet au majordome.
« Ne t’inquiète pas à ce sujet. C’est simplement le sentimentalisme d’un vieil homme. »
C’est ce qu’il avait dit, mais il y avait une affection évidente dans la façon dont il regardait les fleurs — et une tristesse évidente.
« Ummm… Désolé de t’avoir offensé », dit Asmodée. « Était-ce quelqu’un de proche ? »
Le majordome secoua la tête. « Non, je n’ai croisé son chemin qu’une seule fois. Je n’ai même pas connu l’anniversaire de sa mort jusqu’à récemment. »
Malgré une rencontre aussi brève, il devait s’agir de quelqu’un d’irremplaçable pour lui.
Un anniversaire de décès… Je ne me souviens même plus de la date de la mort de ma sœur.
Asmodée avait été choquée. Oubliez l’anniversaire de sa mort, elle ne se souvenait même pas du son de la voix de sa sœur ni de la façon dont elle riait. Elle s’était battue pour retrouver la dignité de sa sœur et celle de tout son peuple. C’était censé être le cas, mais elle ne se souvenait ni de leurs visages ni de la date de leur mort. Elle se souvenait à peine du visage de sa sœur, uniquement grâce au portrait de son pendentif.
Je vois. Voilà donc ce que signifie dépérir dans ma bulle gelée. Les paroles du majordome étaient d’une précision agaçante. C’était une fin convenable pour la Collectionneuse qui avait commis tous les actes malveillants possibles.
« Désolée de t’avoir dérangé », dit-elle en brossant ses cheveux argentés et en tournant sur ses talons.
Elle n’allait pas se mettre en travers du chagrin de quelqu’un. Et alors qu’elle s’apprêtait à partir, le majordome l’appela à nouveau.
« As-tu du temps à consacrer en ce moment ? »
« Quoi ? »
« Si c’est le cas, alors viens avec moi. »
Alors même qu’elle s’apprêtait à s’écarter de son chemin, le majordome l’invita à une promenade nocturne.
◇
« Alors ? Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? »
Le majordome avait emmené Asmodée dans un château au milieu de la forêt. À en juger par les innombrables barrières qui l’entouraient, elle n’avait pas besoin de demander s’il s’agissait d’une demeure de sorcier. Il semblait pourtant ne pas être habité.
« Le château de mon seigneur », répondit le majordome en ouvrant la porte et en entrant. « Il n’est pas utilisé actuellement, mais il est précieux pour lui. Même maintenant, je le garde propre. »
« Hmph. Alors, ton ami dort aussi ici ? »
Le seul endroit qu’il visiterait avec ce bouquet serait une tombe. Et pourtant, le majordome secoua calmement la tête.
« Non ? Ça n’a rien à voir avec ça. »
« Alors pourquoi m’as-tu amenée ici ? » demanda Asmodée avec exaspération. Il lui avait même demandé d’utiliser la sorcellerie pour venir ici, car cela aurait pris un certain temps en utilisant une calèche. « Je vais me fâcher si tu dis que tu veux de l’aide pour nettoyer. »
« Quelle sorte d’idiotie es-tu en train de débiter ? Crois-tu que je sois mal préparé pour recevoir l’invitée de mon seigneur et de Foll ? »
« Oh, désolée. C’est juste que ça n’avait pas l’air d’être le cas. »
Honnêtement, l’endroit était très bien entretenu. Bien qu’il s’agisse d’un vieux château, il n’y avait aucun déchet sur le sol. Les pièces situées au-delà du hall principal étaient sûrement toutes aussi propres les unes que les autres.
« Tu avais l’air plutôt épuisée », dit le majordome en haussant les épaules. « Prends au moins un peu de thé. »
Par réflexe, Asmodée tendit la main vers son visage.
Est-ce que c’était si facile à dire ?
Elle était en fait extrêmement épuisée, mais elle ne pensait pas que quelqu’un qu’elle n’avait rencontré qu’une seule fois serait capable de voir à travers elle. Peut-être que ce majordome était tout simplement aussi observateur lorsqu’il s’agissait des gens.
Le majordome se dirigea plus loin dans le château. La cuisine se trouvait probablement par là. Laissée seule, Asmodée se promena dans le château sans rien faire. C’était un petit château, composé d’une vingtaine de pièces tout au plus. Il était modestement meublé et tout était bien entretenu.
Est-ce que Foll vivait aussi ici ?
Si c’est le cas, Asmodée voulait jeter un coup d’œil à sa chambre. Ce château n’était plus utilisé. Il était possible qu’il ne reste aucune de ses affaires personnelles. Mais cela n’avait pas vraiment d’importance. Asmodée était poussé par une curiosité insatiable.
Se sentant quelque peu espiègle, Asmodée ouvrit toutes les portes qu’elle trouva. Si le majordome se mettait en colère, elle n’aurait qu’à les refermer. Cela pouvait se faire d’un claquement de doigts, après tout. Le château avait vraiment été vidé. Les pièces ne contenaient que des étagères vides, des tubes à essai et autres. Il n’y avait rien d’intéressant.
Et alors qu’elle continuait à ouvrir des portes, elle trouva une pièce qui avait l’air quelque peu habitée. Elle renifla l’air et détecta une légère odeur de produits capillaires.
« Serait-ce la chambre du majordome ? »
Le lit était recouvert de draps, et sur la table étaient posés un stylo et ce qui ressemblait à un journal avec un étrange masque étranger.
Un masque de renard ?
Il avait l’air assez vieux, ce qui avait fait vibrer le cœur de la collectionneuse, mais elle avait réussi à retenir son envie de le mettre dans sa poche et l’avait simplement enfilé à la place.
« Je suppose que ce dessin est de Liucaon ? Eligor l’aimerait sans doute, mais il ne me convient pas vraiment. Pourtant, il est bien fait et semble plutôt précieux. »
Après avoir marmonné pour elle-même, elle ouvrit la fenêtre. Elle leva les yeux vers le ciel où un pâle croissant de lune pendait au-dessus de sa tête comme une lame. Il n’y avait pas de lumières dans la ville et rien n’obstruait le ciel étoilé étonnamment clair. Asmodée poussa le masque un peu sur le côté et sauta pour s’asseoir sur le cadre de la fenêtre.
« C’est tellement beau… », murmure-t-elle à personne en particulier.
Depuis combien de temps une telle pensée ne lui avait-elle pas traversé l’esprit alors qu’elle regardait la lune ? Peut-être n’avait-elle même pas ressenti cela lorsque sa sœur était encore là.
Est-ce que cela signifie que les aiguilles du temps ont un peu bougé… ?
Était-elle capable de penser ainsi à cause de cette petite fille gênante et têtue ? Alors qu’elle continuait à regarder le ciel, Asmodée sentit la faible odeur du thé et détecta une présence qui s’approchait.
« C’est donc ici que tu étais. »
Le majordome avait préparé du thé. Lorsqu’il jeta un coup d’œil dans la pièce, Asmodée lui sourit et lui montra la lune du doigt.
« La lune est belle, n’est-ce pas, monsieur le majordome ? »
Pour une raison ou une autre, ses yeux s’étaient ouverts comme s’il regardait quelque chose d’incroyable.
« Hm… ? Quoi ? » demanda Asmodée.
Elle n’avait pas l’intention de prétendre être une dame après toutes ces années, mais la Collectionneuse ne lui avait pas fait perdre son sens de la beauté. C’était quelque peu vexant d’être regardée de la sorte. Sentant cela, le majordome secoua la tête.
« Ce n’est rien. On m’a simplement déjà dit quelque chose de similaire. »
Sur ce, il posa le service à thé sur une table voisine et en versa pour deux. Asmodée ne connaissait rien au thé, mais le parfum était agréable. C’était comme si cela allégeait le fardeau qui pesait sur son cœur. Le majordome ne déclara rien, prit place sur le lit et sirota son thé.
Le silence suivit.
Uhhh… qu’est-ce qui se passe avec cette situation ?
Comment s’était-elle retrouvée à prendre le thé avec un vieil homme dont elle ne connaissait même pas le nom ? C’était déconcertant, mais contre toute attente, elle ne trouvait pas cela désagréable. La vie d’Asmodée était toujours mouvementée, tout comme sa personnalité. Avoir quelqu’un de silencieux à ses côtés était étonnamment agréable. Cela lui donnait envie d’essayer de contempler tranquillement la lune en savourant du thé.
Zagan et les autres étaient terriblement bruyants, après tout.
Aveugle à ses propres défauts, Asmodée sourit avant qu’une pensée soudaine ne lui vienne à l’esprit.
« Ah oui, monsieur le majordome ? »
« Quoi ? »
« C’est toi qui t’occupais de celui de ma sœur… du sang spirituel dans le palais de l’Archidémon ? »
« En effet, je le faisais. »
Elle devait donc le tuer. C’était le cas, mais les mots suivants sortis de la bouche d’Asmodée étaient…
« On dirait qu’il a été traité avec soin… Merci. »
Les joyaux de base qu’Asmodée avait collectés étaient tous conservés dans un petit cercueil au sein de sa salle au trésor. Le joyau central de sa sœur était dans un état extraordinaire. Les autres avaient été traités d’une manière ou d’une autre pour être utilisés comme ornements ou autres, et elle devait donc normalement les restaurer dans leur état d’origine. Et pourtant, celui de sa sœur était exactement comme il était dans la vie. Asmodée n’avait rien eu à lui faire et l’avait simplement rangé dans le cercueil.
« C’était la propriété de mon seigneur, alors je l’ai simplement traité comme tel. Je n’ai pas besoin de ta gratitude. »
« Haaah… C’est vrai que tu as une sale gueule. »
Alors même qu’elle soupirait d’étonnement, Asmodée restait assise sur le cadre de la fenêtre. Elle savoura à nouveau son thé et la vue de la lune tranquillement, quand cette fois, le majordome rompit le silence.
« À propos de ce masque… »
Ce n’est que lorsqu’il le mentionna qu’Asmodée se souvint qu’elle portait encore le masque de renard.
« Oh, ça ? Tu as plutôt bon goût. C’est précieux, alors tu devrais faire attention avec ça. »
Asmodée avait failli la prendre sans le savoir, alors elle le retira dans la panique et le tendit vers lui.
« Tu peux prendre ça à la place de ma vie », dit-il en secouant la tête. « C’est trop beau pour moi. »
« Hm… ? Es-tu sûr ? On dirait que tu le chéris vraiment. »
« Cela ne me dérange pas. »
Cette explication ne la satisfaisait pas vraiment, mais elle n’avait aucune raison de refuser.
« Eh bien, si tu me l’offres, je le prendrai. »
C’est ce qu’elle avait dit, prêt à l’accepter hautainement quand le majordome ajouta une dernière chose.
« J’avais l’intention de l’offrir un jour à ma fille. »
« Cela rend la chose vraiment difficile à accepter ! »
Ne me dis pas que c’est le souvenir de sa défunte femme ou une chose équivalente.
***
Partie 5
La sorcière connue sous le nom d’Asmodée était tout à fait du genre à piller sans pitié les souvenirs et les cadeaux de fiançailles, mais c’était uniquement lorsqu’il s’agissait de sang spirituel. Elle ne se contentait pas de voler tout ce qui bougeait… la plupart du temps.
« C’est un peu comme un porte-bonheur », dit le majordome, réalisant qu’il n’en avait pas dit assez. « Il m’a protégé plus qu’il n’en faut. Ma fille a maintenant quelqu’un d’autre pour la protéger, alors prends-le. »
« Haaah… C’est vrai ? » Asmodée soupira et rétracta sa main.
Tous les gens que je rencontre disent toujours la même chose…
D’abord Alshiera, puis Zagan, et maintenant ce majordome, tout le monde agissait comme s’il se préoccupait du mode de vie d’Asmodée. C’était ridicule de s’inquiéter pour le plus méchant des Archidémons. Peut-être que l’ombre de la mort planait sur elle.
« Eh bien… Je serai prudente », dit-elle en remettant le masque et en faisant face au majordome.
Elle regarda sa tasse. Il ne lui restait plus qu’une gorgée. Avant de terminer, elle avait encore une question à poser.
« Oh oui, puis-je entendre ton nom ? »
Dans une tournure quelque peu inhabituelle pour la jeune fille qui ne voyait pas les autres comme des personnes, elle s’était dit qu’il était au moins bien de se souvenir du nom de ce majordome. Il n’avait pas répondu tout de suite, pour une raison ou une autre. Au lieu de cela, il ouvrit la bouche, mais ne déclara rien.
« Hm… ? Quel est le problème ? » demanda Asmodée. « Eh bien, si tu ne veux pas me le dire, c’est aussi très bien. »
En vérité, beaucoup ne voulaient pas donner leur nom à Asmodée, ne sachant pas ce qu’elle leur ferait une fois qu’elle le saurait. La réaction du majordome était raisonnable.
« Quelque chose ne va pas chez moi ce soir », dit le majordome en secouant la tête. « Ce n’est rien. Oublie tout ça. Je suis Raphaël… Comment dois-je t’appeler ? »
Il avait donc demandé, mais il connaissait déjà les deux noms d’Asmodée.
« Appelle-moi comme tu veux », dit Asmodée en haussant les épaules. « Asmodée… ou Lily. »
Elle avait essayé de faire comme si cela n’avait pas d’importance pour elle, mais sa voix s’était affaiblie à la fin.
Quand je le dis comme ça, on a l’impression que je veux qu’il m’appelle Lily…
Pourquoi lui a-t-elle laissé le choix ?
Je devais laisser le nom de Lily sur la tombe de ma sœur…
En tant que seule survivante de son peuple, elle avait commis toutes les atrocités possibles pour récupérer leurs joyaux. C’est pourquoi elle avait enterré le nom de Lily avec le corps de sa sœur.
« Alors Lily », dit le majordome en souriant.
« Quoi… ? »
« Entends-toi bien avec Foll. C’est la fille orpheline de mon ami. »
Maintenant, c’est logique. Elle avait eu l’impression que ce vieil homme soutenait encore plus Foll que Zagan. C’était la raison de son comportement.
« Oui, oui », dit Asmodée en lui rendant son sourire. « Je m’entendrai avec elle. Si j’en ai envie, bien sûr. »
Une chose que le vieux majordome avait mentionnée avait alors pesé sur son esprit.
« Encore une chose, » dit Asmodée. « Quel genre de fille est ta fille ? »
« Elle s’appelle Kuroka… C’est une cait sith. »
Les yeux d’Asmodée s’écarquillèrent de surprise.
« Comme toujours, ceux qui entourent Zagan sont des familles composées de toutes les races, hein ? »
Faisant semblant de ne pas se rendre compte à quel point cela la rendait envieuse, Asmodée but sa dernière gorgée de thé.
« En guise de remerciement pour le masque, je protégerai cette fille s’il lui arrive quelque chose », dit-elle. « Si j’en ai envie, bien sûr. »
Sans attendre de réponse, Asmodée disparut. Peut-être était-elle gênée de dire quelque chose qui ne lui correspondait pas. Laissé tout seul à présent, le majordome fit lentement tourner le thé dans sa tasse.
« La lune est belle, n’est-ce pas… ? »
Avec une certaine personne en tête, ces mots avaient été portés par le vent et s’étaient évanouis au loin sans atteindre personne.
◇
« Pow ! Quelle magnifique assemblée d’invités nous avons ce soir ! », s’écria Glasya-Labolas en s’extasiant. « Aaah, quelle brochette distinguée ! » continua-t-il comme s’il dansait et chantait. « Le plus ancien Archidémon, le Marionnettiste Forneus. Le successeur du dieu de l’épée Andrealphus, le deuxième roi tigre. Le plus grand samouraï de Liucaon, Kuroka Adelhide. L’un des anciens Archidémons, le dieu du tonnerre Furfur. Et bien qu’occupant le siège le plus bas, un manieur d’épée sacrée, Micca Salvarra. »
Chacun à lui seul serait un adversaire redoutable, de quoi faire danser son cœur. Alors, à quel point son sang va-t-il circuler en les affrontant tous en même temps ? Peut-être était-ce là la destination de Glasya-Labolas. Après s’être enivrée de toutes sortes de meurtres pendant six cents ans, jusqu’à quel point sa propre mort lui apporterait-elle de l’extase ?
« Hélas ! La mort est impartiale pour tous, et nous tombe dessus injustement. »
Face à ses cris d’exultation, tout le monde avait réagi immédiatement. La fille cait sith dégaina son épée. Le roi-tigre s’avança pour protéger Forneus. La servante et le chevalier angélique se raidirent face à ce développement soudain. Forneus ouvrit la bouche pour invoquer la sorcellerie. Mais ils arrivèrent tous trop tard.
« Rideau de la nuit. »
Le monde s’était arrêté. La vaillante samouraï s’était mise à portée en une seule enjambée, son épée dégainée coupant une fine couche de peau avant de s’arrêter complètement. Le Roi-Tigre avait été sur le point d’invoquer une sorte de sorcellerie pour la protéger, mais il était resté immobile sans rien accomplir. Le Marionnettiste avait ouvert la bouche, mais n’avait pas prononcé un seul mot. La servante n’avait même pas essayé de faire quoi que ce soit. Le jeune archange n’avait même pas tiré son épée. Ils avaient tous le potentiel nécessaire pour vaincre Glasya-Labolas, mais ils s’étaient tous figés sans défense, incapables de faire usage de leur force.
Derrière le comptoir, le barman versait de la bière dans une chope, sans bouger, en laissant tourner le robinet. Le liquide doré remplit généreusement la coupe avec des bulles d’écume, mais alors qu’il débordait, le barman ne s’aperçut pas que la bière se répandait sur son pantalon et sur le sol. Le rideau de la nuit était un sortilège qui arrêtait la perception du temps de tous les êtres vivants.
Ce qui était vraiment terrifiant dans cette sorcellerie, c’est qu’il n’y avait pas de limite de temps. Le temps restait figé pour l’éternité, à moins que Glasya-Labolas ne rompe lui-même le sort ou que sa cible ne le rompe par sa seule volonté. Dans trois jours, sa cible allait mourir de faim. Pourtant, quelqu’un pouvait s’en sortir à force de volonté.
Lors du combat de l’autre jour contre l’Archidémon Zagan, cette sorcellerie n’avait pas maintenu son effet plus d’une demi-seconde. C’est pourquoi Andrealphus était connu sous le nom de Dieu de l’épée et non pas Glasya-Labolas. Ceux qui se trouvaient ici n’étaient pas non plus très loin de Zagan. Il valait mieux supposer qu’ils ne seraient arrêtés que pendant une ou deux secondes, voire moins.
Malheureusement pour eux, Glasya-Labolas n’avait besoin que d’un instant pour tuer quelqu’un. C’est grâce aux formidables défenses de Zagan contre la sorcellerie et à sa quasi-prévoyance au combat qu’il avait mis Glasya-Labolas à terre. Si Zagan n’avait pas eu l’une ou l’autre de ces capacités, il aurait perdu la tête.
« La mort dans un échange limite avec le fort est vraiment belle. Elle remplit mes organes du plus grand sentiment d’accomplissement et de plaisir. Cependant, voler la vie des forts injustement est encore un autre fruit sucré accentué par le blasphème et la corruption. »
Glasya-Labolas aimait chaque vie qu’il cueillait. Les cinq vies ici présentes étaient parmi les plus belles marchandises de ses six cents dernières années. Il se demandait par quoi commencer. Pourquoi pas le samouraï qui s’était rapproché à une vitesse divine ? Non, le chevalier angélique terrifié était difficile à laisser passer. Quel goût aurait le jeune homme qui avait pris le nom du Roi-Tigre ? Quel genre de visage mourant le dieu du tonnerre sans expression allait-il lui envoûter ? Ou peut-être n’était-ce qu’une question de savoir-vivre que de commencer par sa véritable cible. Le choix qu’il devait faire le faisait se tordre d’agonie, mais il décida de jeter son dévolu sur sa cible — le Marionnettiste Forneus.
Cependant, Glasya-Labolas n’avait pas fait un pas en avant. Au contraire, une perle de sueur coulait sur sa joue.
Quelle soif de sang parfumée !
C’est comme s’il dansait sur de la glace fine. Un seul pas pouvait le mener à sa perte. Ce qui le convainquait, c’était ce qu’il avait sous les yeux. C’est ce que l’on attendait des Archidémons et de ceux qui possèdent le pouvoir juste en dessous d’eux. Ils avaient pris des mesures contre son rideau de la nuit. Un sourire diabolique déforma le visage du vieux fou.
Alors, je relève le défi !
Comment pourrait-il reculer devant un accueil aussi passionné ? Il s’apprêtait à faire un pas en avant, mais quelqu’un d’autre bougea avant lui.
« Tous ceux qui veulent du mal à mon maître sont considérés comme des ennemis. »
« Oh ! »
La servante s’était avancée dans les limites du rideau de la nuit.
Elle l’a brisé en un instant… Non, il n’a jamais fonctionné sur elle, n’est-ce pas ?
C’était tout simplement la rapidité de sa réaction qui lui fit penser ça. Alors qu’elle était peut-être équipée d’une sorte de bracelets, des lames sortirent de ses deux bras. Bien qu’elle ne soit pas aussi habile que le samouraï, il était impossible d’éviter un tel coup.
Les yeux du dieu du tonnerre Furfur s’étaient ouverts. C’était logique. Alors qu’elle se rapprochait de Glasya-Labolas, ses lames s’étaient arrêtées comme si elles étaient bloquées par un mur invisible. Une simple canne se tenait entre ses lames. Voyant exactement où les deux frappes tranchantes se croisaient, il les avait arrêtées avec la pointe de sa canne.
« Comme c’est merveilleux, Dieu du tonnerre ! Ma dame, d’avoir une si belle maîtrise de l’épée à un si jeune âge ! Tu as du potentiel ! »
En tant qu’ancien Saint de l’épée, ses attentes montaient en flèche de voir une telle habileté avec une épée chez un sorcier. Cependant, elle était bien trop inexpérimentée pour croiser le fer avec Glasya-Labolas. Alors qu’il s’apprêtait à l’en informer, le dieu du tonnerre murmura.
« Foudre. »
L’électricité s’était déchargée de son corps avec un grésillement.
« Mrgh ! »
En même temps, elle commença à repousser sa canne avec une force incroyable compte tenu de sa fine carrure. Les talons de Glasya-Labolas glissèrent sur le sol en bois tandis qu’il fut lentement forcé de reculer.
« Quelle force herculéenne ! Essaies-tu de surmonter la différence d’habileté par la puissance !? »
Il était inévitable que Furfur utilise la sorcellerie axée sur la foudre, étant donné son surnom. Cependant, la foudre que Glasya-Labolas connaissait utilisait l’espace comme support pour décharger un éclair d’électricité. C’était aussi l’un des sortilèges que Zagan préférait. Selon l’habileté du lanceur de sorts, elle pouvait exercer une puissance comparable à celle d’une catastrophe naturelle.
Il n’était pas censé conférer une telle force. Quoi qu’il en soit, Glasya-Labolas n’était pas un adversaire si facile qu’il pouvait être vaincu par la force brute. Alors que les lames s’approchaient de son cou, il retira soudainement sa canne.
« Ah. »
***
Partie 6
Ayant mis toute sa force dans sa poussée, le dieu du tonnerre se jeta en avant et frappa l’air vide. Le cou qu’elle visait s’était déjà échappé loin de ses lames.
« Lame enflammée du diable. »
La canne de Glasya-Labolas était un support qui amplifiait son mana. En y déversant son mana, elle se transformait en une épée maudite capable de déchirer toute matière. En un instant, la canne à tête de chien devint une grande épée au tranchant sinistre, s’élançant sans pitié vers le torse de la jeune fille.
« C’est une vict — ! »
« Hurle ! Haniel ! »
L’air hurla alors que la lame qui devait lui déchirer la taille disparut, redevenant un simple bâton de bois.
« Guh ! »
Même sans le tranchant, il s’agissait d’un coup fait par un Archidémon. Le dieu du tonnerre vola en arrière et s’écrasa contre le mur, le brisant tandis que sa silhouette disparaissait de l’autre côté.
Quelle curieuse réaction !
C’est comme s’il avait frappé une armure. Portait-elle quelque chose sous ce tablier à froufrous ? Quoi qu’il en soit, elle n’était pas morte.
Malgré tout, elle doit être frappée d’incapacité.
Elle n’était pas près de rester debout. Glasya-Labolas se retourna pour voir qui s’était interposé. Le jeune archange avait dégainé son épée. La sorcellerie de Glasya-Labolas avait été annulée au moment où elle avait atteint sa cible. La puissance de l’épée sacrée n’était pas tout à fait évidente, mais elle était revêtue d’un éclat cendré.
« Wôw, qu’est-ce qui se passe ? » déclara le barman depuis le comptoir.
Hmm, le rideau de la nuit a été dissipé.
Il ne l’avait pas vu se produire, mais il s’agissait probablement du pouvoir de purification de l’épée sacrée. Glasya-Labolas bondit en arrière pour mettre de la distance entre eux.
« Je suppose que je n’allais jamais m’en sortir aussi facilement », déclara-t-il avec une admiration honnête. « Comme c’est merveilleux. »
« On dirait que tu ne te laisses pas non plus abattre si facilement », répondit le roi tigre en haussant les épaules. « Ça aurait été fini si tu t’étais approché d’un pas. »
En entendant ces mots, Glasya-Labolas comprenait maintenant que l’intense soif de sang qu’il avait sentie au sein du Rideau de la Nuit venait de cet homme. Cependant, celui dont il se méfiait le plus était le jeune archange qui était probablement le plus faible du groupe.
C’est vraiment lui que je dois surveiller.
On ne savait pas si le garçon en était conscient ou non, mais il était probablement l’ennemi naturel de Glasya-Labolas. On pourrait dire qu’il était un génie. S’il survivait ici et passait quelques années à acquérir de l’expérience, il pourrait devenir celui qui tuerait cet Archidémon fou.
Aaah, quel talent fascinant !
C’est pourquoi il ne pouvait pas résister à la tentation de cueillir cette vie ici et maintenant. Et alors qu’il observait le garçon, il entendit le bruit de débris qui dégringolaient.
« Oh mon… »
Il se retourna pour voir le Dieu du Tonnerre se tenir debout malgré le coup net porté à son torse. Elle n’était pas indemne, bien sûr. Son bel uniforme de servante était déchiré ici et là et l’une de ses lames était cassée. Ce qu’il voyait sous ses vêtements déchirés n’était pas de la peau humaine.
« Une marionnette… ? »
Qui avait prononcé ces mots ? Ce qui s’était étalé à la suite du coup qui avait brisé l’os n’était pas une ecchymose bleue, mais de minuscules fissures. Son torse avait également révélé des articulations claires.
« Hmmm… ? »
Glasya-Labolas pencha la tête.
Elle s’est déplacée à l’intérieur de mon rideau de la nuit et a même utilisé la sorcellerie…
Il ne savait pas ce qu’elle était exactement, mais la sorcellerie exigeait que l’on possède du mana. En somme, seul un être vivant en était capable.
« Ma dame, excuse cette question abrupte, » dit Glasya-Labolas. « Es-tu un être vivant ? Ou es-tu un simple objet ? Qu’est-ce que tu es ? »
C’était une question extrêmement importante — plus importante que tout le reste, en fait. Après tout, les objets ne pouvaient pas mourir. Ils ne faisaient que se briser. Contrairement à Naberius, Glasya-Labolas était incapable d’aimer de telles bêtises. Il la regarda fixement, attendant une réponse.
« Question… incompréhensible », dit Furfur en penchant la tête avec curiosité. « J’existe pour le bien de mon maître. J’existe pour protéger mon maître. »
« Hmmm… »
Qu’est-ce que la vie ? Que signifie vivre ? C’est la volonté. Parce qu’elles possèdent une volonté, les personnes manifestent des émotions massives au moment de la mort. Alors…
« Merveilleux ! »
C’était ce que Glasya-Labolas aimait — quelqu’un qui valait la peine d’être tué. Et juste au moment où il posa la main sur son Katana Hex pour continuer, il entendit quelque chose frapper le sol derrière lui.
« Kuroka ! »
Le roi tigre cria, la tension étant claire dans sa voix pour la toute première fois. Gardant les terrifiants Archidémons dans le coin de sa vision, Glasya-Labolas se tourna vers le son, voyant la fille cait sith allongée sur le sol.
« Hm… ? »
Il n’avait pas levé la main sur elle. Il n’en avait pas eu l’occasion. Personne d’autre n’avait montré le moindre signe d’attaque contre elle. Et juste au moment où il se remettait les idées en place, le marionnettiste Forneus passa à l’action. Sa bouche s’était ouverte.
« Va-t’en, Glasya-Labolas. »
« Hmmrgh !? »
Une pression intense s’exerça sur le corps de Glasya-Labolas.
Qu’est-ce que c’est ?
Il ne s’agissait ni de vent ni d’une quelconque forme d’impact. C’était comme si une sorte de point de puissance énorme essayait de l’engloutir. Incapable de rester en place, Glasya-Labolas bondit en arrière jusqu’à la sortie de la taverne. Il avait tardé à réagir, mais il n’avait aucune raison de rester assis et d’encaisser.
« Hmph ! »
Il dégaina son Katana Hex et frappa devant lui. Le point de puissance qui s’enroulait autour de lui se dispersa en un instant.
« Oh là là, c’était la première fois que je vous voyais utiliser vos mots, Seigneur Forneus, » dit-il en frissonnant de plaisir. « Aaah, comme c’est merveilleux ! De penser que j’aurais ma cible devant moi et que je serais incapable de tuer une seule âme ! »
De quel genre de mort peindraient-ils le monde ? Quel genre de mort lui accorderaient-ils ? Cette simple pensée le faisait trembler d’excitation. Ils étaient la plus grande des cibles.
« Oh là là, ça ne va pas », dit Glasya-Labolas en secouant la tête pour se retenir. « La nuit ne fait que commencer. Prenons notre temps et savourons cela. »
L’Archidémon cauchemardesque laissa derrière lui ce murmure inquiétant, puis s’enfonça au cœur de la nuit.
◇
« Argh… »
Kuroka avait un horrible mal de tête. Elle avait l’impression que quelqu’un enfonçait un doigt dans son globe oculaire et le remuait. Le monde devant elle était déformé et elle n’était pas capable de se concentrer. Était-elle assise en ce moment ? Était-elle allongée sur le sol ? En tout cas, elle savait qu’elle n’était pas debout. Pourtant, l’arrière de sa tête était étrangement chaud. C’était comme si quelque chose de doux la soutenait.
« Tu es réveillée, Kurosuke ? »
Elle entendit une voix familière au-dessus de sa tête.
« Comment te sens-tu ? »
« Je me sens suffisamment horrible pour que la gueule de bois de la semaine dernière puisse être considérée comme moi en parfaite condition. »
Elle parlait de leur séjour à Liucaon. Alors qu’elle était partie en voyage aux sources chaudes avec Shax comme s’il s’agissait de leur lune de miel, elle avait perdu la raison dès le premier jour et était restée clouée au lit pendant deux jours entiers. Après lui avoir dit qu’il lui apprendrait à boire, Shax s’était moqué de tout en prétendant que ce genre d’expérience faisait partie du processus d’apprentissage. Elle avait l’impression qu’il s’était moqué d’elle, alors elle lui en voulait un peu.
« Peux-tu dire qui je suis ? », demanda la voix, la tension transparaissant clairement dans sa voix.
« Hein… ? Tu es Monsieur Shax, n’est-ce pas ? »
Elle n’arrivait pas à focaliser ses yeux, mais elle n’aurait pas confondu sa voix avec celle de quelqu’un d’autre. La voix au-dessus d’elle semblait soulagée.
« Peux-tu voir ? » demanda-t-il.
« C’est encore… une brume. Je ne peux pas vraiment voir. »
Même s’il était juste devant elle, elle ne pouvait pas distinguer son visage. Shax resta silencieux un instant, puis serra ses mots comme pour mettre Kuroka à l’aise.
« J’ai compris. Repose-toi un peu. »
« C’est vrai… »
Shax couvrit les yeux de Kuroka d’une main. Même si cela rendait les choses noires, cela lui apportait vraiment une certaine tranquillité d’esprit.
Il est si gentil…
Elle y avait beaucoup pensé, surtout ces derniers temps. Elle avait vraiment senti à quel point il tenait à elle. Cela lui donnait envie de dépendre de lui pour toujours.
Que s’est-il passé ici ? Avait-elle été blessée ? Elle était enfin capable d’envisager sa propre situation lorsqu’une prise de conscience soudaine lui vint à l’esprit.
Hm ? Suis-je peut-être en train de m’allonger sur les genoux de Monsieur Shax… ?
Vu d’où venait sa voix, c’était très probablement le cas.
Hein ? Pourquoi ?
L’incompréhension envahit la tête de Kuroka. Il s’était déjà retrouvé allongé sur elle et lui avait caressé la tête, mais elle n’avait jamais pu utiliser ses genoux comme oreiller. Les cuisses d’un homme avaient l’air solides, mais elles étaient étonnamment douces. Malgré cela, elles avaient une fermeté qui la soutenait et lui apportait une certaine tranquillité d’esprit. Il faisait également chaud, et par-dessus tout, l’odeur de Shax était proéminente.
Au contraire, elle avait l’impression d’être encore plus proche de lui que lorsqu’il la prenait dans ses bras. C’était si agréable que Kuroka faillit céder à la somnolence lorsqu’elle se souvint soudain de quelque chose.
Ah oui. Ce vieil homme appelé Glasya-Labolas ou quelque chose comme ça est apparu…
Zagan lui avait dit qu’il était l’Archidémon dont ils devaient se méfier le plus. Naturellement, Kuroka avait foncé pour protéger tout le monde. En gagnant du temps d’un seul coup, elle savait que Shax pouvait certainement faire quelque chose contre lui. Cependant, elle n’avait pas de souvenirs au-delà de ce moment-là.
« Est-ce que j’ai été frappée ? » demanda Kuroka.
« Pas vraiment… »
Kuroka grimaça à la réponse vague. Shax n’était pas assez stupide pour cacher la vérité dans des moments comme celui-ci. Si elle perdait, il le lui dirait. Ils discuteraient ensuite de la façon de gérer les choses à l’avenir.
« Glasya-Labolas nous a attaqués », dit Shax d’un ton sombre. « Tu l’as chargé tout de suite, mais tu as été arrêtée par sa sorcellerie — Rideau de la nuit. »
« Est-ce que ça l’a traversé ? »
« Non, Furfur et le garçon archange se sont battus avant cela. »
Furfur était la servante. Forneus l’avait amenée dans cette ville en tant qu’accompagnatrice. Kuroka ne connaissait pas le nom du chevalier angélique.
« L’épée sacrée du garçon manipule apparemment le son. C’est ce qui a brisé le Rideau de la Nuit, mais c’était une mauvaise décision. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Il avait brisé la sorcellerie d’un Archidémon. N’est-ce pas digne d’éloges ?
« Le rideau de la nuit de Glasya-Labolas interfère avec le cerveau, créant un vide dans ta conscience. En voyant comment le garçon l’a bloqué, il se pourrait qu’il utilise le son comme support pour le faire. Mais le fait qu’il l’ait brisé avec force avec un autre “son” était le principal problème. »
« Oh, je vois. »
Kuroka avait compris où Shax voulait en venir.
« Tu veux dire qu’il a ouvert ma vieille blessure… »
« C’est l’essentiel, » dit Shax avec un gémissement.
***
Partie 7
Kuroka avait un jour perdu la vue. Cela s’était produit parce qu’elle n’avait pas réussi à bloquer complètement une malédiction — le Regard étrangleur. Cela avait brûlé ses nerfs optiques et avait même endommagé son cerveau. Après une série de rebondissements, Néphy lui avait rendu la vue, mais les cicatrices étaient restées.
« Désolée, Monsieur Shax. Je nous ai tous entraînés dans ma chute… »
Leur adversaire était un ancien chevalier angélique qui possédait autrefois le titre de Saint de l’épée. Kuroka devait se battre en toute première ligne contre un tel adversaire, mais elle avait perdu tout de suite.
« Tu as fait exactement ce que je t’ai dit de faire », dit Shax. « C’est ma faute. »
« Ce n’est pas de ta faute. Nous n’avons pas su le prévoir tous les deux… Tu essaies toujours d’endosser tous les fardeaux et tous les blâmes. »
Il avait passé les cinq dernières années tourmenté par le regret d’avoir brûlé la maison de Kuroka. Elle ne voulait plus le voir dans cet état.
« Monsieur Shax, je vais bien maintenant. »
Après avoir parlé un peu, elle s’était quelque peu ressaisie. Il lui avait probablement jeté de la sorcellerie. Il l’avait aidée à s’asseoir. Sa vision brumeuse commençait à s’éclaircir un peu. Ils étaient toujours dans la taverne. La boutique avait apparemment étalé une couverture sur le sol pour eux. Juste à côté d’elle, Forneus était en train de soigner la servante. Un peu plus loin, le jeune chevalier angélique berçait ses genoux. Il n’avait pas l’air d’avoir beaucoup d’expérience au combat. Affronter un Archidémon avait dû être un sérieux choc.
Kuroka tourna son regard vers Forneus et Furfur, puis éléva involontairement la voix.
« Hein ? Une marionnette… ? »
Il n’y avait pas de peau humaine sous les vêtements déchirés de Furfur. Elle avait apparemment croisé le fer avec Glasya-Labolas. Des fissures parcouraient tout son torse, comme si elle risquait de se briser à tout moment. Son bras était cassé et il lui manquait tout depuis le poignet. La section intérieure était vide, ne montrant ni muscles ni os. À la place, une simple corde s’étirait de l’intérieur, attachée à sa main coupée qui pendait.
Une marionnette articulée… ?
Le continent traitait ces marionnettes comme une œuvre d’art. Lors de son passage du côté obscur de l’Église, Kuroka avait vu la collection d’une de ses cibles. Elle fut choquée de voir une expression sortir d’une telle marionnette, même si ce n’était qu’une faible expression. Remarquant la voix de Kuroka, Furfur inclina rapidement la tête. Son corps sans vie grinça légèrement.
« Dois-je me nommer… m’identifier ? »
Sur ce, elle parla ensuite d’une voix monotone.
« Marionnette blindée dotée d’une âme artificielle infusée par la foudre — Dieu du tonnerre Furfur, c’est ma désignation. »
« Une marionnette… » déclara Shax en haussant un sourcil devant cette suite de mots confus. « Attends, tu as parlé de foudre ? Tu es alimentée par la sorcellerie ? »
« Oui. Ma principale force motrice est la foudre créée par la sorcellerie. »
Kuroka avait été choquée d’apprendre qu’une telle technologie existait.
« Attends un peu, » dit Shax, l’expression encore plus perplexe que celle de Kuroka. « La sorcellerie te donne des pouvoirs, mais je suis presque sûr de t’avoir vu utiliser cette sorcellerie toi-même. »
« Les humains préparent… leurs propres repas. Je fais aussi… mes propres repas. Est-ce que c’est étrange ? »
« Ce n’est pas étrange dans ce sens, mais tout de même… »
Shax ne savait plus où donner de la tête, mais Kuroka avait en quelque sorte compris où il voulait en venir.
Les objets simples ne peuvent pas utiliser la sorcellerie.
Certaines chimères et certains fantômes étaient capables de faire de la sorcellerie. Si les ingrédients d’origine pouvaient utiliser la sorcellerie, il y avait des cas où c’était hérité. Cependant, les golems étaient incapables d’en utiliser. La sorcellerie propulse leurs mouvements, mais ce ne sont pas des êtres vivants. Furfur s’était qualifiée de marionnette, donc conceptuellement, elle était la même chose qu’un golem.
« Il y a quelque chose de fatal dans un portrait », déclara Forneus pour répondre à leurs questions. « Il a une vie qui lui est propre. »
Kuroka et Shax avaient échangé un regard.
« Ummm, tu veux dire… qu’elle est vivante ? » demande Kuroka.
Forneus n’avait pas répondu, mais n’avait pas non plus nié leur demande.
Structurellement, elle ne ressemble pas à autre chose qu’à une marionnette, cependant…
Et alors que Kuroka continuait à réfléchir à la question, Shax sursauta en réalisant soudainement la situation.
« Infusé à l’âme », dit-il en répétant les mots de Furfur. « Cela signifie-t-il que tu as réussi à créer une âme ? »
Kuroka pencha la tête.
« Sans faire un être vivant comme un homoncule, n’est-il pas impossible de créer artificiellement une âme ? »
La raison pour laquelle un homoncule pouvait acquérir un sentiment d’identité — gagner une âme — était inconnue. Après en avoir créé des dizaines, voire des centaines, en de rares occasions, cela se produisait tout simplement. Une âme est la preuve que l’on possède un ego. Même si une personne perdait tous ses souvenirs et que son corps se transformait en quelque chose d’autre, elle gardait une trace de ce qu’elle était.
« L’alchimie a réussi à créer la vie grâce à des homoncules, mais la création d’une âme n’a pas été établie », dit Shax en lui faisant un signe de tête. « Il n’existe même pas de méthode établie pour observer l’âme. »
« Hein ? Mais les fantômes sont parfaitement visibles. »
Certains fantômes faibles étaient invisibles, mais ceux qui pouvaient causer du tort aux autres ne l’étaient généralement pas. Leur corps n’avait pas de substance, mais on pouvait les vaincre avec de la sorcellerie ou une arme bénie. Kuroka avait même entendu parler de la capture de certains d’entre eux.
« Les fantômes sont des formes d’énergie sans substance », dit Shax en secouant la tête. « L’Église appelle apparemment cette énergie une aura. Cependant, on ne sait pas s’ils possèdent réellement une volonté, et si c’est le cas, si cette volonté est vraiment la même que celle de la personne décédée. »
« Cela ne voudrait-il pas dire que personne ne sait si les fantômes possèdent une âme ? »
« C’est l’essentiel. »
Cela devait être une pensée désagréable pour un sorcier.
« La seule chose que nous savons, c’est que ce que nous définissons comme une âme pèse environ vingt et un grammes, » dit Shax en gémissant. « Aussi minuscule soit-elle, elle possède une masse. La technique de transplantation de l’âme d’un homoncule implique apparemment un sort pour lier cette masse et l’échanger. »
En d’autres termes, ils utilisaient quelque chose qu’ils ne comprenaient pas vraiment. Kuroka avait mal à la tête pour une tout autre raison que sa blessure actuelle.
« Il a donc touché à un véritable tabou. Je suis surprise qu’il aille bien après ça. »
La création d’une âme était l’œuvre des dieux. Un tel travail pouvait tordre le cheminement du monde lui-même, le plaçant bien au-delà de la portée même des Archidémons.
« Non, je ne pense pas qu’il aille bien », dit Shax en secouant la tête.
Il fixa Forneus du regard. Un battement plus tard, Kuroka comprit ce qu’il voulait dire.
C’est pourquoi le marionnettiste Forneus s’est fait voler sa capacité à transmettre sa volonté aux autres.
La création d’une âme. Le véritable sens de cette création était la création de la vie à partir de rien — faire un pas dans le territoire des dieux. C’est pour cela qu’il avait été maudit. Son état actuel était la preuve par excellence qu’il avait réussi à accomplir cette tâche des plus taboues.
C’est peut-être aussi l’origine de son surnom. On disait que l’âme d’un homoncule provenait de l’âme de ses ingrédients. Pour contester de tels soupçons, tous les ingrédients devaient être inorganiques. Ayant posé les bases de l’alchimie actuelle, Forneus avait dû passer des siècles à s’atteler à cette thèse.
Le dieu du tonnerre Furfur était l’aboutissement du travail du marionnettiste Forneus. Kuroka avait salué le travail terrifiant et abominable qu’il avait entrepris pour en arriver là. Avant même de s’en rendre compte, sa bouche était complètement sèche à cause de la tension qui régnait dans la pièce.
« Mais cela pourrait être un coup de chance », dit Shax en tirant Kuroka vers lui par l’épaule. « Cela signifie qu’il possède exactement le pouvoir dont Zagan a envie. »
« C’est vrai… »
L’Archidémon Zagan prévoyait de détruire les épées sacrées. Pour être plus précis, il essayait de libérer les séraphins qui y étaient enfermés depuis mille ans. Pour ce faire, il avait besoin d’une technique capable d’interagir avec l’âme.
« Veux-tu dire que ce pouvoir est un obstacle pour Marchosias ? » demanda Kuroka en se rappelant l’attaque de Glasya-Labolas.
« Probablement », acquiesça Shax. « Mais il pourrait aussi être à la recherche de l’Emblème de l’Archidémon. »
Il y a environ un mois, Marchosias avait tenté de solliciter Barbatos — qui faisait actuellement trembler le monde avec son « amour interdit » — en lui offrant un siège d’Archidémon. Il avait peut-être l’intention de tuer Forneus et de faire en sorte que Barbatos prenne sa place.
« Forneus, » dit Shax, en renouvelant sa détermination. « Laisse-moi te demander une fois de plus. Mon seigneur, l’Archidémon Zagan, veut ta sagesse et ton pouvoir. Viendras-tu avec nous ? »
« Je viendrai avec toi », répondit Forneus d’un ton solennel. « Je vois que j’ai raté mon transport. Ce n’est pas grave. Je peux y aller demain. Mais ne me demande pas de lire quoi que ce soit ce soir. »
Une autre réponse mystérieuse avait laissé Kuroka et Shax bouche bée.
Est-ce qu’il dit oui ou non ?
Tandis que les deux firent des expressions amères, Furfur jeta un coup d’œil sur le visage de son maître.
« Maître, assentiment ? Vraisemblablement, probablement, une affirmation. »
« Oh, vraiment ? » demanda Kuroka.
« Mais il semble fatigué, non ? Je crois donc qu’il met l’accent sur ce point. »
Bon, il avait dû faire face à l’attaque de Glasya-Labolas et aux réparations de Furfur, alors il était sans doute difficile pour lui de bouger tout de suite.
« Je suppose que notre ligne de conduite est fixée », déclara Shax en haussant les épaules.
« D’accord. »
Ils devaient protéger Forneus et Furfur et les ramener à Zagan. C’était une question de priorité absolue.
« Qu’est-ce que tu vas faire ? » demanda Shax en se tournant vers le jeune chevalier angélique.
Il ne pensait sans doute pas que quelqu’un s’adresserait à lui, alors il sursauta et se mit à trembler.
« Je… Je vais… »
Il venait tout juste de devenir un archange. Peut-être était-ce trop dur de lui demander de se tenir debout et d’affronter un Archidémon alors qu’il venait d’en combattre un.
Furfur se leva, son corps grinçant au fur et à mesure. Ses réparations étaient apparemment terminées. Même ses vêtements déchirés étaient redevenus normaux. Elle se dirigea vers le garçon, se baissa et lui prit la main.
« J’ai reçu… eu, ton aide. Je suis sans doute reconnaissante… heureuse. Alors cette fois… c’est à mon tour de t’aider. »
Kuroka ne pouvait pas la voir autrement qu’en tant qu’humaine. Elle était sûre que ce n’était pas non plus à cause de sa vision floue.
« Tu es… »
Le garçon releva finalement la tête, tournant ses yeux larmoyants vers Furfur. Et juste au moment où il ouvrit la bouche pour lui répondre quelque chose…
« Mesdames et messieurs ! Commençons le deuxième acte — Sombre Métropolis. »
Une déclaration forte et sinistre frappa l’ancienne cité d’Aristocrates.
***
Chapitre 4 : Les hommes deviennent stupidement imprudents devant la fille qu’ils aiment
Partie 1
« Néphy, viens ici une minute. »
À l’intérieur du palais de l’Archidémon, Zagan frappa à la porte de la chambre de Néphy.
« De quoi as-tu besoin à cette heure-ci ? »
Il était tard dans la nuit, alors Néphy était en train de se préparer pour aller se coucher. Elle avait une serviette sur l’épaule et portait sa chemise de nuit. De l’eau dégoulinait de ses cheveux blancs, laissant une tache sur la serviette.
Hnnngh ! Néphy n’est pas seulement mignonne juste après avoir pris un bain, il est aussi érotique !?
Maintenant qu’il y pensait, même lorsqu’elle sortait à cette heure-ci, Néphy commençait au moins par se sécher les cheveux. C’était un spectacle frais et rare que ses cheveux soient encore mouillés après avoir pris un bain. L’attaque-surprise avait fait battre son cœur et il ne pouvait plus la regarder dans les yeux, mais il s’agissait d’une urgence. Il avait donc fait appel à toute sa sorcellerie pour retrouver son calme.
« Le contact avec Shax a été coupé », déclara-t-il. « Il s’est passé quelque chose. »
Il restait vague, mais ils s’étaient présentés à temps pour informer Zagan de l’attaque de Glasya-Labolas, et rien depuis…
Une vieille blessure… Le malheur de Kuroka est terrifiant.
Les cait siths étaient une race qui invoquait la chance, mais dont le recul apportait le malheur dans leur vie quotidienne. Elle était différente de Chastille en ce sens. La malchance de Kuroka était essentiellement une fatalité. Elle avait beau s’y préparer, elle se manifestait au moment où elle s’y attendait le moins.
Cette fois-ci, elle s’était manifestée d’une manière horrible. À ce stade, il devait envisager le pire. C’est exactement pour cela qu’il avait veillé à ce qu’ils restent en contact avec lui toutes les demi-heures, même si c’était tard dans la nuit. Cependant, quelque chose s’était produit pour les en empêcher.
« Et ce fut la lune de miel tant attendue de Kuroka… », dit Néphy en portant tristement une main à son cœur.
« Était-ce une lune de miel ? »
« Hein ? »
« Hm ? »
Le silence avait suivi.
Zagan s’était rapidement rendu compte qu’il n’avait qu’une faible compréhension de la situation.
Il a été accepté par son père et est parti en voyage dans sa ville natale… Cela ressemble à une lune de miel !
Quelque chose le dérangeait. Ils étaient clairement tous les deux bien ensemble, plus que Néphy et lui. Zagan était à la traîne. Bon, il était aussi parti en voyage de noces ou en vacances prénuptiales avec Néphy, mais cela n’avait duré que trois jours et deux nuits. Il ne l’avait jamais emmenée dans un voyage d’un mois.
Quelle négligence ! Je ne lui ai toujours pas donné l’alliance !
Il ne pouvait pas réfuter le fait d’être traité d’imbécile pour cela.
« Néphy ! »
« Oui !? »
Il avait saisi la main de Néphy et avait parlé avec toute la majesté d’un Archidémon.
« Dès mon retour, partons en vacances pendant au moins un mois ! »
Zagan agissait comme s’il marchait vers sa mort.
« Maître Zagan, as-tu oublié ta promesse avec Lily ? » demanda Néphy en souriant ironiquement. « Je crois bien qu’un mois de vacances sera difficile à prendre. »
« Argh… ! »
Voyant Zagan ressentir de la vexation au plus profond de son cœur, Néphy posa une main sur chacune de ses joues, puis frotta son front contre le sien en souriant.
Qu’est-ce que c’est ?
Il se sentait euphorisé par l’attaque-surprise, son cerveau n’arrivant pas à suivre la situation.
« Il n’est pas nécessaire de se précipiter, maître Zagan. Prenons notre temps et partons en vacances une fois que les choses se seront calmées, d’accord ? Avec nous deux seulement, en tout cas. »
Le bout de ses oreilles pointues était devenu légèrement rouge. Zagan avait l’impression que son sourire timide lui apportait une joie immense.
« Tu me consoles toujours, Néphy. »
« Ce n’est pas vrai… D’habitude, c’est moi qui reçois des encouragements de ta part. »
« Je m’en vais maintenant pour me débarrasser immédiatement de ses gêneurs », dit Zagan en la regardant droit dans les yeux.
« S-S’il te plaît, soit indulgent avec eux. »
Zagan ne s’était pas contenté d’agir avec bonne humeur.
Un homme incapable de protéger ses sujets ne mérite pas d’être appelé roi.
Dans le cas de Gremory — même si la mamie avait magnifiquement redressé la situation —, c’est précisément parce qu’il n’avait pas su la protéger que Kimaris l’avait considéré comme un ennemi. Il ne pouvait pas permettre qu’une telle chose se reproduise. Zagan devait donc s’occuper personnellement de cette affaire.
« De toute façon, j’ai besoin que Shax travaille davantage pour moi », dit Zagan. « Cela m’évite de devoir le rappeler. »
« Oui. Fais bon voyage, maître Zagan. »
Zagan agita son manteau et quitta la chambre de Néphy. Une fois qu’elle ne put plus le voir… Néphy finit par se couvrir le visage et s’effondra sur le sol.
« Hwaaah… »
Elle se sentait gênée à retardement par ce qu’elle avait fait. Elle avait besoin d’un peu de temps avant de pouvoir se relever.
Et comme il n’avait aucun moyen de le savoir, Zagan gémit pour lui-même.
« Je… ne peux pas me téléporter à Aristocrates ? »
Le cercle magique que Shax était censé avoir préparé pour la téléportation ne s’activait pas.
◇
« Qu’est-ce qu’une malédiction au juste ? »
À l’intérieur de l’une des chambres d’hôtes du palais de l’Archidémon, Alshiera marmonna d’un air sinistre.
« Hein ? Qu’est-ce que tu racontes tout à coup ? »
Elle ne put cacher une grimace alors qu’Asura se prélassait, la tête sur ses genoux, comme si l’endroit lui appartenait. C’était bien sa faute si elle s’était assise sur le lit. Il avait pris cette position sans lui laisser une chance de refuser et avait ensuite commencé à jeter des cerises dans sa bouche.
« Asura », déclara Alshiera en soupirant. « As-tu entendu parler des malédictions ? »
« N’est-ce pas comme ça que les gens appellent les pouvoirs des séraphins maintenant ? »
Alshiera acquiesça et répondit : « Oui, c’est une réponse. C’était probablement une étape nécessaire pour que Marchosias oblitère les séraphins. »
« Ha ha. Il a toujours eu une personnalité horrible. »
« Je suis tout à fait d’accord. »
« Alors ? Qu’en est-il d’eux ? » demanda Asura avec curiosité.
« Ce dont tu parles s’appelle aussi le mysticisme. Il s’agit d’une puissance miraculeuse que l’on appelle par une simple prière. Peux-tu vraiment appeler cela une malédiction ? »
« C’est Marchosias qui a fait ça, hein ? Y a-t-il un problème avec ça ? »
Alshiera choisit soigneusement ses mots avant de poursuivre.
« Alors pourquoi Salomon a-t-il été maudit ? »
Le premier roi aux yeux d’argent avait été effacé de l’existence sans laisser la moindre trace. Si le mysticisme était une malédiction, Néphy serait capable de faire la même chose rien qu’en priant.
Le mysticisme emprunte de la puissance à la nature, rien de plus. C’est la seule façon de voir les choses. Même le mysticisme céleste n’est pas censé posséder un pouvoir aussi grotesque.
En d’autres termes, même si le mysticisme et les malédictions se ressemblaient, ils n’étaient pas nécessairement identiques. Et pourtant, de nombreuses malédictions terrifiantes existaient dans ce monde.
Salomon avait été effacé de l’existence. Léviathan et Behemoth s’étaient transformés en monstres alors que le jour se transformait en nuit et vice versa. Zagan avait changé d’âge avec Foll. L’Œil d’argent du roi avait transformé non seulement la personnalité de Stella, mais même son corps en celui de son frère. Même Forneus avait été privée de sa capacité à transmettre sa volonté aux autres. Ils étaient trop nombreux pour être énumérés, mais ils avaient tous un point commun.
« L’humanité qualifie de malédiction tous les événements anormaux qui dépassent sa compréhension, mais pourquoi de telles choses se produisent-elles même dans notre monde ? »
Asura commençait enfin à comprendre où Alshiera voulait en venir.
« Je comprends…, » dit-il en écarquillant les yeux. « Ils n’existaient pas à notre époque, hein ? »
Les phénomènes créés par les malédictions se trouvaient un peu partout, mais ils semblaient tous reliés par leurs racines.
« Par ailleurs, pourquoi Marchosias a-t-il qualifié le mysticisme de malédiction ? » poursuit Alshiera. « C’est un homme tordu, mais pas le genre à être mal informé. »
« Hmmm, peut-être parce que le mysticisme est aussi hors de portée de l’homme ? », s’était dit Asura avec désinvolture.
Alshiera était restée sans voix.
Le mysticisme est un moyen de tordre les lois du monde… ? Si c’est pour cela que Marchosias a mis le mysticisme et les malédictions dans le même sac, alors… sont-ils des fragments du cauchemar !?
La mort-vivante millénaire fut horrifiée par sa conclusion.
« Hey, Ashy, » dit Asura juste au moment où elle terminait ses pensées.
« Qu’est-ce que — Oh ? »
Au moment où elle ouvrit la bouche pour parler, il y jeta une cerise. La queue dépassa entre ses lèvres, lui donnant un air plutôt idiot.
« Tu vas vieillir si tu continues à froncer les sourcils comme ça. »
Que faisait cet homme alors qu’elle était si sérieuse ? Elle voulait se plaindre, mais n’en était pas capable tant qu’elle n’avait pas fini de manger la cerise dans sa bouche.
Le noyau est encore là. Je ne peux même pas l’avaler.
Même si elle voulait la jeter, la tête d’Asura était posée sur ses genoux et cela l’empêchait de se lever. Comme elle restait désemparée, Asura arracha la tige qui dépassait encore entre ses lèvres, puis la jeta dans sa bouche.
« Ha ha, tu es si inutilement dextre, Ashy. La tige et le noyau étaient encore attachés. Ah oui, tu peux faire un nœud sur la tige avec ta langue, n’est-ce pas ? »
Elle ne l’avait pas fait consciemment, mais c’est ainsi qu’Alshiera avait mangé des cerises par le passé.
« Est-ce que c’est vrai que les gens qui peuvent faire ça font de bons baisers — gwah !? »
Alshiera lui lança un regard glacial et lui pinça le nez.
« Peux-tu seulement imaginer que les morts-vivants vieillissent ? » dit-elle avec indignation.
« C’est ça le but », dit Asura avec un sourire satisfait. « Tu dois te détendre. Tu faisais cette tête que tu fais quand tu essaies de tout faire toute seule. »
« Haaah… Cela ne te concerne pas. »
C’est ce qu’elle avait dit, mais elle se sentait un peu plus détendue maintenant.
« Eh bien, je ne crois pas qu’il soit juste de tout laisser aux autres, même si c’est simplement ainsi que les choses ont progressé. »
« Parles-tu des démons ? » demanda Asura. « Quel est le rapport avec les malédictions ? »
Alshiera s’était arrêtée un instant avant de répondre.
« Salomon a été maudit pour avoir scellé les démons. »
« Sérieusement ? » demanda Asura sous le choc.
« Oui. Mais je n’étais pas là pour en être témoin. »
Cela dit, Alshiera s’était laissée entraîner et ne savait pas ce qu’il avait fait exactement ni comment il avait scellé les démons. Asura joua avec la queue de cerise dans sa bouche en haussant la voix d’un air perplexe.
« J’ai entendu dire que Salomon était maudit parce qu’il avait découpé Azazel. »
« Oh, qui t’a dit ça ? »
« Batou. Je me demande ce qu’il prépare maintenant. »
Alshiera plissa les yeux.
***
Partie 2
« Salomon ne l’a pas fait. »
« Alors qu’est-ce que — ! »
Alshiera posa un doigt sur ses lèvres pour le faire taire.
« Nous ne pouvons plus en parler », dit-elle d’une voix à glacer le sang.
Asura grimaça face à cet avertissement soudain.
« Bon, peu importe », dit-il, voulant changer de sujet. « De toute façon, si tu as un indice, ne peux-tu pas le transmettre à cette fille Asmodée ? »
« À propos de ça… »
Alshiera avait du mal à interagir avec elle.
Elle n’écoute jamais les autres et c’est aussi l’amie de Foll.
Cette petite fille ramassait les gens sans se soucier de leur situation. Et Alshiera ne pouvait pas non plus ignorer purement et simplement ces personnes.
« Haaah… » soupira Asura, l’air vraiment exaspéré. « Tu n’as pas changé du tout quand il s’agit de ce genre de choses. Si tu continues à résister, tu vas te mettre à pleurer. »
Il avait raison, mais elle n’aimait pas qu’on le lui fasse remarquer. Les joues d’Alshiera se contractèrent alors qu’elle parvenait tant bien que mal à lui rendre un sourire.
« Dans ce cas, j’ai simplement été traumatisée par ton incapacité à écouter les autres », déclara-t-elle.
« Ha ha, c’est toi qui parles. Tu dis ça maintenant, mais tu m’as toujours suivi partout. »
Maintenant qu’il avait marché sur une deuxième mine, Alshiera lui adressa un sourire rafraîchissant.
« Ah oui, tu as mentionné quelque chose tout à l’heure, n’est-ce pas ? Comme quoi être capable de faire un nœud avec une queue de cerise dans ta bouche fait de toi un bon embrasseur. »
« Hm ? Oui, je l’ai fait. »
« Veux-tu le tester ? »
« Hein… ? »
Sans attendre de réponse, Alshiera planta un baiser sur ses lèvres.
« Hmmm !? »
Non seulement cela, mais elle avait forcé l’entrée de sa langue, l’avait fait tourner et avait joué avec lui à satiété. Après s’être concentrée entièrement sur cette activité pendant un moment, elle se retira et s’essuya les lèvres avec un mouchoir.
« Tes impressions ? » demanda-t-elle.
« F-Fantastique… »
« Si tu as appris ta leçon, alors abstiens-toi d’être aussi impertinent. »
« O-Oui madame… »
Asura se recroquevillant timidement, Alshiera fut enfin libre de se lever et de se débarrasser du noyau de cerise.
« Je ne savais pas qu’Ashy était aussi lubrique… » s’était dit Asura en chuchotant.
En fin de compte, celui qui se trouvait à la réception n’avait pas pu échapper à son destin.
◇
« Nous avons été séparés…, » gémit Kuroka avec agacement. Elle s’était retrouvée à l’intérieur d’une taverne, mais était maintenant seule sur un chemin inconnu au milieu de la nuit. La ville en bois construite autour d’anciennes ruines avait disparu, remplacée par un paysage urbain en pierre bien organisé. Des pavés de pierre sans le moindre interstice recouvraient le sol. Des lanternes de verre alimentées par la sorcellerie bordaient les deux côtés du chemin. Cette ville ressemblait un peu à la ville sainte de Raziel, mais les bâtiments étaient bizarrement uniformes. À cause de cela, il y avait un étrange sentiment d’oppression dans l’air.
« Alors, mesdames et messieurs, commençons le deuxième acte. »
À la suite de cette déclaration, l’ancienne cité d’Aristocrates s’était transformée en un tout autre endroit.
De la sorcellerie qui peut refaire une ville entière… ? Non, une barrière ?
Qu’est-il arrivé à tous les autres ? Il n’y avait pas beaucoup de monde à l’intérieur de la taverne, mais il y avait un bon nombre de piétons dans la rue. Elle ne les voyait nulle part. Mais même sans les voir…
C’est bizarre. Je peux encore les sentir.
Même si elle sentait la respiration et les pulsations autour d’elle, il n’y avait personne. Si Kuroka n’avait pas encore la vue, elle ne pourrait pas distinguer le haut du bas, et encore moins la gauche de la droite.
Avons-nous été téléportés ? Non, j’ai bien vu la ville se briser physiquement.
Se faire entraîner dans le sous-espace par Barbatos, ça ne ressemble pas à ça. Alors, que se passe-t-il ? Malheureusement, Kuroka n’avait pas le temps de réfléchir lentement à sa situation. Shax l’avait soignée, mais les séquelles du Rideau de la Nuit étaient encore profondément ancrées. Elle ne pouvait se lever qu’avec le soutien de son bâton. Elle n’allait pas s’en plaindre, mais elle n’était pas en état de combattre un Archidémon. La douleur palpitait profondément derrière ses globes oculaires.
Oh non… Mes yeux…
Elle pouvait encore voir, mais il y avait clairement quelque chose qui n’allait pas dans son champ de vision. Elle voyait quelque chose comme des images rémanentes superposées les unes aux autres. Certaines ressemblaient à des silhouettes humaines, tandis que d’autres étaient des spirales sans signification. De plus, quelque chose comme une lumière pâle et brillante courait le long des bâtiments. Si un ennemi se cachait ici, elle ne pourrait pas le repérer. C’était comme si son œil droit et son œil gauche voyaient des images différentes, ce qui la rendait malade au point de vomir.
« Je dois trouver les autres… »
Elle doutait d’être la seule à être piégée de la sorte. Les autres devaient également se trouver quelque part dans cette ville. Et au moment où elle fit un pas en avant, elle regarda soudain le mur contre lequel elle avait la main. Elle eut l’impression d’y voir une brume ayant la forme d’une personne.
Il tient une épée… ?
Elle ne pouvait pas sentir sa présence ou une quelconque soif de sang. Il était clair qu’il n’y avait rien. Mais lorsqu’il sembla brandir son épée vers elle, le corps de Kuroka bougea de lui-même.
« Argh ! »
Elle roula au sol alors qu’un sifflement aigu du vent passait à l’endroit où se trouvait le cou de Kuroka il y a un instant.
Ce n’est pas du vent. C’est une lame !
Elle se poussa immédiatement avec son bâton alors que le torse d’un vieux monsieur jaillit du mur.
« Hmm, tu as donc réussi à l’esquiver ? » dit-il. « C’est bien approprié pour le plus grand samouraï de cette époque. »
Glasya-Labolas était sorti du mur pendant qu’il chantait ses louanges. Il avait en main une épée sans lame — qui devait être le Katana Hex.
« Comment trouves-tu cette ville ? N’est-elle pas belle ? » demanda-t-il en prenant une profonde inspiration, comme s’il savourait l’air. « Les séraphins régnaient autrefois sur ces terres. Ceci est une imitation de leur ville. »
« Les séraphins… ? »
Kuroka savait que c’était un nom pour les hauts elfes comme Néphy, mais personne ne savait quel genre de vie ils avaient menée il y a mille ans.
« Est-ce votre barrière ? » demanda Kuroka, tout en surveillant attentivement ce qui l’entourait.
« C’est en effet le cas. Métropole sombre, la cité des épées — tout ici est sous mon contrôle. »
Kuroka avait frémi.
« Alors la raison pour laquelle je n’ai rien sentit… »
« Oui. C’est une caractéristique de la cité des épées. Quel que soit le maître, il est impossible d’esquiver une lame invisible que l’on ne peut pas sentir. »
Kuroka avait vu Glasya-Labolas juste devant elle, mais n’avait rien senti de sa part. Même lorsqu’il parlait, on pouvait se demander s’il était vraiment là. Elle ne pouvait pas esquiver indéfiniment ce genre d’attaques.
S’il s’en prend à Monsieur Shax ou aux autres…
Il leur serait impossible de s’échapper.
« En tout cas, c’est censé être le cas, ma dame, » dit Glasya-Labolas en haussant les épaules d’un air troublé. « Tu as esquivé après avoir confirmé l’attaque à vue, n’est-ce pas ? »
Kuroka n’avait pas répondu. Ou plutôt, elle ne pouvait pas répondre.
Parle-t-il de cette brume… ?
Elle avait juste vu quelque chose par hasard. Elle doutait de pouvoir réitérer l’exploit. Et pourtant, Glasya-Labolas hocha la tête en signe de compréhension.
« Tes yeux… Je vois, ce sont donc les yeux du quatrième. »
« De quoi parles-tu ? »
Elle jeta un coup d’œil à l’épée courte qu’elle avait à moitié dégainée. Elle reflétait son visage, mais au lieu de ses habituels yeux rouges, elle avait des yeux argentés comme Zagan.
L’argent… ? Qu’est-ce qui se passe ? Mes yeux sont différents…
Était-ce un effet secondaire de l’ouverture de sa vieille blessure ? Non, en y repensant, Shax avait semblé plutôt inquiet pour ses yeux. Elle avait eu l’impression qu’il craignait une mauvaise réaction à son traitement, mais c’était peut-être la raison.
Glasya-Labolas se caressa la moustache en contemplant, puis sourit comme s’il avait eu une idée merveilleuse.
« Pow ! Mon cœur n’a pas dansé comme ça depuis mon jeu avec le roi sans visage ! »
Le Roi sans visage Bifrons — Kuroka avait autrefois été utilisée comme un outil dans leurs plans, aussi ce nom lui rappelait-il d’abominables souvenirs. On disait que Bifrons et Glasya-Labolas avaient un jour expérimenté en utilisant une ville entière comme jouet. Le côté obscur de l’Église ne connaissait pas tous les détails de l’événement, mais les histoires racontaient à quel point cela avait été répugnant.
« J’avais l’intention de commencer par toi, ma dame, mais j’ai changé d’avis », poursuit le Seigneur du meurtre avec délectation. Il sortit complètement du mur et s’inclina respectueusement. « Que dirais-tu de jouer à un petit jeu avec moi ? »
« Un jeu… ? »
Kuroka avait résisté à l’envie de lui hurler dessus pour avoir suggéré une telle absurdité.
Je dois faire durer cette conversation…
Telle qu’elle était dans cet état, Kuroka ne pouvait pas esquiver sa prochaine frappe, elle devait donc gagner le plus de temps possible pour récupérer son endurance.
« Oui », dit Glasya-Labolas, la joie transparaissant dans son expression. Il n’était pas clair s’il avait compris ou non les tergiversations de Kuroka. « Je vais tuer tous les autres un par un. »
« Quoi — !? »
Le sang s’écoula du visage de Kuroka à sa suggestion effroyable.
« Ma dame, tu vas essayer de m’arrêter. Si je les tue, je gagne. Si tu m’arrêtes, tu gagnes. C’est assez simple, non ? »
« Arrête de dire des conneries ! »
Furieuse, Kuroka lui lança un couteau, mais celui-ci traversa Glasya-Labolas et se planta dans le mur.
Il n’est pas encore sorti du mur…
La silhouette floue d’une personne que Kuroka avait vue pour la première fois semblait se trouver à l’intérieur du mur, comme auparavant.
« Alors tu le vois vraiment ? » dit-il. Et laissant ce murmure derrière lui, la brume commença à se dissiper. « Viens maintenant, il est temps de lever le rideau sur ce concours amusant. »
« Stop ! Glasya-Labolas ! »
Elle lança un deuxième couteau, mais il rebondit en vain sur le mur.
C’est pathétique !
Telle que Kuroka était maintenant, elle n’avait même plus la force de faire planter son couteau dans le mur.
***