Mushoku Tensei (LN) – Tome 3

Table des matières

***

Chapitre 1 : L’artiste escroc qui se prétendait être un Dieu

J’étais en train de rêver. 

Dans ce rêve, je volais dans les airs, tenant Éris dans mes bras. Mon esprit était flou, mais je savais que je volais. Le monde qui m’entourait était une masse de formes et de couleurs en constante évolution. Je m’étais propulsé dans l’air comme une onde sonore ou une particule de lumière, mon corps rebondissant au hasard dans différentes directions. 

Je ne savais pas pourquoi c’était arrivé. Mais j’étais certain d’une chose : peu importe ce que j’essayais, j’allais finir par perdre de la vitesse et plongerai au sol.

Alors je m’étais concentré. J’avais regardé le paysage toujours changeant en dessous de nous, essayant de trouver un endroit relativement sûr pour atterrir.

Pourquoi avais-je ressenti le besoin de faire cela ? Bonne question. Quelque chose en moi criait que je devais le faire, si je voulais survivre.

Pourtant, nous allions beaucoup trop vite. C’était comme regarder dans les bobines d’une machine à sous, sauf que tout bougeait beaucoup, beaucoup trop vite. En me concentrant plus intensément, j’avais accumulé de l’énergie magique dans mes yeux… et pendant un instant, nous avions soudainement ralenti.

Oh merde. Je vais tomber.

La panique hurla dans ma poitrine, et je pouvais maintenant voir clairement la terre en dessous de moi. J’avais besoin de trouver un champ. Tomber dans la mer ou s’écraser sur une montagne ne serait pas une bonne chose. Les forêts étaient évidemment dangereuses, mais si je réussissais à viser un champ…

Je m’étais forcé à descendre, en espérant le meilleur. Notre vitesse diminuait rapidement alors que je plongeais vers une étendue de terre brun-rougeâtre.

Un instant plus tard, je perdis connaissance.

◇ ◇ ◇

Quand j’avais ouvert les yeux, je m’étais retrouvé dans un espace vide d’un blanc pur. J’avais tout de suite su que ce n’était pas réel. Ça devait être une sorte de rêve lucide. Pourtant, pour une raison quelconque, mon corps me semblait étrangement lourd.

« … Hein ? »

Je m’étais regardé et mes yeux s’étaient ouverts. J’étais de retour dans mon ancienne forme familière, celle dans laquelle j’avais vécu pendant trente-quatre ans.

En la voyant, des souvenirs de ma vie antérieure me revinrent à la mémoire. J’étais la même ordure amère, vile, anxieuse et égoïste que j’avais toujours été. Les dix années que j’avais passées en tant que Rudeus m’avaient soudainement semblé n’être rien de plus qu’un rêve.

Une vague de déception écrasante s’était abattue sur moi. J’étais redevenu pathétique et j’avais trouvé ce fait trop facile à accepter.

Alors c’était vraiment un rêve, hein… ?

Mais si ce n’était vraiment qu’un rêve, celui-ci avait duré très longtemps. Mais au bout du compte, c’était trop beau pour être vrai. J’étais né dans une famille aimante, et j’avais réussi à me lier d’amitié avec des filles très mignonnes. Des résultats assez décents pour une période de 10 ans. Mais je voulais profiter un peu plus de cette vie.

Eh bien… Je suppose que c’est fini maintenant.

Je sentis que les souvenirs de mon temps où j’étais Rudeus commençaient à s’estomper. Une fois réveillé, même le meilleur des rêves s’évanouissait en un rien de temps.

Est-ce que je m’attendais vraiment à quelque chose de différent ? S’il vous plaît. Une vie douce et heureuse comme celle-là n’avait jamais été envisagée pour un gars comme moi.

◇ ◇ ◇

Finalement, j’avais remarqué qu’une personne bizarre était apparue devant moi. L’individu en question avait un visage vide et blanc, marqué seulement d’un grand et large sourire.

Peut-être que « blanc » n’était pas le bon mot. Je n’arrivais tout simplement pas à discerner des traits distinctifs. Quand je regardais une partie spécifique de ce visage, elle glissait instantanément hors de ma mémoire, mon esprit refusait de former une image de cette personne. J’avais presque l’impression que cette… personne était brouillée par une mosaïque pixelisée.

Pourtant, j’avais senti que j’avais affaire à quelqu’un de calme et de patient.

« Salut. Enchanté de te rencontrer, Rudeus. »

Hm. J’étais tellement occupé à me sentir désolé et maintenant, voici qu’un gars du type porno bizarrement censuré me causait.

En fait, cette voix était plutôt ambiguë. Ça pourrait être un homme ou une femme. Allons-y avec la fille ! Ça rendra ce truc pixelisé un peu sexy, non ?

« Allô ? M’entends-tu ? »

Oh. Ouais. Bien sûr. Bonjour, enchanté de te rencontrer.

« Excellent. Content de voir que tu es si poli. »

Je n’ai pas vraiment parlé à voix haute, mais il semblerait que mon ami ici présent ait très bien entendu mes pensées. Autant continuer à communiquer de cette façon.

« Wôw. Rien ne t’étonne, n’est-ce pas ? »

Ce n’est pas du tout vrai.

« Ehehehe. Ne sois pas si modeste ! »

Passons à autre chose. Tu es… qui ou quoi, exactement ?

« Ne le vois-tu pas par toi-même ? »

Je ne vois pas grand-chose avec cette mosaïque. Euh, es-tu le puissant Sperman ou quelque chose comme ça ?

« Le puissant Sperman ? C’est qui, lui ? Est-ce qu’il me ressemble ? »

Oh, totalement. C’est un tas de pixels flous, tout comme toi.

« Hmm. Donc il y a aussi quelqu’un comme moi dans ton monde… »

Eh bien, non. Pas vraiment.

« Quoi ? OK, passons à autre chose. Je suis un Dieu. L’Homme-Dieu, pour être précis. »

Uh-huh. L’Homme-Dieu. C’est vrai.

« Je dois dire que tu n’as pas l’air très impressionné. »

J’étais en train de me demander pourquoi un Dieu perdrait son temps à discuter avec moi. Mais de toute façon, est-ce que ton arrivée n’est pas un peu trop tardive ? Dieu est censé faire son apparition au premier chapitre, non ?

« Le premier chapitre… ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Peu importe, ce n’est rien. S’il te plaît, vas-y.

« D’accord. Bref, ça fait un moment que je te surveille. Tu as vécu une vie intéressante ! »

C’est toujours amusant de jeter un coup d’œil, n’est-ce pas ?

« Oh, ça a été une joie. Et c’est pourquoi j’ai décidé de prendre soin de toi. »

Tu t’occupes de moi ? Mince, merci. Tu parles d’une condescendance… Je suis quoi, ton animal de compagnie ?

« Allons, il n’y a pas besoin d’être si hostile ! Je te parle seulement parce que j’ai vu que tu avais de gros ennuis. »

C’est un signal d’alarme. Quiconque propose de régler tous vos problèmes quand vous avez du mal à le faire est un escroc.

« Non, non. Je suis de ton côté, mon ami. »

Hah ! Maintenant, on est amis ? Ne me fais pas rire.

J’ai rencontré des gens comme toi dans mon ancienne vie, mon pote. Des gens qui se sont glissés vers moi et m’ont dit : « Fais de ton mieux », ou bien : « Je veillerai sur toi. » Ils étaient tous des menteurs. Ils s’en foutaient complètement. Ils ont supposé que tout s’arrangerait automatiquement une fois qu’ils m’auraient attiré hors de ma chambre. Aucun d’entre eux n’a compris la source du problème. Tout ce que tu dis me fait penser à eux. Je ne te ferai jamais confiance.

« Mon Dieu, c’est un problème. Hmm… Dans ce cas, pourquoi ne te donnerais-je pas un petit conseil ? »

Un conseil, hein… ?

« C’est exact. N’hésite pas à l’ignorer complètement, si tu le veux. »

D’accord, j’ai compris. C’est donc ça, ton point de vue. J’en ai eu plein la dernière fois aussi. Les gens adoraient me donner des conseils. J’ai pensé qu’ils pourraient me donner un tas de conneries d’autoassistance et me concentrer sur autre chose que ma propre misère. Sérieusement, tu parles d’une erreur. Qu’est-ce que la pensée positive va me faire de bien maintenant ? J’ai dépassé le stade où mon état émotionnel va faire une différence. Devenir optimiste ne fait que m’exposer à plus de douleur.

Je veux dire, c’est un bon exemple ! Pourquoi me laisser rêver, bon sang ? Réalité alternative, mon cul ! J’ai eu une seconde chance dans la vie, et tu m’enlèves le tapis sous mes pieds ? Étais-tu obligé d’être aussi sadique !?

« Attends une seconde. Je pense que tu te méprends. Je veux t’aider dans ta vie actuelle, pas dans ton ancienne. »

… Hm ? Alors pourquoi je ressemble à ça ?

« C’est ta forme astrale. Elle est différente de ton corps réel. »

Ma… forme astrale… ?

« C’est vrai. Tu es parfaitement bien physiquement, bien sûr. »

Alors, ce n’est qu’un rêve ? Quand je me réveillerai, je ne me retrouverai plus dans ce corps merdique ?

« Exactement. Puisque tu rêves en ce moment, tu seras de retour à la normale à ton réveil. Te sens-tu mieux maintenant ? »

Phew. OK. Donc c’est juste un rêve bizarre…

« Ce n’est pas qu’un rêve. Je parle directement dans ton esprit en ce moment même. Difficile de croire que ton image mentale de toi-même est si différente de ton corps… »

De la télépathie, hein ? Eh bien, c’est entendu. Mais qu’est-ce que tu me veux vraiment ? Prévois-tu de me renvoyer dans mon ancien monde ? Puisque ma place n’est pas ici ?

« Ne sois pas ridicule. Je ne pouvais pas t’envoyer ailleurs que dans le monde à six faces, évidemment. »

Hmph. C’est peut-être évident pour toi, mais je suis dans le brouillard.

« Un point très raisonnable. »

Attends une minute. Si tu ne peux pas me renvoyer… tu ne peux pas être celui qui m’a réincarné dans ce monde, non ?

« Exact. La réincarnation n’est de toute façon pas vraiment mon domaine. C’est la spécialité d’un certain Dieu Dragon maléfique. »

Hrm. Nous avons aussi un dragon maléfique, hein… ?

« Bref, tu veux mon avis ou pas ? »

… Non merci.

« Hein !? Pourquoi pas ? »

Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais tu es manifestement un personnage louche. Ça veut dire que je ferais mieux de t’ignorer complètement.

« Aw. Est-ce que j’ai vraiment l’air si louche ? »

Oh oui, bon sang. Tu ne pourrais pas mieux agir comme un escroc si tu essayais. Cela me rappelle les escrocs que j’avais l’habitude de rencontrer dans des MMO. Au moment où tu te laisses prendre dans une conversation, ils t’embrouillaient déjà la tête.

« Je ne suis pas un escroc ! Je ne te demanderai même pas de suivre mon conseil, comprends-tu ? »

C’est juste une autre partie de ta stratégie.

« Allez ! Fais-moi confiance ! »

Tu te plains terriblement pour une divinité. Regardez. Ce n’est même pas comme si je te vénérais, qui que tu sois. Le seul dieu qui m’importe, c’est celui qui a fait le miracle de ma réincarnation. Pourquoi ferais-je confiance à un autre type qui me vient à l’esprit et qui dit toutes sortes de conneries bizarres ? Oh, et les gens qui parlent de « confiance » sont toujours des menteurs. Cette sagesse est tirée d’un de mes livres préférés.

« Allez, ne sois pas si têtu. Donne-moi juste une petite chance. »

On dirait un ex-petit ami perdant qui essaie de se remettre avec la fille qui l’a largué. Écoute, mon pote. Combien de prières penses-tu que j’ai dites dans mon ancienne vie ? Tu n’es jamais venu à la rescousse à l’époque. Pas même une fois, jusqu’au jour de ma mort. Pourquoi me donner des conseils maintenant ?

« Je ne suis pas de ton ancien monde, tu t’en souviens ? Je suis un Dieu de ce monde, et je dis que je vais t’aider à partir de maintenant. »

C’est vrai. Et je dis que je ne peux pas vous faire confiance. Parler ne coûte pas grand-chose. Si tu veux que je te croie, montre-moi un miracle.

« N’est-ce pas un miracle ? Combien de personnes peuvent communiquer avec toi par tes rêves ? »

Qu’y a-t-il de si spécial dans une petite communication ? N’importe qui peut faire ça. Tu n’as qu’à écrire une lettre ou quoi que ce soit d’autre.

« Eh bien, c’est vrai. Mais est-ce vraiment une bonne raison pour que tu m’ignores ? À ce rythme, tu vas mourir. »

… je vais mourir ? Pourquoi ?

« Le continent des démons est un endroit assez rude. D’abord, il n’y a pas grand-chose à manger. D’autre part, c’est un endroit où grouillent de monstres, surtout comparés au Continent Central. Je sais que tu peux parler la langue, mais les choses fonctionnent plutôt différemment ici. Es-tu vraiment certain de pouvoir survivre ? »

Le continent des démons ? Quoi ? Attends. Tu veux dire cet énorme morceau de terre au bout du monde ? Pourquoi serais-je si loin ?

« Tu as été pris dans un énorme désastre magique. Tu as fini par te téléporter ici. »

Un désastre magique… ? Parles-tu de la lumière que j’ai vue ?

« C’est exact. »

C’était donc une sorte de sort de téléportation. Hmm.

… Attends, je ne suis pas le seul à avoir été frappé par ce truc. Je me demandais si tout le monde à Fittoa va bien. Le village Buena est assez loin de Roa, ils vont donc probablement bien… mais je m’inquiète toujours pour ma famille.

… As-tu une idée là-dessus, mon pote ?

« De toute façon, croirais-tu vraiment ma réponse ? Tu ne veux même pas écouter mes conseils. »

C’est un bon point. Tu mentiras probablement juste pour le plaisir.

« Tout ce que je vais te dire, c’est que tout le monde prie pour ta sécurité. Ils veulent tous que tu reviennes vivant. »

Eh bien… bien sûr. Bien sûr qu’ils le feraient.

« Hmmm. Y crois-tu vraiment ? N’y a-t-il pas une part de toi qui pense… qu’ils pourraient être heureux d’avoir la joie de te revoir ? »

Oui, je mentirais si je disais que ça ne m’avait pas traversé l’esprit. À la fin de ma dernière vie, tout le monde se fichait que je vis ou meurs. Et j’ai encore des problèmes d’estime de soi qui en découlent.

« Eh bien, les gens se soucient de toi dans ce monde. Tu ferais mieux de leur rendre la pareille et en un seul morceau. »

Oui. Tu as raison.

« Je ne te garantis rien, mais je pense que tu auras de bonnes chances de survivre si tu suis mon conseil. »

Attends. Avant d’en venir là, je veux savoir pourquoi tu fais ça. Pourquoi tiens-tu tant à moi ?

« Ciel, tu es obstiné… Je pense juste que les choses seront plus amusantes si tu restes en vie, d’accord ? N’est-ce pas suffisant ? »

Les gens qui ne pensent qu’à s’amuser ont tendance à être de vrais salauds.

« C’était comme ça dans ta dernière vie ? »

À peu près. Je connaissais quelques gars comme ça, et ils aimaient tous faire danser les autres comme des marionnettes pour s’amuser.

« Eh bien, j’aime un peu les marionnettes de temps en temps. Je ne peux pas le nier. »

Super. Je suis donc le singe de compagnie et tu me donnes des instructions vagues pour voir si je peux atteindre mon but. Ça sonne bien ?

« Soupir… Regarde ici. N’as-tu pas oublié ma question originale ? »

Quelle question originale ?

« Alors, laisse-moi-la répéter. Es-tu sûr de pouvoir survivre ici ? Échoués dans un pays dangereux et inconnu ? »

... Non, pas vraiment.

« Alors peut-être que tu ferais mieux de m’écouter. Comme je l’ai déjà dit, c’est à toi de suivre mes suggestions. »

D’accord, c’est bon. Très bien. J’ai compris. Vas-y, donne-moi un conseil si te le veux vraiment. De toute façon, à quoi rimait toute cette longue conversation ? Tu aurais pu me dire quoi faire et nous éviter un mal de tête.

« Oui, oui. Écoute-moi bien, jeune Rudeus. Dès que tu te réveilleras, tu verras un homme. Compte sur lui, et fais ce que tu peux pour l’aider. »

Alors que ces paroles brèves et finales résonnaient dans le vide, le dieu pixelisé disparut abruptement.

Et de toute façon, qu’est-ce qu’il y a de si amusant à me regarder ?

« Ce n’était peut-être pas le bon choix de mots. Tu es très… intéressant, c’est tout. Je n’ai presque jamais la chance de voir quelqu’un d’un monde complètement différent ! J’aimerais t’aider à rencontrer toutes sortes de gens et voir ce qu’il en résulte. »

***

Chapitre 2 : Les Superds

Partie 1

Quand je m’étais réveillé, il faisait déjà nuit.

Un ciel noir plein d’étoiles s’étendait au-dessus de moi. Les ombres projetées par une flamme dansaient sur le sol. J’entendais le crépitement de la combustion du bois. J’avais l’impression de dormir près d’un feu de camp, mais je ne me souvenais pas d’en avoir fait un, ni même de m’être mis en route pour me rendre dans un camping.

La dernière chose dont je m’étais souvenu… c’était que le ciel changeait brusquement de couleur et qu’une vague de lumière blanche déferlait sur nous.

Oh, et puis il y a eu ce rêve. Pas très agréable…

« Gah ! »

Une crise d’angoisse me traversa. Je regardais mon corps vers le bas. Heureusement, ce n’était pas la lente et inutile masse de chair que j’avais l’habitude d’habiter. J’étais de retour dans la forme jeune, mais forte de Rudeus. Voyant cela, mes souvenirs du passé commencèrent à s’estomper légèrement, et une vague de pur soulagement me submergea.

Au diable cet Homme-Dieu. Pendant un instant, j’avais l’impression d’être de retour dans mon ancienne vie. J’avais l’impression que j’allais passer un peu plus de temps dans ce monde. Dieu merci. J’avais encore une tonne de choses à faire ici. Comme d’une part mettre de côté mon statut de « Sorcier ».

Quand je m’étais assis, j’avais mal au dos. J’avais été couché sur le sol nu. Mon environnement immédiat était une étendue de terre sèche et fissurée. D’après ce que j’avais pu voir, il n’y avait presque pas de végétation. N’y avait-il même pas d’insectes ? Je n’avais rien entendu d’autre que le bruit du feu. 

C’était vraiment calme ici. J’avais l’impression que tout le bruit que je faisais était englouti par le silence total de la nuit. Je ne me souvenais pas d’avoir été dans un endroit comme celui-ci auparavant. Le royaume d’Asura était après tout couvert de prairies et de forêts. Cette vague de lumière blanche l’avait-elle fait ?

Non, non. D’après l’Homme-Dieu, j’avais été téléporté. On était probablement dans le continent des démons. C’était une terre complètement nouvelle et inconnue. D’une façon ou d’une autre, cette lumière m’avait envoyé… Attendez.

Et Ghislaine et Éris !?

Mon premier réflexe avait été de me lever et de commencer à les chercher. Mais au moment où j’avais commencé à bouger… j’avais remarqué qu’une fille dormait sur le sol derrière moi, une main se serrant contre ma chemise.

Ses cheveux roux vif étaient indubitables. C’était Éris. Éris Boreas Greyrat, la fille à qui je donnais des cours à Fittoa. Je ne vais pas vous refaire toute l’histoire, mais je lui avais enseigné la lecture et l’arithmétique depuis maintenant plus de 3 ans. Au début, c’était une force de la nature : gâtée, violente et totalement hors de contrôle. Mais j’avais réussi à naviguer à travers certains événements délicats, comme la sauver de kidnappeurs potentiels et lui apprendre à danser avant sa fête d’anniversaire. Finalement, j’avais gagné son respect et sa confiance.

Bien sûr, elle me donnait encore des coups de poing et des coups de pied tous les jours. C’était comme ça qu’elle était.

« … Hm. »

Pour une raison quelconque, Éris avait une sorte de manteau drapé sur elle. J’avais été étendu dans mes vêtements, mais… oh bien. Le principe de la « dame d’abord » s’appliquait probablement ici.

Mon équipement, Aqua Heartia, était également placé sur le sol derrière elle. Éris me l’avait offert en cadeau pour mon dixième anniversaire il y avait quelques jours à peine. En tout cas, elle n’avait pas de blessures externes évidentes. C’était un soulagement.

Mais où est Ghislaine ?

Ghislaine Dedoldia était à la fois notre instructrice de maniement de l’épée et le garde du corps personnel d’Éris. C’était une femme bête terriblement douée qui m’avait enseigné les bases de son style en échange d’une éducation rudimentaire. Le cerveau de la femme était prétendument « fait de muscles », et elle était définitivement à la traîne par rapport à Éris dans ses études… mais dans une situation d’urgence comme celle-ci, elle serait beaucoup plus utile que des gens comme moi. Il était possible qu’elle ait fait le feu et mis cette cape sur Éris.

Je m’étais détourné de mon élève endormie, et j’avais commencé à chercher mon maître. Tout de suite, j’avais vu quelqu’un assis près du feu, que je n’avais pas remarqué auparavant.

Mais ce n’était pas Ghislaine. C’était un homme.

« … »

Il me regardait fixement, immobile, et silencieusement, comme s’il m’évaluait. Je m’étais figé comme un lapin sous le regard d’un prédateur.

Malgré mon choc, j’avais fait de mon mieux pour l’étudier calmement. Il ne semblait pas se méfier de nous. En fait, c’était plus comme… hmm. Comment pourrais-je dire ça ? Quelque chose dans son langage corporel me rappelait la façon dont ma sœur approchait lentement et timidement un chat qu’elle voulait caresser.

Avait-il peur d’effrayer ces enfants qu’il venait de croiser ? Cela semblait indiquer qu’il n’était pas hostile.

Mais au moment où je poussais un soupir de soulagement, mon esprit s’était arrêté sur quelques détails alarmants. Ses cheveux étaient vert émeraude, sa peau blanche comme de la porcelaine, et il avait quelque chose, comme un bijou rouge incrusté sur son front. Il avait aussi une longue cicatrice sur le visage. Ses yeux étaient aiguisés, ses traits sévères. Même au premier regard, il avait l’air d’un homme dangereux.

Juste pour enfoncer le clou, il y avait un trident à ses côtés.

Quand j’étais très jeune, j’avais reçu des cours de magie d’une fille nommée Roxy qui m’avait appris beaucoup de choses précieuses et qui avaient changé ma vie. Une des choses qu’elle m’avait apprise concernait une certaine race de démons, les Superds. Je me souvenais parfaitement de ses paroles, même maintenant.

Ne parle pas à un Superd. Ne t’approche pas d’eux.

Je voulais me lever, attraper Éris et me mettre à courir comme un fou. Mais j’avais réussi au dernier moment à supprimer cette envie.

Le conseil de l’Homme-Dieu m’était venu à l’esprit : fais-lui confiance, et fais ce que tu peux pour l’aider.

Je n’avais bien évidemment absolument aucune raison de faire confiance à cette divinité autoproclamée. Tout ce qu’il m’avait dit avait fait sonner mon alarme, et maintenant il m’avait laissé ici avec ce personnage incroyablement suspect. Comment lui faire confiance ? Ce type était un Superd, bon sang. Roxy avait expliqué en détail à quel point ils étaient terrifiants et violents.

Peut-être qu’une sorte de dieu voulait que je l’aide. D’accord, très bien. Mais à qui allais-je faire confiance ici ? Un personnage louche que j’avais rencontré dans un rêve, ou mon maître bien-aimé, Roxy ?

Roxy, évidemment. La question ne valait même pas la peine d’être posée. Ce qui voulait dire que je devrais m’enfuir maintenant.

C’était peut-être pour cela que le « conseil » était nécessaire. Sans ce rêve, j’aurais probablement fui immédiatement. Et même si, d’une façon ou d’une autre, j’arrivais à m’enfuir, quelle serait ma prochaine étape ?

J’avais jeté un second coup d’œil à notre environnement.

Il faisait nuit et tout m’était complètement inconnu. La terre fissurée qui m’entourait était couverte de roches déchiquetées. Si je croyais l’Homme-Dieu sur parole, c’était le Continent des Démons. Ça voudrait dire que j’étais loin de chez moi.

En y repensant… J’avais fait un autre rêve étrange plus tôt, bien que je l’avais presque oublié après cette conversation mémorable avec l’Homme-Dieu. J’avais traversé ce monde à une vitesse incroyable. J’avais balayé les hautes montagnes, la haute mer, les forêts épaisses et les vallées profondes… beaucoup d’endroits où j’aurais pu mourir en fait. Peut-être que ce n’était pas un rêve, peut-être que j’avais vraiment été téléporté. L’histoire du Continent des Démons semblait de plus en plus plausible.

Et bien sûr, je ne savais pas j’étais sur le continent. Si je m’enfuyais maintenant, j’errerais sans but au milieu d’une terre massive et étrangère.

En fin de compte, je n’avais pas vraiment le choix. Même si Éris et moi pouvions nous éloigner de cet homme, nous nous retrouverions désespérément coincés au milieu de nulle part. Bien sûr, il y avait toujours une chance que nous trouvions un village à proximité quand le soleil se lèvera. Mais est-ce que ça valait le coup de tout parier là-dessus ?

Non. Bien sûr que non. Je savais parfaitement à quel point il était difficile de trouver son chemin dans un pays inconnu.

Calme-toi, mec. Respire profondément. Tu ne fais pas confiance à l’Homme-Dieu. Très bien. Mais qu’en est-il de ce type ? Regarde-le attentivement. Regarde l’expression de son visage. Il est anxieux. Anxieux et un peu résigné. Ce n’est pas un monstre inhumain incapable d’émotion, d’accord ?

Roxy m’avait dit d’éviter le Superd, mais elle n’en avait jamais rencontré un elle-même. J’avais tout appris sur les préjugés et la discrimination dans mon ancien monde, et je savais comment se déroulaient les chasses aux sorcières. Les Superds étaient craints, mais peut-être qu’ils étaient mal compris. Roxy n’avait sûrement pas l’intention de me mentir, mais il y avait une chance qu’elle ait eu une mauvaise opinion d’eux.

Mon intuition me disait que ce type ne nous ferait pas de mal. Il n’avait pas l’air aussi louche ou malveillant que l’Homme-Dieu. Devrais-je suivre l’avertissement de Roxy ou le conseil de l’Homme-Dieu ? J’avais décidé de suivre mon instinct. Je n’avais pas détesté ou craint ce type à première vue, son apparence était juste un peu… intimidante. Dans ce cas, ça ne ferait pas de mal de parler. Je me déciderais en fonction de ce qui se passera.

« Bonjour »

Je l’avais appelé.

Après une pause, il répondit par un bref « Bonjour ».

Pour l’instant, tout va bien. Hmm. Quelle est la prochaine étape ?

« Es-tu un serviteur de Dieu ou quelque chose comme ça ? »

L’homme inclina la tête avec perplexité.

« Je ne suis pas sûr de ce que tu veux dire, mais je vous ai trouvés ici après votre chute du ciel. Je sais que les enfants humains sont délicats, alors j’ai fait ce feu pour vous garder au chaud. »

Aucune mention de mon ami sans visage, hein ? Ce type n’était pas dans le plan de Dieu ? D’après ce que l’Homme-Dieu m’avait dit sur ses motivations, peut-être que me regarder n’était que la moitié du plaisir. Voir comment d’autres personnes réagiraient à mes propos était probablement tout aussi intéressant. Dans ce cas, cet homme pourrait vraiment être digne de confiance.

« C’était très gentil de votre part. Merci de nous aider. »

« … Es-tu aveugle, mon garçon ? »

C’était une question étrange.

« Quoi ? Non, en fait ma vision est parfaite. »

« Tes parents ne t’ont jamais parlé des Superds avant ? »

« Mes parents ne l’ont pas fait, mais mon maître m’a dit de rester loin d’eux à tout prix. »

L’homme s’arrêta de nouveau, puis parla plus lentement et plus prudemment qu’auparavant.

« Tu ne tiens pas compte des paroles de ton maître, le sais-tu. »

La question tacite, bien sûr, était : je suis un Superd. Cela ne te dérange pas ? L’homme semblait étonnamment peu sûr de lui.

« N’as-tu pas peur de moi ? »

Je n’ai pas peur, non. Je me méfie juste un peu de vous.

Inutile de le dire tout haut, bien sûr.

« Je pense qu’il serait impoli de craindre un homme qui vient de m’aider. »

« Tu dis des choses étranges, mon enfant. »

Il avait l’air vraiment perplexe maintenant.

Je ne pensais pas avoir dit quoi que ce soit de particulièrement étrange, mais peut-être que le Superd tenait pour acquis que tout le monde allait courir en criant à leur vue. J’avais appris certaines choses sur la guerre de Laplace, le conflit qui opposait il y a 400 ans l’humanité et les démons et qui a pris fin il y a seulement un siècle. Je savais que les Superds avaient été rejetés depuis sa fin. Le monde se débarrassait lentement de ses préjugés contre d’autres types de démons, mais les Superds étaient définitivement un cas spécial. Toutes les autres races semblaient les détester aussi passionnément que le peuple japonais détestait les soldats américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient été dépeints comme quelque chose de proche de l’incarnation du mal à l’état pur.

Sans ma connaissance du racisme de mon ancienne vie, j’aurais probablement crié de terreur à la vue de l’un d’eux.

L’homme n’avait rien dit. Il jeta une brindille dans le feu et elle éclata bruyamment. Éris gémit en entendant le son et se mit à remuer. Il semblerait qu’elle allait bientôt se réveiller.

Attendez. Ce n’est pas bon signe. Elle va certainement faire une scène. Je devrais au moins me présenter avant que les choses ne deviennent totalement chaotiques.

« Je suis Rudeus Greyrat. Quel est votre nom, monsieur ? »

« Ruijerd Superdia. »

Superdia était probablement le nom de famille commun utilisé par tous les Superds. C’était ainsi que les choses fonctionnaient habituellement avec les races démoniaques. Pour la plupart, seuls les humains prenaient des noms de famille, bien qu’il y ait eu quelques exceptions excentriques parmi les autres races. De même, le nom de famille de Roxy était Migurdia, d’après le Dictionnaire sur les races démoniaques qu’elle m’avait envoyé pendant mon séjour comme tuteur d’Éris.

« Eh bien, Ruijerd, je pense que cette jeune femme va bientôt se réveiller. Elle peut être très bruyante parfois, j’en ai peur. Laisse-moi m’excuser d’avance. »

« Pas besoin de ça. J’ai l’habitude. »

***

Partie 2

Étant donné son approche agressive de la vie, il y avait un risque réel qu’Éris s’en prenne à Ruijerd dès qu’elle l’aurait vu. Nous avions besoin d’avoir une petite conversation pendant que nous en avions l’occasion. Espérons que cela empêchera que les choses ne deviennent trop hostiles plus tard.

« Pardonnez-moi. Je vais me rapprocher un peu plus. »

Je jetais un coup d’œil à Éris afin de m’assurer qu’elle ne se réveillerait pas encore. J’avais fait le tour du feu et je m’étais installé à côté de Ruijerd. De près, je voyais ses vêtements dans la lumière faible et vacillante. Son gilet et son pantalon brodés ressemblaient à une sorte de vêtement tribal, le genre de chose qu’un autochtone aurait pu porter.

Ruijerd semblait plus mal à l’aise qu’autre chose. Mais honnêtement, c’était beaucoup moins déconcertant que la gentillesse insistante de l’Homme-Dieu.

« Ce n’est pas pour changer de sujet, mais où sommes-nous actuellement ? », avais-je dit.

« Dans la région de Biegoya, au nord-est du continent des démons. Nous ne sommes pas loin du vieux château de Kishirisu. »

« Oh. Je vois… »

J’avais déjà vu le château de Kishirisu sur une carte. C’était très, très loin d’Asura.

« Je me demande, pourquoi avons-nous atterri jusqu’ici ? »

« Si vous ne le savez pas, je ne le saurais certainement pas. »

« Oui, je suppose qu’on ne le sait pas. »

Je savais bien que des choses étranges pourraient arriver quand on se trouvait dans un monde avec des dragons et de la magie, mais…

Notre rencontre avec un personnage aussi important que le lieutenant de Perugius juste avant que cela n’arrive n’était sûrement pas une coïncidence. D’ailleurs, il se pourrait que l’Homme-Dieu ait aussi joué un rôle dans les choses. Si nous avions été pris dans cette situation par pure coïncidence, c’était un miracle que nous soyons encore en vie.

« En tout cas, je vous suis très reconnaissant de nous avoir aidés. »

« Il n’y a pas besoin de gratitude. Dites-moi juste d’où vous venez. »

« Nous sommes du royaume d’Asura sur le continent central. De la ville de Roa dans la région de Fittoa en particulier. »

« Asura… ? C’est effectivement un pays lointain. »

« C’est certainement le cas. »

« Mais ne vous inquiétez pas. Je vous ramènerai là-bas sain et sauf. »

Le nord-est du continent des démons se trouvait de l’autre côté de la carte par rapport à Asura. De loin, c’était comparable à un voyage entre Paris et Las Vegas. Et dans ce monde, bien sûr, on ne pouvait pas sauter dans un avion. Même les voyages par mer n’étaient possibles que sur des itinéraires spécifiques, de sorte que tout voyage intercontinental nécessitait de longs détours par voie terrestre.

« Avez-vous la moindre idée de ce qui a pu se passer, mon garçon ? »

« Eh bien, euh… le ciel s’est mis à briller tout à coup, puis quelqu’un qui se faisait appeler Almanfi le Lumineux s’est pointé et nous a dit qu’il allait venir pour arrêter une sorte d’anomalie. Nous étions encore en train de lui parler quand cette vague de lumière blanche et brillante nous a frappés. Et je me suis réveillé ici. »

« Almanfi... ? Alors, Perugius est impliqué ? La situation devait alors être vraiment grave. Vous avez de la chance d’avoir été simplement téléporté. »

« C’est assez vrai. Si ça avait été une sorte d’explosion, nous serions morts tous les deux. »

J’avais remarqué que Ruijerd n’avait pas eu l’air très surpris par cette histoire avec Perugius. Ce n’était peut-être pas si inhabituel pour notre héros légendaire de se montrer de temps en temps.

« Au fait, Ruijerd… avez-vous déjà entendu parler d’un Dieu-Homme ? »

« Dieu-Homme ? Ça ne me dit rien. Est-ce le nom de quelqu’un ? »

« Peu importe. Ce n’est pas vraiment important. »

Je n’avais pas l’impression qu’il me mentait et je ne pouvais pas imaginer pourquoi il en ressentirait le besoin.

« Quoi qu’il en soit… le royaume d’Asura ? »

« Ce n’est pas grave, je ne vous demanderais pas de nous emmener jusque-là. Si vous pouviez nous escorter jusqu’à la ville la plus proche, je pense que nous… »

« Non. Un guerrier superd ne revient jamais sur sa parole. »

Les paroles de Ruijerd étaient fermes, sa voix était pleine d’un orgueil obstiné. C’était suffisant pour me donner envie de lui faire confiance, même en mettant de côté les conseils de l’Homme-Dieu.

Pour l’instant, cependant, j’avais besoin de rester sceptique.

« Mais nous parlons d’un voyage à l’autre bout du monde. »

« Ne vous inquiétez pas pour ça, mon enfant. »

Sur ce, l’homme me tendit la main et me tapota timidement la tête. J’avais vu du soulagement sur son visage quand je n’avais pas rejeté sa main.

Ce type aimait peut-être juste les enfants ? Pourtant, on ne parlait pas d’une promenade de dix minutes pour rentrer chez nous. Je ne pouvais pas vraiment prendre ses promesses au pied de la lettre en ce moment…

« Pensez-y comme ça. Connaissez-vous la langue d’ici ? Avez-vous de l’argent ? Connaissez-vous les routes ? »

Oh. Huh. Je n’y avais même pas pensé jusqu’à maintenant, mais… J’avais parlé dans la langue humaine tout ce temps, et cet homme-démon répondait couramment. Intéressant.

« En fait, je peux parler la langue du Dieu-Démon. Et je suis un magicien compétent, donc je peux gagner de l’argent par moi-même. Si vous nous emmenez en ville, je saurai où nous devons aller. »

Si possible, je voulais orienter cette conversation vers un refus poli. Ruijerd lui-même était peut-être digne de confiance, mais je n’aimais pas l’idée que les choses se déroulaient exactement comme le Dieu-Homme le voulait.

Si mes paroles prudentes l’avaient blessé, l’homme ne l’avait pas laissé paraître.

« Je vois. Permettez-moi au moins de vous protéger. Abandonner de si jeunes enfants entacherait l’honneur d’un Superd. »

« Eh bien, je ne voudrais pas déshonorer un peuple si fier. »

« Ne t’inquiéte pas. On s’en est déjà occupé nous-mêmes. »

Je gloussai un peu, et les lèvres de Ruijerd se courbèrent légèrement vers le haut. Contrairement au sourire creux et dérangeant de l’Homme-Dieu, il y avait une véritable chaleur derrière son sourire.

« En tout cas, je vous emmènerai au village où je réside demain matin. »

« D’accord. »

Je ne voulais pas faire confiance à ce soi-disant dieu, mais on n’avait pas trop le choix, mais cet homme était différent. Ça ne pouvait pas faire de mal de lui donner une chance. Jusqu’à ce que nous atteignions au moins ce village.

◇ ◇ ◇

Peu de temps après, les yeux d’Éris s’ouvrirent.

Assise à la verticale, elle regarda autour d’elle, son expression devenant de plus en plus anxieuse. Au bout d’un moment, ses yeux rencontrèrent les miens, et je vis un soulagement sur son visage.

Un instant plus tard, elle remarqua l’homme assis à côté de moi.

« Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !! »

Hurlant comme une banshee, Éris tomba en arrière, puis essaya de se lever et de courir. Mais ses jambes lâchèrent et elle s’effondra au sol.

« Noooooooooooooooon ! »

La fille était dans un état de panique totale et aveugle. Mais elle ne se débattait pas violemment et n’essayait même pas de s’enfuir en rampant. Elle était allongée là où elle était tombée, tremblante de peur, gémissant du fond de ses poumons.

« Non ! Non, non, non ! S’il vous plaît, s’il vous plaît, non ! Ghislaine ! Ghislaine, aide-moi ! Ghislaine ! Pourquoi ne viens-tu pas !? Noooooon ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! Je suis désolée ! Je suis désolée ! Je suis désolé, Rudeus ! Je suis désolée de t’avoir repoussé ! Je suis tellement lâche ! Maintenant, je n’arriverai jamais à… tenir ma promesse ! Aaah… ah… Waaaaaaaaah ! »

Après avoir continué pendant un bon moment, la fille s’était finalement mise à pleurer de façon incohérente. La regarder m’envoya un frisson dans le dos. Je n’arrivais pas à croire à quel point elle était terrifiée…

Quoi que vous puissiez dire d’elle, Éris était une fille volontaire et confiante. Pour elle, le monde lui appartenait. Elle essayait toujours de franchir tous les obstacles sur son chemin. En règle générale, la fille donnait d’abord des coups de poing et parlait ensuite.

Avais-je… peut-être eu une mauvaise idée ici ? Rencontrer un Superd était-il littéralement une question de vie ou de mort ?

Un peu troublé, j’avais jeté un coup d’œil à Ruijerd.

« C’est une réaction plus typique », dit-il.

Tu n’es pas sérieux.

« C’est donc moi qui me comporte bizarrement ici ? »

« Oui, vous agissez bizarrement. Cependant… »

« Cependant ? »

« Je ne peux pas dire que ça me dérange. »

Le visage de l’homme était une image de solitude. J’avais ressenti une véritable sympathie.

Je m’étais levé et j’avais marché jusqu’à mon élève qui se recroquevillait. Éris tremblait de peur alors que mes pas se rapprochaient. Je m’étais accroupi à côté d’elle et j’avais commencé à lui frotter doucement le dos. Cela me rappela des souvenirs de ma vie différente, d’une époque où ma grand-mère m’avait réconforté exactement de la même façon.

« Allez, c’est bon. Il n’y a pas de quoi avoir peur. »

« Hic… Bien sûr que si ! Cet homme est un Superd ! »

Honnêtement, je ne comprenais toujours pas pourquoi elle était si terrifiée. Je veux dire, c’était Éris, la fille qui attaquait sans crainte Ghislaine, une épéiste de rang Roi. Je pensais qu’elle n’avait peur de rien.

« Qu’est-ce qu’il a de si effrayant ? »

« C’est un Superd, idiot ! Ils… Ils mangent des enfants ! Tant qu’ils sont encore en vie ! Hic. »

« Hm. Je ne pense pas que ce soit vrai. »

Je m’étais tourné vers Ruijerd pour obtenir une confirmation, et il acquiesça de la tête.

« Non, on ne mange pas d’enfants. »

Ouais, je le pensais également.

« Tu entends ça, Éris ? »

« Mais… Mais ce sont des démons ! Des démons ! »

« Oui, c’est vrai. Mais heureusement, il parle très bien la langue des humains. »

« Écoute, ce n’est pas le problème, OK !? »

Éris leva la tête, puis me regarda avec des yeux enflammés.

C’est beaucoup mieux. Voilà l’Éris que nous connaissons et aimons.

« Hmm, es-tu sûre de vouloir faire une tête comme ça ? Peut-être qu’il ne te mangera pas si tu restes recroquevillée sur le sol. »

« Argh ! Arrête de te moquer de moi ! »

Éris, clairement exaspérée par mes taquineries, me lança un autre regard noir, puis tourna la tête pour faire de même avec Ruijerd… À ce moment, elle se remit à trembler.

Était-ce de vraies larmes dans ses yeux ? Heureusement qu’elle ne se tenait pas debout, les jambes écartées, comme d’habitude. Ses genoux seraient probablement en train de trembler comme des fous.

« Enchan… enchantée de vous rencontrer, monsieur. Je suis… E-Éris B-Bo-Boreas… Greyrat ! »

Malgré tout, la jeune fille avait quand même réussi à bégayer un salut poli. C’était un peu comique, surtout après qu’elle lui ait jeté un regard noir. À bien y penser, cependant, prendre l’initiative de se présenter n’a jamais été une mauvaise idée quand vous parliez à un étranger. Quelqu’un m’avait appris ça il y a longtemps.

« Éris Boboboreas Greyrat, c’est ça ? Il semblerait que vous, les humains, vous vous donnez des noms étranges ces derniers temps. »

« Non, non ! C’est Éris Boreas Greyrat ! J’ai bégayé un peu, c’est tout ! Et si vous vous présentiez, hein ? »

Un instant après qu’elle eut fini de lui crier dessus, le visage d’Éris devint un peu pâle. On aurait dit qu’elle avait oublié à qui elle parlait pendant une seconde.

« Bien sûr. Toutes mes excuses. Je suis Ruijerd Superdia. »

Alors que Ruijerd répondit calmement, une expression de soulagement se répandit sur le visage d’Éris, puis céda rapidement la place à un sourire confiant et insolent. Il semblerait qu’elle avait décidé rétroactivement qu’elle n’avait pas du tout peur de lui.

« Tu vois ? Il n’est pas si mal. Tu peux te faire des amis avec n’importe qui, tant que tu peux communiquer avec eux. »

« Oui ! Tu as raison, Rudeus. Honnêtement, maman est une menteuse idiote ! »

Hilda lui avait parlé des Superds ? J’étais un peu curieux des histoires qu’on lui avait racontées. Elles avaient dû être affreuses.

La réaction d’Éris était relativement compréhensible. J’aurais probablement paniqué plus qu’un peu si j’avais rencontré un Teke ou un Namahage dans la vraie vie.

« Qu’est-ce que Mlle Hilda t’a dit sur les Superds ? »

« Elle disait toujours qu’ils viendraient me manger si je n’allais pas au lit à l’heure. »

C’était le croque-mitaine classique de ce monde, hein ? Un peu comme le Putaway Man au Japon.

« Eh bien, ce Superd ne trouve aucun intérêt à nous manger. On pourrait se vanter de s’être liés d’amitié avec lui une fois rentrés à la maison, non ? »

« Oh. Penses-tu que grand-père et Ghislaine seraient impressionnés… ? »

« Bien sûr. »

J’avais jeté un coup d’œil à Ruijerd. Son visage montrait qu’il était légèrement surpris. Pour l’instant, tout se passe bien.

« Tu sais, je pense que Ruijerd est un peu solitaire. Il accepterait probablement d’être ton ami tout de suite si tu lui demandais. »

« M-Mais… »

J’avais l’impression que j’allais mettre les choses en termes assez enfantins, mais Éris avait l’air un peu hésitante. En y repensant, elle n’avait pas vraiment d’« amis » elle-même, pas vrai ? J’étais probablement un peu en dehors de cette catégorie pour elle…

Pas étonnant qu’elle se sente timide. La fille avait juste besoin d’un petit coup de pouce.

« N’est-ce pas, Ruijerd ? »

« Hein ? Euh, bien sûr. J’apprécierais beaucoup, Éris. »

L’homme avait mis un moment à réagir, mais il avait fini par suivre son exemple.

« Eh bien, si tu insistes ! Je suppose que je serai ton ami ! »

La vue de Ruijerd inclinant la tête devant elle était suffisante pour percer les dernières défenses d’Éris. Tout était si simple avec elle. Je me sentais ridicule d’avoir trop réfléchi. Mais je supposais que quelqu’un devait compenser son impulsivité.

« Ouf. Très bien. Je crois que je vais me reposer un peu plus, si ça ne vous dérange pas. »

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel, Rudeus ? Vas-tu déjà dormir ? »

« Oui. Je suis fatigué, Éris. Très fatigué. »

« Vraiment ? Eh bien, c’est dommage. Bonne nuit alors. »

Je m’étais recroquevillé sur le sol, et Éris avait doucement drapé la cape sous laquelle elle était allongée sur moi. Elle appartenait probablement à Ruijerd. Pour une raison quelconque, j’étais vraiment épuisé.

Alors que je commençais à m’endormir, j’avais attrapé quelques bribes de conversation venant de la direction du feu de bois.

« Tu n’as plus peur de moi, jeune fille ? »

« Je vais bien. J’ai Rudeus avec moi. »

C’est vrai. Je devais au moins ramener Éris saine et sauve à la maison. Quoi qu’il arrive.

Avec cette dernière pensée, je m’étais laissé plonger dans le sommeil.

***

Chapitre 3 : Le secret d’un maître

Partie 1

Encore une fois, je rêvais. Cette fois, je regardais un groupe d’anges descendant du ciel. Ça me semblait assez agréable, comparé à mes récents cauchemars.

Puis je remarquais que des parties des anges étaient cachées par des mosaïques pixelisées. Alors qu’ils s’approchaient, ils ricanaient à l’unisson, et des sourires effrayants se répandaient sur leurs visages.

Dès que j’avais réalisé que ce n’était pas un rêve heureux, je m’étais réveillé.

« Un autre cauchemar… »

J’en avais fait beaucoup récemment.

Je m’assis lentement et j’étudiais le champ stérile et rocheux de la terre devant moi. C’était le Continent des Démons, une moitié du supercontinent déchiré dans une guerre entre l’humanité et les races démoniaques, et le foyer des diverses races démoniaques autrefois unit par le démon Dieu Laplace.

Sa superficie était environ la moitié de celle du continent central, mais c’était un endroit beaucoup plus rude. Il y avait très peu de végétation. Le terrain était marqué de fissures et de crevasses, les changements d’élévation étaient abrupts, avec de grandes pentes rocheuses qui s’élevaient comme des marches d’escalier géantes. Les voyageurs trouvaient souvent leur chemin bloqué par des tas de rochers plus hauts qu’un homme. Cet endroit était un vrai labyrinthe.

De plus, ses concentrations denses et naturelles d’énergie magique lui avaient valu d’être la proie à de nombreux monstres puissants. D’après ce que j’avais lu, le traverser d’un bout à l’autre prendrait trois fois plus de temps qu’un voyage à travers le grand continent central. Nous avions un chemin très difficile devant nous, et je ne savais pas trop comment annoncer la nouvelle à Éris.

Mais quand je l’avais regardée, je l’avais trouvée regardant ce paysage sombre avec des yeux qui brillaient d’excitation.

« Uhm, Éris. On dirait qu’on est sur le Continent des Démons, donc… »

« Le Continent des Démons ! Quelle aventure ça va être ! »

Il y avait de la joie dans sa voix ? Bon, très bien, dans ce cas. Il n’y avait aucune raison d’être rabat-joie et d’expliquer à quel point cela va être dangereux.

« Allons-y. Suivez-moi. », dit Ruijerd.

Et c’est ainsi que nous avions traversé ensemble la plaine stérile.

◇ ◇ ◇

Apparemment, Éris s’était liée d’amitié avec Ruijerd pendant que je dormais. Elle bavarda avec lui tandis que nous marchions, décrivant sa vie à la maison, ses leçons de magie et sa pratique du combat à l’épée avec un grand enthousiasme. Ruijerd n’avait pas beaucoup contribué à la conversation, mais offrait de temps en temps des expressions d’intérêt polies.

Il était difficile de croire qu’Éris avait été complètement terrifiée par cet homme la nuit précédente. À ce stade, elle ne semblait pas du tout intimidée par lui. En fait, elle fit quelques commentaires désinvoltes qui semblaient être carrément impolis. Cela me rendit plus qu’un peu inquiet, mais Ruijerd ne sembla jamais s’offusquer.

De toute façon, qui a dit que le Superd avait un tempérament terrible ? Ils n’étaient manifestement pas si terribles que ça.

Bien sûr, Éris n’était pas aussi encline à insulter carrément les gens qu’autrefois. Edna et moi avions pratiquement fait disparaître cette habitude en elle. Elle n’allait donc probablement pas laisser échapper quelque chose de trop terrible, ou du moins c’est ce que je voulais le croire. Cependant, il était difficile de savoir ce qui pouvait faire enrager un étranger d’une culture inconnue. J’espérais vraiment qu’elle serait prudente ici.

De plus, Éris avait tendance à s’exaspérer elle-même assez facilement, alors… j’espérais que Ruijerd ferait de même.

Tandis que cette pensée me traversait l’esprit, j’entendis la voix d’Éris devenir irritante.

« Alors, Rudeus n’est pas ton grand frère ? »

« Bien sûr que non ! »

« Mais vous partagez le nom de Greyrat. C’est un nom de famille, exact ? »

« Ça ne fait pas de lui mon frère ! »

« Est-il né d’une mère différente ? Un père différent ? »

« Non, non. Ce n’est pas ça non plus. »

« Je ne sais pas comment les humains voient ces choses, mais tu devrais être reconnaissant de l’avoir. »

« Écoute, tu te fais des idées ! »

« Peu importe, sois reconnaissant de l’avoir. »

« Ugh… »

Ruijerd avait parlé fermement, Éris vacilla un moment avant de finalement céder.

« Bien sûr que je suis reconnaissante… »

Ce n’était pas comme si nous étions vraiment frères et sœurs, bien sûr. Elle était aussi plus vieille que moi.

◇ ◇ ◇

Le terrain rocheux et escarpé du Continent des Démons était à la hauteur de sa réputation. Le sol était également dur, sec et poussiéreux. Il y avait plus de sable que de terre. On ne pouvait pas blâmer les démons d’avoir déclenché une guerre pour sortir de cet endroit minable. Il n’y avait presque aucune plante. De temps en temps, j’avais repéré une sorte de rocher bizarre qui ressemblait à une sorte de cactus, mais c’était à peu près tout.

« Hm. Attendez ici un moment. Ne bougez pas d’ici, compris ? »

Une fois toutes les dix minutes environ, Ruijerd nous ordonnait de rester assis alors qu’il partait en courant. Cette fois, il sauta facilement à travers une série de rochers massifs, disparaissant rapidement de la vue. Les capacités physiques de l’homme étaient incroyables. J’avais toujours pensé que Ghislaine était presque surhumaine, mais si vous traduisiez leur agilité brute en nombres, Ruijerd pourrait bien s’imposer.

Moins de cinq minutes après son dernier départ brutal, il revint vers nous.

« Désolé de vous avoir fait attendre. Reprenons notre route. »

Ruijerd ne s’était pas expliqué, mais il y avait une légère odeur de sang sur la tête de son trident. Il avait probablement abattu un monstre qui aurait pu nous bloquer la route. D’après ce que j’avais lu dans le dictionnaire de Roxy, ce bijou sur sa tête agissait comme une sorte de radar. Il s’en servait probablement pour identifier les menaces avant qu’elles ne s’approchent trop, puis pour les éliminer avant qu’ils ne sachent ce qui les frappait.

« Bon, dis-nous pourquoi tu t’enfuis toujours comme ça ? », demanda Éris, toujours aussi directe.

« Je m’occupe des monstres présents sur la route qui nous attend, » répondit Ruijerd avec concision. Séparant ses cheveux sur les côtés, il montra à Éris le cristal rouge scintillant au centre de son front. Elle trembla de surprise pendant un instant, mais le « bijou » était en fait une chose plutôt jolie, et bientôt elle le regarda avec une relative curiosité.

« Oh, c’est vrai. Ça doit être pratique ! »

« Je suppose que oui, mais parfois j’aimerais ne pas en avoir. »

« Eh bien, je le prends si tu n’en veux pas. Allez, laisse-moi l’arracher ! »

« Ce n’est pas si facile, j’en ai peur. »

Ruijerd sourit un peu.

Éris avait vraiment fait beaucoup de chemin. Elle faisait même des blagues ces jours-ci.

C’était une blague, pas vraie ?

« Ça me fait penser à quelque chose, Ruijerd… J’ai entendu dire que les monstres du Continent des Démons sont très forts. »

« Ils ne sont pas si forts que ça. Mais comme nous sommes loin de la route principale, ils sont donc assez nombreux. »

En fait, c’était un euphémisme. Ruijerd combattait des monstres toutes les quinze minutes environ depuis un certain temps déjà. Dans le royaume d’Asura, on pouvait voyager pendant des heures en calèche sans en voir un seule. Certes, les chevaliers et les aventuriers du Royaume s’efforçaient régulièrement d’exterminer tous les monstres à l’intérieur de ses frontières, mais même ainsi, le taux de rencontre sur le Continent des Démons était absurdement élevé.

« Tu t’es battu tout seul tout ce temps, Ruijerd. Comment tiens-tu le coup ? »

« Ce n’est pas un problème. J’ai abattu ces créatures en un seul coup. »

« D’accord… mais fais-moi savoir si tu es fatigué, compris. Je pourrais au moins surveiller tes arrières. Et je sais comment utiliser la magie de guérison. »

« Ne t’inquiète pas, mon enfant. »

Ruijerd me tendit la main et m’avait timidement tapoté la tête. Il aimait vraiment faire ça, n’est-ce pas ?

« Reste avec ta petite sœur et protège-la, d’accord ? »

« Écoute ! Je ne suis pas sa petite sœur, OK !? Je suis plus vieille que lui ! »

« Hm. Vraiment ? Mes excuses. »

Ruijerd avait aussi essayé de caresser Éris sur la tête, mais elle lui gifla la main.

T’auras plus de chance la prochaine fois, mon grand.

***

Partie 2

« Nous y voilà. »

La marche avait duré environ trois heures. Nous avions suivi un chemin long et sinueux avec une bonne partie de montée, donc ça avait pris pas mal de temps. Mais à vol d’oiseau, nous n’étions qu’à un kilomètre environ du point de départ.

J’étais étonnamment épuisé. Je me sentais léthargique depuis la veille au soir. Était-ce une sorte de séquelles de ce sort de téléportation ? Peut-être que j’avais juste besoin de travailler mon endurance… Ce n’était pas comme si je m’étais laissé aller à m’entraîner avec Ghislaine.

« Oh ! C’est une ville ! » s’exclama Éris, étudiant avec beaucoup d’intérêt le petit village devant nous.

La fille n’avait même pas l’air un peu essoufflée. J’étais un peu jaloux de son endurance.

À mes yeux, l’endroit où nous étions arrivés ressemblait plus à un village qu’à une ville. Il y avait peut-être dix ou quinze maisons tout au plus, et la clôture qui les entourait était grossière. J’avais aussi remarqué un petit champ à l’intérieur. Il était difficile de dire ce qu’ils cultivaient, mais d’après ce que j’avais vu, ce ne sera pas une récolte exceptionnelle.

Était-il même possible de cultiver une terre comme celle-ci sans qu’il y ait une rivière à proximité ?

« Halte ! »

Juste à l’extérieur de la porte d’entrée, nous avions été arrêtés par un garçon qui avait l’apparence d’un collégien. Ses cheveux bleus me rappelaient Roxy.

« Qui sont ces deux-là, Ruijerd !? »

Le gamin parlait dans la langue du Dieu Démon, mais je la comprenais assez bien. Ma compréhension auditive était apparemment à la hauteur.

« Tu te souviens de l’étoile filante d’hier soir ? C’était eux. »

« Je ne peux pas laisser entrer des étrangers aussi suspects dans notre village ! »

« Qu’est-ce qu’ils ont de si suspect ? Explique-toi. »

Le visage de Ruijerd était soudain sévère, sa voix menaçante. S’il m’avait parlé ainsi hier soir, j’aurais probablement couru vers les collines sans hésitation.

« Qu’est-ce qu’il y a à expliquer ? Regarde-les ! »

« Ce sont des victimes d’un désastre magique qui s’est produit à Asura. Ils se sont téléportés ici, c’est tout. »

« Mais… écoute, même si c’est vrai… »

« Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Laisserais-tu vraiment ces enfants à leur sort ? »

À ce moment-là, j’avais remarqué que Ruijerd serrait les poings. Suivant mon instinct, j’avais tendu la main pour attraper son bras.

« Il ne fait que son travail, Ruijerd. S’il te plaît, calme-toi. »

« Quoi… ? »

« Se disputer avec un larbin ne nous mènera nulle part. Pourquoi ne pas lui demander d’aller chercher quelqu’un ayant une vraie autorité ? »

Le garçon s’était renfrogné devant le mot larbin, mais Ruijerd acquiesça d’un signe de tête.

« Tu marques un point. Rowin, peux-tu appeler l’aîné ? »

« Ouais. Je pensais juste que je pourrais faire ça en fait. »

Rowin ferma les yeux. Il devint ensuite silencieux pendant les dix secondes qui suivirent.

Euh… Qu’est-ce qui se passe ? Vas-tu bouger ou pas ? S’il vous plaît, ne me dites pas que ce gamin vient de s’endormir sur son lieu de travail… Hmm. Peut-être qu’il attend un beau baiser ?

« Euh, Ruijerd, est-il... »

« Les Migurd peuvent discuter avec d’autres de leur race, même à distance. »

« Oh. Maintenant que tu en parles, je crois que mon maître m’en a un peu parlé. »

Plus précisément, elle avait écrit dans son Dictionnaire des races démoniaque que les Migurd étaient capables de communiquer par télépathie avec leurs amis proches et les membres de leur famille. Elle avait également noté qu’elle ne possédait pas cette capacité et qu’elle avait quitté son village à cause de cela.

Pauvre fille.

Maintenant que j’y pense… si c’était un village migurd, peut-être qu’il serait utile de mentionner le nom de Roxy ? Mais je ne savais pas si elle était liée à cet endroit en particulier. Il y avait aussi la possibilité que cela se retourne complètement contre moi.

« L’aîné est en route », dit Rowin en ouvrant enfin les yeux.

« On pourrait le croiser à mi-chemin, si… »

« Tu ne feras pas un pas à l’intérieur de ce village ! »

« Très bien. »

Les négociations étant dans l’impasse, nous étions restés là un moment. Tandis que le silence gênant s’étendait, Éris me tira la manche et chuchota :

« Hé, qu’est-ce qui se passe ? »

Oh, c’est vrai. Elle ne comprend pas la langue du Dieu Démon.

« Le garde ici pense que nous sommes suspects, alors on attend que l’ancien du village vienne nous voir en personne. »

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Qu’est-ce qu’il y a de si suspect chez nous ? »

En fronçant les sourcils, Éris baissa les yeux vers ses vêtements. Elle avait revêtu son habituelle tenue d’entraînement à l’épée pour notre voyage à l’extérieur de la ville. C’était un peu léger, mais cela ne m’avait pas paru bizarre comparé à ce que portait Ruijerd. Ce n’était pas comme si elle portait une robe à volants.

« Dois-je m’inquiéter ? »

« À propos de quoi ? »

« Je ne sais pas. Juste… de façon générale. »

« Tout ira bien, Éris. »

« Ah bon… merci. »

Aussi audacieuse que pût être Éris, la perspective d’une dispute à l’entrée du village la rendait clairement plus qu’angoissée. Ma tentative pour la rassurer semblerait avoir fonctionné.

« L’aîné semble être arrivé », murmura Ruijerd après un moment.

J’avais regardé dans le village et j’avais vu un homme chauve avec une canne qui avait l’air étrangement jeune. Il marchait vers nous avec deux filles qui ressemblaient à des adolescentes. Aucune d’entre elles n’était particulièrement grande. Peut-être que les Migurd restaient à cette taille, même quand ils étaient adultes.

Il n’en avait pas été question dans le dictionnaire de Maître Roxy… mais la fille qu’elle avait dessinée pour illustrer l’entrée ressemblait à une lycéenne. À ce moment-là, j’avais supposé qu’il s’agissait d’un autoportrait, ce qui était quelque peu charmant, mais peut-être qu’elle ne faisait que représenter un Migurd adulte typique.

Pendant que je réfléchissais à la question, l’aîné du village commença à s’entretenir avec Rowin un peu à l’écart de notre groupe.

« Ce sont donc les enfants en question ? »

« Oui. L’un d’eux peut parler la langue de Dieu-Démon. C’est très étrange. »

« N’importe qui pourrait sûrement apprendre la langue s’il l’étudiait. »

« De toute façon, pourquoi un si jeune enfant humain étudierait-il notre langue !? »

Je devais admettre que Rowin avait parfaitement raison sur ce point. Heureusement, l’ancien du village lui tapota doucement sur l’épaule.

« Ne nous précipitons pas trop, Rowin. Essaie de te calmer, d’accord ? Je vais leur parler. »

Cela dit, le petit homme commença à marcher lentement vers nous. Faute d’une meilleure idée, je m’inclinai devant lui, une simple salutation japonaise, plutôt que l’une de ces salutations fantaisistes favorisées par la noblesse d’Asura.

« Enchanté, monsieur. Je m’appelle Rudeus Greyrat. »

« Eh bien, tu es certainement quelqu’un de poli. Je m’appelle Rokkus, je suis l’ancien du village. »

J’avais jeté un coup d’œil sur Éris, essayant de l’inciter à suivre mon exemple. Apparemment confuse par le contraste entre l’apparente jeunesse de l’homme et sa prestance digne, elle croisa et décroisa les bras. On aurait dit qu’elle était en train de se demander si elle devait prendre sa pose de défi.

« Tu devrais te présenter, Éris. »

« Mais… euh, je ne connais pas la langue. »

« Fais-le comme tu l’as appris. Je vais lui transmettre ce que tu dis. »

« C’est un plaisir de faire votre connaissance, monsieur. Je m’appelle Éris Boreas Greyrat. »

Après un moment d’hésitation, Éris offrit une révérence comme elle l’avait pratiquée dans ses leçons d’étiquette. Un sourire était apparu sur le visage de l’ancien du village.

« Est-ce que la petite dame vient de se présenter aussi, fiston ? »

« Oui. C’est comme ça qu’on fait dans notre pays. »

« Hmm. Cela ne ressemblait pas vraiment au tien. »

« Eh bien, les usages sont différents pour les hommes et les femmes… »

Rokkus acquiesça de la tête, puis s’inclina devant Éris de la même façon que je m’étais incliné devant lui.

« Je m’appelle Rokkus. Je suis l’ancien de ce village. »

Un peu effrayée, Éris me jeta un regard incertain.

« Qu’est-ce qu’il vient de dire, Rudeus ? »

« C’est l’ancien de ce village, et il s’appelle Rokkus. »

« Oh. Vraiment ? Donc je suppose qu’il t’a compris. C’est bien. »

Éris sourit, elle était visiblement soulagée.

Cela avait probablement couvert les formalités initiatives. Il était temps de passer aux choses sérieuses.

« Nous autoriseriez-vous à entrer dans votre village, Rokkus ? »

Plutôt que de répondre aussitôt à ma question, le petit homme commença à m’étudier attentivement de la tête aux pieds.

Quel regard passionné ! Arrête… tu me donnes envie de faire un strip-tease…

Après un long moment, ses yeux s’arrêtèrent, fixés sur ma poitrine supérieure.

« Où as-tu eu ce pendentif, jeune homme ? »

« C’était un cadeau de mon maître. »

« Et qui était ton maître, si je peux me permettre ? »

« Elle s’appelle Roxy. »

Répondre honnêtement me semblait être la voie à suivre. Au bout du compte, j’étais fier d’avoir étudié avec elle.

« Que viens-tu de dire !? », cria Rowin.

Avant que j’aie pu répondre, il se précipita juste après Rokkus pour me prendre par les épaules.

« Viens-tu de dire Roxy, mon garçon !? »

« Oui. C’est le nom de mon maître… »

Du coin de l’œil, je vis Ruijerd transformer ses mains en poings. En tournant la tête pour rencontrer son regard, je secouai légèrement la tête. Il n’y avait pas de colère sur le visage de Rowin, seulement de l’excitation anxieuse. Il n’allait pas me faire de mal.

« Où se trouve Roxy maintenant !? »

« Je ne l’ai pas vue depuis longtemps, mais… »

« S’il te plaît ! Dis-moi tout ce que tu sais ! Roxy… Roxy est ma fille ! »

Désolé, peux-tu répéter ?

« Je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu. Pourrais-tu répéter ? »

« Roxy est ma fille ! Dis-moi, est-elle toujours en vie !? »

Pardon, monsieur ? Non, je crois que je t’ai bien entendu la première fois. Je suis juste un peu curieux concernant ton âge. Il n’avait même pas l’air assez vieux pour pouvoir aller au lycée. Si tu m’avais dit que c’était le petit frère de Roxy, je t’aurais cru. Mais apparemment… hmm. Ouais. Intéressant.

« S’il te plaît, dis-le-moi ! Cela fait plus de vingt ans qu’elle a quitté ce village, et nous n’avons plus eu de nouvelles d’elle depuis ! »

Donc Roxy s’était en fait enfuie de chez elle. Ce n’était pas comme si elle m’en avait parlé, bien sûr. Honnêtement, maître, devais-tu être si secrète ?

Attendez. Il y a plus de vingt ans ? Euh… Quel âge ça lui donnerait ?

« Eh bien ? Pourquoi ne dis-tu rien !? »

Oups. Désolé pour ça, mon pote.

« Pour l’instant, elle est… »

Au milieu de ma phrase, j’avais réalisé que l’homme avait encore une emprise mortelle sur mes épaules. On aurait dit qu’il essayait de me soutirer l’information, non ? Ce n’était pas bon. Je ne voulais pas que quelqu’un pense que j’avais lâché sous la pression… pas aussi facilement, du moins. Je voulais dire, s’il avait détruit mon ordinateur, m’avait tabassé, puis m’avait couvert d’insulte, ce serait une autre histoire. J’avais besoin de me défendre un peu ici. Sinon, cela pourrait rendre Éris anxieuse.

« En fait, je veux que tu répondes d’abord à une question pour moi. Quel âge a Roxy en ce moment ? »

« Quoi ? Pourquoi son âge importe-t-il ? Peux-tu juste… ? »

« C’est très important. Oh, et pendant que tu y es, j’aimerais aussi savoir quelle est l’espérance de vie d’un Migurd »

Ouais. C’était définitivement quelque chose que j’avais besoin d’éclaircir.

« Euh… bien. Je suppose que Roxy aura 44 ans cette année. Et nous vivons environ 200 ans, pour la plupart. À moins qu’une maladie ne nous tue d’abord. »

Hein ! On a le même âge ! Cela m’a rendu en fait un peu heureux.

« Ce n’est pas bien de dire ça. Hmm. Au fait, ça te dérangerait-il de me lâcher ? »

Rowin avait finalement relâché son emprise sur mes épaules.

D’accord. Maintenant, on peut parler.

« Il y a six mois, Roxy était dans le royaume de Shirone. Je n’étais pas là en personne, mais on a échangé des lettres pendant un moment. »

« Des lettres ? Peut-elle écrire dans la langue humaine ? »

« Oui. Elle connaissait parfaitement notre langue quand je l’ai rencontrée. C’était il y a sept ans. »

« Vraiment ? En tout cas… tu dis qu’elle va bien ? »

« Eh bien, il y a toujours une chance qu’elle soit tombée malade récemment. Mais pour autant que je sache, elle est en parfaite santé. »

Rowin tomba à genoux. Il y avait un soulagement non déguisé sur son visage, et des larmes brillaient dans ses yeux.

« Je vois… Donc elle va bien. Elle est très bien ! Haha… Dieu merci… »

Je suis content pour toi, papa. Je m’étais retrouvé à penser à Paul, me demandant s’il pourrait réagir de la même façon quand il apprendra que j’étais en sécurité. Il faudrait que j’envoie une lettre au village Buena dès que possible.

En me détournant du père pleureur de Roxy, je m’étais adressé à Rokkus à nouveau.

« Maintenant qu’on a éclairci ça… serais-tu prêt à nous laisser entrer ? »

« Bien sûr. On n’empêchera pas l’entrée de quelqu’un qui nous a apporté de si bonnes nouvelles. »

Heureusement que j’avais ce pendentif. Je n’aurais jamais pensé que ce serait si pratique.

J’aurais probablement pu gagner du temps en le leur montrant tout de suite. Mais encore une fois, selon la façon dont la conversation s’était déroulée, ils auraient peut-être eu l’impression que j’avais tué Roxy et que je l’avais volée. Les démons avaient apparemment une longue durée de vie, et il n’était probablement pas rare qu’ils aient l’air beaucoup plus jeunes ou plus vieux qu’ils ne l’étaient réellement. En d’autres termes, mon apparence ne me protégerait pas nécessairement des soupçons. Je devais faire de mon mieux pour être puéril.

Pour l’instant, au moins, nous avions réussi à entrer dans le village des Migurd.

***

Chapitre 4 : Les fondements de la confiance

Partie 1

Si je devais décrire l’ancien village de Roxy en un mot, ce serait miséreux.

Il y avait moins de vingt ménages. C’était un peu difficile de décrire les bâtiments eux-mêmes. On aurait dit qu’ils avaient juste creusé dans le sol puis recouvert le trou avec quelque chose qui ressemblait à la carapace d’une tortue. Il était évident à première vue que les techniques architecturales utilisées ici n’étaient pas aussi avancées que celles du royaume d’Asura. D’un autre côté, même si vous aviez amené une équipe de constructeurs d’Asura ici, ils n’auraient probablement pas réussi à faire quelque chose de mieux, car il ne semblait pas que les bûcherons pourraient bosser ici.

Le petit champ que j’avais repéré de l’extérieur de la porte était bordé de rangées nettes de plantes feuillues et flétrissantes. En toute honnêteté, on aurait dit qu’elles étaient toutes à moitié mortes. C’était plutôt inquiétant. Malheureusement, le Dictionnaire de Roxy ne contenait pas beaucoup d’informations détaillées sur l’agriculture. Tout ce dont je me souvenais, c’était que leurs légumes avaient tendance à être « amers et désagréables ».

Outre les cultures elles-mêmes, il y avait aussi des fleurs à dents qui poussaient sur les bords du champ, ce qui était alarmant. Elles ressemblaient beaucoup aux plantes mortelles qui se cachaient dans les tuyaux verts d’une certaine série de jeux vidéo (NdT Mario), mais il semblait plausible qu’il s’agissait en fait d’une sorte d’animal, étant donné la façon dont elles grinçaient ensemble leurs vilains et inégaux crocs. On peut supposer qu’elles avaient été placées là pour protéger les récoltes contre les animaux affamés.

Près de la clôture du village, un groupe de jeunes filles s’était déplacé autour d’un feu. On aurait dit une bande de lycéennes en camping, mais elles semblaient se concentrer sur la préparation d’un seul repas énorme. Apparemment, elles préparaient leurs repas dans un grand pot et distribuaient ensuite des parts à tous les villageois.

Il n’y avait presque pas d’hommes dans le coin. J’avais remarqué quelques enfants qui étaient apparemment des garçons qui jouaient, mais à part Rowin et l’ancien, les adultes étaient tous des femmes. Les autres étaient probablement en train de préparer le dîner de demain. D’après mes souvenirs, ce sont les hommes qui chassaient le plus dans ces villages, tandis que les femmes s’occupaient de leurs maisons.

« Quelle sorte de proie y a-t-il à chasser par ici, Ruijerd ? » demandais-je.

« Des monstres », répondit-il.

Cette réponse était probablement tout à fait vraie, mais elle semblait manquer un peu de détails, comme un pêcheur qui vous dit qu’il attrapait du « poisson » pour gagner sa vie.

Eh bien… Je suppose que je vais devoir le presser un peu plus.

« Ces carapaces au sommet de leurs maisons viennent-elles aussi de monstres ? »

« Celles-ci viennent des Grandes Tortues. Leurs carapaces sont dures et leur viande est délicieuse. Vous pouvez même faire des cordes à arc à partir de leurs tendons. »

« Sont-elles les cibles principales des chasseurs ? »

« Oui. »

Une tortue savoureuse, hein ? C’était un peu difficile d’en imaginer une assez massive pouvant porter cette carapace. Celle qui couvrait la plus grande maison du village devait mesurer au moins 18 mètres de long.

Tandis que cette pensée me traversait l’esprit, Ruijerd et Rokkus étaient entrés dans ce même bâtiment. Une chose ne semblait jamais changer, peu importe où j’allais : le responsable avait toujours la plus belle maison.

« Excusez-nous. »

« Merci de nous avoir reçus. »

Tout en marmonnant quelques mots vaguement polis, Éris et moi y étions aussi entrés.

« Whoa... »

L’intérieur de l’abri était beaucoup plus spacieux que je ne l’aurais cru de l’extérieur. Son sol était recouvert de fourrures, et les murs étaient décorés d’œuvres d’art colorées. Un feu était allumé dans un foyer creux au centre de la pièce, éclairant très bien l’intérieur. Il n’y avait pas de pièces séparées ou de murs de séparation, la nuit, vous vous enveloppiez probablement dans une fourrure et vous vous endormiez près du feu. J’avais remarqué un certain nombre d’épées et d’arcs soigneusement placés près des murs extérieurs. On pouvait certainement dire qu’il s’agissait d’une communauté de chasseurs.

Pour une raison quelconque, les deux filles qui avaient suivi l’aînée jusqu’à la porte ne nous avaient pas suivies à l’intérieur.

« Eh bien, écoutons votre histoire », dit Rokkus, se jetant à côté du foyer.

Ruijerd s’était assis directement en face de l’ancien. J’étais assis avec les jambes croisées à côté du Superd. Je jetai un coup d’œil en arrière, cherchant Éris, et la trouvai debout maladroitement près de l’entrée, incertaine de ce qu’il fallait faire.

« On s’assoit par terre ? Même à l’intérieur de la maison ? »

« On s’asseyait tout le temps par terre pendant l’entraînement à l’épée, non ? »

« H-hmm. Oui, je suppose que tu as raison. »

Éris n’était pas du genre à s’agiter pour ce genre de choses. Elle était probablement simplement déconcertée par la différence entre la façon dont les choses fonctionnaient ici et ce qu’elle avait appris dans ses leçons d’étiquette. En la regardant tomber par terre, je craignais un peu que la jeune fille n’oublie complètement le concept de « manières » au moment où nous rentrerions à la maison.

En secouant légèrement la tête, je m’étais retourné pour faire face à l’ancien Rokkus.

◇ ◇ ◇

J’avais commencé par dire mon nom, mon âge, ma profession et mon lieu de résidence, puis j’avais expliqué qu’Éris était mon élève et la fille d’une famille noble. J’avais aussi dit clairement que nous avions été envoyés vraiment soudainement sur ce continent par des événements indépendants de notre volonté.

J’avais décidé de ne pas parler de l’histoire de l’Homme-Dieu. Je n’avais aucun moyen de savoir comment les Migurd voyaient cette divinité particulière, et la dernière chose dont j’avais besoin était de me faire passer pour le messager d’un dieu mauvais.

« … Et c’est ainsi que nous en somme arrivé-là. »

« Hrm. Je vois… », murmura Rokkus en se caressant la mâchoire avec l’expression réfléchie d’un lycéen en train de réfléchir à un problème d’algèbre délicat.

En attendant qu’il prenne une décision, j’avais remarqué qu’Éris commençait à s’assoupir. Elle avait l’air assez énergique quelques minutes plus tôt, mais peut-être que la randonnée avait tout de même fait des ravages. Ce n’était pas vraiment surprenant, ce genre de voyage était nouveau pour elle, et il semblerait qu’elle ne s’était jamais rendormie la nuit précédente. La fille était probablement sous l’emprise de la fumée.

« Éris, je peux m’occuper de la conversation. Pourquoi ne fais-tu pas une sieste ? », avais-je dit.

« … Comment suis-je censée faire ça ? »

« Je crois que tu dois t’envelopper dans une fourrure. »

« Mais il n’y a pas d’oreillers. »

« Hé, mes genoux sont disponibles », dis-je en me frappant les cuisses avec un sourire.

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

« Cela signifie que tu peux reposer ta tête sur mes jambes. »

« … Vraiment ? Eh bien… merci. »

Normalement, Éris m’aurait donné un coup de pied royal en retour à ma suggestion, mais il semblerait qu’elle était trop somnolente pour s’en soucier. Sans trop hésiter, elle posa sa tête sur mes genoux. En un instant, son visage se crispa et elle serra les poings, mais une fois qu’elle ferma les yeux, elle s’endormit en quelques secondes.

La fille devait être sérieusement épuisée. J’en avais profité pour caresser doucement ses longs cheveux roux et elle se tortilla un peu en dormant.

Au bout d’un moment, j’avais réalisé que Rokkus me regardait de l’autre côté du foyer. Il avait un sourire chaleureux et amusé sur son visage. Je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu gêné.

« … Uhm, qu’est-ce qu’il y a ? »

« Vous avez l’air de bien vous entendre. »

« Oh. Oui, absolument. »

Cela dit, nous étions encore en mode « bas les pattes » pour l’instant. La petite dame avait des idées bien arrêtées sur la chasteté, et je n’allais pas manquer de respect à ce sujet.

« En tout cas… comment comptez-vous rentrer chez vous ? »

Hmm. Il venait de poser la même question que Ruijerd la veille au soir.

« Nous voyagerons à pied et gagnerons de l’argent au fur et à mesure. »

« Pensez-vous qu’une paire d’enfants peut gagner assez pour subvenir à ses besoins ? »

« En fait, j’ai l’intention de m’en occuper tout seul. »

Ce n’est pas que j’étais moi-même quelqu’un de très débrouillard, mais je ne pouvais pas m’attendre à ce qu’une petite fille riche et protégée comme Éris s’occupe des réalités pratiques ici.

« Ils ne seront pas seuls, je vais aller avec eux », interjeta Ruijerd

Hmm. Ce serait certainement rassurant d’avoir ce type avec nous, mais l’histoire de l’Homme-Dieu était toujours un sujet de préoccupation. Peu importe à quel point je voulais lui faire confiance, c’était probablement mieux pour nous de nous séparer à ce moment-là. Pour autant que je sache, c’était une bombe à retardement.

Ceci dit… comment étais-je censé refuser cette offre ?

Avant que j’aie pu penser à quoi que ce soit, l’ancien Rokkus exprima sa propre désapprobation.

« Et à quoi cela servirait-il, Ruijerd ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? Je vais les garder en sécurité et les ramener chez eux. », répondit Ruijerd d’un froncement de sourcils.

« Mais tu ne peux entrer dans aucune ville, n’est-ce pas ? », soupira Rokkus.

« Euh… »

Attends, quoi ? Il ne peut pas… entrer dans une ville ?

« Pense à ce qui pourrait t’arriver si tu t’approchais une ville avec ces enfants. Tu te souviens de ce qui s’est passé il y a cent ans, n’est-ce pas ? Quand la garnison t’a viré et a formé une escouade pour te chasser ? »

… Il y a cent ans ?

« Eh bien, oui… Mais… je pourrais attendre dehors tout seul… », bégayait Ruijerd.

« Et tu ne sauras rien de ce qui arrivera à ces deux-là à l’intérieur ? Ce n’est pas une façon de les protéger », dit Rokkus en secouant la tête avec exaspération.

Ruijerd grimaça et grinça des dents.

Apparemment, les Superds étaient tout aussi craints et détestés sur le Continent Démon qu’ils l’étaient en Asura. Avaient-ils vraiment formé une escouade entière juste pour traquer un seul homme ? Cela semblait… un peu excessif. On pourrait penser que c’était un monstre déchaîné.

« S’il leur arrivait quelque chose à l’intérieur… »

« Oui ? Que feras-tu ? »

« J’irais les sauver, même si je devais tuer tous les habitants de la ville. »

Les yeux de l’homme étaient d’une gravité mortelle. Il n’exagérait même pas, je pouvais dire qu’il pensait chaque mot littéralement.

« On ne peut vraiment pas raisonner avec toi quand il s’agit d’enfants. Maintenant que j’y pense, tu as d’abord gagné notre confiance en sauvant un jeune d’un monstre vicieux, n’est-ce pas ? », murmurait l’aîné.

« Vrai. »

« Et ça fait déjà 5 ans ? Ah, comme le temps passe vite… »

En soupirant, Rokkus secoua la tête avec lassitude. Je savais que l’homme était de mon côté en ce moment, mais je m’étais quand même trouvé un peu irrité. Il venait d’émettre la même aura qu’un jeune lycéen odieusement précoce, exprimant son exaspération devant la stupidité des adultes.

« En tout cas, Ruijerd, crois-tu vraiment pouvoir atteindre ton but par des moyens aussi violents ? »

« Hm », grogna Ruijerd, froissant son front.

Son but ? Cela semblait important, alors j’avais décidé de m’en mêler.

« Ton but ? Qu’est-ce que c’est, Ruijerd ? »

« C’est très simple. Il veut convaincre le monde entier que les Superds ne sont pas les méchants monstres répandus par les rumeurs. », dit Rokkus

Avec un peu d’effort, j’avais réussi à m’empêcher de dire : « Eh bien, ça n’arrivera pas. » Les préjugés systématiques n’étaient pas le genre de choses qu’une personne seule pouvait surmonter, peu importe les efforts qu’elle faisait. Un enfant seul ne pouvait même pas empêcher sa classe d’intimider quelqu’un, et la haine du Superd s’était apparemment répandue dans le monde entier. Je veux dire, même l’audacieuse petite Éris cria à la vue de Ruijerd. L’humanité et les démons étaient tous deux convaincus que cette race était mauvaise, comment alliez-vous tous les convaincre du contraire ?

« Est-ce vrai que les Superds ont attaqué amis et ennemis pendant la guerre, non ? »

Je m’étais aventuré avec hésitation.

« Attendez ! Ce n’était pas… »

« Je sais que les rumeurs peuvent devenir incontrôlables, mais il semblerait qu’il y ait une bonne raison pour que tout le monde ait peur de… »

« Non ! Ce n’est pas vrai ! » cria Ruijerd, me saisissant soudain par le devant de ma chemise. Ses yeux brûlaient de colère.

Je me sentais tout tremblant. Oh merde…

« Nous avons été victimes du complot de Laplace ! Les Superds ne sont pas une race de bêtes monstrueuses ! »

Qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Arrête de me crier dessus, mec. Tu me fais flipper. Merde, je n’arrête pas de trembler. C’était quoi cette histoire de complot ? C’est un théoricien du complot ou quoi ? Et ce Laplace a vécu il y a 500 ans, non ?

« U-uh, qu’a fait ce Laplace exactement ? »

« Il a récompensé notre loyauté par la trahison ! »

L’emprise de Ruijerd sur ma chemise commença à s’affaiblir. J’avais tendu la main et tapoté plusieurs fois sur ses bras, lui demandant silencieusement de me relâcher. Il s’était immédiatement plié à ma demande. Pourtant, je pouvais voir ses mains trembler de fureur.

« Cet homme… Cet homme maudit ! »

« Pourrais-tu me raconter toute l’histoire, Ruijerd ? »

« C’est une longue histoire. »

« Eh bien, j’ai tout mon temps. »

L’histoire que Ruijerd me raconta décrivait une face cachée de l’histoire de ce monde.

***

Partie 2

Le Dieu-Démon Laplace était connu comme un héros qui avait uni les races démoniaques, leur gagnant des droits que la race humaine leur avait longtemps refusés. Les Superds s’étaient ralliés à la bannière de Laplace très tôt dans sa campagne. Ils possédaient une agilité exceptionnelle et une capacité à sentir la présence de leurs ennemis. De plus, leur force au combat était inégalée. Ils servaient comme l’une des forces personnelles de Laplace, se spécialisant dans les embuscades et les raids nocturnes. Grâce au « troisième œil » sur leur front, ils n'avaient toujours pas conscience de leur environnement. Il était impossible de les prendre par surprise ou d’éviter leurs attaques meurtrières.

En d’autres termes, c’était un groupe d’élite. À l’époque, le mot « Superd » était prononcé avec des tons de respect et de crainte dans tout le Continent Démon.

Mais ensuite vint la guerre de Laplace.

Au milieu du conflit, au moment où les démons commençaient à envahir le continent central, Laplace fit appel à ses guerriers qui portaient un certain type d’arme, dont l’une d’entre elles, connut plus tard sous le nom de lances du diable. Il offrit ces lances à ses soldats en cadeau. Ils ressemblaient beaucoup aux tridents que les Superds maniaient au combat, mais ils étaient de couleur noir de jais. Même à première vue, il y avait clairement quelque chose d’inquiétant en elles.

Naturellement, certains guerriers s’opposèrent à leur utilisation, insistant sur le fait que la lance d’un Superd était leur cœur et leur âme, qu’ils ne pourraient jamais jeter leurs armes pour une chose maudite. Mais c’était un cadeau de Laplace, leur maître. Finalement, Ruijerd, le chef du groupe, ordonna à ses soldats d’utiliser leurs nouvelles lances, par pure loyauté envers Laplace.

« Hm ? Viens-tu de dire Ruijerd ? »

« Oui. J’étais le chef des guerriers superd à l’époque. »

« … Quel âge as-tu en ce moment ? »

« J’ai arrêté de compter quand j’ai atteint 500 ans. »

« D’accord… »

Le dictionnaire de Roxy avait-il mentionné que les Superds vivaient si longtemps ? Eh bien, peu importe.

Quoi qu’il en soit, le groupe avait jeté ses vieilles lances dans le sol quelque part et commença à utiliser les lances du diable au combat. Ces nouvelles armes étaient extrêmement puissantes, elles amplifiaient à plusieurs reprises les capacités physiques de leurs porteurs, annulaient les effets de la magie humaine et renforçaient encore les sens déjà aiguisés des Superds.

Les Superds étaient maintenant presque invincibles. Mais en échange, ils avaient été progressivement transformés. Plus leurs nouvelles lances goûtaient le sang, plus leurs âmes devenaient corrompues.

Les guerriers n’avaient même pas réalisé ce qui leur arrivait. Ils avaient perdu la raison petit à petit, aucun plus rapidement qu’un autre, et ainsi, personne n’avait remarqué comment eux-mêmes, ou ceux qui les entouraient, étaient en train de changer.

Avec le temps, cela conduisit à la tragédie.

Les Superds perdirent leurs capacités de faire la distinction entre ses amis et ses ennemis, ils commencèrent à attaquer tous ceux qu’il rencontrait, jeunes et vieux, sans distinction. Ils ne montraient aucune pitié pour les femmes ou même les enfants. Ils ne montraient aucune pitié pour personne.

Ruijerd se souvenait encore de cette époque avec une clarté éclatante. Peu de temps après, les races démoniaques en général en vinrent à appeler les Superds traîtres à leur cause, et la nouvelle se répandit parmi les humains qu’ils étaient des « diables sanguinaires ».

À cette époque, Ruijerd et ses compagnons sourirent joyeusement à ces insultes, les prenant pour les plus grands éloges. Les Superds étaient entourés d’ennemis, mais leurs lances maudites en faisaient une force avec laquelle il fallait compter. Tous les guerriers de leur bande se battaient maintenant avec la force d’un millier d’hommes, aucune armée ne pouvait espérer les détruire. Ils étaient rapidement devenus l’unité de combat la plus redoutée du monde entier.

Cependant, cela ne signifiait pas qu’ils n’avaient subi aucune perte. Étant ennemis détestés de l’humanité et des démons, ils avaient été forcés d’endurer des batailles quasi constantes, de jour comme de nuit. Lentement, mais régulièrement, leur nombre commença à diminuer.

Pourtant, aucun d’entre eux n’avait remis en question le chemin qu’ils suivaient. Dans leur folie, la pensée de la mort au combat leur apportait le bonheur.

Au bout d’un certain temps, une rumeur s’était répandue dans le groupe de Superds qu’un de leurs villages était en fait attaqué… c’était le village natal de Ruijerd. C’était un piège destiné à les attirer vers leur perte, mais à ce stade, aucun d’entre eux n’était assez lucide pour soupçonner quoi que ce soit.

Les guerriers retournèrent chez eux pour la première fois depuis un certain temps… et ils commencèrent à l’attaquer.

C’était simple. Ils avaient trouvé des gens, ce qui voulait dire qu’ils devaient les tuer.

Ruijerd avait assassiné ses parents, sa femme, ses sœurs et finalement son propre enfant. Le fils de Ruijerd était encore jeune, mais il s’était entraîné pour devenir guerrier. Le combat était loin d’être équilibré, mais dans ses derniers instants, le garçon réussit à briser la lance noire de son père.

À cet instant, le rêve agréable de Ruijerd prit fin, et son cauchemar commença. Il avait quelque chose de dur et de croquant dans la bouche. Réalisant que c’était le doigt de son fils, il le cracha avec horreur.

Il avait d’abord pensé au suicide, mais il chassa cela de son esprit. Il devait simplement faire quelque chose avant de pouvoir mourir, il y avait un ennemi qu’il devait détruire, quel qu’en soit le prix.

À ce moment-là, le village des Superds était totalement encerclé par une armée de démons envoyés pour les exterminer. Il ne restait que dix soldats de Ruijerd. Lorsqu’ils reçurent les lances du diable pour la première fois, il s’agissait d’un groupe de près de 200 combattants, courageux et audacieux. Une poignée d’entre eux survécurent, et ils étaient tous en mauvais état. Certains avaient perdu un bras, d’autres un œil ou le bijou sur leur front, mais même battus, meurtris et complètement dépassés en nombre, ils fixaient d’un regard belliqueux les forces armées qui les entouraient.

Ils allaient tous mourir. Et ils allaient mourir en vain.

Ruijerd arracha les lances du diable des mains de ses compagnons et les sépara. L’un après l’autre, ils revinrent à la raison, et leurs regards agressifs avaient laissé place à des expressions d’incrédulité choquée. Beaucoup commencèrent à pleurer de façon incontrôlable, déplorant le meurtre de leur famille. Pourtant, aucun d’entre eux n’avait demandé à être ramené dans l’oubli de leur transe, ils étaient faits de choses plus dures que cela.

Ensemble, ils prêtèrent serment de se venger de Laplace. Pas un seul n’avait blâmé Ruijerd pour ce qui s’était passé. Ce n’était plus des tueurs sans cervelle ni de fiers guerriers. Ils devinrent des créatures déchues et ruinées. Et seule leur vengeance leur donnait la volonté de vivre.

Ruijerd ne savait pas ce qu’étaient devenus les dix autres, mais il soupçonnait qu’ils étaient morts. Sans la puissance des lances du diable, les Superds n’étaient rien de plus que des soldats exceptionnellement efficaces. Ils n’avaient d’autre choix que d’utiliser les tridents qu’ils pouvaient trouver, plutôt que les tridents familiers auxquels ils s’étaient habitués au cours des années de bataille. Aucun d’entre eux n’aurait dû survivre. D’une manière ou d’une autre, Ruijerd réussit à percer l’encerclement de l’ennemi et à s’échapper. Mais il fut grièvement blessé dans la bataille et passa les trois jours et trois nuits suivants au bord de la mort.

La seule et unique chose qu’il avait emportée avec lui était le trident de son fils, avec lequel le garçon mort avait brisé la lance du diable et sauvé son père.

Finalement, après plusieurs années passées à se cacher, Ruijerd obtint sa revanche. Alors que les trois héros luttaient contre le Dieu-Démon Laplace, il alla à l’assaut pour les aider, réussissant à porter un coup à son ennemi détesté.

Mais bien sûr, la défaite de Laplace n’avait pas suffi à réparer tous les dégâts qu’il avait faits. Méprisés et persécutés, les Superds survivants furent chassés de leurs villages et dispersés à travers le monde. Pour les aider à s’échapper de leurs poursuivants, Ruijerd avait été forcé de tuer d’autres de ses anciens alliés démons. Dans les premières années qui suivirent la guerre, les attaques contre son peuple furent vraiment brutales, et il riposta avec autant d’acharnement.

Ruijerd n’avait pas rencontré un autre Superd depuis près de 300 ans. Il ne savait pas si les siens avaient été anéantis, ou s’ils avaient réussi à survivre et à former un nouveau village dans un endroit secret.

« Laplace est responsable de tout ça, bien sûr. Mais moi aussi, j’assume la responsabilité de la honte que j’ai causée à mon peuple. Même si je suis le dernier de ma race, je veux dire la vérité au monde. »

Une fois son histoire racontée, Ruijerd se tut une fois de plus.

◇ ◇ ◇

Ses paroles avaient été simples et directes. Il n’avait jamais fait appel à nos émotions. Et pourtant, Ruijerd avait parfaitement exprimé ses regrets, sa colère et son amertume. Soit tout cela était vrai, soit l’homme était un acteur étonnamment talentueux.

« Quelle horrible histoire », marmonnais-je en essayant de rassembler mes pensées.

Si nous croyons Ruijerd sur parole, les Superds n’étaient pas une tribu assoiffée de sang. Il n’était pas clairement expliqué la raison pourquoi Laplace leur avait donné les lances du diable. Mais peut-être qu’il avait prévu de les utiliser comme bouc émissaire pour tout crime commis par ses armées une fois les combats terminés.

Quelle vilaine chose à faire !

Les Superds avaient clairement été très loyaux envers Laplace. Ils auraient donné leur vie à sa cause. Les trahir si cruellement semblait inutile.

« D’accord. Je t’aiderai autant que possible. »

Une petite voix en moi chuchota une objection : es-tu vraiment en mesure de l’aider ? Et si tu te concentrais sur le fait de sauver ta propre peau ? Ce voyage va être bien plus dur que tu ne le penses.

Ce n’était pas suffisant pour empêcher ma bouche de bouger.

« Je n’ai pas de réelles idées, mais peut-être qu’avoir un enfant humain à tes côtés ouvrira de nouvelles possibilités. »

Bien sûr, je n’agissais pas seulement par pitié ou compassion. À certains égards, nous avions tout à gagner de cet arrangement. Ruijerd était un combattant puissant, du même niveau que les trois héros légendaires, et il nous offrait sa protection. Au moins, avec lui dans les parages, on ne se ferait pas tuer par un monstre sur le chemin de notre prochaine destination.

Sa présence rendrait les choses plus faciles sur la route, et plus difficiles lorsque nous atteindrions une ville. Tant qu’on trouvait un moyen de contourner le problème de la ville, il ferait un excellent allié. Non seulement il était fort, mais il était impossible de lui tendre une embuscade ou de le surprendre, même la nuit, ce qui nous permettrait d’éviter beaucoup plus facilement les voyous ou les racketteurs dans les villes inconnues.

Aussi… bien que ce ne soit qu’une intuition de ma part, j’avais eu l’impression que l’homme était fondamentalement incapable de mentir. J’étais sûr de pouvoir lui faire confiance.

« Je te fais la promesse que je ferai tout ce que je peux pour toi, Ruijerd », avais-je dit.

« Euh… merci », répondit-il, plus qu’un peu surpris.

Peut-être avait-il remarqué que la suspicion dans mes yeux s’estompait ?

Eh bien, peu importe. J’ai décidé de te faire confiance, d’accord ? Je suis tombé dans le panneau, j’ai mordu à l’hameçon, à la ligne et au plomb.

Dans ma vie antérieure, j’avais l’habitude de rire tout le temps en entendant des histoires sanglotantes… mais pour une raison quelconque, celle-ci m’avait vraiment touché. Si l’homme me piégeait d’une façon ou d’une autre, qu’il en soit ainsi. J’avais envie de faire stupidement confiance pour une fois.

« Mais mon garçon, le Superd est vraiment… »

« Tout va bien, Rokkus. Je trouverai une solution. »

Ruijerd nous protégerait sur la route, et je le protégerais dans les villes. Ce serait une relation d’échange.

« Partons demain, Ruijerd. Content de t’avoir parmi nous. »

Il n’y avait qu’une seule chose dans cet arrangement qui me rendait un peu anxieux… Et c’était la chose suivante : j’avais l’impression de faire exactement ce que l’Homme-Dieu voulait.

***

Chapitre 5 : A trois jours de la ville la plus proche

Partie 1

Le lendemain matin, alors que nous quittions tous les trois le village, j’aperçus Rowin debout à son poste près de la porte.

« Bonjour. Tu es encore de garde ? »

« Oui. Je serai là jusqu’au retour des chasseurs. »

Les autres hommes du village n’étaient toujours pas rentrés depuis hier. Rowin était là toute la nuit, comme un garde PNJ d’un RPG ? Cela m’avait toujours semblé être un travail assez simple… rester au même endroit toute la journée, sans bouger d’un pouce. Allait-il vraiment s’en occuper tout seul jusqu’à ce que les autres reviennent ?

Oh, je suppose qu’il y a le père de Rokkus. Dans un village aussi petit, il doit probablement aussi participer.

« Vous partez déjà ? », demanda Rowin.

« Oui. On a réussi à bien discuter hier soir. »

« Ah. J’espérais t’en demander plus sur ma fille, mais… »

« D’habitude, j’adorerais parler, mais j’ai bien peur qu’on doive prendre la route bientôt. »

« D’accord… »

L’homme était clairement déçu. Le sentiment était réciproque. J’aurais aimé entendre des histoires embarrassantes de l’enfance de Roxy.

« Si je la revois, je lui dirai de vous contacter. »

« S’il te plaît », dit Rowin, inclinant la tête en signe de gratitude.

Je devrais faire une note mentale à ce sujet.

« Oh, ça me fait penser ! Attends une minute. »

Il se précipita dans le village et dans l’une des maisons, probablement la maison d’enfance de Roxy. Après quelques minutes, il en sortit avec une fille qui ressemblait étrangement à mon maître. Au début, je ne savais pas pourquoi il n’avait pas simplement utilisé la télépathie pour l’appeler à l’extérieur, mais ensuite j’avais remarqué qu’il portait aussi une sorte d’épée. Nous donnaient-ils un cadeau ?

« Voici ma femme. »

« Enchanté de vous rencontrer. Je m’appelle Rokari. »

Ah. C’était donc la mère de famille ?

« Je m’appelle Rudeus Greyrat, madame. Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que la mère de Roxy soit si jeune. »

Je m’étais retrouvé à m’incliner légèrement. En un sens, je leur devais beaucoup : ils avaient élevé Roxy, et sans elle, je n’aurais probablement pas été dans ce monde comme je le suis maintenant.

« Oh mon Dieu, quel flatteur ! J’ai 102 ans, savez-vous ? »

« Eh bien… d’après mon livre, c’est encore assez jeune. » Apparemment, les Migurd atteignent la maturité physique entre 10 et 20 ans, et ne vieillissent visiblement que lorsqu’ils ont atteint 150 ans.

« Je dois beaucoup à Maître Roxy, madame. »

« Maître… ? C’est difficile d’imaginer que cette fille puisse apprendre beaucoup de choses à quelqu’un. Elle a dû beaucoup changer… »

« Elle m’a appris toutes sortes de choses. Je lui suis très reconnaissant. »

Rokari rougit un peu et murmura : « Bonté ». On dirait que, d’une façon ou d’une autre, elle s’était fait de fausses idées.

« En tout cas. Je suis content que tu sois venu quand j’étais en service. », dit Rowin.

« Oui. Je suis très heureux de vous avoir rencontrés tous les deux. Roxy a tant fait pour moi, vraiment… Hmm. Peut-être que je devrais t’appeler papa ? »

« Hahahaha... Non. Ne fais pas ça. »

Aïe. Il n’avait même pas souri. Son visage impassible me rappelait un peu celui de Roxy. Ça m’avait rendu un peu nostalgique.

« Toutes blague mise à part, je veux que tu prennes ça », dit Rowin, tenant l’épée.

« Je sais que Ruijerd est avec toi, mais tu dormiras mieux si tu as ta propre arme. »

« Je ne suis pas vraiment sans arme », dis-je en acceptant l’épée et en la tirant de son fourreau.

La lame était large, à simple tranchant, et ne mesurait qu’une soixantaine de centimètres de long. Elle était aussi légèrement incurvée, comme une machette ou un coutelas. Quelques éraflures suggéraient qu’elle avait été utilisée pendant de nombreuses années, mais le bord de coupe lui-même n’était pas du tout ébréché. On aurait dit qu’ils s’en étaient bien occupés. C’était propre, beau même. Mais il y avait aussi quelque chose d’étrangement menaçant. C’était peut-être la façon dont l’acier gris terne brillait d’un vert pâle quand il attrapait la lumière.

« Un forgeron qui a erré dans le village il y a quelque temps nous a donné ça. C’est une chose solide. Même après des années d’utilisation, la lame est toujours parfaite. Elle est à toi si tu la veux. »

« Merci beaucoup. Nous la prendrons avec plaisir », avais-je dit.

Ce n’était pas le moment d’être modeste. Pour l’instant, nous avions besoin de toute l’aide possible. Je pouvais me battre comme je l’étais, mais Éris avait certainement besoin d’une arme. Après tout, elle s’était entraînée dans le style du Dieu de l’épée. Elle se sentirait probablement moins anxieuse si elle possédait une épée, même si elle n’avait pas besoin de l’utiliser.

« Voilà aussi un peu d’argent. Ce n’est pas grand-chose, mais ça devrait couvrir au moins deux ou trois nuits dans une auberge décente. »

Ooh, on a de l’argent de poche !

J’avais ouvert la pochette avec enthousiasme et j’avais découvert qu’elle contenait des pièces de monnaie en pierre brute et quelques-unes en métal gris terne. D’après ce que je me souvenais, la monnaie sur le Continent Démon se composait de pièces de minerai vert, de pièces de fer, de pièces de ferraille et de pièces de pierre. Leur valeur était inférieure à celle des monnaies équivalentes ailleurs dans le monde, même les pièces de minerai vert, qui étaient les plus précieuses, valaient à peine autant qu’une grosse pièce de cuivre du royaume Asura. Les pièces de fer étaient assez proches de celles en cuivre.

Si nous disions qu’une pièce de monnaie en pierre valait un yen japonais (0,01 €), voici ce que vaudraient les différentes devises :

Pièces d’or Asura : 100 000 yens. (1 000 €)

Pièces d’argent Asura : 10 000 yens. (100 €)

Grosse pièce de cuivre Asura : 1000 yens. (10 €)

Pièces de cuivre Asura : 100 yens. (1 €)

Pièces de minerai vert : 1 000 yens. (10 €)

Pièces de fer : 100 yens. (1 €)

Pièces en ferraille : 10 yens. (0,1 €)

Pièces en pierre : 1 yen. (0,01 €)

En un coup d’œil, ces valeurs montraient clairement à quel point le royaume Asura était puissant et prospère, surtout si on le compare à la pauvreté du Continent Démon.

Bien sûr, le Continent Démon avait sa propre économie, donc les prix n’étaient pas toujours comparables. Ce n’était pas comme si tout le monde ici mourait de faim.

« … Merci beaucoup. »

« J’aurais aimé qu’on puisse parler un peu plus longtemps de Roxy », murmura Rokari, faisant écho aux paroles de Rowin.

Ils semblaient certainement inquiets pour leur fille. Même si la fille avait quarante-quatre ans maintenant, en années humaines, cela équivalait à… une vingtaine d’années. C’était assez compréhensible.

« Je suppose qu’on pourrait rester un jour de plus, si vous voulez… »

Rowin secoua la tête.

« Ne t’inquiète pas. On sait qu’elle va bien maintenant, et c’est ce qui compte. N’est-ce pas, ma chère ? »

« Oui. Elle a toujours passé un moment difficile ici. Nous étions plutôt inquiets. »

Je pouvais voir à quel point il serait difficile de vivre dans un petit endroit comme celui-ci sans le pouvoir télépathique que tout le monde semblait avoir. En général, on n’entendait pas vraiment les bruits de conversation dans ce village. Tout le monde communiquait probablement en silence en utilisant son esprit. Roxy ne pouvait pas participer à ces conversations, ni même entendre ce que les autres se disaient. Il n’était pas étonnant qu’elle se soit enfuie de chez elle.

« Bon, d’accord. Dans ce cas, j’espère qu’on se reverra un jour. »

« Bien sûr. Mais si c’est le cas, essaie de ne pas m’appeler papa, d’accord ? »

« Hahahaha. D’accord, pas de problème. »

J’ai compris le message, mec…

C’était difficile de savoir quand et où je reverrais Roxy, mais au moins, je devrais certainement leur rembourser l’argent.

◇ ◇ ◇

De toute évidence, la ville la plus proche était à trois jours de marche d’ici.

Peu de temps après notre départ, nous avions compris à quel point Ruijerd était vraiment un atout crucial. L’homme voyageait seul dans la région depuis de nombreuses années maintenant, il connaissait toutes les routes, et il savait exactement comment installer un campement convenable. Sans parler de son « radar » biologique, qui nous alertait longtemps à l’avance des menaces à venir.

C’était ridiculement pratique de l’avoir dans les parages.

« Ruijerd, pourrais-tu nous apprendre ce que tu fais ? »

« Pourquoi ? »

« Pour qu’on puisse se rendre utile. »

Étant donné le long voyage qui nous attendait, Éris et moi avions tous les deux besoin d’un cours intensif sur les techniques de base du camping.

Heureusement, Ruijerd s’était avéré être un professeur assez disposé

« Commençons par faire du feu. Malheureusement, le Continent Démon n’a pas de bois adapté à cet usage. »

Hm. Notre première réunion avait eu lieu autour d’un feu de camp, donc il y avait évidemment un autre moyen, mais…

« Y a-t-il autre chose que tu utilises à la place ? » avais-je demandé.

« Oui. Nous brûlons des parties d’un certain monstre. »

« Ah. »

Honnêtement, ça aurait dû être ma première supposition. Ici, presque tout ce dont vous aviez besoin pour survivre semblait venir de la chasse aux monstres.

« Heureusement, il y en a un tout près d’ici. Attends ici un moment, mon garçon. »

« Attends, Ruijerd ! »

L’homme se détournait déjà, mais j’avais réussi à saisir son épaule avant qu’il ne puisse s’enfuir.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Allais-tu te battre tout seul ? »

« Bien sûr. La chasse est le travail des guerriers. Les enfants restent derrière. »

OK. Donc apparemment, il prévoyait de continuer à faire les choses comme ça éternellement. Pour être juste, l’homme était en vie depuis plus de 500 ans… nous n’étions même pas assez vieux pour être ses arrière-arrière-arrière-petits-enfants. Et il était probablement plus qu’assez fort pour faire face seul à tous les combats.

Pourtant, il y avait toujours une chance que quelque chose tourne mal. Si Ruijerd mourait ou était incapable de se battre, Éris et moi serions obligés de nous débrouiller seuls. Et pour l’instant, nous n’avions aucune expérience de combat réel. Que se passerait-il si nous le perdions alors que notre groupe traversait une forêt profonde et dangereuse… ou au milieu d’une bataille avec un groupe féroce de monstres ?

Je n’aimais pas nos chances de survie dans une telle situation. Nous avions besoin d’acquérir de l’expérience maintenant, pendant que nous en avions l’occasion.

Ce serait bien si je pouvais convaincre Ruijerd de nous apprendre à nous battre, mais…

Non. Ce n’était pas la bonne façon de voir les choses. C’était une relation de compromis, nous étions tous sur le même pied d’égalité, travaillant ensemble pour atteindre nos objectifs. Il fallait qu’on trouve tous les trois comment se battre en tant que groupe.

« D’accord, mais nous ne sommes pas que des enfants. »

« Si, tu l’es. »

« Euh… écoute, Ruijerd. »

Je devais être ferme et clair à ce sujet. L’homme avait encore l’impression qu’il était notre tuteur, il avait besoin de comprendre que ce n’était pas le cas.

« Nous t’aidons, et tu nous aides. Nos objectifs sont différents, mais nous allons nous battre ensemble… Donc nous sommes tous les trois des guerriers, pas vrais ? »

J’avais rencontré le regard de Ruijerd de la manière la plus sévère que j’ai pu trouver, et j’avais attendu sa réponse.

Il ne lui avait fallu que dix ou quinze secondes pour prendre une décision.

« … Très bien. Alors vous êtes des guerriers. »

Je ne pouvais pas dire qu’il avait l’air particulièrement convaincu, mais au moins, il allait nous laisser le suivre à partir de maintenant. C’était le principal.

« Tu entends ça, Éris ? Tu vas te battre aussi, hein ? »

Éris cligna des yeux avec surprise, mais réussit à balbutier un « O bien sûr ! » et hocha vigoureusement la tête. Gentille fille.

« Très bien, Ruijerd. Peux-tu nous mener à ce monstre, s’il te plaît ? », dis-je tout en reprenant mon comportement habituel.

Il n’y avait plus de raison d’être agressif. Il fallait être énergique quand on négociait, c’était tout.

***

Partie 2

Le premier ennemi auquel nous avons fait face en tant que groupe était un monstre connu sous le nom de « Tréant de pierre ».

Tréant était un terme générique pour désigner les monstres de type arbre. Il s’agissait typiquement de plantes ordinaires qui avaient aspiré trop d’énergie magique et qui avaient muté en créatures violentes.

Il y avait une grande variété de monstres spécifiques qui entraient dans cette vaste catégorie. D’abord, vous avez le Petit Tréant, que l’on trouve dans le monde entier. Il s’agissait de jeunes arbres mutants qui avaient tendance à imiter les arbres ordinaires jusqu’à ce qu’une cible s'approche à une certaine distance. Ils étaient assez faibles et lents pour qu’un adulte moyen sans véritable formation puisse les tuer sans trop de difficulté.

Cependant, s’il arrivait qu’un Petit Tréant absorbe suffisamment d’éléments nutritifs d’une des fontaines de la Grande Forêt, il finirait par mûrir pour devenir un Tréant Aîné. Le pouvoir magique très concentré des Fontaines donnait à ces monstres la possibilité d’utiliser divers sorts d’eau.

Il y avait aussi les Vieux Tréants, qui étaient déjà massifs avant leur mutation, et les Tréants Zombies, des arbres qui se transformaient après leur dépérissement… parmi tant d’autres. Bien sûr, il y avait de nettes différences entre toutes ces variétés, mais leurs comportements de base étaient très similaires. Ils faisaient semblant d’être des arbres normaux et attaquaient tous ceux qui s’approchaient trop près. Au bout d’un certain temps, ils produisirent des graines qui permirent de faire fructifier leur espèce.

Le Tréant de pierre était cependant un cas particulier. En fait, il se déguisait en pierre.

Vous vous demandez peut-être comment un arbre pouvait posséder un tel camouflage. La réponse était simple en fait : Les tréants de pierre avaient muté en monstres à l’époque où ils étaient encore des graines. Ils pouvaient rester sous leur forme de graines alors même qu’ils devenaient énormes, et étaient capables de se transformer brusquement en monstres arboricoles dès que quelqu’un s’approchait trop près.

Dans leur forme normale, ils étaient complètement discrets. Ils n’avaient pas une forme distinctive comme une graine de tournesol. Au premier coup d’œil, ils ressemblaient vraiment à des blocs rocheux grumeleux et avaient une apparence qui ressemblait à une pomme de terre.

« Y a-t-il quelque chose qu’on devrait garder à l’esprit pendant que l’on combat ce truc ? »

« Hm. Tu es magicien, pas vrai ? »

« C’est exact. »

« Dans ce cas, n’utilise pas de sort de feu. »

« Oh. Cela ne fonctionne pas sur lui ? »

« On ne peut pas l’utiliser comme bois de chauffage si on le brûle jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. »

« Ah, c’est vrai. Bien sûr. »

« Pas de magie de l’eau non plus. »

« Parce qu’on ne veut pas que le bois soit détrempé ? »

« Exactement. »

OK, je comprends. Pour Ruijerd, il s’agissait moins d’une menace que d’un morceau de bois vivant. Cela signifiait que cela ne représentait aucun danger réel pour nous tant que nous étions avec lui. Nous pourrions le combattre sans grand risque.

« Très bien alors. Essayons qu’Éris et moi allions combattre ce monstre pour l’instant. Ruijerd, tu interviens juste pour aider Éris si elle est en danger, OK ? »

« Ça sert à quoi de me garder en réserve ? »

« Je veux juste voir comment Éris et moi nous pouvons nous débrouiller dans une vraie bataille. Après celle-ci, on te regardera en action et on verra ce qu’on peut apprendre. »

« Très bien. »

Une fois cela réglé, on s’était mis dans une simple formation de combat, Éris devant et moi à l’arrière. C’était le meilleur choix, vu ses talents de combattante à l’épée.

J’hésitais un peu à mettre mon adorable petite pupille en première ligne, bien sûr, mais elle n’allait pas être d’une grande utilité si on la mettait au milieu d’une formation. Ce genre de position avait pour but de soutenir votre avant-garde, et Éris n’était pas douée pour ce genre de travail d’équipe. De plus, Ruijerd n’aurait probablement pas besoin de beaucoup de renfort de toute façon. Nous ferions mieux de laisser Éris se battre librement, avec Ruijerd et moi pour la soutenir.

« Très bien, Éris. Je vais l’affaiblir avec un bon tir à distance. Après ça, tu l’engages et tu le finis. J’essaierai au moins de dire les noms des sorts que j’utilise, mais si les choses deviennent trépidantes, je n’en aurai peut-être pas le temps. Garde ça à l’esprit, d’accord ? »

Éris acquiesça d’un signe de tête énergique, donnant à sa nouvelle épée quelques balancements expérimentaux.

« Pas de problème ! »

La fille était clairement impatiente d’y aller.

J’avais levé mon bâton et je m’étais arrêté pour réfléchir. Le feu et l’eau étaient inutilisables, et rien qu’en regardant la chose, je savais que le vent n’avait pas l’air très efficace. Il ne me restait plus d’autre choix que d’utiliser la Terre. La Terre me convenait. Je m’en étais plutôt bien tiré après toutes les figurines que j’avais faites.

C’était quand même la première fois que je me battais contre un vrai monstre. Je ferais mieux de tout donner.

Tout en fermant les yeux, je respirai profondément, puis j’avais canalisé mon énergie magique vers et à travers mes mains. C’était quelque chose que j’avais déjà fait des dizaines de milliers de fois, à ce moment-là, j’aurais pu lancer des sorts en me coupant les deux jambes.

« Très bien… »

Projectile : Rocher en forme de balle.

Dureté : Aussi résistant que possible.

Forme : Nez retroussé, avec de multiples rainures.

Modifications : Rotation à grande vitesse.

Taille : Légèrement plus grand que le poing d’un homme.

Vélocité : Aussi rapide que possible.

« Canon de Pierre ! »

Alors que les mots sortaient de ma bouche, un roc de pierre sorti de mon bâton le frappa férocement. Il s’élança dans une ligne horizontale presque parfaite et écrasa le tréant de pierre camouflé qui attendait devant nous.

Avec un son déchirant les oreilles, le monstre se décomposa en minuscules morceaux. Je lui avais donné une mort extrêmement douloureuse.

Éris avait déjà commencé à courir vers l’avant, mais après que mon attaque ait tué le monstre, elle s’arrêta net et se tourna vers moi, tout en me lançant un regard boudeur.

« Je croyais que tu ne devais que l’affaiblir, Rudeus !? Ne suis-je pas censée le transformer en cadavre !? »

« Désolé. Je n’ai jamais fait ça avant non plus, tu sais ? Je suppose que j’ai utilisé trop de force… »

« Ugh! Reprends-toi ! »

Éris n’était pas vraiment contente que j’aie ruiné sa première vraie bataille, mais je ne m’attendais pas vraiment à tuer cette pauvre chose aussi facilement. Tout ce que j’avais vraiment fait, c’était d’ajuster le sort standard du Canon de Pierre en donnant au projectile la forme d’une balle à pointe creuse. Chez nous, sur Terre, les gens avaient eu de mauvaises idées…

À ce moment-là, j’avais remarqué que Ruijerd me regardait également. Ou, pour être plus précis, mon bâton.

« Cette arme est-elle une sorte d’instrument magique ? »

« Non, c’est juste un bâton. Il est néanmoins de très bonne qualité. »

« Mais tu n’as pas récité d’incantation ou utilisé de cercle magique… »

« C’est vrai. Il n’est pas possible de changer la forme du projectile si vous utilisez l’incantation, alors je saute juste cette partie. »

« … je vois. »

À ce moment, Ruijerd tomba dans un silence en réfléchissant. L’homme était peut-être vivant depuis plus de 500 ans, mais il n’avait pas l’impression d’avoir vu fréquemment des incantations silencieuses.

« En tout cas… est-ce ta magie la plus puissante ? »

« Eh bien, non. Je pourrais aussi faire exploser ce projectile au moment où il touchera la cible. »

« Hmm. Je pense qu’il vaut mieux s’abstenir d’utiliser tes sorts quand l’ennemi est proche de tes alliés, Rudeus. »

« Euh, ouais. Bon point. »

C’était la première fois que je touchais quelque chose avec ce sort, mais c’était assurément… plus destructeur que je ne le pensais. Avec ce sort même une éraflure pourrait tuer instantanément. Idéalement, j’aurais dû utiliser un sort de soutien, mais rien ne m’était vraiment venu à l’esprit. Jusqu’à présent, je n’avais pensé qu’à me battre seul.

De toute façon, comment les autres magiciens abordaient-ils leur rôle au combat ?

« Ruijerd, si je voulais te soutenir avec ma magie, que devrais-je faire ? »

« Je ne sais pas. Je n’ai jamais combattu aux côtés d’un lanceur de sorts. »

Eh bien, peu importe. Nous avions un guerrier superd chevronné de notre côté. Nous n’avions pas besoin d’imiter la façon de faire des groupes normaux. Je devrais penser à faire coordonner nos mouvements plus tard. Pour l’instant, il était plus important qu’Éris et moi ayons une véritable expérience du combat.

« D’accord… Je déteste m’imposer, mais pourrais-tu nous trouver un autre ennemi ? »

« Très bien. Il y a cependant quelque chose que nous devons faire d’abord. »

« Oh ? Qu’est-ce que c’est ? »

Était-ce à ce moment que l’on devait prier pour la créature qu’on avait tuée ?

« Nous devons ramasser le bois. Tu l’as éparpillé partout. »

Utilisant la magie du vent, j’avais commencé à rassembler les morceaux brisés du Tréant.

***

Partie 3

Notre groupe continua d’avancer jusqu’au coucher du soleil, livrant un total de quatre batailles. Nous avions affronté un autre tréant de pierre, une grande tortue, un loup acide et un groupe de Pax Coyottes.

Ruijerd avait abattu la grande tortue en une seule attaque. Il courut jusqu’au monstre et lui planta son trident dans le crâne. Ses mouvements étaient admirablement fluides et efficaces. L’homme était dans la chasse aux monstres en solo depuis 500 ans, et ça s’était vraiment vu. Je me sentais un peu stupide d’avoir été suffisant pour avoir tué un seul tréant de pierre.

Les loups acides étaient de gros chiens qui pouvaient cracher une sorte de liquide caustique de leur bouche. Nous n’en avons croisé qu’un seul, et Éris l’avait abattu, s’avançant brusquement pour faire voler sa tête en une seule frappe. Comparé à Ruijerd, ce n’était pas vraiment élégant, mais c’était quand même une victoire instantanée.

Malheureusement, le sang du loup s’était répandu partout sur Éris, alors elle n’était pas d’humeur à faire la fête. Je craignais que son sang ne soit également dangereux, mais apparemment ce n’était pas le cas. Selon Ruijerd, elle s’en était assez bien sortie, étant donné que c’était sa première vraie bataille.

Sur cette note, j’avais éliminé le deuxième tréant de pierre d’un seul coup. J’espérais infliger des dégâts modérés pour qu’Éris puisse s’entraîner davantage, mais il s’était avéré étonnamment difficile de rendre mon sort moins mortel. Jusqu’à ce que j’aie l’habitude de modérer mon pouvoir, je devrais éviter de l’utiliser sur les gens. Même si j’avais besoin de tuer quelqu’un, il n’y avait pas besoin de le faire de cette manière.

Les Pax Coyotes étaient notre dernière rencontre de la journée, et la plus difficile. Ces monstres avaient tendance à attaquer par dizaines. Il ne s’agissait pas exactement d’« animaux de meute », mais un seul coyote formait son propre groupe en se reproduisant par division, presque comme une amibe. Heureusement, ce n’était pas comme si de nouveaux ennemis apparaissaient constamment au milieu d’une bataille. Ils ne pouvaient se reproduire qu’une fois tous les quelques mois environ. Malgré tout, la taille de chaque groupe augmentait régulièrement au fil du temps, et tous les nouveaux coyotes seraient sous le contrôle total de leur chef. Si ce chef tombait au combat, un autre coyote prendrait immédiatement sa place. Leur force résidait surtout dans leur nombre, mais leur parfaite coordination et leur discipline les rendaient vraiment dangereux.

Le groupe que nous avions combattu était composé d’une vingtaine d’individus. Ils auraient probablement pu tuer n’importe quel aventurier ordinaire, mais Éris releva le défi avec gaieté, faisant osciller sa nouvelle épée d’avant en arrière alors que Ruijerd donnait un flot constant de conseils. La jeune fille n’avait jamais risqué sa vie au combat avant aujourd’hui, mais elle n’avait pas l’air particulièrement tendue. Toute cette pratique avec Ghislaine lui avait clairement donné un peu de confiance en elle, et il semblait que l’acte de tuer ne la dérangeait pas beaucoup.

Pour ma part, j’étais resté les bras croisés et je vis Éris abattre un coyote après l’autre. J’avais prévu d’intervenir et d’aider si nécessaire, mais Ruijerd jouait son rôle de soutien si parfaitement que cela aurait pu être contre-productif. Pourtant, ne rien faire était assez ennuyeux, et j’avais commencé à me sentir un peu à l’écart après un certain temps. Trouver un moyen pour nous de nous battre en tant que groupe devait être ma priorité absolue.

En tout cas, Éris était vraiment une combattante remarquable. Elle avait atteint le niveau avancé dans le style du Dieu de l’épée juste avant mon anniversaire, non ? À ce stade, je n’avais probablement aucune chance contre elle à moins d’utiliser la magie. Mince, même Paul n’était qu’un épéiste de niveau avancé… bien qu’il ait atteint ce rang à la fois dans les styles du Dieu de l’Eau et du Dieu du Nord, et qu’il avait beaucoup plus d’expérience de combat dans la vie réelle. Pourtant, Ghislaine avait dit qu’Éris avait plus de talent brut que Paul n’en avait jamais eu. Elle lui ferait probablement mordre la poussière en un rien de temps.

Mange ça, vieil homme.

« Rudeus ! Par ici ! »

À un moment donné, ils avaient achevé le dernier des monstres, Ruijerd sortait ses couteaux alors que je m’approchais.

« Les peaux des Pax Coyotes sont précieuses. Nous avons eu la chance d’en trouver un si grand groupe. Aide-moi à les dépecer. »

Mais j’avais autre chose à faire en premier.

« Attends une seconde. »

En marchant vers Éris, je l’avais trouvée haletante… et blessée à trois endroits différents. Moins de trente minutes s’étaient écoulées depuis le début de la bataille, Ruijerd s’étant consacré à son rôle de soutien, il lui avait fallu tuer la grande majorité des monstres. Il était certain qu’elle serait épuisée.

Cela ne pouvait pas faire de mal de soigner ces blessures maintenant…

« Que ce pouvoir divin soit comme une nourriture satisfaisante, donnant à celui qui a perdu sa force la force de ressusciter, guérison. »

« Merci. »

« Ça va, Éris ? »

« Haha ! Bien sûr ! J’ai à peine brisé un… »

Son sourire suffisant avait l’air un peu horrible avec ce sang de monstre sur tout son visage. J’en avais essuyé une partie avec ma manche. L’expérience ne l’avait pas le moins du monde ébranlée. C’était… assez impressionnant. Personnellement, j’étais sur le point de vomir à cause de l’odeur.

« Hmm. Pas de problème, hein ? Tu sais que c’était ta première vraie bataille. »

« Et alors ? Je sais me battre. Ghislaine m’a tout appris. »

C’est vrai. Entraîne-toi comme tu combats, et combats comme tu t’entraînes. Éris absorbait toujours chaque mot des leçons de Ghislaine. Ce ne serait peut-être pas si surprenant si elle pouvait appliquer tout ce qu’elle a appris au combat.

Je veux dire, si vous vous concentriez sur le combat comme on vous l’avait appris, quelle différence cela faisait-il si vos ennemis saignaient réellement ?

« Bon sang… »

Avec un sourire ironique, je m’étais détourné et j’étais retourné vers Ruijerd, qui nous observait depuis tout ce temps.

« Pourquoi as-tu demandé à Éris de se battre, Rudeus ? »

« Je ne serai pas toujours là pour la protéger. Je veux m’assurer qu’elle puisse se débrouiller seule quand les choses tournent mal. »

« Ah, je vois. »

« À ce propos, que penses-tu d’elle jusqu’à présent ? »

Ruijerd acquiesça de la tête avant de parler.

« Si elle s’applique, elle sera une maîtresse épéiste un jour. »

« Vraiment !? Génial ! »

Éris sauta littéralement en l’air, son visage brillait de joie.

Ça devait être agréable d’entendre quelque chose comme ça d’un guerrier légendaire. Cela ne me dérangeait pas non plus, si Ruijerd reconnaissait les talents d’Éris en tant que guerrier, nous avions de bien meilleures chances de trouver un moyen de travailler en équipe.

« D’accord, Ruijerd. À partir de maintenant, qu’Éris se batte à l’avant pendant que je reste à l’arrière. »

« Et que devrais-je faire ? »

« Tu n’as pas de position définie, alors bouges librement et couvres nos angles morts. Oh, et si l’un d’entre nous se met en danger, prends les choses en main et dis-nous quoi faire. »

« Compris. »

Pour l’instant, notre formation de combat de base avait été mise au point. J’espérais que cela nous permettrait, à Éris et à moi-même, d’acquérir plus d’expérience au combat au cours des deux prochains jours.

◇ ◇ ◇

Vint ensuite l’entraînement du camping.

Pour le dîner, nous avions mangé de la viande de tortue géante. Il y en avait beaucoup trop pour être mangé en une seule fois, alors nous avions commencé par en sécher la plus grande partie pour plus tard, sous la direction de Ruijerd, bien sûr.

Pour être franc, c’était un peu vil. Son odeur était accablante et c’était douloureusement difficile à supporter. Apparemment, l’approche normale consistait à le ramollir dans un ragoût frémissant pendant des heures, mais Ruijerd avait opté pour la méthode rapide et facile, il l’avait rôti sur un feu ardent.

Au moins, le feu lui-même n’était pas trop difficile à allumer. De toute évidence, les tréants de pierre s’asséchèrent très rapidement après leur mort, de sorte que nous n’avions pas besoin de laisser notre bois au soleil ou quoi que ce soit d’autre. Pas étonnant que Ruijerd ait vu ces choses comme des bûches de bois ambulantes.

« … Guh. »

Honnêtement, cette viande est vraiment dégoûtante. Qui a dit que c’était « délicieux » ?

Attends, c’était probablement toi, Ruijerd. Tu as dû tellement en manger ! Je veux dire… peut-être que si tu couvrais l’odeur avec du gingembre, ça pourrait être comestible ? Peut-être ? Mec, je n’ai jamais eu plus envie d’un peu de bœuf que maintenant. Et avec du riz…

Une phrase mémorable d’un certain manga me traversa l’esprit : « La viande grillée est glorieuse. Et c’est glorieux parce que c’est savoureux. » Des mots plus vrais n’avaient jamais été prononcés. Une viande qui n’était pas savoureuse n’était pas du tout glorieuse.

Rétrospectivement, j’avais très bien mangé dans le royaume Asura. Le pain était peut-être l’aliment de base là-bas, mais ils le complétaient habituellement avec de la viande, du poisson, des légumes et une sorte de dessert, avec toute la variété d’un restaurant trois étoiles. Et j’avais passé la plus grande partie de mon temps là-bas, à la campagne. Une petite princesse gâtée comme Éris n’allait-elle pas avoir encore plus de mal à s’adapter ?

Cependant, quand je l’avais regardée, je l’avais trouvée en train de ronger avec contentement son propre morceau de viande.

« Hé, ce n’est pas si mal. »

Attends, sérieusement !?

Eh bien… peut-être que c’était logique. Quand on donnait à un enfant qui n’avait mangé que des aliments sains un peu de malbouffe, il en devenait toujours fou, non ?

« Quoi ? » dit Éris en la fixant.

« Euh, ce n’est rien. Aimes-tu ça ? »

« Ouais ! J’ai toujours… mngh… voulu essayer quelque chose comme ça ! »

Je savais qu’Éris adorait écouter les histoires de Ghislaine sur sa vie d’aventurière. Peut-être cela s’était-il traduit par des fantasmes comme manger de la viande dure et horrible autour d’un feu de camp ? C’est un fantasme bizarre, mais compréhensible.

« Sais-tu que c’est même comestible cru, » commenta Ruijerd.

Les yeux d’Éris brillaient de curiosité, et un petit frisson me parcourut la colonne vertébrale. Heureusement, j’avais réussi à parler avant qu’elle n’ouvre la bouche.

« La réponse est non. N’y pense même pas. »

Pour l’amour de Dieu. Tu veux des vers ? Parce que c’est comme ça qu’on attrape les vers.

◇ ◇ ◇

Ruijerd donnait une leçon à Éris sur l’entretien de base des armes avant que nous nous couchions pour la nuit. Faute de mieux à faire, j’avais écouté.

La lance de Ruijerd n’était pas en métal, et l’épée d’Éris avait été forgée dans des matériaux spéciaux et d’une manière très spécifique. Apparemment, ni l’un ni l’autre n’avaient à s’inquiéter de la rouille ordinaire. Mais cela ne signifiait pas qu’ils pouvaient sauter leur entretien quotidien. Laisser du sang séché sur une épée ou une lance en émousserait progressivement les bords et attirerait d’autres monstres. Du point de vue de Ruijerd, bien prendre soin de son arme était une énorme responsabilité en tant que guerrier.

« Maintenant que j’y pense, de quoi est faite cette lance de toute façon ? » avais-je demandé, soudain curieux.

À en juger par celle que Ruijerd portait, les tridents superds étaient d’un blanc pur, totalement sans ornement. Elle était aussi assez petite pour une lance. D’après ce que j’avais vu, tout était fait d’une seule matière, je ne voyais aucune jointure entre le manche et la tête.

« C’est fait de moi. »

« … Pardon ? »

« La lance d’un Superd est faite de leur âme. »

Putain. Je ne m’attendais pas à une réponse aussi… philosophique.

OK, je comprends. C’est vrai. Donc ta lance est, euh, ton âme. Et ton âme est ton mode de vie, non ? Ton mode de vie est tout ce qui se trouve dans ton cœur… et ton cœur sait exactement ce que tu aimes. Donc en gros, tu aimes ta lance avec passion… ou quelque chose comme ça ?

Heureusement, Ruijerd avait élaboré avant que je me fasse des nœuds au cerveau.

« Chacun d’entre nous est né avec sa propre lance, voyez-vous. »

Les Superds naissaient avec une queue à trois pointes. Elle grandissait avec eux jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain âge. À ce moment-là, elle se raidissait et tombait. Pourtant, même une fois séparée, elle faisait toujours partie de leur corps. Plus ils l’utilisaient, plus elle devenait tranchante et mortelle. Avec assez de temps et d’efforts, ces tridents pouvaient devenir des armes hors pair, pratiquement incassables et capables de percer pratiquement tout.

« … Et c’est pourquoi nous ne devons pas jeter nos lances jusqu’au jour de notre mort. »

Le visage de Ruijerd était plein de regrets amers devant l’erreur qu’il avait faite il y a quatre siècles.

À ce moment-là, sa lance était probablement plus dure et plus tranchante que celle de n’importe quel autre Superd dans le monde. J’étais vraiment content qu’il soit de notre côté.

Pourtant, sa vision du monde… m’inquiétait parfois. L’homme était aussi rigide que son arme. Si vous ne pouvez pas vous plier un peu parfois, vous n’apprendrez jamais à accepter les autres tels qu’ils sont. Et ça veut dire qu’ils ne vous accepteront jamais non plus. Il y aura trop de principes, le sais-tu ?

En tout cas… après trois jours de combat contre les monstres et de camping à la belle étoile, notre petit groupe avait réussi à atteindre la ville la plus proche.

***

Chapitre 6 : Infiltration et usurpation d’identité

Partie 1

La ville de Rikarisu est l’un des trois plus grands villages du Continent Démon. Au moment de la Grande Guerre Homme-Démon, elle servait de base aux forces de l’impératrice démoniaque Kishirika Kishirisu. Aujourd’hui encore, on l’appelle parfois le vieux château de Kishirisu.

La première surprise qu’elle réserve aux nouveaux visiteurs est son emplacement inhabituel. Rikarisu se trouve au milieu d’un énorme cratère, dont le bord forme un seul mur continu autour de la ville. En temps de guerre, ces défenses naturelles ont aidé la ville à repousser de nombreux sièges ennemis et aujourd’hui encore, elles servent à protéger la ville contre les monstres en maraude.

Au cœur même de la ville se dressent les ruines du château de Kishirisu, à moitié détruites lors des événements de la guerre de Laplace. Des murs extérieurs d’une épaisseur imposante entourent le château brisé en noir et or lui-même, un spectacle qui offre aux visiteurs un rappel constant de la gloire fanée de l’Impératrice et du passé violent et douloureux des races démoniaques.

Rikarisu est une ville riche en histoire. Un lieu riche d’histoire.

Et au coucher du soleil, les visiteurs apprécieront sa vraie beauté.

– Extrait de L’errance dans le monde

par l’aventurier Bloody Kant

Ces mots étaient tout ce que je savais de la ville de Rikarisu, ville devant laquelle nous étions arrivés.

Il n’y avait que trois entrées de la ville, qui étaient toutes des fissures au bord du cratère. Les murs du cratère étaient étonnamment hauts. Si vous ne pouviez pas voler, il vous serait difficile de les survoler.

Deux gardes armés étaient postés à l’extérieur de chacune des entrées. Ils prenaient manifestement leur sécurité au sérieux ici.

J’avais jeté un regard réfléchi sur Ruijerd.

« Qu’y a-t-il, Rudeus ? »

« Ruijerd… peut-on entrer dans cette ville, non ? »

« Je n’y ai jamais mis les pieds moi-même. Ils me chassent toujours. »

L’humanité craignait et détestait le Superd à un niveau presque primitif. La réaction initiale d’Éris l’avait bien montré. J’espérais que ce serait un peu différent avec les autres races de démons, mais… d’après ce que j’avais entendu dans le village migurd, c’était probablement un vœu pieux.

« Je suis curieux, mais qu’est-ce que ça implique de te chasser ? »

« Les gardes se mettent à crier après moi quand je m’approche. D’ici peu, un grand nombre d’aventuriers armés en sortiront ».

OK, donc on n’aurait probablement pas l’occasion de s’expliquer. Les gardes crieraient probablement « Halte », puis demanderaient du renfort… et nous serions écrasés sous une vague massive d’hommes costauds.

« Dans ce cas, on ferait mieux de se déguiser. »

Ruijerd me jeta un regard aiguisé.

« Un déguisement ? »

Hm. Cela allait-il être un problème ?

« Bon, écoute-moi bien. Pour l’instant, notre priorité est d’entrer, hein ? »

« Je ne m’y oppose pas. Je ne sais pas ce que tu veux dire par… déguisement. »

« Hein ? »

Wôw. Apparemment, il ne connaissait même pas ce concept. Mais je supposais qu’il aurait pu entrer dans la ville assez facilement autrement.

« Un déguisement est juste… un moyen de changer ton apparence et de cacher ta vraie identité. »

« Je vois… Et comment ferions-nous ça ? »

« Hmm, bonne question. Pourquoi ne pas te cacher le visage pour l’instant ? »

Je m’étais accroupi, j’avais posé mes mains sur le sol et je commençais à y canaliser mes pouvoirs magiques.

◇ ◇ ◇

« Halte ! »

Il y avait deux soldats qui gardaient la porte que nous approchions. L’un d’eux était un homme à l’air sévère avec une tête de serpent, l’autre était un homme à l’apparence d’un coq avec la tête d’un cochon.

« Qui êtes-vous !? Qu’est-ce que vous faites ici ? » cria l’homme serpent, une main déjà posée sur l’épée à sa hanche.

L’homme cochon, d’autre part, était occupé à fixer Éris en silence. Putain de sale animal… Tu ferais mieux de ne rien faire d’étrange, sinon !

Comme nous l’avions décidé à l’avance, je m’étais avancé pour parler.

« Salut. Nous sommes un groupe de voyageurs. »

« Vous êtes des aventuriers ou quoi ? »

« Ou… euh, non. Juste des voyageurs ordinaires. »

J’avais failli répondre « oui », mais nous n’avions rien pour étayer une telle affirmation. Éris et moi étions évidemment très jeunes, donc nous aurions probablement pu passer pour des aventuriers en herbe venant tout juste de démarrer…

« Qui est cet homme que vous avez avec vous ? On dirait une personne suspecte. »

Ruijerd portait actuellement un casque en pierre brute que j’avais créé quelques minutes auparavant. Il avait complètement caché son visage. Nous avions aussi enveloppé les pointes de sa lance dans du tissu. Au premier coup d’œil, vous l’auriez peut-être prise pour une sorte de bâton. Il avait l’air suspect, mais au moins on ne pouvait pas dire que c’était un Superd.

« C’est mon frère aîné. Il a essayé un casque qu’un aventurier lui avait donné, puis il a réalisé qu’il ne pouvait pas l’enlever. Nous pensions qu’il y aurait peut-être quelqu’un en ville qui pourrait nous aider… »

« Hahahaha ! Quel abruti ! Ah, dans ce cas, je comprends. Va parler à la vieille dame du magasin de fournitures, elle trouvera quelque chose. »

L’homme serpent s’était rétracté et enleva sa main de sa poignée.

Eh bien, ça s’est mieux passé que prévu.

Si j’étais au Japon, j’étais presque certain que les flics auraient ramené un étranger avec un casque intégral au poste pour lui poser quelques questions, mais nous nous en étions très bien sortis. Peut-être était-ce parce que Ruijerd avait une paire d’enfants avec lui… ou peut-être que ce n’était pas si inhabituel de voir des gens errer dans la ville avec un casque.

« Au fait, où irions-nous si on avait besoin de gagner de l’argent ? »

« Hein ? Tu cherches un boulot ou quoi ? »

« Eh bien, nous devons rester ici jusqu’à ce que nous puissions enlever ce casque de mon frère. Et s’ils font payer des frais, nous devrons rassembler l’argent pour couvrir ça. »

Le visage de serpent hocha la tête, grommelant : « Ouais, j’imagine que je ne me rendrais pas chez cette vieille bique. »

Apparemment, la vendeuse de fournitures avait fait une bonne affaire. Heureusement que ce n’était pas vraiment notre problème.

« Tu voudrais sûrement parler de la Guilde des Aventuriers, gamin. Je ne connais pas d’endroit où des gens fauchés comme vous pourraient gagner leur vie. »

« Très bien. Est-ce que c’est... »

« La guilde est juste en bas de cette rue. C’est ce grand bâtiment. Vous ne le raterez pas. »

« Merci beaucoup. »

« Une fois inscrit, vous obtiendrez un tarif légèrement préférentiel dans les auberges. Au moins, ça ne peut pas faire de mal de mettre vos noms dans leur livre. »

Avec un petit clin d’œil poli au garde, j’avais commencé à me diriger vers la porte… pour faire une pause au dernier moment.

« Au fait… y a-t-il une raison pour que la ville soit gardée si durement en ce moment ? »

« Oh, Oui. Quelqu’un a dit avoir vu le monstre Dead End dans le coin, nous sommes donc en alerte maximum en ce moment. »

« Attends, sérieusement !? Tu parles d’un nom effrayant… »

« Ouais, sans blague. Espérons qu’il s’en ira bientôt quelque part, hein ? »

Dead End, hein ? À en juger par son nom… si vous le rencontriez, je suppose que votre vie était presque terminée ? Ce doit être un monstre terrifiant.

◇ ◇ ◇

Les bâtiments n’étaient pas aussi hauts à Rikarisu qu’ils l’étaient à Roa, mais j’avais l’impression qu’ils étaient tout aussi nombreux. Les deux villes semblaient avoir des tracés assez similaires. La plupart des installations près de l’entrée étaient des écuries et des auberges qui s’adressaient clairement aux marchands ambulants.

« Hmm. La guilde des aventuriers, hein… ? »

D’après tout ce que j’avais entendu, les aventuriers de ce monde étaient essentiellement des intérimaires glorifiés. Les personnes possédant certaines compétences s’inscrivaient auprès de l’« agence », c’est-à-dire de la guilde, en complétant les emplois qu’elle offre. Vous pouvez vous bâtir une réputation pour vous-même. Les gens ordinaires apportèrent une variété d’emplois directement à la guilde, et elle les distribuaient à tous les aventuriers qui étaient à la hauteur de la tâche.

« Je ne sais pas combien nous pourrons y gagner, mais ce serait peut-être une bonne idée de nous inscrire. Ils nous donneront probablement quelque chose que nous pourrons au moins utiliser comme pièce d’identité. Qu’en penses-tu, Éris ? »

« Ooh ! Oui, bien sûr ! Soyons des aventuriers ! »

Les yeux de la fille brillaient d’excitation. Ce n’était pas vraiment surprenant… elle avait toujours aimé écouter les histoires des exploits glorieux de Ghislaine.

« Es-tu déjà un aventurier, Ruijerd ? »

« Non. Je n’ai jamais mis les pieds dans une ville assez grande pour avoir une guilde avant. »

Ah, c’est vrai. Ils n’avaient probablement pas pris la peine de s’installer dans chaque petit village.

« Ok. De toute façon, je pense que ce sera plus pratique pour nous… »

Une sorte de plan commençait à prendre forme dans mon esprit.

On ne pouvait pas s’attendre à ce que Ruijerd porte ce gros casque lourd pour toujours. Et si on gardait son visage caché, il n’aurait jamais la chance d’améliorer la réputation de son peuple. Nous pourrions toujours essayer d’accomplir quelque chose de grand dès le départ, puis commencer à répandre des rumeurs qu’un guerrier superd en était le responsable… mais comme aventuriers débutants, nous ferions probablement pour le moment des quêtes dans la ville. Résoudre de petits problèmes pour les gens ordinaires pourrait en fait être la meilleure approche. Après tout, c’était la dernière chose à laquelle on pouvait s’attendre d’un « tueur sanguinaire ». Si nous continuons avec assez de diligence, nous pourrions au moins gagner la confiance des gens de cette ville.

Ruijerd était fondamentalement un homme de cœur. Trouver des enfants perdus était tout à fait dans ses cordes, et il vaudrait peut-être mieux changer l’impression qu’a le public de son peuple que de s’enfuir pour tuer une énorme bête. Je voulais dire, sauver un enfant lui avait ouvert les portes du village migurd, non ? Sur cette base, nous devrions probablement nous concentrer sur l’aide aux gens plutôt que sur les chasses aux monstres sanglants. On pourrait laisser sa gentillesse parler d’elle-même.

Cela dit… si nous voulions lui donner la réputation d’aider les gens, le casque serait un problème. J’aurais personnellement du mal à faire confiance à quelqu’un qui cachait son visage. On pourrait peut-être passer à quelque chose qui ne couvrirait que ses cheveux et son front ? Non, ce n’était probablement pas assez bien. L’étiquette sociale était peut-être un peu différente dans ce monde, mais garder votre casque en permanence me semblait assez grossier.

Pourtant, gratter anonymement des petits boulots ne nous mènerait nulle part. Nous devrions sensibiliser toute la ville à la présence de Ruijerd, et nous devrions les convaincre que c’était une chose positive.

« Mais comment fait-on ça… ? »

En premier lieu, il fallait qu’il devienne reconnaissable. Peu importe le nombre de bonnes actions qu’il a faites, nous ne progresserions jamais si elles étaient toutes attribuées à un « aventurier inconnu ». Peut-être que ce serait vraiment mieux de commencer par tuer un gros monstre ou deux ? Juste pour que les gens se souviennent de son nom…

La force compte beaucoup dans ce monde. Faire tomber une bête vraiment redoutable pourrait potentiellement donner à notre petit groupe un léger coup de pouce sur le plan social. Bien sûr, tout le monde savait déjà que le Superd était un chasseur incroyablement puissant, donc il y avait aussi une chance que cela puisse se retourner contre lui…

Non, attendez. Et si la ville était en danger imminent ? Un monstre géant se déchaîne dans les rues, tout le monde s’effondre de terreur, et le Héros Démoniaque Sexy Ruijerd saute à la rescousse ! Avec une musique dramatique en arrière-plan !

Ooh. Ça pourrait totalement marcher.

La principale pierre d’achoppement était le fait que nous avions besoin d’un monstre déchaîné pour y parvenir, mais j’avais entendu un nom qui semblait prometteur il y a à peine une minute.

« Ruijerd, tu sais ce qu’est cette Dead End ? »

En supposant que ce soit une sorte de monstre puissant, nous pourrions trouver un moyen de l’attirer vers la ville, puis le tuer juste au moment où tout le monde commençait à paniquer. Tout le monde aimait une belle et propre histoire de « triomphe du bien sur le mal », pas vrai ?

Malheureusement, la réponse de Ruijerd mit une fin brutale à tout mon raisonnement.

« C’est moi. »

« … Uhm, quoi ? »

Hein ? Est-ce qu’il redevient philosophe avec moi !?

« Certains m’appellent comme ça, Rudeus. »

Ah. OK, donc c’était à prendre au pied de la lettre. C’était un joli surnom qu’il avait là…

C’était logique. Bien sûr, tu flipperais si tu pensais qu’un meurtrier de masse légendaire errait à l’extérieur de ta ville. Honnêtement… le terme « Dead End » me semblait un peu trop fort. À quel point étaient-ils terrifiés par Ruijerd ? En y repensant, ces gardes à l’entrée avaient vraiment besoin de se ressaisir. Ils n’avaient probablement même pas pensé que les Superds étaient un peuple. Ils s’attendaient à un monstre déchaîné et vicieux. Ils n’avaient même jamais pensé que Ruijerd pourrait être assez intelligent pour se déguiser.

« Hmm. Et maintenant, on fait quoi… ? »

Il y avait là un avantage potentiel : son surnom semblait bien connu. Peut-être qu’on pourrait d’une façon ou d’une autre l’utiliser à notre avantage.

« Ruijerd. Ils n’ont pas mis de prime sur ta tête ou quoi que ce soit d’autre, n’est-ce pas ? »

« Non. Ce ne sera pas un problème. »

Voyons donc ? Tu me le promets ? Je vais te croire sur parole, d’accord ?

Très bien, dans ce cas, réajustons un peu ce plan.

***

Partie 2

Avant de nous rendre à la guilde des aventuriers, nous avions passé un peu de temps à nous promener dans les échoppes en bordure de route, regroupées proche de l’entrée de la ville. Les magasins comme ceux-ci avaient tendance à être assez semblables partout où vous alliez, mais les articles spécifiques qu’ils avaient sur l’étal pourraient un peu varier. Par exemple… là où les écuries de Roa étaient pleines de chevaux à vendre ou à louer, sur le Continent Démon, ils semblaient favoriser une espèce de lézard géant. Ils étaient apparemment mieux adaptés au terrain escarpé et fissuré qui caractérisait cette partie du monde. De plus, il n’y avait pas de système organisé de transport de passagers ici. Vous deviez acheter un véhicule à l’un des nombreux marchands indépendants.

Nous avions un très long voyage devant nous. Il y avait toutes sortes de choses que je mourais d’envie d’acheter. Mais je savais déjà ce que nous aurions besoin lors de ce voyage. Nous devons juste prendre le reste petit à petit.

Après avoir jeté un coup d’œil rapide pour me faire une idée des prix courants de divers articles, j’avais commencé à chercher un stand abordable qui avait les choses dont nous avions besoin. Nous n’étions pas très pressés, mais je ne voulais pas perdre des heures et des heures ici. Tout ce que je voulais acheter, c’était une capuche et de la teinture… Oh, et idéalement une sorte d’agrume.

« Salut, papy. N’en demandez-vous pas un peu trop pour cette teinture ? Cela ressemble à une petite arnaque. »

« Qu’est-ce que tu racontes, petit ? C’est le prix courant. » 

« Vraiment ? En êtes-vous sur ? »

« Bien sûr que j’en suis sûr, bon sang ! »

« Savez-vous qu’ils vendaient quelque chose de vraiment similaire là-bas pour la moitié du prix ? »

« Es-tu sérieux !? »

« Eh bien, je suis sûr que vos produits sont de meilleure qualité, n’est-ce pas ? Hmm, cette capuche est plutôt jolie. J’achèterai la teinture et quelques trucs citronnés là-bas, alors pourquoi ne pas me les donner gratuitement ? »

« Hah ! Quel petit marchandage ! Très bien, tu gagnes. Prends-le ! »

« Oh, et pendant qu’on est là… voulez-vous nous acheter quelques trucs ? Ce sont de vraies peaux de Coyote Pax, et nous avons aussi quelques crocs de loup acide. »

« Merde, regarde-moi cette quantité ! Donne-moi un instant… Deux, quatre, huit… D’accord. Que dirais-tu de trois pièces de ferraille pour le tout ? »

« Allez ! Ils valent au moins six. »

« D’accord, d’accord. Je t’en donne quatre. »

« D’accord, marché conclu. C’est un plaisir de faire affaire avec vous. »

Cela m’avait pris un peu de temps, mais j’avais réussi à conclure le tout en une seule transaction. Comme je ne connaissais pas vraiment les prix de la plupart des marchandises ici, je ne savais pas exactement combien d’argent je venais de dépenser. Pour être honnête, j’avais le sentiment que le gars m’avait arnaqué.

Eh bien… En tout cas, il nous restait une pièce de fer, quatre pièces de ferraille et dix pièces de pierre. Cet argent était un cadeau des parents de Maître Roxy. Il faudrait que je le dépense de façon réfléchie.

À la fin de notre visite des échoppes, nous nous étions glissés tous les trois dans une ruelle tranquille. J’avais un peu peur que nous rencontrions des truands stéréotypés… mais encore une fois, Ruijerd s’en occuperait pour nous, pas vrai ? C’était peut-être même l’occasion de gagner un peu d’argent de poche…

« Hé, Ruijerd. Si quelqu’un essaie de nous agresser, peux-tu les passer à tabac ? »

« Tu veux dire… jusqu’à ce qu’ils soient presque morts ? »

« Euh, non. Frappe-les un peu, merci. »

Malheureusement, personne ne s’était présenté pour nous embêter. Mais maintenant que j’y pense, les gars assez désespérés pour voler les gens n’auraient probablement pas beaucoup d’argent sur eux en premier lieu.

« D’accord, Ruijerd. Commençons par teindre tes cheveux. »

« Teindre mes cheveux… ? »

« Exactement. C’est à ça que sert ce truc. »

« Je vois… Donc tu veux changer leur couleur ? C’est une idée intelligente, c’est sûr. »

Il avait l’air vraiment impressionné. Je suppose que les gens ne se teignaient pas vraiment les cheveux dans ce monde. C’était soit ça, soit Ruijerd qui n’était pas au courant du concept. Il n’avait clairement pas passé beaucoup de temps dans les villes ou les villages.

« Cependant, n’aurait-il pas été préférable de choisir une couleur moins similaire à la mienne ? »

J’avais choisi une teinture bleue, une approximation assez proche de la couleur des cheveux des Migurd.

« Le village des Migurd n’est qu’à trois jours de marche d’ici, donc il y a probablement une tonne de gens ici qui les connaissent. Je me suis dit qu’on ferait de toi l’un d’eux, Ruijerd. »

« … Et vous deux ? »

« Oh, nous ne sommes que tes laquais. Tu nous as aidés et accueillis à un moment donné. »

« Des laquais… ? Je pensais que vous étiez des guerriers, sur un pied d’égalité avec moi.

« Eh bien, oui, nous le sommes. Je parle juste de notre histoire de couverture. Ne t’inquiète pas, tu n’as pas vraiment besoin de te souvenir de tout ça… Je me comporterai juste comme ton homme de main quand on sera avec d’autres personnes. »

L’étape suivante allait être de monter une sorte de spectacle.

J’avais pris le temps d’expliquer les prémisses de notre acte à Ruijerd. À partir de ce moment, il allait devenir un jeune Migurd nommé « Royce » qui avait récemment commencé à se faire passer pour l’infâme Guerrier superd Dead End.

Royce avait toujours aspiré à inspirer la peur et l’admiration chez les gens. Il n’y a pas si longtemps, il était tombé sur deux enfants perdus dans la nature, l’un capable d’utiliser la magie et l’autre qui était doué avec l’épée. Il leur avait sauvé la vie, et ils l’idolâtraient depuis.

« Tu m’idolâtres ? »

« Je n’irais pas si loin personnellement. »

« Je vois. »

En tout cas, ces deux enfants étaient en fait des combattants très puissants pour leur âge. Une fois qu’il s’en était rendu compte, Royce avait eu une idée intelligente : pourquoi ne pas assumer l’identité du légendaire guerrier Ruijerd ? C’était le moyen le plus facile de faire peur à tous ceux qu’il rencontrait. Après tout, Royce avait toujours été exceptionnellement grand pour un Migurd. Et ses deux jeunes compagnons étaient très compétents. S’il revendiquait leurs exploits comme les siens, il deviendrait célèbre en un rien de temps.

« Cet homme est un voyou. Il n’a pas le droit d’utiliser mon nom. »

« Ouais, c’est très méprisable. Mais disons que ce faux Ruijerd commence à faire de bonnes actions. Que penseraient les gens ? »

« … Je ne sais pas. Quoi ? »

« Que c’est évidemment un imposteur, mais aussi qu’au fond c’est un bon gars. »

Nous avions besoin d’un numéro comique et un peu incohérent. La clé ici était de faire en sorte que tout le monde considère l’imposteur Ruijerd comme une fraude totale, mais qui se trouve être aussi une personne étrangement décente.

« Hmm… »

« En gros, si on dit que ce faux Ruijerd est un type bien, on est sur la bonne voie. La rumeur deviendra de plus en plus vague avec le temps, et les gens finiront par dire que “Ruijerd” est un bon gars. »

« … Cela a l’air merveilleux, mais cela va-t-il vraiment marcher comme ça ? »

« Oh, absolument », répondis-je d’un ton facile et confiant.

Au moins, ça ne pourrait pas faire vraiment du mal. Tout le monde pensait déjà que Ruijerd était un monstre vicieux, sa réputation ne s’aggraverait pas.

« Je vois. J’ignorais qu’un plan aussi simple pouvait marcher… »

« Ce ne sera pas simple, crois-moi. Et il y a toujours une chance que quelque chose tourne mal. »

En règle générale, tout plan à long terme tourne mal à un moment donné. Plus il est détaillé et complexe, plus vous finirez par vous éloigner du chemin idéal. Pourtant, du moment que nous aurions réussi à faire circuler des tonnes de rumeurs sur Ruijerd, il y avait de bonnes chances que sa réputation commence à refléter sa bonne humeur.

« Vrai. Que proposes-tu que nous fassions si ma tromperie est révélée ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu n’as pas besoin de mentir, Ruijerd. »

« … Je ne comprends pas. »

Ruijerd jouera le rôle d’un « Migurd qui se prenait pour un Superd. » La plupart du temps, il ferait de bonnes actions et gagnerait l’affection du public, comme il le voulait. Il n’allait même pas mentir sur son nom.

Toute cette histoire de « Royce » n’était surtout qu’une solution de repli que j’utiliserais si quelqu’un commençait à soupçonner Ruijerd d’être vraiment celui qu’il prétendait être. L’homme lui-même continuerait d’utiliser son vrai nom. Ruijerd admettrait ouvertement qu’il était un Superd nommé Ruijerd. Tous les autres décideraient d’eux-mêmes s’il était en fait un Migurd nommé Royce ayant des illusions de grandeur.

En d’autres termes, il n’avait pas à dire quoi que ce soit qui n’était pas vrai. Je m’occuperais de tous les mensonges pour lui dans les coulisses. J’avais l’impression qu’il s’opposerait probablement à ce que je trompe les gens en sa faveur, alors j’avais décidé de garder le silence sur cette dernière partie.

« Tout le monde va supposer que tu es un Migurd, compris ? »

« Ah… D’accord. C’est moi qui fais semblant d’être moi-même… Mais attends ! Dois-je aussi faire comme si j’étais Royce… ? Ça me donne un peu mal à la tête, Rudeus. Que dois-je faire exactement ? »

« Ne t’inquiète pas pour ça. Sois toi-même. »

Ruijerd semblait plus qu’un peu réticent. Quels que soient ses autres talents, cet homme n’était probablement pas fait pour être acteur.

« Cela dit, assure-toi de ne pas craquer et de ne pas tuer quelqu’un juste parce qu’il t’a nargué, d’accord ? »

« Hmm… Tu veux dire que je ne devrais pas me battre ? »

« Tu peux te battre si tu en as besoin, mais fais semblant d’avoir du mal. Prends quelques coups de poing, commences à respirer fort, ce genre de choses. En fin de compte, essaye de faire croire que tu as eu du mal à gagner. »

Quand les mots quittèrent ma bouche, j’avais pensé que Ruijerd n’était peut-être même pas capable de faire ce genre de spectacle, mais…

« Tu veux que j’y aille doucement avec eux ? Quel est l’intérêt de ça ? »

Apparemment, ce ne serait pas un problème.

« Nous voulons que les gens pensent que tu es trop faible pour être le vrai Ruijerd. Et nous voulons que ton adversaire pense : “Et si par contre c’était lui, le vrai ? Ça ne me rendrait-il pas vraiment génial ?” »

« Je crains de ne pas comprendre… »

« C’est un moyen de convaincre les gens que tu es un imposteur, tout en les faisant se sentir bien dans leur peau. »

« Mais qu’est-ce que ça leur fait de se sentir bien ? »

« Ça les encouragera à répandre des rumeurs selon lesquelles les Superds sont des proies faciles. »

Ruijerd s’était renfrogné.

« Les Superds ne sont pas des proies faciles. »

« Je le sais, crois-moi. Mais ta force fait partie de ce qui fait que les gens ont si peur de toi. S’ils pensent que tu es faible, ça pourrait nous aider à résoudre les conflits pacifiquement, comme nous venons de le faire à la porte. »

Cela dit, nous ne voulions pas non plus que tout le monde pense que son peuple était totalement impuissant. Cela pourrait finir par encourager le harcèlement des villages superd survivants… en supposant qu’il y en ait encore quelque part. Ça allait être un équilibre délicat.

« Eh bien, si tu le dis, Rudeus… »

Très bien. Je pense que c’est à peu près tout pour l’instant.

Je n’avais pas ressenti le besoin de donner trop d’instructions spécifiques pour le moment. Cela ne ferait qu’augmenter nos chances de foirer quelque chose.

« Quoi qu’il en soit… je te donnerai tout le soutien que je peux, Ruijerd. Mais le résultat dépendra en fin de compte de toi, d’accord ? »

« Bien sûr. Mes remerciements, Rudeus. »

Durant tout le temps qu’avait duré mon explication, j’avais commencé à blanchir les cheveux de Ruijerd en utilisant le jus des fruits du citron que nous avions achetés quelques minutes auparavant.

Les résultats n’étaient pas parfaits, mais sa couleur naturelle vert émeraude s’était pour la plupart estompée. J’avais continué et j’avais mis de la teinture bleue.

Hmm. Ce n’est pas le plus beau boulot que j’aie jamais vu.

Pourtant, au moins, il n’avait plus l’air particulièrement vert. Peut-être qu’il ressemblait à un Migurd ? À distance ? Si tu ignorais totalement sa taille ?

Il ne ressemblait pas vraiment à un Superd, et c’était la chose la plus importante. Un déguisement ambigu était probablement ce que nous voulions de toute façon. La réaction idéale serait quelque chose comme…

« Ce type ressemble un peu à un Migurd, mais pas vraiment. Et il se dit superd, mais ça n’a pas l’air vrai non plus… Et alors ? »

« Et puis, je pense que tu devrais porter ça », lui dis-je tout en retirant mon pendentif et en le plaçant sur Ruijerd.

« C’est… une amulette migurd, n’est-ce pas ? »

« Oui. Mon maître me l’a offert comme cadeau de fin d’études, et je le porte depuis. »

Avec cela autour du cou de Ruijerd, tout le monde supposerait au moins qu’il était lié d’une manière ou d’une autre aux Migurd.

« Ça doit être précieux pour toi, alors. Je m’assurerai de te le rendre en toute sécurité. »

« Oui. T’as intérêt. »

« Bien sûr. »

« Je te préviens, je vais peut-être devoir te tuer si tu le perds. »

« Compris, Rudeus. »

« En particulier, je bloquerais toutes les sorties de la ville avec de la magie terrestre, puis je remplirais ce cratère de magma jusqu’au bord. »

« Quoi ? Tuerais-tu aussi tous les gens qui vivent ici ? Tu sais qu’il y a des enfants dans cette ville. »

« C’est vrai. Donc si tu veux les garder sains et saufs, tu ferais mieux de prendre soin de cette amulette. »

« Si ça t’inquiète tant que ça, tu ne devrais peut-être pas me laisser l’emprunter… »

« Allez, Ruijerd. Je plaisante, c’est évident ! »

« … »

L’étape suivante était de mettre à Éris la capuche que j’avais achetée tout à l’heure. Ses cheveux roux attirent l’attention, et nous voulions que tout le monde reste concentré sur notre leader.

« Alors Éris, je pensais… »

À ce moment-là, j’avais dévoilé le capuchon pour la première fois et je m’étais rendu compte qu’elle avait de petites oreillettes pour chat… un peu comme les capuchons que portaient les mages blancs dans Final Fantasy III.

C’était destiné à une personne-bête ou quoi ? Putain. J’avais peut-être tout gâché. Éris n’était pas particulièrement pointilleuse au sujet de ses vêtements, mais d’après ce dont je me souvenais de la traditionnelle salutation de sa famille, elle détestait absolument se déguiser en fille-chat.

« Euh… eh bien, à propos de ce capuchon… »

« Hein ? Oh ! Et alors ? »

« Je pensais… que peut-être tu pourrais le porter… »

« Vraiment !? »

Pour une raison ou une autre, la fille avait l’air ravie. Peut-être qu’elle ne détestait pas ça autant que je le pensais… ? Elle avait immédiatement tiré sur le capuchon, souriant joyeusement.

« Je m’en occuperai bien ! »

Bon, c’est une bonne chose. Je n’avais pas vraiment compris pourquoi, mais ça a marché ! Excellent !

Maintenant… il semblerait que nous étions prêts à nous diriger vers la guilde des aventuriers. Il fallait que ce soit comique. Je devais juste garder ça à l’esprit.

J’espère que tout se passera bien…

***

Chapitre 7 : La guilde des aventuriers

Partie 1

La guilde des aventuriers était un lieu de rassemblement pour certains des clients les plus difficiles de la ville. Certains étaient physiquement puissants, d’autres étaient des magiciens chevronnés et expérimentés. Certains préféraient l’épée. D’autres utilisaient des haches, des douelles ou même leurs mains nues au combat. Certains se vantaient haut et fort de leurs prouesses, tandis que d’autres se moquaient silencieusement des fanfaronnades. Il y avait des guerriers vêtus d’armures lourdes, mais aussi des sorciers légèrement vêtus. Il y avait des hommes qui ressemblaient à des cochons et des femmes-serpents, des hommes aux ailes d’insectes et des femmes aux jambes de chevaux. Toutes sortes de gens de toutes sortes de races formaient une seule foule grouillante.

C’était ainsi que les choses se passaient habituellement dans les guildes du Continent Démon. La succursale de Rikarisu ne faisait certainement pas exception à la règle.

Soudainement, quelqu’un déplaça ses immenses portes battantes qui s’ouvrirent d’un coup sec.

Beaucoup de ceux qui se trouvaient à l’intérieur tournèrent leurs yeux vers l’entrée, curieux. Il n’était pas inhabituel pour les gens d’ouvrir ces portes de façon spectaculaire, mais les raisons pour lesquelles ils l’avaient fait variaient. Est-ce qu’un groupe venait de rentrer victorieux ? Peut-être qu’un groupe de monstres lançait une attaque et que les gardes à la porte avaient appelé à l’aide ? Ou était-ce juste le vent qui jouait des tours à tout le monde ? Bien sûr, il y avait aussi eu des rumeurs selon lesquelles Dead End errait dans cette zone récemment, mais sûrement…

Avant que quelqu’un ne puisse suivre ce cheminement de pensée jusqu’à sa conclusion, trois personnes avaient franchi la porte ouverte.

Le premier dans la file était un garçon avec un sourire étrangement confiant sur son visage. Il portait des vêtements crasseux, mais d’allure chère et portait un bâton enveloppé dans du tissu. Malgré sa jeunesse évidente, la foule d’adultes à l’intérieur de la guilde, marquée par les combats, ne semblait pas l’intimider le moins du monde. Qui diable était ce gamin ? se demandaient beaucoup de gens. Il n’avait pas l’air à sa place ici. Appartiendrait-il à une race démoniaque qui avait l’air plus jeune qu’il ne l’était vraiment ?

Suivait de près cet étrange garçon, comme pour se cacher dans son ombre, une autre jeune personne. Celui-ci semblait être une fille. Son visage était caché par un capuchon, mais ses yeux brillaient à l’intérieur. Il y avait quelque chose dans ses mouvements qui suggéraient qu’elle savait comment utiliser cette épée à sa hanche. Quelques vétérans à l’intérieur de la guilde l’avaient tout de suite cataloguée comme une combattante habile.

Le dernier du groupe à entrer était un homme grand et imposant, avec une gemme rouge sur le front et une cicatrice en diagonale sur le visage. C’était les mêmes traits distinctifs que l’infâme monstre connu sous le nom de Dead End, certains aventuriers avaient failli donner l’alarme, pour remarquer au dernier moment que les cheveux de cet homme étaient bleus et non verts. Ce devait être quelqu’un qui ressemblait beaucoup au meurtrier superd.

Au final, ces trois-là formaient un groupe étrange. Étrange… et troublant. Il n’y avait pas un seul aventurier ordinaire parmi eux trois. Personne ne pouvait deviner ce qu’ils faisaient ici.

Le trio s’était soudainement arrêté et le garçon cria sur la foule vigilante :

« Hé, allez ! Pourquoi nous regardez-vous fixement tout en étant bouche bée, les amis !? Vous ne savez pas qui est cet homme. »

Euh non. Pourquoi le saurions-nous ? pensa tout le monde en même temps.

« C’est l’infâme monstre superd, Ruijerd lui-même ! Ne restez pas plantés là, idiots ! Faites pousser des cris et fuyez pour sauver vos vies ! »

Allez, crois-tu vraiment qu’on va gober ça ? pensait tout le monde à l’unisson. Tout le monde savait que les cheveux des Superds étaient d’un vert vif et non d’un bleu sale.

« Peux-tu croire ces péquenauds de la campagne, Patron ? Ils ne savent même pas reconnaître le visage de la terreur quand ils le voient ! C’est une blague. Toutes ces rumeurs qui circulent, mais nous sommes entré ici et personne ne t’a reconnu ! »

Apparemment, ce gamin est déterminé à prétendre que son pote est un diable vicieux et sanguinaire. Plus ils y pensaient, plus sa petite tirade aiguë semblait hilarante. L’aura troublante que ce petit groupe avait projetée jusque-là s’était dissipée presque instantanément.

Le « Patron » du gamin avait le bijou rouge sur le front, bien sûr. Et aussi la cicatrice sur son visage. Ces deux choses avaient même l’air assez convaincantes. Mais il s’était trompé sur des détails fondamentaux.

« Sniff… »

À ce moment-là, un aventurier anonyme avait laissé échapper le premier rire de l’après-midi.

« Hé, c’est quoi ton problème !? » cria férocement le garçon, se tournant dans la direction du son.

« Ai-je dit quelque chose de drôle, voyou !? »

C’était trop ridicule. Les rires étouffés avaient commencé à se répandre dans la foule. Après un long moment, quelqu’un avait finalement offert une réponse.

« Sniff… Héhé. Juste un conseil, gamin… les Superds ont les cheveux verts… »

Avec cela, une explosion d’hilarité remplit la salle de la guilde d’un bout à l’autre.

◇ ◇ ◇

À en juger par les éclats de rire qui nous secouaient de tous côtés, notre numéro avait bien démarré.

Au premier coup d’œil, la guilde des aventuriers semblait être un endroit encore plus difficile que ce à quoi je m’attendais. La foule était incroyablement diversifiée, même si c’était probablement typique de n’importe quel lieu de rassemblement aussi profond dans le Continent Démon. J’avais remarqué un homme avec une tête de cheval, un type avec les bras du genre faux d’une mante religieuse, une femme avec des ailes de papillon, et une fille qui avait la forme d’un serpent de la taille vers le bas. Ils étaient pour la plupart d’apparence humaine, mais il y avait toujours au moins une caractéristique étonnamment inhabituelle à trouver. Même les gens qui n’avaient pas de parties de corps d’animaux n’étaient pas des êtres humains normaux. J’avais vu des gens avec des épines pointues qui poussaient sur leurs épaules, et d’autres avec une peau totalement bleue, il y en avait même quelques-uns avec quatre bras ou deux têtes. D’après ce que je voyais, les Migurds et les Superds étaient probablement les démons les plus humanoïdes, en termes d’apparence.

« Stupides crétins ! Ne vous moquez pas de notre boss ! Il a abattu toute une bande de monstres qui nous attaquaient dans les terrains sauvages… tout seul ! »

Plutôt que de broncher sous l’œil attentif de la foule, je m’étais aventuré plus loin dans le hall, essayant d’agir avec une furie convaincante.

« Vous entendez ça, les gars ? Dead End sauve des enfants perdus apparemment ! »

« Ahahahah ! Merde, je ne savais pas qu’il était si tendre ! »

« Sérieusement ? Peut-être qu’il viendra sauver mon bacon un jour aussi ! Gahahaha ! »

Normalement, j'aurai bloqué face à toutes ces moqueries, mais cette fois, ça ne m’atteignait pas vraiment. Était-ce parce que je ne jouais qu’un rôle ? Parce que la foule autour de moi était si… surréaliste ? Ou peut-être… que je devenais un être humain plus confiant ?

Non, ne nous emballons pas.

Ils se moquaient surtout de Ruijerd, pas de moi. Il n’y avait aucune raison de me féliciter jusqu’à ce que je puisse me défaire de la cruauté qui me visait.

Un rapide tour d’horizon de la pièce m’avait permis de constater que personne ne soupçonnait Ruijerd d’être un véritable Superd. Cela signifiait qu’il était temps pour moi de sortir la scène A, l’un des morceaux de dialogue que nous avions préparés.

« J’en ai assez de ces crétins ! Allez, boss, donne-leur une leçon ! »

« Hmph… Laisse les idiots rire s’ils le veulent. »

D’ailleurs, nous avions aussi répété une scène B, au cas où il n’y aurait pas eu de rires avant.

« Laisse ces idiots rirent… Oh mec, quel dur à cuire ! »

« Bordel de merde, il se comporte déjà comme un gros bonnet ! »

« Gahaha ! Pauvre gars ! Je veux presque m’excuser… »

Tu serais probablement en train de t’excuser si tu savais la vérité, mec. Et avec des larmes qui couleraient sur ton visage.

« Hmph ! Bande d’idiots, vous avez de la chance que notre patron ait un si grand cœur ! » avais-je annoncé, puis m’étais rapidement tourné pour examiner la pièce.

À notre gauche, il y avait un énorme tableau d’affichage recouvert de morceaux de papier. À notre droite, il y avait quatre comptoirs en bois, occupés par une poignée de commis qui nous regardaient avec étonnement. Ça ressemblait à notre destination initiale.

Je m’étais dirigé avec confiance vers le côté droit du hall d’entrée avec mes compagnons me suivant… pour me rendre compte qu’ils utilisaient de sacrés comptoirs assez hauts.

J’avais fait un signe de tête à Ruijerd, celui-ci m’avait rapidement hissé.

« Hé, toi là-bas ! Nous voulons nous inscrire comme aventuriers ! »

J’avais délibérément parlé assez fort pour que toute la foule entende. Il y avait eu une autre explosion de rires immédiats.

« Dead End est un putain de débutant, hein !? »

« Hack, wheeze… Agh, mon estomac me fait mal ! »

« Oh mec ! Vais-je devoir montrer les ficelles du métier à Dead End !? »

« Ça, c’est quelque chose que je vais écrire à la maison ! »

Ok, je pense que s’en est assez pour l’instant.

« Vous allez la fermer !? Je n’entends pas le greffier ! »

Après que je leur aie crié dessus, la foule commença à se calmer, bien que les sourires sur leurs visages ne montraient aucun signe d’atténuation.

« Bien sûr, petit. Pas de problème… »

« Il faut faire attention aux règlement et tout, hein… ? Rire… »

« Hehehehe... »

J’entendais encore des ricanements silencieux derrière mon dos, mais ce n’était pas vraiment un problème.

Pour l’instant, tout allait bien.

◇ ◇ ◇

Ainsi, après environ quarante-quatre ans de lutte acharnée, j’avais finalement réalisé mon rêve de longue date : mettre les pieds dans un bureau de placement… en quelque sorte.

J’avais dans ma manche mes « références » de magicien d’eau de rang saint, un nouveau compagnon de confiance qui n’avait pas travaillé depuis des siècles à mes côtés, et une petite femme un peu gâtée derrière moi pour laquelle je devais subvenir à ses besoins. Au bout du compte, un homme doit travailler s’il veut manger…

Mais de toute façon. Commençons tout de suite.

« Je suis désolé pour l’agitation, mademoiselle. Pouvez-vous nous aider ? »

La commis de l’autre côté du comptoir, en face de moi, avait les cheveux oranges et une paire de crocs frappants dépassant de sa bouche. Son haut présentait un assez gros décolleté, et il se trouvait qu’elle avait trois seins, ce qui signifie un double décolleté. Quelle innovation efficace !

« Hein ? Oh, bien sûr. Vous voulez… vous inscrire comme aventuriers, c’est ça ? »

La greffière semblait un peu décontenancée par mon ton qui devenait soudainement beaucoup plus poli. Pourtant, il n’était probablement pas sage d’essayer de maintenir l’acte de belligérance éternellement, il serait beaucoup trop facile de faire une erreur et de me trahir à un moment donné. Elle supposerait que j’avais juste essayé de montrer à la foule que je n’étais pas une fripouille.

« C’est exact. En fait, on est totalement novice sur ce sujet. »

« Dans ce cas, pourriez-vous commencer par remplir ces formulaires ? »

La greffière, qui se tenait sous le comptoir, récupéra trois feuilles de papier et trois minces bâtonnets de charbon de bois, qu’elle m’avait remis. Les formulaires étaient tous identiques. Il y avait une ligne pour votre nom, une ligne pour votre profession et un texte décrivant la guilde et résumant ses règles.

« Je peux le lire à haute voix pour vous, si vous ne pouvez pas le lire vous-même », déclara la greffière, au moment même où je commençais à me demander comment un guerrier analphabète d’un village de campagne allait faire face à tout cela.

« Merci, mais cela devrait aller. »

J’avais pris l’un des formulaires et je l’avais lu à voix haute dans la langue humaine pour qu’Éris puisse comprendre.

◇ ◇ ◇

  1. Utilisation de la guilde des aventuriers

L’inscription auprès de la Guilde des aventuriers (« la guilde ») vous donne droit à l’utilisation de ses services.

  1. Services de la Guilde

Les aventuriers inscrits peuvent se rendre dans n’importe laquelle de nos succursales, situées dans le monde entier, pour accepter des emplois, être payés pour le travail accompli, vendre des matières premières et échanger des devises.

  1. Votre dossier d’inscription

Toutes les informations relatives à votre inscription à la guilde seront enregistrées exclusivement sur votre Carte d’Aventurier, dont vous êtes personnellement responsable.

Si votre carte est perdue ou détruite, une nouvelle carte peut être émise. Cependant, votre rang sera réinitialisé à F, et des frais spécifiques à la région vous seront imposés.

  1. Quitter la guilde

Les aventuriers inscrits peuvent se retirer de la guilde dans n’importe quelle succursale.

La réinscription à une date ultérieure est permise, mais votre rang sera rétabli à F.

  1. Conduite interdite

Il est strictement interdit aux aventuriers de :

  • Violer des lois locales

  • De mener toute action portant gravement atteinte à la réputation de la guilde

  • D’entraver un autre aventurier dans l’exécution de ses tâches

  • D’acheter ou de vendre des emplois de guilde

Toute violation de cette politique entraînera l’imposition d’une amende et la révocation de votre statut d’aventurier.

  1. Rupture de contrat

Tout aventurier ne parvenant pas à terminer un travail qu’il entreprend est tenu de payer un cinquième de la récompense indiquée à titre de pénalité pour rupture de contrat.

Cette taxe doit être payée en totalité dans un délai de six mois. Le défaut de paiement dans ce délai entraînera la révocation de votre statut d’aventurier.

  1. Rang

Les aventuriers sont classés en sept niveaux en fonction de leur expérience et de leurs capacités, en commençant par le rang F jusqu’à atteindre le rang S. En règle générale, les aventuriers ne peuvent entreprendre des emplois cotés qu’à un seul grade de leur rang actuel.

  1. Promotion/Rétrogradation

En remplissant un nombre prédéfini d’emplois (en fonction de leur rang actuel), les aventuriers peuvent obtenir une promotion à un rang supérieur.

Si un aventurier ne se sent pas prêt à prendre un rang plus élevé, il peut refuser une promotion.

De plus, le fait de ne pas remplir un certain nombre d’emplois consécutifs peut entraîner une rétrogradation à un grade inférieur.

  1. Obligation et responsabilité

Si les autorités locales demandent de l’aide en cas d’attaque de monstre ou d’une crise similaire, tous les aventuriers sont obligés d’offrir leur aide.

De plus, les aventuriers sont tenus d’obéir aux ordres de leur guilde locale en cas d’urgence.

***

Partie 2

Je venais juste de lire la moitié de la liste qu’Éris en avait de plus en plus marre. Ce genre de lecture rigide et formelle n’était pas vraiment son point fort. Je n’avais également pas beaucoup aimé ça, mais ce truc me semblait important. Je n’avais pas encore remarqué de problèmes particuliers, mais…

« Euh, mademoiselle ? J’ai une question… »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Pouvons-nous remplir ce formulaire dans une autre langue ? »

« Une autre langue ? Comme… ? »

« La langue humaine, peut-être ? »

« Ah. Dans ce cas, ce ne sera pas un problème. »

D’après sa première clause, cela aurait pu être un problème si nous avions voulu utiliser un langage plus inhabituel. Bien évidemment, le japonais était définitivement proscrit. J’avais décidé d’opter pour la langue du Dieu Démon, cela m’avait semblé une bonne idée. Je pourrais leur donner l’impression que j’étais une sorte de démon à l’air juvénile, plutôt qu’un enfant humain.

« Vas-y, Éris. Tu devrais aussi remplir le tien. »

J’aurais probablement pu le faire pour elle, mais il était généralement préférable de signer personnellement des documents comme celui-ci.

Quoi qu’il en soit, toutes les conversations à l’intérieur de la guilde jusqu’à présent avaient eu lieu dans la langue du Dieu Démon. C’était probablement la seule raison pour laquelle Éris avait fait une moue silencieuse au lieu d’entrer dans la foule. Si elle avait vraiment compris ce qu’ils disaient, elle aurait pu sortir son épée afin de s’occuper de quelqu’un.

« Ce n’est pas qu’on ait l’intention de le faire, mais… que se passerait-il si on utilisait un faux nom là-dessus ? »

« Nous n’avons pas de règles particulières à ce sujet. Utilisez n’importe quel nom que vous voulez enregistrer. »

« Les criminels ne s’inscrivent pas sous des pseudonymes inventés ? »

« Eh bien, la définition d’un “criminel” n’est pas la même sur le Continent Démon que dans d’autres endroits. Tant que quelqu’un ne cause pas d’ennuis à la guilde, ce n’est pas vraiment un problème. Cependant, si vous êtes dépouillé de votre statut d’aventurier, il vous sera impossible de vous réinscrire… au moins sur ce continent. »

« Ça semble très… indulgent. »

« Ça nous cause des problèmes, c’est sûr. Mais beaucoup de personnes sur ce continent n’ont pas été nommées à la naissance, et une politique plus stricte les empêcherait de s’enregistrer. »

Intéressant. On aurait dit que la Guilde de ce continent avait un certain degré d’indépendance par rapport à l’organisation plus large si elle pouvait établir ses propres politiques de cette façon. J’avais imaginé toute cette histoire de « Royce » au cas où ils ne laisseraient pas s’enregistrer sous le nom de Superd, mais il semblerait que cela ne posait pas de problème.

« Si je m’inscris ici et que je me rends sur un autre continent, devrai-je me réinscrire auprès de la guilde là-bas ? »

« Ce ne sera pas nécessaire. »

Je m’en doutais, mais c’est bon à savoir.

« Si vous avez fini avec ce formulaire, posez votre main là-dessus. »

Cette fois, la greffière avait sorti un tableau transparent de la taille et de la forme d’une boîte de jeu érotique, avec un cercle magique gravé en son centre. Je pouvais voir une petite carte en métal sous sa surface.

Hmm. Qu’est-ce que c’est que tout ça ?

« Comme ça ? »

Tandis que j’appuyais ma main à plat contre le centre de la plaque, la greffière appuya sur le bouton sur son bord le plus éloigné.

« Nom, Rudeus Greyrat. Profession, Magicien. Rang F. »

Après avoir lu le contenu de mon formulaire d’une voix plate et régulière, elle appuya une seconde fois sur le bouton, et le cercle magique s’alluma légèrement en rouge pendant un court instant.

« La voilà. C’est votre carte d’aventurier. »

La carte en métal d’apparence ordinaire était maintenant marquée de lettres à peine brillantes :

Pour une raison quelconque, tout était écrit dans la langue humaine.

Ah, je vois. C’est une sorte de presse à imprimer magique, hein ? Hmm. Ne serait-il pas vraiment pratique de l’utiliser aussi pour les livres ? S’ils en avaient dans des établissements publics comme celui-ci, je me demandais pourquoi ils n’y en avaient pas partout…

D’un autre côté, peut-être que la plaque supérieure et la carte elle-même étaient aussi des objets spéciaux. On aurait dit que la greffière avait entré manuellement mon nom, mon grade et ma profession, mais l’appareil semblait avoir détecté ma race, mon âge et mon sexe à partir de ma main. C’était un peu dommage en fait. J’aurais voulu cacher le fait que j’étais un humain. Eh bien, peu importe. Je n’aurais qu’à m’y faire.

Pendant une seconde, j’avais sérieusement craint que cette chose puisse révéler que Ruijerd était vraiment un Superd, mais sa carte était accompagnée du mot vague « Démon ». C’était définitivement un soulagement. L’appareil avait exposé son âge réel, mais la greffière semblait l’accepter avec enthousiasme. Peut-être que les durées de vies absurdement longues n’étaient pas si rares chez les démons.

Le nom « Ruijerd Superdia » n’avait pas beaucoup entraîné de réactions. Elle avait probablement supposé que c’était un pseudonyme. En le disant grossièrement… Je lui avais juste dit qu’on n’avait pas l’intention de les utiliser. Mais peut-être que ce n’était pas de notoriété publique que le vrai nom de Dead End était « Ruijerd. » J’avais entendu les mots « Dead End » par-ci par-là, mais pas son vrai nom.

D’ailleurs, sa carte était écrite dans la langue du Dieu Démon…

Mais celle d’Éris avait aussi été écrite dans la langue humaine.

« Y a-t-il une raison pour que sa carte soit dans une langue différente de la nôtre, mademoiselle ? »

« Oui. Ça change en fonction de votre race. »

Ah. Donc les humains ont la langue humaine par défaut, quoi qu’il arrive.

« Que se passe-t-il si vous êtes métis ? »

« Parfois, il peut utiliser un peu des deux langues, mais typiquement, il vous épinglerait dans la race d’où viennent le plus grand nombre de vos ancêtres. »

« Hmm. Mais si vous êtes un humain qui ne peut parler que la langue du Dieu Démon ou quelque chose comme ça ? »

« Dans ce cas, vous pouvez poser votre doigt contre le centre de la carte et dire le nom de la langue que vous préférez. »

Pour l’essayer, j’avais posé mon doigt sur ma carte et j’ai dit : « Langue du Dieu Bestial. »

Les mots sur ma carte changèrent instantanément.

C’est plutôt amusant. « Langue du Dieu démon. Langue de Dieu Combattant… »

« Essayez de ne pas le faire trop souvent. Vous utiliserez l’énergie magique de la carte plus rapidement. », s’exclama la greffière.

« Et s’il n’y en a plus ? »

« Vous aurez besoin de le faire recharger dans une filiale de la guilde. »

Donc la carte elle-même était certainement un instrument magique. Il devait probablement y avoir quelque chose comme un minuscule cristal à l’intérieur.

« Les informations enregistrées disparaîtraient-elles ? »

« Non, heureusement. »

« Si vous continuez à utiliser la même carte pendant longtemps, la batterie se décharge-t-elle plus vite ? »

« La batterie… ? Si vous parlez de son énergie magique, alors non. L’approvisionnement peut tenir pendant environ un an, mais nous la réapprovisionnerons chaque fois que vous vous arrêterez pour signaler une tâche achevée, de sorte qu’elle ne sera généralement jamais à sec. »

« Combien coûte ce service ? »

« Eh bien, ce service n’engendrera aucuns frais… »

OK, alors pourquoi m’as-tu grondé pour avoir joué avec ça ? Hmm. Peut-être que les gens étaient connus pour se précipiter et crier après les employés quand leurs cartes manquaient de jus ? Les emplois du service relation client étaient toujours nuls, peu importe dans quel monde tu te trouvais.

« D’accord, j’ai compris. Je ferai plus attention à partir de maintenant. »

Je ne savais pas vraiment qui avait pu inventer ces choses, mais c’était un petit système intéressant. J’avais l’impression qu’il y avait probablement toutes sortes d’autres applications pour les outils magiques « rechargeables »… Mais peut-être que la guilde monopolisait la technologie ?

Ah eh bien. Inutile d’y penser maintenant.

« Hehe... »

Pendant ce temps, Éris regardait depuis un certain temps déjà sa petite carte avec un grand sourire sur son visage.

Je sais que tu es heureuse, mais ne perds pas ce truc, d’accord ?

« Voudriez-vous aussi enregistrer un groupe ? », demanda la greffière.

« Un groupe ? Oh ! Oui. S’il vous plaît. »

D’une façon ou d’une autre, cette partie m’avait complètement échappé, probablement parce qu’il n’y avait rien à ce sujet dans les documents initiaux. Dès le début, nous avions l’intention de nous organiser en groupe. Mais…

« Avant ça, pourriez-vous nous donner un aperçu du système des groupes ? »

D’un signe de tête poli, la greffière commença à expliquer les petits détails :

  • Un groupe peut compter un maximum de sept membres.

  • Seuls les aventuriers au plus d’un rang du chef du groupe peuvent s’y joindre.

  • Le rang de votre groupe est la moyenne des rangs de tous ses membres.

  • Dans le but d’obtenir une promotion, tous les membres du groupe reçoivent un crédit pour tout travail accompli en tant que groupe.

  • Les membres individuels du groupe peuvent toujours occuper d’autres emplois, indépendamment du groupe.

  • Pour se joindre à un groupe, il faut l’approbation du chef du groupe et de la guilde.

  • Pour quitter un groupe, il suffit d’obtenir l’approbation de la guilde.

  • Le chef du groupe a le droit d’expulser tout membre de son groupe.

  • Si le chef du groupe meurt, son groupe est automatiquement dissous.

  • Deux ou plusieurs groupes peuvent s’unir pour former un clan.

  • Les clans les plus performants sont éligibles pour recevoir une variété de récompenses spéciales de la guilde.

Les détails relatifs aux clans ne semblaient pas particulièrement pertinents pour le moment. Nous allions être un groupe agissant à petite échelle dans l’immédiat.

« Alors, quel nom voulez-vous utiliser pour votre groupe ? »

« Nous le nommerons Dead End. »

Le visage de la greffière avait un peu tremblé, mais elle avait réussi à retrouver le sourire en un rien de temps. Cette femme était clairement une pro.

« Très bien. Donnez-moi vos cartes un instant, s’il vous plaît. »

Nous avions repris les cartes que nous venions de ranger et nous les avons remises à la greffière de l’autre côté du comptoir. Elle s’était mise à l’arrière pendant un moment, puis elle est revenue.

« Et voilà. S’il vous plaît, assurez-vous que tout est en ordre. »

J’avais regardé ma carte et je vis qu’une nouvelle ligne avait été ajoutée en bas :

Groupe : Dead End (F)

Le « F » était probablement le rang de notre groupe.

Pour une raison quelconque, c’était un peu gênant de voir les mots « Dead End » écrits comme ça. Cela semblait intimidant quand vous le disiez à haute voix, mais c’était certainement une histoire différente quand ce n’était qu’écrit.

« À ce stade, nous avons terminé le processus d’inscription. Félicitations. »

« Merci pour votre temps, mademoiselle. »

« Si vous voulez faire un travail, il vous suffit d’arracher le papier du tableau et de l’apporter à nos comptoirs de réception. »

« Compris. »

« Aussi, nous nous occupons des achats derrière l’immeuble, donc assurez-vous d’y retourner quand vous aurez quelque chose à vendre. »

« Dehors, derrière. Compris. Merci. »

Phew. Au moins, on en avait fini avec la paperasse…

***

Partie 3

Une fois notre inscription terminée, nous nous étions tous les trois dirigés vers le tableau d’affichage pour y jeter un coup d’œil. Malheureusement, cela signifiait que nous devions nous frayer un chemin à travers un paquet d’aventuriers souriants. Presque tout le monde nous regardait comme si nous étions une bande de singes dans un zoo. Mais il y en avait quelques-uns dans la foule qui semblait plus hostiles qu’amusés. C’était ceux-là qu’il fallait que je surveille.

J’avais dit à Ruijerd qu’il avait le droit d’abandonner s’il le fallait, mais je n’attendais pas grand-chose de sa part en tant qu’acteur. Il n’y avait aucune garantie que nous pourrions tourner les problèmes à notre avantage comme je le voulais. Tout compte fait, je ne voulais pas me battre aujourd’hui.

« Euh… »

Tout d’un coup, une jambe s’était étirée de l’autre côté de l’allée où nous descendions. La cuisse en question appartenait à une grenouille… ou à un homme grenouille. Il avait un corps bleu avec des taches noires et le visage le plus suffisant que je n’avais jamais vu. Ses joues bombées se gonflaient et se dégonflaient rapidement, il était évident qu’il réfrénait son envie de rire.

Le type nous invitait à trébucher sur sa jambe ou quoi ? Cela m’avait rappelé des souvenirs désagréables, mais je les avais poussés hors de mon esprit tout en marchant prudemment sur l’obstacle.

« Gyahahahahaha ! »

« Eeheeheeheeheehee ! »

« Ghuh, ghuh, ghuh, ghuh ! »

Pour une raison ou une autre, tout le monde autour de moi éclata de rire. J’avais légèrement bronché devant le bruit, ce qui ne faisait que les faire rire plus fort. Reste calme. Ce n’est pas grand-chose. Ils allaient se moquer de toi, quoi que tu fasses. J’avais vécu exactement la même chose dans ma vie antérieure. C’était de l’intimidation à l’emporte-pièce classique.

Suivant mon exemple, Éris essaya de passer par-dessus la jambe de l’homme-grenouille, mais il l’avait soudainement secoué vers le haut, la touchant par le bout de ses orteils.

« Gah ! » 

Éris s’élança en avant, mais réussi à se rattraper au dernier moment en frappant violemment son pied contre le sol. Bien sûr, cela provoqua des rires plus bruyants de la part de tout le monde dans les environs.

Son visage rouge vif, Éris fixa furieusement la grenouille, avec ses poings fermés et ses dents grinçantes.

« Ooh. Je suis vraiment désolé, gamine ! Mes jambes sont si longues et minces que je peux à peine les contrôler ! »

L’homme s’était en quelque sorte excusé. Mais elle n’en avait pas compris un mot. Merde. Est-ce que ça va se transformer en bagarre ? Si elle donne le premier coup de poing, les choses peuvent vite dégénérer…

Mais à ma grande surprise, Éris renifla hautainement, retourna sur ses talons et s’approcha pour me rejoindre. Son visage était terrible à voir, mais elle avait réussi à se contrôler. Éris, brave fille ! Bien joué, tu as montré que tu étais la seule adulte de la pièce ! Je te donne le prix de la combativité ! Tu viens de recevoir 100 points bonus !

Malheureusement, c’était maintenant au tour de Ruijerd d’affronter la menace de la patte de grenouille. Tendre sa jambe comme ça lui avait permis de bloquer le chemin, comme elles étaient longues et maigres. Devrait-il vraiment s’aventurer dehors avec de tels bâtons comme jambes ? Peut-être que cela lui avait permis de sauter très haut ou quelque chose du genre… ?

Concentre-toi, s’il te plaît. Qu’est-ce que Ruijerd va faire ici ?

Levant le pied en l’air, Ruijerd commença à franchir l’obstacle sur son chemin. Comme avec Éris, l’homme grenouille secoua la jambe pour le faire trébucher…

« Qu-quoi !? »

Celui qui avait fait la chute fut notre ami visqueux, et non Ruijerd. Celui-ci avait glissé un pied sous la jambe de la grenouille lorsqu’il l’avait soulevée, puis il donna un coup de pied pour le déséquilibrer complètement. Retombant de sa chaise, l’homme avait atterri à plat sur le ventre dans la pose classique de la grenouille écrasée.

Une fois de plus, tout le monde autour de nous éclata de rire.

« Ghuh, ghuhuhuhuhuh ! »

« Cette manière de se faire renverser par un novice, mec ! »

« C’est ce qui arrive quand on s’en prend à un Superd ! Hilarant ! »

Le visage bleu vif de l’homme grenouille changea immédiatement de couleur pour une nuance de rouge vif. Très intéressant. Avait-il vraiment du sang froid ?

« Bâtard ! »

Sautant sur ses pieds d’une manière très grenouille, notre nouvel ami sorti un couteau de sa hanche et le pointa de façon menaçante vers Ruijerd.

Hein ? Sérieusement ? Veux-tu vraiment faire un combat à la vie à la mort pour ça ?

« T’as du culot de te foutre de moi comme ça, mon pote ! »

« … Tu devrais reculer maintenant, si tu sais ce qui est bon pour toi. »

Ruijerd. S’il te plaît. C’est ce qu’on dit quand on veut se battre. Ce type a un couteau, non ? C’est un peu… Hmm. Cela peut encore être qualifié comme un bout de ferraille ? Juste à peine… ?

« Hé. Allez, Perutko. Laisse tomber. »

Un homme à tête de cheval sorti soudainement de la ligne de touche pour interférer.

« S’en prendre aux débutants n’est plus à la mode depuis des années, mec. »

« Mais ce type… »

« Tu as perdu l’équilibre et tu es tombé, c’est ça ? »

« Allez, Nokopara, ce salaud est en train de me toiser… »

« Tu as perdu l’équilibre et tu es tombé. Pas vrai ? »

Quand l’homme cheval se répéta, l’homme grenouille s’arrêta, fit une pause, fit un claquement de langue amer, puis sortit directement de la guilde. La foule des spectateurs s’était rapidement désintéressée et commença à se disperser en groupes de deux ou trois.

Franchement. J’avais réfléchi à la possibilité que nous nous battions ici, mais c’était plus angoissant que prévu.

Cette crise étant passée, j’avais fait demi-tour et me dirigeais devant le tableau d’affichage de la guilde… totalement inconscient du regard sinistre d’un certain homme à la tête de cheval.

◇ ◇ ◇

Le tableau était entièrement recouvert de dizaines de feuilles de papier. Il y avait une montagne de travail à faire apparemment.

En tant que nouveau groupe, cependant, nous ne pouvions accepter que des emplois classés F ou E, et il n’y avait pas de quêtes particulièrement épiques dans ces catégories. La majorité d’entre elles n’étaient que des petits boulots dans la ville, comme organiser un entrepôt, aider dans la cuisine de quelqu’un, tenir la comptabilité de base, chercher un animal perdu, et exterminer les insectes.

Aucune d’entre elles ne semblait particulièrement difficile, mais les récompenses étaient également faibles.

Les formulaires réels ressemblaient à ceci, par exemple :

Mission de rang : F

Mission : Organisation de l’entrepôt

Transport d’objets lourds.

Localisation :

Ville de Rikarisu, maison numéro 12, un entrepôt avec une porte rouge

Durée de la mission :

une demi-journée — journée entière

Date Limite :

Pas de date limite

Commanditaire :

Dogamu de la race des Orute

Récompenses : 

5 pièces de monnaie en pierre

Notes :

Il y a beaucoup de choses à déplacer et pas assez de mains. Quelqu’un m’aide. Plus il y a de mains, mieux c’est.

Mission de rang : F

Mission : Assistant de préparation de cuisine

Laver la vaisselle et apporter les plats.

Localisation :

Ville de Rikarisu, maison numéro 4, rez-de-chaussée

Durée de la mission :

journée complète

Date Limite :

Jusqu’à la prochaine pleine lune

Commanditaire :

Shinitora de la race des Kanade

Récompenses : 

6 pièces de monnaie en pierre

Notes :

Prendre des réservations pour les clients lorsqu’ils entrent. L’aide est nécessaire. En outre, des essais de dégustations aideraient aussi.

Mission de rang : E

Mission : Recherche d’un animal perdu

Recherche d’un animal de compagnie qui a disparu. Le capturer.

Localisation :

Ville de Rikarisu, maison numéro 2, maison de Kiribu, chambre 3

Durée de la mission :

Jusqu’à ce qu’il soit trouvé

Date Limite :

Pas de date limite

Commanditaire :

Meiseru de la race des Houga

Récompenses : 

1 pièce de ferraille

Notes :

Notre animal de compagnie a disparu et n’est pas revenu. J’ai économisé mon allocation et fait une demande d’emploi. S’il vous plaît, que quelqu’un m’aide à le retrouver.

Cela n’avait pas l’air d’être le genre de travail que vous feriez en tant que groupe. On aurait dit que les emplois de bas niveau étaient pour la plupart des « quêtes en solo ». Tout travail que nous accomplissions comptait pour nous tous dans le but d’obtenir une promotion… Aux grades inférieurs, peut-être que les gens avaient tendance à accepter tout un tas d’emplois en tant que groupe, puis à répartir le travail entre les membres.

« Eh bien, je suppose qu’on devrait commencer par quelque chose de simple et agréable… »

Pourtant, pourquoi la quête de l’animal de compagnie perdu a-t-elle un rang E ? Oh, c’est vrai. Je suppose que la ville est assez grande… Toute cette histoire de « jusqu’à ce qu’on la trouve » pourrait aussi être un peu gênante. Il y avait après tout une possibilité que l’animal soit mort. Mais cette histoire d’« argent de poche » devait signifier que la cliente était une adorable petite fille, n’est-ce pas ? Ce serait triste si personne ne l’aidait…

« Il n’y a pas de combat des dragons ou autre ? »

« Il y en a une, mais c’est de rang S. Par ici. »

« Ooh, vraiment !? Attends… Je ne peux pas lire ça. »

« Il est dit qu’un dragon errant s’est installé au nord de la ville. »

« Tu crois qu’on pourrait le tuer ? »

« Il vaut mieux ne pas essayer. Les dragons sont des ennemis redoutables. »

« C’est vrai, c’est vrai. J’ai quand même envie d’essayer de tuer quelque chose… »

« Les quêtes de chasse aux monstres commencent au rang C, j’en ai peur. »

« Il n’y en a pas de moins bien classés ? »

« C’est ce qu’il semblerait. »

« Mais j’ai entendu dire qu’il fallait commencer par combattre les gobelins et tout ça… »

« Tu ne trouveras pas de monstres aussi faibles sur ce continent. »

Pendant que je regardais les emplois de bas niveau, Éris avait une conversation quelque peu alarmante avec Ruijerd, qui s’occupait de toute la lecture pour elle. Ce type était vraiment patient, n’est-ce pas ?

« Whoa là, mes amis de Dead End ! C’est un peu, heu… heu… hehe… des tâches trop élevées pour vous les gars, n’est-ce pas ? »

Un individu s’était moqué de nous. C’était l’un de ceux de tout à l’heure et il s’était approché de nous avec un grand sourire sur son visage. C’était un homme musclé avec la tête d’un cheval… le même gars qui était intervenu pour mettre fin à ce combat il y a une minute.

J’avais vite réagi, j’avais réussi à me mettre entre lui et Éris avant qu’il ne s’approche trop.

« Occupe-toi de tes affaires ! On va prendre une quête de rang F ou E, comme on est censés le faire ! »

« Hé, calme-toi, mon pote ! Je voulais juste te donner un petit conseil, d’accord ? »

« Sans blague. Comme quoi ? »

« Tiens, tu vois ce boulot ? L’animal de compagnie perdu ? »

En me dépassant, l’homme cheval déchira le papier que j’avais regardé quelques instants auparavant.

« Oui, je l’ai vu celle-là. Ça a l’air un peu dur, vu que cette ville est si grande. »

« Huuuh ? Hé, allez, petit ! Ton patron n’est pas le seul et unique Dead End ? N’est-il pas un Superd ? »

« Et qu’est ce que cela change !? »

« Cet œil sur son front est-il là juste pour faire de la décoration ? Peu importe la taille de la ville ! Il retrouvera cette chose en une seule journée, pas de problème ! »

Oh. Maintenant que j’y pense, il marque un point. Ruijerd pouvait localiser les êtres vivants avec une précision extrême. Même si nous étions à la recherche de quelque chose comme un chat perdu, il s’en sortirait probablement très bien… Bien sûr, l’homme cheval ici présent était clairement convaincu que Ruijerd était un imposteur, ce qui voulait dire que son « conseil » réfléchi n’avait en fait pour but que de nous provoquer. Je devais réagir en conséquence.

« Tais-toi ! Laisse-nous tranquilles ! »

Il faudrait quand même que je garde à l’esprit ce boulot d’animal de compagnie disparu. C’était une bonne occasion de profiter des capacités de Ruijerd.

« Allons-y, Boss ! »

« Hm ? Ne va-t-on pas prendre de boulot ? »

« Oublie ça ! On reviendra quand il n’y aura plus cette bande d’abrutis qui attendent pour nous piéger. »

Le but de cette visite était de faire notre grande apparition et de nous faire enregistrer, j’avais seulement regardé le tableau pour avoir une idée du type d’emplois disponibles. On commencera sérieusement demain matin.

« Allez, viens. On en a fini ici. »

En quittant la guilde tous les trois, j’avais entendu un autre grand éclat de rire de l’intérieur.

« Ils rentrent chez eux sans même prendre un seul boulot !? »

« Dead End n’est pas pressée, mec ! Quel gars cool ! »

« Gyahahahahahaha ! »

Je pouvais voir la confusion sur le visage de Ruijerd. C’était difficile de lui reprocher de se demander si nous étions vraiment sur la bonne voie. En ce qui me concerne, l’après-midi avait été un succès. Les gens dans ce bâtiment riaient à l’écoute des mots Dead End au lieu de tressaillir ou de grimacer. Ce n’était pas encore la réalisation de notre objectif à long terme, mais c’était certainement un pas dans la bonne direction.

Au moins, j’en étais convaincu.

D’une façon ou d’une autre, nous étions tous les trois des aventuriers à part entière.

***

Chapitre 8 : L’auberge des aventuriers

Partie 1

Quand nous avions quitté la guilde, il commençait à faire nuit dehors. Le ciel était encore lumineux, mais les rues de Rikarisu semblaient étrangement sombres. Au bout d’une seconde, j’avais réalisé que c’était un effet secondaire de son emplacement, les hauts murs du cratère avaient jeté la ville dans l’ombre bien avant que le soleil ne se couche réellement. Il fera nuit noire en un rien de temps.

« Je suppose qu’on devrait trouver une auberge tout de suite. »

Éris me regarda d’un air perplexe.

« Ne peut-on pas camper à l’extérieur de la ville ? »

« Oh, allez. Autant passer une bonne nuit de sommeil dans un vrai lit quand on est en ville, non ? »

« Tu crois ? »

D’une façon ou d’une autre, Ruijerd ne semblait pas avoir d’opinion. Quand nous campions dehors, il s’occupait souvent tout seul de la garde de nuit, car il pouvait sentir s’il y avait des ennemis en approche même quand il était à moitié endormi. Je m’étais réveillé quelques fois au milieu de la nuit au son d’une explosion, pour me rendre compte que Ruijerd venait de découper un malheureux monstre. Ce n’était pas vraiment propice à un repos relaxant.

Quoi qu’il en soit, une auberge s’imposait. Dans un premier temps, j’étais affamé. Nous pourrions probablement acheter quelque chose en ville, mais il nous restait encore une tonne de viande séchée de l’autre jour. C’était probablement plus intelligent de terminer cela et de réduire nos dépenses pour l’instant, mais j’avais assez faim pour au moins avoir envie de m’asseoir quelque part et de me goinfrer en paix.

« Hé, Rudeus ! Regarde ça ! »

La voix d’Éris était pleine d’excitation. Curieux de savoir ce qu’elle avait vu, je levais les yeux pour constater que les parois intérieures du cratère avaient commencé à briller faiblement, la lumière semblait arriver à la seconde.

« C’est incroyable ! Je n’ai jamais rien vu de tel ! »

Au coucher du soleil, les murs du cratère illuminaient brillamment les bâtiments de pierre et d’argile de la ville. C’était comme si on était tombés dans un parc d’attractions éclairé.

« Wôw. C’est vraiment quelque chose, n’est-ce pas ? »

Bien sûr, j’avais passé ma vie antérieure dans un endroit qui ne s’était jamais complètement obscurci à aucun moment, donc je n’étais pas aussi impressionné qu’Éris. C’était tout de même un spectacle magique. Pourquoi les murs brillaient-ils comme ça ?

« Ah. Ce sont les systèmes d’éclairage. »

« Hm ? Tu sais quelque chose, Raiden ? »

« Raiden ? C’est qui, lui ? Hm. Y avait-il un Dieu de l’épée avec ce nom il y a quelques générations… ? »

Naturellement, la référence était totalement inconnue pour Ruijerd. Il n’y avait probablement pas une seule personne dans ce monde qui l’aurait compris. C’est un peu déprimant.

« Désolé. Je connaissais quelqu’un de ce nom, et il connaissait toutes sortes de choses bizarres, alors… C’était juste un lapsus. »

« Je vois. »

Ruijerd s’était penché vers moi et m’avait tapoté doucement la tête, comme un homme réconfortant un enfant qui se souvient d’un parent décédé.

Pour info, Raiden n’est pas le nom de mon père. Mon père s’appelle Pat ou Pablo ou quelque chose comme ça. Un père plutôt décent, un être humain plutôt merdique.

« Bref, c’est quoi ces trucs illuminateurs ? »

« C’est une variété de pierres magiques. »

« Comment ça marche ? »

« Ils absorbent la lumière pendant la journée, puis la libèrent comme ça une fois qu’il fait sombre. Ils brillent cependant moins de la moitié du temps que dure la journée. »

Il s’agissait donc essentiellement de lampes à énergie solaire ? Je n’avais rien vu de tel à Asura. Il était surprenant qu’ils n’eussent pas été utilisés à plus grande échelle, compte tenu de leur aspect pratique.

« Alors pourquoi les gens n’utilisent-ils pas ça partout ? »

« Pour la simple raison que ces pierres sont plutôt rares. »

« On dirait qu’ils en ont plein ici… »

Il avait fallu un grand nombre de ces choses pour éclairer une ville entière comme celle-ci, n’est-ce pas ?

« La Grande Impératrice Démoniaque les aurait fait venir ici au plus fort de son pouvoir. Tu vois ça là-bas ? »

Ruijerd désigna la forteresse brisée au centre de la ville, qui brillait légèrement à la lumière des pierres.

« C’était pour que son château brille dans la nuit. »

« Wôw. Ça semble un peu… excessif. »

Une image de l’Impératrice Démoniaque m’était venue spontanément à l’esprit. C’était Éris dans une tenue dominatrice, criant : « Plus de lumière ! J’ai besoin de plus de lumière, pour que le monde connaisse ma beauté ! »

« Personne n’essaie de les voler ? »

« J’ai entendu dire que c’est interdit, mais je ne connais pas les détails. »

C’est vrai. C’était aussi la première fois que Ruijerd venait à Rikarisu. Les pierres semblaient être placées assez haut sur les murs du cratère, alors c’était peut-être difficile de s’y rendre à moins de pouvoir voler.

« À l’époque, le projet a été largement condamné comme un gaspillage égoïste, mais je suppose qu’au final il s’est avéré utile. »

« Peut-être que l’Impératrice l’a fait pour le bien de ses citoyens. »

« J’en doute fortement. Cette femme était tristement célèbre pour sa décadence et sa complaisance. »

Ooh. J’aime le son de ces mots. Si cette dame est encore en vie quelque part, j’aimerais la rencontrer. On parle bien d’une succube sexy, là.

« Hé, parfois la vérité est plus étrange que la fiction, non ? »

« Est-ce une sorte de proverbe humain ? »

« Ouaip. Penses-y de cette façon. Les Superd n’ont pas une bonne réputation non plus, mais ce sont des gens bienveillants, n’est-ce pas ? »

Ruijerd me tapota affectueusement la tête. Je n’étais pas sûr de ce que je ressentais à l’idée d’être caressé comme ça à mon âge, mais… réfléchissons un peu, d’accord ? Oui, j’avais la quarantaine, mentalement parlant. Mais ce type avait 560 ans. Il suffit de couper un chiffre si c’est trop difficile de s’y faire. Maintenant, nous avons l’équivalent d’un enfant de quatre ans caressé par un enfant de cinquante-six ans. C’est agréable et réconfortant, non ?

« Hé, Rudeus ! Pourquoi n’irions-nous pas voir cet endroit ? », dit Éris, pointant du doigt le château en ruines, noir de jais, qui avait une mine sinistre dans le ciel nocturne.

« Pas ce soir, Éris. Trouvons une auberge. », lui avais-je répondu

« Oh, allez ! On peut juste jeter un petit coup d’œil ! »

Eh bien, maintenant je l’ai fait bouder. C’était assez charmant pour être assez tenté de lui faire plaisir, mais d’après ce que Ruijerd avait dit plus tôt, cette lumière n’allait pas durer éternellement. La dernière chose dont nous avions besoin était de nous retrouver plongés dans l’obscurité totale au moment où nous atteignions le château.

« Je me sens un peu épuisé ces derniers temps, Éris. Je préférerais aller dans une auberge. »

« Hein ? Tu vas bien ? »

Je ne mentais pas. C’est probablement dû au fait que je n’avais pas l’habitude de voyager, mais je me sentais un peu léthargique ces derniers jours. Je pouvais encore me déplacer très bien pendant un combat, donc ça n’avait pas encore été un problème majeur. Pourtant, il semblerait que je me fatigue plus vite que d’habitude. Peut-être que le stress m’atteignait.

« Je vais bien, Éris. Ce n’est rien de trop grave. »

« Vraiment ? Bon, d’accord… Je suppose que je vais devoir être patiente. »

C’est une phrase que je ne m’attendais pas à entendre de la part de Mlle Éris Boreas Greyrat. La fille avait vraiment fait beaucoup de chemin ces dernières années, pas vrai ?

◇ ◇ ◇

Nous nous étions installés dans un endroit appelé auberge Wolfclaw. Il y avait au total douze chambres et le tarif était de cinq pièces de monnaie en pierre par nuit. Le bâtiment lui-même avait connu des jours meilleurs, mais ils accueillaient ouvertement les aventuriers débutants, et le prix était certainement juste. Pour une pièce de monnaie en pierre supplémentaire, ils fournissaient les repas du matin et du soir, et si vous étiez un groupe d’aventuriers avec plus de deux personnes dans une seule chambre, ils renonçaient complètement à ces frais. Dans le cadre de cette stratégie favorable aux débutants, le taux était demeuré le même, peu importe le nombre de lits que vous aviez utilisés.

Leur hall d’entrée servait également de petite taverne, avec une poignée de tables et quelques tabourets. Lorsque nous fûmes entrés, l’une des tables était occupée par un groupe de trois jeunes aventuriers, ce qui ne me semblait pas surprenant.

Bien sûr le mot « jeune » était relatif ici. Ils étaient probablement plus vieux que moi, peut-être de l’âge d’Éris. C’était tous des garçons, et tous nous regardaient fixement sans essayer de le cacher.

« Qu’est-ce qu’on fait ? », dit Ruijerd en me jetant un coup d’œil. Il demandait probablement si nous allions faire un autre spectacle.

« Ne le faisons pas », répondis-je après un moment de réflexion.

« C’est ici qu’on dort, non ? Je préfère pouvoir me détendre ici. »

On ne savait pas combien de nuits nous allions passer dans cette auberge en particulier, mais ces garçons étaient encore des enfants selon les critères de Ruijerd. Si nous restions longtemps sous le même toit, ils apprendraient naturellement que c’était un homme de cœur.

« Nous sommes trois. On sera là au moins trois jours. »

« Oui, très bien. Voulez-vous les repas ou non ? »

L’aubergiste ici n’avait pas l’air d’être des plus amical.

« Ouais. Repas inclus, s’il vous plaît. »

J’avais donné assez de pièces pour couvrir nos trois premiers jours d’avance. La nourriture gratuite était vraiment un joli bonus. Il nous restait donc une pièce de fer, trois pièces de ferraille et deux pièces de pierre… l’équivalent de 132 pièces de pierre.

« Hey, es-tu aussi une aventurière débutante ? »

Pendant que j’écoutais l’aubergiste m’expliquer les règles, l’un des nouveaux arrivants se promenait et parla à Éris. C’était un enfant aux cheveux blancs avec une corne qui sortait de son front. Vous auriez probablement pu le classer parmi les « jolis garçons » si vous vous sentiez généreux.

Les deux autres… je suppose qu’ils n’étaient pas mal non plus. L’un d’eux était un homme musclé, d’allure robuste, avec quatre bras, et l’autre avait un bec à la place de la bouche et des plumes à l’endroit où ses cheveux devraient être. Ils étaient tous relativement beaux, bien que de différentes manières. Si l’homme à la corne était un Prettymon de type normal, l’homme au quatre bras était un Prettymon de type combattant, et l’homme oiseau était un Prettymon de type volant.

« En fait, nous sommes des aventuriers novices nous-même. Veux-tu venir manger avec nous ? »

Oh wôw. En fait, il la drague. Ce petit voyou était plutôt précoce, hein ? Dommage que sa voix tremblait. C’était adorable, en quelque sorte.

« On peut probablement te donner des conseils sur le choix des boulots et tout ça, vois-tu ? »

« … Hmph. »

Comme seule réponse à l’offre du garçon, Éris détourna son visage. Bien jouée, ma fille ! Mets un terme à ce petit flirt !

Elle ne peut même pas comprendre ce qu’il dit.

« Allez, juste un moment ? Ton petit frère là-bas peut venir aussi. »

« … »

Alors que je sentais que je devais intervenir, Éris jeta un coup d’œil abrupt dans la pièce et commença à s’éloigner du garçon. J’avais bien sûr reconnu la technique. C’était quelque chose qu’elle avait appris dans les leçons d’étiquette d’Edna… un geste fondamental de l’Art d’éviter les aristocrates ennuyeux ! Alors, comment le gamin allait réagir à ça ? À ce moment-là, un gentleman ferait passer le message et s’en irait gracieusement…

« Hé, ne m’ignore pas. »

L’homme à la corne n’était manifestement pas un gentleman. Clairement irrité, il avait tendu la main et attrapa le fond du capuchon d’Éris. Le gamin tira Éris en arrière, mais elle avait assez de force dans le bas du corps pour garder son équilibre. Comme on pouvait s’y attendre d’un aventurier, il semblait lui-même relativement fort.

Malheureusement, il y avait un morceau de tissu bon marché pris au milieu de cette lutte de pouvoir. Avec un horrible bruit de déchirure, le capuchon d’Éris céda.

« … Hein ? »

Éris baissa les yeux pour voir les dégâts. Il y avait de minuscules déchirures tout le long du bord inférieur du capuchon, là où les coutures s’étaient détachées.

Je crois que je l’ai entendue craquer.

« Qu’est-ce que tu crois faire !? »

***

Partie 2

Un cri strident, assez fort pour secouer l’auberge jusqu’à ses fondations, servies de clochette de départ. En tournoyant, Éris lui envoya un uppercut à la Boreas. Ce fut un coup dur qu’elle avait appris de Sauros et perfectionné au cours de sa formation avec Ghislaine, le pauvre enfant ne l’avait jamais vu venir. Son poing lui toucha au visage, et sa tête rebroussa chemin si loin qu’il semblait presque qu’elle lui avait brisé le cou.

Le gamin tomba en tournant vers l’arrière, se cogna la nuque contre le sol avant d’instantanément s’évanouir.

J’étais un amateur total, mais même moi, je pouvais dire que ce coup avait un sérieux pouvoir destructeur en lui. On pouvait presque entendre le plus fort condamné à mort du monde murmurer : « Quel coup de poing ! » C’est bien fait pour toi, tu étais si arrogant, mec. J’espérais que le gamin avait retenu la leçon et qu’il ne ferait plus jamais rien d’aussi téméraire que de parler à Éris. Parfois, l’éducation peut être un processus douloureux.

Quoi qu’il en soit, ses deux amis allèrent probablement se ruer ici à ce moment-là. J’avais probablement besoin d’intervenir…

« Pour qui te prends-tu !? Tu as du culot de me toucher ! »

Mais à ma grande surprise, Éris n’avait pas encore fini. Cette fois, elle envoya un coup de pied Boreas… une autre technique très sophistiquée qu’elle avait apprise de Sauros et perfectionnée sous Ghislaine. Son pied heurta le plexus solaire de sa deuxième victime.

« Gah ! »

Quatre bras gémirent d’agonie et s’agenouillèrent. Éris avait rapidement enfoncé son genou dans son menton, l’envoyant en arrière.

« Hein ? Quoi ? Hein !? »

Il ne semblerait pas que l’homme oiseau ait encore complètement traité ce qui se passait, mais comme Éris se précipitait vers lui, il s’était penché par réflexe pour prendre l’épée à sa hanche. Cela semblait un peu exagéré, alors j’avais rapidement essayé d’intervenir avec la magie.

Mais il s’était avéré qu’Éris était la seule à vraiment exagérer ici. Avant même que l’homme oiseau n’ait pu tirer son arme, elle avait violemment enfoncé son poing dans son menton. Je n’avais jamais vu les yeux d’un oiseau se retourner dans sa tête auparavant, mais apparemment il y avait une première fois pour tout.

En quelques secondes, Éris avait totalement immobilisé ses trois adversaires.

Elle traqua jusqu’à l’endroit où l’homme cornu gisait inconscient et lui donna un coup de pied dans la tête comme un ballon de football. Le premier coup réveilla le garçon, mais il n’avait rien pu faire d’autre que de se recroqueviller en position fœtale. Éris continua à lui donner des coups de pied.

« C’était… le… premier… vêtement… que… Rudeus… m’a… achetée ! »

Oh mon Dieu ! Mlle Éris ! Est-ce que je compte tant que ça pour toi !? C’était juste une petite chose bon marché pour couvrir tes cheveux, tu sais… Bon sang, tu vas faire rougir ce vieil homme !

Éris donna un coup de pied au garçon sur le dos et se tendit vers le bas pour saisir l’une de ses jambes. Son visage était tordu de rage.

« Tu le regretteras jusqu’au jour de ta mort ! Je vais transformer ton truc en bouillie ! »

De quelle chose parlait-elle, vous vous demandez peut-être ? J’avais trop peur de demander.

L’homme cornu ne savait pas ce qu’elle disait, bien sûr, mais il semblait comprendre ce qu’elle avait l’intention de faire. Il s’était mis à crier des excuses, à mendier de l’aide et à essayer désespérément de s’éloigner en se tortillant. Mais ses paroles n’avaient aucun sens pour Éris, et cela n’aurait fait aucune différence de toute façon. Éris finissait toujours ce qu’elle commençait. La fille faisait toujours les choses minutieusement. Ce gosse était sur le point de subir le même sort que j’aurais pu subir trois ans plus tôt, si je n’avais pas réussi à échapper à sa colère.

« Arrête, Éris ! »

C’est alors que j’ai finalement réussi à m’interposer afin d’intervenir. Tout s’était passé si vite que j’avais été trop surpris pour réagir immédiatement.

« C’est bon, ma fille ! C’est bon ! Calme-toi ! »

« C’est quoi ton problème, Rudeus !? Pourquoi m’arrêtes-tu !? »

J’avais attrapé Éris par-derrière, mais elle se débattait encore dans mes bras, essayant de mettre le pied sur la chose du garçon. Quelle partie du garçon en particulier, pourrait-on se demander ? La réponse était trop horrible pour être envisagée.

« On peut réparer le capuchon ! Je vais te le recoudre, d’accord ? Alors, lâche-le un peu ! Tu vas beaucoup trop loin actuellement ! »

« Oh, peu importe ! Hmph ! »

Heureusement, mes supplications désespérées avaient finalement été entendues par Éris. Elle arrêta de se battre et retourna vers Ruijerd, la furie pouvait encore se voir sur son visage.

Ruijerd, soit dit en passant, était assis sur une chaise au comptoir et regardait tout cela se dérouler avec un petit sourire sur son visage.

« Ruijerd, allez ! Ne reste pas assis là la prochaine fois que ça arrivera ! »

« Hm ? Ce n’était qu’un combat d’enfants, n’est-ce pas ? »

« Ouais, mais les adultes sont censés arrêter ça ! »

Surtout quand il y a une telle différence de force…

◇ ◇ ◇

« Est-ce que ça va ? »

« Oui, je suis en pleine forme… »

Sentant un peu de sympathie pour eux malgré moi, j’avais lancé un sort de guérison sur le garçon battu et je l’avais aidé à se relever.

« Désolé pour tout ça. Elle ne peut pas parler la langue du Dieu Démon. »

« Qu’est-ce qu’elle m’a foutu la trouille… Mais de toute façon, pourquoi s’est-elle énervée ? »

« Elle n’aime pas être harcelée, et je pense que ce capuchon est très important pour elle. »

« D’accord… Euh, pourrais-tu lui dire que je suis désolé ? »

Je jetais un coup d’œil à Éris. Elle avait enlevé son capuchon et regardait l’énorme déchirure qu’il présentait tout en grinçant des dents furieusement. Elle était définitivement dans son mode « ne pardonne jamais, n’oublie jamais » en ce moment. Je ne l’avais pas vue comme ça depuis le premier jour de notre rencontre. Je m’attendais à voir des petits nuages de fumée de dessin animé sortir de ses oreilles.

« Désolé, mais si je lui parlais maintenant, je pense qu’elle me frapperait aussi. »

« Euh, wôw. Elle est mignonne, mais un peu effrayante, hein… »

Honnêtement, je pensais que la fille était devenue plus civilisée récemment, mais ce n’était peut-être qu’un numéro. C’était un peu déprimant, puisque je me vantais du chemin qu’elle avait parcouru.

« Eh bien, oui, elle est vraiment mignonne. Et c’est pourquoi tu ne devrais probablement pas lui parler à moins d’avoir une bonne raison, OK ? »

« Bien sûr… »

« Aussi, si jamais tu ressens le besoin d’essayer de te venger, je te le déconseille. Je suis intervenu aujourd’hui, car ce n’était qu’un accident, mais la prochaine fois, tu pourrais mourir. »

Pas vraiment subtil, mais je voulais m’assurer qu’il savait où était sa place.

Les yeux du garçon s’élargirent et il se frotta le nez, puis il vérifia s’il y avait des bosses à l’arrière de la tête. Après quelques instants, il semblait se calmer.

« Je m’appelle Kurt. C’est quoi ton nom ? »

« Je m’appelle Rudeus Greyrat. Oh, et voici Éris. »

À ce moment, les deux autres qu’Éris avait punis pour les méfaits de leur ami vinrent aussi se présenter. Le musclor à quatre bras se nommait Bachiro, et le vrai nom de l’homme oiseau était Gablin.

Une fois que nous avions fini d’échanger nos noms, ces deux-là avaient pris position de part et d’autre de Kurt, et le petit groupe prit une pose dramatique.

« Ensemble, nous sommes… les Coriaces du village de Tokurabu ! »

« … »

Ces gamins essayaient de faire une exclamation d’Athéna ou quoi ? Tu parles d’une nullité. Et vous vous dites « coriaces » ? Sérieusement ? Vous êtes quoi, un gang de motards d’il y a 50 ans ou quoi ? En fait, est-ce que cet endroit Tokurabu est sur toutes les cartes ?

« Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre bientôt le rang D ! On pensait qu’il était temps de trouver une fille magicienne pour compléter le groupe, vois-tu ? C’est pour ça que je suis venu. »

« Une fille magicienne… ? »

Ça n’avait pas beaucoup de sens. J’étais le seul magicien de notre groupe. Ce n’était pas comme si Éris portait une robe de sorcier ou quoi que ce soit… oh. Attends une seconde…

« As-tu supposé qu’Éris était magicienne à cause du capuchon qu’elle portait ? »

« Eh bien, oui. Seuls les magiciens portent ce genre de choses, hein ? »

« Tu sais, elle porte une épée… »

« Hein ? Oh, wôw. Tu as raison. »

Apparemment, Kurt ne l’avait même pas remarqué. Il avait l’air du genre à ne voir que ce qu’il voulait voir.

« Mais tu es magicien, non ? Je veux dire, tu peux utiliser des sorts de guérison et tout. C’est plutôt génial. »

« Ouais, en gros je ne fais que lancer des sorts. »

« Hé, alors pourquoi ne pas te joindre à nous tous les deux ? »

Attends, tu crois qu’on va rejoindre ton gang ? Sérieusement ? N’as-tu rien appris de l’épisode de tout à l’heure ?

« Juste pour que tu saches… si je m’engageais, ce type là-bas viendrait aussi. »

J’avais pointé du doigt Ruijerd, qui était occupé à donner des leçons à Éris sur un sujet ou un autre, elle avait l’air un peu boudeuse, mais elle hochait la tête à ses paroles.

« Hein ? Ce type est aussi dans ton groupe ? »

« Oh, absolument. Il s’appelle Ruijerd. »

« Ruijerd… ? Comment s’appelle ton groupe ? »

« Dead End. »

Les garçons me regardèrent d’un air perplexe et non déguisé. Ils se demandaient ce qu’ils devraient en penser.

« Est-ce vraiment une bonne idée d’utiliser un nom comme ça ? »

« Eh bien, nous avons eu l’approbation de l’homme lui-même. »

« Bien sûr… »

Ouais, je sais que ça a l’air d’une blague, mais en fait je disais réellement la vérité ici…

« C’est juste un nom, non ? Le fait est qu’Éris et moi sommes déjà pris, donc on ne peut pas vous rejoindre. »

De toute façon, il était difficile d’imaginer qu’on obtiendrait quoi que ce soit en faisant équipe avec ces enfants. On n’était pas là pour jouer à faire semblant.

« Ah ouais ? Je suppose que tu as fait le mauvais choix. Sais-tu qu’on va faire des vagues dans cette ville ? Ne viens pas nous supplier de te laisser entrer dans le groupe une fois que nous serons célèbres. »

Il est sérieux ? Il n’y avait rien de mal à ce qu’une bande de jeunes gens au visage frais se dirigeaient vers la grande ville avec la tête pleine de rêves, non ? Quand ces vétérans grisonnants seront rencontrés à la Guilde des aventuriers, ils allaient probablement accueillir ces enfants avec des sourires chaleureux et indulgents.

« Pour quelqu’un qui vient de se faire botter le cul par une gamine, tu es bien sûr de toi… »

« Hé ! Elle m’a pris par surprise, mec. »

« Vas-tu aussi sortir cette excuse quand un monstre te tendra une embuscade dans la nature ? »

« Gah... »

Ouais, je crois que j’ai gagné celle-là. Ça fait du bien, mec. Difficile de contester l’image mentale d’un Coyote Pax qui vous arrache la gorge, non ?

Je quittais les « Coriaces du village de Tokurabu » afin qu’ils soignent leur ego meurtri.

◇ ◇ ◇

Après le dîner, nous nous étions dirigés vers notre chambre, où trois lits de fourrure nous attendaient.

« Ouf… »

En soupirant doucement, j’avais pris place sur mon lit. La journée d’aujourd’hui avait été épuisante. Je n’étais pas dans la meilleure condition pour commencer, et nous avions rencontré tant de gens, entendu beaucoup de rires et enduré tant de moqueries. Même lorsque vous jouiez consciemment un rôle, ce genre de chose avait un impact sur vous.

***

Partie 3

Éris regardait par la fenêtre de notre chambre la ville qui devenait de plus en plus sombre. Ce château en ruines était assez captivant. On pourrait croire que la fille était une touriste ou quelque chose comme ça. On avait toutes sortes de choses à gérer en ce moment, n’est-ce pas ? Elle s’attendait à ce que je m’occupe de tout seul ou quoi ?

OK, c’est bon. J’avais besoin d’arrêter d’être si négatif. Éris me faisait confiance, c’était pour ça qu’elle ne pensait pas trop à ces choses en ce moment. Ce n’était pas comme si elle était une enfant gâtée. Si seulement elle arrêtait de se battre inutilement…

J’étais retombé sur mon lit, j’avais levé les yeux vers le plafond et j’avais réfléchi à ce qui allait suivre.

Le point essentiel était le suivant, nous avions besoin d’argent. Cette pièce nous coûtait quinze pièces de monnaie par nuit pour nous trois. Nous devions gagner au minimum au moins autant par jour. Mais d’après ce que j’avais vu plus tôt, les emplois de rang F étaient rémunéré environ cinq pièces de pierre, et même les emplois de rang E n’étaient payé qu’environ une pièce de ferraille. En tant qu’aventurier solitaire, vous pourriez probablement simplement vous attaquer à un emploi de rang F par jour pour couvrir le coût de votre logement, puis commencer à économiser de l’argent une fois que vous auriez un rang vous donnant droit à un travail plus lucratif. Les emplois des rangs F et E étaient principalement des petits boulots dans toute la ville, mais à partir du rang D, on commençait à recevoir plus de demandes pour recueillir du matériel, etc. Fondamentalement, le système avait été mis en place pour que vous puissiez économiser de l’argent en faisant un travail facile, puis acheter de l’équipement pour faire des tâches plus dangereuses.

C’était bien pensé, mais… nous étions trois.

Si l’on tenait compte du coût du déjeuner et des articles de tous les jours, on aurait besoin d’une vingtaine de pièces de monnaie en pierre par jour en moyenne. Si nous nous occupons d’une tâche par jour, nous nous dirigions probablement vers une perte nette de dix à quinze pièces de pierre. Et il nous en restait 132 à ce stade…

On serait fauchés en moins de deux semaines. Ce n’était pas du tout une marge suffisante. Nous devrions effectuer au moins trois travaux par jour pour ne pas être dans le rouge.

Si nous pouvions nous séparer, il serait possible de gagner plus d’une vingtaine de pièces de monnaie en pierre pour des travaux simples. Mais si nous laissions Ruijerd seul, il y avait un risque que sa véritable identité soit révélée. Et Éris ne parlait même pas la langue locale, alors elle avait du mal à se débrouiller seule. Elle avait aussi un tempérament colérique… Elle pourrait finir par se disputer avec ses clients.

Plus importants encore, nous ne pouvions pas faire passer le mot sur Ruijerd si nous ne travaillions pas en tant que groupe.

Une fois que nous nous serons classés, l’argent sera beaucoup moins un problème. Ruijerd et Éris s’occuperaient de tuer des monstres. Et une fois qu’on aura pu le faire, on sera bien financièrement en un rien de temps.

Cela dit, les emplois de ce genre étaient tous de rang C ou supérieur. En gros, si nous parvenions à atteindre le rang D dans les deux prochaines semaines environ, tout irait probablement bien. Mais ce ne serait pas possible si nous n’avions qu’une seule tâche par jour. J’avais oublié de demander combien d’emplois il fallait pour que vous puissiez être promu, mais… au minimum, la guilde ne vous laissait clairement pas gravir les échelons simplement parce que vous étiez un puissant combattant. Ils s’attendaient à ce que tout le monde progresse pas à pas.

Le fait que je ne sois pas dans la meilleure condition possible en ce moment n’aidait pas non plus. Ce n’était probablement rien de grave, mais il y avait une chance qu’Éris ou moi ayons une maladie que je ne pourrais pas guérir avec des sorts de désintoxication de base.

De plus, il était difficile de savoir combien nous devrions dépenser pour des achats irréguliers. Nous devrions par exemple continuer à acheter périodiquement de la teinture pour cheveux pour Ruijerd.

Et puis il y avait nos vêtements. On ne pouvait pas porter les mêmes éternellement. Nos tenues étaient faites de matériaux durables et de haute qualité, et ils ne prenaient pas trop de temps à nettoyer quand j’utilisais la magie pour les sécher. Mais le faire de cette façon était mauvais pour le tissu, et ils finissaient par se déchirer. Le plus tôt sera le mieux, le mieux ce sera. Ce serait bien aussi d’avoir du savon. Éris et moi venions de nous essuyer avec un chiffon imbibé d’eau chaude pendant un moment.

Il y avait probablement toutes sortes d’autres fournitures de base dont nous aurions aussi besoin. L’argent allait être un problème.

Oh, c’est vrai. Peut-être qu’on pourrait faire un prêt ou quelque chose comme ça ? Il doit bien y avoir au moins deux prêteurs sur gages quelque part dans cette ville, non ?

Non. Nous ne voulions probablement pas nous endetter si nous pouvions l’éviter. Au moins pas avant qu’on ait un moyen clair de payer. Je supposais que je pourrais toujours vendre Aqua Heartia, mais… c’était mon dernier recours. Je ne voulais pas perdre le cadeau d’anniversaire qu’Éris m’avait offert.

Wôw, regardez-moi en train de m’angoisser pour le budget familial. Je n’aurais jamais cru que ce jour viendrait…

Si je me rappelais bien… dans mon incarnation précédente, quand il y avait une question relative à l’argent, j’étais connu pour repousser toutes les tentatives de discussions de mes parents en frappant mes poings sur le sol comme un tout-petit en pleine croissance. Tu parles d’un souvenir nauséabond. Je devrais faire un effort pour l’oublier.

Je m’étais aussi souvenu de la tête de Paul quand je lui avais demandé de nous payer Sylphie et moi pour aller à l’école ensemble. C’était aussi un peu embarrassant quand j’y repense. J’avais vraiment été un peu trop désinvolte au sujet de l’argent dans le passé.

D’accord, c’est bon. Ce n’est pas le moment d’apprendre de précieuses leçons de vie. Concentrons-nous, s’il vous plaît.

Quelle allait être la façon la plus efficace pour nous de gagner de l’argent ? Devrions-nous essayer d’accomplir le plus grand nombre de travaux par jour possible ? Honnêtement, il serait peut-être plus facile d’aller dans les plaines et de chasser les monstres pour leurs matières premières. Je n’avais pas besoin d’être trop obsédé par ce truc d’aventurier.

Mais si nous prenions cette voie, nous n’aurions pas beaucoup d’occasions de bâtir la réputation de la Dead End dans la ville. Gravir les échelons en tant qu’aventuriers serait la meilleure façon d’y parvenir. Atteindre un rang élevé faciliterait les choses à l’avenir… et nous obtiendrions probablement un meilleur prix pour les matières premières par l’entremise de la Guilde.

Pourrions-nous nous établir avant que notre argent ne soit épuisé ? Peut-être serait-il plus intelligent de mettre Ruijerd en attente jusqu’à ce que notre situation soit relativement stable ?

Putain. Tout ce que je fais, c’est de tourner en rond…

Je n’avais pas trouvé de réponse claire ici. Gagner de l’argent et améliorer la réputation de Ruijerd en même temps n’allait pas être facile.

J’espérais pouvoir trouver une solution…

Mais rien ne m’était venu à l’esprit avant que je ne m’endorme.

◇ ◇ ◇

J’étais en train de rêver. Dans mon rêve, je m’étais retrouvé dans un vide blanc pur. J’avais l’impression d’être redevenu une version plus terne et plus pathétique de moi-même.

Pas encore ça. Soupir…

Un petit con à l’air vaguement obscène était apparu devant mes yeux.

Qu’est-ce que c’est cette fois ? avais-je demandé. Pouvons-nous conclure aussi vite que possible, s’il te plaît ?

« Je vois que tu es plus hostile que jamais. Mon conseil pour compter sur Ruijerd a marché pour toi, n’est-ce pas ? Il t’a emmené dans la ville la plus proche, sain et sauf. »

Ouais, je suppose. Mais connaissant Ruijerd, il nous aurait probablement suivis et protégés à distance même si nous l’avions fui.

« Bonté divine. On dirait que tu lui fais confiance. Pourquoi es-tu encore si méfiant envers moi ? »

Ne connais-tu vraiment pas la réponse à cette question ? As-tu oublié la partie où tu t’es présenté comme un dieu ?

« Eh bien, je suppose que ça n’a pas vraiment d’importance. J’ai d’autres conseils à te donner, Rudeus. »

Très bien, très bien. Veux-tu bien en finir, s’il te plaît ? Je déteste le son de ta voix, et je déteste aussi être ici. Je déteste avoir l’impression que le temps que j’ai passé comme Rudeus n’était qu’un rêve. Je déteste avoir l’impression d’être redevenu un loser inutile et pathétique. Si tu veux que je t’écoute, j’aimerais que tu dises ce que tu as à dire.

« Quelqu’un est terriblement soumis aujourd’hui. »

Je vais finir dans la paume de ta main quoiqu’il arrive, non ?

« Ne sois pas bête, Rudeus. Tous tes choix sont entièrement les tiens. »

Peux-tu arrêter de jacasser et aller droit au but ?

« Oh, d’accord… Écoute attentivement, jeune Rudeus. Accepte la mission : retrouver l’animal perdu. Tu te retrouveras bientôt avec beaucoup moins de soucis à te faire… »

Les dernières paroles de l’Homme-Dieu résonnant dans mes oreilles, je me sentais glisser à nouveau dans l’endormissement.

◇ ◇ ◇

Quand je m’étais réveillé, on était encore au beau milieu de la nuit. Tu parles d’un cauchemar.

Pour être honnête, j’en avais assez de ces messages divins. Le timing ici était incroyablement suspect. Face de pixel avait choisi le moment parfait pour profiter de mon incertitude. Des trucs classiques de dieu maléfique, en fait. On avait tout un problème sur les bras.

En soupirant doucement, je regardai sur ma gauche.

Ruijerd dormait. Pour une raison quelconque, il avait choisi de s’appuyer contre le mur du fond avec ses bras autour de sa lance, plutôt que de dormir dans son lit.

J’avais regardé à ma droite… et j’avais réalisé qu’Éris était aussi réveillée. Elle était assise sur son lit, à genoux, regardant l’obscurité.

Je m’étais levé tranquillement, je m’étais approché, je m’étais assis à ses côtés et j’avais regardé par la fenêtre avec elle. La lune était sortie. Ce monde n’en avait qu’une aussi.

« Impossible de dormir, hein ? »

« Oui », répondit Éris après une pause momentanée.

Elle n’avait pas quitté la fenêtre des yeux.

« Hé, Rudeus ? »

« Oui ? »

« Crois-tu qu’on va rentrer à la maison… ? »

Tout d’un coup, sa voix était douloureusement anxieuse.

« Oh… »

J’avais honte de mon ignorance. Je pensais qu’Éris était comme d’habitude. Je pensais qu’elle n’était même pas nerveuse. Je pensais qu’elle aimait simplement cette situation… notre « aventure ».

Mais ce n’était pas vrai du tout. Elle avait peur aussi. Elle me l’avait caché. Le stress avait dû s’accumuler en elle pendant des jours. Pas étonnant qu’elle se soit disputée comme ça tout à l’heure. J’aurais dû le ressentir tout de suite, si je n’avais pas été un crétin.

« Oui. Absolument. »

J’avais doucement enroulé un bras autour des épaules d’Éris, et celle-ci mit rapidement sa tête contre mon épaule.

Elle n’avait pas pris un bon bain depuis des jours, alors la légère odeur qui s’échappait de ses cheveux était nouvelle pour moi. Mais ce n’était pas désagréable. Pas du tout. Ce qui était un peu problématique, c’était que mon petit copain turbulent commença à menacer d’agir à nouveau.

Contrôle-toi, Rudeus… Jusqu’à ce qu’on rentre à la maison, tu es un protagoniste insensible.

Ce n’était pas comme ce qui s’est passé avec Sylphie. Il y avait une raison, aussi fragile soit-elle, pour laquelle j’avais besoin de me retenir. Et de toute façon, seule une ordure profiterait d’une fille qui se sentait aussi anxieuse et vulnérable.

« Rudeus… tu trouveras vraiment quelque chose, hein… ? »

« Ne t’inquiète pas. Je te ramènerai à la maison, quoi qu’il en coûte. »

Oh mec, cette petite dame est trop mignonne quand elle est toute douce. Pas étonnant que Sauros l’ait gâtée. Je me demande ce qui est arrivé au vieil homme. Ce flash de lumière couvrait toute la région de Fittoa, donc je suppose que…

Non, n’y pensons pas pour l’instant. J’ai les mains chargées avec mes propres problèmes.

« Concentrons-nous sur ce qu’on peut faire pour l’instant, d’accord ? Tu devrais dormir aussi, Éris. Demain sera une autre journée chargée. »

J’avais tapoté Éris sur la tête, je m’étais levé et j’étais retourné dans mon propre lit. Juste au moment où je l’atteignais, mes yeux rencontrèrent ceux de Ruijerd. Il avait apparemment entendu notre conversation. C’était… un peu embarrassant.

Au bout d’un moment, il avait fermé les yeux sans un mot.

Mec, quel gentil garçon ! Paul aurait probablement commencé à me taquiner impitoyablement sur le champ. Ruijerd était vraiment un amour. Ce serait une erreur de mettre ses problèmes entre parenthèses.

En parlant de Paul, je me demande s’il s’inquiète pour moi. Je devrais vraiment lui envoyer une lettre lui disant que j’étais en vie et en bonne santé. Même si c’était difficile de savoir s’il pourrait la recevoir.

Quoi qu’il en soit. Demain, je suppose que nous traquerons l’animal de compagnie de quelqu’un.

Les motifs de l’Homme-Dieu n’étaient toujours pas clairs pour moi. Mais pour cette fois, j’étais prêt à suivre ses conseils sans trop y penser.

Notre première nuit en tant qu’aventuriers s’était terminée dans le calme, et l’air de notre petite pièce était encore empli d’anxiété.

***

Chapitre 9 : Le premier emploie : La valeur d’une vie

Partie 1

La maison Kirib, située dans le bloc 2 de Rikarisu, était un long bâtiment d’un étage avec quatre entrées séparées.

Ceux qui y vivaient étaient loin d’être aisés, mais ils n’étaient pas aussi désespérément pauvres que ceux qui vivaient dans les bidonvilles de la ville. Selon les standards du Continent Démon, c’était des gens typiques de la classe ouvrière.

Trois silhouettes ombragées, deux petites, une grande, s’approchaient actuellement de cet endroit.

Se pavanant audacieusement dans la rue, ils se dirigèrent vers l’une des multiples entrées de l’immeuble, indifférents aux regards de ceux qui les entouraient.

« Bonjour, mademoiselle ! Nous venons de la guilde des aventuriers ! »

Le jeune garçon du groupe frappa à la porte, criant d’une voix aiguë vers l’intérieur.

Il y avait quelque chose d’inquiétant à ce sujet. Aucun des aventuriers de cette ville n’avait parlé aussi poliment. Ils étaient de nature durs et grossiers.

Pourtant, la douceur de la voix du garçon avait apparemment trompé le résident de cette chambre. La porte s’ouvrit en grinçant, et une fille d’environ sept ans émergea de l’intérieur. Sa longue queue de lézard et sa langue fourchue distinctive l’avaient marquée comme membre de la race Houga.

Les yeux de la jeune fille s’ouvrirent à la vue de ses trois visiteurs inhabituels, mais le garçon lui sourit joyeusement.

« Bonjour ! Enchanté de vous rencontrer. C’est bien la résidence de Mlle Meicel ? »

« Huh ? U-uhm... »

« Oh, pardonnez-moi. Je m’appelle Rudeus, mademoiselle. Rudeus de Dead End. »

« Dead End… ? »

Cette fille, Meicel, connaissait bien sûr ce nom. Tout le monde connaissait l’histoire des monstrueux guerriers superds qui avaient combattu si férocement pendant la guerre de Laplace il y a 400 ans, tuant amis et ennemis. Et tout le monde savait que « Dead End » était le plus fort et le plus maléfique de leur groupe. Il avait été dit qu’aucun de ceux qui l’avaient rencontré n’avait survécu pour raconter l’histoire. Même ceux qui ne l’avaient vu que de loin avaient dit qu’ils avaient à peine réussi à s’enfuir vivants. Son nom faisait trembler les cœurs de tous les habitants du Continent Démon, même les aventuriers courageux qui se vantaient de pouvoir tuer à eux seuls n’importe quel monstre frissonnaient rien qu’en entendant son nom.

Mais Meicel savait aussi à quoi ressemblait Dead End, et ce jeune garçon ne correspondait pas du tout à cette description.

« Nous avons accepté votre demande à la guilde ce matin, mademoiselle. Nous sommes ici pour retrouver votre animal perdu. Nous voulions vous demander les détails, si vous avez le temps. »

Le nom Dead End était terrifiant en soi, et les deux autres personnes debout derrière le garçon étaient un peu intimidantes. Mais il lui parlait si poliment qu’il était difficile de rester effrayé. Et d’après ce qu’elle vit, c’était des aventuriers qui avaient accepté la quête qu’elle avait affichée.

« S’il vous plaît… S’il vous plaît, trouvez Mii pour moi. »

« Ah, donc le nom de votre animal de compagnie est Mii ? C’est un nom très mignon, je dois dire. »

« Je l’ai trouvé moi-même. »

« Oh, vraiment ? Eh bien, vous avez clairement un don pour nommer les choses, mademoiselle. »

Ce compliment lui avait valu un sourire timide.

« Maintenant… serait-il possible que vous puissiez nous parler un peu de Mii ? »

Meicel avait décrit l’apparence de son animal, expliqué qu’il avait disparu il y a trois jours, ajouté qu’il n’était pas revenu à la maison, précisé qu’il revenait habituellement quand elle l’appelait, et mentionné qu’il avait probablement faim puisqu’elle ne l’avait pas nourri. C’était un monologue enfantin et divagant. Un adulte typique pourrait avoir roulé les yeux sur le babillage de la jeune fille et l’avoir laissé à mi-chemin, mais le jeune aventurier l’avait écoutée avec un sourire, acquiesçant d’un signe de tête encourageant après chaque phrase sincère.

« Compris, mademoiselle. On va chercher Mii tout de suite. Rassurez-vous, vous êtes entre de bonnes mains avec Dead End ! »

Le garçon serra son poing et leva son pouce en l’air, pour une raison quelconque, les deux autres derrière lui firent la même chose. Meicel ne comprenait pas très bien, mais elle les imitait quand même.

Le garçon hocha la tête avec plaisir, se retourna et commença à s’éloigner. La fille à capuchon qui se tenait derrière lui le suivait, mais l’homme plus grand du groupe s’accroupit devant Meicel pour lui tapoter doucement sur la tête.

« Tu as ma parole, nous trouverons ton animal, Meicel. Sois encore un peu patiente. »

Il avait une grosse cicatrice sur le visage, une gemme sur le front, et ses cheveux étaient d’un bleu étrange et tacheté. C’était un peu effrayant de le regarder en face… mais sa main était chaude et douce.

« O-okay. J’attendrai. », dit Meicel en hochant la tête.

« Ne t’inquiète pas. On sera de retour avant que tu t’en rendes compte. »

Tandis que l’homme plus grand se levait pour prendre congé, Meicel l’appelait.

« Quel est votre nom, monsieur ? »

« Ruijerd », répondit l’homme, celui-ci se retourna et partit avec les autres.

Rougissant légèrement, Meicel murmura ce nom à elle-même.

◇ ◇ ◇

Point de vue de Rudeus

Notre première rencontre avec le client s’était très bien passée. Je venais d’imiter un vendeur de portes à porte qui passait souvent chez moi dans ma vie antérieure, mais cela semblait fonctionner mieux que prévu. Cela ne me dérangeait pas de voir les autres aventuriers se moquer de nous, mais nous avions besoin que nos clients nous considèrent d’abord et avant tout comme de bonnes personnes. Cela signifiait que nous devions les traiter avec gentillesse et politesse.

« Je vois que tu es capable de jouer plus d’un rôle. Assez impressionnant, Rudeus. », déclara Ruijerd alors que nous nous éloignions victorieux.

« Je te retourne la pareille, Ruijerd. Ce que tu as fait à la fin était parfait. »

« Ce que j’ai fait à la fin ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

« Le moment où tu lui as tapoté la tête en lui parlant, évidemment. »

C’était de la poudre aux yeux. J’avais transpiré à grosses gouttes pendant une seconde, mais les résultats avaient été très impressionnants.

« Oh, je vois. Qu’est-ce qu’il y a de si bon là-dedans ? »

Peut-être la partie où elle te regardait avec un gros rougissement sur le visage ? Allez, mec. J’aurais été tenté de la kidnapper si j’avais été à ta place !

Ce n’était pas une bonne idée de dire ça à quelqu’un qui aimait les enfants autant que Ruijerd. Il aurait probablement passé la demi-heure suivante à me réprimander sévèrement. Au lieu de cela, j’avais adopté le ton de la plaisanterie tout en le poussant du coude dans la cuisse.

« Heheh. Allez, Boss. Tu aurais pu faire tout ce que tu voulais avec cette nana ! Eheheheh... »

Ruijerd sourit dubitativement et nia cela, sa voix un peu incertaine.

« Eheheheh ! Ne sois pas si modeste, Boss ! Si tu avais poussé un peu plus fort, cette fille aurait terminé dans… Aie. »

J’avais été brutalement interrompu par une claque sur la tête. Je m’étais tourné pour trouver Éris qui me boudait.

« Arrête de rire comme ça ! Ce stupide truc de “Boss” n’était pas censé être de la comédie !? »

Apparemment, elle n’était pas une grande fan de ma vision de l’homme fable. Depuis l’enlèvement, Éris méprisait les gens « vulgaires ». À Roa, elle faisait la grimace chaque fois qu’on croisait quelqu’un habillé comme un voyou dans la rue. Je plaisantais seulement avec Ruijerd, mais je suppose qu’elle n’avait pas trouvé ça très amusant.

« Désolé pour ça. »

« Honnêtement ! Tu es un membre de la famille Greyrat, non ? Ne sois pas si grossier ! »

Il fallait faire un effort sur soi-même pour ne pas éclater de rire à ce moment-là. Avez-vous entendu ça, madame ? Éris vient de me gronder pour avoir été « grossier » ! Oui, cette Éris ! La petite dame qui avait l’habitude de sentir le besoin d’ouvrir toutes les portes qu’elle trouvait en donnant des coups de pied ! Elle s’est raffinée dernièrement, ne trouvez-vous pas ?

Mais… si elle voulait me dire des choses comme ça, ne devrait-elle pas d’abord arrêter de se bagarrer dans les auberges avec des étrangers ?

Hmm. Difficile à dire en fait. D’après ce que j’avais vu de Sauros, peut-être que se retourner et frapper quelqu’un au visage était dans les limites d’un comportement acceptable… ? Non, non, non. Certainement pas…

Après y avoir réfléchi un instant, je m’étais rendu compte que je n’avais aucune idée de l’endroit où « grossier » s’arrêtait et où « raffiné » commençait pour les nobles Asura. J’avais donc changé de sujet.

« En tout cas, Ruijerd… crois-tu qu’on puisse trouver cet animal ? »

D’après ce que nous a dit Meicel, Mii semblait être un chat. Il était noir, et avait été le compagnon de Meicel depuis qu’elle était très jeune. Elle nous avait montré combien il mesurait exactement. Meicel avait étendu les bras pour montrer sa taille, en supposant que ce n’était pas exagéré, Mii devait être à peu près aussi grande qu’un Shiba Inu adulte, ce qui était assez remarquable pour un chat domestique.

« Bien sûr. Après tout, j’ai donné ma parole à la fille. »

Avec cette déclaration prometteuse et décisive, Ruijerd fit un pas en avant et prit la tête du groupe.

Il bougeait avec confiance, mais je me sentais encore un peu nerveux. Je savais qu’il avait un puissant radar intégré détectant les êtres vivants, mais il n’était pas facile de retrouver un animal en particulier dans une ville qui en était pleine.

« Tu as un plan ou quoi ? »

« Les animaux se déplacent de façon très prévisible, Rudeus. Regarde ici. »

J’avais jeté un coup d’œil au sol, à l’endroit que Ruijerd pointait, et je pouvais à peine distinguer le contour d’une petite empreinte de patte. En parlant d’impressionnant. Je n’aurais jamais remarqué ça en un million d’années.

« Si on suit ces traces, tu crois qu’on le trouvera ? »

« Non. Ça vient probablement d’un autre animal. Les pattes de son chat ne seraient pas si petites. »

Certes, cela ressemblait plus à l’empreinte de la patte d’un chat ordinaire ou même d’un chaton… bien que j’aie un peu soupçonné la fille d’avoir peut-être un peu exagéré la taille de Mii.

« Hm. Alors… »

« On dirait qu’un autre chat s’est frayé un chemin dans le territoire de notre cible. »

« Quoi ? Vraiment ? »

« C’est ce qu’on dirait. L’odeur de son chat s’estompe, alors un autre a emménagé. »

Attendez. Euh… peut-il vraiment détecter les odeurs avec lesquelles ils ont marqué leurs territoires ou quelque chose comme ça ?

« Par ici. »

Ruijerd était apparemment parvenu à la conclusion qu’il ne ressentait pas le besoin de partager avec nous. Il était parti en marchant le long d’une petite rue et je l’avais tranquillement suivi. J’avais l’impression que nous faisions des progrès, mais je ne savais pas trop comment. C’était peut-être ce que l’on ressentait quand on était le pauvre vieux docteur Watson.

Pas de soucis, les amis ! On a le meilleur détective du continent sur l’affaire ! Il traquera les criminels avec ses techniques d’enquête hors pair, les assommera avec des Baritsu de style démoniaque, et leur extorquera des aveux avec quelques questions pointues ! Place au grand détective Ruijerd !

« Je l’ai trouvé. C’est probablement celui-là », déclara Ruijerd, en montrant du doigt un tronçon non décrit de la rue. Je n’aurais pas pu vous dire ce qu’il avait « trouvé » ou pourquoi il ressentait le besoin d’ajouter « probablement ». Il n’y avait pas d’empreintes de pattes ici que je pouvais voir.

« Suivez-moi. »

Ruijerd repartit aussitôt, avançant régulièrement.

Sans hésitation, il nous avait conduits à travers une série de ruelles qui semblaient de plus en plus étroites au fur et à mesure que nous avancions. Au moins, ces allées ressemblaient au type d’allées dans lesquelles on s’attendrait à ce qu’un chat puisse se faufiler. Je n’avais toujours aucune idée du genre de sentier que Ruijerd suivait, mais… tout semblait bien se dérouler jusqu’ici.

« Regardez ça. Il y a des signes de lutte ici. »

On s’arrêta dans une impasse. Quels que soient les « signes » que Ruijerd y avait trouvés, ils étaient trop subtils pour moi. Je ne voyais pas de taches de sang ou d’égratignures dans la terre.

***

Partie 2

« Par ici. »

Tournant sur ses talons, Ruijerd reprit la tête. J’avais l’impression qu’Éris et moi étions juste de la figuration. Tu parles d’un travail peu stressant.

Nous étions passés par quelques rues secondaires, avions coupé à travers un boulevard et nous nous étions dirigés vers une autre rue secondaire. De là, nous nous étions dirigés vers une ruelle, puis nous étions passés sur une autre rue latérale. Etc.

Après avoir parcouru les rues de la ville à vive allure pendant un certain temps, nous avions soudainement pris un virage vers un quartier très différent. Tout ici était délabré et désolé. Les bâtiments étaient grossiers, non peints et s’effritaient par négligence. Certains des hommes que nous avions croisés nous avaient lancé des regards de mauvais augure, il y avait des gens étendus le long de la rue, et beaucoup d’enfants étaient en haillons sales.

On était dans un bidonville maintenant. Le changement n’avait pas été progressif non plus. C’était plutôt comme si nous y étions tombés en plein cœur. En quelques instants, j’étais en état d’alerte.

« Éris, sois prête à sortir ton épée à tout moment. »

« … Pourquoi ? »

« Simple mesure de précaution. Surveille aussi les gens qu’on croise dans la rue et essaye de surveiller tes arrières. »

« Euh… OK ! »

C’était une bonne idée de mettre aussi Éris sur ses gardes. Nous n’étions probablement pas vraiment en danger avec Ruijerd dans les parages, mais je ne voulais pas que nous fassions des erreurs par complaisance. Nous deux, on devrait vraiment se protéger.

Avec cette pensée en tête, j’avais tendu la main dans la poche intérieure de ma poitrine et je m’étais agrippé étroitement à mon portefeuille. Je n’avais pas tant d’argent à perdre, mais ce serait quand même un désastre si quelqu’un le volait.

« … Tch. »

Parfois, certains des gars les plus durs que nous croisions fixèrent Ruijerd d’un air menaçant, mais alors qu’il le regardait fixement, ils avaient tendance à claquer leur langue et à détourner le regard. Dans ce genre de quartier, les gens qui pouvaient donner un bon coup de poing inspiraient probablement plus de respect que les aventuriers.

« C’est vraiment là que le chat est allé, Ruijerd ? »

« On verra bien. »

Cette réponse n’était pas particulièrement rassurante. On n’errait pas sans but ici, n’est-ce pas ?

Non, non. Je dois continuer à me dire que Ruijerd n’est qu’une personne ne parlant peu, que je suis sûr qu’il nous a mis sur la bonne voie.

Nous avions fini par marcher dans les bidonvilles pendant un certain temps. Ruijerd avait fini par se faufiler devant un certain bâtiment.

« C’est juste ici. »

Une volée d’escaliers grossiers devant nous menait à une porte indéfinissable. On aurait dit l’entrée d’un bar souterrain habité par des punk-rockers avec des coupes de cheveux bizarres. Mais il n’y avait pas de musique bruyante flottant d’en bas ni de chauves avec des lunettes de soleil à la porte pour surveiller la clientèle.

D’un autre côté, il y avait une épaisse odeur d’animal qui venait d’en bas, le genre d’odeur qu’on pouvait sentir en passant devant une grande animalerie.

Dans un sens moins littéral, on pourrait pratiquement sentir le crime dans l’air.

« Combien y a-t-il de gens à l’intérieur, Ruijerd ? »

« Personne. Mais il y a un grand nombre d’animaux. »

« Très bien. On y va ? »

S’il n’y avait personne là-dedans en ce moment, il n’y avait aucune raison d’hésiter.

La porte en bas de l’escalier était verrouillée, naturellement, mais je l’avais ouverte assez facilement avec un peu de magie de terre.

En jetant un coup d’œil rapide dans la zone pour m’assurer que personne ne regardait, je m’étais glissé dedans, j’avais attendu que Ruijerd et Éris suivent, puis j’avais fermé et verrouillé la porte de l’intérieur. J’avais l’impression qu’on était des cambrioleurs ou quelque chose du genre.

Au premier coup d’œil, tout ce que je pouvais voir, c’était un long couloir sombre qui s’étendait devant nous.

« Peux-tu surveiller nos arrières pour nous, Éris ? »

« Pas de problème. »

Ruijerd saurait probablement si quelqu’un venait après nous, mais ça ne pouvait pas faire de mal d’être très prudent.

Nous nous étions tous les trois enfoncés plus profondément dans le bâtiment, avec Ruijerd en tête une fois de plus. La seule porte au bout du couloir principal donnait sur une petite pièce, avec une autre porte à son extrémité. Mais alors que nous passions cette deuxième porte, un chœur assourdissant de cris d’animaux avait instantanément rempli l’air.

Nous avions atteint la pièce toute à l’arrière du bâtiment. Elle était entièrement remplie de cages.

Il y avait d’innombrables animaux enfermés dans cette pièce, des chats, des chiens et une grande variété de créatures que je n’avais jamais vus auparavant, tous entassés dans un espace de la taille d’une classe de lycée.

« Qu’est-ce que c’est ? », dit Éris d’une voix tremblante.

Mes premières pensées allaient à peu près dans le même sens… mais il m’était aussi venu à l’esprit qu’étant donné le nombre d’animaux ici, il y avait de fortes chances que celui que nous recherchions se trouvait parmi eux.

« Ruijerd, le chat est là ? »

« Oui. C’est celui-là. », avait-il répondu instantanément.

Il montrait quelque chose qui ressemblait beaucoup à une panthère noire.

L’animal était énorme. Absolument énorme. Il devait être deux fois plus grand que ce que Meicel avait indiqué avec ses bras.

« C’est vraiment celui qu’on cherche ? »

« Bien sûr que c’est lui. Regarde son collier. »

La bête avait, en fait, un collier. Et le nom « Mii » y était imprimé.

« Wôw. Je suppose que… c’est vraiment Mii, hein ? »

Techniquement, nous avions maintenant terminé notre tâche. Une fois qu’on aura sorti cette panthère de sa cage et qu’on l’aura ramenée à la petite fille, ce sera fini.

Cela dit, euh… Qu’en est-il de tous ces autres animaux ?

Il y en avait un bon nombre avec des colliers autour du cou ou des bracelets sur les jambes, et certains d’entre eux avaient des noms écrits dessus. En d’autres termes, tout un tas de ces animaux était manifestement des animaux de compagnie. J’avais aussi remarqué un gros tas de cordes et de choses qui ressemblaient à des muselières dans un coin de la pièce. Les cordes, en particulier, semblaient indiquer qu’il y avait eu des captures ici.

Peut-être que quelqu’un enlevait des animaux de compagnie uniques dans la rue et les vendait-il à d’autres personnes ? C’était un plan parfaitement plausible.

Je ne savais pas s’il y avait des lois précises sur ce genre de choses dans ce monde, mais il fallait que ce soit une sorte de crime… Je veux dire que c’était à minima une forme de vol.

« Mm… »

Soudainement, Ruijerd tourna sa tête vers l’entrée.

Éris avait réagi presque exactement au même moment.

« Quelqu’un est en approche. »

Les animaux faisaient tellement de bruit que je n’avais rien entendu. Ruijerd mis à part, j’avais été vraiment impressionné qu’Éris l’ait remarqué.

Cela dit, qu’allons-nous faire à ce sujet ? Ça ne leur prendrait pas beaucoup de temps pour arriver ici depuis l’entrée. Était-ce une option ? Non, pas vraiment, la seule issue étant ce couloir.

« Je suppose qu’on devra d’abord les capturer. »

Je n’avais pas vraiment envisagé l’option de la discussion. On était quand même entrés ici par effraction comme une bande de voleurs. Cela semblait être une scène de crime, mais il était toujours possible qu’elle ait un motif légitime, ce qui ferait de nous les criminels.

Pour l’instant, nous avions besoin d’arrêter ces gens. S’ils étaient innocents, on pouvait les cajoler pour qu’ils se taisent, mais s’ils étaient coupables, on pouvait les frapper jusqu’à ce qu’ils promettent de ne pas parler.

◇ ◇ ◇

Quelques minutes plus tard, j’étais debout devant trois personnes, deux hommes et une femme, qui étaient allongées inconscients sur le sol, dans un coin de la pièce.

Après les avoir attachés avec des menottes que j’avais faites avec la magie de la Terre, je leur avais aspergé le visage d’eau pour les réveiller. L’un des hommes s’était immédiatement mis à japper et à hurler, alors je l’avais bâillonné avec un chiffon qui gisait à proximité.

Les deux autres restèrent silencieux, mais j’avais fini par les bâillonner aussi tous les deux. Il valait mieux être juste et impartial avec ces choses.

« … Hm. »

Avec tout cela, je m’étais retrouvé à me poser une certaine question : comment en était-on arrivé là ?

Je veux dire, nous avions pris un simple travail de rang E : trouver un chat perdu. Rien de trop dramatique. Ruijerd avait dit qu’il pouvait s’en charger, alors je lui avais demandé de prendre les choses en main et j’avais fini par le suivre dans une sorte de bidonville. Dans ce bidonville, nous étions entrés par effraction dans un bâtiment avec des tonnes d’animaux à l’intérieur. À ce moment-là, nous nous étions retrouvés à emmener plusieurs personnes en captivité… ce qui n’était absolument pas notre raison d’être.

C’est la faute de l’Homme-Dieu, non ? De toute évidence, il avait prévu ce qui allait se passer.

Quel mal de tête ! J’aurais vraiment dû choisir un autre boulot.

… Quoi qu’il en soit, regardons un peu plus attentivement nos prisonniers.

Homme A :

Peau orange. Des yeux composés comme une mouche, sans blancs. Il était un peu dégoûtant à regarder. C’était lui qui s’était mis à crier comme une cigale quand je les avais réveillés. Il avait l’air d’une personne brutale… le genre de gars qui se trouverait probablement dans une bagarre de bar.

J’étais presque sûr d’avoir vu une photo de sa race dans le dictionnaire de Roxy, mais je n’arrivais pas à me rappeler comment on les appelait. Leur salive était apparemment empoisonnée, je me souvenais m’être demandé s’ils pouvaient même s’embrasser.

Homme B :

Celui-ci avait une tête de lézard, de forme et de couleur légèrement différente de la tête des serpents que nous rencontrions à l’entrée de la ville. Étant donné ses traits reptiliens, il était difficile de lire son expression. Mais je pouvais voir de l’intelligence dans ses yeux, ce qui me faisait me méfier de lui.

Femme A :

Un autre type d’œil d’insecte. Sa tête ressemblait à celle d’une abeille, mais je pouvais pourtant voir qu’elle avait très peur en ce moment. Je supposais que son visage était aussi dans la catégorie « grossier », mais elle avait une jolie silhouette, ce qui permettait d’oublier le reste.

Eh bien, alors. Nous n’avancerons pas si je reste là à les regarder. C’est l’heure d’une petite discussion… Non, non, soyons honnêtes. Ce sera un interrogatoire.

Mais par qui commencer ? Qui allait cracher des informations plus rapidement, la femme ou l’un des hommes ? La femme avait vraiment peur. Si je la menaçais un peu, elle pourrait tout me dire tout de suite.

D’un autre côté, on savait que les femmes mentaient. Certaines d’entre elles étaient parfaitement capables de vous dire des bêtises ridicules et incohérentes pour se sortir d’affaire. Toutes les femmes n’étaient pas comme ça, bien sûr, mais ma grande sœur l’était. Avant, ça me mettait tellement en colère que j’avais du mal à découvrir la vérité.

Peut-être que je commencerais par un des hommes à la place.

Par l’homme A ? C’était la personne la plus gênante du groupe, il avait une cicatrice sur le visage… Il était probablement leur meilleur combattant. Il était aussi agité en ce moment. Ce n’était probablement pas une lumière, à en juger par la façon dont il criait : « Qui êtes-vous ? » et « Enlevez-moi ces foutues menottes ! »

Ou bien l’homme B ? Il était difficile de lire beaucoup de choses sur son visage, mais il semblait nous observer attentivement tous les trois. Ça voulait dire qu’il n’était pas stupide. Et s’il n’était pas stupide, il avait probablement de bons mensonges élaborés à l’avance au cas où quelque chose comme ça arriverait.

Alors, j’avais décidé de commencer par l’homme A.

C’était plus facile de manipuler quelqu’un qui avait perdu son sang-froid. Avec un peu d’encouragement et un peu de provocation, il fera probablement une erreur et me dira tout ce que je voudrais savoir. Et si ça ne marchait pas, on pourrait toujours essayer les deux autres.

« J’ai quelques questions à te poser. »

Quand j’avais enlevé le bâillon de l’homme A, il m’avait regardé d’un air féroce… mais il n’avait pas dit un mot.

« Si tu nous dis ce qu’on veut savoir, on n’aura pas besoin d’être brutal… compris !? »

Au milieu de ma phrase, le type me donna un coup de pied. Je m’étais accroupi pour lui parler, alors le coup me déséquilibra. Lancé en arrière, j’avais roulé sur le sol, ne m’arrêtant que lorsque l’arrière de ma tête s’était cogné contre le mur. Des étoiles brillaient dans mon champ de vision.

Oh ! Putain de merde !

Sérieusement, à quel point ce type était-il stupide ? Pourquoi donner un coup de pied à quelqu’un qui vous avait déjà capturé ? Il n’avait même pas dû penser à ce qui pourrait arriver s’il nous mettait en colère.

***

Partie 3

« Huh ? H-hey, quoi… Arrête ! » 

C’était la voix d’Éris. Je m’étais levé, complètement affolé. L’homme A avait-il cassé ses menottes pendant que je réfléchissais et avait-il pris Éris en otage avant que Ruijerd puisse réagir ?

« Quoi… » 

Non, Éris allait bien. Cependant, je ne pouvais pas en dire autant de l’homme A. Ruijerd lui avait enfoncé sa lance dans la gorge. Éris regardait, les yeux écarquillés et choqués.

Ruijerd tordit son trident latéralement en le tirant vers l’arrière, le sang fit un arc de cercle dans l’air et s’était écrasé contre le mur. La force fit tourner brièvement l’homme A avant qu’il ne tombe face contre terre. Du sang coulait de sa gorge. Une tache foncée rampa lentement sur son dos et une flaque rouge s’étendit sous lui. La puanteur métallique était écœurante.

Après une dernière secousse réflexive, l’homme s’arrêta de bouger.

Il était mort. Il était mort sans dire un seul mot. Ruijerd l’avait assassiné de sang-froid. 

« Pourquoi... Pourquoi l’as-tu tué ? » demandai-je, conscient du fait que ma voix tremblait. 

Ce n’était pas la première fois que je voyais quelqu’un mourir. Ghislaine avait tué pour nous sauver, Éris et moi. Mais d’une certaine façon, c’était différent. Pour une raison ou une autre, je tremblais. Pour une raison quelconque, j’avais très peur.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui me faisait si peur ?

Le fait qu’un homme soit mort ? C’est ridicule. Des gens meurent tout le temps dans ce monde, pour les raisons les plus insignifiantes. J’en étais bien conscient.

C’était peut-être parce que je n’avais jamais vu ça de près ? Mais dans ce cas, pourquoi n’avais-je pas réagi de cette façon quand Ghislaine avait tué ces hommes pendant l’enlèvement ?

« Parce qu’il a donné un coup de pied à un enfant », dit Ruijerd.

Sa voix était calme et indifférente.

Il avait parlé comme un homme répondant à la question la plus évidente du monde.

Ah, c’est vrai. Maintenant, je comprends. Je n’ai pas peur parce que je viens de voir quelqu’un mourir. J’ai peur… parce que Ruijerd a tué cet homme… sans hésiter… juste parce qu’il m’avait frappé.

J’avais peur de Ruijerd.

Roxy m’avait prévenu, pas vrai ?

« … il y a beaucoup de différences entre ce qui est communément accepté dans la culture humaine et la culture démoniaque, donc tu ne sais peut-être pas quels mots vont déclencher une explosion. »

Alors qu’est-ce que j’allais faire si Ruijerd se retournait contre moi ? L’homme était fort, aussi fort que Ghislaine, ou même plus fort. Est-ce que j’aurais pu le battre avec ma magie ? Je pourrais probablement au moins me battre. J’avais élaboré de multiples stratégies de combat en tête-à-tête contre des spécialistes du combat rapproché.

Pour une raison quelconque, beaucoup de gens dans ma vie étaient tombés dans cette catégorie… y compris Paul, Ghislaine et Éris. Et Ruijerd était probablement le plus fort d’entre eux. C’était difficile pour moi de dire avec confiance que je pouvais le vaincre. Mais si je me battais avec l’intention de tuer dès le début, il y avait plein de choses que je pouvais essayer.

Et s’il s’en était pris à Éris ? Pourrais-je la protéger elle aussi ?

Non. Aucune chance.

« Tu ne peux pas tuer quelqu’un juste pour ça ! »

« Pourquoi pas ? Cet homme était diabolique. »

Ruijerd avait les yeux écarquillés devant mon objection troublée. Il semblait vraiment et totalement désorienté.

« Eh bien… »

Comment pourrais-je expliquer cela ? Qu’est-ce que je voulais de Ruijerd ?

En premier lieu, en quoi le fait qu’il ait tué cet homme était-il un problème ?

Je n’avais pas vraiment un sens moral standard. Quand j’étais un loser enfermé, je reniflais avec mépris des phrases du genre « c’est mal de tuer ». Je n’avais presque rien senti quand mes parents furent morts. Je savais que les choses allaient devenir difficiles pour moi, mais en même temps, mon attitude générale était celle de Crystal Boy : « Au diable ces conneries, crétin ! Je m’en branle ! »

Inutile de dire que si j’essayais de donner à Ruijerd un argument éthique à l’emporte-pièce, il allait en ressortir faible et peu convaincant.

« Écoute, il y a… une très bonne raison… tu ne devrais pas tuer des gens. »

OK, je suis un plutôt secoué. Reconnaissons cela. Je flippe un peu.

Je flippe un peu, mais je vais quand même y réfléchir.

Tout d’abord, pourquoi tremblais-je ? Parce que j’avais peur. Parce que j’avais vu Ruijerd, qui avait toujours l’air d’un gars si gentil, tuer un homme sans même cligner des yeux.

Je pensais que les Superds étaient un peuple pacifique qui avait été mal compris. Ce n’était clairement pas le cas. Je ne connaissais pas sa tribu dans son ensemble, mais au moins, Ruijerd était un tueur. Il tuait ses ennemis depuis l’époque de la guerre de Laplace. Ce meurtre n’était qu’une autre entrée typique dans une longue, longue liste. Je ne pouvais pas dire avec certitude qu’il ne tournerait jamais sa lance sur Éris ou sur moi. Je n’étais pas le genre de personne au cœur pur et honnête qui pouvait gagner le respect de Ruijerd. Un jour, d’une façon ou d’une autre, j’aurais probablement fini par me mettre dans un mauvais camp.

C’était une chose qu’il se mette en colère contre moi. Comme nous avions des façons de penser différentes, parfois nos opinions divergeaient, c’était inévitable. On se battrait probablement de temps en temps.

Cela dit, je n’avais pas l’intention de le combattre à mort. Quelle que soit la situation, nos désaccords ne pouvaient pas dégénérer en violence. Je devais faire comprendre à Ruijerd que… ici et maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

« S’il te plaît… écoute attentivement, Ruijerd. »

Le problème était que je n’arrivais toujours pas à trouver les bons mots.

Qu’est-ce que j’étais censé dire, bon sang ? Comment le lui faire comprendre ? Dois-je au moins le supplier de ne pas nous tuer tous les deux ?

Maintenant, tu es juste stupide.

L’autre jour, j’avais convaincu Ruijerd que j’étais un guerrier, me battant avec lui comme un égal. Je n’étais pas sous sa protection, j’étais son camarade. Je ne pouvais pas commencer à le supplier maintenant. Un plat « arrêtez ça » n’allait pas marcher non plus. J’avais besoin de trouver quelque chose qui le convaincrait vraiment, ou ce serait complètement inutile.

Réfléchis, mec. Pourquoi Ruijerd est-il avec toi en premier lieu ? Il veut que tout le monde sache que les Superds ne sont pas des diables assoiffés de sang. Et s’il tue des gens, il ne fera qu’empirer leur réputation.

C’est… ça sonnait bien. C’était pour la même raison que je lui avais dit d’éviter les bagarres avec d’autres aventuriers. Le public avait déjà une terrible impression de son peuple. Peu importe le nombre de bonnes actions qu’il fera pour changer cela, tous ses progrès seraient réduits à néant si les gens voyaient Ruijerd commettre un meurtre. Chacun reviendrait à ses hypothèses initiales sur son espèce.

C’est pour ça qu’il ne pouvait pas tuer des gens. Nous ne voulions pas que tout le monde ait l’impression que les Superds étaient une tribu de brutes sans cervelle, non ?

« Si tu continues à tuer des gens, la réputation des Superds va encore empirer. »

« … Même si les gens que je tue sont mauvais ? »

« Peu importe qui. Si tu tues quelqu’un, ce sera problématique. »

Je parlais délibérément maintenant, et je choisissais mes mots avec soin.

« Je ne comprends pas, Rudeus. »

« Quand un Superd tue quelqu’un, ce n’est pas vu de la même façon que quand quelqu’un d’autre le fait. C’est l’équivalent d’être tué par un monstre. »

Ruijerd s’était un peu renfrogné. Il croit que j’avais l’air de mal parler de son peuple.

« … je ne comprends toujours pas. Pourquoi serait-ce le cas ? »

« Tout le monde pense que tu fais partie d’une tribu de diables vicieux. Ils pensent que vous êtes des maniaques qui tuent au pied levé, même pour la moindre provocation. »

D’accord, ça avait l’air dur… mais là encore, c’était vraiment le consensus général. Notre objectif était de changer cela.

« C’est facile de dire aux gens que les Superds ne sont pas vraiment des monstres. Mais si tu prouves que les rumeurs sont fausses par tes actions, ils pourraient tous changer d’avis. »

« … »

« D’un autre côté, tu vas tout gâcher si tu commences à tuer des gens. Tout le monde supposera qu’ils avaient raison à propos de ta race depuis le début. »

« Ce n’est sûrement pas vrai. »

« Ça ne te dit vraiment rien, Ruijerd ? As-tu déjà aidé des gens et commencé à te lier d’amitié avec eux, pour qu’ils se retournent soudainement contre toi ? »

« … effectivement. »

À ce moment-là, j’avais senti que mon argumentation avait un sens.

« Eh bien, voilà le truc. Si tu ne tues plus personne à partir de maintenant… »

« Oui ? »

« Tout le monde réalisera que les Superds sont des gens normaux et rationnels. »

Était-ce vraiment vrai ? Serait-il suffisant de s’abstenir de tuer pour convaincre les gens de ce monde que sa tribu était raisonnable ?

Ce n’était pas le moment d’y penser. Je n’avais pas tort de toute façon. Ruijerd avait manifestement tué trop de gens. La population en général pensait que les Superds étaient des tueurs de par leur nature même. Mais s’il arrêtait de tuer, on devrait pouvoir les faire changer d’avis.

C’était assez logique, pas vrai ?

« Si tu tiens à ta tribu, ne tue plus personne, Ruijerd. Pas un seul. »

Normalement, vous deviez prendre des décisions à ce sujet. Tuer peut normalement être une erreur, mais dans certaines circonstances, cela peut être justifié ou même nécessaire. Mais je ne connaissais pas les normes selon lesquelles les habitants de ce monde faisaient cette distinction, et les critères personnels de Ruijerd étaient probablement… extrêmes. L’homme ne vous laissait pas de marge d’erreur, et il était difficile de savoir où il fixait sa limite. Dans ce cas, il était plus simple et plus sûr de lui interdire tout simplement de tuer.

« Et si personne ne regarde ? Ça ne serait pas bien ? »

J’avais dû me battre contre une forte envie de lui foutre ma main dans la figure. C’était quoi, un gamin d’école primaire ? Ce type était-il vraiment en vie depuis 500 ans ?

« Tu penses peut-être que personne ne regarde, mais les gens voient des choses quand même. »

« Il n’y a personne d’autre dans cette bâtisse, je te l’assure. »

Ah, merde. C’est vrai. Il a cette gemme stupide sur le front.

« Il y avait encore quelqu’un qui regardait, Ruijerd. »

« D’où ? »

Juste ici, mec.

« Éris et moi avons tout vu, pas vrais ? »

« Hm… »

« Ne tue plus personne à partir de maintenant, s’il te plaît. On ne veut pas non plus avoir peur de toi. »

« … Très bien. »

En fin de compte, j’avais essentiellement eu recours à l’approche du « plaidoyer les larmes aux yeux ». Mes paroles n’avaient pas l’air tout à fait convaincantes, même pour moi. Ruijerd hocha la tête, et c’était tout ce qui comptait.

« Merci, Ruijerd. »

J’avais incliné la tête devant lui en signe de gratitude et j’avais remarqué que mes mains tremblaient.

Calme-toi. Calme-toi. Ce genre de chose arrive tout le temps. Respire profondément.

« Hoo... haa... hoo... haa... »

C’était difficile de me calmer. Mon cœur ne voulait pas s’arrêter de battre. J’avais jeté un coup d’œil sur Éris, me demandant comment elle gérait tout cela. Et à ma grande surprise, elle n’avait pas du tout l’air effrayée. L’expression sur son visage disait en gros, « Tu m’as un peu effrayé, mais je suppose qu’une ordure comme ça méritait de mourir ».

OK, peut-être qu’elle ne pensait pas vraiment à quelque chose d’aussi cruel. Mais elle se tenait debout dans sa posture typique : les bras croisés, les pieds écartés, le menton en l’air. Si la fille était secouée, elle faisait de son mieux pour ne pas le montrer.

Et j’étais là, à paniquer alors que tout le monde me voyait. Tu parles d’un pathétique.

Mes mains avaient finalement cessé de trembler.

« Bien. Revenons à l’interrogatoire, OK ? »

En essayant d’ignorer l’odeur du sang encore présent dans l’air, je m’étais forcé à sourire.

***

Chapitre 10 : L’achèvement du premier travail

Partie 1

Maintenant… c’est l’heure du petit interrogatoire.

Qui dois-je interroger en premier, l’homme ou la femme ?

La dame aux yeux d’insecte était en ce moment clairement terrifiée. Elle faisait des bruits étouffés et essayait désespérément de s’éloigner de nous. Si j’enlevais son bâillon maintenant, j’avais l’impression qu’elle se mettrait à balbutier un tas d’absurdités frénétiques. Il semblerait plus intelligent d’attendre qu’elle se calme un peu.

Quant à l’homme-lézard… Je ne savais pas vraiment si son expression avait beaucoup changé, avec le visage reptilien et tout. On aurait dit qu’il était un peu pâle, mais il avait aussi l’air d’observer attentivement ce qui l’entourait. Ses yeux passèrent du visage d’Éris à celui de Ruijerd, puis au mien. J’avais l’impression que son esprit était complètement concentré sur la question de savoir comment il pouvait s’en sortir vivant.

C’était vraiment dommage que Ruijerd ait tué leur pote. Un dur à cuire comme lui aurait été le plus facile à casser.

À ce stade, on devrait peut-être enlever leurs deux bâillons en même temps ? Nous pourrions emmener l’un d’entre eux dans une autre pièce, les interroger séparément, puis comparer leurs réponses par la suite.

Ouais, essayons de faire comme ça.

« Éris, reste ici et surveille cette femme pour nous, d’accord ? »

« Compris », répondit Éris d’un signe de tête énergique.

J’avais mis l’homme-lézard sur ses pieds et je l’avais rapidement fait sortir de la pièce. Une fois que nous étions assez loin dans le couloir pour que nos voix ne puissent pas atteindre son ami, je m’étais arrêté et lui avais enlevé son bâillon, en m’assurant de ne pas lui donner la moindre chance de me mordre.

« J’ai des questions auxquelles j’aimerais que tu répondes. »

« Bien sûr, bien sûr ! Je vous dirai tout ce que vous voulez savoir ! Ne me tuez pas ! »

« Très bien. Une fois que tu auras tout dit, je te laisserais partir. »

« Eek ! »

J’avais vivement souri pour tenter de le rassurer, mais pour une raison quelconque, l’homme-lézard recula, terrorisé. Il n’était peut-être pas aussi calme que je le pensais au départ.

« Pourquoi avez-vous tant d’animaux en cage dans ce bâtiment ? »

« Nous… les avons ramassés dans la rue. »

« Hmm ! C’est vraiment impressionnant ! Et où les avez-vous tous trouvés exactement ? »

« Euh, eh bien, je veux dire… »

Les yeux de l’homme passèrent du visage de Ruijerd au mien. Avait-il vraiment l’intention de continuer à mentir à ce stade ?

« Juste… dans la ville… »

OK, c’est à peine si on peut qualifier cela de mensonge. Ce type avait un visage intelligent, mais peut-être qu’il n’était pas si brillant que ça.

« Wôw, sans blague ! Il doit y avoir des animaux qui traînent partout, hein ? »

Je m’arrêtai un moment, puis le fixai de mon regard le plus féroce.

« Écoute, mon pote. Tu penses que je suis stupide juste parce que je suis un enfant ? »

« Non, non ! Pas du tout ! »

Ouais, ça n’avait pas vraiment marché. Avec ce corps, toute tentative d’intimidation semblait ridicule. Après tout, je n’avais que dix ans. Ah, eh bien. Je supposais que j’allais devoir lui faire un peu peur.

« Explosion. »

D’un claquement de doigts aiguisé, j’avais déclenché une petite flamme ardente juste devant le visage de l’homme.

« Gaaah ! Yowch ! »

Ça lui avait bien brûlé le bout du nez.

« Qu’est-ce que tu fous, mec !? »

Naturellement, j’avais choisi d’ignorer cette question.

« Rends-nous service à tous les deux et réfléchis un peu plus à tes réponses. Tu ne veux pas mourir, pas vrai ? »

L’homme-lézard trembla, se souvenant probablement du moment où Ruijerd assassina son partenaire.

À ce moment-là, il m’était finalement venu à l’esprit que toute notre conversation là-bas avait été dans la langue du Dieu Démon. J’avais parlé de Ruijerd et des Superds dans une langue que ces gens pouvaient évidemment parler.

Ah eh bien. S’ils le savent, alors ils comprennent. Autant essayer d’utiliser ça à notre avantage.

« Ce n’est pas une blague. Mon ami se teint les cheveux en bleu, mais il est vraiment le seul et unique Dead End. Et je ne suis pas aussi jeune que j’en ai l’air. »

« Sérieusement… ? »

« Nous sommes le même genre de personnes que vous, d’accord ? Sois juste honnête avec nous. Peut-être qu’on peut même vous aider. »

Peut-être pas, mais voyons ce qui se passe.

« Mais… Eeek ! »

L’homme-lézard jeta un coup d’œil à Ruijerd, pour détourner immédiatement le regard. Il avait probablement le regard mauvais.

« Allez, crache le morceau. Que faisiez-vous ici ? »

« Nous… Nous attrapons les animaux de compagnie des gens… »

« Pourquoi le faisiez-vous ? »

« On attendait que leurs propriétaires fassent une demande… puis on ramenait les animaux et on faisait comme si on venait de les retrouver… »

« Hmm. Je vois. »

C’était probablement la vérité. Je n’avais aucune preuve de cela, mais c’était logique et cela semblait cohérent avec tout ce que nous avions vu.

La demande qui nous avait amenés ici avait été déposée par une jeune fille innocente, mais vous obtiendriez probablement occasionnellement une belle somme de la dame riche désespérée de retrouver sa petite choupette Christine. Bien que les tâches de guilde semblaient être rémunérées dans une fourchette déterminée en fonction de la difficulté, peut-être que les clients de ce genre offraient parfois des bonus spéciaux à côté. Avec un peu de chance, vous pourriez peut-être gagner votre vie en « trouvant » des animaux toute la journée.

« Que faites-vous si le propriétaire ne fait jamais de demande ? »

« Au bout d’un moment, on laisse les animaux partir… »

« Hmm. Pourquoi ne pas les vendre à une animalerie pour obtenir un bénéfice supplémentaire ? »

« Hah ! Ce serait une bonne façon de se faire prendre, gamin. »

À l’instant où l’homme-lézard s’était moqué de moi, Ruijerd frappa le sol avec le bout de sa lance. Notre prisonnier recula devant le son.

Magnifique, mec ! Vraiment très joli ! Juste au moment où le gars commençait à se sentir un peu arrogant, tu lui rappelais exactement qu’elle était sa place ! Tu es un interrogateur né !

« On dirait que tu as tout prévu, hein ? »

« Ouais, à peu près. »

« Personnellement, j’aurais quand même transformé les animaux en argent. Tu pourrais toujours les hacher et vendre la viande à un boucher, non ? Aucun risque de se faire prendre de cette façon. »

Je voulais dire, les gens avaient l’air d’aimer manger de la chair de monstre par ici. Ils achèteraient sûrement de la viande mystérieuse provenant d’animaux divers.

Oh. Maintenant, l’homme-lézard me regarde comme si j’étais un tueur en série. Allons bon ! Les gens mangent de Grandes Tortues par ici, non ? En quoi une tortue de compagnie est-elle différente ?

Je me tournai de nouveau vers Ruijerd, dans l’espoir d’obtenir la confirmation que je n’étais pas fou.

« Rudeus, as-tu l’intention de te débarrasser de ces gens de la même manière ? », dit-il solennellement

Quelle question alarmante !

Au moins, la réaction de notre captif avait un sens maintenant. Il s’était probablement posé la même question.

« Hmm, maintenant il y a cette idée… »

Le visage de l’homme-lézard tremblait pendant que je lui montrais un sourire rempli de mauvaise intention. Ah, cette expression, je la reconnaissais. Cela me remémorait certaines choses. Les gens me regardaient comme ça tout le temps lors de ma première vie.

« Rudeus… »

Ruijerd, s’il te plaît. Tu n’as pas besoin de me perforer le dos comme ça. Je plaisantais, c’est tout, d’accord ? Je ne ferais pas vraiment ça.

« Eh bien, nous n’étions venus ici que pour trouver un chat en particulier. Ce n’était pas comme si nous étions une bande de justiciers ambulants. On peut toujours faire comme si on n’avait rien vu. »

« Vraiment ? »

« Le seul problème, c’est que vous savez tous les deux que Ruijerd est vraiment un Superd. Hmm. Qu’allons-nous faire à ce sujet ? »

« Je ne le dirai à personne ! Ce n’est pas comme si quelqu’un me croirait si je disais qu’ils erraient dans la ville ! »

« Je ne pense pas que ce soit vrai. Les vilaines rumeurs trouvent toujours un moyen de se déplacer. »

De toute façon, il était préférable de supposer ça. Surtout quand c’est une rumeur que tu ne veux pas répandre.

« De mon point de vue, vous savez que le plus simple serait de vous tuer tous et d’enterrer vos corps quelque part ? »

« Allez, mec, ne parlez pas comme ça… Je ferai tout ce que vous voulez, OK ? Ne me tuez pas… »

C’était les mots que j’espérais entendre. Il était temps de conclure la phase d’intimidation.

Hmm. Mais qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Ces gens étaient des voleurs d’animaux, ce qui en faisait des criminels, alias « méchants ». Mais il s’agissait clairement de petits escrocs qui n’avaient aucun lien avec le monde souterrain local. Les laisser s’en tirer ne nous mettrait pas en danger.

Cela dit, ils avaient vu Ruijerd tuer un homme, ce qui signifiait qu’ils pourraient éventuellement perturber notre plan pour en faire un héros local. Je préférerais vraiment ne pas mettre ce risque au-dessus de nos têtes.

Les tuer de sang-froid était hors de question. Je venais de donner une conférence à Ruijerd sur ce sujet. Je pourrais peut-être les donner à la garde de la ville ?

Non. Tout ce qu’ils avaient fait, c’était voler un tas d’animaux de compagnie, et ce n’était pas le plus grave des crimes. Les gardes les laisseraient peut-être s’en tirer avec quelque chose comme une grosse amende, et ils seraient de retour dans la rue, peut-être pour s’en prendre à nous. Peu importe à quel point ils étaient soumis en ce moment, une fois que mon pied était sur leur gorge, on pouvait s’attendre à tout.

Idéalement, je voulais les garder dans un endroit où je pourrais les surveiller… et les menacer de nouveau périodiquement. Au moins jusqu’à ce que je sache qu’ils ne nous causeraient pas de problèmes. Mais cela comportait aussi certains risques. Si nous continuons à nous appuyer sur eux, leur ressentiment pourrait dégénérer en haine. On avait après tout déjà tué un de leurs amis. Pour l’instant, cela alimentait leur peur de nous, mais un jour, cela pourrait les pousser à essayer de se venger.

Nous ne pouvions pas les tuer… et nous ne pouvions pas les remettre aux gardes.

Et si on les intégrait dans notre groupe ? Ils pourraient nous aider à gagner de l’argent et à gravir les échelons. On les obligerait à recueillir des informations dans toute la ville et à faire des quêtes au hasard pour nous. On pourrait même s’emparer de leur racket d’enlèvement d’animaux.

Bien sûr, Ruijerd n’aimerait probablement pas du tout ce plan. Il avait déjà classé ces gens comme des méchants, assez méchants pour mériter de mourir. Je doutais qu’il veuille travailler avec eux.

Hmm. Réduisons le risque et le rendement de toutes nos options :

  1. Les tuer

RISQUE : Ruijerd va devenir très confus.

On pourrait prendre la mauvaise habitude de tuer pour s’en sortir.

EN RETOUR : Préviens tout problème potentiel à l’avenir.

On peut prendre l’argent qu’ils ont sur eux.

  1. Les livrer aux gardes de la ville

RISQUE : Ils sont peut-être rancuniers.

RETOUR : Un peu de bonnes relations publiques, peut-être ?

  1. Les laisser tranquilles

RISQUE : Ils sont peut-être rancuniers.

RETOUR : Rien en particulier.

  1. Les intégrer dans notre groupe

RISQUE : Ça ne se passera pas bien avec mon pote.

Les gens pourraient penser que nous sommes impliqués dans des affaires louches.

RETOUR : Une façon facile de garder un œil sur eux.

Ça nous donne de l’aide supplémentaire.

***

Partie 2

Le numéro un était facile à éliminer. J’avais l’impression que nous allions dans la mauvaise direction. Je n’étais pas un cœur tendre ou quoi que ce soit d’autre, mais tuer des gens à droite et à gauche serait tout simplement stupide. J’avais l’impression que cela finirait par se retourner contre nous.

Les numéros deux et trois étaient des paris à faible risque et à faible rendement. Même si nos nouveaux amis essayaient de se venger de nous, Ruijerd pourrait les retrouver assez facilement… mais nous finirions probablement par les tuer de toute façon. Ce serait un résultat lamentable et un gaspillage d’efforts.

Le numéro quatre semblait être le pari gagnant. Cela pourrait ruiner l’impression que Ruijerd a de moi, mais… mis à part tout le reste, nous avions aussi un besoin urgemment d’argent en ce moment.

Ouais, c’est vrai. L’argent doit être notre priorité absolue en ce moment, n’est-ce pas ? Et de l’aide supplémentaire devrait nous faciliter la tâche.

Nous pouvions aussi les ajouter à notre groupe, puis nous séparer pour nous attaquer à plusieurs missions de rang F à la fois. Cela nous permettrait de gravir les échelons plus rapidement, et c’était génial de pouvoir gravir les échelons. Une fois que nous aurions pu assumer des tâches de rang C, notre vie deviendrait tellement plus facile.

Hm ? Attends une seconde.

« En y repensant, si vous preniez des boulots de recherche d’animaux, cela fait de vous des aventuriers, non ? »

« Oui, c’est vrai. »

Oh, hey ! Nous aussi ! Quelle coïncidence !

« Quel est le rang de votre groupe ? »

« Euh, rang D... »

Non seulement ils étaient des aventuriers, mais ils allaient former le duo qui nous fera monter les échelons.

« Donc tu fais des tâches de rang E même si tu es de rang D ? »

« Ouais. On pourrait monter jusqu’au rang C à ce stade, en fait, mais la recherche d’animaux perdue était pour nous de l’argent stable, tu vois ? »

Une fois que vous aviez atteint le rang C, vous n’étiez plus autorisé à prendre des tâches de rang E. Peut-être que certaines personnes étaient délibérément restées au rang D pour pouvoir continuer à travailler dans des emplois plus simples et plus sûrs… ou pour pouvoir continuer à se livrer à une arnaque, dans ce cas précis. Si nous étions à leur place, nous monterions immédiatement au rang C et commencerions à nous emparer de missions de destruction de monstres classées B, mais peut-être que certains aventuriers préféraient éviter complètement le combat.

Hm. Peut-être qu’on pourrait leur demander de prendre des quêtes de rang C et de les aider à se battre ? Même si nous partagions l’argent également entre nous, cela devrait résoudre notre crise de trésorerie.

Non, non, non… nous ne voudrions jamais gravir les échelons de cette façon.

« Ah… »

Tout d’un coup, une ampoule s’était allumée dans ma tête. Je venais de trouver la solution parfaite.

« Hé, pourriez-vous tous les deux continuer à faire ce boulot sans le gars qui est mort ? »

« Non, on va juste arrêter ce raffut et devenir réglo… »

« Sois honnête, s’il te plaît. »

« Ouais, on pourrait ! Ce type nous a vus tous les deux attraper un animal et nous a fait chanter pour qu’on lui donne une part ! »

Quoi, sérieusement ? J’imagine qu’on a eu de la chance…

C’était une chance sur trois, mais Ruijerd avait apparemment tué le bon gars. Peut-être que c’était dû au fait que l’Homme-Dieu veillait sur nous.

« Dans ce cas, pourquoi ne pas faire équipe avec nous ? »

« Tu veux te joindre à eux !? Tu n’es pas sérieux ! »

Ruijerd avait crié derrière moi.

« Ruijerd, peux-tu te taire une minute ? »

« Quoi !? »

« Ne t’inquiète pas. Je sais très bien ce que je fais. »

Je m’étais retourné un moment. Comme on pouvait s’y attendre, Ruijerd n’avait pas l’air très content. L’idée m’avait semblé bonne, mais j’avais peut-être besoin d’y repenser. C’était tellement… parfait. Nous pourrions gagner de l’argent, augmenter notre rang, et travailler sur la réputation de Ruijerd, tout cela en même temps.

Ouais. À moins que je n’aie négligé quelque chose, cette solution ne présentait que des avantages.

Je m’étais retourné vers l’homme-lézard et je l’avais regardé dans les yeux.

« Tu as dit que tu ferais tout ce que je voulais plus tôt, non ? »

« Bien sûr. Je peux vous donner de l’argent, si vous le voulez. Ne nous tuez pas… »

« Je n’ai pas besoin de ton argent. Mais je veux que tu augmentes ton rang à la guilde. »

« Euh, quoi ? »

OK, expliquons ça gentiment et lentement.

« Regarde. Tout le monde dans notre groupe est spécialiste du combat, comme tu peux probablement le voir. On peut traquer les animaux perdus s’il le faut, mais ce serait beaucoup plus efficace pour nous d’aller tuer des monstres. »

« Ouais, je suppose… Alors, euh… pourquoi faites-vous actuellement ce genre de boulot ? »

« C’est une longue histoire, mais nous venons juste de devenir des aventuriers. »

« Euh, d’accord… »

J’avais l’impression qu’on commençait à s’éloigner un peu du sujet.

« Quoi qu’il en soit ! Le fait est qu’on veut prendre des quêtes de combat, mais notre rang est trop bas. Vous deux, par contre, vous n’êtes pas vraiment capables de tuer des monstres. Me comprends-tu jusqu’ici ? »

« Oui… »

« Eh bien, voici une solution simple et agréable. On va commencer à échanger nos quêtes. »

L’homme-lézard pencha la tête sur le côté, perplexe.

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

« Vous deux, vous allez prendre part à des missions d’éradication de monstres de rang C ou B à la guilde. On va prendre d’autres emplois d’animaux perdus pour gravir les échelons. Nous nous occuperons de vos quêtes pour vous, et vous vous occuperez des nôtres pour nous. »

« Attendez une seconde, quoi ? La guilde ne vous laissera pas rendre notre travail pour nous… »

« Ne sois pas stupide. Le groupe qui a pris la tâche sera aussi celui qui fera un rapport une fois qu’il sera terminé. »

« Ah… »

Je pouvais voir la compréhension naître dans les yeux de l’homme-lézard.

Le concept était assez simple :

DEAD END : Prend des emplois de rang E, effectue des emplois de rang B.

Rend compte des emplois de rang E et reçoit les récompenses qui s’y rattachent

LEUR GROUPE : Accepte des emplois de rang B, exécute des emplois de rang E.

Rends compte des emplois de rang B et reçois les récompenses qui s’y rattachent

Après, bien sûr, nous nous retrouvions pour échanger les récompenses que nous avions reçues.

Il y avait peut-être des problèmes avec le concept en ce qui concernait les règlements de la guilde, mais j’avais entendu dire que des aventuriers de haut rang aidaient parfois les débutants de bas rang à accomplir leurs tâches. On ferait l’inverse, plus ou moins. Ce n’était probablement pas contraire au règlement proprement dit.

« Nous voulons de l’argent et un rang plus élevé. Vous voulez gagner votre vie de façon stable. On dirait qu’on peut s’entraider, non ? Nous vous donnerons même une part des récompenses de rang B comme commission, si vous voulez. »

« Une commission, hein… ? »

Le lézard avala de façon audible.

Les emplois de rang B étaient bien payés. C’était la carotte que nous leur faisions miroiter. Nous ne pouvions pas compter entièrement sur le bâton, sinon ils finiraient par nous trahir. Notre arrangement devait être une bonne affaire pour tout le monde.

« Cependant, il y a une condition. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Tu dois passer le mot sur Dead End dans toute la ville. »

« Quoi… ? Euh, je pense que tout le monde connaît déjà le nom… »

J’étais sûr qu’il dirait cela.

« Oui, mais on veut qu’ils pensent que c’est un type bien. Parlez à tout le monde de nos bonnes actions, même si vous devez inventer des choses. Vous pouvez même vous appeler “Dead End” quand vous avez à faire à quelconque emploi de rang F. »

« Est-ce qu’il y a… un lien avec tout ça ? »

Il y en avait certainement un, mais… même si on lui donnait une longue explication détaillée du tragique passé de Ruijerd, est-ce qu’il allait simplement y croire ?

Non, probablement pas. Il venait de voir Ruijerd tuer de sang-froid un membre de son groupe. Il n’avait pas l’air d’avoir été trop amical, mais son impression du Superd était probablement gravée dans le marbre à ce moment-là.

« Il y a des choses qu’il vaut mieux que tu ne saches pas, mon ami. »

« Bien… Très bien, peu importe. »

J’avais fini par lui donner une non-réponse à la va-vite, mais le gars l’avait acceptée assez facilement.

« En gros, vous voulez qu’on parle de vous, c’est ça ? »

« Exactement. Assure-toi de ne pas utiliser notre nom d’une manière que nous n’aimerions pas, bien sûr. Garde à l’esprit qu’on a un gars qui pourrait te traquer jusqu’au bout du monde. »

L’homme-lézard jeta un regard effrayé sur Ruijerd et hocha la tête à plusieurs reprises.

« Très bien, alors. J’ai hâte de travailler avec vous, mon ami… au moins jusqu’à ce qu’on monte en grade. », avais-je dit

« Oui. Bien sûr. »

« Rendez-vous demain matin à la guilde. Ne soyez pas en retard. »

Avec un sourire, j’avais frappé l’homme-lézard dans le dos.

Par mesure de sécurité, nous avions aussi interrogé la femme pour voir si son histoire correspondait à celle de son ami.

Selon elle, ils étaient tous les deux des spécialistes des animaux perdus avant qu’ils ne deviennent des criminels. C’était leur gagne-pain depuis un certain temps. Un jour, ils avaient à titre préventif ramassé un animal qui était clairement un animal de compagnie perdu, ce qui les avaient amenés à penser à quel point leur travail serait plus facile s’ils pouvaient attraper leurs cibles avant que les demandes soient déposées. Les choses avaient pris de l’ampleur avec le temps, et ils s’étaient finalement retrouvés dans le business de la capture d’animaux de compagnie.

Au début, il s’agissait d’une opération à petite échelle, mais ensuite l’homme A les avait pris en flagrant délit au milieu d’un enlèvement. Il s’était introduit de force dans le groupe en tant que « garde du corps ». Celui-ci commença à agir comme le chef, et avait rapidement intensifié leurs activités. En plus de prendre une part énorme des profits pour lui-même, il avait aussi contraint la femme à coucher avec lui dans le cadre de ses « honoraires ». Par conséquent, ils ne nous en voulaient pas trop de l’avoir tué. Surtout la femme.

Nous avions vraiment eu de la chance.

Au fait, l’homme-lézard s’appelait Jalil, et la dame-insecte Vizquel.

Après une brève rencontre de groupe avec eux, j’avais finalement enlevé leurs menottes.

***

Partie 3

Alors que nous quittions le bâtiment avec le chat de notre cliente, Ruijerd me regarda fixement et rompit son silence.

« Rudeus ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Le sens de… quoi, exactement ? »

Il m’attrapa par le revers et me souleva de quelques centimètres du sol.

« Ne fais pas l’idiot ! Ces gens sont des méchants ! Veux-tu vraiment que je m’associe à eux ? »

Très bien. L’homme était vraiment furieux. Son visage était… effrayant à regarder en ce moment. Je n’avais pas pu m’empêcher de me rappeler qu’il avait tué un homme il y a peu de temps.

« Eh bien, je te l’accorde, ce ne sont pas des gens formidables. Mais ce ne sont que de petits escrocs… ils ne faisaient rien de mal. »

« Un méchant est un méchant ! L’ampleur de leur mal n’a rien à voir avec ça ! »

Je savais que ça arriverait, pas vrai ? Pour une raison quelconque, mes jambes tremblaient encore. Ma voix tremblait, et il y avait de petites larmes qui se formaient dans le coin de mes yeux.

« Mais regarde, ça nous permet de faire d’une pierre deux coups… »

« Qu’est-ce que ça peut faire !? »

Ruijerd n’y croyait vraiment pas, n’est-ce pas ? Ce n’était pas bon. J’avais trop peur de penser clairement. Le claquement de mes dents résonnait fort dans ma tête.

« Ces méchants te trahiront un jour ! », cria Ruijerd, alors que ses yeux se rétrécissaient.

C’était vrai. J’avais pris en compte cette possibilité. Mais ce plan offrait des avantages juteux de leur point de vue, et nous leur avions juste fait très peur. Ce n’était probablement pas un problème à court terme.

« À quoi pensais-tu ? Pourquoi devons-nous conspirer avec de telles personnes ? »

Cette question… m’avait fait réfléchir.

Cet homme avait raison. Ce n’était pas comme si nous devions unir nos forces avec ces deux-là. Nous aurions toujours pu faire les choses à un rythme plus tranquille, en prenant les tâches de la guilde quand nous le pouvions, en chassant des monstres en dehors de la ville quand nous avions besoin d’argent, et en gravissant lentement les échelons. C’était une alternative parfaitement viable. Et ça n’impliquerait pas de compter sur des gens louches. Ce serait un peu un détour, mais ce n’était pas la fin du monde.

C’était peut-être une mauvaise idée. On annule, on fait demi-tour et on tue ces deux-là tout de suite ? On aura ainsi un bon bain de sang ?

Étais-je dans le droit chemin ? Je n’en étais plus si sûr.

« Ruijerd ! »

À ce moment-là, mon débat intérieur avait été interrompu par un cri féroce. Le corps de Ruijerd s’était balancé une fois, puis deux fois.

« Enlève tes mains de Rudeus ! »

Éris lui donnait des coups de pied au derrière… à plusieurs reprises.

« De toute façon, de quoi te plains-tu !? »

Sa voix était assez forte pour me faire sonner les oreilles. Quelques passants regardèrent dans notre direction, se demandant pourquoi tout ce tapage.

« Je n’aime pas l’idée d’unir mes forces à celles d’une paire de méchants. »

« Oh, boo-hoo! Et si ça ne te plaît pas ? Il fait ça pour ton bien, imbécile ! Et le mien ! »

Les yeux de Ruijerd s’élargirent, et mes pieds redescendirent sur le sol. Éris cessa rapidement de lui donner des coups de pied, mais elle n’en avait pas fini avec les cris.

« Tout d’abord, qu’est-ce que ça peut faire qu’ils volent des animaux ? »

« Tu me comprends mal. Le genre de personne qui donnerait un coup de pied à un enfant ne peut pas être… »

« Oh, allez ! Je frappe les gens tout le temps ! »

« … quand même, on ne peut pas faire confiance aux méchants. »

« Tu as fait des choses maléfiques dans le passé, n’est-ce pas !? »

Eh bien, maintenant elle l’avait laissé pantois.

Mlle Éris… Je suis très reconnaissant que tu me défendes ainsi, mais peut-être que nous ne devrions pas le pousser trop fort là où cela fait mal…

« Rudeus est vraiment intelligent, OK !? Il va tout arranger ! Alors… tais-toi et fais ce qu’il dit ! »

« … »

« Ne commence pas à pleurnicher chaque fois que tu te sens un peu malheureux ! »

« Mais… »

« Si tu vas te plaindre de chaque petite chose, alors rentre chez toi maintenant ! Rudeus et moi pouvons nous débrouiller seuls ! »

Ruijerd chancela, déconcerté par l’émotion brute présente sur le visage d’Éris.

« … Très bien. Je suis désolé, Rudeus. »

Après un moment, celui-ci s’excusa auprès de moi. L’homme avait été submergé par la véhémence d’Éris. Mais cela ne voulait évidemment pas dire qu’il était convaincu.

« C’est bon, Ruijerd… »

La barre que j’avais besoin de franchir venait de s’élever bien plus haut. Après tout cela, je ne pouvais pas admettre moi-même que je me sentais incertain.

Faire équipe avec ces deux-là avait peut-être été une décision imprudente. Mais maintenant que j’en étais arrivé là, je devais m’en tenir à mes armes, même si je me sentais anxieux.

J’avais pensé que c’était une idée géniale au début. Je dois juste me faire confiance sur ce coup-là.

… Ce n’était pas comme s’il y avait beaucoup de gens en qui j’avais moins confiance.

◇ ◇ ◇

Quand nous l’avions réunie avec son chat, Meicel était absolument ravie. Elle était arrivée en courant dès qu’elle avait posé les yeux sur nous, avait jeté ses bras autour de Mii, et fit couler des larmes de joie.

La fille adorait visiblement son animal de compagnie. Le chat était étonnamment tolérant envers son affection… étant donné que c’était une panthère.

« Merci ! Je vous remercie ! Hum, voilà pour vous ! »

Au bout d’un moment, notre cliente heureuse remit à Ruijerd une petite carte métallique. Il y avait quelque chose qui ressemblait à un numéro de série, avec le mot « terminé ».

« Qu’est-ce que c’est ? » avais-je dit.

« Ne le savez-vous pas ? N’êtes-vous pas des aventuriers ? » demanda la fille avec incrédulité.

Eh bien, je suppose que je vous laisserai me l’expliquer, si vous insistez ! Harumph !

« Pourriez-vous m’expliquer, mademoiselle ? »

« D’accord ! Quand vous porterez ça à la Guilde des Aventuriers, ils vous donneront de l’argent à la place. Mais elle n’était pas complétée au début ! Si vous mettez ensuite ton doigt sur la partie vide et que vous faites “tâche accomplie”, c’est tout ce qu’il faut ! »

En voici une traduction libérale : « Si vous placez votre doigt sur la carte et que vous dites que la tâche est terminée, la carte indiquera que le travail est fait. »

Hmm. Est-ce que c’était une sécurité contre la possibilité que quelqu’un vole la carte ? Mais que se passerait-il si je faisais moi-même la partie « tâche accomplie » ? Est-ce que ça marcherait ? Si c’était le cas, vous pouvez simplement obtenir les cartes et les rendre pour obtenir facilement de l’argent…

Non. Même si ça marchait, la guilde s’en rendrait compte en un rien de temps. Et ils avaient probablement pris des mesures pour prévenir ce genre de choses.

« Uhm… on dirait que celui-ci dit déjà “complet”. » Normalement, vous attendriez que le travail soit fait pour faire toute cette étape, n’est-ce pas ? »

« Oui ! Mais je savais que Ruijerd allait trouver Mii, alors je l’ai fait d’avance ! »

Oh, mon Dieu, ce n’est pas vrai. Trop mignon ! La confiance d’une enfant est une si belle chose !

Ruijerd s’accroupit et tapota doucement la fille sur la tête.

« Je vois… Vous aviez foi en moi, n’est-ce pas ? Merci, Meicel. »

« Oui ! Je ne savais pas qu’il y avait de bons diables, mais maintenant oui ! »

Pendant un moment, le visage de Ruijerd semblait gelé. Je sais ce que tu ressens, mec, mais c’est là où se situe ta réputation en ce moment.

« Très bien, mademoiselle. N’oubliez pas Dead End et votre ami Ruijerd, d’accord ? »

« Oui ! Venez m’aider si elle disparaît encore ! »

Les dernières paroles joyeuses de la fille m’avaient fait un peu mal à la poitrine.

◇ ◇ ◇

Quand nous étions tous les trois rentrés à la Guilde des Aventuriers, le crépuscule était déjà là. Si chaque travail nous prenait autant de temps, nous ferions faillite en un rien de temps.

« Hé, c’est quoi ce bordel ? Ils sont de retour ! »

« Whoa! Tu as déjà trouvé cet animal perdu, gamin ? »

Dès qu’on était entrés dans l’immeuble, ce même type, l’homme cheval, recommença à nous faire marcher. Il était assez facile à reconnaître, car sa tête de cheval contrastait étrangement avec son corps de Minotaure. Il était resté dans la guilde toute la journée ou quoi ?

« Oh, si ce n’est pas l’homme à tête de cheval de ce matin… As-tu fait une pause aujourd’hui ? »

Honnêtement, ce n’était pas très amusant de traiter avec ce type. Il me rappelait trop quelqu’un qui m’avait intimidé avant ça. Ils avaient tous les deux fait un grand spectacle en s’amusant avec vous, en invitant tout le monde à se joindre à vous.

« Euh… quoi ? Tu parles très poliment, tout d’un coup, petit. Plutôt flippant… »

Oups ! J’avais oublié de mettre mon autre personnalité. Je suppose que je vais m’y faire…

« Tu es un aventurier chevronné et tu as été assez gentil pour nous donner quelques conseils. Pourquoi ne te parlerais-je pas respectueusement ? »

« O-oh. Bien sûr. Je suppose que tu marques un point. »

L’homme cheval était devenu un peu timide à ce sujet. C’était un sacré coup monté.

« C’est grâce à toi, qui nous as indiqué la bonne direction, que notre premier travail s’est déroulé sans accroc. »

« Pardon ? »

J’avais montré notre carte de tâches devant l’homme cheval. Celui-ci semblait vraiment impressionné.

« Eh bien, c’est quelque chose ! Vois-tu, il est sacrément difficile de retrouver un seul animal dans une ville aussi grande ? »

Oui, je suis sûr que ça le serait d’habitude d’autant plus lorsque l’animal en question a été enlevé.

« Hé, ce n’est pas grave quand on a Ruijerd de Dead End de son côté. »

« Merde. Pour une fraude totale, ce type n’est pas à moitié méchant ! »

« Pousse-toi, Homme-Cheval ! C’est le vrai ! »

J’avais laissé l’individu pendant un moment, et je m’étais dirigé vers les comptoirs de réception. Là, j’avais remis la carte de tâche et nos trois cartes d’aventurier à la greffière. Après un certain temps, elle avait remis nos cartes, ainsi qu’une pièce de monnaie brute de la taille d’une pièce de 100 yens.

Quand j’étais retourné vers les autres, j’avais trouvé l’homme cheval et Ruijerd engagés dans une conversation.

« Hé, de toute façon, comment as-tu trouvé cet animal ? Par simple curiosité. »

« De la même façon que je traque les proies pendant la chasse. »

« Ooh. La chasse, hein ? C’est quoi le nom de ton peuple déjà ? »

« … Les Superds. »

« Hah. Bien sûr, bien sûr. Je savais que tu en étais un, mec. Ce truc que tu portes est un bijou et cela ne laisse aucun doute. »

L’homme cheval fixait le pendentif de Roxy, maintenant suspendu de façon proéminente autour du cou de Ruijerd.

« Je suis Nokopara. Rang C. »

« Ruijerd, rang F. »

« Ouais, je connaissais déjà ton grade, mec ! Ah, eh bien. Si vous avez besoin de savoir quelque chose, n’hésitez pas à demander. Je ne suis pas radin quand il s’agit d’aider les débutants ! Gahahahah ! »

Ça avait l’air d’une conversation de bon ton, tout bien considéré. C’était plutôt agréable de voir le paria désigné de notre groupe parler à un étranger, mais j’avais aussi très peur qu’il en dise trop… ou qu’il se mette soudainement à attaquer. J’espérais que le sujet des enfants ne soit pas abordé.

Éris, assise aux côtés de Ruijerd, était également une préoccupation. J’avais remarqué que des gens venaient lui parler de temps en temps, mais comme elle ne parlait pas la langue, elle ne leur répondait jamais.

« Wôw, c’est une belle épée. Où l’avez-vous eue ? »

« … »

« Hé ! Allez ! Ne m’ignore pas comme ça ! »

Une guerrière en particulier semblait s’irriter du traitement silencieux.

« Puis-je vous aider, mademoiselle ? »

Je m’étais interposé entre elles, mais elle s’était contentée de grommeler « Ah, oublie ça », puis elle partit aussitôt.

C’était alors que Nokopara s’était tourné de nouveau vers moi.

« Salut, petit. Tu as réussi à obtenir ta récompense, pas vraie ? »

« Oui. Une pièce de ferraille ! C’est la première fois qu’on gagne de l’argent en tant que groupe. »

« Haha ! Mec, au début tu seras payé des cacahuètes. »

« Allez, viens. Ce n’est pas une façon de parler des économies d’un enfant pauvre. »

« C’est toujours des cacahuètes, gamin. »

« Seulement dans un sens monétaire. »

Cette gentille petite fille avait économisé son argent de poche pour le bien de son chaton bien-aimé. Quand vous preniez en compte ce fait à l’esprit, même une seule pièce de monnaie brute comme celle-ci ne semblait pas si insignifiante, n’est-ce pas ?

« Tu ne comprends pas la valeur réelle de cette récompense. Pourquoi n’irais-tu pas voir ailleurs, hein ? Shoo, shoo, shoo. »

« Tu me parles vraiment méchamment. Bon, très bien. Continue comme ça, gamin ! »

D’un geste de la main, Nokopara se dirigea vers une autre partie de la pièce. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire dans la vie ?

Quoi qu’il en soit, nous avions réussi à mener à bien notre premier travail d’aventuriers.

***

Chapitre 11 : Un démarrage en douceur

Partie 1

Lorsque nous nous étions rendus à la porte d’entrée de la guilde des aventuriers le lendemain matin, un homme-lézard s’était immédiatement approché de moi.

« Oh, bonjour à vous. Je me suis déjà occupé de notre promotion. »

Pendant un moment, je n’avais aucune idée de qui ce type était censé être, mais j’avais remarqué la dame aux yeux d’insecte à côté de lui et j’avais réalisé que c’était les voleurs d’hier. Ils s’appelaient… Jalil ? Et Vizquel, si je me souvenais bien ?

Pour ma défense, il était difficile de distinguer un visage d’un autre ici. Il y avait une tonne de lézards dans cette ville, et le fait que ces deux-là portaient une armure de cuir au lieu des vêtements civils qu’ils portaient la veille n’aidait pas. Ils semblaient totalement différents lorsqu’ils s’habillaient comme des aventuriers ordinaires plutôt que comme des citoyens ordinaires.

« Bonjour, Jalil. Merci beaucoup de t’en être occupé. »

« C’est quoi ce ton poli ? Vous me donnez la chair de poule… »

« Je parle juste avec respect. Cela pose-t-il un problème ? »

« Non, non… »

Tandis que je le regardais fixement, Jalil détourna vite les yeux.

« Content de te voir aussi, Vizquel. J’ai hâte de travailler avec toi. »

« Euh… d’accord. »

Vizquel fixait Ruijerd d’un air effrayé. Pour être justes, ses yeux lançaient des poignards. Eh bien…

« Alors, on rentre ? »

« Oui. Bien sûr », répondit Jalil d’un petit signe de tête nerveux.

Dès que nous avions mis les pieds à l’intérieur de la guilde elle-même, un certain cheval nous avait repérés et s’était mis à déambuler.

« Hé, salut ! »

« … Salut. »

Ce type traînait encore par ici… ? Sérieusement, comment gagnait-il de l’argent ?

« Oh hoh, qu’est-ce que c’est ? Tu es avec les P Hunter aujourd’hui, hein ? »

« Salut, Nokopara. Ça fait un bail. »

Apparemment, l’homme cheval et notre nouvel ami lézard étaient des connaissances.

« Ouais, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, Jalil. J’ai entendu dire que tu as été promu au rang C ! Es-tu sûr que ce soit une bonne idée ? Tu sais que tu ne seras plus capable de faire ces petits boulots ? »

Faisant une pause, Nokopara posa son regard sur Jalil et ensuite sur moi, puis il hocha la tête avec un hennissement semblable à celui d’un cheval.

« Maintenant, je comprends. Pas étonnant que tu aies réussi cette quête d’animaux perdue hier, fiston ! Tu as dû convaincre les P Hunter de t’aider, non ? »

« P Hunter » était probablement le nom du groupe de Jalil. Ça avait l’air d’aller.

« Oui, exactement ! On les a croisés hier alors qu’on cherchait cet animal, et ils nous ont proposé de nous montrer les ficelles ! », avais-je dit.

« Oh hoh. Le timide petit Jalil a trouvé des apprentis maintenant ? Et l’un d’eux est même un faux Superd ! Guhuhuh… »

L’homme cheval était trop heureux d’avoir acheté mon mensonge sans effort. Il avait mal compris la situation d’une manière assez commode pour nous. Après avoir gloussé un moment, il s’était penché pour regarder autour de Jalil.

« Hé, je ne vois pas Roman avec toi aujourd’hui. Où est-il passé ? »

« Ouais… Roman, euh… est mort. »

« Ah, j’ai compris. C’est dommage. »

Roman était probablement le nom de cet homme que Ruijerd avait tué. Nokopara n’avait pas l’air particulièrement secoué par les nouvelles. Peut-être que l’annonce de la mort d’un aventurier n’était pas si importante dans ce genre de travail. Étais-je le seul à l’avoir pris aussi sérieusement ? Jalil et Vizquel semblaient aussi relativement indifférents sur le sujet.

« Si tu as perdu Roman, pourquoi voudrais-tu augmenter ton rang maintenant ? Ce type était le meilleur combattant de ton groupe, n’est-ce pas ? »

« Eh bien, je… » Jalil me jeta un regard nerveux. Voyant cela, Nokopara laissa sortir un autre hennissement.

« Ah, oui, je comprends pourquoi. Tu n’as pas à répondre à ça. Il est évident que tu veuilles avoir l’air d’un gros bonnet devant tes nouveaux apprentis ! »

C’était presque impressionnant de voir à quel point il avait bien emballé les choses pour lui-même. Avec quelques claques amicales sur le dos de Jalil, Nokopara s’était finalement retourné et se dirigea vers les tables. Je pouvais entendre l’homme-lézard pousser un petit soupir de soulagement.

Sérieusement, c’était quoi son problème ? Il nous harcelait constamment. Il avait le béguin pour moi ou quoi ? Non… au contraire, il semblait passer plus de temps à regarder Ruijerd. Peut-être qu’il avait un faible pour les hommes robustes à cicatrices ?

D’une façon ou d’une autre, j’en doutais.

« Très bien. Et si on allait tous ensemble jeter un coup d’œil au tableau des quêtes ? »

Au fur et à mesure que nous avancions dans la guilde, quelques personnes nous toisaient avec des regards bizarres. Pour l’instant, il valait mieux faire semblant de ne rien remarquer. Comme nous étions apparemment tous les trois des « apprentis » maintenant, je m’étais fait un devoir de poser quelques questions à Jalil et Vizquel quand nous avions regardé les emplois de rang D au rang B.

« Y a-t-il une différence entre les tâches de “récolte” et de “collecte”, les gars ? »

« Hein ? Bien sûr. Je suppose que ce qu’ils appellent récolte consiste en une cueillette des plantes, et que les collectes consistent surtout en des exterminations de monstres… »

La réponse de notre nouveau mentor était un peu vague, mais elle semblait à peu près exacte. Les travaux de récolte semblaient surtout impliquer la recherche d’herbes médicinales et autres… alors que la collecte était plutôt un fourre-tout pour d’autres types de « quêtes de recherche de mobs ».

« Oh, c’est vrai. Ruijerd ? »

« Qu’est-ce qui se passe ? »

« Je suis désolé, mais je pense qu’il faut qu’on se concentre sur notre gain d’argent et notre augmentation de rang pendant un moment. »

« … Pourquoi t’excuses-tu auprès de moi ? »

« Parce que nous mettons cette autre affaire en veilleuse. »

J’avais dit à Jalil et Vizquel de faire passer le mot sur Dead End. Je ne m’attendais pas à grand-chose à cet égard. J’avais brièvement envisagé de les microgérer pour m’assurer qu’ils aidaient les gens avec le sourire, mais, fondamentalement, il me semblait plus intelligent de ne rien faire. Tant que nous garderions nos distances avec ces deux-là, nous pourrions les jeter si cela devenait nécessaire. Même si leurs activités criminelles étaient révélées, et même s’ils essayaient de rejeter le blâme sur Dead End, on se moquerait d’eux, après tout, ils étaient beaucoup mieux classés que nous, et tout le monde savait déjà que Ruijerd était un « faux ».

« Ce n’est rien, Rudeus. Je comprends. »

Comme Ruijerd ne soulevait aucune objection, j’avais choisi quelques emplois en consultation avec Jalil.

◇ ◇ ◇

Après avoir échangé quelques mots de salutation avec les gardes de la porte, nous avions quitté la ville tous les trois.

Dans les environs de Rikarisu, il semblerait que les Coyotes Pax, les loups acides, les grandes tortues et les tortues géantes de pierre étaient vos meilleurs paris quand il s’agissait de chasser les monstres. Vous deviez tuer la plupart du temps les Coyotes Pax pour leurs peaux, les loups acides pour leurs crocs et leurs queues, les grandes tortues n’étaient que des tas de viande ambulants, et vous pouviez trouver des pierres magiques dans les tortues géantes de pierre. Nous avions décidé d’ignorer les Grandes Tortues cette fois-ci, principalement parce que leur viande était absurdement lourde.

Les tortues géantes de pierre étaient nos cibles prioritaires. Les pierres magiques que vous avez obtenues d’elles étaient petites, mais précieuses, ce qui permettait des chasses très efficaces. Le seul problème, c’est qu’il s’agissait de monstre assez rare à l’époque et qu’on ne pouvait pas en trouver trop près des endroits où vivaient les gens.

J’avais fini par accepter un travail de ramassage de peaux de Coyotes Pax à la guilde. Tout bien considéré, cela semblait être notre meilleure chance, puisqu’ils étaient souvent dans des groupes de taille décente, ce qui vous permettait de tirer un joli profit en une seule bataille.

Bien sûr, cela n’avait fait que rendre les choses un peu plus efficaces, étant donné que nous devions les retrouver et les dépecer… donc si nous rencontrions des Loups Acides là-bas, j’avais aussi l’intention de les chasser. Nous n’avions pris aucun travail de ramassage de matériel, mais avec les quêtes de collecte, vous pouviez faire une tache de collecte avant même d’accepter un travail. Une fois que vous aviez assez de matières premières, vous pouviez vous charger de la tâche et les apporter directement au comptoir d’achat de la guilde.

Quoi qu’il en soit… les Pax Coyotes étaient notre cible principale pour le moment. D’habitude, il y en avait une dizaine par groupe au maximum. Étant donné le temps qu’il fallait pour les retrouver et les dépecer par la suite, j’avais d’abord pensé que nous ne pourrions pas en tuer autant en une seule journée.

Après avoir pourchassé et dépecé notre premier groupe, Ruijerd commença à rassembler leurs cadavres en piles. Au début, je ne comprenais pas ce qu’il faisait.

« Peux-tu répandre l’odeur en utilisant la magie du vent, Rudeus ? »

Ah. Maintenant, tout a un sens. Nous allions utiliser l’odeur de leur sang pour attirer d’autres monstres à cet endroit. J’avais commencé à répandre l’air dans différentes directions, annonçant notre tas de viande fraîche à toute la région environnante.

« Les tortues géantes de pierre ne peuvent pas être attirées de cette façon, mais on devrait au moins attirer tous les Coyotes Pax dans les environs. »

Le coup était parti comme Ruijerd l’avait dit. À la fin de la journée, nous avions tué plus d’une centaine de Coyotes Pax, suffisamment pour que je me demande si nous n’avions pas pu les éradiquer complètement de cette région.

Ce fut une entreprise très mouvementée. Ruijerd et Éris massacrèrent vague après vague les monstres pendant des heures. Et je m’étais accroupi derrière eux, travaillant fébrilement pour dépecer ces foutus trucs.

C’était un travail exténuant et répétitif. Après une trentaine de peaux, mes bras devinrent lourds, mes épaules commencèrent à me faire mal, et l’odeur du sang devint carrément nauséabonde. En me divertissant avec des fantasmes de monstres qui s’étaient instantanément transformés en or une fois que leur HP avait atteint zéro, j’avais réussi à lutter pendant un certain temps, mais j’avais dû arrêter après environ soixante-dix peaux.

À ce moment-là, j’avais échangé ma place avec Éris.

Tuer les Coyotes Pax avec de la magie s’était avéré beaucoup moins pénible que de les dépecer. J’avais pris les choses une par une pendant un certain temps, ajustant lentement la puissance de mes sorts pour éviter de les couper en deux ou de faire trop de dégâts à leurs peaux. Ce n’était vraiment pas mon genre de travail. En fait, cela impliquait de rester pleinement concentré sur une chose.

Mais au moment où je commençais à m’amuser, Éris jeta l’éponge, ayant réussi peut-être trente peaux. De toute évidence, elle était encore moins faite pour le travail manuel que moi.

J’avais supposé que Ruijerd s’occuperait du dépeçage maintenant, mais à ce moment-là, nous avions presque trop de peaux, le tas devenait difficile à manier. Nous avons pris la décision de commencer à ramener les choses dans la ville, un travail qui nécessiterait de multiples déplacements.

« Attendez. Avant ça, on devrait brûler les cadavres. », dit Ruijerd.

« Tu veux les brûler ? Ne veux-tu pas faire quelque chose comme les rôtir ? »

« La viande de Coyote Pax est vraiment immonde. On va juste les incinérer et les enterrer. »

Quand vous laissiez traîner une pile de cadavres, cela servait de nourriture à d’autres monstres, les encourageant à se multiplier. Le simple fait de les incinérer ne suffisait pas à dissuader les monstres de les manger, et si on les enterrait, ils reviendraient apparemment sous le nom de « Coyotes Zombies ». En conséquence, il fallait brûler les choses et les enterrer par la suite.

Un joli petit plan m’était venu instantanément à l’esprit :

  1. Tuez Pax Coyotes. Prends des peaux.

  2. Enterrer les corps tels quels, ce qui produira des tonnes de coyotes zombies.

  3. Attendre qu’une quête de tueur de Coyotes Zombies soit affichée à la guilde.

  4. Profit !

Malheureusement, Ruijerd rejeta la suggestion. Il semblerait que le fait de permettre délibérément aux monstres de se multiplier était un tabou majeur dans ces régions.

J’aimerais qu’ils écrivent ces petites règles locales quelque part, mec…

« Mais on n’a pas fait ça pour les monstres qu’on a tués pendant notre voyage ici, hein ? »

« Ce n’est pas nécessaire quand on n’en a tué que quelques-uns. »

Ça semblait être une règle terriblement vague. Pourtant, une pile de cadavres en décomposition d’une telle ampleur semblait également être problématique du point de vue de la santé publique. Comme je n’avais pas trouvé de motif réel d’objection, j’avais incinéré les cadavres.

Le temps que nous finissions de ramener nos fourrures à la ville, le soleil se couchait. Notre première chasse était enfin terminée. Elle avait été très productive. J’étais prêt à retourner directement à l’auberge afin de dormir un peu.

Est-ce que j’allais vraiment être dehors à dépecer des douzaines de ces choses demain, par contre ? J’avais l’impression qu’on avait mérité un jour de congé…

« On a gagné une belle somme aujourd’hui, hein ? Faisons encore mieux demain ! »

Mais devant l’enthousiasme d’Éris, je n’avais pas pu me résoudre à ne pas être d’accord.

***

Partie 2

À peine trois jours plus tard, le groupe « Dead End » avait été formellement promu au rang E.

« Joli travail. »

Après quelques mots d’appréciation, j’avais donné à Jalil un dixième de l’argent que nous avions gagné à la chasse ce jour-là.

« Merci, mec. »

On s’était mis d’accord sur 10 %, mais… ça ne semblait pas si cher que ça. Quand j’avais demandé à Jalil s’ils s’en sortaient vraiment, il m’avait expliqué qu’il n’était pas seulement un aventurier de métier, mais qu’il exploitait aussi une entreprise en ville.

« Quel genre d’affaires ? »

« Euh, une animalerie. »

Oh wôw. D’abord tu les vends, puis tu les voles ? C’est un peu flippant, mec.

« Ne fais rien de mal, d’accord ? »

« Oui, je sais. »

De toute façon, le commerce des animaux était apparemment un commerce légitime. Ils attrapaient des animaux errants dans la ville, les entraînèrent un peu, puis les vendaient comme animaux de compagnie. Jalil était un membre de la race Rugonienne, un peuple réputé pour son savoir-faire en matière de domptage de bêtes. Avec l’aide de techniques transmises de génération en génération, il pouvait soi-disant « domestiquer » n’importe quoi, d’un chien errant à une fière guerrière bestiale.

Bonté divine, quelle tribu méchante !

Heureusement qu’Éris et Ruijerd étaient ici avec moi, sinon j’aurais pu finir par ramper à ses pieds et lui demander des pourboires.

Abstraction faite de tout cela, cette animalerie semblait être une exploitation rentable, avec un côté avantageux pour la ville, puisqu’il enlevait des animaux potentiellement dangereux des rues.

« Alors, euh. Pourquoi as-tu commencé à enlever des animaux de compagnie si tu avais déjà un travail légitime ? »

« Au début, on prenait juste ceux qui se sont perdus, mais… je suppose que quelque chose nous a pris. »

Bien sûr. Ça avait dû être tentant une fois qu’ils avaient eu l’idée en tête. Et une fois qu’ils avaient cédé à cette tentation, tout s’était effondré à partir de là.

« De toute façon, n’est-ce pas difficile de tenir un magasin tout en travaillant comme aventuriers ? »

« Non, pas vraiment. On a assez d’animaux de compagnie pour durer un moment. »

Apparemment, ils ne gardèrent le magasin ouvert que jusqu’au début de l’après-midi, puis ils se mettaient à accomplir les tâches de la guilde pour le reste de la journée.

« Eh bien, de toute façon je suppose que ce ne sont pas mes affaires. Tant que tu continues à faire ton travail. »

« Ne t’inquiète pas, chef, nous sommes des aventuriers à part entière. Et nous nous assurons de faire passer le mot sur Dead End également. »

Hmm. Si tu le dis…

◇ ◇ ◇

Nous nous étions déjà fait un peu d’argent de poche, alors il me semblait qu’il était temps d’acheter de nouveaux vêtements et une armure de combat.

Tout d’abord, nous avions choisi des vêtements auprès d’un vendeur de rue.

Éris n’avait pas mis longtemps à se décider. Elle voulait juste quelque chose de solide, mais léger et facile à enfiler, critère qui l’avait amenée à choisir un pantalon moins qu’élégant.

Cela me semblait un choix judicieux, surtout dans les circonstances actuelles, mais j’avais aussi l’impression qu’il n’y aurait pas de mal à avoir au moins une option « féminine ». Quand j’avais montré à Éris une robe rose pâle à froufrous que j’avais aperçue dans un coin du magasin, celle-ci me montra un visage écoeuré.

« … Veux-tu vraiment que je porte quelque chose comme ça ? »

« Ça ne peut pas faire de mal d’avoir au moins une robe de fille, non ? »

« Ah oui ? Et si tu achetais quelque chose de viril, Rudeus ? »

Elle me donna un gilet en fourrure. Ça ressemblait à un vêtement qu’un bandit de montagne pourrait porter.

Hmm. Donc si je mettais ce truc, Éris porterait une robe à froufrous ?

Pendant une seconde cela ne m’avait pas semblé être une mauvaise affaire, mais ensuite, je m’étais imaginé tous les deux côte à côte dans nos nouvelles tenues et j’avais immédiatement abandonné l’idée.

Une fois que nous avions fini d’acheter des vêtements, nous nous étions rendus dans un magasin d’armure.

Éris n’avait pas encore subi de blessures graves au combat, et je pouvais utiliser la magie de guérison pour traiter les blessures mineures, alors j’avais l’impression qu’elle n’avait pas vraiment besoin d’armure. Mais quand Ruijerd m’avait dit ceci : « Tes sorts ne peuvent pas guérir des blessures mortelles ou restaurer un membre manquant, et Éris n’est toujours pas habituée à la bataille. La complaisance et l’insouciance peuvent coûter la vie à de jeunes guerriers. » Ce n’était pas une bonne idée pour elle de se passer de matériel défensif.

Le magasin d’armures était un grand et impressionnant établissement, quoiqu’encore un peu plus grossier que les magasins que j’avais vus à l’époque à Asura. Les marchandises exposées à l’intérieur étaient universellement plus chères que celles que l’on pouvait se procurer chez les vendeurs ambulants de la ville. Les échoppes et les chariots étaient le meilleur choix pour des articles moins chers, et parfois vous découvrirez un joyau caché parmi les tas de ferraille, mais les magasins comme celui-ci offraient une qualité fiable et une sélection supérieure. Ils avaient aussi une grande variété de tailles… ce qui était très utile, étant donné que nous étions tous les deux des enfants.

« Protéger ton cœur est très important, alors je pense qu’on devrait prendre la meilleure qualité possible… »

En ce moment, nous étions en train de choisir un plastron pour Éris. Il y en avait une grande variété, en particulier pour les guerrières, conçue pour s’adapter aux personnes ayant des tailles de poitrine différentes.

« Ça m’a l’air bien. Qu’en penses-tu, Rudeus ? » dit Éris tout en prenant un modèle en peau de bête qui lui allait parfaitement.

Puisqu’elle me le demandait, j’allais regarder. Hmm… Pas mal.

« Tu devrais en prendre un plus grand d’une taille. »

« Pourquoi ? »

Allez, réfléchis-y.

« Nous sommes encore des enfants en pleine croissance. Tout ce qui te va parfaitement en ce moment sera trop petit en un rien de temps. »

J’avais choisi une cuirasse similaire dans une taille légèrement plus grande et je l’avais donnée à Éris.

« C’est tout lâche sur moi… »

« Non, il te va bien. Ne t’inquiète pas pour ça. »

Éris se plaignait en murmurant, puis elle commença à choisir d’autres morceaux d’armure pour diverses parties de son corps. Tous les combats que nous avions menés dernièrement lui avaient donné une idée des endroits où elle était la plus vulnérable aux blessures. Il n’était pas difficile de trouver du matériel pour protéger ses articulations et ses organes vitaux.

Cependant, sa tête posait plus un dilemme. Un casque trop lourd ne ferait que la ralentir. Mais nous ne voulions pas laisser une partie aussi importante de son corps sans défense.

« Pourquoi pas quelque chose comme ça ? » lui ai-je dit, lui présentant un casque intégral qui me rappelait l’un des méchants frères Hokuto.

« Aucune chance », dit-elle avec une grimace.

Les enfants de nos jours. Aucune appréciation des classiques.

Nous avions continué à essayer toutes sortes de casques différents, mais Éris rejeta chacun d’entre eux pour des raisons de lourdeur, de laideur, d’odeur, ou parce qu’il la vision était rendue trop difficile. En fin de compte, elle avait opté pour une sorte de bandeau, avec des plaques de fer cousues à l’intérieur pour offrir une certaine protection.

Bien sûr, le capuchon que nous avions acheté la dernière fois ne servait qu’à cacher ses cheveux roux qui attiraient le regard. Cela n’avait aucun intérêt d’un point de vue défensif.

« Je suppose que c’est tout. Qu’en penses-tu, Rudeus ? Ai-je l’air d’une aventurière ? »

Avec l’épée coupante que Rowin nous avait donnée, attachée à sa hanche, Éris virevolta pour montrer son nouvel ensemble d’armure légère. Pour être tout à fait honnête, ça ressemblait un peu à un cosplay… d’autant plus que ce plastron n’allait pas très bien.

« Magnifique, mademoiselle. Tout simplement splendide. Tu es l’image même d’une guerrière aguerrie. »

« Tu le penses vraiment? Hehehehe... »

Éris posa les mains sur ses hanches et se regarda avec un sourire satisfait. Pendant qu’elle savourait le moment, j’avais marchandé le prix de son équipement jusqu’à une pièce de fer. Ce n’était pas un achat mineur, mais nous achetions une armure complète ici.

« D’accord, Rudeus ! Tu es le prochain ! »

« Je ne pense pas avoir vraiment besoin de quoi que ce soit, pas vrai ? »

« Bien sûr que si ! Tu es un magicien, alors tu devrais avoir une robe ! »

J’avais eu l’impression qu’Éris avait une certaine prédilection pour les histoires où un jeune guerrier héroïque se lançait dans une aventure avec un ami d’enfance magicien à ses côtés. Il y avait des nuits où la jeune fille ne dormait presque pas, mais elle était certainement courageuse pendant la journée.

Ah eh bien. Je suppose que je vais jouer le jeu.

« Hé, monsieur. Avez-vous des robes qui me vont ? »

Le vieux propriétaire de l’atelier d’armure se promena silencieusement et ouvrit une de ses armoires.

« Ici. C’était fait pour des hobbits. »

À l’intérieur, il y avait une grande variété de robes colorées, toutes avec des motifs légèrement différents. Il semblait y avoir cinq teintes : rouge, jaune, bleu, vert et gris. Aucune n’était particulièrement éclatante.

« Est-ce que la couleur fait une différence ? »

« Les colorés ont des poils de monstres tissés dans le tissu. Ça vous donne un peu de protection contre un élément spécifique. »

« OK, donc le rouge protégeait du feu, et le jaune protégeait de la terre… Euh, et pour le gris ? »

« C’est juste du tissu uni. »

Ah. Pas étonnant que ce soit à moitié prix. Le coût des autres couleurs variait aussi légèrement. Cela avait probablement quelque chose à voir avec les matériaux qu’ils avaient utilisés pour les fabriquer.

« Alors je suppose que tu en voudrais une bleu, Rudeus ! », dit Éris.

« Hmm, je me le demande… »

En combat rapproché, j’avais l’habitude d’utiliser des explosions pour me faire voler dans les airs. Peut-être que le rouge ou le vert serait mieux ? Hmm… stop où encore ?

« Quel genre de sort connais-tu, mon garçon ? »

« Je peux utiliser n’importe quel type de magie d’attaque. »

« Hmm. Eh bien, c’est quelque chose. Et moi qui pensais que tu n’étais qu’un gamin… D’accord. Celui-là pourrait te coûter un peu plus cher, mais… »

Après avoir fouillé un moment dans les robes, le vieil homme en sortit une qui était d’une nuance de gris nettement plus foncée.

« C’est une vraie peau de Rat Mackey. »

« Mackey… Râteau ? »

« J’ai dit rat, gamin. Pas râteau. »

L’image d’un homme amical en short rouge vif flotta brièvement dans mon esprit. Je secouai violemment cette image de la tête jusqu’à ce qu’elle disparaisse. La robe ressemblait plus à un tissu qu’à la peau d’un animal, mais c’était probablement la nature même de la matière.

« Quels sont les avantages de celle-ci ? »

« Elle n’offre aucune protection spéciale contre la magie, mais c’est dur comme l’enfer. »

Je l’avais enfilée, juste pour voir ce que ça faisait.

« C’est un peu trop grand pour moi. Il n’y en a pas de plus petites ? »

« C’est la plus petite que j’ai. »

« Ils doivent en faire pour les enfants, non ? »

« Pourquoi le feraient-ils ? »

Je savais maintenant ce que ce petit judoka avait dû ressentir quand il avait essayé de mettre un costume normal pour la première fois. Ah eh bien. J’étais encore un garçon en pleine croissance, alors peut-être que c’était bien. Au moins, la chose semblait être faite d’un matériau de qualité… D’après le toucher, elle offrirait probablement une certaine protection contre les armes.

J’avais un peu aimé le fait qu’elle avait été fabriquée à partir d’un rongeur à la peau grise aussi. Ça collait bien avec mon nom de famille.

« Hmm, OK. Peut-être que je vais prendre celle-là. »

« Tu aimes ça, hein ? Cela fera huit pièces de ferraille. »

« Eh bien, voyons voir… »

Après avoir marchandé avec le vieil homme du mieux que je pouvais, j’avais fini par acheter la robe pour six pièces de ferraille.

Pendant que nous y étions, j’avais aussi pris deux autres bandeaux comme celui d’Éris, mais de couleurs différentes. Ceux-là étaient pour Ruijerd et moi. On pourrait en utiliser un pour cacher cet œil sur son front si jamais on en ressentait le besoin.

Pourquoi en avais-je besoin, me demanderez-vous ?

Vous savez que ce n’est pas drôle d’être catalogué comme homme bizarre ?

***

Partie 3

J’avais d’ailleurs demandé à Ruijerd d’espionner Vizquel pendant qu’Éris et moi faisions nos courses. Je n’attendais pas grand-chose d’elle et de Jalil, mais selon leur comportement, il était possible que notre réputation soit gravement entachée. Il m’avait semblé prudent d’au moins vérifier ce qu’ils faisaient.

Quand je l’avais expliqué à Ruijerd, celui-ci m’avait répondu que je n’aurais jamais dû m’associer à eux si j’étais si inquiet pour leur caractère. C’est tout à fait juste. Mais d’un autre côté, l’entente que nous avions conclue avec eux nous avait procuré d’importants avantages financiers. Pour le moment, un peu de paranoïa semblait être un prix raisonnable.

Nos amis voleurs du dimanche s’acquittaient admirablement de leur tâche. Ils avaient même abordé les emplois de rang F avec une attitude positive et une diligence surprenante.

Aujourd’hui, Vizquel avait fait un travail d’extermination d’insectes. Son objectif était d’éradiquer une infestation d’animaux détestables qui avaient occupé la cuisine de quelqu’un. Vizquel était une membre de la race Zumeba dont la salive était toxique, mais aussi très attirante pour toutes sortes d’insectes. Tout insecte qui l’ingérait mourait ou devenait totalement immobile, ce qui donnait à la Zumeba une collation savoureuse.

En d’autres termes, Vizquel était née pour faire ce genre de travail.

La cliente était une femme âgée, apparemment têtue et grincheuse, qui n’arrêtait jamais de froncer des sourcils. Ruijerd avait l’impression qu’elle n’hésiterait pas à chasser tous ceux qui lui déplaisaient, même pour un petit détail.

On n’en était pas arrivé là, bien sûr. Vizquel s’était immédiatement mis au travail et avait efficacement annihilé les insectes. Ruijerd avait confirmé après coup qu’il n’y avait plus un seul insecte vivant dans la maison de la vieille femme. Vizquel avait même bouché quelques trous avec une sorte de substance filiforme, comme mesure préventive contre l’invasion de l’extérieur.

« Merci, Vizquel. Ces choses me rendaient folle. »

« Pas de problème. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, souviens-toi du nom de Dead End Ruijerd, d’accord ? »

« Dead End Ruijerd ? Est-ce le nom de ton nouveau groupe ? »

« Oui, plus ou moins. »

Après avoir fait de la publicité pour notre marque, Vizquel avait remis à la vieille dame quelques morceaux d’appât supplémentaires faits à partir de sa salive, puis elle avait poliment pris congé. Son travail terminé, elle nous avait rapidement rejoints à la guilde pour s’occuper de l’échange des récompenses.

« On dirait qu’elle fait du bon boulot, hein ? »

« … Oui. »

Je ne m’attendais certainement pas à ce niveau de perfection. Non seulement Vizquel connaissait déjà le client, mais elle s’était surpassée dans le service à la clientèle. Cela m’avait probablement laissé une bien meilleure impression que mon numéro de vendeur de porte à porte improvisé.

« Hmm. Je suppose donc qu’ils ne sont pas pourris jusqu’à la moelle, Ruijerd. »

« Peut-être pas. »

Pour être honnête, j’avais aussi été un peu méfiant à leur égard, mais je supposais que nous n’en demandions pas tant que ça. Ils se contentaient de faire un travail ordinaire et mentionnaient « Dead End » à la toute fin. Si nous leur avions fait croire que coopérer avec nous signifiait de l’argent facile pour eux, c’était pour le mieux. Ça les rendrait aussi moins susceptibles de nous trahir.

« Cependant, le fait est qu’ils ont commis beaucoup de mauvaises actions. »

« Oui, tu as raison. Mais en ce moment, ils sont en train de faire un travail honnête… tout comme toi, Ruijerd. »

« Mm… »

Être un « criminel » ne signifie pas que vous êtes irrécupérable. Cela s’appliquait à eux autant qu’à Ruijerd et à moi-même. C’était un bon signe qu’ils avaient cessé d’enlever des animaux de compagnie même si nous ne leur avions pas dit de le faire.

Cela dit, nous n’en étions qu’au troisième jour de ce partenariat. Le souvenir d’avoir côtoyé la mort était encore frais dans leur esprit.

« Bien sûr, ils ne jouaient peut-être le jeu que pour le moment. On devrait continuer à les surveiller comme ça chaque fois que quelque chose change. »

Ruijerd fronçait son front à ce sujet.

« Tu as uni tes forces à celles de ces gens. Ne leur fais-tu pas confiance ? »

« Bien sûr que non. Les seules personnes en qui j’ai confiance dans toute cette ville sont toi et Éris, Ruijerd. »

« … je vois. »

Il avait commencé à tendre la main vers ma tête, mais il s’était arrêté.

J’avais confiance en Ruijerd, mais j’avais l’impression de commencer à perdre la sienne.

Mais je pourrais vivre avec ça. Mon but était de retourner au royaume d’Asura avec Éris. Je ferais de mon mieux pour améliorer la réputation des Superds autant que je le pouvais, mais gagner le respect de Ruijerd ne faisait pas partie de ma liste d’objectifs prioritaires.

« Alors, pourquoi ne rentre-t-on pas ? »

Nous repartions vers notre auberge par des rues éclairées uniquement par des pierres lumineuses.

Tout bien considéré, notre carrière d’aventurier avait démarré en douceur.

***

Chapitre 12 : Enfants et guerriers

Partie 1

Trois semaines plus tard, notre groupe avait atteint le rang D. J’avais l’impression de progresser assez rapidement, alors j’avais finalement pris le temps de vérifier les critères de promotion spécifiques.

Pour qu’un aventurier classé au rang F atteigne le rang E, il devait réussir dix emplois de rang F... ou cinq emplois de rang E de suite.

Pour qu’un aventurier classé au rang E atteigne le rang D, il fallait cinquante emplois de rang F, vingt-cinq emplois de rang E ou dix emplois de rang D de suite.

Cette tendance générale était demeurée la même pour les grades supérieurs, bien que le nombre ait commencé à augmenter considérablement.

La rétrogradation était également une possibilité pour ceux qui faisaient des erreurs à répétition. Si vous échouez à cinq emplois consécutifs ayant un rang inférieur au vôtre ou à dix emplois consécutifs à votre rang actuel, vous perdrez un rang. Vous ne pourriez pas être rétrogradé en échouant à des tâches d’un rang supérieur au vôtre, mais après cinq échecs consécutifs, vous perdriez le privilège de les accepter.

Jalil et Vizquel avaient travaillé avec diligence pour nous accomplir des tâches de rang F et E tous les jours, alors nous avions réussi à aller aussi loin en un rien de temps. Maintenant que nous étions au rang D, nous avions enfin accès à des tâches de rang C plus rentables. C’était un choix facile à faire pour notre groupe, alors nous nous hisserions probablement au rang C assez rapidement.

C’était peut-être le bon moment pour rompre notre accord avec Jalil et Vizquel. Ils ne semblaient plus enlever d’animaux de compagnie, et je n’étais pas tout à fait sûr des problèmes que l’échange d’emploi pourrait causer à long terme. Nous avions économisé une somme d’argent décente à ce moment-là, alors nous avions la possibilité de dire au revoir à nos « partenaires commerciaux » et de laisser Rikarisu derrière nous pour de bon.

Après mûre réflexion, cependant, j’avais décidé de continuer à les traire jusqu’à ce que nous ayons atteint le rang C. Il ne semblait pas y avoir de problèmes pour le moment, et il était difficile de tourner le dos à un système aussi peu stressant pour faire de l’argent. Ça ne ferait pas de mal d’avoir plus d’argent dans notre portefeuille avant de partir.

À l’heure actuelle, nos économies s’élevaient à une pièce de minerai verte, six pièces de fer, quatorze pièces de ferraille et trente-cinq pièces de pierre… soit 1 875 pièces de pierre au total. Donc… 1 875 yens en gros. L’ensemble de nos actifs s’élevait à moins de la valeur de deux grandes pièces de cuivre Asura…

D’accord, arrêtons ça. Peu importe ce que l’on nous achèterait sur un autre continent.

Une fois que nous aurons atteint le rang C, nous dirons au revoir à Jalil et Vizquel, puis nous quitterons rapidement cette ville. Ça m’avait paru être un bon plan.

Peu de temps après être arrivé à cette conclusion, j’avais repéré une tâche « intéressante » sur le tableau de la Guilde.

Mission de rang : B

Mission : Recherchez/détruisez les mystérieuses créatures magiques

La recherche/destruction de créatures magiques.

Localisation :

Forêt du sud (forêt de la pétrification)

Durée de la mission :

La fin du mois prochain.

Date Limite :

Dès que possible

Commanditaire :

Marchand itinérant Bellver

Récompenses : 

5 pièces de ferraille (2 pièces de fer si elles sont tuées)

Notes :

J’ai vu des ombres se mouvoir au plus profond de la forêt et je veux étudier la véritable identité de ces ombres. S’ils sont une entité dangereuse, veuillez les éliminer.

Jalil et moi avions réfléchi devant le bout de papier, les mains sur le menton. Un monstre mystérieux, hein ? Tu parles d’une vague description de travail. Il y avait une chance que cette chose ne soit même pas là. Et même si c’était le cas, comment devrions-nous prouver que c’était un monstre ou une autre chose ?

Pourtant, ces deux pièces de fer étaient une récompense très tentante. D’autant plus qu’on pourrait encore avoir cinq pièces en ferraille si on décidait de ne pas se battre.

« Celle-là t’intéresse ? »

« Eh bien, le salaire est très bon. Mais c’est vrai que c’est un peu louche. »

Jalil acquiesça d’un signe de tête.

« On dirait que c’est le genre de boulot où tu pourrais te faire avoir. J’y réfléchirais à deux fois si j’étais toi. »

Nous avions déjà vécu quelque chose de ce genre. Deux semaines plus tôt, nous avions accepté une tâche de collecte d’apparence ordinaire de Loups Acides. Comme d’habitude, nous avions traqué le nombre spécifié de monstres et ramené leurs crocs et leurs queues, seulement pour être informés que le client voulait des Loups Acides complets, ce qui voulait dire leur corps entier. La description n’avait pas du tout clarifié cela, mais nous avions quand même dû payer des frais de rupture de contrat. Rien que d’y penser, je m’étais senti intensément frustré.

C’était probablement plus intelligent de ne pas accepter cette quête si je voulais éviter que de ce désastre se répète… mais je n’arrivais pas à sortir de l’esprit cette juteuse ligne de « récompense ».

« Cependant, deux pièces de fer… Hmm. Peut-être que je pourrais utiliser cela comme étant une nouvelle source d’enseignements… »

« Heh. Ne me blâme pas si tu te fais encore avoir. »

« Pour une telle tâche, la pénalité pour rupture de contrat serait basée sur les cinq pièces de ferraille, non ? »

« Oui, c’est vrai. L’argent supplémentaire si tu tues la chose est juste un bonus. »

Comme Ruijerd avait tendance à être harcelé par Nokopara quand il entrait dans la Guilde, et qu’Éris avait parfois des problèmes avec des aventuriers qui l’approchaient aussi, je les avais fait attendre tous les deux dehors. Vizquel ne s’était également jamais présentée à la guilde.

En d’autres termes, il n’y avait personne pour m’arrêter.

« Même si ce monstre mystérieux n’est pas là, il y a plein de choses à vendre dans la forêt pétrifiée. En te connaissant, je parie que tu pourrais gagner assez pour couvrir les frais de rupture de contrat. Je suppose que ça vaut le coup d’essayer. »

« Très bien alors. Bonne chance avec ton boulot, Jalil. »

Rétrospectivement, je me rendrais compte à quel point ma pensée était paresseuse à ce stade. Quelques semaines d’expérience au combat m’avaient rendu trop confiant. Les choses s’étaient tellement bien passées que j’avais sous-estimé les risques, mon impatience m’avait poussé vers un gros salaire.

Avec le recul, j’avais constaté qu’il y avait de meilleurs choix qui s’offraient à moi. Mais à l’époque, je ne pensais pas que j’aurais pu les faire.

◇ ◇ ◇

La forêt pétrifiée se situait à une journée de voyage depuis Rikarisu. C’était un endroit où les arbres osseux aux branches dentelées poussaient en grand nombre et tiraient leur nom de leur aspect caillouteux.

La forêt se trouvait le long de la route principale dans cette région. En la coupant, cela offrait aux voyageurs un chemin plus court vers la ville voisine, mais comme le bois abritait les dangereux monstres de rang B Executeurs et Anacondas, seuls les marchands pressés le faisaient, et ils engageaient toujours plusieurs gardes du corps qualifiés à l’avance.

Les forêts de ce monde étaient, sans exception, des endroits dangereux. Mais celles trouvées sur le Continent Démon étaient particulièrement périlleuses.

Trois groupes s’étaient rencontrés juste à l’extérieur de ce bois particulier : le groupe de rang B « Super Blazers », le groupe de rang D « Les Caïds du Village de Tokurabu », et enfin, le groupe de rang D « Dead End ».

Les responsables de ces groupes s’étaient réunis pour une réunion. Lorsque des groupes d’aventuriers se croisaient dans des endroits comme celui-ci, on s’attendait à ce qu’ils s’arrêtent pour avoir une rapide discussion. Ça aurait été bien de ne pas le faire, mais se heurter aux autres groupes dans la forêt elle-même pourrait être une véritable nuisance. J’avais décidé de faire acte de présence.

« Très bien. Alors qu’est-ce que vous foutez ici ? »

Le premier à prendre la parole avait été Blaze, le chef des Super Blazers. Il y avait de l’irritation non déguisée dans sa voix.

Son visage m’était familier. C’était l’homme-cochon qui s’était moqué de nous le premier jour. Je n’essayais pas d’être insultant, au fait. Il avait littéralement la tête d’un cochon.

Il appartenait probablement à la même race que le gardien qui avait reluqué Éris. Je ne me rappelais pas très bien comment on les appelait… Pour être honnête, je les considérais généralement comme des « orcs ».

Quoi qu’il en soit, le groupe de l’homme-cochon était un groupe de six aventuriers d’une grande variété de races. Pour être classé C ou plus haut sur le Continent Démon, vous deviez être capable d’abattre les monstres les plus communs dans votre région, je devais supposer qu’ils étaient tous des vétérans qui avaient prouvé leur talent au combat.

« Nous sommes ici pour effectuer une quête de guilde ! » dit Kurt, chef des Caïds de Tokurabu, son visage était un peu maussade.

« Moi aussi », dit le chef de la Dead End (c’est-à-dire moi) avec un petit signe de tête.

Blaze avait réagi aux paroles de ses collègues de rang D en claquant sa langue et en se grattant avec irritation le cou.

« Ugh. Ils nous ont réservé, hein ? Ouais, j’ai eu un mauvais pressentiment à propos de celui-là… »

« Uhm… qu’est-ce que tu veux dire par réservé ? », demanda Kurt avec hésitation.

« Ferme-la, petit ! »

Ce porc avait apparemment un tempérament fougueux.

« Bon, bon », lui dis-je, en lui souriant obstinément.

« Prenons tous quelques respirations profondes, d’accord ? Nous sommes désolés d’être des débutants si ignorants, mais nous apprécierions beaucoup toute explication que tu pourrais nous donner… »

Blaze cracha sur le sol, puis dit à contrecœur.

« Cela signifie que la même demande a été faite par plus d’une personne. Et la guilde a mis les deux quêtes sans s’en rendre compte. »

Ah, c’est vrai. Une double réservation.

Dans ce cas, nous avions trois clients distincts qui avaient affiché trois tâches distinctes. La guilde avait dû penser qu’il s’agissait d’emplois distincts, mais ce n’était peut-être pas vraiment le cas. Ça semblait être quelque chose qui pouvait arriver de temps en temps.

Par curiosité, j’avais demandé aux autres quelles étaient leurs tâches spécifiques.

Blaze était là pour « Tuez les Cobras aux crocs blancs apparus dans la forêt pétrifiée. »

Kurt était chargé de « Ramasser les mystérieux œufs repérés dans la forêt pétrifiée. »

Et moi, bien sûr, j’essayais de « localiser un monstre inconnu ».

« Hein ? Tu es en train de faire un travail de recherche et de localisation ? Est-ce qu’ils en ont au moins au rang D ? »

Naturellement, j’avais trouvé une réponse à la question de Kurt avant.

« En fait, c’est une tâche de rang C. Ils l’ont mis sur le tableau après que tu aies quitté la guilde. »

« Sans blague ? Mec, j’aurais aimé qu’on prenne celle-là à la place… »

Pendant que le gamin murmurait à lui-même, j’avais pris un moment pour réfléchir à la situation dans laquelle nous nous trouvions. Nous avions l’impression qu’il y avait au moins un chevauchement potentiel entre nos trois tâches. Tout d’abord, les Cobras aux crocs blancs n’étaient pas originaires de cette forêt, mais à en juger par le travail de Blaze, au moins un avait été récemment repéré ici. Cela pourrait très bien être notre « monstre inconnu », et il pourrait aussi être responsable des « œufs mystérieux » que Kurt cherchait.

***

Partie 2

Mais bien sûr, il était aussi possible que nos mystères n’aient aucun rapport avec les cobras. C’était un peu précipité de supposer qu’on avait eu la même tache tous les trois.

« Je me demande quand même comment c’est arrivé ? »

« Comment le saurais-je, petit ? C’est comme ça que ça marche parfois. »

Hmm. Eh bien, je suppose qu’il dit vrai. Ce n’est pas comme si toutes les tâches de la guilde étaient bien rangées dans un ordinateur ou quoi que ce soit d’autre.

« Très bien alors. Qu’est-ce qu’on va faire ? »

« Rien. Celui qui trouve les monstres en premier gagne. »

« Quoi !? Qu’adviendra-t-il de notre tâche si vous arrivez le premier ? », cria Kurt.

« Hein ? Oh, ton histoire à propos des œufs ? Je veux dire, on les écrasera si on les voit. Les cobras aux crocs blancs ne peuvent pas éclore partout, n’est-ce pas ? », dit Blaze en souriant.

« Allez, Rudeus, dis quelque chose ! S’ils tuent tous les monstres, on échouera tous les deux dans notre tâche ! »

Kurt se tournait vers moi pour obtenir de l’aide. Il n’avait pas tort. Si le groupe de Blaze tuait notre monstre « inconnu », nous n’aurions pas la chance de le retrouver ou de le combattre…

Attendez une seconde. On a juste besoin de le localiser et de l’identifier, non ?

J’avais envie de rapporter que des cobras aux crocs blancs étaient venus ici pour satisfaire notre client. Et pour couvrir notre mise, on pouvait toujours traquer des monstres au hasard ici avant de partir. Un butin assez important devrait couvrir les frais de rupture de contrat de 20 %.

« Eh bien, nous ne sommes pas sûrs que ce soit une triple réservation. Il pourrait aussi y avoir autre chose que les cobras aux crocs blancs ici. »

Blaze grimaça.

« Alors ? Tu veux qu’on regarde autour de toi, c’est ça ? Tu veux qu’on soit tes baby-sitters ? »

« Qui diable a besoin de ton aide de toute façon !? » dit Kurt, le visage rouge de colère.

« Oh pitié. Tu espères qu’on va te protéger, c’est évident, non ? Cette forêt est sacrément dure pour une bande d’aventuriers de rang D. »

Ah. Maintenant, je comprends pourquoi il était si grincheux. Blaze n’aimait pas l’idée qu’une paire de groupes de bas niveau suivent son groupe comme une ficelle de merde à la poursuite d’un poisson rouge. C’était parfaitement compréhensible. Après tout, cela ne ferait que leur rendre la vie plus difficile.

Bien sûr, je ne voulais pas non plus voyager avec eux. Ce n’était pas une bonne idée de laisser quelqu’un voir Ruijerd se battre avec sa lance. Ils pourraient réaliser que c’était vraiment un Superd quand ils verront à quel point il était fort.

Heureusement, Kurt m’avait déjà donné une chance ici.

« Ok, j’en ai assez entendu parler. La Dead End n’a pas non plus besoin de baby-sitters, merci beaucoup. Nous travaillerons seuls. »

J’avais rapidement tourné le dos et quitté la conférence des dirigeants sans attendre une réponse à ma déclaration.

◇ ◇ ◇

Mon groupe m’attendait un peu plus loin.

« Alors que s’est-il passé ? », demanda Éris, sa voix trahissant une certaine impatience.

« On dirait qu’on est tous plus ou moins là pour faire le même travail. »

« Oh. Que se passe-t-il maintenant ? Est-ce que quelqu’un renonce ? »

« Non, bien sûr que non. On va tous y aller et voir qui trouve les monstres en premier. »

« Ah ouais ? Ça a l’air d’un défi décent ! »

Eh bien, elle semblait certainement enthousiaste. J’avais l’impression qu’Éris en avait assez de nos missions de chasse ces derniers temps. Après tout, ces boulots n’étaient pas vraiment des aventures… on pourrait dire que c’était du travail manuel. Cela avait probablement semblé être un bon changement de rythme.

Pendant que nous parlions tous les trois, Blaze et Kurt avaient mis fin à la réunion des leaders. Kurt dit quelques mots à ses deux compagnons, et ils partirent tous ensemble dans la forêt, les Super Blazers arrivèrent aussi, allant dans une direction différente.

« Alors quel est le plan ? », demanda Éris.

« Hmm, voyons voir… Ruijerd pourrait comme toujours chercher des ennemis dans la région. On va se déplacer et enquêter jusqu’à ce qu’on découvre ce monstre mystérieux. », avais-je dit.

Cela m’avait semblé être une proposition assez simple, mais Ruijerd secoua sérieusement la tête.

« Attends un peu, Rudeus. »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Je m’inquiète pour ces trois enfants. »

Quels enfants… ? Oh, il veut parler des Caïds de Tokurabu.

« Ils ne sont pas assez forts pour survivre dans cette forêt. »

« Donc ce que tu dis, c’est que… »

« Nous devrions les aider. »

Je n’aurais vraiment pas dû être surpris.

« Eh bien, Ruijerd… si on reste trop près d’eux, il y a une chance qu’ils réalisent que tu es vraiment un Superd. »

« Je m’en fiche. »

Ouais ? Eh bien, moi non !

« D’accord, mais ça va nous causer toutes sortes de problèmes si les gens réalisent qui tu es. »

« Quoi, alors ? Me dis-tu de rester en arrière et de les laisser mourir ? »

« Ce n’est pas ce que je dis. Suivons-les de loin et aidons-les s’ils ont des ennuis. »

Je ne pouvais pas espérer l’en dissuader. Nous n’aurions qu’à ajuster nos objectifs. On ne pourra probablement pas obtenir ces deux pièces de fer, mais nous pourrions au moins obtenir une reconnaissance sérieuse.

Pourtant, était-ce vraiment une bonne idée de sauter à la rescousse sans réfléchir ? Si nous devions protéger ces enfants d’une attaque de monstre, les chances qu’ils réalisent la véritable identité de Ruijerd seraient bien plus grandes. Je ne voulais pas croire qu’ils s’accrocheraient à leurs préjugés au sujet d’un homme qui venait de leur sauver la vie, mais la Dead End avait une place spéciale dans l’esprit des gens de ce continent. C’était difficile de savoir comment les choses se dérouleraient.

Si le pire devait arriver, nous pourrions peut-être les intimider pour qu’ils se joignent à nous, comme nous l’avons fait avec Jalil et Vizquel…

Pour l’instant, notre groupe était parti après Kurt et ses amis.

Tandis qu’il regardait les Caïds du village Tokurabu s’enfoncer hardiment dans les profondeurs de la forêt pétrifiée, Ruijerd plissa son front.

« Qu’est-ce qu’il y a ? », avais-je dit.

« Est-ce la première fois qu’ils mettent les pieds dans une forêt ? »

« Euh, je ne peux pas dire que je le sais… Pourquoi me le demandes-tu ? »

« Ils sont beaucoup trop négligents. »

Bien sûr, Kurt et ses amis s’étaient vite retrouvés face à face avec un Exécuteur dont ils n’avaient manifestement pas remarqué l’approche.

L’Exécuteur était une sorte de monstre humanoïde, les restes zombifiés de quelqu’un qui avait été un aventurier dans la vie. Pour une raison ou une autre, ils étaient équipés d’énormes épées et d’armures en plaques épaisses. Le poids de leur équipement les empêchait de se déplacer trop rapidement, mais ils étaient extrêmement robustes et maniaient leur arme avec une dextérité surprenante. D’habitude, vous ne rencontriez qu’un Exécuteur à la fois, et ils n’étaient pas exceptionnellement fort — et pourtant c’étaient toujours des monstres de rang B. C’était une preuve suffisante de leur pouvoir.

Pour couronner le tout, leur équipement se dissolvait dans l’air lorsqu’ils étaient morts, de sorte que vous ne pouviez pas tirer grand profit du fait d’en vaincre un.

« Ils ont besoin de notre aide ! »

« Non, pas encore », dis-je, juste au moment où Ruijerd se préparait à sauter en avant.

« Pourquoi pas !? »

« Ils ne sont pas encore dos au mur. »

Cet Exécuteur était bien plus rapide que ce à quoi on pouvait s’attendre de par son apparence, mais il n’avait pas été assez rapide pour suivre ces enfants lorsqu’ils couraient pour sauver leur vie. Peu à peu, ils s’éloignaient de leur poursuivant.

Mais alors, juste au moment où il semblait qu’ils allaient lui échapper… leur chance avait disparu.

Un groupe d’anacondas-amandes les attendait dans la direction où ils s’étaient enfuis.

Ces monstres-serpents voyageaient par groupes de trois à cinq, ils tiraient leur nom du motif distinctif en forme d’amande sur leur corps, qui mesurait généralement environ trois mètres de long. Leurs crocs étaient pleins de venin mortel, et ils bougeaient avec une grande agilité. En raison de leur robustesse et de leur tendance à attaquer en nombre, ils avaient également été classés comme monstres de rang B.

Kurt et son groupe était coincé entre les deux types de monstres les plus connus et les plus craints de la forêt pétrifiée. Je pouvais voir leurs expressions vaciller entre des sourires d’incrédulité et de la terreur pure et simple. Ils pensaient probablement que s’ils rencontraient l’un ou l’autre de ces monstres notoirement dangereux, ils pourraient tout simplement s’enfuir. Et, pour être juste, ça avait failli marcher avec l’Exécuteur.

En fin de compte, cependant, ils n’avaient pas suffisamment réfléchi à ce qui pourrait mal tourner. Cet endroit était tout simplement trop dangereux pour eux, ils auraient vraiment dû le reconnaître et s’en écarter. Ce n’était pas que je n’avais pas sympathisé avec leur empressement à se surpasser.

« On devrait y aller ! Maintenant ! »

« Non, attends encore un peu… »

Encore une fois, j’avais retenu Ruijerd. Nous voulions attendre qu’ils soient vraiment sur la corde raide. Plus les choses allaient mal avant que nous n’arrivions, plus leur gratitude serait profonde.

Je laisserai ces monstres les frapper pour pouvoir les guérir avec ma magie par la suite. Heheheheh. Parfait…

« Ah ! » cria Éris.

Le garçon en forme d’oiseau vola dans les airs… pour être séparé en deux morceaux.

Il n’avait reçu qu’un seul coup. Il n’avait pas réussi à esquiver l’attaque l’Exécuteur, et l’épée du monstre l’avait coupé en deux.

Mon sourire malicieux s’était figé sur mon visage. J’avais mal interprété la situation. Ces enfants étaient en grand danger dès le début. C’est moi qui étais stupide, pas Ruijerd.

« Je te l’avais dit ! » cria Ruijerd, sa voix pleine de frustration.

Tandis qu’Éris et lui s’avançaient à découvert, j’avais rapidement tiré avec un canon de pierre sur l’Exécuteur.

Mon attaque de pierre maison avait assez de force pour anéantir un Tréant de Pierre, mais d’une manière ou d’une autre, la chose était restée sur ses pieds.

Pendant un moment, j’avais pensé que son armure était incroyablement résistante. Puis j’avais remarqué qu’il manquait le haut de son bras droit. J’étais si agité que j’avais mal lancé mon sort.

Prenant son énorme épée de la main gauche, le monstre s’était immédiatement mis à courir dans ma direction. De loin, il semblait assez lent, mais maintenant qu’il fonçait vers moi, je m’étais rendu compte qu’il était anormalement rapide étant donné son apparence maladroite.

J’étais resté calme et j’avais créé une tourbière boueuse directement sur le chemin de l’Exécuteur. L’un de ses pieds plongea dans mon piège et le fit basculer vers l’avant. J’avais aussitôt invoqué un énorme rocher immédiatement au-dessus du monstre et je l’avais projeté vers le sol.

Ruijerd et Éris avaient déjà éliminé tous les anacondas-amandes.

À la suite de la bataille, un Kurt au visage pâle et tremblant s’était approché de moi pour m’exprimer sa gratitude.

« Huff, huff… Merci, mec… huff, huff, huff… sérieusement. Vous êtes… très forts, hein… ? »

L’Exécuteur gisait écrasé sous un rocher géant. Les anacondas-amandes avaient tous été soigneusement décapités. Cela n’avait posé aucun problème. On gagnerait ce combat chaque fois.

Et pourtant, nous n’avions pas réussi à protéger ces enfants.

« C’est bon… Je suis désolé qu’on ne soit pas arrivés plus tôt. »

Kurt me regardait avec quelque chose comme de l’admiration dans les yeux. J’avais détourné mon regard de son visage, la poitrine douloureuse.

Mes yeux rencontrèrent le corps d’un garçon à bec, semblable à un oiseau qui avait été coupé en deux. Comment s’appelait-il déjà ? Gablin ? Il ne serait pas mort si j’avais agi simplement.

***

Partie 3

Ruijerd se leva et me saisit par le devant de ma robe, le visage tordu de colère.

« C’est ta faute », dit-il en faisant un geste du menton devant le cadavre.

Ces mots poignardèrent impitoyablement mon cœur.

« Oui. Tu as raison… »

« On aurait pu les sauver tous les trois ! »

Oui. Je sais. Je sais ! Je ne voulais pas que ça se passe comme ça non plus, d’accord ? J’étais plein de honte et de tristesse. Ce n’était pas ce que je voulais. Pas du tout. Je regrettais mes actes. J’avais retenu la leçon. Alors pourquoi devait-il continuer à me foutre le nez dedans ?

« Écoute, je fais de mon mieux, d’accord ? Je voulais juste obtenir le meilleur résultat possible de cette situation ! Pourquoi dois-tu être si dur avec moi !? »

« Parce que le garçon est mort ! »

La réplique de Ruijerd était simple, mais frappa là où ça faisait mal.

« Gah... »

Il n’y avait vraiment rien que je puisse dire. J’aurais aussi bien pu le tuer moi-même.

Éris n’avait pas du tout pris ma défense cette fois. Elle regardait le cadavre de Gablin… probablement en essayant de comprendre ses propres sentiments à propos de tout ça.

Il n’y avait plus d’excuses à offrir. J’avais complètement échoué. La vie des gens était en jeu, et je les avais retenus trop longtemps par intérêt personnel.

« H-hey, allez. Ne commencez pas à vous battre maintenant. »

Finalement, c’était Kurt qui était intervenu pour intercéder.

« Ça ne te concerne pas. C’est entre lui et moi. », dit Ruijerd.

Assez étonnamment, le garçon n’avait pas reculé face à cette mise à l’écart.

« Oui, mais je peux comprendre ce qui s’est passé. Vous nous avez vus nous battre et vous vous êtes disputés pour savoir s’il fallait nous aider, n’est-ce pas !? »

Non, non. Ce n’était même pas une dispute. Je t’avais laissée dans la merde tout seul.

« Je sais que vous êtes tous forts, mais il y avait toujours un risque que quelque chose ait pu mal tourner. Et vous n’aviez de toute façon aucune raison de nous aider ! »

La colère dans les yeux de Ruijerd était encore plus vive qu’avant.

« Aucune raison n’était nécessaire ! Les adultes ont le devoir de protéger les enfants ! »

« Nous ne sommes pas des enfants ! Nous sommes des aventuriers ! Rudeus a fait ce que n’importe quel chef aurait dû faire ! », riposta Kurt.

« Hm… »

Ruijerd se tut un instant, mais je ne pouvais pas dire que j’étais d’accord avec l’évaluation de Kurt.

« Pourtant… un de tes amis est mort, mon garçon. »

« Oui, je sais ! Je ne suis pas aveugle ! Et nous trois, nous voulions rester ensemble jusqu’à la fin ! Mais vous savez quoi ? Nous savions que la mort était une possibilité ! N’importe quel aventurier est prêt à faire face à ce risque, jeune ou vieux ! »

Ma poitrine palpitait douloureusement à ces mots. Personnellement, je n’étais pas prêt à regarder la mort en face. J’avais vu cette histoire d’aventurier comme un moyen facile de gagner de l’argent.

« Je vous suis reconnaissant d’être intervenu pour nous sauver, mais c’était notre travail de veiller à notre sécurité. Si quelqu’un devait être blâmé, c’est moi ! C’est moi qui ai pris cette tâche et qui nous ai mis dans le pétrin ! »

L’argument de Kurt avait la droiture obstinée d’un enfant qui ne comprenait pas vraiment comment le monde fonctionnait. Mais c’était aussi fervent et sincère. Ce genre de passion me manquait ces derniers temps. Dans mon obsession de gagner de l’argent et de gravir les échelons de la Guilde, j’avais commencé à considérer nos tâches comme de simples « quêtes » dans un jeu vidéo.

« Tu t’appelles Kurt, n’est-ce pas ? J’ai eu tort de te traiter comme un enfant. Il semble que tu sois un guerrier à part entière. »

Apparemment, quelque chose dans la tirade du garçon avait touché un point sensible chez Ruijerd, et cela m’avait fait tomber par terre avec sa brève excuse.

Et ce n’était pas comme si je le méritais cette fois.

« Ne t’excuse pas, s’il te plaît. Rien de tout cela ne change le fait que j’ai fait une terrible erreur. »

« Non, ce n’était pas une erreur. Tu essayais seulement de respecter notre fierté en tant que guerrier. J’avais trop hâte d’intervenir. »

« Euh… »

Rien de tel ne m’a traversé l’esprit. Désolé.

« J’étais aussi trop pressé avec ces criminels. Je devrai être plus prudent à l’avenir… »

Ruijerd semblait avoir parfaitement emballé ses affaires. Mais je n’avais pas trouvé ses conclusions trop convaincantes. J’allais réfléchir sérieusement à mes erreurs aujourd’hui. J’avais besoin d’identifier exactement où je m’étais trompé et de m’assurer que cela ne se reproduise plus jamais.

Pourtant, il y avait certainement une partie de moi qui pensait, Génial ! Heureusement qu’il s’est fait des idées ! Au moins, je m’en suis tiré.

Je voulais me frapper au visage.

◇ ◇ ◇

Kurt et son ami nous avaient dit qu’ils avaient l’intention de ramener leur camarade décédé en ville. Nous les avions escortés jusqu’à l’entrée de la forêt. Je m’attendais à ce que Ruijerd insiste pour qu’on les raccompagne jusqu’à Rikarisu, mais il avait secoué la tête à cette suggestion. Il avait reconnu Kurt et ses amis comme des guerriers. Cela avait changé les choses.

« Ils ne pourront pas rentrer sains et saufs avec leur groupe réduit. Mais ils se sont résolus à faire face à ce risque. »

Kurt l’avait dit aussi. Mais il y avait quelque chose de profondément mélancolique dans sa posture quand il s’était éloigné de nous. C’était si évident qu’Éris s’était précipitée impulsivement vers lui et lui dit : « Bonne chance tout le monde ! »

Elle ne parlait pas sa langue, bien sûr, mais Kurt sentait clairement le sens de ses mots d’après l’expression de son visage.

« Merci. C’est comme ça que tu fais ? », dit-il

« Hein !? »

Le garçon prit la main d’Éris, se pencha en avant et l’embrassa près de l’articulation de son pouce. Avec un dernier sourire éclatant, il se retourna et repartit une fois de plus.

Éris était complètement gelée. Je ne savais pas non plus quoi faire.

Soudainement, elle s’était retournée pour me regarder, puis avait commencé à frotter vigoureusement le dessus de sa main contre le bord de son armure.

« Non, non ! Tu as tout faux ! »

Pourquoi son visage était-il si paniqué ? Je veux dire, le gamin l’avait embrassée, mais elle portait des gants. Il n’y avait pas de quoi s’énerver.

« Je… Je n’utiliserai même plus ça ! »

Éris arracha son gant et le jeta dans la forêt. Quel gâchis de cuir en parfait état. Ruijerd et moi l’avions grondée en même temps :

« Ne jette pas ton équipement ! »

« Tu sais que ces choses coûtent de l’argent ! »

J’aurais vraiment souhaité que mon esprit ne soit pas retourné directement à la question de « l’argent ».

« Oh, tais-toi ! » cria Éris en tapant des pieds contre le sol avec des larmes dans les yeux.

C’était la première fois depuis longtemps que je la voyais comme ça. Avais-je raté quelque chose ? Est-ce qu’un baiser sur la main signifiait quelque chose de spécifique ici ou quoi ?

« Rudeus ! Ici ! »

À ce moment-là, elle poussa sa main devant mon visage. Je l’avais léché par réflexe.

Le visage d’Éris rougit aussitôt. Environ une demi-seconde plus tard, elle m’avait frappé.

C’était aussi un vrai coup de poing. J’étais à peine resté conscient et j’avais cru un instant qu’elle m’avait brisé le cou. Cette fille pourrait bien être championne du monde un jour. Je m’étais effondré en arrière d’une manière maladroite.

 

 

Hmm. Je me demande ce que j’étais censé faire maintenant… ?

Tandis que je la regardais du sol, Éris fixa l’endroit où je l’avais léchée, puis la toucha brièvement avec sa langue.

Alors qu’elle rougissait de plus en plus, elle s’était ensuite frotté la main avec force contre ses vêtements.

« Désolé pour ça, Rudeus. Mais tu ne peux pas me lécher, d’accord !? »

C’était plutôt adorable, alors je lui avais pardonné sur le champ.

Ce n’était pas une bonne journée dans l’ensemble, mais je ne me sentais plus aussi malheureux.

◇ ◇ ◇

Au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans la forêt, je m’étais retrouvé à penser à Ruijerd.

C’était un homme ayant un code moral absolu, et il aimait les « enfants ». Tels étaient les faits fondamentaux sur lesquels je travaillais jusqu’à ce moment-là, mais la conversation de tout à l’heure démontrait que le mot « guerrier » était aussi un mot clé pour lui.

« Ruijerd, quelle est ta définition du guerrier ? » avais-je demandé.

Sa réponse avait été instantanée.

« Les guerriers sont ceux qui protègent les enfants et combattent pour le bien de leurs camarades. »

Ça expliquait tellement de choses en fait. Ses accès de colère avaient plus de sens maintenant. Ruijerd ne s’énervait pas au hasard, il s’attendait simplement à ce que les « guerriers » se conduisent avec dignité.

Son ensemble de règles les plus élémentaires semblait aller dans ce sens :

Un guerrier ne doit jamais faire de mal à un enfant.

Un guerrier a l’obligation de protéger les enfants.

Un guerrier ne doit jamais abandonner un camarade.

Un guerrier a l’obligation de protéger ses camarades.

Sur cette base, il avait identifié ce voleur d’animaux comme un « méchant » plutôt qu’un « guerrier » au moment où il m’avait donné un coup de pied. Et quand les deux autres avaient plaidé pour leur vie au lieu de chercher à venger leur camarade tombé au champ d’honneur, il les avait aussi placés dans la catégorie « méchant » d’une manière méprisante.

Le truc avec Kurt était un peu similaire. Au début, il les avait considérés comme des enfants. Alors quand je m’étais assis et que j’avais laissé mourir l’un d’eux, ça avait fait de moi un méchant à ses yeux. Mais cet échange de mots avec Kurt avait changé son point de vue. Il les avait reclassifiés comme « guerriers » plutôt que comme enfants. Cela rendait mes actions faciles à pardonner. Au contraire, il semblait plus fâché contre lui-même de ne pas les avoir classées correctement dès le début.

Il était cependant un peu difficile de dire exactement où il traçait la frontière entre « enfants » et « guerriers ». J’avais l’impression qu’il considérait encore Éris comme une enfant, mais je ne savais pas où il me plaçait ces jours-ci.

Dois-je le lui demander ? Ou serait-ce une erreur ?

« Il y a une bataille qui se déroule à l’horizon », annonça Ruijerd, interrompant ainsi mon débat interne.

« Oh. C’est cet autre groupe ? Les Super Blazers ? »

« C’est exact. »

Apparemment, cet homme-cochon s’était attiré des ennuis. Je ne savais pas exactement quelle sorte de vue le troisième œil de Ruijerd lui offrait, mais il pouvait apparemment l’utiliser sous un capuchon, et assez bien pour distinguer un aventurier d’un autre.

C’est très pratique. J’en veux un aussi.

« Tu crois qu’on devrait les aider ? » avais-je demandé.

« Ce n’est pas nécessaire », avait-il répondu.

Hmm. Après tout, c’était des aventuriers de rang B. Je suppose qu’il les classe comme des guerriers dès le début…

Nous nous étions enfoncés un peu plus loin dans la forêt et nous étions tombés sur un seul énorme serpent enroulé dans une clairière. Quatre cadavres étaient éparpillés autour.

« … Hein ? » Ces messieurs semblaient morts… C’était ce qu’il voulait dire par « pas nécessaire », hein ?

Mais je n’avais pas vu le corps de Blaze parmi eux. Avait-il réussi à s’échapper ?

« C’était un groupe de six personnes, non ? Où sont partis les deux autres ? »

« Ils sont morts. »

Un effacement complet ? Putain. Reposez en paix.

« Ok, alors c’est quoi ce truc ? » Le serpent qui avait tué Blaze et compagnie était… très, très gros.

« Un Cobra à capuche rouge. »

Son corps était si épais qu’Éris et moi n’aurions pas pu l’entourer de nos bras du bout des doigts. Il devait faire dix mètres de long. Et son « cou » était plus plat et plus large que le reste de son corps. Je pouvais voir deux bosses distinctes au milieu du tronc du monstre. L’un d’eux était probablement un gros morceau de porc.

***

Partie 4

Ne cherchait-on pas des cobras aux crocs blancs ?

« Je ne m’attendais pas à en trouver un dans cette forêt. Sans parler d’un spécimen si énorme. », poursuit Ruijerd.

« Ils n’habitent pas ici d’habitude alors ? »

« Non. Mais on rencontre de temps en temps. »

Les cobras à la tête rouge étaient apparemment une variante plus puissante du cobra aux crocs blancs. Non seulement ils étaient de plus grande taille, mais ils étaient aussi beaucoup plus agiles. Leurs écailles étaient dures et résistantes à la magie du feu. Leurs crocs étaient énormes et pleins de venin mortel. On ne savait pas ce que devait manger un croc blanc pour muter en l’un d’eux, mais à l’occasion, on en trouvait un là où ils vivaient.

Les crocs blancs étaient des monstres de rang B, mais la tête rouge était de rang A — et pour de bonnes raisons. Ils pourraient anéantir en quelques secondes un groupe typique de rang B.

En ce moment, celui-ci était occupé actuellement à savourer son repas, et ne semblait pas nous avoir remarqués. Il commençait à peine son troisième aventurier de la journée.

« Nous pouvons abattre cette chose, n’est-ce pas ? », dit Éris en dégainant avec confiance son épée.

« On l’attaque ? » m’avait demandé Ruijerd.

« … Est-ce que je dois décider? »

« Qui d’autre le ferait ? »

« Je le laisse entre tes mains. »

Apparemment, c’était à moi de décider. J’avais pris un moment pour y réfléchir.

Notre tâche aujourd’hui était de découvrir, d’identifier et peut-être de vaincre le « monstre inconnu » qui se cachait dans cette forêt.

Tout d’abord, il semblait évident que le monstre en question était soit ce Cobra à tête rouge, soit le Cobra aux crocs blancs qui avait également été repéré ici. Ni l’un ni l’autre n’était originaire de cette forêt. Nous obtiendrions probablement le crédit d’avoir terminé le travail si nous retournions maintenant et rapportions ce que nous avions vu.

Cependant, si nous le tuons, notre récompense passera à deux pièces de fer. Ce serait bien de le battre si on pouvait. Mais il était aussi important de rester en vie. Je venais de voir quelqu’un mourir sous mes yeux. L’échec signifierait la mort, je ne voulais pas nous mettre en danger inutilement.

Comme j’hésitais dans ma décision, Ruijerd rompit le silence.

« Je pourrais le vaincre tout seul, si tu préfères. »

« Pourrais-tu vraiment tuer cette chose tout seul, Ruijerd ? »

« Oui. Je suis plus que suffisant pour ce travail. »

Wôw. En voilà des paroles rassurantes. Je suis sûr que la référence au Roi des combattants n’était pas intentionnelle.

« Peux-tu l’assumer tout en protégeant Éris ? »

« Pas de problème. On se battra comme d’habitude. »

Ruijerd ne semblait pas intimidé, même face à un ennemi de rang A. Rien que sur la base de ça, j’avais pensé qu’on s’en sortirait.

« Dans ce cas, allons-y. »

◇ ◇ ◇

J’attaquais avec ma magie à distance tandis qu’Éris et Ruijerd combattaient comme toujours le monstre en combat rapproché. J’avais donc commencé comme d’habitude avec un canon de pierre.

Nous étions face à un ennemi de rang A cette fois, alors j’avais légèrement modifié le sort pour augmenter sa puissance. Le projectile que j’avais créé était une roche creuse, en forme de coin, remplie d’une magie de feu concentrée qui l’aurait fait exploser à l’impact. Je l’avais tiré à une vitesse supersonique, m’attendant à le voir frapper le côté du serpent avec un boom qui lui fendra les oreilles.

« Quoi… »

Mais à ma grande surprise, le Cobra à la tête rouge s’était tordu et esquiva ma balle.

Ce n’était pas qu’une coïncidence. Cette chose avait esquivé le sort. Il avait repéré le projectile en l’air et avait réagi assez rapidement pour l’éviter. La pierre avait explosé inoffensivement quelque part au loin.

« Tu te fous de moi… »

Notre attaque préventive avait été un échec, mais notre escouade d’attaque spéciale n’était pas prête de s’arrêter. Ruijerd chargea vers l’avant en tête, avec Éris en retrait sur le côté. Ce n’était pas notre formation habituelle, jusqu’à présent, c’était surtout Éris qui était en tête.

« Hissss ! »

« … Hmph! »

Ruijerd partit avec une poussée typique, poignardant la tête du serpent avec son trident. Le cobra se balança pour éviter l’attaque, puis essaya de le mordre en retour. Ses crocs étaient assez gros pour percer un trou béant dans un homme, mais Ruijerd les dévia d’un coup de lance occasionnel.

Pendant ce temps, Éris tournait autour du cobra. Elle avait donné un gros coup à sa queue avec son épée. Le coup frappa le serpent, mais ne l’avait pas traversé. Ses écailles, ou peut-être ses muscles étaient clairement durs.

« Hisssss! »

Au moment même où l’attention de la Tête rouge se tournait vers Éris, Ruijerd et elle revinrent à une distance plus sûre. Sans perdre un instant, j’avais lancé un autre sort. Nous avions élaboré cette séquence auparavant. C’était assez typique de notre style de combat en tant que groupe.

« Quoi encore!? »

Malheureusement, le cobra évita mon sort une seconde fois. J’avais affilé le bout de mon projectile de pierre pour en augmenter sa vitesse, mais en vain. La balle dépassa le flanc du serpent et pénétra dans la forêt, abattant quelques arbres au passage. Une fois encore, le monstre avait réagi après avoir repéré le projectile en l’air.

Mais ce n’était pas la fin du monde. Je n’avais pas vraiment besoin de le frapper.

Notre équipe frontale attaqua par vagues. Ruijerd ciblait constamment son cerveau et ses organes vitaux, Éris se précipita pour lui couper la queue, gardant ce monstre distrait. Et de temps en temps, j’avais lancé un sort potentiellement mortel.

Le modèle était simple, mais ce n’était pas facile à gérer. Si le monstre avait concentré ses attaques sur Éris, il aurait pu percer nos lignes. Mais Ruijerd savait tellement bien gérer la situation que le cobra était forcé de nous ignorer, moi et Éris.

Ruijerd et moi ne recevions aucun résultat, mais avec le temps, le serpent s’était fatigué. Ses mouvements avaient commencé à ralentir.

Et à la fin, l’un de mes sorts canon de pierre avait finalement touché sa cible.

◇ ◇ ◇

Le temps que nous ayons fini de traiter le corps du cobra, le soleil était déjà couché. Nous avions bien sûr un festin de viande de serpent pour le dîner de ce soir.

Je ne savais pas quelles parties spécifiques de cette chose avait de la valeur, alors nous avions arraché ses crocs, puis nous lui avions arraché la peau et l’avions enroulée comme un tapis. Nous avions trouvé les œufs que le groupe de Kurt cherchait à proximité, mais ils étaient si gros qu’il semblait impossible de les transporter. J’avais réfléchi à nos options pendant un moment avant de décider d’écraser les choses. Permettre délibérément à des monstres de naître était un grand tort.

Quant à Blaze et compagnie… nous les avions soulagés de tout ce qui avait de la valeur, puis nous avions brûlé et enterré leurs corps. Si on les avait laissés allongés là, auraient-ils fini par se transformer en Exécuteurs ? Pour être honnête, je n’avais pas tout à fait compris ce phénomène de « revivification en tant que zombie ».

Mais je dois dire que ce serpent rouge était vraiment quelque chose…

Je m’étais souvenu de la bataille que nous venions de livrer, en particulier de la façon dont ce cobra avait évité ma magie.

Il avait esquivé mes sorts. De nombreuses fois, en fait. Jusqu’à ce coup direct à la toute fin, je ne l’avais jamais vraiment effleuré.

Maintenant que j’y pense, l’Exécuteur d’aujourd’hui avait probablement fait quelque chose de semblable. J’avais ciblé mon premier sort sur sa poitrine, mais il n’avait perdu qu’une partie d’un bras. J’avais peut-être besoin de comprendre que les monstres classés B ou plus hauts étaient capables d’éviter la magie.

Bien sûr, ce serpent rouge était de Rang A. Il avait en fait aussi évité les coups de lance de Ruijerd… mais c’était probablement parce qu’il se retenait. S’il l’avait vraiment voulu, j’étais sûr qu’il aurait pu le tuer instantanément.

Il était intéressant de constater qu’il n’avait jamais esquivé l’épée d’Éris. Peut-être que ce n’était pas nécessaire, vu qu’elle était beaucoup moins dangereuse.

En tout cas… ce monde était vraiment rempli de menaces terrifiantes. Même certains humains pouvaient soi-disant repousser des attaques magiques, et maintenant je me heurtais à des monstres qui pouvaient éviter une balle dans les airs. À ce rythme, j’avais dû supposer que les monstres de rang S pouvaient être capables d’être frappés par un coup du Canon de Pierre sans une égratignure.

J’avais eu instantanément une pensée effrayante… Il fallait que je me fasse cette note mentale : garder mes distances par rapport aux endroits dangereux.

D’une façon ou d’une autre, nous avions réussi à accomplir notre tâche.

Il s’était avéré que c’était aussi la dernière que nous aurions jamais terminée dans la ville de Rikarisu.

***

Chapitre 13 : Échec, chaos et résolution

Partie 1

Après avoir tué le Cobra à tête rouge, notre groupe était retourné à la guilde des aventuriers. Comme toujours, nous avions rencontré Jalil à l’extérieur du bâtiment pour échanger nos cartes de tâches. Nous avions également remis les crocs et la peau du serpent, et nous avions élaboré nos histoires pour nous assurer qu’elles restent cohérentes.

Il y avait beaucoup de choses à transporter cette fois-ci, donc pour une fois, nous nous étions tous dirigés vers la guilde, même Vizquel. Dès que nous avions mis les pieds à l’intérieur, Nokopara s’était approché de nous. J’avais l’impression qu’il n’avait jamais quitté cet endroit… ou qu’il ne nous laisserait jamais seuls.

« Hé, salut ! On dirait que tu as attrapé une proie très intéressante. Ce sont des écailles de cobra à tête rouge que je vois ? Non ? »

J’avais jeté un coup d’œil à Jalil, l’incitant à raconter l’histoire que nous avions élaborée à l’avance.

« Oui, c’est vrai. On a eu de la chance et on est tombés sur le truc alors qu’il était déjà très faible. »

« Hmmm. Vous avez tué une tête rouge, hein… ? »

Nokopara fixa Jalil du regard avec quelque chose qui ressemblait à un sourire condescendant sur son visage de cheval.

Qu’est-ce qui se passe ici ? Il a l’air un peu différent aujourd’hui…

« On a trouvé les corps des gars de Super Blazers avant de tomber dessus. Ils ont dû l’affaiblir avant de mourir… »

« Quoi ? Attends, tu dis que Blaze est mort ? »

« Oui. »

« Merde. Je suppose que c’est comme ça que ça se passe quand on tombe sur une tête rouge…, » dit Nokopara avec un grognement désintéressé.

« Pourtant… même s’il était affaibli, c’est difficile de t’imaginer en train d’abattre un de ces monstres avec Vizquel… »

« Eh bien, il n’était pas seulement affaibli, vraiment. Il était presque mort. Je veux dire, on pourrait presque dire qu’il était mort. Il respirait encore, oui, mais il était presque mort. »

Jalil, parlant un peu trop vite maintenant, avait choisi ce moment pour s’éloigner précipitamment.

Mais Nokopara ne semblait pas encore satisfait et il s’est tourné vers nous.

« Alors ! Vous avez encore trouvé un animal perdu aujourd’hui ou quoi ? »

« Ouais. Maître Jalil nous a appris d’excellentes techniques. On a réussi à gagner un peu plus d’argent de poche aujourd’hui. »

« Hmmmmmm… »

Quelque chose ne tournait pas rond dans cette conversation. J’avais essayé de m’éclipser et de partir rapidement comme Jalil l’avait fait, mais au moment où j’avais commencé à bouger, Nokopara mit son bras autour de mes épaules d’une manière étrangement intime, et s’était penché pour me murmurer à l’oreille.

« Alors, dis-moi, comment chassais-tu les animaux en dehors de la ville ? »

Pendant un instant, j’avais arrêté de bouger. Mais je crois que j’avais réussi à garder mon visage impassible. C’était une situation que j’avais prévue. Il nous avait vus partir de Rikarisu. Je pourrais me débrouiller avec ça.

« Il était en train de flâner hors de la ville cette fois. »

« Oh vraiment ? Et alors… »

Cette fois, Nokopara saisit Jalil fermement par les épaules.

« Est-ce que ce Cobra à tête rouge se trouvait aussi à l’intérieur de la ville ? »

Il avait aussi vu Jalil et Vizquel en ville. En d’autres termes, le leurre était dévoilé.

« Hmm. Très étrange. Beaucoup de choses étranges se passent ces jours-ci. »

J’avais réfléchi à ce scénario. Nous avions des options pour y faire face. Par exemple, je pourrais tout mettre sur le dos de Jalil. Si j’insistais pour qu’il nous force à faire un travail dangereux et de haut rang contre notre volonté, je pourrais me sortir de la crise immédiatement.

Mais je n’allais pas prendre cette voie. Si je le faisais, Ruijerd pourrait couper les liens avec moi pour de bon. C’était après tout une conduite indigne d’un guerrier.

« Allez les gars, n’est-ce pas le bon moment pour tout confesser. »

« Confesser quoi exactement ? Avons-nous fait quelque chose de mal ? », avais-je demandé.

« Hein ? »

« Nous avons aidé les P Hunter à faire leur travail, et P Hunter nous a aidés à faire le nôtre. Est-ce si grave que ça ? »

Au lieu de mentir et de raconter des histoires, j’avais choisi d’essayer l’approche « Et alors ? » J’avais examiné les règlements de la guilde une deuxième fois il y a quelque temps, et il n’y avait certainement pas de règle claire contre ce que nous faisions.

Bien sûr, cela ne voulait pas dire que les gens seraient d’accord. Tu ne peux pas faire ce que tu veux juste parce que ce n’était pas techniquement illégal. Mais je n’étais pas sûr non plus que nous avions franchi la limite d’un comportement inacceptable. Autant insister sur le fait qu’on n’avait rien fait de mal.

« Tu es sérieux, petit ? As-tu déjà pensé à ce qui se passerait si d’autres idiots commençaient à faire ces conneries aussi ? »

« Pas vraiment. Que se passerait-il ? »

« Les emplois commenceraient à être vendus au plus offrant. Tout l’intérêt de la guilde disparaîtrait ! »

Hm. Je pourrais insister sur le fait que nous ne nous payions pas mutuellement pour nos tâches… mais cela ne volerait probablement pas, n’est-ce pas ? C’est vrai… Je suppose qu’on pourrait techniquement classer ça comme une forme d’« achat ou de vente de tâches de guilde ». Ce type est plus intelligent qu’il n’en a l’air.

Certes, si nos méthodes devenaient plus courantes, vous commenceriez probablement à voir certaines personnes vendre leur emploi pour un profit facile. Par exemple, quelqu’un pourrait tout simplement accepter tous les emplois de rang D disponibles en même temps, puis les vendre à la pièce aux autres gars de rang D. Le vendeur obtiendrait un flux régulier d’argent liquide et finirait par gravir les échelons, le tout sans lever le petit doigt lui-même.

Bien sûr, avec cette approche, vous finiriez par échouer à tous les emplois que vous n’arrivez pas à vendre.

« Qu’est-ce que ça peut te faire, Nokopara ? On ne te cause pas d’ennuis, pas vrais ? »

« Es-tu sûr de vouloir prendre ce ton avec moi, gamin ? Tu te trouves à un carrefour en ce moment, tu vois… Écoute aussi, Jalil ! »

À ce moment, Nokopara m’avait saisi par le devant de ma robe et m’avait soulevé du sol.

Regardant derrière moi, je secouai la tête vers Éris et Ruijerd, dont les yeux brillaient de colère. Pour l’instant, j’avais besoin qu’ils restent calmes, cette conversation n’était pas encore terminée.

« Hehehehe... »

C’était difficile d’interpréter l’expression de Nokopara, avec toute cette histoire de tête de cheval. Mais j’avais l’impression qu’il me regardait fixement.

« Si tu tiens à ton statut d’aventurier, tu ferais mieux de m’apporter deux pièces de fer par mois. »

Oh wôw. C’est presque rafraîchissant en fait. J’avais l’impression que c’était la première fois que je rencontrais un de ces types depuis ma réincarnation dans ce monde. Tous ceux que je rencontrais ces derniers temps étaient plus des personnages ternes, c’était sympa d’avoir pour une fois un méchant aussi clair. Au moins, je n’aurais pas à trop réfléchir à la situation.

Quoi qu’il en soit, je savais maintenant pourquoi Nokopara traînait dans la guilde toute la journée. De toute évidence, il surveillait de près les aventuriers qui n’étaient pas à la hauteur, afin de pouvoir en tirer de l’argent. Ça avait l’air d’un travail facile et agréable.

Je ne pourrais pas le dénoncer pour chantage ? Non… ça voudrait aussi dire exposer mes propres actions…

« Vous gagnez beaucoup d’argent en ce moment, non ? Héhé. Pas de quoi s’inquiéter. »

« Ça te dérange si je pose quelques questions ? » ai-je dit tout faisant de mon mieux pour paraître désespérément agité.

« Comme quoi ? »

« Je suppose que ce qu’on a fait sera probablement classé comme de la vente d’un travail, n’est-ce pas ? »

« Ouais, bien sûr. Ils vous prendront une jolie somme d’argent tout en déchiquetant votre carte s’ils l’apprenaient un jour. Ça ne te plairait pas, pas vrai ? »

« Non ! Non !. On… ne veut pas ça. »

Reste calme. Ce n’est pas la peine de paniquer. Je savais que quelque chose comme ça pouvait arriver. Nous allons bien. Nous allons toujours bien.

« On n’a pas ce genre d’argent en ce moment, alors… Jalil et moi, peut-on aller finir nos boulots ? »

« Bien sûr, peu importe. Mais ne t’enfuis pas, compris ? »

« Je n’y penserais même pas, chef ! »

Apparemment, ce type n’était pas si malin que ça. On s’était enfuis tous les deux et on s’était dirigés vers le comptoir.

« Hey… qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on va faire, mec ? »

« Calme-toi, Jalil. Tu dois faire comme si de rien n’était. »

Après avoir offert ces vagues instructions à Jalil, j’avais fait signe à Vizquel de venir nous rejoindre. Nous avions passé en revue nos fiches de travail remplies et avions reçu nos récompenses. Mais avant de quitter le comptoir, je leur avais aussi demandé de dissoudre P Hunters et de rejoindre le groupe Dead End.

Cette étape pouvait être significative ou non. Je n’étais pas sûr du niveau de détail des dossiers de la Guilde.

J’avais regardé de l’autre côté de la pièce et j’avais vu Ruijerd regarder Nokopara avec une envie de meurtre dans les yeux. Bien que nous ayons enfreint les règles de la guilde, il semblerait que la tentative arrogante de chantage de la face de cheval constituait une violation beaucoup plus grave du code du guerrier.

D’un petit geste, j’avais fait signe à Ruijerd de se retenir.

Éris ne semblait pas comprendre ce qui se passait. Si elle parlait la langue de Dieu-Démon, elle aurait probablement été la première à attaquer ce cheval odieux… et elle aurait probablement utilisé son épée, pas ses poings.

Alors que Jalil et moi rejoignions le groupe, Nokopara mit ses bras autour de nos épaules comme si nous étions de vieux amis ou quelque chose comme ça.

« Très bien alors ! Versez votre paiement pour ce mois-ci, les gars. »

Avec un sourire forcé sur son visage, Jalil commença à remettre les deux pièces de fer qu’il venait de recevoir, mais j’avais saisi sa main pour l’arrêter.

« Juste une chose avant de faire ça. »

« Quoi ? Fais vite, petit. Je ne suis pas du genre très patient. »

Je m’arrêtai un instant pour calmer mes nerfs et faire une petite prière silencieuse.

« As-tu une preuve qu’on a enfreint les règles ? »

Le « Tch ! » irrité de Nokopara résonna dans la guilde.

***

Partie 2

Nokopara commença par dresser une liste des tâches que la Dead End avait accomplies à partir des livres d’enregistrement de la guilde. La réceptionniste ne lui avait pas demandé pourquoi il voulait cette information, ce n’était probablement pas la première fois qu’il la demandait. Apparemment, nous utiliserions ces informations pour rendre quelques visites à nos anciens clients.

« Oh, et ne vous faites pas d’idées bizarres comme m’attaquer dans une ruelle », dit Nokopara, ses yeux se déplaçant de Ruijerd à Jalil.

J’avais l’impression que la rage sur le visage de Ruijerd était assez évidente, mais l’homme cheval ne semblait pas trop intimidé. Peut-être qu’il avait l’habitude d’être dévisagé par des hommes qui le voulaient mort.

« Si je meurs, mes potes iront directement à la guilde pour vous dénoncer. Oh, et contrairement à vous, les faux rangs C, j’en suis un vrai. Je pourrais atteindre le rang B quand j’en ai envie. »

Vous pouviez supposer que la dernière partie n’était qu’un bluff. Même Nokopara ne croyait sûrement pas qu’il pouvait nous vaincre à un contre cinq. Il nous mettait au pied du mur, oui, mais ça ne voulait pas dire qu’il voulait mourir.

Pourtant, cela semblait un peu négligent de sa part. J’aurais emmené au moins un garde du corps si j’étais à sa place.

« Okay, nous y voilà. »

Le premier endroit où nous étions arrivés était une maison ordinaire, mais peu familière.

Quand Nokopara frappa à la porte d’entrée, une vieille dame grincheuse apparut. Elle avait un bec en forme d’aigle sur le visage et portait une robe noire unie.

Une odeur sucrée s’échappait de l’intérieur même de la maison. Sans doute l’avons-nous interrompue en plein milieu d’un fouettage de Nerunerunerune…

La vieille dame nous regarda avec méfiance au début, mais dès qu’elle remarqua Vizquel, son visage s’était illuminé.

« Eh bien ! Si ce n’est pas Vizquel ! Qu’est-ce que c’est que tout ça, ma chère ? Tu m’as amené beaucoup de monde aujourd’hui. Oh, ce sont les autres membres de la Dead End, Ruijerd ? »

Nokopara regarda nos visages effrayés, puis regarda la vieille dame, qui ne reconnaissait clairement que Vizquel. Il lâcha un grognement amusé, un sourire désagréable se répandant sur son visage.

« Désolé, madame, mais ce n’est pas la Dead End. Vous vous êtes fait arnaquer. »

« Quoi ? »

Jetant un coup d’œil à Nokopara, la vieille dame grogna avec dédain.

« Comment ai-je donc bien pu me faire arnaquer ? Hein ? »

« Eh bien, ils… »

« Vizquel a très bien débarrassé ces insectes. On ne peut pas battre une Zumeba pour ce genre de travail, n’est-ce pas ? Je n’en ai pas revu un seul depuis. »

D’après ce que j’avais entendu, Vizquel avait dû faire face à une infestation d’insectes ici. Maintenant que j’y pense… cette vieille femme correspondait à ce que nous savions de l’un des clients pour lesquels Ruijerd l’avait vue travailler.

« Tant que tu fais le travail vite et bien, je m’en fous qu’il soit vraiment la Dead End! »

Nokopara n’était pas le seul à être surpris par ce commentaire. Les yeux de Ruijerd s’élargirent aussi.

« Écoutez, madame… »

« Je suis une vieille femme. Je n’ai plus beaucoup de temps de toute façon. Si j’avais la chance de rencontrer à la fin un vrai Superd, je le prendrais chaque fois. »

Les yeux de Nokopara devinrent incertains pendant un moment, mais il se tourna avec force vers Vizquel avec un air renfrogné.

« Vizquel ! Montre ta carte d’aventurier ! »

Vizquel feignit la surprise, mais un petit sourire s’était répandu sur son visage. Elle sortit sa carte et la montra à tout le monde. La dernière ligne, bien sûr, se lisait maintenant comme suit :

« Groupe : Dead End. »

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! Vous vous foutez de moi !? »

À ce stade, P Hunter n’existait plus. Un examen des dossiers de la guilde aurait probablement révélé pourquoi. Et avec un peu plus de travail, des preuves de notre non-respect des règles pourraient aussi avoir émergé. Mais au moins pour l’instant, Nokopara n’y avait pas pensé.

« Au diable tout ça ! On va au prochain ! »

Avec un petit sourire sur mon visage, je l’avais suivi alors qu’il se dirigeait vers la prochaine adresse sur sa liste.

 

◇ ◇ ◇

Au moment où nous avions rendu visite à plusieurs dizaines d’anciens clients, le visage de Nokopara était passé du rouge au bleu.

« Merde ! Qu’est-ce qui se passe ici !? »

Tous ceux à qui nous avions parlé avaient l’impression que Jalil et Vizquel étaient membres de la Dead End depuis le début. Leurs cartes d’aventuriers avaient même confirmé cette histoire.

Il y avait même eu un moment de bien-être vers la fin quand nous étions arrivés à la fille qui avait été notre toute première cliente. Elle avait gémi de joie et serra la jambe de Ruijerd dans ses bras.

« Je suis désolé, Nokopara, mais je ne pense pas qu’on puisse te payer si tu ne peux produire aucune preuve. »

« Nom de Dieu… »

Oublie ta paye, je le dénoncerai peut-être à la guilde. Je pourrais toujours l’accuser de nous « empêcher » de finir notre travail ou quelque chose comme ça.

« Heheheheh... »

Alors que je ricanais mal à moi-même, la dernière destination sur la liste de Nokopara était clairement visible

C’était… apparemment l’auberge Wolfclaw. Il semblerait que Jalil avait pris un petit boulot dans l’endroit où nous étions logés. Il serait peut-être plus difficile de bluffer si nous devions traiter avec quelqu’un qui nous connaissait vraiment, mais j’avais l’impression que nous avions à peine parlé avec l’aubergiste. On se débrouillerait sans doute d’une façon ou d’une autre.

« Ici. Ce sont les derniers. »

Deux personnes étaient sorties de la porte d’entrée de l’auberge Wolfclaw. Je m’étais figé en les voyant.

Ce n’était pas bon. Il y avait une quinzaine de sonnettes d’alarme différentes dans ma tête : Urgence. Urgence. Alerte rouge. Raid aérien en approche ! Éventualité imprévue ! Trop tard, j’avais compris à quel point j’avais été stupide et irréfléchi.

« Oh, Rudeus. Tu es de retour. C’est bon de te voir, mec… C’est quoi tous ces gens ? »

Nous étions face à face avec les membres survivants des Caïds du village Tokurabu. Il y avait un profond épuisement sur le visage de Kurt, mais il nous avait quand même salués d’un ton amical.

« Salut, petit. Tu te souviens de qui t’a sauvé dans la forêt pétrifiée ? C’était un individu de la Dead End, n’est-ce pas ? »

Ah, merde.

Je ne savais pas si Nokopara avait compris ma panique, ou s’il avait prévu de poser cette question dès le début. Mais de toute façon, il nous avait maintenant.

Le rang actuel du groupe la Dead End était D. La tâche que P Hunter avait acceptée était classée B. En d’autres termes, nous n’aurions pas pu accepter ce poste. Notre histoire était sur le point de s’effondrer.

« Quoi… ? »

Kurt nous avait regardés. J’avais secoué la tête frénétiquement, essayant de lui dire de se taire.

Allez ! Tu es un enfant fier ! Personne ne t’a aidé ! Tu as traversé ce bordel tout seul, pas vrai ?

Si au moins le gamin insistait pour dire qu’il n’avait aucune idée de ce dont parlait Nokopara, nous avions encore une chance. J’avais dû prier pour que son orgueil têtu nous vienne en aide.

Devant mon regard désespéré, Kurt acquiesça d’un signe de tête décisif.

« Bien sûr que ça l’était ! Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort que ces types ! »

Oh mon Dieu. Quel honnête garçon !

Il avait ensuite expliqué à quel point nous étions vraiment forts, décrivant la défaite de l’exécuteur et des anacondas-amande dans un style vigoureux qui comportait des tonnes d’effets sonores.

« Sérieusement, Rudeus est complètement fou! Cet exécuteur est effrayant, sans doute, mais il ne faut jamais devenir les ennemis de la Dead End! C’était un combat en face à face, non? Exécuteur contre Rudeus! Comment penses-tu que cela s’est passé? Boom! Splat! C’était fini d’un coup, mec! Un tir! Oh, et l’incroyable Ruijerd aussi! Il était juste, comme, fwoosh! Et puis kablam, voilà l’anaconda ! Il faisait toutes ces choses ridicules sans même sourciller ! Sérieusement, j’en avais la chair de poule ! »

Nokopara écoutait toute l’histoire avec un grand sourire sur le visage, en lançant de temps en temps, « Wôw, c’est incroyable, » ou, « Sans blague ? » Quand Kurt s’était finalement essoufflé, il se tourna vers nous.

« Eh bien, c’est terriblement bizarre. Vous n’avez pas pris un boulot en ville ? Pourquoi étiez-vous dans la forêt pour sauver des enfants de monstres ? »

« Euh, eh bien… nous avons suivi Jalil sur ce coup-là… »

« Désolé, mais Jalil et Vizquel étaient en ville à ce moment. »

C’était terminé. Plus la peine de faire semblant. Nokopara avait visiblement trouvé comment l’utiliser pour nous pousser le dos contre le mur.

Calme-toi ! Calme-toi ! Tu as encore une chance ici !

Concentre-toi, mec. Pour l’instant, nous avions quelques options parmi lesquelles choisir. Disons trois. Euh, d’accord. Nous y voilà…

  1. Tuer Nokopara

S’il avait vraiment eu une bande de complices, comme il le prétendait, ce plan se terminerait très mal. Mais il y avait aussi une chance que ça se passe bien.

En d’autres termes, on jouait tout sur un coup de dés. Mauvaise idée.

  1. Jeter le blâme sur Jalil

Nous étions des débutants, et Jalil était un vétéran. Si je me mettais à crier qu’il nous avait piégés et qu’il avait profité de nous, on pourrait se tirer d’affaire.

Cependant, essayer cette voie me coûterait l’amitié de Ruijerd. Trahir nos « camarades » serait après tout une erreur. Encore une mauvaise idée.

  1. Cracher l’argent maintenant, et trouver un moyen de s’en sortir plus tard.

C’était un autre jet de dés. Je trouverai peut-être un moyen de résoudre les choses rapidement, mais maintenant que Nokopara savait que nous étions dangereux, il allait probablement mettre en place un plan à plusieurs niveaux pour nous garder coincés dans cette ville et en sécurité dans les griffes de son gang. Encore une mauvaise idée.

Je devais choisir l’un de ces trois plans terribles. C’était clairement du temps bien dépensé !

Qu’est-ce que j’allais faire ?

La solution la plus simple était le plan deux, mais c’était probablement de loin le pire choix. Quels que soient ses avantages immédiats, nous nous paralyserions à long terme.

Trahir Jalil et Vizquel signifierait perdre la confiance de Ruijerd pour de bon. Il n’écouterait probablement plus jamais un mot de ce que je dirais.

Le plan 2 n’était pas permis. Absolument pas permis.

Le plan 1 n’était pas bon non plus. C’était juste… insensé. Je sortirais complètement du chemin que j’avais suivi jusqu’à aujourd’hui. La façon dont les gens voyaient la mort sur le Continent Démon n’avait pas d’importance, ce n’était même pas le problème ici. Si je tuais Nokopara maintenant juste pour me sortir d’affaire, je commencerais à résoudre tous mes problèmes de la même façon. Je n’étais pas prêt à m’engager à tuer tout au long de ma vie.

Mais le plan trois n’était pas mieux. En donnant de l’argent à ces gens, nous admettrions notre propre culpabilité. C’était la dernière chose que je voulais faire.

Il y avait aussi la possibilité réelle que nous finissions par enfreindre d’autres règles, ou même des lois, alors qu’ils nous extorqueraient de l’argent. Cela donnerait à Nokopara plus d’influence sur nous, ses demandes augmenteraient probablement. Il pourrait même essayer de mettre la main sur Éris… Je savais que je le ferais si j’étais lui. Si on en arrivait là, on serait dans l’obligation de le tuer.

Mais quand même… devait-on choisir le plan trois ?

Non, non. Comparé à cette voie, nous pourrions aussi bien choisir le plan un dès le départ. Il suffirait de tuer Nokopara. Et tous ses amis aussi.

Était-ce ma seule option ? Allais-je vraiment faire ça ? N’avais-je pas le choix ?

Honnêtement, je ne savais pas si je pouvais me résoudre à tuer quelqu’un. Et comment allons-nous gérer le reste de son gang, où qu’ils soient ? Peut-être que Ruijerd pourrait les retrouver d’une façon ou d’une autre. Mais comment ? S’il ne savait même pas qui il cherchait, son troisième œil ne nous aiderait probablement pas beaucoup.

Il y avait toujours la possibilité d’abandonner l’idée d’être des « aventuriers ». Nous pourrions trouver des moyens de survivre, même sans la guilde. J’avais une bonne idée de la façon dont nous pourrions gagner de l’argent sur ce continent à l’heure actuelle.

Mais… disons que j’avais renoncé à cette voie, aussi douloureux soit-il. Qu’arriverait-il à Jalil et Vizquel ? Non seulement ils avaient participé à notre projet, mais l’enquête de la guilde pourrait révéler des preuves de leur entreprise d’enlèvement d’animaux de compagnie. Notre groupe avait économisé de l’argent et n’avait aucun attachement particulier pour cette ville, mais ces deux-là étaient différents. C’était leur maison, et ils pourraient finir par en être chassés. Ces deux-là n’avaient pas les compétences nécessaires pour survivre dans la nature. Les abandonner, ne serait-ce pas une autre trahison ? Pouvons-nous les accueillir après leur bannissement ?

Non. Aucune chance. Il était déjà assez difficile de régler nos propres problèmes, nous ne pourrions pas nous occuper d’eux non plus.

OK, au diable tout ça. J’ai besoin de m’endurcir. Je deviendrai un tueur s’il le faut.

Souviens-toi du but. Je dois ramener Éris saine et sauve à la maison, quoi qu’il arrive. Pour cela, je suis prêt à trahir Jalil et Ruijerd. Je me fiche qu’Éris finisse par me haïr. Je m’en fiche de savoir si je ne pouvais plus jamais regarder Paul ou Roxy dans les yeux !

Je vais inonder cette foutue ville d’un sort de rang Saint. Éris et moi pourrions nous enfuir dans la confusion. Qu’ils me retirent mon statut d’aventurier s’ils le veulent. Je vais atteindre mon but, peu importe à quel point je dois m’abaisser.

Regarde !

***

Partie 3

L’esprit enfin décidé, j’avais commencé à rassembler de l’énergie magique dans mes mains… puis j’avais remarqué le regard sur le visage de Nokopara.

« Quoi… ah… ah… »

Tout à coup, il était devenu blanc comme un linge et ses genoux tremblèrent. Mais il ne me regardait pas, il regardait quelque chose derrière moi.

Je m’étais retourné. Ruijerd était là, debout, l’air très… mouillé. Une cruche à eau que j’avais remarquée derrière l’auberge gisait sur le sol à côté de lui.

« Ruijerd… ? »

Ses cheveux brillaient d’une teinte vert émeraude à la lumière du soleil. Ils étaient trempés. Il avait jeté l’eau sur sa tête et enlevé la teinture bleue. Il avait aussi défait son capuchon pour exposer la « gemme » rouge sur son front.

« C’est un… S-S-S-Superd… »

Nokopara était tombé en arrière, atterrissant sur ses fesses.

« Je suis Ruijerd Superdia, aussi connu sous le nom de Dead End. Il semblerait que mon identité ait été révélée. Je suppose que je vais devoir tous vous tuer maintenant. »

Ruijerd avait prononcé ses mots dans un monotone rigide et contre nature. Cet homme n’était pas fait pour être acteur. Pourtant, la rage dans ses yeux était réelle.

« Aaaaaaaaah ! »

Quelqu’un poussa un cri perçant.

Soudainement, tout le monde dans la rue se mettait à crier, filles, jeunes hommes et personnes âgées. Ils laissèrent tomber tout ce qu’ils portaient et s’enfuirent pour sauver leur vie.

Alors que le chaos s’étendait, Jalil avait été le premier à nous trahir. En criant : « Ils m’ont menacé ! Je ne savais rien ! Je ne suis pas de leur côté ! ». Il se retourna et se mit à courir, emmenant Vizquel.

Les jambes de Kurt avaient lâché sous lui. Peut-être se souvenait-il à quel point il avait parlé à Ruijerd l’autre jour… Son visage était d’une pâleur mortelle, et il avait l’air de se pisser dessus.

Pourquoi étaient-ils tous si terrifiés tout d’un coup ? C’était toujours Ruijerd. Sa couleur de cheveux avait juste changé, c’est tout. Je n’arrivais pas à comprendre.

Vous vous comportiez normalement jusqu’à maintenant, alors pourquoi ? Allez, Kurt. Tu parlais de Ruijerd comme s’il était une sorte de superhéros. Te souviens-tu d’avoir dit que tu voulais être comme lui un jour ? Tu le regardais avec un tel respect dans tes yeux ! Alors pourquoi ? Pourquoi as-tu si peur de lui maintenant que ses cheveux sont verts ? Regarde Éris, mec. Elle n’a aucune idée de ce qui se passe, mais elle reste calme, non ? Elle est là, les bras croisés, les pieds écartés et le menton en l’air. Regardant tranquillement tout cela les yeux grands ouverts.

Alors pourquoi tout le monde panique-t-il ?

Beaucoup de gens autour de nous fuyaient dans une panique aveugle. D’autres étaient assis dans la rue. Quelques-uns avaient sorti leurs armes, mais leurs jambes vacillaient. Il y avait eu beaucoup de gens différents dans le coin, mais ils tremblaient tous maintenant.

Tout ça à cause d’un type aux cheveux verts ?

Je savais que les gens d’ici craignaient la Dead End. Mais je ne savais pas qu’ils le craignaient autant. Je ne savais pas à quel point leur terreur était viscérale.

Hah.

Ça m’avait donné envie de rire. Quel était donc l’intérêt de tous mes plans et intrigues ? Ils avaient jeté un coup d’œil à sa vraie couleur de cheveux, et voilà ce qu’on obtient. Est-ce que je pensais vraiment que mon petit plan de relations publiques allait changer quelque chose ? Comme c’était ridicule. J’avais peut-être supposé que tout le monde finirait par le comprendre, comme l’avaient fait Éris et les Migurds. Mais cela n’aurait jamais été possible.

Il ne s’agissait pas de contrer quelques vilaines rumeurs. Pour ces gens, les Superds étaient la terreur incarnée. Et je voulais changer ça ? C’est une blague. C’était sans espoir depuis le début.

Alors que l’enfer se déchaînait autour de lui, Ruijerd se dirigea lentement vers Nokopara.

« Toi, là-bas. Tu t’appelles Nokopara, pas vrai ? »

Saisissant l’homme-cheval par le cou, il le souleva du sol. Le corps de Nokopara semblait lourd, mais Ruijerd le souleva sans effort.

« Ruijerd ! Ne le tue pas ! »

Même maintenant que j’en étais arrivé là, je m’étais retrouvé à crier cet avertissement. S’il tuait Nokopara dans ces circonstances, sous les yeux de tous, le nom « Dead End » serait entachée à jamais.

Honnêtement, ça ne l’était pas déjà ? Ça ne servait à rien de se retenir maintenant.

Non, pas vraiment. Oublie ça. Vas-y, Berserker !

« Je suis désolé ! Je ne savais vraiment pas que vous étiez le vrai Dead End ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! S’il vous plaît ! »

Le visage de Ruijerd était enragé. Nokopara tremblait comme une feuille.

« Hé, qu’est-ce qui se passe ? » siffla Éris, un peu énervée.

« Nous sommes au milieu d’un scénario catastrophe », répondis-je lentement.

« Alors pourquoi ne fais-tu rien !? »

« Parce qu’il n’y a rien que je puisse faire. Désolé. »

« Eh bien, je suppose qu’on n’a vraiment pas eu de chance ! »

La fille avait abandonné assez vite. Pour sa défense, j’avais déjà fait la même chose il y a un moment. Il n’y avait pas moyen de réparer ce désordre. Et tout était de ma faute. J’avais supposé que nous pourrions toujours « trouver quelque chose », même si quelqu’un s’en rendait compte. Je me laissais croire qu’on pouvait improviser pour se sortir d’un problème inattendu. Et ce désastre en avait été le résultat.

Maintenant que les événements étaient arrivés aussi loin, la seule vraie façon pour moi d’intervenir était de réaliser mon idée originale et de repartir à zéro.

Comme, lancer un raz-de-marée magique. C’était une bonne idée, n’est-ce pas ? Hahahaha.

« S’il vous plaît, vous devez avoir pitié de moi ! J’ai trois… non, sept enfants affamés à la maison ! »

Nokopara plaida pour sa vie d’une manière quelque peu incohérente. Il était assez évident que ces enfants n’existaient pas. Même moi, j’aurais pu trouver quelque chose de plus convaincant.

« … je quitte cette ville. Et tu vas oublier que tu m’as rencontré. »

Mais Ruijerd l’avait tout de suite libéré. Je supposais que la référence aux enfants avait probablement joué son rôle.

« D’accord, d’accord ! Merci beaucoup ! »

Le soulagement était visible sur le visage de Nokopara… pour un instant au moins.

« Cependant, tu ferais mieux d’espérer que notre statut d’aventuriers ne soit pas révoqué d’ici à ce que nous atteignions la prochaine ville. »

Ruijerd frappa son trident vers l’avant et fit une seule entaille peu profonde sur la joue de Nokopara. Une tache humide s’était répandue à l’avant du pantalon de l’homme-cheval, et quelque chose s’était épanoui à l’arrière.

« Ne présume pas que tu seras en sécurité dans les murs de cette ville… »

Nokopara hocha la tête vigoureusement et à plusieurs reprises.

Quand Ruijerd le lâcha, il s’écrasa par terre en produisant un bruit dégoûtant.

◇ ◇ ◇

Peu de temps après, Ruijerd fut chassé de Rikarisu. Prenant tout le blâme sur ses épaules, il s’était enfui dans le désert.

C’était une journée horrible et frustrante. Ruijerd s’était mis à courir tout seul, nous laissant derrière lui. Très vite, les gardes s’étaient précipités pour demander à tout le monde ce qui s’était passé, et j’avais insisté sur le fait que Ruijerd n’avait rien fait de mal. Mais à leurs yeux, bien sûr, je n’étais qu’un enfant. Ils pensèrent qu’il avait dû m’intimider pour que je dise ça.

Peu de temps après, tout le monde en arriva à la conclusion que Ruijerd avait planifié un complot maléfique ici, nous utilisant comme ses pions. Les détails de son plan n’étaient pas clairs, mais au moins il n’avait jamais eu l’occasion de le réaliser. Tout le monde autour de nous regardait Éris et moi avec de la pitié dans les yeux. Ils étaient convaincus que nous étions des enfants naïfs qui avaient été manipulés par un diable vicieux.

J’étais tellement en colère que j’aurais pu frapper quelqu’un. Qu’est-ce que Ruijerd avait fait de mal ? Tout ça, c’était de ma faute. Rien de tout ça ne serait arrivé si je n’avais pas été aussi complaisant.

Éris et moi étions retournés à l’auberge Wolfclaw, avions rassemblé nos quelques biens afin de la quitter pour de bon. On devait se dépêcher, sinon Ruijerd pourrait s’en aller quelque part. Ce n’était pas comme si nous pouvions rester dans cette ville nous-mêmes de toute façon. Nokopara était toujours en vie, tout comme ses prétendus alliés. Et le fait est que nous avions enfreint les règles de la guilde. Une fois que les choses se seraient un peu calmées, nous serions à nouveau coincés, et sans Ruijerd sur qui compter.

« Hé, Rudeus… »

Alors que nous sortions de l’auberge, Kurt s’était approché de nous avec une expression incertaine sur son visage. Je ne savais pas quoi lui dire honnêtement.

« Pourquoi voyagez-vous avec ce monstre ? »

« Ne le traite pas de monstre. Te rappelles-tu de la personne qui t’a sauvé dans cette forêt ? Comment peux-tu en arriver à te pisser dans ton pantalon à sa vue ? »

« Eh bien, euh… je suppose que tu as raison. C’est ma faute… »

OK, ça ne sert à rien de s’en prendre à Kurt. À ce moment-là, il a essayé de nous aider.

« Désolé, Kurt. Ce n’était pas juste. »

« Non, c’est bon. Ce n’est pas comme si tu avais tort. »

C’était vraiment un bon garçon. Bien qu’Éris le regardait encore avec ses poings serrés.

« J’ai une faveur à te demander. Je veux que tu nous remercies de t’avoir sauvé la vie. »

« D’accord, de quoi as-tu besoin ? » dit Kurt, son expression devenant plus sérieuse.

« Ruijerd n’est vraiment pas une mauvaise personne. Les gens ont peur de lui à cause de ce qui s’est passé il y a longtemps, mais c’est un type bien. Je veux que tu répandes ça dans toute la ville, même après notre départ. »

« Euh… d’accord. Compris. Après tout, je suppose que je lui dois la vie… »

Le gamin n’avait pas l’air entièrement convaincu.

Eh bien… Il avait l’air sérieux. Peut-être qu’il tiendra sa promesse.

Je m’étais arrêté à la Guilde des Aventuriers et j’avais exclu Jalil et Vizquel de la Dead End. J’avais aussi demandé à la greffière de leur transmettre un bref message : « Désolé d’en être arrivé là, mais merci pour votre aide. Vous avez aussi sa gratitude. »

***

Partie 4

Ces deux-là nous avaient trahis à la toute fin, mais on ne pouvait pas leur en vouloir pour ça. C’était la seule option qu’ils avaient pour eux-mêmes se sauver. Mis à part la façon dont les choses s’étaient terminées, ils nous avaient certainement beaucoup aidés.

Sur le chemin de la sortie de la ville, je m’étais arrêté pour acheter un reptile en forme de lézard entraîné pour transporter des personnes et des bagages. C’était une grande créature à six pattes et aux yeux joliment gonflés. Sur ce continent, on les utilisait essentiellement à la place des voitures hippomobiles. Cette espèce particulière pouvait facilement accueillir deux cavaliers adultes à la fois. Cela nous avait coûté dix pièces de fer, soit environ la moitié de tout l’argent dont nous disposions. Mais j’avais décidé il y a quelque temps d'en acheter un quand on reprendrait la route. Le fait d’en avoir un devrait soi-disant nous rendre le voyage sur le Continent Démon beaucoup, beaucoup plus facile.

Après un bref tutoriel du marchand sur la façon de contrôler la chose, je l’avais chargée avec nos sacs et nous étions partis de Rikarisu. Il y avait un grand nombre de soldats rassemblés autour de la porte. Peut-être qu’ils se préparaient à chasser Ruijerd ou quelque chose comme ça. Leurs visages étaient pâles, mais leurs expressions étaient excitées.

Quand je m’étais arrêté pour dire bonjour, ils nous avaient avertis de faire attention, puisque la Dead End avait fui la ville il n’y a pas si longtemps.

À partir de ce moment, ils avaient insisté sur le fait que la Dead End était un diable assoiffé de sang et avaient spéculé sur les actes maléfiques qu’il avait commis à l’intérieur de la ville. Ce n’était pas comme s’ils l’avaient déjà vu.

Au bout d’un moment, je ne pouvais plus me taire.

« Cet homme était en ville depuis presque deux mois, et il n’a causé aucun problème. »

Les gardes m’avaient regardé comme si j’avais une deuxième tête. Je les avais regardés fixement, j’avais claqué ma langue dans l’irritation, et finalement j’étais sorti de la ville. J’étais de mauvaise humeur.

Pour l’instant, nous avions besoin de rencontrer Ruijerd. Était-il encore dans les parages ? J’avais dû le supposer. Si sa fierté de guerrier était encore intacte, il n’y avait aucune chance qu’il nous abandonne… ou du moins Éris.

« Je suppose que l’on devrait être assez loin. »

Une fois la ville complètement hors de vue, j’avais envoyé un feu d’artifice magique dans le ciel. Il éclata dans les airs avec un boum féroce, produisant un éclair de lumière et une vague de chaleur.

On avait attendu un moment, mais Ruijerd n’était pas apparu.

« Éris, peux-tu aussi l’appeler ? »

Éris cria le nom de Ruijerd à pleins poumons. Ce qui était d’ailleurs assez bruyant.

Cette fois, au bout d’un moment quelque chose était apparu. Mais c’était un groupe de Pax Coyotes. J’avais passé mon irritation sur eux.

Rapidement, la zone rocheuse dans laquelle nous nous trouvions avait été transformée en un plateau parfaitement plat, et les monstres avaient été réduits en morceaux sanglants.

Pourraient-ils encore revenir en tant que zombies, même dans cet état ?

Hmph. Ce n’est pas mon problème. Cette ville peut s’en occuper.

« Regarde, c’est Ruijerd ! »

Peu de temps après la fin de la bataille, notre Superd rebelle avait finalement fait son apparition. Il avait l’air coupable, ça me fit sentir encore plus mal.

« Pourquoi n’es-tu pas venu quand on t’a appelé ? Prévoyais-tu de t’enfuir quelque part sans nous dire un mot ? »

Pourtant, pour une raison inconnue, les premiers mots qui sortirent de ma bouche étaient accusateurs. Ce n’était pas du tout ce que je voulais dire.

« Je suis désolé. »

Ruijerd commença par des excuses. C’était embarrassant.

Tout ce bordel était évidemment de ma faute. J’étais devenu arrogant et imprudent. J’avais décidé de faire équipe avec Jalil et Vizquel parce que je voulais une solution plus rapide et plus facile. Quand Nokopara nous avait menacés, j’avais juste supposé que nous réussirions à nous en sortir. Mais on s’était retrouvés dos au mur, et Ruijerd avait dû nettoyer ce bordel pour moi. S’il n’était pas devenu de lui-même le bouc émissaire, nous serions peut-être restés coincés dans cette ville pour de bon. Je ne pouvais même pas blâmer la malchance pour la façon dont les choses s’étaient passées. Nokopara était un pro du chantage. Il nous aurait coincés, même si Kurt ne nous avait pas trahis.

« Pourquoi faire ? C’est moi qui te dois des excuses. »

Je me sentais comme une vraie merde.

« Non. Tu as fait tout ce que tu pouvais, Rudeus. »

« Mais… »

« Même les meilleurs plans de bataille vont de travers. Je sais à quel point tu as pensé à chaque détail, à chaque pas que nous avons fait, jour après jour. »

Soudain, Ruijerd sourit et posa doucement sa main sur ma tête.

« Je ne savais pas à quoi tu pensais, bien sûr. Et j’admets que, jusqu’à aujourd’hui, je soupçonnais que tes objectifs étaient immoraux. Pour cette raison, il y a eu des moments où j’ai eu du mal à respecter tes décisions… »

Il s’arrêta pour jeter un coup d’œil sur Éris, puis hocha la tête.

« Mais maintenant, je comprends que tu voulais désespérément protéger quelque chose, quel qu’en soit le prix. Je viens de le voir dans tes yeux, quand tu étais prêt à tuer cet homme. »

Tout à l’heure… ? Oh, quand j’étais sur le point d’inonder la ville…

« Tu te bats pour protéger quelque chose, Rudeus. Et ça fait de toi un guerrier. »

Quand Ruijerd avait prononcé ces mots, je lui avais répondu par des larmes. Je ne méritais pas ce genre d’éloge. J’étais une personne superficielle et myope. Je ne pensais qu’à gagner de l’argent et à trouver des moyens d’aller de l’avant. J’étais même prêt à abandonner Ruijerd lui-même. J’avais failli mettre de côté le seul allié sur lequel nous pouvions compter jusqu’au bout.

« Ruijerd, je… Je suis… »

Je voulais être honnête avec lui. Je voulais lui dire quelque chose, des mots entièrement sincères, tout simplement, sans me cacher derrière une politesse superficielle. Même si je ne savais pas exactement ce que c’était.

« Ne dis rien. » Mais il m’avait coupé avant que je ne le puisse. « À partir de maintenant, mettez vos objectifs avant les miens. »

« Hein… ? »

« Ne vous inquiétez pas. Je vous protégerai tous les deux, même si vous n’améliorez pas ma réputation. Crois-moi, Rudeus… s’il te plaît. »

Je lui faisais confiance. Bien sûr que je lui faisais confiance.

Ce qui voulait dire qu’on n’avait plus besoin de l’aider.

C’était logique. Diffuser l’information sur Ruijerd n’avait pas été une tâche facile, et essayer de poursuivre deux objectifs en même temps nous avait vraiment empêchés de nous concentrer vraiment sur l’un ou l’autre. On s’était peut-être trop dispersé. J’étais tellement stressé ces derniers temps. J’avais négligé certaines choses qui auraient vraiment dû me venir à l’esprit, et je n’avais pas réfléchi à un certain nombre de détails importants. Une telle situation pouvait facilement mener à des catastrophes comme celle que nous venions de vivre.

Et donc, nous n’avions plus à aider Ruijerd.

Mais je ne pouvais pas accepter ça. Pas après avoir vu ce que je venais de voir. Pas après avoir vu tout le monde le chasser de la ville avec des fourches. Je n’arrivais pas à me résoudre à dire : « D’accord. Attends dehors la prochaine fois qu’on arrive dans une ville. »

« Je ne peux pas faire ça, Ruijerd. Je vais réparer ta réputation, quoi qu’il arrive. »

Au contraire, son offre n’avait fait que renforcer ma détermination. Je lui devais au moins ça pour tout ce qu’il avait fait. J’allais devoir faire un meilleur travail à partir de maintenant. Je n’allais pas me dépasser à nouveau, mais je ferais tout ce que je pouvais.

« N’as-tu pas retenu la leçon, Rudeus ? Suis-je vraiment si indigne de confiance ? »

« Je te fais confiance. C’est pourquoi je veux t’aider à atteindre ton but. »

À l’époque, j’avais moi-même été intimidé. Les gens m’avaient mis une étiquette que je n’avais jamais réussi à enlever. Et j’avais souffert à cause de ça. J’avais passé des décennies tout seul. Si Roxy ne m’avait pas traîné dehors, je n’aurais peut-être jamais échappé à cet isolement, je n’aurais peut-être même jamais rencontré Sylphie ou Éris.

Ruijerd était un cas plus compliqué, bien sûr, et l’ampleur de son problème était incomparable au mien. Mais ce n’était pas une raison pour que je l’abandonne. Roxy m’avait aidé sans même le vouloir, mais je n’étais pas Roxy. Il faudrait que je continue d’essayer, que je continue de merder et que je rampe lentement dans la boue.

C’était peut-être une nuisance totale, du point de vue de Ruijerd. Il pourrait y avoir d’autres désastres comme celui-ci en magasin, quand il aura à nettoyer mon bordel pour moi. Mais ça me convenait très bien.

Je préférais échouer plutôt que de ne pas essayer.

« … Tu es vraiment têtu. »

« C’est toi qui oses dire ça, Ruijerd. »

« Haha… Très bien. Essayons de faire ce que nous pouvons. »

Avec un sourire ironique, Ruijerd hocha légèrement la tête.

Pour une raison ou une autre… à ce moment-là, j’avais l’impression d’avoir enfin gagné sa confiance pour de bon.

 

◇ ◇ ◇

Quand je m’étais réveillé le lendemain matin, Ruijerd était aussi chauve qu’une boule de billard.

Cette vision m’avait laissé abasourdi. Honnêtement, j’étais aussi un peu paniqué. En combinaison avec cette cicatrice sur son visage, il ressemblait à un yakuza.

« Ce qui s’est passé hier montre clairement que mes cheveux font peur aux gens, alors je m’en suis débarrassé. »

Cela… Il avait dû prendre une réelle résolution. De retour au Japon, se raser les cheveux était une façon d’exprimer sa ferme détermination ou de montrer du remords pour une énorme erreur. Les choses étaient différentes dans ce monde, bien sûr. Mais quand même… voir Ruijerd comme ça, j’avais l’impression que je devais suivre son exemple.

Après tout, la meilleure façon d’expier était d’agir.

Est-ce que je veux vraiment moi aussi me raser ? Je veux dire que, j’ai merdé ici, pas vrai ? Mais… hmm… Mec, je ne sais pas…

« U-uh, Éris ? Penses-tu que je devrais aussi faire ça ? »

« Ne t’avise pas de le faire. J’aime tes cheveux comme ils sont, Rudeus. »

Oui, c’est vrai. J’avais fini par utiliser Éris pour me tirer d’affaire.

Allez-y, moquez-vous de moi. Je le mérite bien.

***

Chapitre 14 : Le début de notre voyage

Partie 1

Pour moi, en tant que membre de la génération Dragon Quest, les mots « Continent Démon » me rappelaient naturellement le concept d’un « Royaume Démon »… Vous savez… une terre sombre gouvernée par un tout puissant Roi Démon, avec de petits villages peuplés de monstres, d’anciens sanctuaires oubliés depuis longtemps, et de redoutables créatures se pavanant partout sur le globe.

Ce n’était pas vraiment comme ça dans ce monde. D’abord, ce tout puissant Roi Démon était introuvable.

Ce qui ne voulait pas dire que ce « Roi Démon » n’existait pas. En fait, ils étaient une trentaine en ce moment, et ils avaient tous au moins un petit territoire féodal. Mais ce n’étaient pas vraiment des dirigeants. Ils s’étaient appelés rois et avaient fait comme si ce terrain leur appartenait.

Chaque Roi Démon avait quelque chose comme une escouade de gardes ou une bande de chevaliers, généralement avec des noms impressionnants. Les soldats de Rikarisu appartenaient techniquement à l’un d’eux. Ils complétaient les activités des aventuriers en exterminant les monstres dangereux de la région, en capturant les criminels en ville et en prenant d’autres mesures indépendantes pour protéger leurs maisons. Plus qu’une armée, c’était plus des défenseurs de la ville ou une milice locale.

Je n’avais pas très bien compris la relation exacte entre le Roi Démon local et ces types. Est-ce qu’il leur avait vraiment donné des ordres, ou est-ce qu’ils se faisaient appeler ses soldats ? Ce serait probablement son armée s’il faisait la guerre, alors je suppose qu’il y avait une sorte de contrat en place.

En ce moment, personne ne faisait la guerre, et les choses étaient relativement paisibles. Mais cela ne s’appliquait que lorsque vous étiez dans le voisinage d’un Roi Démon spécifique. La majorité du continent des démons était complètement sans loi.

Les choses étaient peut-être calmes autour de la Croix du Sud et du Mausolée du Saint-Empereur, mais tout ce qui se trouvait entre eux était envahi par des bandes de voyous mohawks.

En tout cas, le Roi Démon qui contrôlait la région autour de Rikarisu s’appelait Badigadi. On disait que c’était un homme musclé, macho, ayant six bras et la peau noire. Pour l’instant, cependant, il s’était mis en route pour un voyage sans but, et personne ne savait où il se trouvait. On aurait dit un esprit libre.

En tout cas, le Continent Démon grouillait de créatures puissantes. Il y avait une raison pour laquelle la Guilde des Aventuriers plaçait tous les emplois d’extermination de monstres au rang C ou supérieurs. En gros, chaque monstre que vous pouviez trouver ici était vraiment très féroce. Les Treants de Pierre étaient peut-être à peine classés D.

Cela dit, les démons étaient généralement plus forts que les humains. Ils étaient également très bons au combat en groupe, car les capacités uniques des différentes sous-races les aidaient à jouer des rôles spécifiques. Atteindre le rang B était encore un vrai défi pour la plupart des gens, mais les aventuriers qui y étaient arrivés étaient plus forts que les rangs B que l’on trouverait ailleurs. Ceux qui ne pouvaient pas aller aussi loin finissaient généralement comme Nokopara ou Jalil.

Plus j’y pensais, plus Ruijerd semblait incroyable. Il avait dit qu’il pouvait vaincre des monstres du rang A tout seul, et je l’avais cru. Tout seul, il était plus fort qu’un groupe de six ou sept aventuriers qualifiés de rang B.

Vous devriez être content d’avoir gagné la confiance de quelqu’un comme ça, pas vrai ?

◇ ◇ ◇

Trois jours s’étaient écoulés depuis notre départ de la ville de Rikarisu. Je ne savais pas si cela avait quelque chose à voir avec le fait que je me sentais un peu plus détendu après avoir vaincu Ruijerd, mais mon appétit se faisait de plus en plus féroce.

Le problème, c’était qu’on n’avait rien trouvé de bon à faire. Nous vivions surtout de la viande de tortue géante, et la viande de tortue géante n’était pas l’idée que je me faisais du bon temps. J’avais décidé d’essayer d’améliorer légèrement notre situation culinaire. C’était dégoûtant quand vous la mangiez rôti, alors autant essayer une autre méthode.

Avec un peu de magie, j’avais préparé une grande casserole en argile, une cuisinière de base, mais puissante, et de l’eau artisanale de la famille Greyrat, une eau délicieuse. C’était tout ce dont nous avions besoin pour faire un ragoût de base. L’eau était une ressource précieuse par ici, mais je pouvais la produire en quantité illimitée.

Au départ, je voulais utiliser une cocotte-minute pour rendre la viande très tendre et délicate… mais la première que j’avais essayé de faire a failli exploser, j’avais donc décidé de ne pas poursuivre cette idée. La cuisson de la viande de cette façon prenait beaucoup plus de temps, mais nous n’avions pas à nous soucier de la facture de gaz ou d’eau. J’étais prêt à regarder amoureusement ce pot frémissant pendant des heures s’il le fallait. C’était particulièrement pratique de pouvoir fabriquer tous les ustensiles de cuisine dont nous avions besoin à l’aide de la magie de terre, ce qui me permettait ensuite de les jeter.

Un de ces jours, je voulais aussi essayer de fumer la viande… mais les branches des Tréants de Pierre ne lui donneraient probablement pas un goût trop agréable.

Le ragoût avait rendu la viande de Grande Tortue un peu plus comestible. Au lieu de mâcher de la viande dure et mauvaise, nous avions maintenant de la viande tendre et mauvaise.

Oui, c’était quand même mauvais. Vous ne pouviez pas laisser trop mijoter cet arôme âcre, et la saveur était ce qu’elle était.

Honnêtement c’était bizarre. J’aurais juré que ce truc avait meilleur goût dans ce village migurd. Avions-nous manqué quelque chose ?

Après un moment de réflexion, j’avais finalement compris.

Ça devait être les plantes qu’ils cultivaient dans le village. Je croyais que c’était des légumes à moitié morts, mais ce n’était pas le cas. Cette plante était probablement une sorte d’herbe ou d’épice… quelque chose qu’ils utilisaient pour masquer l’odeur de leur viande et améliorer son goût. J’avais été totalement induit en erreur par la description de Roxy selon laquelle ils étaient « amers et désagréables ». On les utilisait pour assaisonner, on n’était pas censé les manger tout seul.

Mon Dieu. Mon maître pouvait être parfois si bête.

J’avais fait cette note mentale : essayer d’acheter des épices de ce genre s’il y en avait dans la prochaine ville que nous allions visiter. Je voulais aussi prendre d’autres ingrédients, juste par souci de variété, mais ce serait peut-être un gaspillage d’argent. La nourriture avait tendance à être chère sur ce continent. Les légumes étaient particulièrement chers, car la région était inhospitalière pour la vie végétale. Une racine de ce qui semblait être du ginseng émietté avait pratiquement le même prix que cinq kilogrammes de viande.

La viande de grande tortue était bon marché. C’était plus ou moins l’aliment de base par ici. Ces choses étaient plus grosses qu’un camion de cinq tonnes, alors en tuer une vous procurerait assez de viande pour satisfaire une famille pendant un bon moment.

Bien sûr, vous ne pourriez pas nourrir une ville entière de cette façon. Parfois, les gens mangeaient des Coyotes Pax, ou même les larves d’insectes qui vivaient à l’intérieur des Tréants. Aussi courageuse qu’elle fût, Éris n’avait pas été très intéressée à essayer ce dernier.

Ce n’était pas que je me sentais différemment. La culture culinaire de ce continent n’était pas exactement à mon goût. Selon la façon dont vous l’aviez cuite, la viande de tortue géante pourrait être au moins comestible. Selon les standards de la cuisine du Continent Démon, c’était probablement qualifié de « goûteux ». Je pouvais à peine comprendre comment Ruijerd pouvait qualifier cette chose de délicieuse.

Pourtant, j’avais vraiment besoin de mettre la main sur de l’assaisonnement.

Éris et Ruijerd semblèrent se contenter de manger leur viande sans assaisonnement. En d’autres termes, je prendrais la décision d’acheter les épices tout seul.

Ce n’était pas bon. Nous étions une équipe après tout.

Nous devions probablement prendre l’habitude de discuter de nos décisions en groupe.

◇ ◇ ◇

« À tout le monde, rassemblement ! », avais-je crié.

C’était l’heure d’aller au lit. Éris cherchait un bon endroit pour placer le paquet de tissu enroulé qu’elle utilisait comme oreiller, et Ruijerd commençait à scanner la zone à la recherche d’ennemis les yeux fermés. Mais ce soir, nous devions d’abord nous occuper de quelque chose.

« J’aimerais convoquer une réunion de groupe. »

« Une réunion de groupe ? » dit Éris, inclinant sa tête de façon perplexe.

« Oui. Je m’attends à ce que nous rencontrions divers problèmes au cours de nos voyages. En discutant et en prenant des décisions importantes à l’avance, nous pouvons éviter d’entrer dans les discussions quand le temps presse. »

« Attends… »

Il y avait une expression de doute sur le visage d’Éris. Peut-être qu’elle n’était pas intéressée par les détails ? Ruijerd et moi pourrions probablement prendre toutes les décisions par nous-mêmes, mais la laisser à l’écart était une mauvaise idée. Éris n’était pas un bagage, elle faisait partie du groupe. J’avais besoin qu’elle participe.

« N’était-ce pas ce que tu faisais tous les mois chez moi ? »

Tous les mois… ? Oh, elle parle des conférences que j’ai tenues avec ses autres instructeurs, à l’époque où je lui donnais des cours particuliers à Fittoa. J’avais honnêtement oublié tout ça.

« C’est exact. Mais ceci est une version pour les groupes d’aventuriers. »

Fermant sa bouche, Éris se laissa tomber devant moi avec un bruit sourd. Elle essayait clairement d’avoir l’air très sérieuse, mais elle avait un sourire incontrôlable sur son visage. Ça semblait un peu bizarre. Ce n’était pas comme si nous faisions quelque chose d’amusant ici, mais au moins elle ne se plaignait pas.

« Dois-je aussi y participer ? » demanda Ruijerd.

Ça ne servirait pas à grand-chose si tu n’y étais pas, mec…

« Bien sûr. Tu n’avais pas de telles discussions de groupe dans ton groupe de guerriers ? »

« Non. Je prenais toutes les décisions tout seul. »

Je supposais que c’était ainsi que les choses fonctionnaient habituellement dans ce monde : c’est le chef qui décide, et tout le monde ne fait qu’obéir aux ordres. Mais j’avais grandi dans une démocratie.

« À partir d’aujourd’hui, je veux qu’on parle ensemble tous les trois et qu’on prenne des décisions en tant que groupe. »

« Très bien. »

Ruijerd s’assit également d’un signe de tête. Notre trio formait maintenant un cercle à côté de notre feu de camp.

« Très bien alors. Par la présente, je déclare ouverte la première réunion de l’équipe de l’impasse. Applaudissements, s’il vous plaît ! »

Clap clap clap. Clap clap clap.

« Rudeus, pourquoi applaudissons-nous ? »

« C’est comme ça que ça marche. »

« Mais tu n’as pas fait ça avec Ghislaine. »

Comment avait-elle su ça ? Eh bien, peu importe.

« C’est notre toute première réunion, ce qui en fait une occasion digne d’être commémorée, d’accord ? C’est pour ça qu’on applaudit. »

Aussi, nous étions des aventuriers, pas des professeurs. Autant garder les choses vivantes, non ?

« Ahem. Pour commencer ! Comme nous le savons tous, j’ai récemment merdé. »

« Non, ce n’était pas ton… »

« Silence, s’il vous plaît ! »

J’avais crié, en essayant de prendre l’attitude d’une dame tendue ayant des lunettes triangulaires.

« Ruijerd, si tu veux répondre, lève la main une fois que la personne qui parle actuellement a fini. »

« Compris. »

« Très bien. »

Maintenant que j’avais réduit Ruijerd au silence, j’avais continué.

« J’ai déjà identifié un certain nombre de facteurs qui ont contribué à mon échec. »

J’étais laxiste quant à la collecte d’informations, trop concentré sur la recherche d’argent rapidement, trop désireux de faire d’une pierre deux coups, etc. J’allais faire un effort personnel pour faire attention à tout cela, mais j’avais aussi une solution plus systématique en tête.

« Par mesure de précaution, je veux que chacun d’entre nous s’assure de signaler tout événement, de communiquer ses idées et de se consulter au sujet de ses options. Signaler, communiquer, consulter. C’est SiCoCo pour faire court. Souvenez-vous de ça, s’il vous plaît ! C’est important ! »

« Euh… SiCoCo, c’est ça ? »

Un excellent mot à la mode, si je puis dire. Ça sonne presque français !

« C’est vrai, SiCoCo. Tout d’abord, je veux qu’on se consulte constamment tous les trois ! »

« Hrm. Qu’est-ce que cela impliquera en particulier ? »

« Quand quelque chose te tracasse ou que tu veux faire quelque chose, parles-en au groupe au lieu de le garder pour toi. »

Pour être honnête, moi-même, je n’avais pas beaucoup d’expérience pratique de ce genre de discussion… mais nous n’avions pas à compliquer les choses. L’important, c’était de faire un effort.

« J’ai l’intention de vous demander votre avis à tous les deux. Lorsque quelqu’un vous “consulte”, écoutez attentivement et réfléchissez bien. Demandez-vous si c’est une bonne idée ou non, et pourquoi. Parfois, vous pouvez trouver un meilleur plan. »

Rétrospectivement, j’avais pris la plupart de mes décisions sans demander son avis à Ruijerd. Je lui avais toujours dit que je lui faisais confiance, mais peut-être qu’au fond, ce n’était pas vrai.

« Deuxièmement, communiquez ! Quand vous réalisez ou remarquez quelque chose, faites l’effort de lever la voix et d’en parler aux autres. »

Éris hochait la tête, mais l’expression sur son visage suggérait qu’elle réfléchissait beaucoup. C’était dur de dire si elle me suivait vraiment.

***

Partie 2

« Enfin et surtout, rapportez ! Les détails peuvent souvent être importants, mais vous pouvez rester simple si vous le souhaitez. Prévenez-moi quand quelque chose ne va pas… ou quand quelque chose va bien. »

Techniquement, j’étais toujours le chef de ce groupe. J’avais besoin d’agir comme tel.

« Des questions pour l’instant ? »

« Aucune. Continue, s’il te plaît. »

Ruijerd secoua la tête, mais Éris leva la main.

« J’en ai une ! »

« Oui, Éris ? »

« On va se consulter tous les trois, mais c’est toi qui prends la décision finale, non ? »

« Eh bien, au final, je suppose que je le ferai. »

« Pourquoi ne prends-tu pas toutes les décisions tout de suite ? »

« Il y a une limite à ce que je peux penser tout seul. »

« Mais je n’aurai jamais d’idées que tu n’auras pas imaginées, Rudeus ! »

C’était gentil de sa part de dire cela, mais pour être tout à fait honnête, je voulais aussi être rassuré. Je voulais avoir l’occasion de leur présenter mes plans et d’entendre quelque chose comme : « Ça devrait bien marcher » ou « Tu vas y arriver, pas de problème. »

« Même si c’est vrai, tu peux dire quelque chose qui m’amène à penser différemment et me diriger vers une meilleure idée. »

« Tu crois… ? »

Éris n’avait pas l’air de bien comprendre le but de tout ça. Mais c’était probablement prévisible pour l’instant. L’important, c’était qu’on se serve tous les trois de notre tête.

« Eh bien… passons à autre chose. Pour l’instant, j’aimerais discuter de notre futur plan d’action. »

Notre voyage à travers le Continent Démon avait commencé brusquement, sans que nous ayons le temps de planifier ou de nous préparer. On allait devoir régler les choses à la volée du mieux qu’on le pouvait.

« Tout d’abord, parlons de notre destination. Notre but ultime est d’atteindre le Royaume Asura, à l’ouest du continent central. Je suppose qu’il n’y a pas d’objection ? »

Tous les deux acquiescèrent d’un signe de tête.

Bien sûr, atteindre le Continent Central était plus facile à dire qu’à faire. Nous ne pouvions pas passer directement du continent des démons jusqu’à lui, il n’y avait pas de route maritime qui les reliait. Les pêcheurs régnaient sur les mers de ce monde, et tous les autres ne pouvaient les traverser que sur un nombre limité de lignes prédéterminées.

« Ruijerd, comment atteindre le continent Millis ? »

« Les bateaux arrivent au Port Venteux, la ville la plus au sud du Continent Démon. »

Ce qui signifiait… qu’il nous fallait descendre jusqu’au sud du Continent Démon, arriver au Continent Millis, le traverser jusqu’à la côte ouest, et y prendre un bateau jusqu’à la côte est du Continent Central.

Techniquement, ce n’était pas notre seule option. Il y avait aussi une sorte de « voie détournée ». Vous pourriez voyager jusqu’au nord-ouest du Continent Démon, puis traverser le Continent Divin. Cela vous permettait d’atteindre le Continent Central sans descendre jusqu’à Millis. Théoriquement, cela pourrait réduire de plusieurs mois le temps de déplacement nécessaire.

Cependant, cet itinéraire n’était pas aussi simple qu’il n’y paraissait. Le Continent Divin était totalement encerclé par des parois rocheuses escarpées. À moins d’avoir des ailes, c’était impossible de monter là-haut. Ça voulait dire qu’on ramperait en bas des falaises. Il n’y avait pas de routes ni de stabilité. Il y avait aussi beaucoup, beaucoup de monstres. Apparemment, seulement une personne sur vingt qui avait risqué ce voyage avait survécu pour raconter l’histoire.

De plus, même si vous aviez réussi à survivre au Continent divin, la route maritime suivante vous menait au nord du Continent Central, qui était de loin sa région la plus inhospitalière. Seuls les criminels désespérés et les chasseurs de primes les pistant choisiraient cette option.

Le gain de temps potentiel n’était que théorique. Cela prendrait probablement beaucoup plus de temps si nous l’essayions vraiment. Il n’y avait pas beaucoup de raison de nous mettre en danger mortel en échange d’une petite différence dans la durée de notre voyage.

Ce qui voulait dire… que notre seule vraie option était d’aller vers le sud.

« Sais-tu combien nous coûtera notre voyage au total ? »

« Aucune idée. »

« Combien de temps nous faudra-t-il pour aller jusqu’au Sud ? »

« Je pense que cela prendra du temps. Si on restait tout le temps sur la route… peut-être six mois ? »

Six mois même en marchant constamment ? Ça va être une vraie randonnée…

« Est-ce qu’il y a un moyen d’y arriver plus vite ? Comme un cercle de téléportation ? »

« L’utilisation des cercles de téléportation a été interdite après la Seconde Grande Guerre. Certains peuvent rester intacts, mais il serait difficile de les utiliser. »

Huh. Je n’étais pas trop sérieux, mais je suppose qu’il y a vraiment des cercles de téléportations là-bas.

« Nous sommes donc coincés à marcher sur le sol? »

« C’est exact. »

Il n’y avait apparemment pas d’options de transport à grande vitesse à proprement parler. Voyager pendant six mois d’affilée m’avait semblé… assez intimidant.

Peut-être que j’y avais juste pensé de la mauvaise façon. En fait, nous n’allions pas rester sur la route pendant des mois à la fois, nous allions avancer petit à petit, en sautant d’une ville à l’autre. Lentement mais sûrement. Un voyage de mille kilomètres commençait par un seul pas.

« D’accord. Eh bien, pensons à court terme. Si nous commençons à nous diriger vers le Port Venteux, combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre la prochaine ville ? »

« Nous devrions arriver dans une grande ville dans deux semaines. »

Deux semaines, hein ? Je suppose que c’était quelque chose auxquels j’aurais du m’attendre.

« Sais-tu s’il y a une guilde des aventuriers ? »

« Je suppose que oui. »

Selon Ruijerd, dans le passé, les races démoniaques créaient toutes leurs propres petits villages, et les villes se développaient comme des lieux centraux où elles pouvaient commercer, se mélanger et échanger des informations entre elles. Par conséquent, il n’existait pas vraiment de « villes » de taille modeste sur ce continent, et on pouvait s’attendre à ce que n’importe quelle ville ait une guilde qui emploie des guerriers des populations locales.

À l’origine, avant l’existence de la guilde, les villes étaient protégées par des guerriers choisis pour représenter les différentes races vivant dans la région. Parfois, un peuple plus guerrier envoyait des combattants supplémentaires au nom d’une race qui se battait rarement. Les Superds et les Migurd avaient apparemment eu une relation comme celle-là à un moment donné. Dès le début, les mariages entre différents peuples étaient également courants, comme moyen de renforcer ces liens entre les villages. Pas étonnant qu’il y avait une telle variété de démons… Tout le continent était probablement rempli de gens métis.

Oups. J’étais un peu hors sujet là.

« Très bien. Je pense donc qu’on devrait aller vers le sud en voyageant à travers les villes ayant des guildes. »

Après avoir atteint une nouvelle ville, on y resterait une semaine ou deux. À moins de perdre notre statut d’aventuriers, nous pourrions assumer des tâches de guilde et faire passer le mot sur la Dead End. Une fois que nous avions réuni assez d’argent pour acheter des fournitures pour notre voyage vers la prochaine ville, nous reprendrions la route.

« … C’est le schéma général que j’ai en tête. Avez-vous des questions ou des opinions à ce sujet ? »

Ruijerd leva la main.

« Tu n’as pas besoin de parler de moi à qui que ce soit. C’est en partie pour ça que je me suis coupé les cheveux. Pour l’instant, je ne suis même pas un Superd. »

« Eh bien, on ne va pas s’écarter de notre chemin. On fera ce qu’on peut tout en accomplissant nos tâches. »

Après avoir vu ce que Jalil et Vizquel avaient accompli, je m’étais rendu compte que nous n’avions rien à faire de trop fantaisiste. Nous ferions juste notre travail poliment et complètement et présenterions « Dead End Ruijerd » au client si tout se passait bien. Et si quelque chose tournait mal, c’était « Rudeus » qui s’en chargerait. C’était simple et agréable. À partir de maintenant, c’était moi qui serai associé aux faux pas et aux méfaits de la Dead End.

J’avais prévu de garder cette dernière partie secrète pour Ruijerd.

Qu’est-ce que tu dis ? « Ne viens-tu pas de décider que tu devrais parler de tout en groupe ? »

Ne sois pas si bête, mon pote.

« Des questions précises sur ce qu’on va faire en restant dans les villes ? »

« Oui ! »

« Vas-y, Éris. »

Le fait de la voir lever la main comme ça m’avait rendu un peu nostalgique. J’avais presque l’impression que nous étions de retour en classe.

« Allons-nous regarder autour de nous pour voir ce que les magasins font payer pour des trucs, comme tu le faisais avant ? »

« Oh, veux-tu dire mon étude de marché… ? »

Hrm. En y repensant, je m’étais laissé aller à ça à Rikarisu. J’avais vraiment couru partout sans réfléchir tout à l’heure. Si j’avais pris la peine d’étudier le marché local à l’avance, j’aurais peut-être réussi à obtenir notre lézard tout terrain à un meilleur prix.

« Oui, faisons-le. Connaître les prix locaux est après tout la première étape pour dépenser l’argent judicieusement. Quelque chose d’autre vous vient à l’esprit ? »

Ruijerd et Éris se regardèrent en silence. La réponse semblait être « non ».

C’était probablement suffisant pour notre première réunion. Nous allions sans doute rencontrer des problèmes plus épineux à mesure que nous allions de l’avant. L’important était de leur parler lentement au lieu de se disputer avec eux.

« Très bien alors. C’est un plaisir de travailler avec vous ! »

Sur ce, j’avais incliné la tête et j’avais terminé.

À partir de ce moment, notre voyage avait finalement commencé sérieusement.

◇ ◇ ◇

Nous avions atteint la ville voisine sans que personne ne se rende compte que Ruijerd était un Superd.

Pour être honnête, il s’était rasé tous ses cheveux, même ses sourcils, et sur le continent des démons, les gens ne faisaient généralement rien de trop dramatique avec leur coupe de cheveux. J’avais l’impression que la plupart d’entre eux étaient fiers de leur apparence naturellement distinctive.

Les gardes à la porte nous avaient accueillis chaleureusement.

Honnêtement, Ruijerd ne ressemblait à rien d’autre qu’un voyou de la mafia ou un skinhead à ce stade, mais… peut-être qu’il y avait des tonnes de types avec des visages effrayants par ici ? Le fait que nous étions habillés comme des aventuriers cette fois-ci avait probablement aussi fait une différence. Ils semblaient vraiment heureux de nous avoir. Lorsque nous étions entrés dans la ville, Ruijerd mentionna qu’il n’avait jamais reçu un accueil aussi chaleureux auparavant avec un petit sourire sur le visage.

Alors que nos apparences n’étaient apparemment plus un problème, quand nous nous étions annoncés comme « Dead End » à la guilde, pas mal de personnes avaient posé des questions du genre : « Es-tu sûr que ce soit une bonne idée ? »

Quand j’avais répondu que ce n’était pas un problème puisque nous avions l’homme lui-même avec nous, la plupart d’entre eux rirent aux éclats. C’était bien de voir que ce tour fonctionnait encore. J’étais presque reconnaissant pour le nom tristement célèbre de la « Dead End ». C’était un excellent brise-glace.

Après nous être installés dans nos logements dans une auberge locale, nous avions rapidement tenu une autre réunion d’équipe. Éris avait donné le coup d’envoi en annonçant :

« Rudeus reniflait mes sous-vêtements en faisant la lessive, et je veux qu’il arrête », avec une expression parfaitement sérieuse sur son visage.

On m’avait immédiatement interdit de toucher à nouveau la culotte d’Éris. Mais c’était un problème, car seul Ruijerd était maintenant capable de faire notre lessive. Je n’allais pas donner les sous-vêtements de ma chère Éris à un vieux pervers qui ne pouvait s’empêcher de caresser chaque enfant qu’il voyait sur la tête. Par conséquent, nous avions appris à Éris comment faire la lessive, et c’était devenu l’une de ses responsabilités à l’avenir.

Mais très vite, je l’avais vue renifler furtivement mes sous-vêtements. Bien sûr, je n’avais pas soulevé d’objection. Un homme devait avoir l’esprit ouvert à ce genre de choses.

La collecte d’informations ne s’était pas avérée trop difficile. J’avais pu trouver presque tout ce que j’avais besoin de savoir à la Guilde des Aventuriers. Tout ce que j’avais à faire était d’agir comme un enfant et de demander innocemment aux autres aventuriers. Ça s’était si bien passé que j’avais failli vouloir rester un enfant pour toujours.

Finalement, je m’étais un peu emporté et j’avais demandé à une aventurière avec un joli corps quel était son état civil, mais Éris me renversa avant de s’asseoir sur moi dans un style jiu-jitsu.

Malheureusement, le concept de « flirt » était un concept étranger dans ce monde.

Nous nous étions déplacés d’une ville à l’autre, suivant le même schéma général, nous nous étions ainsi dirigés régulièrement vers le sud. Un mois s’était écoulé, puis deux…

Un jour, Éris décida qu’elle voulait commencer à apprendre la langue du Dieu Démon.

Sans le dictionnaire de Roxy, je ne pourrais pas vraiment élaborer un programme détaillé. Pourtant, elle avait à la fois Ruijerd et moi pour apprendre, et semblait apprendre les bases rapidement. Quand nous étions dans le royaume d’Asura, elle refusait d’apprendre à lire et à écrire sa propre langue, mais je suppose que les circonstances pouvaient changer une personne. Cela avait dû être très stressant d’être la seule personne qui n’avait aucune idée de ce que les gens disaient la plupart du temps.

« Mon n-nom est… Éris Boreas Greyrat. »

« C’est exact. Tu as compris, mademoiselle. »

« Vraiment !? »

Elle était encore loin d’être prête à avoir une vraie conversation, mais…

Rappelons-nous les paroles de Yamamamoto Isoroku.

« Montrez-leur, dites-leur, faites-les faire, puis félicitez-les, sinon les gens ne feront rien. Parlez-leur, écoutez-les, reconnaissez-les et donnez-leur des responsabilités, sinon ils ne grandiront jamais. Regardez-les travailler avec gratitude et montrez votre foi en eux, sinon, ils ne s’épanouiront jamais vraiment. »

Il y avait là des tonnes d’instructions, mais pour l’instant, je m’étais concentré sur la partie « encourage-les ».

« Vraiment splendide, mademoiselle ! Superbe travail ! Tu m’as donné des frissons ! »

« … Tu te moques de moi ? »

« Non, non ! Pardonne cette pensée ! »

Ouais, d’accord, j’ai peut-être un peu exagéré… Je suppose qu’il faut aussi savoir les louer, hein ?

« Hmm. Tu sais, on va bientôt quitter le Continent Démon, non ? »

« C’est le plan. On va à Millis après. »

Le mot « bientôt » était un peu optimiste. Nous avions encore un très long chemin à parcourir.

« Peut-être qu’il ne sert à rien que j’apprenne la langue de Dieu Démon… »

« Eh bien, tu finiras peut-être par revenir ici un jour, n’est-ce pas ? »

Bien qu’elle y ait été conduite par nécessité dans ce cas, il semblait clair que la jeune fille n’aimait toujours pas beaucoup étudier.

***

Partie 3

Pendant que je donnais des cours à Éris dans la langue du Dieu Démon, Ruijerd lui apprenait aussi à se battre. Au début, j’avais participé à leurs séances d’entraînement, mais honnêtement, je n’arrivais pas à suivre. La méthode d’enseignement de Ruijerd était très simple : il échangeait des coups avec vous pendant un certain temps. En peu de temps, vous vous retrouveriez étendu sur le sol ou avec la pointe de sa lance contre votre cou. À ce moment-là, il disait simplement : « Comprends-tu ? »

Malheureusement, je n’avais rien compris. Rien du tout. Peu importe combien de fois j’avais essayé. Cependant, l’histoire était totalement différente avec Éris. De temps en temps, elle disait : « Oui, j’ai compris ! » avec une expression excitée sur son visage.

J’avais théoriquement compris ce qu’elle retirait de ces leçons. Très probablement, Ruijerd « soulignait » nos erreurs et nos faiblesses. Le combat était fluide et dynamique. Il était difficile de décrire avec des mots le pas parfait ou la feinte parfaite, c’est pourquoi il avait plutôt donné l’exemple. Cela dit, je n’en avais jamais retiré quoi que ce soit, à part quelques bleus. Si j’avais été capable de m’améliorer rien qu’en me faisant frapper, j’aurais fait plus de progrès il y a des années.

Éris, par contre, était probablement un prodige. Quand il s’agissait de se battre, elle était à un tout autre niveau. J’avais trouvé le style de combat de Ruijerd incompréhensible. Mais d’une façon ou d’une autre, ça avait un sens pour elle. Elle ne faisait pas semblant de comprendre, elle apprenait en fait de lui. Je la voyais devenir de plus en plus forte de jour en jour. Je ne pensais pas qu’elle était encore proche de Ghislaine, mais à ce stade, je me doutais qu’elle était peut-être un peu meilleure que Paul.

Pourrait-elle me battre même si j’utilisais la magie à ce stade ? C’était plausible. J’avais besoin de réfléchir sérieusement à la façon dont je pourrais m’améliorer. L’idée de rester assis là à ne rien faire pendant qu’Éris devenait de plus en plus puissante était tout simplement humiliante.

En quête d’un moyen de devenir plus fort, j’avais finalement mis Ruijerd au défi lors d’une lutte acharnée pendant qu’Éris allait faire une course. Je l’avais attaqué avec tout ce que j’avais, en utilisant les tactiques que j’avais développées pour battre des combattants au corps à corps comme Paul, mais…

Pour faire court, j’avais perdu. Et méchamment. Aucun de mes trucs, pièges ou stratégies n’avait été efficace contre lui.

« Pas mal du tout. Tu es déjà un magicien complet et puissant. »

Pour une raison quelconque, il m’avait complimenté après coup. Je me souvenais d’avoir entendu quelque chose de semblable de Ghislaine il y a longtemps.

« Cependant, ton approche stratégique était médiocre. Tu n’as pas besoin d’essayer de me battre au corps à corps. »

Il m’expliqua que j’aurais dû commencer le combat à une bien plus grande distance. C’était naturel de lutter quand on se mettait là où l’ennemi le voulait.

C’était logique, mais… on n’avait pas toujours la chance de commencer une bataille à un demi-kilomètre de distance, non ?

« Que dois-je faire quand quelqu’un se met en travers de ma route ? »

« Difficile à dire pour moi. La magie est en dehors de mon domaine d’expertise… On dit que les races dragons sont compétents pour utiliser la magie dans le combat à courte portée, mais ma seule expérience de première main avait été d’observer brièvement Perugius dans la bataille. Je ne peux pas te dire grand-chose. »

« Perugius ? Ce n’est pas le type avec la forteresse flottante ? Comment s’est-il battu ? »

« C’est lui. Il a convoqué son Wyrmgate avant et son Wyrmgate arrière, et attaqua avec des griffes magiques. »

Oh, des sorts d’invocation… Je n’en connaissais aucun…

« Quel genre d’invocation sont ces Wyrmgate ? »

« Je ne connais pas les détails, mais je crois que celui à l’avant drainait constamment le pouvoir magique de ses ennemis, et que celui à l’arrière lui donnait ce pouvoir. »

En conséquence, Perugius pouvait devenir de plus en plus puissant au fur et à mesure qu’un combat s’éternisait. Apparemment, cela n’avait pas été si efficace contre Laplace, qui avait une source vraiment énorme de pouvoir magique brut… mais un guerrier ordinaire serait aspiré à sec et perdrait conscience en moins de cinq minutes.

« Wow. C’est une façon sournoise de gagner un combat. »

« … Vraiment ? »

Je m’attendais à ce que Ruijerd me soutienne sur ce point, mais il ne semblait pas d’accord. Peut-être pensait-il que Perugius était une sorte de camarade, puisque Perugius l’avait aidé à riposter contre son ennemi le plus détesté.

« En tout cas, ne te presse pas. Tu es encore très jeune. Tu deviendras plus fort en temps voulu. »

Finalement, Ruijerd me tapota la tête et m’offrit quelques consolations. Il semblait me voir comme un « guerrier » à ce moment-là, mais il n’avait pas arrêté de me frapper à la tête. Je pense honnêtement qu’il l’avait fait juste pour son propre confort.

Quoi qu’il en soit. Bien que j’aie apprécié ce sentiment, je ne savais toujours pas très clairement comment j’étais censé devenir plus fort.

Alors que je me débattais avec ces inquiétudes, notre groupe s’était déplacé lentement mais sûrement vers le sud. Lorsque nous arrivions dans une ville, nous prenions des tâches de guilde, nous nous faisions un nom, nous économisions de l’argent, puis nous partions pour notre prochaine destination.

Nous avions répété ces mêmes étapes de base à maintes reprises, sans jamais nous attarder trop longtemps au même endroit.

En un rien de temps, cinq mois s’étaient écoulés… puis six.

Un jour, nous avions rencontré quelqu’un sur la route qui avait immédiatement mis Ruijerd au défi de se battre.

« Je m’appelle Rodriguez ! Je suis le troisième élève de Peacock-Blade Auber, élève du grand Dieu du Nord Kalman ! »

Au début, j’avais supposé que c’était une sorte de chasseur de primes, et que quelqu’un avait mis un prix sur la tête de Ruijerd sans que nous le sachions.

« Ton comportement suggère que tu es un homme d’une certaine renommée ! Je veux te défier en duel ! »

Cependant, cela ne semblait pas être le cas. L’homme expliqua qu’il était un épéiste humain qui était venu sur le Continent Démon pour s’entraîner.

« Que devrions-nous faire, Ruijerd ? »

« Ça fait longtemps que je n’ai pas eu un match de ce genre… »

Selon Ruijerd, le Continent Démon recevait beaucoup de visiteurs comme celui-ci. Les monstres de ce continent étaient forts, tout comme les aventuriers qui les traquaient. C’était donc l’endroit idéal pour les guerriers pour perfectionner leurs compétences.

Se promener sans objectif, si ce n’était de « devenir plus fort », me semblait inutile, mais peu importe.

« Ça ne me dérangerait pas d’accepter, mais qu’en penses-tu ? »

« Je pense que tu as le droit de refuser. Mais qu’est-ce que tu veux faire ? »

« Je suis un guerrier. Quand quelqu’un me demande un combat, je préfère accepter. »

Tu aurais pu dire ça dès le début, mec…

J’avais décidé d’établir au moins quelques règles de base :

  1. C’est un match amical, pas un duel à mort. Aucun meurtre n’est permis.

  2. Notre guerrier ne prononcera son nom qu’après la fin du combat.

  3. Les deux parties conviennent de ne pas avoir de rancune, quel qu’en soit le résultat.

L’épéiste consentit joyeusement, de sorte que le duel commença immédiatement.

Ruijerd gagna à la loyale, après s’être bien défendu contre les attaques les plus furieuses de son adversaire. Il n’avait pas été indulgent avec ce type, il avait simplement adopté une approche calme et à faible risque, en arrêtant tout ce que le sabreur essayait de faire jusqu’à ce qu’il ait coincé l’homme.

« Tu m’as complètement vaincu, monsieur. Je ne m’attendais pas à tomber sur un combattant aussi hors pair ici… Ce monde est vraiment plein de merveilles ! Si je peux me permettre, quel est ton nom ? »

« Ruijerd Superdia. Les gens m’appellent aussi la Dead End. »

« Quoi ? Tu es la Dead End en personne !? Le redoutable guerrier superd !? J’ai entendu parler de toi plusieurs fois sur ce continent ! »

L’épéiste semblait totalement étonné de cela. Il semblait qu’une grande partie de l’humanité en savait étonnamment peu sur le Superd à ce stade. Beaucoup ignoraient qu’ils se battaient avec des lances à trois pointes ou qu’ils avaient un « bijou » rouge sur le front, leurs cheveux vert émeraude étaient la seule caractéristique qui restait connue de tous. En d’autres termes… quatre siècles après la guerre, ils avaient de profonds préjugés à l’égard de tout un groupe de gens qui n’étaient fondés que sur leur couleur de cheveux. Comment pouvait-on penser que c’était une raison suffisante pour opprimer quelqu’un ?

« Cependant… je remarque que tu n’as pas de cheveux, monsieur. »

« Oui. J’ai récemment ressenti le besoin de les couper. »

« Je… Je vois. Eh bien, je ne voudrais pas être indiscret… »

À ce moment-là, l’homme savait qu’il se trouvait face à face avec le Superd le plus « redoutable » et « vicieux » des guerriers superds, et il avait fait l’expérience de la force de l’homme de ses propres mains. Je m’attendais à ce qu’il recule horrifié. Mais tous les deux étaient des guerriers, et cela suffisait apparemment à former un lien de respect mutuel entre eux. Pour ceux qui vivaient dans la poursuite de la force, Ruijerd était quelqu’un à admirer plutôt qu’à craindre.

« Dire que j’ai eu la chance de m’entraîner avec une figure légendaire comme toi… Je vais pouvoir me vanter de ça à tout le monde chez moi ! »

Cet homme, contrairement à la plupart des autres que nous rencontrerions, était clairement heureux d’avoir rencontré Ruijerd. C’était presque comme s’il avait rencontré une superstar d’Hollywood sur le trottoir, et découvert que malgré sa mauvaise réputation, c’était en fait un gars chaleureux et amical.

« Toi, là-bas ! Mon nom est… »

Après ce premier duel, Ruijerd avait commencé à recevoir un flot constant de challengers. Plus on allait vers le sud, plus on en rencontrait.

Un certain nombre de ces guerriers le challengeant connaissaient bien l’histoire et avaient souligné que Ruijerd portait le même nom que le chef du tristement célèbre groupe Superd de l’époque de la guerre de Laplace. Quand il avait expliqué que c’était lui, ils avaient tous réagi avec étonnement. Il passait ensuite toute une journée et toute une nuit à leur raconter ses expériences pendant la guerre.

Le vieil homme Ruijerd avait tendance à bavarder une fois que vous lui posiez des questions sur le passé. Mais ses descriptions simples et directes de ce qui s’était réellement passé étaient apparemment passionnantes pour d’autres guerriers comme lui. En particulier, ils aimèrent la partie où il avait brisé un encerclement de 1 000 soldats, était allé sous terre, et avait finalement obtenu sa revanche sur Laplace. Beaucoup d’hommes machos y versèrent des larmes.

Si nous transformons toute cette histoire en un livre et si nous la faisons publier d’une façon ou d’une autre, nous pourrions peut-être réhabiliter l’image du Superd jusqu’à un certain point.

« Guerre sans justice — Combat mortel sur le Continent Démons », ça sonnait plutôt bien, non ? Ou peut-être « Les vérités méconnues de l’histoire : La véritable histoire des Superds ! »

Hey, je pourrais probablement les imprimer moi-même en utilisant la magie de terre, non ? Et je connaissais à ce moment-là les quatre principales langues continentales. Bien sûr, il était possible que j’enfreigne une loi locale et que je sois jeté en prison quelque part, mais c’était une idée qui valait la peine d’être classée au moins comme un projet.

« Au revoir ! Encore une fois merci ! J’ai beaucoup appris. »

Les guerriers le challengeant faisaient toujours leurs adieux avec joie. Je ne pensais pas qu’un seul d’entre eux soit fâché ou contrarié.

Et tout cela n’avait été possible que parce que Ruijerd avait coupé ses cheveux.

Peut-être qu’on devrait faire en sorte que tous les Superds se rasent eux-mêmes entièrement la tête ?

Pendant ce temps, nous n’avions cessé de nous déplacer vers le sud, sans jamais perdre de vue notre objectif. Le huitième et le neuvième mois de notre voyage passèrent rapidement.

Bien sûr, tout ne s’était pas déroulé en douceur. Des problèmes étaient apparus à plusieurs reprises. Éris pouvait comprendre ce que les gens autour de nous disaient maintenant, en conséquence, il lui arrivait de péter les plombs et de commencer à se battre quand les gens se moquaient de nous ou nous insultaient. L’identité de Ruijerd avait été exposée à de nombreuses reprises, ce qui nous avait chassés de plusieurs villes. J’avais aussi essayé à plusieurs reprises de jeter un coup d’œil sur Éris pendant sa douche, mais Ruijerd me tirait par la peau de mon cou.

Les mêmes problèmes continuèrent de se poser à un rythme relativement stable. Au début, ça m’avait rendu anxieux. J’avais essayé de trouver des moyens de les réparer ou de les empêcher de se produire.

Mais quand y avais-je vraiment pensé ? Éris s’est battue, oui, mais elle n’avait jamais tiré son épée sur personne. Et quand Ruijerd avait été chassé de la ville, cela n’avait jamais été aussi violent et chaotique que sa fuite de Rikarisu. Une fois, un soldat qu’on avait connu avait dit en s’excusant : « Désolé. Certaines personnes ont juste peur quand elles savent qu’il y a un Superd dans le coin ».

De plus, je n’avais jamais réussi à espionner Éris dans le bain.

En d’autres termes, tous ces problèmes étaient plutôt mineurs. Ils ne se transformèrent jamais en une crise majeure.

Alors j’avais commencé à m’inquiéter un peu moins. Éris était une personne violente, Ruijerd était un Superd, et j’étais un pervers. Nous étions tous comme nous étions depuis notre naissance, et il n’y avait plus beaucoup d’espoir de nous changer maintenant. Nous nous débrouillions du mieux que nous pouvions. C’était suffisant pour moi. Une erreur de temps en temps n’était pas la fin du monde.

Il n’y avait pas de raison de s’inquiéter pour ça, pas vraie ?

À un moment donné, j’avais vraiment commencé à me sentir comme ça. Je ne prenais pas nos erreurs à la légère et je ne sous-estimais pas ce qu’elles nous coûtaient. J’avais juste appris à me détendre un peu et à prendre du recul sur les évènements. Cela pouvait sembler simple, et je supposais que c’était le cas. Mais il m’avait fallu des mois et des mois sur la route avec Ruijerd et Éris avant que je m’y habitue enfin.

Environ un an s’était écoulé depuis notre départ de Rikarisu. En un rien de temps, nous étions tous les trois devenus des aventuriers de rang A.

Et enfin, nous avions atteint la ville du Port Venteux, à l’extrémité sud du Continent Démon.

***

Bonus : La Princesse d’Asura et l’Ange des Miracles

Partie 1

La capitale du royaume d’Asura, Ars, était la ville la plus grande et la plus peuplée du monde.

Un palais blanc se trouvait au centre de cette grande ville, souvent considérée comme le plus beau du monde.

C’était le siège du pouvoir, le « Palais d’Argent ».

Malgré son extérieur impeccable, l’intérieur du palais était en proie à de multiples intrigues de palais.

Il n’y avait entre les nobles que des mensonges, de la tromperie et de l’exploitation mutuelle, du petit matin au plus profond de la nuit.

Cela avait atteint le point où personne ne ferait confiance à personne dans le palais.

La catastrophe de la téléportation de la région de Fittoa avait eu un impact important dans cette lutte politique.

C’était l’histoire de l’origine de cette lutte.

◇ ◇ ◇

Outre les résidences pour la famille royale, le Palais d’Argent contenait également de nombreux jardins botaniques.

Une collection de fleurs rouges de toutes les variétés, la roseraie.

Une collection de fleurs noires de toutes les variétés, le jardin des pivoines.

Une collection de fleurs bleues de toutes les variétés, le jardin Hydrangea.

Et aussi, une collection de fleurs blanches de toutes les variétés, communément appelées le « Jardin du Lis Blanc ».

Le Jardin du Lis Blanc était le lieu favori d’un individu particulier.

Cette personne était Ariel Anemoi Asura, la deuxième princesse du royaume d’Asura.

Née de la première épouse, d’une beauté sans égale, elle avait hérité de sa belle allure et de ses cheveux blond doré. De son père, le roi, elle avait hérité de ce que l’on disait être la plus belle voix de l’histoire. En tant qu’enfant, elle était déjà remplie de charisme et avait l’appui des citoyens de la capitale, qui l’avaient acclamée comme la plus belle princesse.

Cette princesse avait l’habitude de passer trois fois par jour à l’heure du thé au Jardin du Lis Blanc.

La princesse était toujours assise à une table blanche dans le Jardin du Lis Blanc, profitant tranquillement de son thé avec son chevalier servant et le magicien qui montait la garde.

Sa silhouette adorable et attrayante touchait la corde sensible des hommes et des femmes.

Comme une fée dans les contes de fées, c’était une existence au-delà de la compréhension et du reproche.

Bien sûr, quand la princesse appréciait le jardin de lis blanc, personne ne l’approchait.

Personne n’avait partagé un verre avec elle.

La princesse était assise là, seule, échangeant seulement des mots brefs avec ses gardes pendant le thé de l’après-midi.

Son chevalier servant était un gentleman tout aussi fringant, un compliment suffisant à la belle princesse.

Avec des cheveux clairsemés, des lignes de mâchoire ciselées, un nez haut, des traits du visage bien définis.

Son nom, Luke Notus Greyrat.

C’était le deuxième fils de Philemon Notos Greyrat, l’un des quatre grands seigneurs du pays. C’était un jeune chevalier capable, fringant, de rang intermédiaire dans le style du Dieu de l’épée.

Tous les nobles jeunes le connaissaient.

Il n’avait pas encore quinze ans, mais il parlait déjà dans les cercles de discussion féminins, capable de divertir et de capturer le cœur d’une fille.

C’était le garçon le plus populaire de sa génération.

A contrario, le magicien gardien était plus âgé.

Un peu plus vieux peut-être, mais honnêtement, il était à peine un adulte, 16 ans, peut-être 17 ans tout au plus.

Bien que pas aussi fringant que Luke, il est bel homme. Un peu mince, mais il était également assez mignon.

Il avait un tempérament unique à son égard, qui complétait bien les deux canons qui lui étaient attachés et rendait le trio encore plus irréprochable. Il s’appelait Derrick Redbat.

C’était le troisième fils de la célèbre maison Redbat, un magicien de haut rang originaire de l’académie magique d’Asura.

Quels étaient les sujets de leur conversation?

C’était un sujet populaire de spéculation par les jeunes du château, mais personne ne l’avait jamais découvert.

Aujourd’hui aussi, ces trois personnes étaient venues au Jardin du Lis Blanc, profitant d’une conversation régulière.

« … Alors, de quelle couleur était-ce? »

La voix d’Ariel résonna dans le paisible jardin.

Sa voix était si belle, qu’elle avait été décrite comme apparentée aux « mélodies des cloches d’argent. »

« D’un rose brillant… avec une teinte d’orange. »

Debout devant la beauté, de l’autre côté de la table, Luke parla d’une voix nette.

Un peu tranchante, sa voix n’avait pas encore mué, mais cela sonnait déjà bien et c’était plaisant, un partenaire idéal à son standing.

« … »

Le magicien gardien Derrick avait écouté en silence.

Son visage était un peu sombre, alors qu’il s’efforçait de suivre la conversation.

« Je préfère plutôt les porcelaines blanches, de préférence avec un pic de cerisier brillant. »

« Mais Lady Ariel, qu’est-ce qui n’allait pas avec cette petite concavité au centre? »

« Quoi, Luke? Tu aimes les avoir inversés? »

En voyant la surprise d’Ariel, Luke répondit calmement.

« Eh bien, je les aime énormément, c’est tout. La façon dont le reste apparaît n’a que peu de conséquences pour moi. »

« Soupir… Luke manque d’expertise. »

Ariel ne put que soupirer et Luke haussa les épaules en réponse.

Alors, de quoi parlaient ces deux personnes?

« Ok, et Sarisha, la nouvelle femme de chambre? »

« Timide et sensible, plutôt sympa. »

De rien en particulier.

Luke ne faisait que rapporter la couleur des seins qu’il avait récemment capturés.

« Vraiment… ? Dans ce cas, je dois trouver un moyen de la faire entrer dans ma chambre. »

« Comme tu veux, dois-je te donner un coup de main? »

« Vraiment? Es-tu donc prêt à jeter la personne avec laquelle tu viens de coucher ? »

« Uniquement parce que les seins de Sarisha sont un peu en dessous de ce que j’attendais. »

Ariel et Luke.

Malgré leur extérieur policé, les deux étaient extrêmement lubriques et vulgaires.

Une multitude de femmes de chambre et de filles nobles dans le palais étaient déjà tombées dans leurs mains perverties.

« On ne peut pas dire que l’intimidation de jolies filles m’excitait tellement. Je parie que Sarisha fait le son le plus séduisant. »

Seuls quelques-uns dans le palais étaient dans le secret, mais Ariel était une bête sadique qui dévorait hommes et femmes.

Tous les nobles du royaume d’Asura avaient comme point commun leurs perversions extrêmes, Ariel n’était pas une exception.

Mais Luke ne partageait pas son extrémisme, il aimait simplement les gros seins.

Avec leur apparence et leur réputation de façade, ils avaient vécu une vie d’hédonisme dans ce palais de l’intrigue.

Fondamentalement, leurs loisirs n’étaient pas particulièrement hors de portée pour les aristocraties d’Asura.

Au contraire, un grand nombre de nobles avaient des perversions encore plus odieuses.

Durant ces 400 ans d’histoire, le royaume Asura avait été une terre qui n’avait connu ni famine ni guerre. Au fil du temps, c’était devenu un lieu où la capacité de manipuler les autres était un symbole de statut.

Ariel et Luke étaient peut-être jeunes, mais ils avaient déjà acquis ce noble goût.

Jusque-là —

« Lady Ariel, Luke, cette sorte de plaisir libertin… Est-ce correct? »

Derrick était un homme de bon sens.

La famille Redbat était de noblesse moyenne pour cette région, donc largement déconnectée de la décadence au sein du palais.

Alors, comment avait-il fini par supporter le lourd fardeau de « Garde Magique de la Seconde Princesse »? C’était uniquement dû à ses notes exemplaires à l’Académie magique. Un noble avec une magie avancée était d’une grande valeur.

« Luke… Tu devrais vraiment passer plus de temps à apprendre des compétences appropriées pour un noble. »

« C’est vrai, Luke. Pourquoi es-tu toujours comme ça? Tu ferais mieux d’apprendre à lire les sautes d’humeur d’une fille, sinon tu ne seras plus aussi populaire. »

Leur réfutation rabaissante ne fit que faire soupirer Derrick.

« Non, Lady Ariel. Un jour, vous serez une figure importante du royaume d’Asura. Puis-je vous rappeler que de telles plaisanteries et perversions vulgaires sont indignes de votre rang. »

C’était au tour d’Ariel de soupirer alors qu’elle entendait le discours de Derrick.

« Hé, Derrick. Tu n’arrêtes pas de dire cela, mais je ne suis toujours qu’une deuxième princesse. »

« En effet, votre position est élevée dans l’ordre de succession et une future candidate au trône. »

« J’ai dans tous les cas deux frères aînés au-dessus de moi et une sœur. Ma sœur aînée a été mariée, mais mes frères luttaient déjà désespérément pour le trône. Tant qu’ils sont présents, être Reine est impossible pour moi. »

« Non, vous êtes l’enfant de la première épouse, et vous seule avez le droit au trône. »

« Du calme, Derrick. »

Ariel ordonna à Derrick de se taire.

« Si ton discours a atteint l’oreille de mes frères et qu’ils envoient des assassins. Alors quoi? Il y a déjà de plus en plus de nobles cherchant des avantages à mes côtés… »

« Tant que Lady Ariel aura la volonté de se battre, je serai plus qu’heureux de sacrifier ma vie contre des assassins, le cas échéant. »

« Derrick, ces mots effrayants ne devraient pas être prononcés. Je sais bien ce que tu as espéré pour moi… Même si ces mots devaient me persuader, qui dit que tu ne m’abandonneras pas au premier signe de trouble? »

« Quoi… ! »

Les yeux de Derrick s’écarquillèrent.

Son corps entier était secoué de rage, son visage était solennel et ses poings étaient serrés.

« Écoute-moi, Derrick. Je n’ai pas besoin d’être Reine. Je suis déjà satisfaite. L’heure du thé dans le jardin et une vie insouciante me suffisent. De toute façon, j’ai peu de chance contre mes frères aînés. Compte tenu des circonstances, il serait insensé de m’impliquer dans la course au trône de mes frères. »

Ariel savait déjà où Derrick voulait en venir.

Même si elle avait rang dans l’ordre de succession, que ce soit en âge ou en alliés ses partisans étaient inférieurs à ceux de ses frères. Les chances de victoire étaient minces. Au contraire, le geste sage était de renoncer au trône maintenant et de profiter simplement de la vie. Même sans le trône, en tant que princesse du premier royaume mondial, elle profiterait du luxe.

« Oubliez ça… »

Incapable de nouer le nœud dans son cœur, mais pouvant offrir peu de répit, Derrick avait quitté la scène avec ces mots.

Ariel et Luke haussèrent les épaules en le regardant partir, avant de revenir rapidement à leur sujet : les couleurs des tétons des dames du palais.

◇ ◇ ◇

Mais Derrick n’avait pas abandonné son devoir de garde magique.

Il se rendait simplement aux toilettes.

Derrick et Luke étaient tous les deux responsables de la sécurité d’Ariel, mais étant humains, ils devaient également faire leur besoin naturel. Donc, lorsque cela était nécessaire, on en informait l’autre et on finissait rapidement. En fin de compte, dans ce monde comme dans l’autre, le moment le plus vulnérable pour les hommes était quand ils étaient moins protégés.

Bien que provocante sur le plan sexuel, Ariel n’avait aucune inclination pour quelqu’un, et elle préférait certainement ne pas dégrader son thé avec de telles ordures.

Ainsi, Derrick en avait profité pour réfléchir en privé.

« Soupir… »

Il s’était rappelé leur conversation précédente.

Ariel semblait totalement indifférent au trône.

Malgré cela, Derrick souhaitait toujours qu’Ariel monte sur le trône.

Ce n’était pas que Derrick était convaincu que les autres frères d’Ariel, le premier et le second prince, n’étaient absolument pas qualifiés pour le trône. Ils pourraient certainement perpétuer l’héritage de leur glorieux prédécesseur.

Mais ça ne suffira pas.

Si l’un des princes devenait roi, le royaume d’Asura continuerait à pourrir de l’intérieur. Les mauvaises querelles politiques entre les aristocraties resteraient un frein aux progrès du pays. Peut-être que cela pourrait créer une opportunité à d’autres nations pour intervenir.

Le royaume d’Asura était un pays qui n’avait jamais connu la famine.

Cette croyance était bien ancrée, indépendamment de la corruption de l’aristocratie, et qu’importe la paysannerie, tant que ses citoyens n’auraient jamais faim. Mais au lieu de cela, le mécontentement s’était construit et ce n’était plus qu’une question de temps avant que l’on ne vienne pour en profiter, en agitant le sceptre d’une rébellion ou même d’une guerre civile.

Le pays était resté bloqué.

Bien sûr, la magie et la technologie avaient toutes deux progressé. Mais au sud, le royaume du Roi Dragon les avait déjà dépassés en technologie et, au nord, le royaume magique de Trifecta les avait déjà dépassés en magie. Tandis que le royaume d’Asura détenait toujours un avantage considérable sur d’autres régions, cet avantage pourrait-il durer cent ans... Non, même pas cinquante ans.

Le royaume du roi dragon dans le sud avait toujours regardé avidement ces terres abondantes du royaume d’Asura.

L’actuel royaume d’Asura, apparemment sécurisé à sa frontière par les chaînes de montagnes, ne craignait pas les invasions. Mais dans cinquante ans? Si le royaume du Roi Dragon le plus avancé technologiquement devait l’envahir, alors que se passerait-il? Et si le royaume magique de Trifecta, plus avancé en magie, allait également attaquer lors d’une invasion conjointe au nord?

« Si c’était Lady Ariel, elle pourrait faire quelque chose… »

Derrick croyait qu’Ariel avait la capacité de sortir le royaume de ce marasme.

Il s’était souvenu de sa première rencontre avec Ariel.

Il y avait plusieurs années, lors d’un banquet organisé par le roi lui-même.

À l’époque, Derrick venait de terminer ses études à l’académie de magie. Bien qu’il n’avait pas obtenu son diplôme avec les notes maximales, il avait quand même obtenu une très bonne note. Il avait déjà été décidé qu’il rejoindrait la guilde de magie du royaume d’Asura dans quelques mois.

Derrick savait, tout en étant capable, qu’il n’était pas un magicien extraordinaire.

À ce moment, une petite fille adorable était apparue devant lui.

À cette époque, Ariel n’avait pas encore atteint sa maturité, mais participait simplement au banquet en tant qu’invité d’honneur.

Bien que jeune, ses félicitations avaient été brillamment faites, dépassant même la moyenne par son intellect.

Par la suite, alors qu’il se préparait pour le travail à la guilde, son père lui avait suggéré : « le poste de garde magique de la seconde princesse est vacant, n’y place pas tes espoirs, mais veux-tu que je te recommande? » Sans aucun doute, il avait accepté l’offre.

Ariel était aussi une femme ambitieuse. Même si, en apparence, elle se contentait de boire du thé durant la journée et de batifoler avec les femmes de nuit, elle développait en fait sa personnalité et ses cercles sociaux, travaillant dur pour s’améliorer.

Si Ariel montait sur le trône et mettait tout son cœur à renforcer la nation, alors le Royaume d’Asura pourrait certainement progresser. En fin de compte, même obtenir la domination complète sur le continent central ne serait pas un simple rêve.

Parce qu’en fin de compte, Ariel exerçait un charisme inégalé.

***

Partie 2

L’Académie de la Magie et la Guilde Magique étaient toutes deux des nids de contre-culture, rassemblés au sein de nombreux nobles qui avaient des objections contre le gouvernement actuel.

Malgré cela, personne ne critiquerait Ariel.

C’était pourquoi, elle sera certainement un monarque aimé par le peuple, tout comme son ancêtre Kaunis Freean Asura qui avait dirigé l’humanité après les guerres de Laplace.

Il y en avait beaucoup qui était prêt à sacrifier leur vie pour Ariel.

Et Derrick était parmi eux.

Pour avoir été dévalorisé à cause de cela, Derrick s’était senti plutôt mal à l’aise.

« Bien sûr, sa vie ne court aucun danger tant qu’elle reste dans ce style de vie… Mais ce n’est pas différent de ces nobles corrompus… »

Peut-être qu’Ariel n’avait pas voulu porter les espoirs de tant de personnes.

Était-il choisi pour être son magicien gardien, précisément parce qu’elle savait qu’il ne pourrait pas lui imposer ce fardeau?

Même si Ariel ne l’avait jamais dit, peut-être qu’en vérité elle le méprisait…

« Soupir… »

Juste au moment où Derrick se déprimait avec ces pensées, une petite voix se glissa dans son oreille.

« D’accord? »

Cela ressemblait à une conversation derrière les toilettes.

« Princesse Ariel — »

« — Tuer — »

De ces voix étouffées, Derrick ne pouvait que distinguer ces mots alarmants. Instantanément, il posa son oreille contre le mur et concentra toute son attention.

« Tu dis que Lord Grabell considère Lady Ariel comme une menace? »

« C’est vrai, on ne peut pas prendre à la légère sa popularité auprès du peuple. Lord Grabell a même regretté que même si la princesse faisait rarement des apparitions en public, sa renommée soit déjà bien supérieure à la sienne. »

« C’est en effet étrange… Il se peut qu’elle agisse ainsi en public, mais que secrètement, elle complote déjà pour le trône. »

« Comme elle ne pouvait pas gagner une confrontation directe, elle a plutôt travaillé en arrière plan… c’est ce que tu crois? »

Derrick fronça les sourcils à ces mots.

Ariel était en effet populaire auprès des gens. C’était en partie dû à son charisme naturel, donné par Dieu, mais la plupart du temps, c’était dû à la fréquence à laquelle elle les honorait de sa présence par rapport au Premier Prince. Par rapport au prince, qui ne faisait attention qu’aux intrigues à l’intérieur du palais et ne se montrait jamais dans les places publiques, elle s’impliquait souvent en dehors du palais.

Comme assister par exemple à l’inauguration d’un nouveau pont sur la rivière Alteil, en étant la première à le traverser. Ou encore, en tant qu’invitée d’honneur au grand tournoi de magie de l’académie magique, en distribuant personnellement des bouquets et des prix aux gagnants, les récompensant même en leur laissant embrasser sa main.

C’était parce qu’elle avait évité les luttes politiques actuelles et qu’elle avait plutôt assisté à ces événements sans rapport qu’elle avait été récompensée par sa renommée et l’approbation des gens.

« Si c’est le cas… »

« En effet, c’est troublant. »

« … Mieux vaut étouffer le problème dans l’œuf. »

« Pour Lord Grabell et pour l’amour du royaume. J’avais déjà préparé le terrain en tenant compte de ces considérations. »

« Haha, tu es certainement “consciencieux”, comme d’habitude. »

Derrick était prêt à tuer ces deux hommes à ce moment-là, mais il avait réfréné cette envie.

Ceux qui étaient dehors étaient probablement des nobles de la première faction du prince. Ils étaient prêts à dépenser de l’argent pour arriver à leurs fins, et ils n’avaient aucune honte de leurs actes sournois. Lorsqu’ils étaient acculés, ils étaient du genre à sortir en jetant les autres sous leurs roues. Des merdeux comme eux, il y en avait à la pelle.

Derrick n’utiliserait que peu de magie pour les éliminer.

Bien plus, une fois que la nouvelle que le gardien magique de la Deuxième Princesse avait assassiné un noble de la Première Faction du Prince se serait répandue, montrant à quel point Ariel lui était hostile, seules les attaques incessantes de Grabell suivraient.

Honnêtement, Derrick pensait que ce ne serait pas grave si cela poussait lentement Ariel vers le trône. Mais si Ariel n’avait pas d’esprit combatif en elle et restait passive, sa situation ne ferait que devenir de plus en plus désespérée, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une souris aux abois.

Alors il avait renoncé à l’envie de tuer et avait quitté les toilettes.

Quoi qu’il en soit, il devait encore résoudre la situation actuelle.

Ces nobles avaient déclaré que des préparatifs étaient déjà en cours. Dans ce cas, dans les prochains jours, Ariel, ou ses gardiens Luke et Derrick seraient la cible. Quelque chose arriverait.

Serait-ce un assassin? Ou du poison?

Il devrait se dépêcher et informer Ariel, ainsi que rester vigilant, tout en l’encourageant à se battre.

Avec ces pensées tournoyantes, Derrick se précipita vers le Jardin du lys blanc. En marchant, il sortit de ses manches une baguette magique, prêt à faire face à toute attaque.

« … À quand remontait mon dernier combat? »

Le programme de l’Académie de magie comprenait des combats réguliers. Il affrontait aussi souvent ses camarades de classe, parfois en batailles de groupe de trois contre cinq.

Au cours de sa première année, il avait également participé à plusieurs expéditions forestières, avec un instructeur ou des aventuriers, pour vivre une véritable expérience de combat avec des bêtes magiques.

Ce n’était pas comme s’il n’avait jamais tué avant. Il avait tué un adversaire dans une bataille simulée par accident. Quand il avait subi des tests en tant que garde magique, il avait reçu l’ordre d’exécuter des prisonniers dans le couloir de la mort pour voir s’il était prêt pour le travail, quand les moments seront cruciaux.

Malgré tout, tous les assassins qu’ils allaient envoyés seraient capables de lutter contre Luke et Derrick, et se seraient certainement des experts.

Un véritable combat à la vie à la mort. Cette pensée envoya des frissons à sa main.

« Est-ce que je peux vraiment protéger Son Altesse? Non… »

Il fut pris d’un bref malaise, mais Derrick stabilisa rapidement sa détermination.

Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’était…

Qu’à ce moment, dans la région de Fittoa, la catastrophique téléportation venait de se produire.

◇ ◇ ◇

« Lady Ariel… Eek! »

Derrick venait de rentrer au Jardin du lys blanc, pour assister à une situation inimaginable.

Dans la profondeur du Jardin du lys blanc, dans la section appelée forêt des Hibiscus, un sanglier gigantesque trottait sur deux jambes.

Un Sanglier terminal.

En soi, c’était une simple bête magique de rang D, mais en grand nombre, ils pouvaient être implacables dans leurs attaques, ce qui augmentait leur difficulté jusqu’à atteindre le rang C, voire le rang B. Généralement, on ne les rencontrait que dans les profondeurs de la forêt. Mais parfois, à cause de la vitesse à laquelle ils se multipliaient, ils s’aventuraient parfois hors de la forêt et attrapaient du bétail ou même de jeunes enfants.

Il y avait longtemps, un petit village avait été attaqué par un groupe de 20 Sangliers terminals et avait été anéanti. Cet incident avait rendu célèbre le Sanglier terminal dans tout le royaume d’Asura.

Comme pour les Superds, quand les enfants du village qui vivaient dans les forêts n’arrivaient pas à dormir, les adultes les avertirent en disant : « Si tu ne dors pas, un sanglier géant te mangera! »

Derrick était bien au courant du côté terrible du Sanglier terminal, familier qu’il était de sa taille et de sa forme.

« Comment est-ce... »

Cependant, comment une bête magique pourrait-elle apparaître ici?

C’était le palais où résidait la famille royale la plus puissante du monde, les Asuras.

En tant que telle, pourquoi, de tous les endroits du monde, une bête magique apparaîtrait-elle ici ?

Oh oui, la conversation qu’il avait entendue. Mon Dieu, c’était une mise en scène par ces nobles ..! Pas impossible. Introduire des bêtes magiques dans le palais serait impossible pour de simples nobles. C’était impossible même pour les ministres seniors!

Ce que Derrick ne savait pas, c’était que la catastrophique téléportation ayant eu lieu dans la région du Sanglier terminal et celui de la région de Fittoa était liée. Il venait d’être téléporté.

« Ah! »

Avec ses pensées encore en émoi, son attention se tourna vers Ariel. Ariel et Luke, au plus profond de leur conversation, ignoraient totalement le Sanglier terminal. Même si la bête magique avait déjà visé Ariel, ses yeux brillaient sur sa proie.

Derrick avait commencé à courir.

Il récitait des incantations en courant.

Simultanément, le Sanglier terminal avait également fait son chemin. Peut-être avait-il remarqué Derrick, ou autre chose. Traversant les végétations, il chargea directement vers Ariel.

{Trop tard!}

Derrick avait arrêté son incantation.

« Lady Ariel ! Courez! »

« Eh? »

En entendant le cri de Derrick, Ariel fit un bruit confus, mais se leva instantanément. C’était seulement après qu’elle avait finalement remarqué le corps gigantesque se précipiter vers elle. Elle se précipita et tomba par terre.

Le Sanglier terminal se heurta contre un arbre dans le jardin, le fendit et se retourna.

Derrick en profita pour se faufiler entre Ariel et la bête.

Il était témoin du corps monstrueux du sanglier devant lui.

Sa bouche salivait, ses yeux aigus le fusillaient du regard.

Qu’est-ce que le magicien avait prévu de faire? Avec une si courte distance entre eux, contre une si puissante bête magique. Avec l’ennemi si proche, il ne pourrait jamais finir son incantation à temps.

Mais Derrick n’avait pas essayé.

Au lieu de cela, il ne fit que lever les bras et crier.

« Luke! Je te confie le reste! »

Dans l’instant suivant, Derrick avait reçu la frappe du Sanglier terminal et s’était envolé.

Chaque os était brisé, ses organes étaient broyés, son sang se répandit dans le vent.

Finalement, il avait atterri sur le mur intérieur à cinq mètres de distance, coupant ses vertèbres.

« Malédiction… »

Devrait-il être considéré comme chanceux qu’il n’avait pas encore perdu connaissance?

Ou peut-être malchanceux?

{Ah… Alors c’est ma fin?}

Derrick en était venu à réaliser sa mort imminente.

Et aussi, qu’est-ce que cela faisait de mourir.

Il avait compris que ses blessures étaient fatales.

{Il me semble me rappeler avoir vu d’autres mourants ayant eu blessures similaires…}

La peur, Derrick ne l’avait pas sentie. Peut-être qu’à cause du choc, son esprit ne pouvait pas l’intégrer.

Du coin de l’œil, il distingua Luke, dégainant son épée et chargeant le sanglier.

{Luke, imbécile… Ce n’est pas un combat que tu pourras gagner… Oh, je vois. La porte est de l’autre côté, alors ils ne peuvent pas faire de pause…}

Derrick parcourut la zone des yeux.

{Lady Ariel… Lady Ariel, va-t-elle bien?}

D’un regard attentif, il la remarqua, bien qu’étourdi, Ariel ne montra aucune peur, mais se précipita à ses côtés.

« Derrick… ! Oh, mon Dieu… Que l’on amène un guérisseur, dépêche-toi! »

En entendant Ariel crier si anxieusement, Derrick avait forcé ces mots avec toute sa force restante,

« Ugh… Plutôt… s’il vous plaît… Altesse… courez… tousse… »

« Derrick! Arrête de parler! Quelqu’un, n’importe qui! »

« Toux… Non… Lady Ariel… je suis impuissant… »

« S’il te plaît, ne reste pas là! »

En voyant Ariel au bord des larmes, Derrick ressentit un bonheur inattendu.

Parce qu’il avait toujours supposé qu’Ariel et Luke le méprisaient.

Si déraisonnablement, malgré la situation, il sentit un étrange bonheur tourbillonner dans sa poitrine.

« Vous voyez… je vous avais dit… je ne penserais pas… fuir… »

Ces mots choquèrent Ariel.

Elle regardant son Magicien Gardien dévoué et loyal avec une tout autre expression, lui qui ne sera plus jamais debout.

« Derrick… »

« Lady Ariel… C’est ma dernière requête… S’il vous plaît… devenez reine… Rendez Asura prospère à nouveau… Pouah! »

Une côte cassée avait percé son poumon. Derrick cracha une gorgée de sang frais.

Ariel le regarda en silence…

Et silencieusement, elle hocha la tête, puis se retourna.

Devant Ariel se tenait un sanglier monstrueux.

Luke avait déjà projeté quelque part, ne pouvait que regarder, désespéré.

« … »

Ariel lança un regard sévère à la créature.

« Je ne sais pas d’où tu viens, mais un jour je vais m’asseoir sur le trône du royaume d’Asura! Ce n’est pas un endroit pour mourir! Dégage! »

Peu importe à quel point elle lui demandait, une bête sauvage ne pourra jamais tenir compte des mots humains.

Ce qu’il avait vu à la place semblait être le repas le plus délicieux du monde. La bête grogna d’excitation. Puis un pas, et un autre, il s’approcha lentement d’Ariel.

En voyant cette scène, Derrick ne pouvait que prier.

En tant que disciple de Milis, il avait prié vers le ciel.

{S’il vous plaît, mon Dieu, je vous prie de nous aider dans notre situation actuelle. Prenez ma vie comme un échange. S’il vous plaît, aidez Ariel, dont l’existence ne peut pas être retirée de ce monde.}

Sa prière n’avait pas réussi à atteindre le ciel.

Derrick avait également compris. Le Saint Milis était un individu incroyable et le sauveur du monde… Pourtant, même Derrick comprenait combien sa petite prière était insignifiante dans cette situation désespérée.

Pourtant, il avait prié.

Ariel était à portée de frappe du Sanglier terminal.

La bête magique avait frappé avec sa tête.

En ce moment, ses prières avaient été exaucées!

« --- Ahhhhhhh! »

Avec cette voix, une ange était tombé du ciel.

Une jeune ange vêtue d’une robe et à la chevelure blanche.

« … AaaaaaAAAAAAH! »

Désespérément et à moitié folle, pitoyablement, elle cria en tendant les deux mains vers le Sanglier terminal. Le haut du corps de la bête avait explosé.

{Ah, merci mon dieu.}

Témoin de la scène devant lui, Derrick avait versé une dernière larme.

{Veuillez continuer à protéger Lady Ariel.}

Avec une paix sereine, sa vie avait pris fin.

◇ ◇ ◇

La catastrophique téléportation avait entraîné la mort d’un magicien. Cet événement avait également aidé Ariel Anemoi Asura à se résoudre.

Quel chemin prendrait Ariel à partir de ce jour? Et qu’en était-il de Luke?

Qu’en était-il de l’ange qui était tombé du ciel —

Ces histoires, parlons-en une autre fois.

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Illustrations

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Bonus anime : Une histoire venant des souvenirs de Roxy

Rowin et Rokari venaient d’arriver à la maison. Ils enlevèrent leurs chaussures et s’assirent sur le sol. Ils repensèrent à Rudeus Greyrat, ce jeune garçon qu’ils venaient de rencontrer et qui était passé au village pendant son voyage.

« Elle est vivante… »

« Oui… elle l’est… »

La veille, de bonnes nouvelles étaient arrivées. Leur fille, Roxy Migurdia, était vivante.

« Quand l’avons-nous vue pour la dernière fois ? »

« Je crois que c’était il y a environ 30 ans… »

Cela faisait déjà 30 ans que Roxy avait quitté ce village.

À ce moment-là, Rowin et Rokari se remémoraient de nombreux souvenirs traumatisants. Quand elle était née, ils avaient remarqué que Roxy était incapable d’utiliser la télépathie naturellement. Parmi la famille Migurdia, elle était la seule à ne pas pouvoir utiliser cette capacité pour communiquer avec les autres.

En tant que parents, ils n’avaient pas ménagé leurs efforts. Ils avaient l’intention d’apprendre la langue et, avec des mots, de lui enseigner ce qu’il fallait faire pour vivre dans ce village. Mais Roxy ne pouvait toujours pas être sauvée, et même eux le savaient. À l’intérieur du village, la fille était traitée comme une étrangère. Elle disait toujours des choses comme « Pourquoi personne ne me parle ? Est-ce que c’est parce que je suis une mauvaise enfant ? » et puis elle se mettait à pleurer. Rowin et Rokari pleuraient aussi en l’écoutant.

« Dis, ma chère, tu te souviens de ça ? »

Rokari tendit le bras pour attraper quelque chose sur l’étagère et la posa sur ses genoux. Cette chose semblait sur le point de se briser.

C’était une petite paire de chaussures. La toute première que Roxy avait portée.

« Ah, cette enfant a toujours voulu sortir. »

Quand on y pense, c’était une enfant pleine d’énergie. Elle n’était probablement pas joyeuse, mais elle avait au moins beaucoup d’énergie. Elle n’était pas du genre à se contenter de ce qu’elle voulait faire. Sur les chaussures, on pouvait remarquer des marques prouvant qu’elles avaient été réparées un certain nombre de fois par Rokari.

D’après ce qu’ils avaient entendu de Rudeus, Roxy était toujours la même. Pendant son jour de congé, elle quittait toujours la maison pour rencontrer les villageois de ce village humain où elle vivait et échangeait avec eux. Rudeus nous avait raconté avec fierté que même si elle était un démon dont l’apparence pouvant être confondue avec un Superd, elle s’était liée d’amitié avec les habitants de ce village un peu obtus, allant même jusqu’à les saluer avec un sourire.

Si Roxy était avec lui, dans un endroit où ses paroles pouvaient être comprises, elle se serait sentie à coup sûr libre. Dans le village de Migurd, les gens ne pouvaient utiliser que la télépathie, ce qui signifiait que les personnes qui connaissent réellement la langue orale étaient très rares. Par conséquent, les conversations avec Roxy étaient souvent à sens unique. Peu importe avec qui je parle, j’obtiendrai une réponse. Roxy avait probablement ressenti ce sentiment d’être une personne rejetée. Un magicien humain qui était devenu le tuteur de Roxy lui avait dit un jour qu’il y avait des gens en dehors du village qui la comprendrait quand elle parlera. Roxy avait sûrement dû le croire.

« … »

Rowin regarda dans la maison d’une pièce. C’était le logement Migurd de tous les jours. Ce n’était pas si grand, 2 ou 3 personnes vivant dedans suffisaient pour se sentir à l’étroit. Et dans chaque coin qu’il regardait, il pouvait se rappeler un souvenir de Roxy.

Ses chaussures, ses vêtements, l’assiette dans laquelle elle avait l’habitude de manger. Tout était encore là, ils ne pouvaient pas les jeter. S’ils devaient le faire, ce serait comme si Roxy n’avait jamais vécu là.

« Apparemment, elle est devenue une professeur de magie officiante sur le territoire des Humains, je n’arrive pas à y croire. »

« Est-elle vraiment devenue une adulte capable d’enseigner des choses aux Humains ? »

« Haha, je n’arrive pas non plus à le réaliser. »

« Toi aussi ? »

Tous deux ne connaissaient de Roxy que l’enfant qu’elle était. Une enfant vive et énergique qui semblait ne pas pouvoir avoir un vrai sourire sur son visage. C’était l’image de Roxy qu’ils avaient dans leur esprit. Ils ne pouvaient toujours pas l’imaginer qu’un enfant humain leur dise « Roxy-sensei est incroyable » avec ses yeux brillants.

Mais la réalité était qu’il y avait une personne qui leur avait dit qu’elle avait vraiment grandi de cette façon. C’était une magicienne humaine qui avait inspiré Roxy à partir.

Ce fut elle qui lui montra le monde en dehors du village et qui prit soin d’elle. Honnêtement, au début, j’avais pensé qu’elle était une aventurière venue dans cette région pour une mission et qui s’était perdue, mais il semblerait que ce soit le village lui-même qui ait exigé cette mission. De plus, elle avait prétendu qu’elle voulait voir la tribu Migurd de ses propres yeux, plutôt que de faire une simple course. Cette fille était venue dans un village si éloigné pour voir la vie et la culture d’un peuple qu’elle n’avait jamais vu auparavant.

Elle était un peu bizarre et aimait voir la réalité coûte que coûte.

Elle était facilement impressionnée et débordait de joie à la vue de n’importe quelle maison ou champ qu’elle voyait dans le village.

Même pour Rowin et les autres villageois qui n’avaient jamais vu une personne de la race humaine auparavant, leur première impression fut que c’était une fille bizarre avec trop d’énergie. Mais ce n’était pas une mauvaise personne. Elle s’était décidée à rester chez nous… mais elle s’était bien occupée de Roxy et nous avait beaucoup appris. En tant que parents, Rowin et Rokari avaient beaucoup appris et avaient essayé d’enseigner à Roxy de la meilleure façon possible, mais en fin de compte, ils étaient toujours des Migurd, une race qui ne parlait généralement pas. En fait, c’était comme enseigner une langue étrangère que vous n’aviez jamais parlé auparavant à votre propre enfant tout en l’apprenant vous-même en même temps. Ce n’était pas la meilleure façon de procéder.

La magicienne voyageuse parlait couramment toutes les langues. Elle maîtrisait le langage des dieux magiques bien sûr, mais aussi celui des humains, des dieux-bêtes et même des dieux combattants. Si l’on considérait qu’elle avait été capable de venir dans l’arrière-pays du Continent Démon toute seule, elle était sûrement une aventurière de premier ordre. Cette personne avait enseigné à Roxy la magie et les langues pendant que Roxy lui enseignait les us du village.

Même les choses que Rowin et Rokari ne pouvaient pas lui apprendre, tout… Grâce à cela, Roxy avait progressivement eu envie de sortir du village. Sans savoir ce qu’il y avait à l’extérieur, sans un endroit où vivre à l’extérieur, même pour une Roxy folle, je ne lui aurais pas permis de faire le grand saut. Ce serait mentir que de dire que ce n’était pas du ressentiment.

Sans cette aventurière, Roxy serait restée à nos côtés, même si ce n’était pas pratique.

Mais quand j’avais entendu que, pour Roxy, c’était le vrai bonheur, je n’avais plus de mots.

« … »

Un panier était venu à ma vue.

Il faisait environ 30 centimètres de diamètre et était utilisé pour la récolte dans les champs, mais comme il était un peu trop petit pour un adulte, Roxy s’en servait. Elle avait commencé à venir aider au village lorsqu’elle avait atteint un certain âge. Elle nettoyait et aidait à la récolte dans les champs. N’importe quel enfant du village l’aurait fait, mais elle avait du mal à faire ces corvées. Après tout, ceux qui enseignaient ces travaux n’avaient pas tous maîtrisé la langue. Seuls quelques-uns d’entre eux pouvaient parler aussi couramment que le chef du village. La moitié des villageois ne connaissaient aucune langue, et la plupart de ceux qui pouvaient la maîtriser n’en parlaient qu’une. C’était pourquoi elle avait mis si tant de temps à apprendre le métier, et même après, elle avait eu des problèmes à plusieurs reprises.

À chaque fois, nous nous étions excusés auprès des autres villageois, nous avions expliqué la situation et nous avions patiemment expliqué à Roxy pourquoi il y avait un problème et ce qu’elle avait fait de mal. Grâce à ses efforts, elle avait pu, d’une manière ou d’une autre, remplir sa mission et fut finalement acceptée par le village. Mais l’incertitude de ce qui allait lui arriver à l’avenir était toujours présente.

Et comme nous pouvions utiliser la langue, nous avions un rôle à jouer.

Les villages Migurd n’étaient pas non plus complètement autosuffisants. Parfois, ils achetaient des armes et des pièges à la ville pour la chasse. À ce moment-là, ils avaient besoin de quelqu’un qui sache utiliser la langue. Cela ne voulait pas dire qu’elle n’aura pas un rôle à jouer dans le village à l’avenir.

Cependant, avoir un travail et pouvoir vivre sont deux choses différentes.

Que lui arrivera-t-il après notre mort ? Pourra-t-elle s’entendre avec les villageois ? Si quelque chose se passe mal, y aura-t-il quelqu’un qui écoutera ses excuses ? Sera-t-elle mise à la porte ? Ces jours-là seront remplis d’anxiété et d’incertitude.

Lorsque Roxy commença à apprendre la magie et le monde extérieur au village auprès d’une magicienne itinérante, j’avais pu prédire qu’elle finirait par quitter le village.

Même si j’avais été choqué par le fait qu’elle disparut sans dire un mot.

J’étais aussi inquiet. J’avais même cherché à la retrouver, me demandant si elle n’avait pas eu un accident et n’était pas coincée dans un coin du village. Mais finalement, j’avais dû me convaincre qu’elle était partie.

Pourquoi, m’étais-je dit. Pourquoi ne m’avait-elle pas dit un mot, avais-je pensé pendant des jours. Mais petit à petit, j’avais commencé à penser que c’était peut-être la bonne chose à faire. Si Roxy avait dit qu’elle voulait quitter le village, il ne faisait aucun de doute que je l’en aurais empêché. Je l’aurais arrêté, même si c’était par la force. Mais je n’étais pas sûr que rester dans le village était une bonne chose pour elle. D’un autre côté, sa décision de partir n’était pas si mauvaise.

Ce n’était pas une histoire courante dans les villages Migurd, mais parmi les autres races, le fait que les enfants quittent leur village après avoir atteint une certaine taille était assez fréquent. Les raisons variaient d’un village à l’autre, comme le désir de devenir un héros ou de réduire les dépenses.

Quoi qu’il en soit, Roxy était encore qu’une enfant Migurd, mais elle pouvait parler, faire des calculs et même faire quelques travaux ménagers. Elle pouvait aussi manier la magie, bien qu’elle en soit encore au niveau débutant. En d’autres termes, le moins qu’elle puisse faire était de commencer son voyage.

C’était différent des autres villages qui avaient entrepris de réduire leur population. Nous avions donc commencé à nous dire que c’était la bonne chose à faire.

Je m’étais dit qu’elle avait dû trouver un emploi dans la ville de Likaris, ou qu’elle avait réussi à se rendre dans une autre ville en tant qu’aventurière. Je n’étais jamais sorti du village pour la chercher ou recueillir des informations. Parce que si j’avais su qu’elle était morte si vite, je n’aurais pas pu m’en remettre. Mais ce n’était pas comme si je ne voulais pas connaître sa situation. Où était-elle maintenant, que faisait-elle, pas un jour ne s’était écoulé sans que je veuille savoir ce qu’elle faisait. J’avais juste trop peur d’essayer de le découvrir. Je n’avais pas eu de nouvelles d’elle depuis longtemps. Je pensais que ça durerait jusqu’à ma mort. Il était peu probable qu’un enfant qui quitte le village survive jusqu’à l’âge adulte. C’était la même chose pour toutes les races. La plupart des enfants seront tués avant d’atteindre la ville, et même s’ils y parvenaient, ils mourront avant d’avoir pu établir leur vie. Et même s’ils parvenaient à stabiliser leur vie, ils étaient toujours en danger. Combien d’entre nous pouvaient survivre pendant dix ans ?

Avec ça en tête, j’étais sûr que Roxy était déjà, vous savez… C’était ce que je pensais.

Je ne l’avais jamais dit à voix haute, et j’espérais ne pas en arriver là, mais c’était toujours dans un coin de mon esprit, comme la possibilité la plus probable. L’information apportée par Rudeus était donc une bonne nouvelle. Plus qu’il le pensait.

« Je ne remercierai jamais assez la magicienne itinérante, Rudeus et ses compagnons. »

La magicienne itinérante avait dit que sa maison était à l’autre bout du monde. Elle avait dit qu’il lui avait fallu beaucoup de temps pour arriver au village de la tribu Migurd. Et comme Rudeus et ses compagnons avaient dit la même chose, la terre de la race humaine devait donc être incroyablement éloignée. Et Roxy avait voyagé jusqu’à un tel endroit. Elle avait dû voir beaucoup de choses.

Elle avait dû voir les régions dont la magicienne itinérante lui avait parlé, et plus encore, elle avait dû être émue et parfois déçue, et au milieu de tout cela, elle avait dû affiner ses compétences magiques, acquérir diverses connaissances, et les enseigner à ceux qui étaient plus jeunes qu’elle. Tout comme cette magicienne itinérante. Peut-être aurait-elle pu à nouveau la rencontrer.

Je me demandais si elle avait pu la remercier correctement. C’était la seule chose qui m’inquiétait, mais comme elle était le genre de fille qui pouvait le faire, j’étais sûr qu’elle l’avait fait.

Je me demandais ce qu’elle avait fait après ça. Était-elle devenue la mentore de Rudeus, ou était-elle partie dans un autre pays pour vivre une autre aventure ?

J’étais certain qu’à ce moment-là, elle serait devenue une adulte capable de prendre ses propres décisions sur tout et de résoudre ses propres problèmes par elle-même. En pensant à cela, Rowin était rempli d’un sentiment de fierté. Il était un peu déçu de ne pas pouvoir dire qu’elle était comme lui ou comme sa femme, mais il avait quand même le sentiment que sa fille faisait de son mieux dans un endroit lointain.

« Je veux la voir au moins une fois de plus avant de mourir. »

« Oui. J’aimerais entendre parler de ses voyages, de ce qu’elle a fait. »

Ils avaient tous les deux dit cela, et avaient joint leurs mains. Dans leurs esprits, la jeune Roxy était toujours là.

Et je vois déjà la scène. Celle de la petite Roxy qui leur racontait l’histoire de son voyage, et ils étaient parfois sur les nerfs, parfois profondément en colère, et parfois en larmes en écoutant…

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