Mushoku Tensei (LN) – Tome 12

Table des matières

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Chapitre 1 : Arrivée

Partie 1

La ville labyrinthique de Rapan était unique en son genre.

Rapan se trouvait au milieu d’un vaste désert, piégée dans une étrange et énorme cage blanche. Une personne curieuse qui s’approcherait découvrirait que cette cage est en fait construite en os, ceux d’un mastodonte mort depuis longtemps. Les côtes à elles seules étaient assez grandes pour contenir la ville entière.

À un moment donné, la ville n’était rien de plus qu’une petite oasis. Les restes du béhémoth l’avaient transformée, et elle était maintenant entourée d’un nombre impressionnant de labyrinthes, ce qui en faisait une destination attrayante pour d’innombrables aventuriers. Grâce à ces aventuriers venus du monde entier pour s’enrichir rapidement, la ville était devenue une scène où se jouaient aussi bien des fins heureuses que des tragédies.

Cette ville, enveloppée dans un tourbillon de chaos, était actuellement l’une des plus grandes et des plus importantes du Continent Begaritt.

Extrait de « Voyages à travers le Monde ».

par l’aventurier et auteur Bloody Kant

*****

J’avais un vague souvenir des informations contenues dans Voyages à travers le Monde. Rapan était une grande ville de couleur terre, nichée au milieu de ses douze piliers blancs caractéristiques, avec des bâtiments faits de boue et de matériaux obtenus à partir de bêtes régionales. J’avais vu beaucoup de villes ayant la même esthétique sur le Continent Démon.

Cela dit, cet endroit était étonnamment verdoyant, peut-être grâce à l’oasis située près des piliers d’os. Même de loin, je pouvais voir une ligne de ce qui ressemblait à des palmiers. L’atmosphère était également unique. Il y avait quelque chose comme une odeur grossière dans l’air, un peu comme dans les marchés d’esclaves bondés.

« Surpris ? Ces piliers sont en fait les côtes d’un béhémoth. »

Nous étions toujours en train de marcher pendant que j’examinais la zone. Galban m’avait parlé à ce moment-là avec arrogance. Grâce à la formation actuelle de notre groupe, je lui avais beaucoup parlé ces derniers temps. L’homme aimait se vanter. Ses histoires étaient toujours incroyables et flatteuses, d’une véracité douteuse, mais facile à apprécier si vous suspendiez votre incrédulité.

« Lorsque le grand héros Kalman, Dieu du Nord de deuxième génération, visita cette terre, lui et ses compagnons ont vaincu un béhémoth qui sévissait dans le désert. Ils se sont régalés d’une partie de sa viande et ont laissé le reste pourrir, laissant ce que tu vois maintenant — des os qui refusent de se décomposer, témoignant du passage du temps. »

« Wow. »

Cette terre avait donc un lien avec le Dieu du Nord Kalman, hein ? Je connaissais quelques contes à son sujet, mais je n’avais jamais entendu dire qu’il avait tué un béhémoth. J’avais moi-même vu un béhémoth au cours de notre voyage, mais il était bien trop gros pour que je puisse envisager de l’affronter. Il fallait être fou pour même essayer. Je me demandais comment il avait fait. Le Dieu du Nord avait apparemment vaincu un Roi-Démon immortel et un énorme dragon, alors peut-être que vaincre des monstres avec des quantités colossales de points de vie était juste un passe-temps.

« Les fourmis faisaient partie des nombreux monstres qui se sont régalés de la chair du mastodonte déchu, et elles sont à l’origine des nombreux labyrinthes de la ville. Lorsque des monstres dévorent d’autres monstres plus forts qu’eux, ils donnent naissance à leur tour à une progéniture puissante. Ces fourmis mutantes ont creusé d’innombrables nids, et ces nids se sont tous transformés en labyrinthes. »

« Oh, je vois. »

Quand le béhémoth fut mort, les insectes avaient afflué vers lui. Puis ils avaient commencé à se reproduire et à créer des nids. Au fil des ans, ces insectes commencèrent à mourir, les nids commencèrent à muter, et ainsi naquirent les labyrinthes.

C’est donc comme ça que ça s’est passé, avais-je pensé.

Mais l’histoire de manger des monstres puissants et de donner naissance à une progéniture puissante… Ce n’était qu’un conte populaire, pas plus crédible que les histoires selon lesquelles manger la chair d’une sirène vous donnerait l’immortalité. Si c’était vrai, alors les habitants du Continent Démon, qui consommaient quotidiennement de la viande de monstre, auraient dû être beaucoup plus forts qu’ils ne l’étaient. Les monstres étaient peut-être une exception à la règle, mais je n’y croyais pas.

Attendez. En fait, cela pourrait-il expliquer le taux plus élevé de personnes fortes, telles que Badigadi et Kishirika, nés là-bas ? Les monstres eux-mêmes n’étaient que des versions mutantes d’animaux normaux. Cela aurait un certain sens si les gens pouvaient aussi donner naissance à de tels mutants…

Oh, merde. J’avais moi-même mangé un peu de viande de monstre. Qu’est-ce que je ferais si mon enfant avec Sylphie naissait et déclarait soudainement, « Je suis l’empereur du monde des démons ! » ? Je pourrais me trouver une parenté soudaine avec les oiseaux qui avaient fait éclore leurs œufs pour trouver la progéniture d’un coucou cachée parmi eux.

« Des aventuriers et des marchands du monde entier se rassemblent ici, » continua Galban qui se parlait à lui-même.

Les objets magiques étaient sortis en masse. Les outils et armures magiques s’envolaient des étagères. Peu importe le nombre de cristaux magiques — également connus sous le nom de pierres magiques — ou de cristaux imprégnés de magie que vous aviez, il n’y en avait jamais assez. Tant que votre stock était d’une certaine qualité, vous pouviez être sûr que tout se vendrait à des prix élevés. C’était un pays où les rêves des marchands devenaient réalité.

Il était vrai que pour y arriver, il fallait déjà savoir traverser le désert. Seuls quelques privilégiés pouvaient en faire une habitude. Les autres trouveraient sûrement un commerce plus rentable et plus sûr en allant sur le Continent Central.

Mais là encore, un poisson dans une petite mare ne connaît rien de l’océan. Galban semblait assez ivre de son propre narcissisme, je n’allais donc pas gâcher son plaisir. L’économie ne fonctionnait que grâce à des marchands comme lui.

Nous avions fait nos adieux à Galban après notre arrivée à Rapan. Son groupe allait apparemment monter sa tente dans les faubourgs de la ville. Notre temps ensemble avait été court, mais j’avais beaucoup appris d’eux, et ils avaient pris soin de nous.

« Merci pour tout. »

« De même. Si vous avez encore besoin de quelque chose, dites-le. »

C’était une séparation rapide. J’avais fait des adieux minimaux, saluant juste Balibadom et Carmelita. Les choses avaient été un peu tendues à la fin, mais j’espérais qu’il n’y avait pas de mauvaise volonté entre nous.

Maintenant, nous devions chercher Geese, ou Paul. J’espérais qu’ils étaient ici, vu que nous avions fait tout ce chemin. Il restait encore un peu de temps avant le coucher du soleil, et d’ordinaire, nous aurions d’abord cherché une auberge, mais peut-être devrions-nous plutôt donner la priorité à la recherche de ces deux-là.

« Comment allons-nous procéder ? », avais-je demandé.

« Excellente question. Cette ville est suffisamment grande pour qu’il y ait une guilde d’aventuriers, alors allons-y en premier. », répondit Elinalise.

« Compris. »

J’aurais préféré déposer nos bagages en premier, mais bon, cela me convenait. De toute façon, je voulais si possible rester dans la même auberge que Geese et Paul.

Lorsque nous nous étions renseignés sur l’emplacement de la guilde, on nous avait indiqué le centre de la ville, l’endroit habituel pour ce genre de choses. Les gens qui naviguaient dans les rues étaient principalement des marchands. La plupart portaient les mêmes vêtements que Galban : un turban, un tissu simple et fluide qui enveloppait tout leur corps, et une barbe fournie. Ils marchaient dans les rues, tirant des chameaux avec eux, étalant leurs marchandises pour les vendre au bord de la route. Nombre d’entre eux étaient si bien vêtus que leur peau était à peine visible.

Parmi ceux qui érigeaient des avant-toits de tissu, il y avait un individu en particulier qui portait un costume tout droit sorti d’Aladin. Sa boutique était un magasin général. Il vendait des lampes en métal et des pots avec de curieux motifs dessinés dessus. Tout cela avait une saveur très arabe. Je parie que si vous jouiez de la flûte, un serpent rouge sortirait sa tête d’un vase pour jeter un coup d’œil.

Alors que nous approchions de la guilde des aventuriers, j’avais vu un certain nombre de personnes vêtues de vêtements d’aventuriers familiers. Il devait y avoir beaucoup de personnes originaires du Continent Central dans cette région. Ils avaient tous des visages usés par le combat, probablement des aventuriers de rang S spécialisés dans la plongée dans les labyrinthes. La plupart portaient des vêtements plutôt légers. Il était dangereux de sortir sous la lumière aveuglante du soleil sans un vêtement suffisant pour protéger sa peau, mais cela ne posait pas de problème tant qu’ils ne s’aventuraient pas trop longtemps dehors.

Le bâtiment de la Guilde des Aventuriers avait été taillé dans un énorme rocher, très probablement par magie. Je m’en étais immédiatement rendu compte, car il ressemblait à un bâtiment que j’aurais pu moi-même fabriquer, bien que la complexité de sa construction dépassait de loin mes capacités. Un relief exquis était sculpté dans l’entrée, et l’intérieur, une fois qu’on y était entré, était suffisamment bien ventilé pour être rafraîchissant.

L’ambiance au sein de la guilde était à peu près la même que dans le reste de la ville, mais étant donné le genre de ville qu’elle était, il n’y avait pas de nouveaux aventuriers visibles. Tout le monde avait l’air puissant. Ceux qui avaient particulièrement attiré mon attention avaient des cicatrices sur le visage et le corps. Ils semblaient tous avoir un passé mouvementé. Ce qui n’était cependant pas mon cas. J’avais mené une vie protégée, pas de cicatrices, pas de rayures, pas de taches.

« Bon, commençons à nous renseigner sur Paul et Geese », dit Elinalise.

« C’est bien. Je suis sûr que nous trouverons quelque chose si nous demandons. », dis-je en acceptant

« Geese doit déjà avoir un réseau d’information ici, alors je suis sûre qu’il en entendra parler si nous allons fouiner en utilisant son nom… Oh, on dirait que ce ne sera pas nécessaire. »

J’avais suivi le regard d’Elinalise pour découvrir un homme à tête de singe dans un coin de la guilde. Il était en pleine conversation avec un homme bête armé d’une épée.

« Allez, je te le demande. Tu lui en dois aussi une, je le sais. », plaida Geese

« Tu demandes l’impossible. »

« Ne peux-tu pas reconsidérer ça au moins une fois ? C’est une course contre la montre. »

« Ça fait déjà un mois, non ? Elle est morte. »

« Non. C’est impossible. Même si elle l’est, on doit au moins y aller et vérifier, trouver ses restes. Allez, je t’en supplie. J’ai moi-même vu tes compétences, c’est pourquoi je suis ici. Je te paierai même le double, si c’est ce que tu désires », dit Geese en secouant la tête.

Il avait un regard désespéré sur son visage. Je ne savais pas que la petite fouine pouvait faire ce genre de visage.

« Désolé, mais essaye avec quelqu’un d’autre. Je n’ai pas envie de mourir. »

Geese essaya pendant un moment de persuader l’homme, mais finalement, l’homme bête secoua la tête. Geese fit alors claquer sa langue assez fortement pour qu’on puisse l’entendre de là où nous étions.

« Tch, espèce de lâche ! Je ne peux pas croire que tu te donnes la peine de t’appeler un aventurier avec cette attitude ! »

« Oui, oui, dit ce que tu veux. »

L’homme franchit alors la porte sans même un regard en arrière.

C’était rare de voir Geese maudire quelqu’un. Non, honnêtement, je ne savais pas grand-chose sur lui. Le Geese que j’avais rencontré dans le passé était cependant plus léger.

« On dirait qu’il est vraiment acculé dans un coin. », dis-je

« Oh là là, c’est pourtant comme ça qu’il est d’habitude », dit Elinalise.

« Vraiment ? J’avais une autre impression de lui. »

« Il a dû essayer d’avoir l’air plus mature devant toi. Hé, Geese ! »

***

Partie 2

Geese tourna la tête pour chercher qui lui parlait. Il écarquilla les yeux quand il nous vit. Ce dernier marcha dans notre direction.

« Oh, hé ! Mais c’est Elinalise ! »

« Désolée de t’avoir fait attendre », dit-elle.

Geese émit un rire vide.

« Pas du tout, tu es en fait ici bien plus vite que je ne le pensais. »

Il se mit alors à sourire tout en lui tapant sur l’épaule.

« En fait, comment as-tu fait pour arriver aussi vite, hm ? Cela fait seulement six mois que j’ai envoyé cette lettre. Ahh, tu n’as pas dû la lire, hein ? J’ai dû te manquer pendant que tu voyageais. »

« Nous parlerons de ça plus tard. Qu’est-ce qui se passe avec Zénith ? », demanda Elinalise.

Son visage s’était assombri.

« Cela ne se passe pas très bien. Je t’ai envoyé cette lettre parce que je pensais que ce serait une affaire interminable. Mais, pour être honnête… On pourra aussi en parler plus tard. »

Apparemment, les choses ne se passaient pas bien, mais nous l’avions prévu. Mon espoir utopique consistant à penser qu’ils auraient tout résolu avant que nous arrivions ici s’était rapidement révélé faux.

Je les avais alors coupés : « Pour le moment, pourrais-tu nous guider vers l’endroit où est mon père ? »

Les yeux de Geese s’étaient ouverts au moment où il me regarda. Puis il commença à se gratter la lèvre supérieure.

« Oh, hey… c’est toi, n’est-ce pas, patron ? Tu as bien grandi. »

« Et tu n’as pas l’air d’avoir changé, Monsieur Geese. »

« Beurk, ça suffit. Ça me donne la chair de poule. Appelle-moi juste “le bleu” comme tu le faisais avant. »

Ahh, cet échange me rappela des souvenirs.

« Mon Dieu, vous avez l’air d’être proches tous les deux », commenta Elinalise avec amusement.

En entendant cela, Geese sourit : « Eh bien, nous avons partagé une cellule ensemble, hein, patron ? »

« En effet. Ça me rappelle des souvenirs. », avais-je dit

Ah, la nostalgie, le temps que j’avais passé complètement nu dans cette cellule du village de la tribu Doldia. C’était après avoir traversé la mer du Continent Démon au Continent de Millis, avoir été pris dans un incident de kidnapping, et traîné jusqu’à leur village. Chez les Doldia, ceux qui étaient confrontés à des crimes graves étaient dépouillés de leurs vêtements et jetés dans une cellule. On m’avait fait subir le même traitement pour le motif suivant : j’avais enlevé la Bête Sacrée et tenté de commettre des actes sexuels avec elle. C’était bien sur de fausses accusations. Qui diable essaierait d’avoir des relations sexuelles avec un chiot ? Bref, c’était là que j’avais rencontré Geese. Son crime était mineur, provoqué par sa propre cupidité. C’était un voleur très généreux.

« Ah, arrêtons de penser à ça pour le moment. Je vais vous emmener là où se trouve Paul », dit Geese tout en souriant à nouveau, alors que nous laissions la guilde des aventuriers derrière nous.

Paul logeait dans une auberge dans un coin de la ville. Le bâtiment était construit en terre et en pierre et s’adressait aux aventuriers de rang B, du moins selon les normes du Continent Démon. Il n’était ni somptueux ni délabré.

Une fois que nous étions arrivés à l’entrée, Geese nous déclara : « Écoutez bien, Paul est dans un sacré état en ce moment. Alors Elinalise, je sais que tu as beaucoup de choses à dire, mais garde-les pour cette fois. »

« Je ne peux rien promettre », avait-elle répondu en secouant la tête.

Geese força un sourire et haussa les épaules, laissant les choses en l’état. Pourtant, c’était bien d’Elinalise dont il s’agissait. Elle n’allait pas soudainement devenir hostile et agressive.

« Toi aussi, patron. Ne commence pas à te battre comme tu l’as fait la dernière fois, compris ? Je suis sûr que tu as beaucoup de choses à dire, mais… essaie de ne pas trop lui en vouloir, d’accord ? »

Pour que Geese se lance dans un si long préambule, il devait vraiment être dans un sale état. De plus, j’avais déjà vu Paul quand il était faible et qu’il fuyait ses problèmes. Je devais juste me préparer mentalement à quelque chose de similaire.

Bien que son apparence puisse suggérer le contraire, Paul n’était pas le plus résistant mentalement. Si quelque chose de grave arrivait, il sombrait immédiatement dans la dépression. Je n’irais pas jusqu’à le qualifier d’épave émotionnelle, mais il n’avait pas la résilience nécessaire pour faire face à de gros revers. Je pensais qu’il redeviendrait aussi sûr de lui que lorsque nous vivions au village Buena une fois que nous aurions trouvé Zenith, mais qui sait ?

C’était une étape essentielle. Je devais être suffisamment ouvert d’esprit pour que les gens m’appellent Bouddha Rudeus.

« OK, entrons », dit Geese.

Nous étions donc entrés.

Il n’y avait pas de porte, seulement un rideau qui séparait l’intérieur de l’extérieur. Le premier étage de l’auberge était comme tous les autres que j’avais vus, avec des tables pour manger. Les matériaux utilisés pour construire ces tables étaient différents, tout comme leur disposition, mais à part cela, c’était la même chose.

J’avais reconnu Paul en un coup d’œil. Sa moitié supérieure était renversée sur le dessus d’une table.

« Ah… ! »

Quelqu’un haleta lentement.

C’était Lilia, debout juste à côté de Paul. Même sur ce continent, elle portait toujours son uniforme de femme de chambre. Ses cheveux normalement soignés avaient poussé, et son visage était hagard d’épuisement. Pourtant, elle s’était éclairée lorsque nos regards s’étaient croisés. Elle s’était inclinée vers moi et avait immédiatement donné un coup de coude dans le dos de Paul.

La femme qui était assise juste en face de Paul s’était levée. Elle regarda mon visage et recula de plusieurs pas, puis baissa soudainement la tête. Son corps était recouvert d’une robe. Mais c’était qui déjà : Vierra ou Shierra ? J’étais presque sûr qu’elle était Shierra. Je l’avais rencontrée à Millishion, elle était comptable, non ?

Son visage était lourd d’épuisement. Tous les visages l’étaient.

J’avais pris son siège, me plaçant directement en face de Paul.

« Maître, le Seigneur Rudeus est venu », annonça Lilia.

« Hm… ? »

Amadoué par ses conseils, Paul leva lentement la tête. Il avait des cernes sous les yeux. Son corps tout entier était décharné et émacié. Il avait l’air terrible, mais il n’y avait pas de barbe autour de sa mâchoire et ses cheveux étaient plutôt bien entretenus. Et il n’était plus imprégné de la puanteur de l’alcool.

Pourtant, je pouvais dire qu’il était à bout de nerfs. J’étais finalement content d’être venu. En voyant l’état dans lequel il était, je me disais que c’était la bonne décision.

« Rudy… ? »

« Père. Ça fait longtemps. »

Il me regarda fixement, les yeux hébétés et non focalisés. Presque comme s’il n’était pas complètement réveillé. Non, peut-être qu’il avait dormi. Sombrant dans l’inconscience alors qu’il était affalé sur la table.

Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions pas vus. La dernière fois, il avait crié et m’avait réprimandé. Même s’il s’était senti acculé à ce moment-là, je lui avais rendu la pareille, et ça avait fini en bagarre.

Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, j’étais le Bouddha Rudeus.

« Huh ? C’est bizarre, je vois Rudy. Ha ha, quoi de neuf, Rudy ? Ça fait si longtemps. Tu as l’air de bien te porter. Comment vont Norn et Aisha ? », demanda-t-il, le visage sombre et couvert.

Honnêtement, sa réaction n’était pas celle à laquelle je m’attendais. Je pensais qu’il serait comme avant, ivre et fuyant ses problèmes. Avec une flasque dans une main, me criant dessus.

« Euh, je me suis occupée d’elles. Elles vivent dans la Cité Magique de Charia en ce moment. Elles se portent bien. Et juste au cas où, je les ai laissés aux soins de personnes de confiance. »

« OK, oui, ça se comprend. Toujours aussi fiable, Rudy. Ah, comment vas-tu, au fait ? Vas-tu bien ? »

« Oh, oui… je suppose que oui. »

Il avait souri, désinvolte et insouciant. Un sourire qui ne correspondait pas aux circonstances, comme s’il avait perdu tout courage.

« Bon, eh bien, c’est bien. C’est le plus important. »

Il n’y avait pas de vie dans ses yeux. Peut-être que son esprit s’était éteint et qu’il n’était plus qu’une coquille vide. J’avais jeté un regard nerveux à Geese, mais il avait simplement hoché la tête de manière sinistre.

Sérieusement ? Voici ce qu’était devenu Paul maintenant ?

« Rudy… »

Paul s’était levé et tituba autour du bord de la table vers moi. Puis il me serra dans ses bras.

« Je suis… un salaud sans espoir. »

Je lui avais rendu son étreinte en silence.

Peut-être qu’il était sans espoir. Peut-être qu’il ne redeviendrait jamais ce qu’il était. J’avais du mal à y croire, surtout au moment où il avait un petit-enfant en route. Mais tout irait bien maintenant que j’étais là. Je ferais quelque chose pour réparer ça. C’était la raison pour laquelle j’étais venu.

« Je ne peux pas sauver ta mère. Je ne peux même pas tenir les promesses que j’ai faites. J’ai aussi complètement échoué en tant que père. Je suis vraiment un salaud sans espoir. »

« S’il te plaît, ne t’inquiète pas. Je suis là maintenant. Les choses vont s’arranger. »

« Argh… Rudy, tu es vraiment devenu grand, hein ? »

Il me serra les épaules très fort. Ça faisait un peu mal, mais je ne me plaignais pas.

« C’est vrai. Je vais bientôt avoir un enfant moi aussi. Alors, laisse-moi faire le reste et prends le temps de te détendre. »

« Hein ? Un enfant ?! »

Un cri étranglé s’échappa de la gorge de Paul et la lumière revint dans ses yeux.

« Q-Quoiiii ?! »

Il avait l’air complètement désemparé en tapotant ses mains contre mon visage.

« Attends, tu es vraiment mon fils ? »

« C’est bien moi. »

« Alors ce n’est pas un rêve ? »

« Et je ne suis pas non plus sorti de nulle part. », dis-je en plaisantant.

« Oui, c’est bien toi. »

Il cligna alors des yeux plusieurs fois, puis regarda autour de lui.

Les yeux de Lilia avaient rencontré les siens.

« Bonjour, Maître. »

« Oh, c’est toi, Lilia. Combien de temps ai-je dormi ? »

« Depuis que le Seigneur Talhand est parti faire des courses, donc environ une heure. »

« Bon, je suppose que je n’étais encore qu’à moitié réveillé. »

Il secoua la tête et s’étira.

Ah-ha, il était donc juste à moitié endormi, pensais-je. Ce n’était donc pas une coquille vide. Bien. J’étais trop jeune pour être coincé à veiller sur mon vieux père.

Paul reprit son siège et se tourna vers moi. Puis, comme si on refaisait toutes les retrouvailles, il demanda : « Rudy, pourquoi es-tu là ? »

« Je te l’ai déjà dit. Je suis venu pour aider. »

« Non, ce n’est pas ce que je veux dire. »

J’avais secoué la tête. J’avais anticipé cette question. Nous avions déjà eu une confusion de communication similaire et cela avait tourné à la dispute, mais cette fois, tout irait bien. J’avais vu sa lettre, et Norn et Aisha étaient sous ma responsabilité.

« Tout va bien. Norn et Aisha vont bien aussi. On s’occupe d’elles », avais-je dit, répétant ce que j’avais déjà dit il y a un instant.

« O-oh, ok. »

Paul semblait confus. Il tendit la main pour tapoter mon corps à nouveau, presque comme s’il vérifiait que j’étais bien là.

« Non, mais… je veux dire…, n’es-tu pas arrivé ici trop vite ? »

« Nous avons pris un moyen de transport assez unique. Je suis sûr que je devrai te l’expliquer quand il sera temps de rentrer à la maison. »

« Unique, hein ? Eh bien, te connaissant, je suppose que c’est possible. »

Paul avait l’air abasourdi en baissant les épaules, la bouche toujours béante.

« Eh bien, pour que tout soit clair, pourquoi ne me dis-tu pas ce qui s’est passé après que Geese ait envoyé cette lettre ? »

« Euh, non, attends. Je suis un peu perdu. »

« Très bien. Pourquoi ne pas boire un peu d’eau afin d’essayer de se calmer ? »

J’avais utilisé ma magie de terre pour conjurer une tasse, ma magie d’eau pour la remplir, puis je l’avais passée à Paul.

Il la prit volontiers et engloutit le liquide. Une fois qu’il eut terminé, il poussa un gros soupir.

***

Partie 3

« Désolé, j’étais juste un peu choqué. Je savais que Geese était parti de son côté et avait envoyé cette lettre. J’ai juste pensé qu’il faudrait un certain temps avant que vous ne veniez. »

« On s’est dépêchés aussi vite qu’on a pu », avais-je dit.

Paul força alors un sourire.

« Se dépêcher est un euphémisme. »

Un mois et demi. Du point de vue de Paul, un peu plus de six mois s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient envoyé leur lettre. Était-ce considéré comme rapide ? Je suppose que oui. Normalement, il nous aurait fallu un an de plus pour arriver ici. Paul avait probablement pensé qu’ils avaient encore dix mois à attendre.

Il avait soudainement porté une main à son menton, se creusant visiblement la tête. Il avait l’air nerveux quand il me demanda, d’une voix lente et déterminée : « Alors, tu viens de dire quelque chose à propos d’avoir un enfant ? »

Oh oui, je l’ai dit. Ce n’était pas quelque chose que j’avais l’intention de lui cacher, mais peut-être était-il en colère contre moi, pensant : Pourquoi est-ce que tu t’amuses autant alors que je suis ici en train de me battre ?

J’avais construit ma réponse avec soin.

« Eh bien, si tu veux tout savoir, je me suis mariée pendant que j’étais à l’Université de Magie. »

Les sourcils de Paul s’étaient froncés : « Marié ? Avec qui ? Ah, peut-être Éris ? »

« Non, Sylphie. On s’est revus à l’université. », avais-je dit pour le corriger.

« Sylphie ? Tu veux dire celle du village de Buena ? Alors, elle était vivante, hein ? »

« Oui, mais elle a aussi eu des moments difficiles. »

Paul se caressa le menton, l’air toujours surpris. Je lui avais envoyé plusieurs lettres, mais apparemment, il ne les avait pas reçues.

« Pourrais-tu me dire exactement ce qui a conduit à ce mariage ? »

« Euh, bien sûr. Oui. Je devrais probablement aller de l’avant et faire ça. »

J’avais décidé d’expliquer ce qui s’était passé après avoir envoyé la première lettre. Comment je m’étais inscrit à l’université, et tout ce qui s’était passé depuis, jusqu’à mon mariage. J’avais choisi mes mots avec soin. Honnêtement, je n’avais que de bons souvenirs de mon passage à l’école. Il y eut des moments difficiles, mais il n’était pas exagéré de dire que j’y avais vécu les meilleurs moments de ma vie. Je m’étais fait des amis, j’avais trouvé ma femme et je m’étais beaucoup amusé.

J’avais essayé de rester aussi objectif que possible dans mon récit des événements, mais je ne pouvais pas le cacher. Je ne pouvais pas nier que j’avais passé un bon moment là-bas.

« Je vois. Donc… un enfant. Mon petit-fils… »

Je m’attendais à ce qu’il me gronde. Après tout, le fait d’avoir un enfant signifiait que j’avais fait l’acte qui avait mené à sa création à un moment où Paul travaillait désespérément pour essayer de sauver Zenith. Ce serait normal qu’il soit contrarié. Le plaisir était censé être partagé, et Paul vivait une vie d’abstinence.

Au moment où je pensais cela, la tête de Paul s’était affaissée.

« Je suis désolé. Tu es sur le point de devenir père, et pourtant il fallait que tu viennes ici parce que je ne vaux rien. »

Des excuses. De la part de Paul, en plus !

« Non, en fait, c’est moi qui me sens mal. On n’a même pas encore trouvé maman, et je continue à vivre ma vie. »

« Non, je ne peux pas du tout t’en vouloir pour ça. Après tout, j’ai aussi couché avec Lilia une fois. »

Après tout, ils étaient mari et femme, je ne voyais donc pas vraiment où était le mal.

« Je voulais attendre qu’on ait sauvé Zenith. Je suis vraiment pathétique. »

Paul baissa les yeux, comme s’il allait encore pleurer. Il était si fragile. Comme de la porcelaine.

Lilia ajouta soudainement : « On a été attaqués par une succube. On n’avait pas le choix. »

« Quand même, tu… Ahh, merde. »

Paul s’était pris la tête dans les mains tandis que les souvenirs lui revenaient.

Un succube, hein ? Dans ce cas, ce n’était pas vraiment sa faute. J’en avais rencontré moi-même, et on ne pouvait pas leur résister. Elles exposaient les coins les plus sombres de votre cœur… bien que leurs attaques puissent être annulées par une magie de désintoxication. Paul avait un guérisseur dans son équipe qui aurait dû être capable de le faire.

J’avais tourné la tête vers Shierra, qui paniqua dès qu’elle sentit mon regard sur elle.

« Je suis terriblement désolée. C’est juste que… j’étais tellement terrifiée par le capitaine. Je ne pouvais rien faire. »

« Rudy, s’il te plaît, ne la blâme pas. C’est moi qui suis en faute. »

Quand Paul était excité, il s’en prenait probablement aux femmes qui l’entouraient. Cela devait être effrayant de voir un homme comme lui submergé par la luxure — surtout si l’on considérait que Paul était le principal responsable des dégâts de leur groupe. La magie de désintoxication ne pouvait pas être exécutée à moins de toucher physiquement une personne. Ce n’était pas surprenant qu’ils n’aient pas été capables de l’immobiliser assez longtemps pour l’utiliser. Lilia avait dû s’avancer pour utiliser son corps afin de résoudre le problème.

« Oui, j’ai croisé des succubes en chemin. Je comprends à quel point elles sont terrifiantes. Tu n’aurais rien pu faire contre ça. »

« Mais Talhand n’a pas été affecté. J’étais le seul à ne pas pouvoir résister », se désespéra Paul.

En y réfléchissant, il y avait bien un autre homme dans leur groupe. Talhand était-il complètement résistant ? Comment cela avait-il pu se produire ? Difficile de croire qu’un homme puisse s’en sortir indemne. Peut-être que les ruses du succube ne fonctionnaient pas sur les nains ?

Alors que j’envisageais toutes les possibilités, Paul fixa son regard sur moi.

« Un problème ? », avais-je demandé.

Paul s’était gratté la lèvre supérieure.

« Rien, c’est juste que… Tu as l’air plus confiant et affirmé qu’avant. »

« Huh ? »

Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à ce qu’il me le fasse remarquer. En y réfléchissant, quand avais-je commencé à parler si librement devant les gens ? J’avais l’intention de séparer mon discours décontracté de mes habitudes polies, mais apparemment, je m’y étais habitué en parlant avec Zanoba et les autres.

« Oh, oui, je m’excuse. Je serai plus prudent à l’avenir. »

« Non, ce n’est pas grave. Tu ressembles maintenant plus à un homme quand tu parles comme ça. », dit Paul en riant.

Des larmes avaient commencé à perler dans les coins de ses yeux. Elles tombèrent, puis une autre, et d’autres suivirent bientôt. Elles venaient sans prévenir, refusant de s’arrêter.

« Rudy… tu as vraiment beaucoup grandi. »

L’entendre dire cela me fit aussi pleurer. Nous étions une famille, et pourtant, nous ne savions même pas à quel point l’autre avait changé.

« Je suis désolé d’avoir été un si mauvais père. »

Silencieusement, j’avais enroulé mes bras autour de lui. Je n’avais même pas eu besoin de m’étirer, j’ai pu facilement atteindre ses épaules. À un moment donné, sans même que je m’en rende compte, nous étions devenus de la même taille.

Et juste comme ça, nous avions pleuré tous les deux ensemble.

Après un petit moment, nous nous étions éloignés. Nos retrouvailles étaient terminées. Maintenant, nous devions changer de vitesse. Il y avait encore une question à régler.

« Hmph. »

Elinalise s’était assise sur une chaise voisine, l’air complètement désintéressé. Paul s’était lentement tourné vers elle et leurs regards s’étaient croisés. Les yeux de Paul s’étaient rétrécis. Les sourcils d’Elinalise s’étaient froncés.

C’était mal parti.

« Père, Mlle Elinalise est venue de la Cité magique de Charia pour nous aider, sachant que notre famille avait des problèmes. Elle est venue même si elle ne voulait pas te voir. »

« … »

Paul s’était progressivement mis debout. Puis il s’était dirigé avec précaution vers Elinalise. Elle regarda, les mains serrées en poings, et s’était aussi levée.

« Elle s’inquiète aussi pour nous. Je sais qu’il a dû se passer beaucoup de choses dans le passé, mais par égard pour moi, pourrais-tu s’il te plaît laisser tout ça derrière toi ? »

Elinalise dévisagea Paul, elle qui était plus grande que lui d’une tête. L’air se chargea de tension. « Volatile » était le mot qui me venait à l’esprit.

Peut-être qu’ils allaient finir par se frapper. Non, peut-être qu’ils allaient essayer de se tuer ! Merde, leur relation était-elle vraiment si mauvaise ?

« Geese… »

J’avais cherché de l’aide auprès de lui, mais cet abruti s’était contenté d’un haussement d’épaules impuissant et d’un sourire exaspérant.

Cet homme ne sert vraiment à rien, avais-je pensé.

« Elinalise ? »

« Oui, qu’est-ce qu’il y a ? »

Paul se retourna vers moi, puis vers Lilia et Shierra. Il semblerait y avoir une signification derrière son regard, mais je n’arrivais pas à la comprendre.

Soudainement, il s’était mis à genoux. Puis il appuya son front contre le sol. Il rampait !

« Je suis désolé pour ce qui s’est passé à l’époque ! »

Elinalise refusa de le regarder. Elle tourna juste la tête sur le côté, fit une moue et dit, sans se moquer de lui : « Moi aussi, j’étais partiellement fautive à l’époque. »

C’était complètement inattendu. Honnêtement, j’avais pensé qu’elle allait commencer à lui lancer des malédictions.

Paul continua à se prosterner.

« Je t’ai causé beaucoup d’ennuis depuis l’incident de téléportation. Je suis vraiment désolé pour ça. »

« Ce n’est pas grave. J’avais aussi quelqu’un à chercher, c’était donc pratique. »

« Merci. »

« De rien, Paul. »

C’était la fin de tout ça. Juste comme ça. Ils avaient tous les deux un soupçon de sourire sur leurs visages. On aurait dit que le problème qui existait entre eux, quel qu’il soit, venait de disparaître. Sans effort, même si Elinalise avait auparavant longuement expliqué qu’elle ne pouvait pas lui pardonner.

« Ouf… »

Paul laissa échapper une longue inspiration, se souleva du sol et s’épousseta les genoux. Puis il leva les yeux vers Elinalise, qui lui rendit doucement son regard.

« L’âge n’a pas été tendre », dit-elle.

« Il l’a été pour toi. Tu es plus belle que jamais. », lui répondit-il d’un signe de tête.

« Oh, mon Dieu. Je dirai à Zenith que tu as dit ça. »

« Ça veut dire que je vais la voir être jalouse à nouveau. »

« C’est quelque chose que je vais certainement attendre avec impatience. »

Ils avaient tous les deux rigolé. C’était agréable de les voir comme ça. Ils peignaient une belle image ensemble : une superbe elfe et un épéiste épuisé d’âge moyen.

Je n’avais aucune idée de ce qui avait ébranlé leur amitié. Peut-être que c’était juste Elinalise qui était obstinée, et que l’affaire était en fait très banale. Ou peut-être que c’était quelque chose qui avait besoin de temps pour guérir. Quoi qu’il en soit, l’amitié était une belle chose.

« C’est quand même impressionnant que tu aies pu supporter le voyage jusqu’ici. C’est un long chemin depuis les Territoires du Nord jusqu’ici, non ? »

« Oui, ça l’est », avait-elle convenu.

« Que s’est-il passé avec ta malédiction ? Ne me dis pas que toi et Rudeus l’avez fait ensemble ? », demanda Paul sans perdre une seconde.

« Certainement pas. Je suis arrivée jusqu’ici grâce à l’outil magique de Cliff. »

Paul inclina la tête.

« Cliff ? Qui est-ce ? »

« Mon mari. »

« Ton quoi ?! »

Paul écarquilla les yeux. Puis sa voix était devenue plus forte à cause de la surprise.

***

Partie 4

« Tu as donc un mari ? Cet homme doit avoir des goûts bien étranges ! Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? Es-tu sûre que cet homme a vraiment accepté de t’épouser ? Hé, Rudy, tu connais ce type ? Ce “Cliff” ? », dit-il en riant et en jetant un coup d’œil vers moi.

J’avais gardé un visage impassible et j’avais hoché la tête, surtout parce qu’Elinalise avait l’air prête à tuer.

« Père, tu es allé un peu trop loin. Oui, je pense que Cliff a des goûts bizarres, mais c’est un homme très respectable. »

Cliff avait parfois du mal à lire l’ambiance, mais il était honnête, et n’avait pas honte de proclamer son amour. C’était un individu étonnant.

« Sérieusement ? Eh bien, il doit être assez incroyable pour que tu dises ça. »

Paul fut choqué par ce qu’il entendit. Il baissa alors la tête, gêné.

« OK, désolé, j’étais dans l’erreur. N’oublie pas de me le présenter quand on rentrera. »

« Oui, tu devrais être désolé. C’est un homme bien plus étonnant que toi. », souffla Elinalise

Paul força un sourire et inclina la tête une fois de plus.

« Tout ça mis à part… Rudeus, Elinalise, merci d’être venus. »

« On n’avait fait que m’entraîner là-dedans », avait-elle plaisanté.

« Venir ici était normal pour moi. On est quand même de la même famille. »

Maintenant, il était temps pour nous d’entrer dans le vif du sujet.

« Père, explique-moi ce qui se passe. »

Paul commença par expliquer en détail comment il était arrivé ici, bien que je connaissais déjà l’essentiel. Roxy et Talhand l’avaient rencontré à Millishion, puis avaient rassemblé les informations qu’ils pouvaient et avaient traversé la mer jusqu’au Continent Begaritt. Grâce au nombre de membres de leur groupe, ils avaient pu se rendre à Rapan. Ce fut là qu’ils retrouvèrent Geese et découvrirent où se trouvait Zenith.

« Selon les informations de Geese, ta mère est à environ un jour au nord d’ici, capturée dans un labyrinthe. »

C’était vague. Par « capturée », il voulait dire que quelqu’un la retenait là ? Ou était-ce le labyrinthe lui-même qui la retenait ? Les labyrinthes qui capturaient les gens existaient-ils vraiment ?

« Pendant six années entières ? », avais-je demandé, incrédule.

Paul secoua alors la tête : « Je ne sais pas. »

« Et est-elle toujours en vie ? »

« Je ne sais pas. Un groupe y est allé il y a quelques années, et apparemment l’un des membres a dit avoir vu quelqu’un ressemblant à Zenith. Et nous n’avons pas eu de nouvelles depuis qu’ils y sont retournés. »

Ils avaient donc disparu. Ce n’était pas rassurant. Est-ce que ce n’était qu’un vœu pieux d’espérer qu’elle était toujours piégée là-dedans ?

D’après ce que Roxy avait dit, Zenith était encore en vie quand Kishirika l’avait vue. D’après les informations de Geese, les nouvelles du groupe susmentionnées avaient cessé d’arriver avant que Roxy ne s’entretienne avec Kishirika. C’était il y a deux ans. Les informations de Geese avaient été acquises il y a quatre ans. En d’autres termes, Zenith avait passé deux ans sans contact avec quiconque, et était toujours en vie lorsque Kishirika la vit. Cela signifiait qu’il y avait une forte probabilité qu’elle soit encore en vie aujourd’hui.

Apparemment, ils avaient parié sur cette lueur d’espoir pour continuer à la chercher. Même si elle n’avait pas survécu, il était important de confirmer sa mort. Bien sûr, j’espérais qu’elle soit toujours en vie. Quand j’avais entendu qu’elle pouvait être morte, mon cœur s’était effondré.

Je suppose que j’avais déjà compris qu’il était trop tard. Cela faisait quand même déjà six ans.

Soudainement, Geese était intervenu : « Tout ce que nous avons est une information de seconde main, donc nous ne savons pas. Peut-être qu’elle est morte. Peut-être qu’elle est possédée par une sorte de monstre. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle a été vue dans le labyrinthe. »

Paul ajouta alors : « Ce labyrinthe est très ancien et difficile. L’année dernière, nous y avons plongé de nombreuses fois, mais ça a été difficile. Nous avons quatre pros de la plongée en labyrinthe dans notre groupe, mais nous ne sommes même pas arrivés à la moitié. Plutôt triste, vraiment. »

Quatre d’entre eux… Paul, Geese, Talhand et Roxy ? Ils en avaient trois autres aussi, mais aucun n’était professionnel. Maintenant que j’y pensais, où étaient les trois autres membres ?

« Hm, vous avez de la compagnie ? »

Juste à ce moment-là, la lumière jaillit de l’entrée. Quelqu’un était entré.

« Oho ! On dirait que j’ai manqué une réunion touchante, hein ? »

C’était un homme de petite taille. Il était vrai que sa taille était la seule chose qui était petite chez lui. Il avait autant de circonférence que de taille. On pouvait dire que c’était un nain au premier coup d’œil. Il avait une longue barbe flottante, et un grand sac en toile de jute dans sa main. Ce devait être Talhand.

Une femme se tenait derrière lui, habillée comme une guerrière et portant un sac similaire. Elle ne portait pas l’armure en bikini qu’elle avait auparavant, mais je m’étais souvenu de son visage. Vierra, c’est ça ? Elle m’avait salué, puis s’était précipitée aux côtés de Shierra.

Le corps robuste de l’homme se balançait en s’approchant. Il m’examina du sommet de ma tête jusqu’au bout de mes orteils.

« Tu es le fils de Paul ? »

« Hum, oui. C’est un plaisir de vous rencontrer. Je m’appelle Rudeus. »

« Talhand. Tu sembles aussi intelligent que je l’ai entendu dire. Mm-hm. »

Il posa son sac sur le dessus de la table.

« Rudeus, tu ferais mieux de rester loin de lui. Il vole ce qui est cher aux hommes », prévient Elinalise.

Ce qui est cher aux hommes ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Leur fierté ?

« Aha, je trouvais que ça sentait un peu trop la femme ici. »

Talhand regarda Elinalise avec une expression sur le visage qui semblait dire qu’il venait juste de réaliser qu’elle était là.

« Qu’est-ce que c’est que ça, hein ? Tu es aussi venue ? »

« Oh là là, tu veux dire que je n’aurais pas dû ? »

« Bien sûr que je le dis. Ta seule présence ici crée des problèmes. »

Il fouilla dans son sac et en sortit une bouteille en verre remplie d’un liquide ambré. Il fit sauter le bouchon et l’avala d’un trait.

« Pwah ! Ça, c’est une boisson qui va te donner un sacré coup dans le ventre. »

La puanteur de l’alcool flotta dans l’air. Cela montrait assez bien que cette boisson était forte. Les nains aimaient donc bien leur alcool.

« Vas-y. »

Talhand poussa la bouteille vers Elinalise. Elle la prit sans mot dire et but une gorgée. Elle ne buvait pas autant que lui, mais je pouvais encore voir sa gorge blanche et pâle bouger tandis qu’elle avalait deux fois avant de roter.

« C’est un alcool plutôt vulgaire. »

« Ça va parfaitement avec quelqu’un d’aussi vulgaire que toi. »

Il remit le bouchon en place et rangea la bouteille dans son sac.

Qu’est-ce que c’était que cet échange à l’instant ? Était-ce censé être une salutation de style nain ? Personne d’autre ne l’a commenté. Que diable… ?

« Bien, maintenant que tout le monde est là, reprenons là où nous nous étions arrêtés, d’accord ? »

La voix de Paul me ramena à la raison. Talhand avait fait un sacré effet avec son entrée, si bien que j’avais complètement oublié que nous étions en pleine conversation.

Attendez, il avait dit tout le monde ?

« Attendez un moment. Qu’en est-il de Maître Roxy ? », l’avais-je interrompu.

Le visage de Paul s’était assombri au moment où je l’avais demandé. Mais il n’y avait pas que lui dans ce cas. Tous les autres portaient le même regard, sauf Elinalise. La belle aux longues oreilles semblait comprendre ce que cela signifiait, et ses yeux s’étaient agrandis.

« Quoi ? Ce n’est pas possible… »

Dès que je l’avais entendue dire cela, un seul mot surgit dans le fond de mon esprit. Le pire que je puis imaginer.

Morte.

« Il y a un mois, Roxy s’est fait avoir par l’un des pièges du labyrinthe. »

Je pouvais sentir mon cœur battre la chamade. Je n’avais pas envie d’entendre ça. Pas cette petite fille aux cheveux bleus. Ce n’était pas possible. Je ne voulais pas les entendre dire ça. C’était une aventurière compétente, qui s’était déjà aventurée seule dans un labyrinthe. Elle ne pouvait pas utiliser la magie silencieuse, mais elle avait réussi à raccourcir ses incantations. Elle était une magicienne de l’eau de niveau Roi. Ma sauveuse.

Je ne voulais pas en entendre plus. Malgré tout, j’avais demandé à contrecœur : « Elle n’est pas morte… hein ? »

À un moment donné, Elinalise s’était levée de son siège et s’était mise derrière moi, posant ses mains sur mes deux épaules.

« Non. Elle a marché sur un cercle de téléportation et a disparu. Nous n’avons pas confirmé sa mort. Il est fort probable qu’elle soit encore en vie dans le labyrinthe. », dit Paul.

C’était suffisant, du moins pour le moment. J’avais senti la tension me quitter. Mais mon visage s’était rapidement raidi à nouveau à la suite de la protestation de Geese.

« Voyons, Paul. Ce n’est pas possible. Je comprends que c’est de Roxy qu’on parle, mais ce n’est pas le genre d’endroit où un magicien peut survivre seul. Bien sûr, elle est peut-être encore en vie, mais les chances sont… »

Talhand s’était coupé : « Non, Roxy n’est pas une magicienne ordinaire. Il y a de fortes chances qu’elle soit encore en vie. »

« Tu dis ça, mais nous avons cherché tout le mois et nous ne l’avons pas trouvée ! », s’exclama Geese.

« On y est allés cinq fois, et rien ! »

« Geese. Combien de temps vas-tu continuer comme ça ?! », dit Paul de façon laconique.

Paul, Geese et Talhand commencèrent à se disputer entre eux. Geese — dont je me souvenais qu’il était si facile à vivre — était énervé et se chamaillait. On aurait dit qu’il donnait vraiment l’impression d’être à bout de nerfs.

Donc Roxy avait marché sur un piège de téléportation. Comme elle avait tendance à être négligente parfois, je suppose que je pouvais le comprendre. Mais s’ils n’avaient pas confirmé sa mort, je voulais croire qu’elle était vivante. Il ne me semblait pas possible que quelqu’un comme Roxy Migurdia puisse mourir si facilement.

Du moins, je voulais croire que c’était impossible. Je m’étais accroché à cette supposition.

Agh. J’étais encore plus choqué par cette nouvelle que par celle où j’avais appris que Zenith était peut-être morte.

« Désolé d’avoir interrompu la conversation. Revenons-en au point où nous en étions. Quel genre d’endroit est ce labyrinthe ? », avais-je demandé.

Les trois hommes échangèrent des regards. C’était comme s’ils se concertaient pour savoir qui serait celui qui transmettrait l’information.

Paul ouvrit finalement la bouche : « Un labyrinthe de téléportations. »

Au moment où il prononça ces mots, j’avais eu l’impression d’entendre un livre bruisser dans mes sacs. Comme si le livre avait entendu quelqu’un appeler son nom. Celui intitulé Compte-rendu exploratoire du labyrinthe de téléportations.

***

Chapitre 2 : Confirmer la situation

Partie 1

Roxy avait des problèmes.

Dès que j’entendis cela, je ressentis le besoin immédiat de partir en courant à sa recherche. Elle était perdue dans un labyrinthe de téléportations, mais heureusement, j’avais à mes côtés le guide stratégique Un compte-rendu exploratoire du labyrinthe de téléportations. J’avais également fait moi-même des recherches sur les cercles de téléportation, et tant que nous avions le temps d’observer l’un des cercles, nous pouvions sûrement utiliser ce livre pour nous guider.

Mais d’abord, je devais être au courant de la situation actuelle. C’était important.

Ce pourrait être une course contre la montre pour Roxy et Zenith. Si nous avions ne serait-ce que cinq minutes de retard, cela pourrait être la différence entre la vie et la mort pour elles. Même ainsi, ou plutôt, précisément pour cette raison, nous ne pouvions pas être hâtifs. Nous devions confirmer la situation, nous préparer soigneusement, puis les sauver coûte que coûte.

Si nous étions trop pressés, nous pourrions négliger quelque chose d’important et commettre une erreur, rendant tous nos efforts vains. Cela nous ferait perdre non seulement cinq minutes, mais peut-être même un jour, voire deux ou trois. Nous devions être prudents. Il n’y avait pas de place pour l’erreur ici.

J’étais convaincu qu’une seule erreur me laisserait des regrets. Quelles que soient les circonstances, si mes erreurs nous empêchaient de sauver Roxy ou Zenith, j’aurais d’énormes regrets.

« Père, j’ai avec moi le livre d’un aventurier qui s’est enfoncé dans le Labyrinthe de Téléportations. »

J’avais commencé par révéler l’existence du livre.

Le livre Un compte-rendu exploratoire du labyrinthe de téléportations m’avait été montré un jour par Maître Fitz. Il contenait des informations détaillées sur la forme des cercles de téléportation, qui étaient considérées comme taboues. S’il avait échappé à la censure de l’université, c’était soit parce qu’il avait eu la chance de passer inaperçu, soit parce qu’il s’agissait d’un récit d’aventurier. Le fait qu’il n’avait pas été retiré des rayons signifiait qu’il était possible que le livre soit une pure fiction.

Le Labyrinthe de Téléportations était un endroit où personne ne s’était aventuré. L’auteur avait peut-être simplement utilisé le concept pour créer cette histoire fictive, mais cela me semblait peu probable. Après tout, les cercles de téléportation décrits dans ce livre avaient une ressemblance frappante avec les vrais. J’avais moi-même fait des recherches sur ces cercles, et ce livre contenait les informations les plus exactes et les plus précises à leur sujet que j’avais trouvées en le croisant avec d’autres livres de ce type. J’en étais certain.

Pourtant, il pourrait faire référence à un autre labyrinthe de téléportations. Je ne pouvais pas exclure la possibilité qu’il existe dans ce monde un autre labyrinthe truffé de pièges de téléportation. Un guide du même nom n’avait aucune valeur si son contenu ne correspondait pas à la situation.

« Si le labyrinthe dont il est question ici correspond à celui dans lequel nous sommes sur le point d’entrer, alors cela pourrait vraiment nous aider à trouver notre chemin. »

Au moment où j’avais dit ça, les yeux de Paul s’étaient agrandis.

« Attends, Rudy… pourquoi as-tu un tel livre ? »

« J’ai pensé qu’il pourrait être utile, alors je l’ai pris à la bibliothèque de l’université et je l’ai apporté. »

« Je vois… »

Pour l’instant, j’avais décidé de ne pas parler des cercles de téléportation par lesquels nous avions voyagé. Pour l’instant, nous avions besoin de confirmer si le labyrinthe du livre correspondait à celui dans lequel nous étions sur le point de nous engager.

« J’aimerais passer en revue le contenu du livre. S’il semble pouvoir être utile, utilisons-le. »

Paul le prit dans ses mains et, après avoir longuement examiné la première de couverture, le passa immédiatement à Geese.

Ce dernier le prit et se tourna vers moi.

« Je vais aller de l’avant et le lire, d’accord ? »

« Je t’en prie. »

Pourquoi Geese ?, m’étais je demandé. Mais comme tout le monde agissait comme si c’était naturel, j’avais choisi de ne pas le demander. Ce devait être le rôle de Geese dans le groupe de Paul. Il était capable de tout faire, et c’était exactement ce qu’il faisait. J’avais l’impression de l’avoir déjà entendu dire ça auparavant. Il était probablement aussi chargé de cartographier leur plongée en labyrinthe et d’organiser les informations à leur disposition.

« Père, pendant que Geese lit ça, j’aimerais que tu me parles du labyrinthe. »

Je m’étais placé directement en face de Paul, prêt à diriger les questions vers lui dans le but de confirmer ce qui était écrit dans le livre.

« Bien sûr, vas-y. »

Mes questions portaient sur les types et les noms des monstres, le nombre d’étages jusqu’au niveau le plus profond, l’état de l’intérieur et la forme des cercles. Paul répondit sans hésiter.

Commençons par les monstres. Il y en avait cinq types dans le labyrinthe, mais Paul n’était arrivé qu’au troisième étage, il y avait donc des bêtes qu’il n’avait pas encore vues.

La tarentule menant à la mort : une énorme araignée venimeuse. Même si c’était une tarentule, elle tirait quand même des fils. Son poison pouvait être traité avec une magie de désintoxication de niveau débutant. Monstre de rang B.

Chenille d’Acier : Une chenille ressemblant à un tank. Lourde et résistante. Rang B.

Crâne de boue : Un monstre de forme humaine couvert de boue. Il avait un crâne enterré en son centre qui était son point faible. Rang A. Il avait l’air plutôt ridicule, mais il était intelligent et pouvait utiliser la magie pour vous envoyer de la boue.

Guerrier en armure : Un costume d’armure rouillé avec quatre bras, chacun portant une lame tranchante comme un rasoir à la main. Rang A.

Diable dévorant : Une bête avec de longs bras et jambes, ainsi que des griffes et crocs en forme de couteau. Rang A.

Combien d’étages jusqu’au niveau inférieur ? Inconnu. La rumeur disait qu’il y en avait six ou sept, mais personne n’avait encore pénétré dans ces profondeurs pour voir son gardien. Quant à l’état de chacun de ces étages, il était également difficile à décrire, mais le livre contenait quelques comptes rendus.

Le premier étage était l’endroit où les araignées créaient leurs nombreuses toiles. Le deuxième étage était occupé par un grand nombre d’araignées et de chenilles. Au troisième étage, les Crânes de boue prenaient le commandement des monstres susmentionnés. Une fois arrivées au quatrième étage, les araignées et les chenilles étaient pratiquement absentes, laissant place aux Crânes de boue et aux Guerriers en armure. Au cinquième étage, les crânes de boue avaient disparu et il n’y avait plus que des guerriers blindés et des démons dévorants. Après le sixième étage, il n’y avait plus que des démons dévorants.

Il n’y avait rien dans le livre sur les étages après le sixième.

Les trois premiers étages faisaient partie d’une fourmilière : ils étaient composés de chemins complexes et sinueux avec des pièces connectées à la fin. Apparemment, les cercles de téléportation étaient toujours situés à l’arrière de ces pièces. D’après le livre, le labyrinthe se transformait en une ruine de pierre autour du quatrième étage, mais Paul et son groupe n’étaient pas encore arrivés jusque-là. Il avait néanmoins regroupé des informations sur les bêtes et les trois premiers étages, grâce aux essais et erreurs de nombreux aventuriers.

Enfin, la forme des cercles de téléportation. Gravées dans le sol, c’étaient des formes complexes et étranges émettant une lumière pâle. En les entendant décrire en détail, elles ressemblaient exactement à celles que j’avais vues plusieurs fois par moi-même.

La plupart des propos de Paul correspondaient à ce que j’avais lu dans le livre et vu par moi-même.

« C’est incroyable, haha ! Je vous le laisse, patron. Vous nous avez apporté quelque chose d’incroyable ! »

À peu près au moment où Paul termina son explication, Geese referma le livre et éleva la voix en signe d’excitation. Apparemment, il avait fini de le feuilleter. C’était un lecteur rapide. Ou peut-être n’avait-il fait que survoler les points forts.

« Hey, Geese. Est-ce vraiment si étonnant ? » demanda Paul, surpris de voir à quel point le membre de son groupe était exalté.

« Oui, c’est incroyable, Paul. Si tout ce qui est écrit ici est vrai, nous avons pratiquement une carte de l’endroit jusqu’au sixième étage. »

Toujours aussi enthousiaste, Geese passa le livre à Talhand. Il laissa le nain le lire et, ne pouvant cacher son excitation, commença à expliquer le contenu du tome à Paul.

« Toutes les choses que nous n’avons pas comprises sont écrites dans ce livre. Quels sont les cercles sur lesquels il faut sauter, ceux dont il faut s’éloigner, ceux qui nous mèneront où, et ce à quoi nous serons confrontés lorsque nous les utiliserons ! »

Manifestement, il était convaincu que ce livre était véridique.

Le visage de Paul devint sombre. Il fixa alors Geese d’un regard noir.

« Je vois. Alors peux-tu dire ce qui arrive à Roxy et Zenith en te basant sur ce qui est écrit dans ce livre ? »

« Eh bien… non », répondit Geese, qui avait la sensation de s’être fait jeter de l’eau froide dessus.

« Ne t’emporte pas trop vite. Nous ne pouvons pas faire d’autres erreurs », avertit Paul à voix basse.

Il avait raison, nous devrions être prudents. Ce serait déchirant si nous croyions aveuglément à ce livre, pour qu’il nous mène à notre perte.

« Je comprends ce que tu essaies de dire, Paul. Mais avec ce livre et un avant-garde et une arrière-garde fiables, tout ira bien. Réjouissons-nous un peu de l’instant présent, d’accord ? », dit Geese tout en regardant autour de lui les personnes présentes.

Paul suivit son regard. Ses yeux s’étaient finalement posés sur moi.

« Oui, tu as raison. Désolé pour ça. »

Un petit sourire calme était apparu sur son visage.

Peu importe à quel point on pouvait se sentir acculé, il était important de garder son calme. Paul devait le comprendre.

« Bon, très bien. Si vous avez fini de lire, décidons de notre formation. »

La voix de Paul semblait plus énergique, comme s’il avait rassemblé ses esprits. L’atmosphère de la pièce s’était détendue.

Seuls cinq membres allaient plonger dans le labyrinthe : Paul, Elinalise, Geese, Talhand et moi. Cela signifie que Vierra et Shierra avaient été échangés contre Elinalise et moi-même. Le labyrinthe était étroit, même si nous y entrions en grand nombre, nous nous gênerions les uns les autres. Elinalise était d’ailleurs plus puissante que Vierra et j’étais plus puissant que Shierra. Nous ne ferions que leur voler leur rôle si elles nous rejoignaient.

Elinalise était le tank, Paul était un attaquant secondaire, je m’occupais de l’attaque et des soins, et Talhand pouvait être soit tank soit attaquant secondaire. Nous étions tous les quatre responsables de la bataille. Le rôle de Talhand était un peu vague, mais c’était un magicien capable de pratiquer la magie de Terre de niveau intermédiaire et un combattant polyvalent. Il avait donc été placé dans une position où il pouvait faire les deux. Aussi peu maniable qu’il puisse paraître, il était assez adroit. Mais là encore, tous les nains l’étaient.

« Nous veillerons l’un sur l’autre. »

La position de Talhand devait être devant ou derrière moi, aussi me donna-t-il une tape amicale sur l’épaule. Pour une raison inconnue, cela m’avait donné des frissons dans le dos.

« Rudy sera généralement chargé de toute la magie. Nous comptons également sur toi pour nous guérir après chaque bataille. Tu peux le faire ? », annonça Paul.

« Pas de problème. »

L’attaque et la guérison. C’était ma première fois dans un labyrinthe et j’avais encore du pain sur la planche. Cela dit, c’était à peu près la même chose que lorsque je travaillais en tant qu’aventurier. Je pouvais sûrement le gérer.

Et puis il y avait Geese. Bien qu’il ne soit pas très utile au combat, il était capable d’accomplir un tas d’autres tâches complexes, comme vérifier la carte, confirmer la direction que nous prenions, gérer les réserves de nourriture, choisir les matériaux à prendre aux ennemis et comment les extraire, ainsi que décider quand se replier. Il était à la fois le commandant et le garçon de courses. En gros il ressemblait à une sorte de manager. La plongée dans le labyrinthe n’était pas seulement une affaire de combat, un rôle comme le sien était donc aussi essentiel.

Il restait ainsi trois personnes — Vierra, Shierra et Lilia — qui servaient de soutien en attendant en ville ou à l’entrée du labyrinthe. On pourrait dire qu’elles ne faisaient que garder la maison (ou l’auberge), mais apparemment, c’était aussi un travail important. D’après ce qu’on m’avait dit, les grands clans désignaient également quelqu’un pour garder la maison lorsqu’ils partaient plonger dans le labyrinthe.

Je laissais la majorité des préparatifs aux pros : Talhand et Elinalise. Je n’étais encore qu’un amateur en la matière. Je pourrais me servir des connaissances de mon ancienne vie pour réfléchir à diverses stratégies, mais je laisserais cela de côté pour le moment. D’abord, je suivrais ce que font les pros. Ensuite, si je pensais à quelque chose dont nous avions besoin, je pourrais le suggérer. Tout ce que je dirais ne serait finalement qu’une suggestion. Je ne savais pas si les connaissances que j’avais acquises en jouant à des RPG roguelike dans ma vie précédente pouvaient être appliquées ici.

« Notre premier objectif sera d’atteindre le troisième étage. Une fois là-bas, nous retrouverons Roxy. », dit Paul, maintenant que nous avons décidé de notre formation.

Nous ne savions pas si elle était encore en vie. Si c’était le cas, nous devions la récupérer et nous retirer. Selon son état, nous pourrions aussi la faire rejoindre notre groupe alors que nous nous enfoncerions dans le labyrinthe. A six, nous pourrions explorer le quatrième étage encore inconnu et au-delà, sonder l’intégralité du labyrinthe jusqu’à ses plus profondes profondeurs à la recherche de l’endroit où pourrait se trouver Zenith.

Je n’avais aucune idée du nombre de jours que cela prendrait. Cela allait être une recherche longue et compliquée.

***

Partie 2

Paul, Lilia et moi avions dormi dans la même chambre cette nuit-là. Geese l’avait arrangé par considération pour nous, disant que la famille devrait avoir le temps d’être seule ensemble. Cela dit, je n’avais pas passé beaucoup de temps avec Lilia en tant que famille. Jusqu’à la naissance d’Aisha, elle avait juste été la bonne, et je ne pouvais la voir que comme ça même aujourd’hui. Paul la considérait comme sa femme, mais au final uniquement comme la seconde épouse. Zenith était toujours la première sur la liste des priorités de Paul, Lilia la deuxième, Norn la troisième. Aisha était donc quatrième, je supposais donc que j’étais dernier.

« C’est la première fois que nous partageons notre chambre, n’est-ce pas, Seigneur Rudeus ? »

« Effectivement. »

La façon dont Lilia se comportait si respectueusement suggérait qu’elle ne voyait Paul que comme son employeur. À cause de son influence, je m’étais retrouvé à parler de façon un peu rigide.

« Si les ronflements du maître vous dérangent, n’hésitez pas à le pousser », plaisantait-elle tout en gardant les choses étonnamment légères.

« Oui, d’accord… »

Je n’étais pas en mesure de lui offrir la même chose. Je n’avais aucune idée de ce que je devais dire. Comment avais-je parlé à Lilia dans le passé ? Je croyais me souvenir que nos interactions au village de Buena étaient plutôt professionnelles.

Paul m’observait depuis un moment déjà sans dire un mot. Je me demandais pourquoi. Il avait une drôle d’expression sur le visage. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était un sourire enjôleur, mais il avait l’air détendu.

« Si je peux poser une question, Seigneur Rudeus », dit Lilia.

« Oui, qu’est-ce que c’est ? »

« Est-ce qu’Aisha s’en sort bien ? »

C’était grâce à sa question que j’avais pu enfin avoir une réponse à la mienne. C’est vrai, la famille. Nous étions après tout une famille. On pouvait donc simplement parler de ça.

« Oui. Elle travaille très dur. »

« Elle ne vous a causé aucun problème ? »

« Pas du tout. Elle est d’une grande aide. Elle a fait toutes les tâches ménagères pour nous. », avais-je dit pour la rassurer.

« Vraiment ? J’espère juste qu’elle ne fait pas de demandes égoïstes. »

« Personnellement, ce serait plus facile pour moi si elle était un peu plus exigeante. »

Lilia sourit doucement au moment où j’avais dit ça, l’air soulagé.

« Qu’en est-il de Maîtresse Norn et Aisha ? Elles ne se battent pas ? »

« Eh bien… les choses sont un peu tendues entre elles, mais il n’y a pas eu d’affrontements majeurs pour l’instant. En fait, leurs petites querelles sont plutôt attachantes. »

« Je lui ai toujours dit de montrer de la déférence pour Maîtresse Norn. Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle leur relation a dévié ainsi », dit-elle en soupirant.

« Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez contrôler. De plus, Aisha est encore une enfant. Ne pensez-vous pas que la chose la plus importante en tant que parent est de les aimer toutes les deux de la même manière ? », avais-je dit pour la rassurer.

« Vous avez peut-être raison. Aisha est mon enfant, mais c’est aussi la fille du maître, alors… »

« Le sang n’a rien à voir là-dedans. Nous sommes une famille », avais-je insisté.

« Merci. »

Paul ne s’était pas inséré dans la conversation. Il s’était contenté de regarder notre interaction avec la même expression profondément émotionnelle qu’il portait depuis le début.

« C’est quoi ce regard ? Tu as souri tout ce temps. », avais-je demandé tout en le regardant.

« Ahh, tu sais, c’est juste agréable à regarder. »

Paul s’était gratté l’arrière de la tête, les joues rouges de gêne.

« Qu’est-ce qui est agréable ? »

« Voir le petit garçon dont je me souviens, grandir et parler à Lilia comme ça. »

En d’autres termes, voir son fils adulte interagir avec sa femme. Lilia n’était pas ma mère, mais pour Paul, nous étions tous deux de la famille. Peut-être que c’était profondément émouvant pour lui. Je comprendrais peut-être ce qu’il ressentait quand mon propre enfant grandira.

« Ah oui, Rudy, tu as dit que tu t’étais marié. »

« Oui, il y a environ six mois. »

« Mon petit garçon… C’est difficile à croire. Tu n’étais pas plus grand que ça la dernière fois que je t’ai vu. »

Paul fit alors un geste de la main.

« Oui, j’ai beaucoup grandi ces deux dernières années. »

Comme sortie de nulle part, ma taille était devenue à peu près la même que celle de Paul. Il était encore un peu plus grand, mais j’avais probablement encore du chemin à faire. Je m’étais dit que je finirais par le rattraper.

« Quand on rentrera à la maison, il faudra faire une grande fête », dit Paul.

« En effet. Et n’oublie pas que ce sera ton premier petit-enfant. Tu seras grand-père. », lui avais-je rappelé.

« Oh, arrête ça. Je ne suis pas encore si vieux que ça », avait-il dit, n’ayant pas l’air aussi mécontent que ses mots pourraient le laisser croire.

Puis, soudainement, il sourit : « C’est vrai, tu vas avoir un enfant. Ce qui signifie que tu l’as fait, n’est-ce pas ? »

« Monseigneur, je ne suis pas sûr que des questions aussi crues soient vraiment appropriées », objecta Lilia alors que Paul arborait son sourire de vieillard ringard.

« Ah, allez. J’ai toujours voulu avoir ce genre de discussion avec lui avant. »

« Quand bien même… », commença-t-elle.

« Quoi, tu n’es pas curieuse aussi ? », dit Paul en la défiant.

Lilia fronça les sourcils : « C’est une question injuste à poser. »

« Alors, qui était ta première partenaire ? Je suppose que c’était Sylphie ? Ou c’était Éris ? Je crois me souvenir que tu as dit que vous vous étiez séparés, mais n’y avait-il vraiment rien entre vous quand c’est arrivé ? »

Apparemment, il voulait se lancer dans une discussion de vestiaire. Une partie de moi se demandait si c’était vraiment approprié, étant donné les circonstances, mais je pouvais aussi comprendre d’où cela venait. Il était probablement lui-même de bonne humeur, puisque c’était la première fois que nous nous voyions depuis un moment. C’est juste qu’il n’avait pas voulu révéler cette facette de lui-même devant tout le monde. J’étais également plutôt heureux de le retrouver.

À partir de demain, nous entrerons dans le labyrinthe. Nous n’aurions plus l’occasion de faire ce genre de choses. Au moins pour ce soir, nous pourrions nous détendre et échanger des histoires de sexe.

« Je me sens assez confiant quand il s’agit de sexe. Tu peux me demander n’importe quoi. Je n’en ai peut-être pas l’air maintenant, mais je m’amusais pas mal quand j’étais plus jeune. », dit Paul.

On dirait que je n’avais pas d’autre choix. J’imagine que j’allais devoir le suivre. J’avais toujours voulu avoir quelqu’un avec qui je puisse avoir des conversations ouvertes sur le sujet.

« Très bien, il y a quelques questions que j’aimerais poser », avais-je commencé.

« Honnêtement, Seigneur Rudeus. Je ne peux pas croire que vous soyez d’accord avec ça. », coupa Lilia, exaspérée

Paul dit alors : « Elle parle comme ça, mais elle est plutôt agressive au lit. »

« Monseigneur ! », dit Lilia en protestant.

« Ah oui, tu as bien dit que c’était elle qui t’avait abordé auparavant. Pourquoi ne pas expliquer cela un peu plus en détail ? », avais-je dit en me souvenant.

« Seigneur Rudeus ! Pourriez-vous tous les deux vous arrêter ? Mon Dieu. »

Lilia jeta un coup d’œil entre nous deux avant de parler, en soupirant. Pourtant, elle avait un sourire sur le visage.

Nous avions continué à parler après cela, jusque tard dans la nuit.

À minuit, nous avions éteint les lumières et nous nous étions installés dans nos lits. Je m’étais demandé si Paul et Lilia étaient déjà endormis. Je pouvais entendre les sons rythmés de leur respiration alors qu’ils étaient allongés tout près. Apparemment, ils n’attendaient pas que je m’endorme pour faire l’amour. Paul avait dit qu’il allait se restreindre jusqu’à ce qu’on trouve Zenith, alors peut-être qu’il tenait vraiment sa parole.

Je n’arrivais pas à dormir, peut-être parce que j’étais un peu excité par notre conversation. Je n’avais jamais rêvé qu’un jour viendrait où je pourrais expérimenter l’échange d’histoires de sexe. La vie était vraiment imprévisible.

Bref, assez parlé de ça. Il était temps de se concentrer sur ce qui se passe actuellement. Peut-être que je dansais vraiment dans la paume de la main de l’Homme-Dieu. J’en avais vraiment l’impression. Maintenant que je m’arrêtais pour y penser, la seule raison qui m’avait permis de mettre la main sur ce livre était due au fait que j’étais allé à l’université. S’il ne m’avait pas dit d’y aller et de faire des recherches sur l’incident de téléportation, je n’aurais jamais trouvé ce livre, et nous aurions dû affronter le Labyrinthe de téléportations sans son aide.

Les mots de l’Homme-Dieu semblaient toujours avoir un sens plus profond, et ceci ne faisait pas exception. Il m’avait dit que je regretterais d’être allé à Rapan et que je devrais me mettre avec Linia ou Pursena. C’était comme s’il avait fait exprès de dire des choses qu’il savait susceptibles de m’énerver. S’il ne m’avait pas dit ça, ou s’il m’avait dit d’aller sur le Continent de Begaritt, il y aurait eu de très fortes chances pour que je sois resté chez moi. J’étais rebelle avec l’Homme-Dieu, et si je relativisais, Sylphie était tout aussi importante pour moi. Bien sûr, je ne me serais pas contenté de fuir mes responsabilités. J’aurais envoyé Ruijerd, Badigadi, ou même Soldat à ma place.

Peut-être que l’Homme-Dieu avait pris tout cela en compte avant d’agir. Après tout, il m’avait envoyé dans cette école pour rassembler tout ce qui était nécessaire au sauvetage de Zenith. Qui était-il, au juste ? Et qu’est-ce qu’il voulait que je fasse ? Se pourrait-il qu’il ait vraiment aimé me regarder ?

Comme d’habitude, je n’avais aucune idée de ce qui se passait dans sa tête. Mais le fait qu’il soit mon allié n’était pas une erreur.

Je m’étais demandé s’il allait réapparaître dans mes rêves cette nuit. Son timing était toujours bien trop parfait. Si les choses se passaient bien cette fois, je devrais lui faire une sorte d’offrande. Je n’avais aucune idée de ses préférences, je ne pouvais donc pas être sûr que cela lui plairait.

Alors que je réfléchissais à toutes ces choses, je m’étais finalement endormi.

L’Homme-Dieu n’était pas apparu dans mes rêves cette nuit-là.

***

Chapitre 3 : Notre entrée dans le labyrinthe

Partie 1

À première vue, le Labyrinthe de téléportations n’était rien de plus qu’une grotte. Il n’avait rien de spécial à l’extérieur, si ce n’est les toiles d’araignée qui recouvraient les murs, grâce aux araignées résidant dans la région. Mais c’était à peu près tout. À part ça, cela ressemblait juste à un trou dans le flanc d’une falaise. Si vous en aviez vu une photo, cela n’aurait probablement pas piqué votre curiosité.

Néanmoins, le voir en personne était tout autre chose. Quelque chose me donnait l’impression qu’un labyrinthe s’y cachait. Une sorte d’aura étrange s’y dégageait, et c’était justement cette aura étrange qui provoquait ma curiosité. Je me demandais si tous les labyrinthes avaient une aura similaire.

« OK, Rudy, on va faire comme on a dit. C’est compris ? »

« Compris », avais-je dit.

Paul me tapa sur l’épaule et hocha la tête.

Nous nous étions mis en formation comme nous en avions discuté la veille, et nous étions entrés. C’était ma première exploration de labyrinthe, mais je n’avais pas ressenti beaucoup d’excitation. Juste le poids de savoir que nous ne pouvions pas nous permettre d’échouer.

« Soyez prudent, mon seigneur », dit Lilia.

« S’il vous plaît, soyez prudent, tout le monde. »

Lilia, Vierra et Shierra retournèrent à la ville à cheval. Lorsque de grands clans pénétraient dans un labyrinthe pour l’explorer, leurs membres de soutien établissaient un camp et attendaient dehors. Heureusement, Rapan n’était qu’à un jour, ou une demi-journée si on était pressé, de distance. Il n’était pas nécessaire qu’elles établissent un camp devant la grotte.

« Eh bien, allons-y. »

Il faisait sombre à l’intérieur, mais pas complètement. Il y avait une faible lueur à l’intérieur. Une si faible visibilité n’était pas idéale. Cela pourrait être fatal.

« Je vais éclaircir les lieux », avais-je dit.

« Vas-y », répondit Paul.

Dès que nous étions entrés, j’avais utilisé le parchemin spirituel que Nanahoshi m’avait donné. Une boule de lumière brillante en jaillit, tournant autour du sommet de ma tête. Geese activa également le même parchemin pour lui-même. Il faisait office d’éclaireur pour nous, il avait donc besoin de sa propre source de lumière.

Ces parchemins pouvaient être utilisés par n’importe qui. Bien sûr, ils dureraient le plus longtemps si quelqu’un ayant une énorme réserve de mana, comme moi, les utilisait, mais apparemment ils ne coûtaient pas beaucoup de mana. Geese et Paul étaient ravis au moment où je leur avais montré les parchemins, disant : « Maintenant, nous n’avons plus besoin de porter des torches ».

Il semblait qu’avoir une main occupée par une torche était vraiment un inconvénient. La lumière de ces esprits était plus brillante qu’une torche, et même quelqu’un avec peu de mana pouvait l’entretenir pendant un certain temps. Si ces parchemins devenaient populaires, les torches pourraient disparaître complètement du marché.

« Paul, ton enfant apporte vraiment des trucs pratiques, hein ? », dit Talhand.

« Je suis fier de l’appeler mon fils pour une bonne raison. »

Paul gonfla sa poitrine, ce qui lui valut un soupir exaspéré de la part du nain.

« Mais tu n’es certainement pas un parent dont il peut être fier. »

« Ah, laisse tomber. Je me sens déjà assez mal comme ça. »

Paul parla dans un demi-soupir, ses épaules s’affaissant.

« Allez, on y va. »

Sous les encouragements de Geese, nous nous étions avancés dans la grotte.

Au premier étage, nous naviguions dans ce qui ressemblait à une fourmilière. Des toiles de soie étaient tendues sur les murs et les plafonds, et plus loin à l’intérieur se trouvait un cercle magique d’où émanait une lumière pâle. L’esprit s’était déplacé au-delà de ce point, éclairant la zone comme une lampe fluorescente.

« Tu as dit d’être prudent parce que certains des cercles magiques ne s’allument pas, correct ? »

« C’est exact, Rudy. Assure-toi de suivre précisément les empreintes de Geese. », dit Paul.

Geese avait une bonne dizaine de pas d’avance sur nous. Il portait une paire de bottes spéciales. Des plaques d’acier en forme de croix étaient montées sur les semelles, laissant des traces en forme de croix partout où il marchait. Il ne s’agissait pas d’un objet magique, mais d’un produit de la sagesse des aventuriers. C’était un équipement pratique qui empêchait le porteur de glisser, tout en laissant une trace dans son sillage.

Il était facile de découvrir les cercles de téléportation au premier étage. Le monstre principal de cet étage était la tarentule conduisant à la mort, mais il y avait une variété d’arachnides beaucoup plus petite et moins mature qui se baladait sur le sol. C’était la principale proie de la tarentule conduisant à la mort. La vue aurait fait s’évanouir une personne arachnophobe. Ce fut au milieu de ces essaims que l’on pouvait apercevoir des espaces complètement vides, de forme circulaire ou carrée. C’étaient les pièges. Si vous posiez votre pied dans cet espace vide pour éviter le crissement des araignées sous vos pieds, vous seriez immédiatement téléporté quelque part.

Ainsi, nous n’avions pas d’autre choix que d’écraser les petites araignées là où nous marchions. Ce n’était pas agréable, mais que pouvions-nous faire d’autre ?

Quant aux bêtes de rang B, les tarentules conduisant à la mort, elles n’apparaissaient pas dans notre passage. De temps en temps, une ou deux apparaissaient, mais dès que Geese les repérait, Paul les éliminait immédiatement. Je n’avais pas besoin de faire quoi que ce soit pour le moment.

« Hah, eh bien, c’est du gâteau. »

Paul avait une épée dans chaque main et marchait d’un pas rapide. Parmi ces deux épées, l’une était la lame qu’il maniait tout le temps chez lui, sa partenaire. Bien qu’elle ne donnait pas l’apparence d’être une arme particulièrement puissante, il était capable de couper proprement en deux les tarentules conduisant à la mort. Mais j’étais convaincu que c’était moins à cause du tranchant de la lame qu’à cause de l’habileté de Paul.

L’épée dans sa main gauche avait une forme que je n’avais jamais vue auparavant : une sorte de lame courte, mais ni assez courte pour être appelée épée courte, ni assez longue pour être appelée épée longue. La garde enveloppait toute la main du manieur. Elle avait une lame légèrement incurvée, à double face. Il y avait un trou au milieu de la lame, probablement pour empêcher les choses de s’y coller.

Cela dit, il n’utilisait pas beaucoup cette arme. Paul se battait généralement avec sa seule main droite. Je m’étais demandé à quoi servait son épée gauche. Ou était-il juste un nerd dans sa forme finale ?

« C’est comme prendre des bonbons à un bébé ! »

Non pas que ce soit pertinent, mais quand il battait quelque chose, Paul me regardait.

Comme c’est ennuyeux. Il voulait probablement montrer à quel point il était cool.

OK, ok, j’ai compris, papa. Tu as l’air cool, mais s’il te plaît ne baisse pas ta garde.

« Paul ! Garde ta tête en avant ! »

Et ouais, c’était ça : Elinalise lui faisait la leçon.

« Allez, c’est bon. On a déjà fait le premier étage des dizaines de fois. Je ne vais pas me planter aussi facilement. », dit Paul

« Baisser ta garde comme ça peut te coûter la vie », avait-elle prévenu.

« Oui, oui, je le sais déjà. »

« En plus, » continua Elinalise, « tu es allé trop loin devant tout ce temps. C’est moi qui suis devant, non ?! »

« C’est le premier étage. Ce n’est pas comme si ça faisait une grande différence. »

Et c’était ainsi que leurs chamailleries commencèrent. J’entendais Talhand derrière moi, qui poussait un soupir en disant : « Beurk, les revoilà. »

« Moi mis à part, c’est la première fois que Rudeus entre dans un labyrinthe, et en tant qu’adulte, tu devrais donner le bon exemple ! »

Paul répliqua : « C’est pour ça que je cherchais une occasion d’engager la conversation avec lui, pour l’aider à se détendre les nerfs. »

« Quelle absurdité ! Tu sembles aussi étourdi maintenant que tu l’étais lorsque Zenith a rejoint notre groupe. », s’était-elle moquée.

« Je ne peux pas dire grand-chose quand tu le dis comme ça. Mais j’aimerais bien savoir ce qui se passe avec toi ? Tu es devenue une vraie casse-pieds. »

« Mais bien sûr que oui. Tu es comme un fils pour moi. Alors je te gronde comme il faut ! », répondit Elinalise d’un ton hautain.

Paul s’esclaffa : « Qu’est-ce qui te prend de me traiter de fils ? Tu as passé tellement de temps avec Rudeus que tu as aussi développé un faible pour moi ? Allez, ça suffit. Le fait que tu t’appelles toi-même ma mère me donne la chair de poule. »

« Oh là là, Rudeus ne t’a vraiment rien dit ? », demanda-t-elle, moqueuse.

« Me dire quoi ? »

« Sylphie est ma petite-fille. Puisque Rudeus l’a épousée, cela fait aussi de lui mon petit-fils. Dans ce cas, en tant que parents de mon petit-fils, toi et Zénith êtes comme des enfants pour moi. »

Paul s’était figé. Lentement, il s’était retourné et marcha à nouveau vers moi. Notre formation étant brisée, tous les autres s’étaient aussi arrêtés.

« Hé, de quoi parle-t-elle, Rudy ? Pourquoi Elinalise prétend-elle que Sylphie est sa petite-fille ? »

Ah, oui. Je ne lui avais pas encore dit, hein ?

« Il se trouve que Laws était le fils d’Elinalise », avais-je expliqué.

Paul avait l’air sceptique : « Laws était quoi ? Il ne m’a jamais dit un mot de tout ça. »

« Eh bien, il s’est passé beaucoup de choses dans le passé, alors il semble qu’il voulait garder l’identité de Mlle Elinalise secrète », avais-je dit.

« Ahh, je vois. Je peux comprendre ça. », dit Paul.

« Plus importants encore, nous devrions continuer tout en faisant attention à ne pas baisser la garde. », dis-je.

« O-oui. »

Paul avait l’air d’avoir compris cette fois. Il était retourné à l’avant-garde, marmonnant en chemin : « Sérieusement ? Elinalise est liée à notre famille maintenant ? Je n’arrive pas à y croire… »

Il semblerait que la nouvelle lui avait fait un sacré choc.

Le premier étage fut un jeu d’enfant. Ils avaient dû parcourir ce chemin de nombreuses fois, comme l’avait dit Paul. Nous avions continué à descendre le couloir, en faisant des pauses de temps en temps, jusqu’à ce que nous débouchions dans une pièce grouillante de tarentules conduisant à la mort. Se débarrasser d’essaims comme celui-ci était mon devoir en tant que mage.

Mais avant que nous n’entrions dans la grande salle, Talhand me donna quelques avertissements.

« Écoute bien : Pas de magie de feu. »

« Pourquoi ça ? »

« Le feu remplit de poison une pièce fermée. Il faut être particulièrement prudent à ce sujet lorsque nous nous enfonçons plus profondément. », expliqua le nain.

« Et la magie de désintoxication ? », avais-je demandé.

« Ça ne marche pas. »

Il faisait probablement référence à l’empoisonnement au monoxyde de carbone. Si vous utilisiez du feu dans un espace clos, il brûlait l’oxygène jusqu’à ce que vous perdiez conscience. Le fait que le feu était par la magie ne changeait rien à ce fait.

« Aussi, ne va pas frapper le plafond avec tes attaques. Tu peux deviner pourquoi, hein ? »

« Parce que ça pourrait détruire la grotte entière ? »

Il hocha la tête : « C’est ça. C’est aussi pour ça que tu ne dois pas utiliser la magie de l’eau. Utilise la glace autant que tu peux. »

« Compris. »

Si vous utilisiez de grandes quantités d’eau, ça détacherait la terre. Quand même, un peu ne devrait pas faire de mal. Je pourrais aussi utiliser la magie de Terre, mais si je ne faisais pas attention, je pourrais finir par utiliser la terre du labyrinthe plutôt que de conjurer la mienne. Si cela perturbait la structure interne de la grotte, cela pourrait déclencher un effondrement. Utiliser le type de magie qui m’avait été recommandé était l’option la plus sûre ici. Ce sera donc la glace.

J’avais donc décidé d’utiliser la magie de glace de niveau avancé Tempête de Blizzard, un sort qui fit tomber des lances de glace. C’était ce que j’avais utilisé pour exterminer les monstres au fond de la pièce un par un, en faisant attention à ne pas toucher Paul et les autres.

« Oho, tu es vraiment l’apprentie de Roxy. Tu utilises aussi la même magie », je pouvais entendre Talhand marmonner derrière moi. Apparemment, Roxy utilisait aussi le même sort. Ça me fit plaisir de l’entendre.

« Et pas non plus d’incantations. Je comprends pourquoi elle est si fière de toi. »

Ces mots firent gonfler mon ego de fierté alors que nous éliminions les dernières araignées et allions de l’avant.

***

Partie 2

Nous avions dépassé les nids d’araignées et avions sauté sur le cercle de téléportation situé plus loin. Il nous avait conduits au fond d’un passage, vers un autre nid d’araignées. Nous avions déjà répété ce processus cinq fois depuis que nous étions entrés dans ce lieu. À chaque fois, nous avions soigneusement recoupé les cercles avec ce qui était écrit dans le livre. Les autres avaient déjà cartographié où menait chaque cercle de téléportation au premier étage, mais cette vérification nous permit de vérifier l’exactitude du livre. Nous avions comparé la forme, la couleur et les caractéristiques des cercles, et une fois que nous avions été convaincus que tout correspondait au livre, nous avions poursuivi notre route.

Il avait fallu environ une heure pour arriver à chaque cercle magique. Comme nous l’avions déjà fait cinq fois, cela signifiait qu’environ cinq heures s’étaient écoulées. La dernière zone du premier étage était une pièce recouverte de toile, au fond de laquelle se trouvaient deux cercles alignés ensemble. Leur couleur était un peu plus intense que celle des autres que nous avions vus, et ils étaient aussi plus grands. Le bleu plus foncé menait à l’étage suivant, mais il y avait un cercle jumeau de la même forme juste à côté.

Pour les non-initiés, l’un ou l’autre pourrait être le vrai. Pourtant, il y avait un rocher avec un cercle inscrit dessus placé juste avant l’un des cercles. C’était quelque chose que Geese avait laissé derrière lui comme un signal pour signifier que c’était le bon. Une fois que nous avions référencé le livre et confirmé que tout était correct, nous avions sauté dessus.

De là, nous étions passés au deuxième étage.

Au deuxième étage, les araignées sur le sol disparurent et les nids de tarentules furent sévèrement réduits. On pouvait vraiment voir le sol maintenant. Au lieu des araignées, nous avions maintenant un énorme monstre, la Chenille d’Acier, qui se faufilait partout. Elle mesurait un mètre de haut et deux mètres de long, ce qui lui donnait un aspect plutôt court et robuste. La chose la plus proche à laquelle je pouvais la comparer était les Ohmu de Nausicaä. Comme leur apparence le suggérait, ces créatures étaient dures et robustes, mais contrairement à leur apparence, elles étaient plutôt rapides. Leur vitesse me faisait penser moins à une chenille qu’à un mille-pattes.

De plus, elles étaient copines avec les araignées, ces dernières lançant des toiles par l’arrière tout en utilisant les chenilles comme bouclier. Une fois que vous étiez pris dans ces toiles, la lourde chenille vous piétinait.

Les Chenilles d’Aciers étaient si résistantes que même Paul ne pouvait pas les vaincre en un seul coup. C’était là que j’intervenais. Je pouvais libérer deux types de magie en même temps pour frapper les Tarentules conduisant à la Mort à l’arrière avec mon Blizzard, puis vaincre les Chenilles de Fer une par une avec mon Canon de Pierre pendant que Paul et Elinalise les occupaient. Apparemment, les Chenilles étaient assez résistantes pour repousser un canon de pierre normal, mais je n’avais eu aucun problème à cet égard, car mes canons les traversaient. Mais comme c’étaient des insectes, si je ne les touchais pas correctement et ne les tuais pas à l’impact, elles commençaient à se tordre de douleur et à se débattre.

« Je n’ai rien à faire, hein ? »

Pendant que je travaillais assidûment, Talhand se plaignait de s’ennuyer. Il était en attente à côté de moi, juste au cas où. Pour s’assurer que ses services n’étaient pas requis, nous nous conduisions tous, Geese inclus, de la manière la plus prudente possible. Ainsi, à partir de maintenant, il n’y avait rien à faire pour Talhand.

C’était une bonne chose. Au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les profondeurs, il était réconfortant de savoir que nous avions encore de la puissance de feu en réserve si cela devenait nécessaire.

Les tarentules conduisant à la mort crachaient leurs toiles sur nous. Je pensais que les tarentules ne faisaient pas de toiles d’araignée, mais ces gars-là étaient clairement différents. Leurs toiles venaient parfois droit sur moi, mais j’étais capable de les éviter grâce à mon œil de démon. Même si l’une d’entre elles me frappait, ce ne serait ni douloureux ni gênant, puisque je pouvais simplement utiliser la magie du feu pour m’en sortir.

« Gah, putain ! », grommela Paul.

Elinalise semblait d’accord : « Ugh, ces trucs sont tellement collants. »

Cela dit, l’avant-garde n’avait pas pu esquiver toutes les toiles, si bien qu’ils étaient tous les deux couverts de toiles.

« Tiens, prends ça. Mais ne le gaspille pas, tu entends ? », dit Geese.

Je pouvais les brûler pour m’en sortir, mais il avait apporté un liquide pour dissoudre les toiles, que les autres diluaient avec de l’eau et utilisaient. Il m’avait dit que c’était un remède unique, populaire sur le continent de Begaritt, et qu’il ne causait aucun dommage corporel. Bien qu’il ne soit pas dangereux, Elinalise s’était plainte de l’irritation de sa peau. C’était presque comme un détergent.

Je devrais peut-être en ramener chez moi pour essayer de faire la vaisselle avec, avais-je pensé.

« OK, faisons une petite pause ici. »

Geese nous appela après avoir fini de nous battre, et nous nous étions posés là où nous étions. Talhand et Elinalise s’étaient immédiatement levés pour monter la garde.

Paul avait immédiatement enlevé son armure et sa ceinture, puis commença à frotter le sang de bête qui les éclaboussait. Il essayait d’accélérer la vérification de son équipement dans le court laps de temps alloué pour notre pause. Le fait de voir à quel point ses mains étaient exercées me rappela qu’il était un pro dans ce domaine.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ferais mieux de te dépêcher aussi, Rudy. »

« Oh, oui. »

Après avoir reçu une réprimande sévère, j’avais porté mon attention sur mon propre équipement. Il n’y avait pas grand-chose à inspecter, vu que je tirais ma magie à distance.

Cela mis à part, Paul était terriblement calme. Au premier étage, il venait me voir quand on faisait des pauses, me demandant : « Alors, qu’est-ce que tu en penses ? » et des trucs comme ça.

Je suppose que c’était à prévoir, puisque c’était le deuxième étage, mais mon père « cool » était devenu soudainement sérieux.

« Tch, ce satané truc ne veut pas s’enlever. »

Paul commença à jurer en essayant désespérément de frotter les fluides corporels, ou quoi que ce soit d’autre, collés à son armure.

« Pourquoi n’essaies-tu pas le médicament que Monsieur Geese vient d’utiliser ? », avais-je dit.

« Celui pour enlever les toiles ? »

Malgré cela, il en appliqua sur son chiffon et reprit son frottement furieux. Après qu’il le fit, l’armure était redevenue d’un blanc étincelant, comme dans les publicités pour l’eau de Javel ! D’accord, ce n’était pas un blanc éclatant — c’était une armure, après tout — mais au moins elle était propre maintenant.

« Oh, c’est parti ! Merci ! »

« Ce n’est rien. »

C’était bien du détergent. En acheter un paquet avant de rentrer pourrait rendre Sylphie plutôt heureuse. Si cela était possible, ça ne me dérangerait pas de l’utiliser dans la maison.

Paul rééquipa son armure dès qu’il eut fini de la nettoyer. Il dégaina ensuite son épée et se dirigea vers Elinalise. J’avais envisagé de me déconnecter moi-même avec Talhand, mais la voix de Geese m’arrêta.

« Patron, ne t’inquiète pas pour la vigie. »

« Tu es sûr ? »

« C’est bon. Ce vieil homme n’a pratiquement rien fait. D’ailleurs, il y a quelque chose qui se prépare et j’aimerais avoir votre avis. », dit-il.

« Je peux vraiment remplacer mon père sur ce sujet ? »

« Bien sûr. Vous êtes de toute façon bien plus intelligent que lui. », dit Geese avec désintérêt, sortant le livre et deux cartes de son sac.

Il étala les cartes côte à côte. L’une était magnifiquement dessinée, tandis que l’autre n’était encore que partiellement achevée.

« Nous serons bientôt au troisième étage. Ici, juste là, c’est là que Roxy fut séparée de nous. Si on se fie au livre et si on a de la chance, elle devrait encore être dans le coin. »

« Très bien. »

D’après le livre, les pièges de téléportation n’envoyaient les gens que dans des zones situées au même étage. Même s’il s’agissait d’un piège aléatoire, il ne vous transportait pas soudainement devant le boss du dernier étage. Roxy s’était téléportée au troisième étage. Nous n’avions aucune idée si le cercle sur lequel elle avait marché était un cercle de téléportation aléatoire ou un cercle à destination fixe, mais si elle était encore en vie, il y avait de fortes chances qu’elle soit au troisième étage. Si la chance lui souriait, elle aurait même pu atteindre le deuxième ou le premier étage.

Cependant, elle avait déjà traversé ces étages de nombreuses fois. Et vu la force de Roxy, si elle avait pu atteindre le deuxième étage par ses propres moyens, elle aurait déjà quitté le labyrinthe. Il était difficile d’imaginer qu’elle irait plus loin au quatrième étage.

« Il n’y a pas de magie qui peut aider à la trouver, n’est-ce pas ? », demanda Geese.

« Non, il n’y en a pas. »

J’avais essayé de penser à un moyen d’utiliser les sorts à ma disposition pour essayer de la retrouver, mais rien ne m’était venu à l’esprit sur le moment.

« Patron, utilisez votre intuition pour ça. Où pensez-vous que Roxy pourrait être ? »

« Mon intuition, hein ? »

J’avais alors caressé mon menton.

« On ne peut pas se permettre de passer tout ce labyrinthe au peigne fin. Donc si on doit la chercher, on va avoir besoin d’intuition. », dit Geese.

« D’accord, alors pourquoi pas cette zone ? »

Pour le plaisir, j’avais choisi au hasard une des zones vides sur la carte inachevée.

« À l’est de l’endroit où elle s’est téléportée, hein ? OK, alors commençons les recherches là-bas. »

Il était tout aussi désinvolte dans sa réponse. J’avais l’impression que se diriger vers l’est était la manière la plus efficace de procéder. Après tout, personne dans notre groupe n’avait les capacités d’analyse nécessaires pour la localiser. Et nous devions de toute façon fouiller les zones qu’ils n’avaient pas encore explorées.

« Franchement, sans Roxy, on n’a même pas pu atteindre le deuxième étage. Tout ça grâce à vous, patron. Ces Chenilles d’Aciers sont de méchantes bêtes. »

« J’en suis sûr. »

Les monstres de ce labyrinthe étaient résistants à l’école de magie préférée de Talhand. Paul était le principal responsable des dégâts du groupe, mais s’il était pris dans les toiles, il ne pouvait pas couvrir complètement leur front. Vierra n’était pas très fiable non plus, et elle ne pouvait pas couvrir les autres personnes aussi bien qu’Elinalise. Pour passer par ici, il fallait quelqu’un qui puisse utiliser la magie de glace ou de feu. Ce n’était pas étonnant qu’ils soient coincés sans Roxy. En fait, c’était un miracle qu’ils aient pu s’en sortir sans elle.

« Je pensais que nous pourrions nous débrouiller d’une manière ou d’une autre, mais il n’y a pas beaucoup de magiciens dans cette région, et pas un seul qui ait le cran de défier le Labyrinthe de Téléportation. »

Geese avait apparemment essayé de trouver une solution par lui-même. Maintenant que j’y pensais, il avait tenté de recruter quelqu’un quand on l’avait vu pour la première fois dans la guilde. Ça n’avait pas l’air de s’être bien passé.

« Il semble que nous vous ayons causé beaucoup d’ennuis, Monsieur Geese. »

« Eh, ne vous inquiétez pas pour ça. De plus, je vous ai dit de m’appeler “le bleu”, n’est-ce pas ? Vous me donnez la chair de poule quand vous parlez poliment comme ça. »

« Compris, le bleu. Je te présenterai à une gentille fille singe quand ce sera fini et tu pourras lui demander d’arracher les puces de ton dos. »

« Ooh, pas mal, puisque je ne peux même pas aller dans les quartiers pour adultes ici. »

Il fit alors une pause : « Hé, attendez ! Qui vous traitez de singe ?! »

Il y avait beaucoup de choses dont je voulais discuter avec Geese, mais j’en restais là pour l’instant.

Après ça, Geese et moi avions confirmé la route que nous allions prendre. La carte qu’il avait créée était facile à comprendre. Comparé au premier étage, parfaitement cartographié, il y avait plusieurs sections manquantes sur cette carte du deuxième étage. Roxy et Zenith ne seraient pas dans l’une de ces sections ? Continuer sans les vérifier me mettait un peu mal à l’aise, mais nous devions atteindre le troisième étage. Le meilleur endroit pour chercher n’était pas le plus proche, mais plutôt l’endroit où Roxy avait le plus de chances de se trouver.

« Geese, on est où en ce moment ? »

Elinalise s’était soudainement insérée dans la conversation.

Geese répondit en désignant un point sur la carte.

« Nous sommes à peu près ici en ce moment. »

« Alors on va bientôt dépasser le deuxième étage. »

« Oui, mais on aura toujours ces araignées et ces vers qui apparaîtront. »

« Des monstres qui changent de formation en cours de route. C’est certainement un labyrinthe désagréable », dit-elle.

« Tu peux le dire encore une fois », approuva Geese.

Elinalise passa une main sur ses cheveux. Ses fières boucles habituelles avaient l’air quelque peu négligées.

« Au fait, Geese, pourquoi tu appelles Rudeus “Patron” ? »

« Heh heh. Nous avons appris à nous connaître dans une prison de Doldia. »

« Une prison de Doldia ? Tu veux dire celle dont Ghislaine nous parlait ? Comment cela a-t-il pu se produire ? », avait-elle demandé.

« Je t’en dirai plus en rentrant à la maison. »

Geese avait souri et en était resté là.

Penser à la cellule de Doldia me rappelait des souvenirs. J’avais fait l’expérience de la vraie liberté à l’époque. Néanmoins, je ne pouvais plus me promener nu comme ça. Bon, d’accord, sauf au lit.

Et vu que je pouvais me permettre d’avoir des pensées de ce genre, cela montrait bien que je n’étais manifestement pas trop nerveux.

Ainsi donc, notre groupe était arrivé au troisième étage. Cela faisait probablement dix heures que nous étions entrés. Nous avancions assez rapidement.

« Je pensais qu’il nous faudrait plusieurs jours pour aller aussi loin. »

« Ce serait le cas si nous n’avions pas de carte », dit Paul en réponse à ma remarque désinvolte.

Tout cela était logique. Se lancer à l’aveuglette était bien différent que de suivre une carte.

Il n’y avait plus de petites araignées sur le sol. De temps en temps, nous découvrions une toile accrochée au mur, mais il y avait peu de signes de vie. Au lieu de cela, je pouvais sentir quelque chose de troublant dans l’air, rayonnant des profondeurs de la grotte.

Les choses sérieuses allaient commencer ici. D’abord, nous devions trouver Roxy.

« … »

Juste à ce moment-là, son odeur familière s’était répandue dans l’air. Non, ce n’était pas mon imagination. C’était vraiment son odeur, sa présence que je sentais. Je ne me tromperais pas. Je pouvais sentir mon cœur s’emballer.

Elle était ici. J’en étais certain.

***

Chapitre 4 : Perspective émotionnelle

Partie 1

Roxy

J’avais entendu un petit bruit et mes yeux s’étaient ouverts. Tout ce qui m’entourait était sombre et étroit. Oui, c’est vrai, cet endroit était étroit. Après avoir été téléportée de nombreuses fois, ce fut ici que j’étais arrivée, dans un espace pas plus grand qu’un berceau. Il y avait juste assez de place pour qu’un seul humain, ou peut-être deux, puissent s’allonger. Le plafond était aussi bas, à peine plus haut que ma tête.

Tant que je me trouvais dans cette petite zone exiguë, aucun monstre ne pouvait venir s’y téléporter. Je m’étais assise au bord de l’espace et m’étais appuyée contre le mur, regardant ce qui se trouvait devant moi.

Un cercle magique, émettant une lumière pâle. Un cercle de téléportation. Si je posais un seul pied dessus, il m’enverrait quelque part. Très probablement dans l’antre d’un monstre. Dans un endroit grouillant de dizaines de monstres. Vers ma mort.

Il y avait un mois à peine, j’avais trébuché. Je pouvais trouver l’excuse que ce n’était pas ma faute; j’esquivais une attaque dirigée vers moi, je reculais d’un pas, quand j’avais trébuché sur un rocher. J’avais perdu l’équilibre et mon pied tomba sur un cercle magique. Et bien que j’avais passé en revue l’emplacement des pièges avant de nous lancer dans la bataille, j’avais quand même facilement marché sur l’un d’eux.

L’endroit où je fus téléportée grouillait de monstres. Il y en avait vingt, non, trente. J’étais une magicienne, et une assez bonne magicienne si je pouvais me permettre. Je ne pouvais pas lancer des sorts sans incantations, mais je pouvais les raccourcir, ce qui me permettait de lancer la magie plus rapidement que la plupart des autres mages. Faire face à des ennemis en grand nombre n’était pas nouveau pour moi. Même si j’étais encerclée, je n’avais pas paniqué. Je n’avais pensé qu’à éradiquer mon ennemi, et c’était ce que j’avais fait.

Mais peu importe combien j’en avais vaincu, ils continuaient d’arriver. Monstre après monstre, à perte de vue.

Les bêtes de ce labyrinthe savaient exactement où menaient les cercles de téléportation. C’était après tout leur repaire. Les pièges avaient été posés pour que les bêtes puissent se régaler sur les aventuriers sans méfiance. J’étais prête à mourir.

Je les avais tous vaincus, mais mon mana n’était pas infini. Je finirais par en manquer. Je savais que ce serait fini à ce moment-là. Même si mon mana diminua à vingt pour cent, la vague d’ennemis ne cessa pas. Les corps s’accumulaient, mais de nouvelles bêtes se pressaient.

J’étais complètement coincée. Les secours n’arrivaient pas. Peut-être m’avaient-ils abandonnée. Si j’étais à leur place, je ne prendrais pas non plus la peine de sauver une empotée comme moi. Peu importe la quantité de mana que vous aviez, si vous étiez assez folle pour marcher sur un piège, vous n’étiez qu’un poids mort.

Non, j’étais sûre qu’ils n’étaient pas du genre à m’abandonner. Peut-être que lorsque j’avais activé le piège, ils s’y étaient également laissés prendre et que nous nous étions tous retrouvés à des endroits différents. Ou peut-être qu’ils manquaient de force de combat en mon absence, et qu’ils avaient dû se retirer temporairement.

Quoi qu’il en soit, l’aide ne venait pas.

Même si je sentais les larmes menacer de couler, je me battais désespérément. Même si je sentais que mon mana commençait à diminuer.

Ce fut alors que j’aperçus une lumière : six cercles magiques contenus dans une pièce spacieuse. Des monstres apparaissaient dans tous les cercles sauf un. Peut-être était-ce parce qu’il n’y avait pas de monstres à l’autre bout.

Je devais choisir, ou mourir. J’avais utilisé le reste de mon mana pour vaincre la horde, puis j’avais sauté sur le cercle, ce qui m’avait amenée là où j’étais actuellement assise.

D’une manière ou d’une autre, j’avais réussi à survivre. Ma chance ne m’avait pas quittée.

Je pouvais faire autant d’eau que nécessaire avec la magie, et j’avais de la nourriture dans mon sac à dos. Je pourrais récupérer mon mana ici et ensuite trouver un moyen de m’échapper. Avec cette pensée en tête, j’avais passé le reste de ma journée là-bas.

Le jour suivant, j’avais marché sur le seul cercle magique de la pièce. L’endroit où il m’avait emmenée était un passage qui ne m’était pas familier. Apparemment, c’était un téléporteur aléatoire.

Je ne pouvais sentir personne dans les environs. J’avais cartographié la zone par moi-même et j’avais continué à avancer, avec l’intention de m’échapper de ce labyrinthe. J’avais envisagé d’attendre de l’aide, mais il était possible que Paul et les autres aient été éliminés eux aussi. Les pièges de téléportation aléatoires étaient juste mortels.

Je m’étais faufilée dans les tunnels, découvrant d’autres cercles de téléportation. J’avais laissé un symbole sur le sol à proximité pour moi et j’avais sauté dessus. Une fois de plus, j’avais été téléportée dans un passage inconnu. J’avais répété ce processus de nombreuses fois, le Labyrinthe de téléportations était conçu pour qu’il soit impossible d’aller quelque part sans faire quelque chose. J’avais fait attention à ne pas marcher sur des pièges, en faisant attention aux cercles qui pourraient être cachés sous des rochers, tout en continuant à avancer.

Je n’avais aucune idée si j’avançais ou si je retournais simplement sur mes pas. Il était impossible de s’orienter dans ce labyrinthe. Ça ne servait donc à rien de se fier à son sens de l’orientation ici. J’étais anxieuse, mais malgré tout, je devais continuer. Mes réserves de nourriture ne tiendraient pas éternellement, ni mon esprit. J’avais donc vaincu des monstres, mangé leur viande et continué.

Et pourtant, après m’être téléportée un nombre incalculable de fois, j’avais été de nouveau envoyée dans un repaire de monstres. J’avais combattu férocement, et j’avais trouvé un autre cercle d’où aucune bête n’était apparue.

Ce fut ainsi que j’étais revenue dans ce petit espace exigu. Combien de fois avais-je répété le cycle à ce stade ? Cinq fois, dix fois ? Le cercle devant moi m’envoyait toujours dans un endroit différent lorsque j’y mettais le pied, mais au final, je revenais toujours ici. Mon cœur et mon esprit étaient à leur limite. Mon corps était, sans surprise, épuisé. Selon mon horloge interne, environ un mois s’était écoulé.

Un mois et aucun progrès. Je ne faisais que tourner en rond.

Les combats n’étaient pas faciles non plus. J’avais été frappée un nombre incalculable de fois, et je me sentais défaillir à cause de la perte de sang. À un moment donné, les bêtes avaient commencé à essayer de bloquer le cercle pour que je ne puisse plus m’échapper. Malgré leur apparence, ces monstres étaient très intelligents. Il me faudrait tout ce que j’avais pour les percer.

Mes articulations me faisaient mal. Je n’avais plus de nourriture. Les monstres étaient durs et avaient un goût affreux. Leur chair était si toxique qu’il fallait utiliser la magie de désintoxication pour la manger, et je pouvais sentir que cela érodait mon endurance. La seule chose qui me restait en abondance était le mana.

Je me sentais complètement coincée. Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer ensuite. S’il y avait plus d’ennemis la prochaine fois, ou s’ils coordonnaient mieux leurs attaques, ils me déchireraient membre par membre et me dévoreraient une fois que j’aurais utilisé le reste de mon mana. Et même si j’étais assez chanceuse pour les dépasser, je me retrouverais ici.

Ces seules pensées m’avaient empêchée de remettre les pieds sur le cercle. Les bêtes avaient probablement remarqué ma présence. Elles savaient que j’étais ici, dans cet espace exigu. Elles savaient aussi que si j’utilisais le cercle devant moi, je me retrouverais directement dans leur repaire. J’étais sûre qu’ils attendaient ça. Ils attendaient anxieusement que je fasse une erreur fatale à cause de mon épuisement.

Je pouvais le sentir. Il n’y aurait pas de prochaines fois.

Pour la première fois, j’avais pris conscience de la mort.

Mon cadavre ne serait jamais retrouvé. Les bêtes ne laisseraient rien de moi. Je mourrais, et il ne resterait aucune preuve de mon existence.

C’était terrifiant. J’étais terrifiée. Avant de m’en rendre compte, je grinçais des dents. Poussée par l’envie de crier, j’avais serré mon bâton très fort.

J’avais vu la mort d’innombrables fois auparavant. En tant qu’aventurière, j’avais vu des gens mourir sous mes yeux. J’avais vu des monstres couper des guerriers robustes en deux aussi facilement que s’ils coupaient du beurre. J’avais vu de sages magiciens écrasés comme des tomates pourries. Des voleurs habiles et des épéistes rapides avaient été abattus devant moi.

Quand j’étais témoin de leur mort, je savais au fond de moi que ce serait mon tour un jour. Et pourtant, je croyais en même temps que j’étais capable de m’en sortir. Mais maintenant, face à la perspective très réelle de la mort, j’étais terrifiée.

Je n’avais toujours rien accompli. Il y avait encore tellement de choses que je voulais faire. J’avais un rêve. C’est vrai, un rêve. Je voulais devenir professeur. J’aimais enseigner aux gens. Je n’avais aucun talent pour ça, mais j’aimais ça. C’était pourquoi, une fois que tout serait terminé et que nous aurions sauvé Zenith, j’avais prévu de passer l’examen de professeur à l’Université de magie pour devenir professeur.

Mon maître, celui avec qui je m’étais disputée avant de partir, était à l’Université de Magie. Nous finirions peut-être par nous chamailler à nouveau, mais j’avais le sentiment que nous nous entendrions mieux maintenant. Il aimait être le centre d’attention, et le fait qu’il soit promu vice-principal pendant mon absence ne me surprendrait pas.

Je voulais goûter à un bonheur normal. Si je devenais professeur, je pourrais même me marier. Je pourrais tomber amoureuse d’un homme, l’épouser, et partager des nuits passionnées ensemble. En tant que démon, j’avais le petit corps trapu d’un enfant, mais malgré tout, je devais avoir une chance.

« Hah. »

Un rire d’autodérision s’échappa de mes lèvres. Je n’arrivais pas à croire que je me laissais aller à de tels fantasmes, même dans ces circonstances.

J’étais sur le point de mourir. Aucun de mes rêves n’allait se réaliser. Ma mort serait misérable. Il n’y avait personne pour me sauver maintenant. Je n’avais jamais entendu dire que quelqu’un dans une situation similaire avait été sauvé auparavant.

Je ne veux pas mourir, avais-je pensé.

J’avais fait un pas sur le cercle, parce que je voulais vraiment vivre.

Mon instinct était correct. J’avais été téléportée dans un passage inconnu, où j’avais laissé des symboles pour marquer des cercles non encore découverts. J’étais passée par de nombreux autres cercles, puis, comme si c’était prédéterminé, je m’étais retrouvée dans l’antre d’un monstre.

J’avais su au premier coup d’œil que c’était impossible. Les bêtes avaient entassé les corps de leurs congénères morts pour bloquer mon chemin de fuite, et il semblerait que l’espace à l’autre bout du cercle était trop exigu pour que les monstres, ou leurs cadavres puissent se téléporter. Je n’avais pas d’autre choix que de dégager le chemin si je voulais l’utiliser pour m’échapper.

« En faisant face à cette horde ? » m’étais-je demandé.

Ils étaient disposés en une formation impeccable, ramifiée autour de la montagne de cadavres qui bloquait ma fuite, la protégeant. La Chenille d’Acier directement devant moi bougeait comme s’il était dédié à la défense, tandis que les tarentules derrière elle commençaient à cracher leurs toiles pour bloquer mes mouvements. Encore plus loin, une grande forme humaine recouverte de boue — un Crâne de Boue — lançait des pierres dans ma direction.

Ils ressemblent presque à une armée, m’étais-je dit en commençant à tisser ma magie.

« Enveloppe-moi dans la magnifique armure de la terre. Forteresse terrestre ! »

J’avais créé un bouclier de terre autour de moi. Il s’était enroulé autour de moi, couvrant mon corps jusqu’à ma tête dans une forme de dôme. J’avais coupé le sort avant qu’il ne consume complètement mon corps. Tant qu’il s’élevait jusqu’à mon coup, il était suffisant pour empêcher la chenille de fer de charger.

« Disperse les gouttelettes qui tombent, recouvre le monde d’eau. Cascade d’eau ! »

D’innombrables sphères de liquide se formèrent autour de moi, se transformant en balles qui fusèrent dans l’air. C’était un sort extrêmement faible, adapté seulement pour les empêcher temporairement de bouger. Sachant cela, j’avais immédiatement commencé l’incantation suivante.

« Déesse bleue, descendant des cieux, brandis ton bâton et couvre ce monde de givre ! Champ de glace ! »

***

Partie 2

Les gouttelettes d’eau qui avaient auparavant plu sur le visage des créatures crépitaient maintenant en gelant. Il s’agissait de Nova de givre, une combinaison des sorts Cascade d’eau et Champ de givre, et elle gelait toute la ligne de front de l’ennemi sur place. À partir de là, j’avais continué à les bombarder de ma magie.

« Roi du givre, chef suprême des terres arctiques, souverain enveloppé de blanc dont le froid glacial dérobe toute chaleur. Gèle ton ennemi, ô roi glacial qui gouverne la mort ! Blizzard ! »

J’avais terminé mon incantation raccourcie. J’utilisais généralement ce sort pour libérer des lances gelées autour de moi, mais là, elles se déployaient radialement, survolant ceux que j’avais gelés et embrochant les bêtes qui les attendaient. Je n’allais pas vraiment vaincre la ligne de front, c’étaient des statues gelées qui serviraient de mur entre moi et le reste de leurs semblables pendant que je martelais ceux qui étaient derrière eux avec ma magie avancée.

C’étaient les mêmes tactiques que j’avais utilisées lorsque j’avais traversé le labyrinthe près de Shirone. Elles garantissaient la victoire. Cependant, dès que ceux de l’arrière étaient morts, d’autres monstres affluèrent à travers les cercles magiques de la pièce, passant juste à côté de leurs camarades morts. L’endroit s’était à nouveau rempli de bêtes en un clin d’œil.

Mon cœur débordait aussi, mais de désespoir.

« Je suppose que c’est vraiment sans espoir. »

Si je ne déplaçais pas ces cadavres, je n’arriverais pas à sortir d’ici. Mais il y en avait trop pour que je puisse m’en occuper seule.

« Grr ! »

Des Crânes de Boue lancèrent des rochers sur moi à distance. Ils avaient déjà fait voler en éclats une partie de ma forteresse terrestre, et les Chenilles d’Acier, très lentes, s’approchaient.

Un frisson me parcourait l’échine. Je pouvais sentir une sueur froide arriver.

« Prends ta lame brûlée et transperce ton ennemi ! Tranche de flamme ! »

Une épée enflammée vola dans l’air, brûlant la carapace du ver. La créature se tordit de douleur avant que la mort ne l’emporte.

Les Chenilles d’Aciers étaient vulnérables au feu. Utiliser la magie du feu dans une grotte pouvait signer son propre arrêt de mort, mais malgré cela, je n’avais pas le choix.

« Enveloppe-moi dans la magnifique armure de la terre. Forteresse terrestre ! »

Une fois de plus, j’avais créé un mur de terre. Mon mana diminuait, et je commençais à paniquer. Que dois-je faire ? Comment étais-je censée sortir d’ici ?

Réfléchis, m’étais-je dit.

Je m’étais creusé la tête, même si je continuais à lancer de la magie et à faire exploser mes ennemis. Mais rien ne me venait à l’esprit. Étais-je piégée ? Était-ce la fin ? Allais-je vraiment mourir ici ? Mon corps s’était mis en mode pilote automatique, détruisant mes ennemis pour moi tandis que je nourrissais ces pensées.

« Ah ! »

Mes pieds trébuchèrent. Mon esprit était confus. Je pouvais sentir mon mana se vider. Il ne me restait plus que quelques sorts en moi avant de m’évanouir.

« Non… »

J’avais resserré ma prise sur mon bâton.

Je ne voulais pas mourir. Je ne voulais pas mourir.

J’avais senti ma vie entière défiler devant moi.

Mon premier souvenir était celui du regard déçu de mes parents lorsqu’ils avaient réalisé que j’étais la seule personne de notre village tranquille qui ne pouvait pas converser mentalement avec quelqu’un d’autre. Ils m’avaient appris à parler parce qu’ils avaient pitié de moi.

Quant à la magie… J’avais commencé à apprendre la magie après qu’un magicien itinérant soit passé par notre village et m’avait laissée une profonde impression. Équipée d’un niveau de base en magie de l’eau, j’avais quitté mon village pour rencontrer les trois garçons qui allaient former mon premier groupe. Nous étions devenus des aventuriers et avions voyagé ensemble pendant plusieurs années, jusqu’à la mort de l’un d’entre nous et la dissolution du groupe.

J’étais alors partie pour le Continent Central, où j’avais rencontré de nombreuses personnes, et j’avais découvert l’Université de Magie, où je m’étais inscrite. C’était la première fois que je suivais des cours formels, et cela avait eu un impact durable. J’avais obtenu de bonnes notes, j’étais talentueuse et j’avais accompli beaucoup de choses, ce qui m’avait valu la jalousie de mon entourage. Au dortoir, mon ami et moi nous prélassions au lit, parlant de toutes sortes de choses.

J’avais rencontré mon maître après plusieurs années passées là-bas. C’est lui qui m’avait appris la magie de l’Eau de niveau Saint. Je l’avais apprise si facilement que je l’avais laissée me monter à la tête. Mon maître me gronda, ce qui me mit en colère, j’avais alors obtenu mon diplôme et j’étais parti sans lui dire un mot.

Après cela, j’étais partie pour la capitale du Royaume d’Asura, certaine qu’une personne aussi exceptionnelle que moi pourrait y trouver du travail. J’avais tort. Incapable de trouver un emploi, j’étais allée à la campagne, mais je n’avais pas non plus trouvé de travail. Je ne savais plus quoi faire au moment où j’avais trouvé une annonce de recrutement pour être professeur à domicile.

C’était ainsi que j’avais rencontré Paul et sa famille, y compris Rudy. Observer les nombreux ébats amoureux de Paul me titillait, le talent de Rudy me choquait. J’étais jalouse, mais je ressentais aussi un respect croissant pour lui, car, contrairement à moi, il ne s’était pas laissé aller. Avant de partir, je lui avais appris la magie de l’eau de Niveau Saint.

J’avais ensuite commencé à fouiller dans un labyrinthe près du Royaume de Shirone. Le Royaume de Shirone m’avait engagé pour enseigner la magie au Prince Pax une fois que j’aurais terminé, une tâche qui m’avait rappelé une fois de plus à quel point Rudeus était extraordinaire, ainsi que le peu de talent que j’avais en tant que professeur. Puis la lettre de Rudy arriva, me faisant travailler sans relâche à la rédaction d’un manuel sur la langue du Dieu Démon pour lui. Lorsque mon travail était devenu trop dégoûtant pour être supporté, j’avais quitté le Royaume de Shirone.

Ce fut alors que j’ai appris l’existence de l’incident de Téléportation. J’avais rencontré Elinalise et Talhand, deux personnes au comportement si effréné que j’en avais été choquée. Nous étions partis ensemble pour le Continent Démon, où j’avais retrouvé mes parents et confirmé qu’ils m’aimaient vraiment. Puis j’avais rencontré Kishirika. Et puis, après ça…

Tous ces souvenirs traversèrent mon esprit en un instant. Une Chenille d’Acier se dirigeait vers moi. En raison de ma magie du feu, la pièce s’était réchauffée, et les effets de la Nova de Givre se dissipaient.

Je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir ! Non !, avais-je crié dans ma tête.

« Non, nooooon !!! »

J’avais balancé mon bâton en vain. Des toiles volèrent vers moi, s’enroulant autour de lui. En quelques instants, il avait été arraché de ma main.

« Je ne veux pas mourir, s’il vous plaît, quelqu’un, n’importe qui, aidez-moi… ! »

J’avais fait un pas en arrière, mais il n’y avait qu’un mur derrière moi. La Chenille d’Acier arrivait. Non, pas une, plusieurs.

Il n’y avait plus rien à faire pour moi. J’allais être mangée vivante, n’est-ce pas ? Non, tout sauf ça.

« Quelqu’un, s’il vous plaît… »

Oh. La Chenille d’Acier était déjà…

J’avais fermé les yeux face à l’avancée de la chenille.

Je suppose que je ne pourrai plus voir ma mère et mon père.

C’est la dernière pensée que j’eus.

*****

J’avais attendu un peu, mais la fin n’était jamais arrivée. Peut-être que j’étais morte sur le coup. Peut-être que c’était déjà fini. Non, ce n’était pas possible… Mais je n’entendais rien. Était-ce l’au-delà ?

Timidement, j’avais ouvert les yeux. Une vue inimaginable s’étendait devant moi.

C’était un monde de glace. Les Tarentules conduisant à la Mort, les Chenilles d’Aciers et le Crâne de Boue étaient tous devenus des statues d’un blanc pur. La dernière des trois était à l’arrière de la horde. J’avais entendu un craquement alors que son corps commençait à s’effriter. Le crâne humain, son noyau vital, avait heurté le sol et s’était brisé en éclats. Même l’intérieur du crâne était gelé.

L’écart de puissance entre ce sort et le mien était énorme. Ma propre Nova de Glace ne pouvait geler que la surface des choses. Mais ça… ça avait probablement tué tout ce qui se trouvait dans la zone.

« … Hein ? » Confuse, j’avais tendu la main pour récupérer mon bâton. « Eek ! » Une sensation de froid glacial parcourut mes doigts. Je le lâchais par réflexe. Il s’était alors écrasé sur le sol, résonnant dans le silence.

J’avais entendu une voix, peut-être en réaction au son.

« Oh, Dieu merci ! »

Un jeune homme était venu vers moi, se faufilant entre les statues de glace. Dès que je l’avais vu, mon cœur commença à battre. Je pouvais sentir le sang affluer à mon visage, réchauffant mes joues. Cet homme… était mon type idéal.

Il était grand, avec des cheveux soyeux et des traits doux. Il était drapé dans une robe grise et tenait un bâton, mais semblait bien bâti pour un magicien. Un air de soulagement se lisait sur son visage lorsqu’il s’était approché, me regardant fixement.

« Eh ? Huh ? »

Il m’enlaça avec ces bras bien construits, chauds et forts. Son odeur, familière, qui sentait la sueur, m’envahit le nez. Il s’était partiellement agenouillé et avait blotti son visage dans mon cou, apparemment submergé par l’émotion tandis qu’il inspirait profondément.

C’était alors que j’avais réalisé quelque chose. Je ne m’étais pas du tout lavée depuis un mois.

« Ah ! »

Dès que je l’avais réalisé, je l’avais repoussé.

« Huh ? »

Il avait l’air surpris.

Merde. J’avais fait quelque chose de terrible ! Après qu’il se soit donné la peine de me sauver ! Mais je ne voulais pas qu’il pense que je puais.

Oh, attendez, ce n’était peut-être pas le moment de s’inquiéter de ça… Hum, c’est le cas ? Je n’arrivais pas à réfléchir correctement.

« M-mes excuses. C’est juste que ça pue un peu… », avais-je dit.

« Je… je pue ? Je suis désolé. »

Choqué, il avait reniflé sa manche.

« Non, pas vous ! Mon corps. Ça fait un mois que je suis là-dedans. »

« Oh, c’est ce que tu voulais dire. Mais ça ne me dérange pas vraiment. »

Il avait l’air soulagé.

« Eh bien, ça me dérange. »

Oh, oubliez ça. Ça n’avait pas d’importance pour l’instant. Je devrais d’abord le remercier.

« Merci beaucoup de m’avoir sauvée. »

« Pas du tout. C’était tout à fait naturel. »

Naturel ? Je ne voyais pas en quoi il était obligé d’affronter cette horde pour me sauver.

Ah oui, son nom ! Je devais lui demander son nom.

« Ahem. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Je m’appelle Roxy Migurdia. Si ça ne vous dérange pas, je peux aussi connaître votre nom ? », avais-je dit.

Son corps tout entier s’était raidi au moment où j’avais demandé ça. Avais-je dit quelque chose de bizarre ?

« Connaître mon nom… ? »

Confuse, j’avais dit : « Hein ? Oh, on s’est déjà rencontré quelque part ? Si oui, je dois m’excuser, j’ai peur de ne pas m’en souvenir. »

En y réfléchissant bien, j’avais l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Mais où ? Il ressemblait un peu à Paul, mais je n’aurais sûrement pas oublié quelqu’un comme lui.

« Tu ne te… souviens pas… »

Son visage était devenu pâle. L’avais-je mis en colère ? J’avais l’impression que nous nous étions déjà rencontrés quelque part. Son visage m’était familier, comme si je l’avais vu il y a longtemps…

« Je ne me… souviens pas… »

Il secoua un peu la tête et tituba en arrière. Soudainement, il s’était mis la main sur la bouche et puis…

« Bleeegh ! »

Il avait vomi.

Peu après, j’avais découvert que le jeune homme était Rudy-Rudeus Greyrat, devenu adulte. Paul et les autres, qui m’avaient rattrapée quelques instants plus tard, m’avaient prise en charge. J’avais ainsi échappé de justesse à la mort.

***

Chapitre 5 : La magicienne indomptable

Partie 1

Roxy était exactement comme dans mon souvenir d’il y a tant d’années. Elle avait la même apparence et le même comportement, même si le fait d’être enfermée dans le labyrinthe depuis un mois l’avait considérablement affaiblie. Ses joues étaient émaciées et il y avait des cernes sous ses yeux. Ses tresses s’étaient défaites et son corps tout entier était couvert de saleté, ce qui lui donnait l’air d’une gamine des rues. Malgré tout cela, elle n’avait pas du tout perdu son esprit.

Après avoir vu son état, Geese nous avait immédiatement demandé de nous retirer. C’était une décision prudente. Talhand porta donc Roxy sur son dos et nous nous étions dirigés vers la surface. J’avais bien sûr proposé de porter Sa Sainteté, mais nous ne passerions pas le deuxième étage sans mes capacités offensives, alors j’avais dû abandonner l’idée. Je m’étais demandé intérieurement s’il était acceptable de laisser une brute aussi grossière porter Roxy, mais personne d’autre n’avait protesté, y compris l’intéressée.

« Je suis désolée, Monsieur Talhand, d’avoir causé tant de problèmes », avait-elle dit.

« Ne t’en fais pas. Je dois aussi donner un coup de main parfois. »

« Je ne pue pas, hein ? Je me dis que ça doit être grave pour que Rudy ait vomi comme ça. »

Le nain s’esclaffa : « Ha ha ! Si je ne pouvais pas supporter ça, je ne pourrais pas m’appeler un aventurier ! »

J’écoutais par-derrière pendant que nous marchions. On m’avait dit que ces deux-là avaient voyagé ensemble pendant longtemps. À en juger par leur façon de parler, je pouvais dire qu’ils se faisaient profondément confiance. Une pointe de jalousie avait surgi en moi. Poussé par cette jalousie, j’avais pris la parole.

« Professeur, tu sais que ce n’est pas parce que je pensais que tu étais puante que j’ai vomi. »

Roxy me lança un regard avant de détourner rapidement les yeux.

« Alors pourquoi as-tu vomi ? » a-t-elle demandé.

« J’étais pris entre le bonheur de te revoir enfin et le désespoir que tu ne te souviennes pas de moi, et mon estomac s’est noué. »

« Ce n’est pas comme si je t’avais oublié. C’est juste que je n’arrivais pas à faire le lien entre l’adorable Rudy d’il y a longtemps et le toi actuel », marmonna-t-elle en réponse avant de se taire.

« … »

La conversation avait été courte, mais entendre sa voix pour la première fois depuis longtemps m’avait rempli d’une telle joie que j’aurais pu m’envoler jusqu’au ciel.

Notre groupe à l’auberge s’était réjoui du retour de Roxy, probablement parce que c’était la première bonne nouvelle qu’ils avaient depuis qu’ils avaient commencée à fouiller le labyrinthe. D’accord, nous n’avions fait que combler le trou qu’ils avaient eux-mêmes creusé, mais je n’allais pas dire ça. Quelles que soient les circonstances, c’était un événement heureux.

Lilia avait immédiatement attiré Roxy dans le bain. Espérant qu’il y aurait quelque chose que je pourrais faire pour elle en attendant, j’étais resté à l’extérieur de sa chambre, mais Vierra m’avait repoussé. Elle avait dit que c’était impoli de s’approcher de la chambre d’une fille pendant qu’elle prenait son bain. Bien sûr, je n’avais aucune arrière-pensée. Je voulais juste faire tout ce que je pouvais pour elle.

Je le pensais vraiment. Vraiment.

OK, oui, j’avais déjà commis une infraction auparavant. Mais cette fois, c’était complètement innocent !

J’avais pensé me défendre, mais j’avais décidé de laisser tomber. C’était bien. C’était moi, après tout. Si je jetais soudainement un coup d’œil sur le côté et que je voyais ses vêtements posés là, il n’y avait aucune garantie que ma main ne glisserait pas et n’empocherait pas le petit tissu blanc niché dessus. Je ne pouvais pas donner cette opportunité quant à mon côté pervers. Pour l’instant, mes sentiments étaient encore innocents. Donc, vraiment, c’était bien.

Nous allions nous reposer quelques jours pour donner à Roxy le temps de récupérer ses forces. Cela dit, c’était une aventurière. Elle n’avait pas de blessures majeures, elle était encore assez forte pour marcher sans aide. Elle jurait même qu’avec de la bonne nourriture et un lit douillet dans lequel elle dormirait profondément, elle serait de retour à la normale d’ici peu. Tout semblait aller pour le mieux.

Mais je n’arrivais pas à me remettre du fait que j’avais fait une erreur et que je m’étais comporté de manière honteuse devant elle. J’espérais qu’elle n’était pas désillusionnée par moi. Le vomissement était irrespectueux, mais j’étais tellement choqué. Je n’avais jamais cessé de penser à elle pendant toute la période où nous étions séparés. Penser qu’elle ait pu m’oublier… c’était accablant.

En y réfléchissant, Sylphie avait dit qu’elle avait été stupéfaite, elle aussi, quand j’avais agi comme si nous nous rencontrions pour la première fois. Je m’étais demandé si elle avait ressenti la même chose à l’époque. Je devrais m’excuser auprès d’elle quand je rentrerais à la maison.

Roxy dormit une journée entière. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir, étant donné qu’elle avait passé un mois dans un labyrinthe infesté de monstres. Étant donné que je voulais être le premier à lui souhaiter le bonjour à son réveil, j’avais flâné devant sa porte, mais Lilia m’avait repoussé. J’avais jeté un coup d’œil en arrière et j’avais pu apercevoir son visage alors qu’elle dormait paisiblement. J’avais décidé d’en rester là, en espérant qu’elle se remette vite.

Le deuxième jour, Roxy sauta du lit. C’était juste à l’heure du déjeuner. Elle s’était dirigée vers notre table pendant que nous mangions, se déplaçant aussi raide qu’un robot.

« Bonjour, professeur. »

« Oui. Bonjour Rudy, je veux dire, Monsieur Rudeus. »

Nous étions quatre, moi compris, à la table. Les autres étaient Elinalise, Paul et Talhand. Geese et les trois autres étaient actuellement en train de faire des courses. La composition de notre groupe était telle que le groupe du labyrinthe passait tout son temps à se reposer pendant qu’il était en ville, et que le groupe d’attente faisait des courses pendant ce temps. Geese faisait partie du groupe du labyrinthe, mais pour une raison quelconque, il prenait le commandement du groupe d’attente. Il était vraiment un travailleur acharné. Peut-être qu’il devrait arrêter d’être un aventurier et devenir un administrateur à la place.

« Tout le monde… »

Toutes les personnes présentes avaient tourné leurs regards vers Roxy.

Doucement, elle avait balayé son regard sur chacun d’entre nous, puis avait incliné la tête.

« Je suis désolée de vous avoir causé des problèmes, mais je vais vraiment bien maintenant. »

Les réactions des gens étaient variées. L’un d’entre eux passa un bras autour de son épaule et dit : « Ne t’inquiète pas pour ça. ». Un autre hocha la tête et dit : « Pas de problème ». Un autre prit une gorgée d’alcool avant de pousser une bouteille dans sa direction. Et enfin, il y avait moi, qui étais submergé par l’émotion à son retour.

« Eh bien, si tu veux remercier quelqu’un, remercie Rudy. S’il ne s’était pas mis à bafouiller : “Père, je sens Dieu tout près”, et à courir en avant en traversant les murs, on ne t’aurait pas trouvée. »

Paul me fit passer pour un fou vu la manière dont il le disait, mais j’avais en quelque sorte su exactement où était Roxy pendant que nous nous frayions un chemin à travers le troisième étage. J’avais aussi le sentiment qu’elle avait des ennuis. Sachant que la situation exigeait de la rapidité, je m’étais précipité vers le son de sa voix sans me soucier du danger potentiel d’effondrement des tunnels. Dès que je me heurtais à un mur, je le traversais sans hésiter.

Je n’avais aucune idée de comment je savais qu’elle avait des problèmes. Je le savais, c’est tout. J’étais certain que c’était mon lien avec Roxy qui nous attirait l’un vers l’autre. Oui. Il y avait une petite chance que l’Homme-Dieu soit intervenu, mais je n’en tenais pas compte. Il n’y avait qu’un seul dieu en qui je croyais.

Attendez, ça veut dire que Dieu m’avait guidé là ? Dans ce cas, il n’y avait rien d’étrange à cela !

Alors que j’étais préoccupé par de telles pensées, Roxy se tourna vers moi et inclina de nouveau la tête.

« Hum, Monsieur Rudeus, ce que je veux dire c’est, euh… merci. »

Pourquoi avais-je eu l’impression que Roxy était froide et distante ? Non, je connaissais cette sensation. Je l’avais appris à l’école.

C’était mon nom. La façon dont elle avait appelé mon nom. Elle m’appelait « Monsieur », comme si j’étais une sorte d’étranger.

« Ne t’en fais pas. J’ai seulement fait ce que n’importe qui aurait fait. Plus important encore, s’il te plaît, appelle-moi Rudy. », avais-je dit.

Roxy baissa les yeux et marmonna : « M-mais est-ce que ça ne donne pas l’impression que je suis trop familière si je t’appelle comme ça ? »

« Quoi ? Mais nous sommes proches. Si mon professeur m’appelle “Monsieur Rudeus”, autant que mon père fasse de même. »

« Hein, pourquoi diable ferais-je ça ? »

J’avais ignoré la protestation de Paul.

« J’aimerais que tu m’appelles “Rudy”, aussi affectueusement que tu l’as fait autrefois. Peu importe le nombre d’années qui passent… je te vénérerai toujours, Roxy Migurdia, comme mon professeur. »

Roxy cligna des yeux plusieurs fois. Pour une raison quelconque, ses joues étaient rouges. Avait-elle de la fièvre ? Elle se tapa alors soudainement les joues.

« Oui. Tu as raison… Rudy. »

« Voilà, c’est parfait. »

Elle fit un sourire d’autodérision en me regardant. Ses joues étaient encore un peu roses.

« Tout ça mis à part, tu as vraiment grandi. »

« Je suis après tout un humain. Tu n’as pourtant pas l’air d’avoir changé. », lui avais-je rappelé.

« Oui, toujours aussi petite. »

« Je ne pense pas que tu sois aussi petite que tu le crois. »

« Oh vraiment ? »

Ça me rappelait tellement de souvenirs. Si je fermais les yeux, je pourrais tous les évoquer : le premier jour où elle m’avait appris la magie, le jour où j’avais obtenu mon objet de culte, le jour où elle m’avait appris la magie de rang Saint, le jour où nous nous étions dit au revoir, et les jours que nous avions passés à échanger des lettres. Chaque souvenir était précieux pour moi.

« En tout cas, c’était une magie spectaculaire. On dirait que tu as bien suivi ton entraînement en mon absence. C’était de la magie de l’eau de niveau Empereur ? », dit Roxy.

« De quelle magie parles-tu ? », avais-je demandé, même si j’étais presque sûr de ne pas avoir utilisé de magie de niveau Empereur.

« La magie que tu as utilisée quand tu m’as sauvée. Cette puissance, cette vitesse, et la portée. C’était une magie incroyable. C’était la magie de niveau Empereur dont j’ai entendu parler, Zéro Absolue, non ? »

Non. C’était juste un simple Nuage Glacé. Nous traversions le deuxième étage lorsque Talhand m’avait parlé de la magie utilisée par Roxy et de son efficacité. Je l’avais simplement imitée.

Mais maintenant, Roxy avait un regard qui semblait dire Eh bien ? J’ai raison, n’est-ce pas ? J’avais hésité à la corriger ou non. Elle était une spécialiste de la magie de l’Eau. Elle pourrait avoir honte de découvrir qu’elle avait mal interprété mon sort. Peut-être qu’un petit mensonge blanc était approprié ici ?

D’accord, je serais exposé immédiatement. Peut-être que le plus sage était de dire oui et de dire la vérité après, en secret. Mais si je faisais ça et qu’elle réagissait négativement ? Mon Canon de pierre avait apparemment le même niveau de puissance qu’un sort de niveau Empereur, mais il s’agissait d’une magie d’un niveau bien inférieur.

Hmm, comment dois-je répondre ?

« Nan, c’était un Nuage de Glace. Il avait juste plus de puissance que celle que tu utilises. »

Comme j’hésitais, Talhand en avait profité pour répondre à ma place. Comme c’était injustifié. Je ferais mieux de poursuivre avec quelque chose ou sinon…

« Oh, c’est donc ça. Toutes mes excuses. »

« Honnêtement, Roxy, tu n’as pas du tout changé. Même si je suis d’accord avec toi, ça ne me semblerait pas étrange que Rudeus utilise une magie de niveau Empereur. Après tout, il est considéré comme le plus puissant magicien de l’Université de la Magie. »

Elinalise était intervenue sans hésiter pour soutenir Roxy, bien que ce dernier commentaire n’était pas nécessaire.

Les regards de tous s’étaient portés sur moi. OK, c’était ma chance !

« Mes capacités actuelles sont toutes dues aux conseils de mon professeur », avais-je dit avec confiance.

Les yeux de Roxy s’étaient rétrécis avec suspicion.

« Rudy, je n’arrête pas d’entendre que tu prétends cela, mais penses-tu honnêtement que c’est vrai ? »

« Bien sûr que je le pense. »

Les enseignements de Roxy étaient ma base. « Sors et parle aux gens », « Essaie de t’entendre avec les autres sans préjugés » et « Donne toujours le meilleur de toi-même ». Ces mots avaient pris racine au plus profond de moi. C’est grâce à eux que j’avais pu établir par exemple la relation que j’avais avec Ruijerd.

Bien sûr, il y avait des moments où je n’étais pas à la hauteur de ces enseignements, mais c’était une autre affaire. Les humains n’étaient pas capables de vivre pleinement leur potentiel à chaque instant. Ce qui comptait, ce n’était pas de toujours réussir à vivre selon ses idéaux, mais d’en faire la clé dans sa façon d’appréhender le monde.

« Tu t’es amélioré par toi-même. Et pratiquement sans mon enseignement. »

Roxy fit alors un sourire d’autodérision.

« Tu es devenu un homme incroyable. Tout le contraire d’une empotée comme moi, qui s’est fait piéger dans un labyrinthe. »

Elle s’était affaissée sur la table avec un bruit sourd. Je pouvais voir la tache sur son cuir chevelu d’où les cheveux tourbillonnaient, ce qui était plutôt mignon.

« Le maître est incroyable, et l’élève aussi. Qu’est-ce qui pourrait être mieux ? », dit Paul.

Bien dit. C’était exactement ça. Je n’étais pas particulièrement spécial, mais Roxy était certainement une personne extraordinaire. Et si elle perdait contre son élève dans quelques catégories étroites ? Ce n’était pas un indicateur de sa valeur en tant que personne.

« Si tu n’avais pas été avec nous, nous ne serions pas ici. Aie un peu confiance. »

Les mots de Paul semblaient atteindre l’esprit de Roxy. Elle s’était alors assise et hocha la tête.

Geese était revenu après cela et nous avions poursuivi notre réunion. Nous nous étions assis serrés les uns contre les autres, le groupe d’attente inclus.

***

Partie 2

« J’ai dit que nous allions attendre de voir l’état de Roxy, mais je pense que nous allons y retourner dans trois jours », annonça Geese.

« N’est-ce pas un peu hâtif ? », demanda Paul.

Même si cela n’en avait pas l’air, la plongée en labyrinthe épuisait vraiment une personne. Surtout un labyrinthe comme celui de la téléportation, qui était truffé de pièges, vous obligeant à faire constamment attention où vous mettiez les pieds, même si vous étiez en plein combat. C’était déjà épuisant pour quelqu’un comme moi à l’arrière, mais l’avant-garde portait un fardeau encore plus lourd.

« Il est préférable pour Roxy de rentrer le plus vite possible. »

« Hm ? Ah, oui, je comprends ce que tu veux dire. Tu as raison, » dit Paul en acquiesçant.

Pourtant je n’étais pas tout à fait d’accord. Ne serait-il pas difficile pour elle de devoir réintégrer l’endroit où elle avait failli perdre la vie auparavant ?

« Ne pensez-vous pas qu’un peu plus de repos est nécessaire pour elle ? », avais-je demandé.

« Mm ? Ah. Vous ne le savez peut-être pas, patron, mais quand vous avez failli mourir dans un labyrinthe, vous devez y retourner rapidement ou vous serez maudit et ne pourrez plus jamais y entrer. », expliqua Geese.

« Une malédiction ? Une telle chose existe ? », avais-je demandé, dubitatif.

« Oui. Je ne sais pas pourquoi, mais quand vous essayez d’entrer dans un labyrinthe après ça, votre cœur est tellement rempli de peur que vous ne pouvez rien faire. »

Ah, j’avais lu quelque chose comme ça dans un manga une fois. Un type de trouble panique, autrement connu sous le nom de DP. J’avais aussi entendu dire qu’un traitement efficace consistait à réessayer immédiatement ce à quoi on avait échoué. Apparemment, c’était la même chose dans ce monde.

« De plus, vous êtes un débutant, patron. Aller à un rythme lent et répétitif à plusieurs reprises sera une bonne expérience pour vous. »

« Je vois. Tu as raison. »

Après cet échange, les autres avaient commencé à intervenir.

« Je peux te donner quelques conseils pour doubler ton rôle de magicien guérisseur et offensif », déclara Roxy.

« Nous ne devrions pas répéter la méthode de Rudy qui consiste à frapper à travers les murs pour naviguer. Le risque d’effondrement est trop élevé », dit Paul.

« Si tu veux, je peux passer devant toi », dit Talhand.

« J’ai réfléchi… Et si Paul et moi échangions nos positions ? », suggéra Elinalise.

Geese nous permit de nous organiser tout en partageant nos réflexions sur l’aventure précédente, ainsi que sur la façon dont nous devrions aborder la prochaine. Tout le monde avait l’air très sérieux. J’avais pensé qu’ils seraient un peu plus joviaux, mais apparemment non. Bien qu’affaiblis, ils étaient encore un groupe de rang S.

Je n’avais pas eu grand-chose à dire lors de cette réunion, si ce n’était de répondre quand on me demandait ce que je pensais de mon premier labyrinthe. Ils étaient des pros. J’étais un amateur. Peu importe à quel point j’étais doué en magie, je ne pouvais pas oublier ces deux choses. Notre dernier voyage s’était bien passé, mais cela ne signifiait pas que celui-ci le serait aussi.

« Pour le moment, nous allons nous concentrer sur la cartographie du reste du troisième étage. En fonction de comment ça se passe, on peut au moins aller assez profond pour trouver le cercle du quatrième étage. Ça vous va ? », dit Geese.

« D’accord »

On avait répondu à l’unisson.

Généralement, une fois qu’un groupe découvrait les escaliers menant à l’étage suivant, il décidait s’il voulait aller plus profondément ou revenir temporairement à la surface. S’ils optaient pour cette dernière solution, ils empruntaient un chemin direct vers le bas pour reprendre au point où ils s’étaient arrêtés à leur retour. Il en allait de même pour nous, nous étions descendus directement au troisième étage la dernière fois. Si vous n’étiez pas rapide, il y avait une possibilité que le nombre de pièges augmente. La vitesse était cruciale.

« Oh oui, le livre dit que le quatrième étage est complètement différent de ce que nous avons vu jusqu’à présent. Une sorte de ruines ou quelque chose comme ça. », dit Geese.

« Dans ce cas, il pourrait y avoir deux niveaux inférieurs », dit Paul.

« Hmm. Eh bien, nous allons garder la réflexion sur le quatrième étage pour la prochaine fois. Pour l’instant, on se concentre sur le troisième étage. »

« Compris. »

Il y avait des cas de labyrinthes existant depuis longtemps qui se combinaient avec d’autres, formant un seul labyrinthe avec deux centres, deux cœurs avec des cristaux imprégnés de magie. On disait de ces types qu’ils changeaient de structure à mi-chemin. Le Labyrinthe de Téléportations avait ce genre de disposition, mais cela ne signifiait pas nécessairement qu’il avait deux centres. C’était une possibilité, rien de plus.

En fait, selon le livre, le Labyrinthe de Téléportations n’avait qu’un seul cristal magique. Cependant, il était toujours possible qu’il s’agisse à l’origine d’un labyrinthe ordinaire qui aurait ensuite fusionné avec ces vieilles ruines pour prendre sa forme actuelle. En parlant de ruines, il y avait aussi celles qui contenaient les cercles de téléportation que nous avions utilisés pour venir ici.

« Quel est ce livre dont tu parles ? », demanda Roxy, méfiante.

« Rudy l’a apporté. Il contient les notes d’un type qui a voyagé presque jusqu’au plus profond du Labyrinthe de Téléportations. Tu devrais aussi le lire. »

Geese lui passa le livre en question.

« Oh, je ne savais pas qu’une telle chose existait. Je comprends. Je le parcourrai attentivement demain. »

Roxy avait donc prévu de passer la journée de demain à lire. Dans ce cas, je resterais à l’auberge. J’avais envie de lui parler un peu plus, mais je ne savais pas trop à quel sujet. Si elle allait lire le livre, peut-être pourrions-nous discuter de son contenu ? Elle pourrait me poser des questions, et je ferais de mon mieux pour y répondre.

Oui, ça sonne bien. Super. Absolument parfait !

« Maintenant, à propos de notre formation. Secouons un peu les choses. Talhand ? », commença Geese.

Comme j’étais préoccupé par mes pensées, la conversation était passée au sujet suivant. Talhand s’était éclairci la gorge. En tant qu’homme le plus souvent tout à l’arrière, qui avait donc le plus longtemps observé la situation, il était chargé de décider de notre formation.

« Hmph, laisse-moi faire. »

Mais il empestait l’alcool. Il empestait toujours l’alcool. Geese s’abreuvait aussi de liqueurs la nuit, mais Talhand se tapait des chopes jusqu’à midi. Au moins, il était devenu complètement sobre au moment où nous avions commencé notre plongée dans un labyrinthe. Il avait une impressionnante capacité à activer et désactiver sa consommation d’alcool.

« Ce sera la même chose qu’avant. »

Il y avait sur la table un papier avec deux lignes dessinées dessus, ainsi que des petites pierres de différentes couleurs. Talhand posa la pierre bleue en premier.

« D’abord, comme avant, Roxy prendra l’arrière. »

« Compris. » dit Roxy en hochant la tête.

Puis il posa une pierre grise à côté de la précédente.

« Rudeus sera le soutien de Roxy. Elle est du genre à déraper quand quelque chose d’inattendu se produit, mais Rudeus a l’œil de la prévoyance. Il est aussi assez calme pour son âge, alors peut-être qu’il peut arrêter quelque chose avant que ça tourne mal. »

« D’accord. »

Il avait fait comme si Roxy manquait de sang-froid. Je voulais protester, mais c’était vrai qu’elle avait glissé et marché sur un piège de téléportation. Je ne ferais qu’attirer les ennuis si j’essayais. Mais, en y réfléchissant bien, l’œil de la prévoyance ne pouvait prédire que les choses que je pouvais voir. Cela signifiait que j’avais une bonne excuse pour garder mes yeux sur Roxy tout le temps que nous étions dans le labyrinthe.

Dit comme ça, ça ne semblait pas si mal. J’étais juste heureux de pouvoir la regarder.

« Essayons d’échanger Elinalise et Paul. Paul, tu vas devant. Elinalise, tu vas derrière lui », dit Talhand en avançant la pierre rouge représentant Paul et en reculant la pierre jaune représentant Elinalise.

En gros, ils étaient toujours côte à côte. Il s’agissait probablement d’un simple changement de rôle. Avant, Elinalise était le tank tandis que Paul était le soutien, mais cette fois, ce serait l’inverse. Paul serait notre tank principal et Elinalise le soutiendrait.

« Geese, tu seras là où tu étais avant. »

Il plaça la pierre brune loin devant le reste de la meute. Enfin, il plaça sa propre pierre au milieu.

« Je doute que nous en ayons besoin, mais il y aura plus de monstres au troisième étage. Je servirai de bouclier pour ceux qui sont derrière. »

SCOUT : Guese

AVANT : Paul, Elinalise

MILIEU : Talhand

ARRIÈRE : Rudeus, Roxy

C’était notre nouvelle formation. En excluant Geese, nous ressemblions à une tuile de mah-jong à cinq points.

« Un avis sur cette formation ? », demanda le nain.

J’avais immédiatement levé la main.

« Dois-je en déduire que mon rôle ne changera pas ? »

« Oui. Tu peux parler à Roxy des détails de ton travail d’équipe. »

En entendant cela, j’avais jeté un coup d’œil à Roxy. Elle retourna mon regard, semblant nerveuse. Elle avait dégluti.

« Très bien. J’ai hâte de travailler avec toi, professeur. »

« Oui, et moi aussi. Je ferai de mon mieux pour ne pas te retenir. »

C’était tout le contraire. J’étais celui qui était le plus susceptible de la retenir.

J’aimerais qu’elle soit plus confiante.

Certes, je la battais peut-être en matière de capacité de mana et d’utilisation des sorts, mais la force des statistiques d’une personne n’était pas la somme de sa valeur. Ce n’était qu’avec l’expérience que l’on acquérait une véritable puissance, et je sentais que Roxy était en avance sur moi à cet égard. Elle avait passé un mois entier à se battre dans le Labyrinthe de téléportations. Et quelques jours après avoir été secourue, elle était suffisamment rétablie pour y retourner comme si rien ne s’était passé.

Si c’était moi, si je devais vivre une expérience aussi horrible, je jurerais probablement de ne plus jamais entrer dans ce labyrinthe. Comme le dit le proverbe japonais, un homme sage reste loin du danger. Vous pouviez me traiter de poule mouillée si vous vouliez, je savais que j’étais un lâche.

« Très bien, on en a fini avec ça. Passons maintenant au groupe d’attente. »

Après cela, Geese donna rapidement ses ordres au groupe d’attente. Il donna à Vierra une liste de fournitures à acheter, puis consulta Shierra sur la condition de Roxy. Il lui conseilla également de préparer tout le matériel médical qu’elle jugeait nécessaire en vue du sauvetage de Zenith. Enfin, il confia à Lilia la supervision de ces tâches.

Si Geese était le leader du groupe du labyrinthe, alors Lilia était la leader du groupe d’attente. Et Paul était le leader général de notre groupe. Il supervisait toutes les décisions définitives et gardait la trace de tout le monde.

« Très bien, tout le monde, préparons-nous pour partir dans trois jours à partir de maintenant. Rompez. »

Sur l’ordre de Paul, la réunion prit fin.

Le lendemain, j’avais passé mon temps à déambuler au premier étage de l’auberge, restant à proximité de Roxy pendant qu’elle lisait. Je voulais qu’elle me consulte s’il y avait quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Moi, spécifiquement — et personne d’autre.

« Um, Rudy ? »

« Oui ?! Qu’est-ce qu’il y a, Professeur ?! »

« Tu t’agites comme ça, c’est distrayant », avait-elle dit avec un sourire forcé.

« Mes excuses. »

J’avais baissé la tête et je m’étais décidé à partir.

C’est donc ça. Je la distrais. C’est logique. Je la gêne dans sa lecture.

Je ne pouvais pas lui causer de problèmes. Ce n’était pas mon intention, je voulais juste l’aider. Mais si j’étais une distraction, alors je ne pouvais rien y faire. Peut-être que je devrais juste aller ailleurs. Oui, peut-être que j’irais dans une taverne déserte quelque part. C’était bon de boire seul de temps en temps.

Oui, c’est ce que je vais faire.

Une voix m’avait appelé de derrière : « Rudy. Si tu as assez de temps pour te balader, il y a des choses dans ce livre que je ne comprends pas bien et j’aimerais que tu… »

« Ok ! »

Je m’étais immédiatement assis à côté d’elle. Je crois que j’avais battu le record de l’assise la plus rapide. Si j’étais un chien et que j’avais une queue, elle aurait fouetté l’air comme une hélice en ce moment.

« Qu’est-ce ? N’hésite pas à me demander n’importe quoi. »

Ahh, Roxy était vraiment minuscule, bien que je sois sûr que c’était en partie parce que j’avais tellement grandi. Si je la mettais sur mes genoux, je pourrais facilement l’entourer de mes bras. Bien que je sois sûr qu’elle serait énervée si j’essayais.

Comme je l’avais regardé, Roxy leva les yeux vers moi de côté.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? », avais-je demandé.

Elle détourna rapidement son regard vers le livre.

« Non, ce n’est rien. C’est cette partie juste là… »

Dans les années qui avaient suivi, ma taille avait dépassé la sienne. Peut-être s’était-elle sentie découragée par cela. Elle semblait être consciente de sa petite taille.

Telles étaient mes pensées alors que nous passions la journée ensemble, à lire.

J’étais satisfait.

 

 

***

Chapitre 6 : Simple comme bonjour

Partie 1

Avec Roxy parmi nous, nous avions repris notre exploration du labyrinthe. Nous avions avancé comme prévu, en nous dirigeant vers le troisième étage. Il y avait trois types d’ennemis : Les Crânes de Boue, les Tarentules conduisant à la Mort et les Chenilles d’Aciers.

Le Crâne de Boue était un monstre de rang A. Il ressemblait à un géant sans tête, fait de boue, d’environ deux mètres et demi de haut, avec une circonférence qui témoignait de sa nature durable. La créature avait un crâne enfoui dans sa poitrine, qui était aussi son point faible, un peu comme Jamila dans Ultraman ou Sachiel dans Evangelion. Il se déplaçait lentement, mais était capable d’encaisser tous les coups portés sur les parties de son corps recouvertes de boue, et s’il se sentait en danger, il pouvait cacher le crâne à l’intérieur de son corps. La méthode d’attaque du Crâne de Boue consistait à lancer de la boue et à utiliser un sort similaire à Canon de Pierre.

Cependant, ce n’était pas pour ces raisons qu’il était considéré comme de rang A. Bien qu’il ait l’apparence d’un simple golem, le Crâne de Boue était assez intelligent et capable de donner des ordres à des monstres de moindre importance comme les Tarentules conduisant à la Mort et les Chenilles d’Aciers. Il attaquait en formation avec les Chenilles d’Aciers à l’avant-garde, les Tarentules conduisant à la Mort au milieu, et lui-même à l’arrière. En d’autres termes, c’était un vrai monstre.

Au deuxième étage, les Chenilles d’Aciers se précipitaient à l’avant tandis que les Tarentules conduisant à la Mort essayaient de nous coincer en nous lançant des toiles. Maintenant, nous avions le Crâne de Boue qui les supervisait, et qui envoyait aussi des canons de pierre. Cela devait être une dynamique difficile à contrer pour Paul, qui s’était déjà retrouvé dans des combats rapprochés au deuxième étage. Le combat lui demanda tout ce qu’il avait. Par ailleurs, il n’y avait aucun moyen de chercher Zenith.

Ce ne serait pas un problème avec Roxy et moi dans le groupe. La Tarentule conduisant à la Mort stationnée au milieu posait peu de problèmes, j’avais donc juste à prendre la tête du Crâne de Boue à l’arrière pendant que Roxy affrontait les Chenilles d’Aciers à l’avant. Tout ce qui restait était laissé à Paul et aux autres.

Étant fait de boue, les Crânes de Boue étaient vulnérables à la magie de l’eau. Une abondance d’eau les ferait disparaître. Le feu fonctionnait également. Si je faisais cuire, leur boue sécherait, ils ne pouvaient plus bouger. Mais mon Canon de pierre était tout ce dont j’avais besoin. J’avais utilisé mon Œil de Prévoyance pour les tuer, infligeant des coups critiques aux crânes dans leurs poitrines. Un tir, une mort. J’étais un sniper expert, mais lent, comme les joueurs de FPS qui ne pouvaient pas déplacer leur position.

« Ouf… »

Une fois l’ennemi complètement anéanti, Roxy poussa un soupir. Je pouvais voir une partie de son visage sous le bord de son chapeau. Elle avait dû utiliser une quantité importante de mana. Elle semblait épuisée.

Soudainement, elle rendit mon regard, en levant les yeux vers moi de côté. Quand nos yeux s’étaient rencontrés, elle avait rapidement détourné les siens.

« Je n’ai presque plus de mana. J’aimerais me reposer. », dit-elle.

Nous étions retournés au passage principal et y avions fait une pause. Il me restait encore beaucoup de mana. En fait, je n’avais même pas consommé la moitié de ma réserve. Après tout, je n’utilisais que le Canon de pierre, tandis que Roxy était celle qui gelait nos ennemis avec Nuage de Glace. Ce n’était pas une surprise qu’elle soit plus vite à court.

« Je suis désolée d’avoir une si petite réserve de mana », avait-t-elle dit.

« Non, je pense que tu en as plus qu’assez. »

Elle utilisait la magie avec une précision exceptionnelle, lançant des sorts dans une zone étroite sans aucun tir manqué. De temps en temps, sa Cascade d’eau éclaboussait Paul et les autres, mais sa précision avec le sort de zone de Champ de Glace était si parfaite que seuls les ennemis étaient gelés. La précision exigeait également une quantité appropriée de mana. Malgré tout cela, elle avait continué à se battre pendant un bon moment. Elle n’avait bien sûr pas une petite réserve de mana. La sienne était probablement de la même taille que celle de Sylphie, si ce n’est plus.

« J’aimerais trouver le cercle magique menant au quatrième étage ici bientôt. »

Geese s’était gratté le menton en vérifiant le livre par rapport à la carte.

Presque deux jours s’étaient écoulés depuis que nous étions descendus au troisième étage. Il avait fallu cinq jours à l’auteur du livre pour aller aussi loin. Nous avions devancé son groupe et traversé le troisième étage plusieurs fois, en le cartographiant. Il était maintenant temps pour nous de trouver le prochain cercle magique.

« Rudy, je peux emprunter ton dos ? », me demanda Roxy.

« Sens-toi libre. »

Une fois que je lui avais répondu, celle-ci s’était affalée contre moi. Elle se reposait comme ça à chaque fois que nous faisions une pause. Je suppose que c’était parce que le dos d’une personne lui semblait plus confortable que les murs de pierre qui nous entouraient. Un avantage secondaire pour moi.

« Tu sais, je n’aurais jamais pensé pouvoir plonger dans un labyrinthe comme celui-ci avec toi », avait-elle dit.

« Moi non plus. Dis, est-ce qu’il y a quelque chose que je fais dont je devrais être plus prudent ? »

« Hein ? Tu connais déjà l’essentiel quand il s’agit de se déplacer en groupe, alors je n’ai aucun conseil à te donner. »

« Merci », avais-je dit.

« Utiliser les incantations silencieuses avec une précision parfaite. Tu es vraiment incroyable. »

« Pas du tout. J’ai encore beaucoup à apprendre. », dis-je en secouant la tête.

C’est vrai. Il y avait encore beaucoup à apprendre. Voir Roxy m’avait vraiment fait ressentir ça. Elle n’avait pas ajouté de cartes à celles qu’elle avait en main, mais avait plutôt augmenté ce qu’elle pouvait faire avec celles qu’elle avait. Elle combinait les éléments existants dans son arsenal pour écraser son adversaire.

J’étais sûr d’avoir fait la même chose dans le passé, mais à un moment donné, j’avais commencé à n’utiliser que Canon à Pierre et Bourbier. Ce n’était pas la meilleure des habitudes, mais c’était suffisant pour battre la plupart des adversaires plus faibles. Pourtant, les petites astuces de ce genre ne fonctionneraient pas contre les ennemis plus forts que je m’imaginais affronter, mais je n’avais personne d’un niveau approprié pour m’entraîner. Je visais haut, mais il n’y avait rien de tangible en face de moi à viser. Ainsi, je ne m’améliorais pas.

« Rudy ? »

Roxy m’avait soudainement appelé.

« Oui, qu’est-ce qu’il y a ? »

« Si nous parvenons à sauver ta mère en toute sécurité et que nous en avons tous les deux l’occasion, que dirais-tu d’aller dans un labyrinthe un jour, juste tous les deux ? »

J’avais cligné des yeux.

« Juste tous les deux ? »

« Oui. Nous sommes un peu pressés par le temps en ce moment, mais la plongée dans un labyrinthe peut être très amusante. Alors que dirais-tu de former un groupe composé de nous deux et d’essayer ensemble un labyrinthe plus simple ? »

Un labyrinthe, hein ? Pour être franc, s’il n’y avait pas Geese, j’aurais probablement déjà marché droit dans un piège. Pourtant, si quelqu’un pouvait s’aventurer seul dans un labyrinthe, c’était bien Roxy. Elle avait l’habitude d’être maladroite, mais si je l’accompagnais, nous pourrions peut-être nous en sortir.

« Ça a l’air génial. Quand on sera de retour, pourquoi ne pas essayer ? », dis-je en acquiesçant.

« C’est une promesse. »

« Oui, une promesse. »

Du coin de l’œil, je pouvais voir Roxy serrer sa main en un poing.

« … Ah, je commence à avoir un peu sommeil. Je vais aller me reposer un peu », avait-elle dit.

« Bien sûr. Dors bien. »

Après quelques instants, je la sentais s’affaler contre mon dos.

J’avais accepté sa proposition dans le feu de l’action, mais s’aventurer dans un labyrinthe prenait plusieurs jours d’affilée. Je n’étais pas vraiment sûr d’en avoir l’occasion, puisque je devrais aider à l’éducation des enfants.

Mais bon. Ce n’était pas comme si nous devions décider de la bonne manière d’agir. Si j’avais le temps supplémentaire, alors nous pourrions le faire. Peut-être une fois que notre enfant serait un peu plus grand et que Sylphie et moi aurions plus de temps libre. J’aurais probablement plus de vingt ans à ce moment-là, mais ce ne serait pas un problème.

J’étais simplement heureux qu’elle m’ait invité à son groupe. C’était comme si elle reconnaissait mes compétences. Je devais faire attention à ne pas révéler mes défauts devant elle.

Alors que je réfléchissais à tout cela, je m’étais endormi.

Après avoir découvert le cercle menant au quatrième étage, nous avions fini de cartographier le troisième. Il n’y avait aucun signe de Zénith, alors nous avions décidé de continuer.

Les murs du quatrième étage étaient faits d’un type de pierre familier. Elle ressemblait aux ruines auxquelles nous avions accédé pour nous téléporter ici depuis les Territoires du Nord. Peut-être s’agissait-il de structures similaires, sauf que celle-ci s’était transformée en labyrinthe.

« Geese, comment cela se passe-t-il ? », demanda Paul.

« Hm ? Eh bien, on a l’air d’aller bien. »

« Super. Alors, allons explorer un peu le quatrième niveau avant de retourner à la surface », dit Paul froidement, regardant dans ma direction pendant que j’examinais notre environnement.

Quand Paul était au fond du trou, il avait l’air d’une cause perdue, mais il semblait assez suave quand il travaillait. Je ne serais pas surpris si c’était le côté pour lequel Zenith s’était laissé prendre. Si le même sang coulait vraiment dans mes veines, alors peut-être que Sylphie ne faisait pas que me flatter quand elle me faisait le même genre de compliments.

« Professeur, est-ce que j’ai l’air beau quand je suis sérieux ? », avais-je demandé brusquement.

Ça aurait pu sembler un peu narcissique.

Les yeux de Roxy s’étaient levés de dessous le bord de son chapeau.

« Huh ? Oh, uh, um… Bien sûr, tu es… beau ? » Elle tâtonna avec ses mots, puis détourna rapidement les yeux.

Ok. Cette réaction disait tout ce que j’avais besoin de savoir. Elle avait exprimé ses sentiments de manière évidente. C’était clairement une question inconfortable. Comme c’était impoli de ma part. Il semblerait que je me sois un peu emporté.

Si Roxy devenait super mignonne et me demandait : « Rudy, sur une échelle de 1 à 10, suis-je mignonne ? » Je lèverais joyeusement des bâtons lumineux dans chaque main et je dirais volontiers « 100 ! ».

Je serais au premier rang, ne vous y trompez pas.

Un homme ne se résumait pas à son visage, il y avait aussi son cœur. Il avait besoin d’un cœur d’acier rougeoyant et flamboyant. Un cœur qui pouvait assommer n’importe qui d’un seul coup de poing.

« Rudy… ennemis. »

J’avais levé les yeux pour voir deux monstres à quatre bras en armure s’approcher. Des guerriers en armure. Par ailleurs, ces monstres étaient considérés comme des morts-vivants. Les magies terrestres et divines fonctionnaient mieux contre eux. Le Canon de pierre, s’il était assez gros, pouvait réduire la plupart d’entre eux en pièces en un seul coup.

« Je vais commencer par le Canon de Pierre », avais-je dit.

« Attends, Rudy, tu ne peux pas. »

Roxy m’avait arrêté au moment où je levais mon bâton.

« J’ai entendu dire que le Guerrier Blindé utilisait le Style du Dieu de l’Eau. Si tu es imprudent avec ta magie, ils vont nous la renvoyer. »

Le Style du Dieu de l’Eau était quelque chose que je n’avais pas vraiment rencontré, mais c’était un style d’épée basé sur la déviation et le contrecoup des attaques. Et pour une raison inconnue, elle était également efficace contre la magie. Je ne savais pas trop comment, mais une de leurs capacités leur permettait de contrer la magie offensive avec la frappe d’une épée. D’ordinaire, je ne serais pas trop inquiet, mais ces types avaient quatre bras et n’étaient pas humains. Ils pourraient bien être capables d’engager quatre personnes à la fois et de réussir à contrer chaque attaque.

« Très bien alors, que devons-nous faire ? »

« Couvrons les autres pour les faire trébucher. C’est notre première combat contre cet adversaire. Nous devons être prudents. », proposa Roxy.

« Bien reçu. Père, je vais utiliser Bourbier. Fais attention à tes pieds ! »

« Entendu ! »

Ces monstres de type en armure avaient beaucoup de puissance et leurs compétences à l’épée étaient redoutables, mais ils étaient léthargiques. L’acier sur leurs corps était assez lourd pour qu’ils s’enfoncent facilement dans la boue. Ils risquaient de passer à travers le sol si mon sort était trop profond. Je ne pensais pas qu’il y avait un grand risque d’effondrement, mais il était quand même préférable de limiter au maximum les effets sur l’environnement. Aller jusqu’au genou était suffisant.

« Bourbier ! »

Leurs pieds s’enfonçaient alors qu’ils tentaient d’avancer, la boue les avalant jusqu’aux cuisses. Nos deux membres de première ligne s’étaient alors mis au travail.

« Paul, je prends la gauche », dit Elinalise.

« Entendu… »

Paul fit alors une pause.

« Attends, tu prends toujours la gauche. »

« Le mur se met en travers du chemin et rend le swing difficile. »

« Donc tu ne penses qu’à toi… Waouh, c’était juste ! »

***

Partie 2

Paul les manipula avec facilité. Il dévia une attaque arrivant avec son épée droite et sectionna rapidement l’un des bras du monstre avec l’épée courte dans sa main gauche. Leur armure semblait assez solide, mais apparemment cela n’avait pas d’importance. Les épéistes du style Dieu de l’Épée étaient des monstres. Ou peut-être que son épée courte était juste aussi tranchante.

Elinalise, d’un autre côté, semblait un peu dépassée. Elle ne subissait jamais beaucoup de dégâts de la part de son adversaire, mais il lui manquait le facteur offensive nécessaire pour porter un coup fatal.

« Faisons-les reculer. Rudy, libérons notre magie en même temps, dans la direction de Mlle Elinalise. », dit Roxy.

« Compris. »

J’avais levé mon bâton pour créer un canon de pierre. Maintenant qu’ils ne pouvaient plus bouger, ils n’avaient plus aucun moyen de s’échapper. Je n’avais aucune idée de la vitesse à laquelle mon attaque devait être lancée pour les empêcher de la dévier, et je ne le saurais jamais si je n’essayais pas.

« Monsieur Talhand ! »

« Je t’entends ! »

Il leva son bouclier et se dandina devant nous. Si un contre nous revenait dessus, il serait là pour l’absorber. Tant qu’il ne mourait pas instantanément, je pourrais utiliser ma magie de niveau avancé pour le soigner. J’espérais juste que toutes les attaques manqueraient ses organes vitaux.

« Canon de pierre ! »

« Majestueuse lame de glace, je t’invoque pour terrasser mon ennemi ! Lame de glace ! »

Bien que nos temps de lancement soient différents, nous avions libéré notre magie en même temps. L’un était un boulet de canon rond et l’autre, une épée de glace, presque comme l’attaque Ultra Slash d’Ultraman.

Notre adversaire en armure tenta de dévier les attaques. Deux de ses bras armés bougèrent, changeant sa position défensive. C’était l’occasion idéale pour Elinalise de le frapper avec son bouclier et de le déséquilibrer. Mon canon transperça l’un de ses bras, le sectionnant, tandis que la lame gelée s’enfonça profondément dans la poitrine de l’armure. Au même moment, Paul termina également son combat.

« Ça ne devrait pas être une grande surprise, mais ces monstres de rang A ne se laissent pas abattre facilement », avait-il commenté, bien que notre combat n’ait duré qu’une minute.

Nous ne les avions pas terrassés d’un seul coup, mais ce n’était pas un combat difficile. C’était ce que l’on attendait d’un homme qui avait atteint le niveau avancé dans les trois écoles d’escrime. En termes d’aptitudes, il avait probablement la capacité d’atteindre le niveau Saint.

Non, en fait, Paul était peut-être déjà aussi fort que n’importe quel épéiste de niveau Saint. La force des gens ne pouvait pas être mesurée uniquement par leur rang.

« Père, es-tu devenu plus fort que tu ne l’étais avant ? »

Oh, merde. Je venais de dire quelque chose qui allait booster son ego. Maintenant, il pourrait commencer à se vanter.

« Hm ? Non, pas du tout. Je suis plus faible maintenant que je l’étais avant. »

Mais Paul n’avait même pas souri. Il avait simplement jeté un coup d’œil dans ma direction avant de regarder devant lui.

« Allez, on y va. Et ne baisse pas ta garde. »

Les mots de Paul me firent réfléchir. Il avait raison. Nous étions dans un labyrinthe en ce moment. Je devais me ressaisir.

Mon père était vraiment cool aujourd’hui. Norn serait probablement ravie si je lui disais à quel point il était suave en action.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Elinalise prit soudainement la parole en regardant le visage de Paul. Elle mit une main sur sa bouche et sourit.

« C’est quoi ce sourire, Paul ? C’est flippant. »

« Allez, tu n’as pas besoin de faire ce genre de commentaires », avait-il répondu en grommelant.

« Es-tu si heureux que Rudeus te fasse un compliment ? Oh, ne t’inquiète pas, je comprends. Heh heh heh… »

« Ça suffit, ferme-la. »

Non, je retire ce que j’ai dit. Paul est resté toujours le même.

Nous avions éliminé plusieurs autres Guerriers en armure après cela, puis nous avions commencé notre voyage de retour vers la surface. La remontée prit environ cinq heures à pied. Cette recherche allait nous prendre un certain temps. Je me demandais si Zenith pourrait vraiment tenir le coup pendant ce temps…

Non, nous ne pouvions pas nous précipiter. Nous devions éviter tout autre accident comme celui de Roxy.

Les choses se passaient tranquillement pour le moment. J’étais nerveux, mais pas trop. Je ne me sentais pas émotionnellement dépassé.

Nous étions dans une bonne position en ce moment. Garder ce rythme nous serait bien plus bénéfique.

Dès que nous avions atteint la ville, nous nous étions tous réunis pour une réunion.

Il y avait plusieurs objets dont nous aurions besoin pour notre prochaine aventure, alors nous avions commencé à les récupérer. J’avais également récupéré quelques parchemins spirituels supplémentaires, car nous étions à court. Comme on pouvait s’y attendre, étant donné qu’il s’agissait de la Cité-Labyrinthe de Rapan, la teinture pour cercles magiques et le parchemin étaient facilement disponibles. Créer des extra s’était avéré facile. Tout ce que j’avais à faire était d’en dessiner un pour l’utiliser comme référence, et Shierra ferait le reste. Apparemment, elle était assez douée pour cela, ayant déjà travaillé sur des parchemins pour l’église de Millis. Elle avait promis qu’elle pourrait avoir cinquante copies faites dans la journée. Ça, c’était prometteur.

Geese avait acheté des produits chimiques qui étaient censés être efficaces sur les monstres blindés. Il nous informa que ces produits, s’ils étaient bien utilisés, s’enroulaient autour des articulations des créatures et ralentissaient leurs mouvements. Lorsque j’avais suggéré de répandre de l’huile sur le sol pour les faire glisser puisqu’ils étaient si lourds, il avait ri, disant que c’était Paul qui atterrirait sur le cul. J’avais répondu par un « Je suppose que tu as raison » réfléchi, et Geese gloussa simplement.

Paul et Elinalise étaient allés chercher des armes. Apparemment, ils essayaient de trouver une épée bon marché pour Elinalise. Celle qu’elle utilise actuellement, son estoc, était un objet magique. Lorsqu’elle la brandissait, elle déclenchait une lame de vide, ce qui n’était pas le mieux adapté à la lutte contre les guerriers en armure, qui étaient tout de même un adversaire difficile à battre. Je pouvais comprendre pourquoi elle voulait une autre arme.

L’épée courte que Paul tenait dans sa main gauche était un objet magique qu’il avait acheté à Rapan. Elle avait la capacité de couper l’acier, ce qui signifiait que plus l’adversaire était difficile à trancher, plus l’épée devenait tranchante. C’était une capacité plutôt rare, à tel point que les gens du marché n’avaient pas été capables de l’identifier. Ils l’avaient traitée comme un couteau à beurre émoussé qui ne pouvait même pas scier de la viande séchée, et l’avaient pratiquement vendue pour quelques centimes.

Paul prétendait : « C’est ma vue perçante qui m’a permis d’identifier le véritable pouvoir de cette épée. » Mais j’en savais plus. J’avais lu la légende de Perugius au Village de Buena, et il y avait un guerrier dont l’arme possédait cette même capacité. Bien qu’incapable de trancher de la viande séchée, elle était capable de couper un morceau d’acier en deux. Paul avait dû savoir ce que c’était dès qu’il avait entendu la phrase disant qu’elle n’était même pas capable de trancher de la viande séchée.

Quoi qu’il en soit, je comprenais maintenant pourquoi ses attaques contre les Guerriers Blindés étaient si efficaces. Même s’il la maniait dans sa main la plus faible, il était toujours aussi puissant s’il frappait bien.

Elinalise acheta un seul glaive, qui avait apparemment la capacité d’émettre une onde de choc lorsqu’il était poussé en avant. Il ne faisait pas beaucoup de dégâts, mais il permettait à son porteur de prendre de la distance avec son adversaire en l’envoyant voler en arrière. Cela le rendait très utile, et il coûtait aussi une jolie somme, mais Elinalise avait simplement sorti un cristal rond, imprégné de magie, de sa poche et l’avait acheté. Combien de ces choses avait-elle sous la main ?

Ce soir-là, j’étais sorti boire avec Roxy et Talhand, ce dernier m’ayant invité en disant : « Tu es un adulte maintenant, alors tu peux aller boire, non ? »

Mais il était hors de question que je boive de l’alcool devant Roxy, alors je m’étais contenté de les suivre.

C’était censé être une réunion entre trois magiciens, mais à un moment donné, le « Professeur » Talhand commença à nous faire un cours sur « Ce qui fait d’un homme un vrai homme… » Les hommes étaient censés avoir des muscles. Des muscles superbes signifiaient un esprit superbe. Ce n’était pas une conversation pour les magiciens, mais c’était quand même significatif. Il avait tout à fait raison. Les hommes devaient être musclés et forts.

Roxy assista à la conversation en somnolant. Elle n’aurait pas pu être moins intéressée, mais ce n’était pas comme si je pouvais la blâmer.

Le lendemain, Lilia nous fit ses adieux alors que nous nous enfoncions à nouveau dans le labyrinthe.

Notre voyage jusqu’au quatrième étage s’était déroulé sans encombre. C’était en partie grâce à nos préparations élaborées et au changement de vitesse, mais nous avions aussi eu de la chance. C’était pratiquement une ligne droite tout le long du chemin jusque là. En termes de temps, cela n’avait pris que trois heures. Nous n’avions presque pas eu de problèmes avec les monstres.

Une fois arrivés, nous avions continué à cartographier le quatrième niveau plutôt que d’aller plus loin, mais à la surprise générale, Zenith était introuvable.

Comme nos provisions étaient encore en bon état, nous étions descendus pour commencer notre conquête du cinquième étage. À ce niveau, les Guerriers en armure avaient été rejoints par les Démons dévorants.

Le Diable Dévorant était un démon avec une bouche géante et des crocs acérés comme des rasoirs. Il avait également de longs membres et des griffes pointues qui lui permettaient d’escalader le plafond, un peu comme un extraterrestre dans une certaine franchise cinématographique. C’était un adversaire redoutable. Le fait qu’il puisse venir en sautillant depuis le plafond ou les murs signifiait que notre formation était inutile. Il passait juste au-dessus d’Elinalise et de Paul alors qu’ils affrontaient un guerrier blindé et se dirigeait vers nous. J’en avais des frissons dans le dos.

Cela dit, le Diable Dévorant lui-même n’était pas si fort que ça. Il était rapide, avec des attaques puissantes, mais ses défenses étaient faibles et il ne se battait pas beaucoup. J’avais été un peu surpris quand il fit son apparition, mais après l’avoir repoussé du mur, Elinalise plongea avec sa nouvelle arme et le combat se termina sans incident.

Et bien que le Diable Dévorant soit de rang A, nous nous étions habitués à ses mouvements inhabituels. C’était le guerrier en armure, avec sa force exceptionnelle, qui s’était avéré être l’adversaire le plus difficile. C’était quand même ennuyeux de devoir regarder en l’air pour repérer les Démons. Si votre attention était attirée par le plafond, vous ne repéreriez pas les pièges posés sur vos pieds. Et si vous marchiez négligemment sur un tel piège, vous pouviez être projeté vers Dieu qui sait où.

« Très bien, c’est l’heure de notre arme secrète », dit Geese.

Heureusement, nous avions notre guide. Il y avait une contre-mesure innovante pour ces parasites, enregistrée dans les pages du compte-rendu d’exploration du Labyrinthe de téléportations.

Les racines de l’arbre Talfro étaient vendues pour la consommation, mais si vous les brûliez comme de l’encens, les diables descendaient du plafond — ils détestaient cette odeur. De plus, ils essayaient de s’éloigner le plus possible de la fumée. Il était donc incroyablement facile de les combattre. En fait, avec cette méthode, ils n’étaient même pas de rang B, mais plutôt de rang C ! L’auteur de ce livre avait vraiment fait ses recherches.

Ce fut ainsi que nous avions franchi le cinquième étage en un rien de temps. Incapables de localiser le cercle menant à l’étage suivant, nous avions été obligés d’errer un peu, mais notre objectif n’était pas d’explorer l’endroit. Nous étions ici pour trouver Zenith. Tout allait bien. En fait, tout se passait à merveille pour nous.

Finalement, nous étions arrivés au sixième étage.

« Alors, Geese ? »

« On peut continuer. »

Geese donna une réponse courte à la question ambiguë de Paul.

Nous n’avions presque pas utilisé nos provisions, nous étions donc bien préparés. En plus, on était sur la bonne voie.

« OK, pas de retour en arrière. Alors, on continue. »

« Oui. »

Il n’y avait pas besoin de rentrer puisque nous avions des provisions et que nous étions prêts. Notre recherche allait continuer.

***

Chapitre 7 : Le cercle magique du sixième étage

Partie 1

Le sixième étage était rempli de Démons dévorants.

Les Guerriers en Armure avaient entièrement disparu, laissant seulement les ennuyeux rampants au plafond. Les combats se déroulaient sans problème grâce à l’encens, mais ils étaient encore beaucoup trop nombreux. Tellement, en fait, qu’il fallait se demander pourquoi ces choses étaient si nombreuses ici.

La raison en était devenue évidente au fur et à mesure que l’on empiétait sur les parties les plus profondes du sixième étage.

Là, dans la pièce menant au prochain cercle magique, se trouvait un nid. Un essaim de bêtes se pressait à l’intérieur, et d’innombrables œufs étaient posés sur les bords de la zone. C’étaient des formes sombres et oblongues, enduites de liquide, un peu comme les cafards de mon monde. J’avais des frissons dans le dos rien qu’en les regardant.

Peut-être qu’il y avait une reine quelque part et qu’elle utilisait Zenith pour aider à la naissance de ses œufs. Cette idée m’avait traversé l’esprit, mais rien n’indiquait que les Démons dévorants aient de telles habitudes. Ils se regroupaient, mais ils ne semblaient pas avoir de reine. Comme les cafards.

Quoi qu’il en soit, d’où venaient tous ces parasites, et quel était leur but ? Comment pouvaient-ils être si nombreux alors qu’il n’y avait pas de source de nourriture équivalente pour les faire vivre ?

« Professeur, que mangent des bêtes comme ça ? », avais-je demandé à Roxy.

« Bonne question. Il existe de nombreuses théories, mais j’ai souvent entendu dire qu’elles se nourrissaient de mana. »

« Mana ? »

Les forêts et les grottes avaient une forte concentration en mana, en plus d’être pleines de monstres. En y réfléchissant, Nanahoshi avait bien mentionné que cette énergie magique pouvait être trouvée dans toutes sortes de choses à travers ce monde. Le mana, cependant, ne pouvait pas être vu à l’œil nu, alors comment confirmer cette théorie ?

Attendez, il y a l’œil ressentant le pouvoir magique, ce qui voudrait dire que c’était vrai.

Pourtant, s’ils se nourrissaient vraiment de mana, alors ne serait-il pas logique qu’ils engloutissent mes sorts ? Le fait qu’ils ne puissent pas le faire devait signifier qu’il existe deux types de puissance magique : celle qui pouvait être consommée et celle qui ne le pouvait pas.

Maintenant que j’y pense, Paul m’avait dit il y a longtemps que les monstres étaient attirés par le cristal imprégné de magie au cœur d’un labyrinthe. Les cristaux étaient-ils vraiment si attirants pour les monstres ? Ceux d’ici n’essayaient même pas de creuser plus profondément. Tout ce qu’ils avaient fait était de créer un nid et de commencer à habiter l’endroit.

Eh bien, réfléchir à ce mystère ne me mènerait à nulle part pour le moment. Il y avait d’autres monstres, comme le Guerrier en armure, qui ne consommaient rien pour survivre. Je laissais les questions d’écosystème des monstres aux experts.

« Bon, peu importe ce qu’ils consomment, ça ne change rien au fait qu’ils attaquent les humains à vue. Détruisons ces œufs là où nous les trouvons, ou ils deviendront une épine dans notre pied lors de notre prochain retour », dit Roxy en s’attaquant froidement à leurs œufs.

Elle n’utilisa pourtant pas de la magie pour les empaler un par un, mais une épée courte. Son expression était la définition même de l’indifférence. J’aimais bien ce côté d’elle, moi aussi.

En tout cas, les monstres produisaient des œufs, hein ? Je m’étais demandé si les Guerriers en armure avaient aussi une progéniture. Je m’étais imaginé une version miniature d’eux, aussi grande qu’une poupée de feutre, portant une épée en jouet et se dandinant partout. J’imaginais leur maman blindée et leur papa blindé veillant sur eux avec bonheur. Puis, soudainement, des bruits de pas — un intrus. La maman et le papa en armure ordonnent à leur fils de se cacher alors qu’ils se rendaient sur le champ de bataille. Paul apparaît devant eux, son visage étant celui d’un démon. Il tua brutalement les parents avec une épée courte particulièrement efficace pour transpercer leur armure, un peu comme un pesticide contre les insectes. L’enfant en fut témoin et apprit ainsi que les humains étaient ses ennemis. Il grandit et se transforma en une bête qui attaquait les humains à vue.

Oui c’est vrai, c’était une pensée ridicule.

« Rudy, qu’est-ce que tu fais ? Aide-moi, s’il te plaît. », dit Roxy.

« Oh, d’accord. »

J’avais fait ce qu’on m’avait demandé, et j’avais commencé à casser les œufs.

Les trois autres pièces liées à celle-ci étaient également remplies de ces choses. Il n’y avait aucun signe d’éclosion, mais si c’était le cas, la larve essaierait de s’accrocher à n’importe quel humain qu’elle voyait.

Notre nettoyage s’était terminé assez tranquillement après ça, sans qu’une seule larve nouvellement éclose sorte pour essayer de s’accrocher à l’entrejambe de Roxy.

*****

Nous étions enfin arrivés dans les profondeurs du labyrinthe, l’endroit même dont il était question dans les dernières pages de notre livre. C’était une pièce spacieuse et carrée construite en pierre. Il y avait trois cercles magiques près de l’un des murs qui faisaient face à l’entrée de la pièce.

Si c’était tout, l’endroit n’aurait pas semblé spécial. Mais la pièce était absolument vide, à l’exception des cercles. Dans la pièce précédente, il y avait un essaim virtuel de Diables dévorants, et plus d’une centaine de leurs œufs par-dessus le marché. Pourtant, il n’y avait que ces cercles ici, comme s’il s’agissait d’une terre sainte où ni les œufs ni les bestioles qui les avaient engendrés n’osaient entrer. Un seul mot pouvait décrire suffisamment ce phénomène : anormal.

« C’est le boss » : dit Elinalise.

Paul est d’accord : « C’est vrai que cela dégage une drôle d’aura. »

« Restez vigilant », avait prévenu Roxy.

Tous les trois tenaient leurs armes près d’eux pendant qu’ils parlaient. Peut-être était-il courant que la pièce située juste avant la tanière du boss dégage une aura inquiétante.

« Eh bien, lequel ça va être ? »

Geese tenait notre guide dans une main et examinait chaque cercle. Tous les autres se tenaient à l’entrée en attendant.

« Je vais aider. »

J’avais proposé de me joindre à lui, en tant que personne ayant déjà assisté à la création de cercles d’invocation.

« Oui, ce serait génial », dit Geese.

Pour une raison quelconque, Roxy s’était glissée derrière moi. Sa présence sera au moins une source de réconfort.

« Comment ça se présente ? », avais-je demandé.

« Exactement comme le dit le livre. »

Un par un, j’avais vérifié chacun des cercles devant nous par rapport à ce qui était transcrit dans le livre. Le livre, d’ailleurs, disait ceci :

Il y a trois cercles magiques. Nous avons immédiatement su que deux d’entre eux étaient des cercles de téléportation aléatoires, nous avons donc utilisé une pierre pour marquer celui qui nous semblait correct, et nous avons sauté dessus. Cependant, c’était un piège. J’ai été transporté dans un espace inconnu, et je me suis retrouvé piégé entre des corps noirs et visqueux serrés les uns contre les autres. C’est ça, un nid de Diables dévorants. Dès qu’ils m’ont vu…

Je vous épargne la scène de combat qui suivit.

J’avais immédiatement repéré la pierre qu’ils avaient utilisée comme signe. C’était une pierre de la taille d’un poing, magnifiquement polie. Le nombre six était gravé sur sa surface. Nous n’avions rien vu de tel aux étages précédents.

« La voir ici m’émeut un peu. »

Geese fronça les sourcils.

« Tu crois ? Je dis que c’est juste de la malchance. Écoutez, patron, les choses comme ça, les objets laissés par un mort, ça porte la poisse. »

« La poisse ? »

« Oui, c’est ça. La poisse. »

« D’accord. Mais ce n’est pas comme si tout leur groupe avait été anéanti. », avais-je dit.

Pendant que nous parlions, j’avais continué à inspecter le cercle devant nous. Il ressemblait exactement aux cercles à double sens que nous avions utilisés pour aller et venir de nombreuses fois jusqu’à présent, et pourtant celui-ci était différent. Si vous marchiez dessus, il vous téléportait de manière aléatoire. Ou peut-être que vous n’aviez même pas besoin de marcher dessus, peut-être qu’une fois activé, il déformait tout ce qui se trouvait dans la pièce.

Cela signifiait que l’un des deux autres doit être la bonne option. Pourtant, les deux avaient très clairement les caractéristiques d’un cercle de téléportation aléatoire.

« Rudy, peux-tu dire lequel est le bon ? », demanda Roxy.

J’avais secoué la tête.

« Non, je n’en sais rien. Nanahoshi le saurait peut-être si elle était là. »

« Nanahoshi ? Qui est-ce ? »

« Une fille qui étudie la téléportation, ou plutôt l’invocation, à l’université. Elle en sait beaucoup sur les cercles magiques, donc elle pourrait être en mesure d’intervenir. »

« Pourrait-elle être… ton amante ? »

« Nanahoshi ? Pas possible. »

J’avais ri de sa question. Ce faisant, je m’étais dit Si seulement Nanahoshi était là. Ou Sylphie, ou même Cliff. Les deux premières auraient été impossibles, mais peut-être que j’aurais dû peut-être amener Cliff. Peut-être que je devrais retourner le chercher ? Mais ça prendrait trois mois pour faire l’aller-retour. Peut-être même quatre mois. Cliff n’était pas habitué à voyager autant.

Nah. Même si j’allais le chercher, il pourrait dire, « Je ne sais pas non plus. »

« En fait, j’ai fait des recherches sur la téléportation à l’université, mais je suis gêné de dire que je n’y comprends rien. », avais-je dit.

« Tu as fait des recherches sur la téléportation ? » demanda Roxy, surprise.

« Oui. »

« Je vois. J’aurais dû m’y attendre de ta part, Rudy. Tout le monde ne peut pas penser à cerner un problème à sa source plutôt que de chercher aveuglément des réponses. »

Elle semblait avoir mal compris. J’avais juste suivi les conseils de l’Homme-Dieu. Mais ce n’était pas comme si je pouvais vraiment partager cela avec Roxy, puisque mes motifs pour le faire étaient impurs. Il valait mieux ne pas dire certaines choses.

« Eh bien, c’est une conclusion évidente, en tant qu’élève du grand professeur Roxy. »

« Tu peux me féliciter si tu le veux, mais tu n’obtiendras rien en retour. »

Nous avions terminé notre examen des cercles.

« Eh bien, patron, vous avez trouvé quelque chose ? », demanda Geese.

« Non, rien. »

***

Partie 2

Et de toute façon, ma connaissance des cercles magiques venait principalement du livre. Si la bonne réponse n’était pas dans ses pages, alors elle était en dehors de mon domaine d’expertise. J’avais fait quelques recherches supplémentaires sur la téléportation, bien sûr, mais cela me dépassait toujours.

Il y avait une chose que je savais : les trois cercles devant nous étaient anormaux. J’avais aidé Nanahoshi avec suffisamment de cercles magiques dans le passé pour pouvoir le dire. Un changement dans les parties les plus petites et les plus complexes d’un cercle altérait ses effets. C’était pourquoi je pouvais dire avec confiance qu’aucun de ces cercles n’était normal.

« Si ce que dit le livre est vrai, l’un de ces deux-là est le bon cercle », avais-je dit.

« … Ce que vous voulez dire, c’est que vous ne le savez pas non plus ? », clarifia Geese.

« Exactement. »

Nous étions retournés à l’entrée de la pièce, nous asseyant à l’intérieur dans la formation circulaire que Paul et les autres avaient prise en se reposant. Là, nous avions rapporté les détails de notre recherche aussi précisément que nous le pouvions.

Paul fit claquer sa langue : « Tch, deux choix, hein ? ».

Elinalise marmonna : « Oh là là, deux choix… »

Et Talhand rouspéta : « Zut, deux, hein ? ».

Aucun d’entre eux n’avait l’air ravi de la nouvelle.

« Deux options, ça va vraiment nous desservir. Ce serait mieux si on en avait trois. »

En regardant le plafond, Geese me rappela un certain personnage d’anime de la mafia italienne qui porte un étrange chapeau sur la tête. On dirait qu’ils avaient de mauvais souvenirs associés au choix entre deux options, ce qui ne m’avait pas surpris.

« Est-ce aussi une poisse ? », avais-je demandé.

« Oui, c’en est une. Quand on n’a que deux choix, on doit laisser Ghislaine choisir. Ou quoi qu’on fasse, ça se terminera par un échec », expliqua Geese.

Paul et les autres hochèrent la tête en signe d’accord.

Ghislaine, hein ? Ce nom me rappelait des souvenirs. En tant que homme-bête, elle avait certainement un assez bon sens de l’odorat pour flairer la bonne réponse.

« Ghislaine… Si seulement elle était là maintenant », dit Paul avec nostalgie.

Elinalise ajouta : « Elle n’a jamais été aussi utile que dans des moments comme celui-ci. »

« Elle n’écoutait jamais les instructions pendant la bataille et fonçait tête baissée, comme si elle ne comprenait pas un mot de ce qu’on lui disait. Elle ne savait ni lire, ni écrire, ni faire de l’arithmétique, et elle s’énervait dès qu’on parlait de quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Mais au moins, quand on n’avait que deux options, elle était bizarrement capable de choisir la bonne », dit Talhand.

Wôw, ils disaient vraiment des choses cruelles sur elle. Pauvre Ghislaine. J’espérais qu’ils s’arrêteraient à ça. Après tout, elle était l’un des professeurs que je respectais.

« S’il vous plaît, laissez-la tranquille. Elle sait maintenant lire, écrire et calculer. », avais-je plaidé.

Ghislaine avait travaillé dur. Elle trébuchait encore quand il s’agissait d’additionner des nombres, mais elle s’était cassé le cul pour apprendre la division.

« Hmph, Paul m’a déjà raconté ça, mais je ne serai pas dupe. Il n’y a aucune chance que ce chiot puisse fonctionner comme une personne normale. », dit le nain.

« J’ai entendu la même chose, mais pour être honnête, je ne peux pas non plus y croire », approuva Elinalise.

Ils étaient tous les deux sceptiques. Et ce n’était pas comme si je ne les comprenais pas, Ghislaine avait certainement été une tête de mule.

Mais c’était étrange. Tous les anciens membres du groupe de Paul étaient réunis ici, sauf Ghislaine. La même femme qui avait été la seule membre du groupe à rester en contact avec Paul après leur brouille. La seule qui connaissait le village de Buena parmi tous ceux qui étaient réunis ici.

Oui, c’est étrange.

« Oublie ça, qu’est-ce qu’on va faire ? », demanda Geese en revenant au point initial de notre conversation.

Il y avait deux cercles. Par lequel allions-nous passer ?

« Rudy, même toi, tu n’as pas été capable de le dire, hein ? », demanda Paul.

« Malheureusement, non. Je les ai même étudiés à l’école avant de venir. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider davantage. », dis-je en secouant la tête.

« Alors c’est comme ça… »

Paul croisa ses bras sur sa poitrine, ferma les yeux et se mit à réfléchir. Après même pas une minute, il releva la tête.

« Faisons un vote à la majorité et voyons où cela nous mène. Ceux qui sont en faveur du cercle de téléportation de droite, levez la main droite. Ceux en faveur du gauche, levez votre main gauche. »

Chaque personne leva sa main à son commandement. Paul, Elinalise et Roxy avaient tous voté pour aller à droite, tandis que Geese, Talhand et moi avions voté pour aller à gauche. Nous étions divisés en deux.

« Tch, on n’arrive même pas à se décider », dit Paul en crachant.

« Hum, Père. Je dois dire que je ne suis pas très sûr de pouvoir décider de quelque chose comme ça à la majorité des voix. », avais-je dit.

« Oui, oui. Quelqu’un d’autre a une idée brillante ? »

Quand Paul le demanda, Elinalise leva la main.

« Et si on envoyait une personne dans chacun d’eux en même temps ? »

« Tu proposes qu’on sacrifie quelqu’un ? »

« Toi ou moi, nous pourrions brûler de l’encens et nous frayer un chemin à travers les démons s’il le fallait », dit-elle avec assurance.

Une personne entrerait dans chacun des deux cercles en même temps, et la personne qui aurait vu juste reviendrait vers nous. Nous partirions alors immédiatement à la recherche de l’autre personne et le problème serait (peut-être) résolu.

« Je m’y oppose », avais-je dit.

« Oh, Rudeus ? Pourquoi ça ? », dit Elinalise, surprise.

« D’abord, il n’y a aucune garantie que l’un ou l’autre soit la bonne réponse. »

Selon toute apparence, les deux cercles semblaient être des télétransporteurs aléatoires. Ils pouvaient être tous les deux des pièges, ce qui signifiait que les trois cercles étaient des pièges. Il était possible que les bons cercles soient situés dans une autre pièce. Certes, cela semblait peu probable — le livre disait qu’ils avaient fouillé chaque pièce de chaque étage avant de passer à la suivante. Si je devais faire confiance à l’auteur, alors c’était notre destination.

Mais la position des cercles et leurs formes… Tout cela semblait délibéré. Trompeur.

Quelque chose clochait.

Pourquoi quelqu’un voudrait-il faire un piège qui avait une chance sur deux de réussir ? Ne serait-ce pas contraire à l’objectif d’un piège ? De plus, si la personne qui l’avait créé s’était donné la peine de préparer un faux cercle à double sens, la solution était-elle vraiment aussi simple. L’un des deux cercles restants était-il non piégé ? Si c’était tout ce qu’il y avait à faire, pourquoi s’embêter à créer trois cercles ?

Peut-être avions-nous manqué un indice quelque part ? Non, ce n’était pas un jeu d’évasion. Un labyrinthe n’était pas obligé de nous donner des indices.

« Eh bien, Rudeus, as-tu une suggestion ? », demanda-t-elle.

« Non. Mais puis-je vous demander d’attendre un peu plus longtemps avant de prendre une décision ? », avais-je admis

Cela me pesait. J’avais l’impression d’avoir oublié quelque chose. Et jusqu’à ce que je me souvienne de ce que c’était, le simple fait de marcher sur un de ces cercles en supposant qu’il y avait une chance sur deux était trop dangereux. Dès qu’une personne le ferait, il était possible que la pièce entière soit téléportée au hasard.

On ne pouvait traverser le Labyrinthe de Téléportations qu’en passant par des cercles magiques. Peut-être y avait-il des pièces que l’on ne pouvait atteindre sans marcher sur un cercle aléatoire.

« Je veux y réfléchir un peu plus longtemps », avais-je plaidé.

« OK, Rudy. On s’en remet à toi. »

Paul acquiesça avant que quiconque puisse répondre.

Je m’étais assis devant les cercles et j’avais commencé à réfléchir.

Mon postulat de départ était le suivant : ces trois cercles étaient tous des pièges. À partir de là, trois possibilités me traversaient l’esprit.

Premièrement, il était possible que ce ne soit pas le point final du labyrinthe.

Selon le livre, ce labyrinthe avait une règle interne qui lui était propre, et cette règle était que la route principale à travers le labyrinthe était composée uniquement de cercles à double sens. Suivant cette logique, ce devait être la destination.

Cependant, la zone dans laquelle Roxy s’était égarée auparavant était une section du labyrinthe inaccessible par les seuls cercles à double sens. Pour retrouver le chemin principal, il fallait se frayer un chemin à travers plus de trente cercles à sens unique dans la zone. En résumé, la véritable fin de ce labyrinthe pourrait se trouver au-delà d’un cercle à sens unique, bien que je pense que les chances que ce soit le cas soient minces.

Deuxième possibilité : À l’insu de l’auteur, l’un des autres membres du groupe avait déclenché un piège juste avant de franchir le portail. L’auteur avait supposé qu’ils marchaient sur le portail bidirectionnel, mais ce qui s’était passé en réalité, c’était que quelqu’un d’autre avait déclenché un portail aléatoire, téléportant toutes les personnes dans la pièce dans un endroit aléatoire. Ainsi, le portail bidirectionnel était en fait le bon.

Nah, ça ne pouvait pas être ça. Si un tel piège était présent, Geese l’aurait sûrement remarqué.

Troisièmement : le cercle à double sens était en fait un double cercle.

Les portails avaient beaucoup de formes différentes. Peut-être qu’il en existait un en forme de beignet. Si c’était le cas, le bon portail pourrait être entouré d’un portail en forme de beignet qui serait en fait un piège de téléportation. C’était possible, non ?

En d’autres termes, tant que nous marchions sur le centre plutôt que sur le périmètre, nous pouvions atteindre l’étage suivant.

Idiot. Pour qui tu te prends, une sorte d’as du détective ?, m’étais-je réprimandé.

***

Partie 3

La plus probable de ces trois possibilités devait être la première.

L’auteur n’avait généralement jamais marché sur des cercles à double sens. Même après avoir découvert les trois différents types de cercles au premier étage, il n’avait jamais marché sur un seul cercle aléatoire ou à sens unique en descendant les troisième et quatrième étages. Cela avait été suffisant pour l’amener jusqu’ici.

Peut-être qu’à partir de ce point, il fallait passer par des cercles à sens unique pour arriver à la fin. Mais si c’était le cas, alors peut-être que le chemin menant à l’étage suivant ne commençait pas ici. Peut-être étions-nous simplement dans une impasse. Et dans ce cas, le chemin à suivre pourrait commencer quelque part où nous étions déjà passés. Par exemple, il pourrait y avoir un cercle à sens unique au quatrième étage qui mènerait en fait au point final du donjon.

Bon sang. Les choses étaient devenues si compliquées.

De plus, dès le départ, la façon dont l’auteur avait divisé les « étages » était arbitraire. Il l’avait fait entièrement en fonction des monstres présents dans les environs et de l’aspect de la zone. La « règle » unique selon laquelle la route principale à travers le labyrinthe ne comporte que des portails à double sens pourrait être une pure coïncidence.

Notre meilleure option était-elle de nous frayer un chemin par la force brute, en essayant chaque option une par une ? Commencer à cet étage et passer par chaque cercle à sens unique, en battant tous les monstres que nous rencontrions, en essayant de trouver un autre chemin ? Cela semblait être le bon choix.

Mais regarde l’aura de cette pièce. Les membres vétérans de mon groupe étaient entrés et avaient immédiatement senti que le boss, ou plutôt le gardien, devait être proche. J’étais sûr que cet endroit devait être spécial. Que ce devait être la dernière pièce de ce labyrinthe.

Non, peut-être que c’était juste un des pièges du labyrinthe. Hmm…

« Il n’y a pas de fin aux possibilités, » m’étais-je murmuré en me levant.

C’était l’heure de la pause pipi.

« Père ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Paul leva alors les yeux.

« Je vais aller me soulager. »

« Tu vas pisser, hein ? Je vais aussi y aller. »

« “Pisser” ! », J’avais lâché un mot sous le choc.

« Tu ne peux pas utiliser un langage aussi inapproprié devant des dames… »

« Qui se soucie des bonnes manières dans un endroit comme celui-ci ? »

Allez, on est en face de Roxy. Je ne peux pas faire d’erreur ici !

Bon, d’accord, elle ne verrait probablement pas d’un bon œil que j’aille aux toilettes, mais quand même.

Paul m’accompagna hors de la pièce et retourna à l’endroit où se trouvaient les cadavres et les œufs écrasés des Diable. Là, nous avions fait le guet à tour de rôle pendant que les autres s’occupaient de leurs affaires.

« Tu as vraiment du mal avec celui-là », fit remarquer Paul pendant que je vidais ma vessie.

« Oui. Il m’est venu à l’esprit que peut-être cet endroit n’est pas la dernière pièce de cet étage. Qu’il y a peut-être un autre chemin. Une que nous devons prendre pour arriver au boss. »

« Nan, ce n’est pas possible. Cette pièce est à tous les coups le bon endroit. », dit-il en secouant la tête.

« Dis-tu ça en te basant sur quoi exactement ? »

« Rien. »

En d’autres termes, l’intuition. Tout de même, c’était l’intuition d’un vétéran. Ce n’était pas quelque chose que je pouvais prendre à la légère. Une intuition de ce genre pouvait sembler être une conjecture sans fondement, mais c’était en fait une déduction inconsciente basée sur l’expérience.

« Eh bien, pas besoin d’aller trop vite. Nous allons attendre. S’il y a quelque chose dont tu n’es pas sûr ou dont tu veux discuter avec nous, n’hésite pas. N’essaye pas de tout résoudre par toi-même, d’accord ? », dit Paul.

« Compris. »

J’avais rangé mon copain dans mon pantalon et j’avais échangé ma place avec Paul. Maintenant que j’étais de garde, j’avais jeté un coup d’œil autour de moi.

« Oh, il y a aussi une autre chose dont je voulais te parler, Rudy. »

« Oui ? Qu’est-ce que c’est ? »

Un bref silence surgit.

« Ah, nah. Pas le temps pour ça maintenant. Je t’en parlerai quand nous serons de retour à l’auberge. »

« Qu’est-ce que c’est ? S’il te plaît, ne fais pas ça. Ça va me rendre nerveux si tu ne me le dis pas. C’est le genre de chose qu’on appelle un “drapeau de la mort”, tu sais. »

« Qu’est-ce que c’est que ça ? De toute façon, si je le dis maintenant, ça ne fera que saper le moral du groupe. »

J’avais incliné la tête en entendant sa voix filtrer par-derrière. Ça ne ferait qu’affecter notre moral ? De quoi diable voulait-il parler ? Était-ce de l’anxiété à propos de Zenith ? Ou quelque chose d’autre qui pourrait rendre les choses plus difficiles entre nous ?

« Une sorte de réprimande ? », avais-je fini par deviner.

« En gros, oui. Quelque chose comme ça. »

« C’est vrai, ça pourrait vraiment tout gâcher si je déprimais et que je ne pouvais pas rester concentré au combat. Tu pourras être aussi en colère contre moi quand ce sera fait. »

« Ah, eh bien, ce n’est pas comme si j’étais en colère. J’ai juste pensé que je devais te donner une chance de te préparer un peu. »

Une fois qu’on était rentré à l’auberge, hein ? J’espérais que nous serions en mesure de sauver Zenith avant.

« J’espère que maman est en sécurité », avais-je dit.

« … Oui, moi aussi. »

Avec juste ces quelques mots, l’air de la pièce était devenu oppressant.

Ce n’était pas bon. Paul devait se sentir désespéré. On était allés si loin et que nous ne l’avions toujours pas trouvée. Il était préférable de garder ce genre de pensées pour moi.

J’avais écouté le long filet d’eau de Paul qui se soulageait pendant que j’examinais la zone.

Il y avait une grande pièce et trois plus petites qui avaient été recouvertes d’œufs. Puis il y avait celle plus loin avec les cercles magiques. Toutes les petites pièces étaient reliées à la grande.

Quelque chose me dérangeait.

« Cette pièce est assez longue, non ? »

« Hm ? Je suppose que oui. Pourquoi ? », répondit Paul en grognant.

Elle était de forme oblongue, bien que suffisamment large et tellement encombrée de cadavres qu’elle paraissait presque carrée à première vue. Un examen plus approfondi révéla que sa longueur dépassait sa largeur. Elle était en fait rectangulaire. A chaque extrémité de cette longue étendue se trouvait une pièce annexe, bien que leurs tailles soient toutes différentes.

J’avais déjà vu ça auparavant. Récemment.

Et il manquait quelque chose.

« … Ah ! »

Cela m’était soudainement venu à l’esprit. C’est vrai — cela ressemblait exactement aux ruines des cercles de téléportation que nous avions utilisés pour venir ici.

« Ok ! Retournons maintenant dans la pièce… Euh, Rudy ? Qu’est-ce que tu fais ? »

Paul m’avait regardé avec méfiance.

Je lui avais jeté un regard en coin en me précipitant vers les autres membres.

Geese était assis, les fesses posées sur le sol, un peu comme la statue du Grand Bouddha, au moment où je l’avais interpellé : « Monsieur Geese, puis-je avoir ton aide ? ».

« Hm ? Avez-vous trouvé quelque chose ? »

« Dépêche-toi et viens avec moi. »

Je l’avais traîné avec moi jusqu’au centre de la pièce.

« S’il te plaît, cherche par ici et vois si tu peux trouver un escalier caché. »

« Huh… ? Attendez, je suppose que c’est possible. Nous n’avons rien vu d’autre que des pièges de téléportation jusqu’à présent, mais il se pourrait qu’il y ait une pièce cachée ou quelque chose comme ça. »

Geese, qui s’était convaincu sans que je lui dise quoi que ce soit, s’était mis à quatre pattes et commença à fouiller le sol. Il posa son oreille sur le sol, le visage tendu. Puis il retira son épée courte et commença à taper le pommeau contre le sol.

« Hé… C’est ici. C’est ici ! Patron, il y a une grotte là-dessous ! », s’exclama-t-il

« Peux-tu l’ouvrir ? »

« Donnez-moi une seconde. »

Geese commença à tripoter le sol. Il se rendit alors vers le mur, ses mains effleurant la surface au fur et à mesure. Puis il se retourna vers moi.

« Pas bon. Je ne peux pas l’ouvrir. Sûrement le genre qu’on doit forcer pour l’ouvrir. »

« Alors, il n’y aura pas de problèmes si on le casse ? »

« Nah. Il n’y a pas de pièges. OK, patron, on y va. Visez ici », dit Geese en gravant un X dans le sol.

J’avais lâché mon canon de pierre sur la zone appropriée. Le projectile en terre fut dévié avec un clang retentissant, laissant le sol en dessous intact.

Me suis-je trop retenu ?

« Un peu plus fort que ça. Vous pouvez le faire, non ? », dit Geese.

« Oui. »

J’avais augmenté la puissance et visé un autre coup. Cette fois, une détonation beaucoup plus forte résonna dans les couloirs tandis que le sol s’effondrait, laissant un trou dans son sillage.

« OK, laissez-moi faire le reste ! »

Geese s’était immédiatement remis à quatre pattes pour déblayer les décombres.

Maintenant qu’il y avait un trou dans le sol, le reste était facile. Il ne lui fallut que peu de temps pour élargir la cavité, la transformant en une ouverture de forme carrée. En dessous, des escaliers descendaient en cascade dans l’obscurité.

« Incroyable ! Je vous laisse faire, patron. Je n’arrive pas à croire que vous ayez trouvé. »

« J’ai déjà vu ce genre de disposition une fois », avais-je admis.

Les ruines autour du cercle de téléportation que nous avions utilisé pour venir ici contenaient trois pièces vides et une autre avec un escalier. Je soupçonnais que la quatrième pièce ait été aussi simple que les autres. Peut-être que les escaliers qui menaient au cercle de téléportation avaient été cachés, tout comme ceux-ci. À l’époque où les ruines étaient encore utilisées, chaque pièce devait être meublée, rendant impossible le repérage de l’escalier caché d’un simple coup d’œil. Peut-être que la raison pour laquelle il était si visible maintenant était que le revêtement s’était affaibli avec les années, ou que quelqu’un l’avait détruit.

« OK, tout le monde, le patron a trouvé un escalier caché ! »

Au son de la voix de Geese, les autres membres s’étaient levés. Ils s’approchèrent et examinèrent les escaliers, haletant d’étonnement.

« Gahaha ! Je savais que tu pouvais le faire ! »

Talhand se mit à rire en me tapant dans le dos.

« Aïe. »

« C’est mon fils ! »

Paul le déclara bruyamment, suivant l’exemple du nain avec une claque de son propre chef.

« Aïe », avais-je encore dit.

« C’est logique. Je crois me souvenir que les ruines du cercle de téléportation étaient similaires. »

Elinalise me donna aussi une tape.

« Urgh… »

« Ne t’énerve pas trop. Il y a peut-être des pièges. Patron, passez-moi trois de vos parchemins. Et voilà ! »

Geese ponctua ses mots avec une claque.

« … »

Et au moment où j’avais jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule, j’avais vu Roxy avec sa petite main levée en l’air. Nos regards s’étaient croisés, le sien scrutant d’en bas, et sa main s’était arrêtée doucement contre mon dos, me frôlant à peine.

« Voilà. Tu as fait du bon travail. », avait-elle dit.

Son expression était teintée de déception, comme si elle n’arrivait pas à digérer le succès de son élève. Chacun de mes actes étant directement lié à elle, je ne voyais pas l’utilité de la contrarier.

C’est bon. Si ce moment se sait, je me vanterai en disant que c’est Roxy qui m’a donné le tuyau !, avais-je décidé

« Très bien, allons-y. Restez sur vos gardes, tout le monde », dit Geese.

« Oui ! »

Tout le monde hocha la tête ensemble.

Au pied de ces escaliers se trouvait un cercle de téléportation, un cercle à double sens. Un cercle qui était d’un rouge profond, rouge sang.

***

Chapitre 8 : Le gardien du Labyrinthe de la Téléportation

Partie 1

Jusque là, tous les cercles de téléportation avaient émis une lumière pâle, mais celui-ci était rouge. Une couleur qui signalait un danger. Les mots « zone dangereuse » m’étaient venus à l’esprit.

« C’est ici, au-delà de ce point », murmura Paul.

C’était sûrement son intuition qui parlait. Mais à quoi faisait-il référence ? La prison de Zenith ? Ou le gardien ? Quoi qu’il en soit, je me sentais étrangement confiant, persuadé que la dernière partie de ce labyrinthe était devant nous.

« Qu’est-ce que ce sera, Paul ? Nous avons encore des provisions, mais nous pouvons faire demi-tour pour l’instant si tu veux », dit Geese.

Nous avions eu un moment facile au sixième étage. Les Démons Dévorants n’étaient guère plus que des monstres de pacotille grâce à la racine de Talfro. Nous n’avions pas vraiment utilisé nos provisions, nous étions encore bien approvisionnés. On pouvait continuer. De plus, nous avions eu tout le temps de nous reposer dans la pièce précédente.

« Non, continuons. Tout le monde, vérifiez votre équipement. »

« Entendu. »

Après avoir entendu la décision de Paul, nous nous étions tous posés sur le sol et avions commencé à examiner notre équipement.

« Allez, Rudy, toi aussi. »

À la demande de Roxy, je m’étais assis. J’avais extrait de mon sac tout ce que je transportais, les alignant sur le sol pour faire le point sur ce que nous avions. Ce n’était pas comme si je portais trop de choses. Tout ce que j’avais, c’était quelques parchemins spirituels.

« Tu veux un ou deux de mes parchemins ? »

Roxy en avait caché quelques-uns dans son sac, au cas où le besoin s’en ferait sentir. Ils contenaient de la magie de niveau avancé. Elle pouvait jeter des sorts assez rapidement, grâce à ses incantations raccourcies, mais la magie de niveau avancé nécessitait de longues incantations. Il y avait forcément un moment où réciter les mots prenait trop de temps. C’était son atout caché.

« Cela pourrait être une bonne idée. Puis-je avoir quelques-uns de tes pouvoirs de guérison ? »

« Certainement. »

Je pouvais utiliser les incantations silencieuses, je n’avais donc pas besoin de parchemins de niveau avancé. La magie de guérison, était cependant une autre affaire. Il serait bon de les avoir au cas où ma gorge ou mes poumons seraient écrasés comme avant.

Roxy me les avait passés, je les avais pliés et rangés dans ma robe. Si je ne les utilisais pas, je pourrais les rendre plus tard. En fait, j’aimerais en ramener un chez moi et demander à Nanahoshi ou Cliff de le recréer pour moi.

Attendez, faire des copies sans permission était interdit, n’est-ce pas ? Mais je ne pensais pas me faire prendre si c’était juste pour un usage personnel.

« Je n’ai aucune idée du type de gardien que nous allons affronter, mais nous avons une grande puissance de feu. Je ferai tout ce que je peux pour te soutenir afin que tu n’aies pas à utiliser ces parchemins », dit Roxy.

« S’il te plaît, fais-le. Je peux être un peu lâche parfois, alors aide-moi si j’en ai besoin. »

« Bien sûr. Tu peux compter sur moi. »

Roxy frappa du poing contre sa petite poitrine. C’était rassurant de l’entendre dire ça.

« Rudeus, Roxy. »

Elinalise nous avait soudainement jeté quelque chose.

Après avoir attrapé l’objet volant dans ma main, j’avais réalisé que c’était une pierre de la taille d’une bille. Un des nombreux cristaux imprégnés de magie qu’Elinalise portait sur elle.

« Si tu n’as plus de mana, utilise-les », avait-elle dit.

J’avais jeté un coup d’œil vers elle.

« Es-tu sûre ? »

« Je ne fais que te les prêter. Si tu ne les utilises pas, tu me les rendras plus tard. »

« Oh, bien sûr. J’ai compris. »

Il n’était pas rare qu’un magicien tombe à court de mana lorsqu’il explorait un labyrinthe. Normalement, le groupe se retirait dans une telle situation. C’était pourquoi ils avaient vaincu tous les ennemis qu’ils avaient rencontrés, afin de pouvoir se retirer, se recharger et aller de l’avant une fois de plus.

Quand il s’agissait de combattre un gardien, par contre, j’avais entendu dire qu’il y avait des moments où vous ne pouviez pas fuir. Apparemment, vous pouviez même vous retrouver enfermé dans une zone de type arène, sans pouvoir en sortir tant que vous n’aviez pas vaincu la créature.

Le cercle rouge devant nous ressemblait à un cercle à double sens. Peut-être était-il en fait unidirectionnel. Si c’était le cas, nous aurions besoin d’un moyen de récupérer notre mana une fois que nous l’aurions traversé.

« Ok, tout le monde est prêt ? »

Nous nous étions levés au son de la voix de Paul. J’avais jeté un coup d’œil aux visages de chacun, remarquant leurs expressions crispées. J’avais besoin de mettre aussi mon visage sérieux.

« Rudy. »

Paul s’était tourné vers moi.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Je me sens mal de te dire ça à un moment pareil, mais… »

C’était là. Un drapeau de la mort.

« Alors, s’il te plaît ne le dis pas », l’avais-je coupé.

« Euh, ok. »

Paul avait l’air découragé. Peut-être que cela avait un peu entamé son moral. Mais je ne pouvais pas lui faire dire quelque chose d’important avant notre bataille finale. Tout ce qu’il avait à dire, il pourrait le dire une fois que nous serions rentrés chez nous.

« Ok, alors allons-y ! »

Nous nous étions échangés des regards et avions sauté sur le cercle tous en même temps.

La zone dans laquelle nous étions entrés était vaste. Elle ressemblait à la salle de réception d’un palais, modelée dans une forme oblongue de la taille d’un terrain de baseball. Il y avait d’épais piliers aux coins de la pièce, et le plafond était si haut qu’il fallait plier le cou en arrière pour le voir. Le sol sous nos pieds était recouvert de carreaux, dont chacun était gravé de son propre motif complexe, formant un relief. Si je devais choisir un seul mot pour décrire cet endroit, « majestueux » serait parfait.

« Whoa… ! »

Il y avait un monstre situé dans les profondeurs de cette structure ressemblant à un palais cendré. Un énorme monstre, environ deux fois plus grand qu’un wyrm rouge. Même de loin, je pouvais apercevoir le scintillement de ses écailles vert émeraude, ainsi que son corps court et robuste, et les nombreuses têtes qui en sortaient.

« Une hydre ? Sérieusement ? Je n’en ai jamais vu auparavant », marmonna Geese, ses mots secouant ma mémoire.

C’est vrai, ce genre de créature s’appelait une hydre. C’était un énorme dragon à neuf têtes.

« La voilà ! »

Mais ce n’était pas sur cela que les yeux de Paul, ni même les miens, s’étaient posés.

Là, juste derrière l’hydre, dans la pièce qu’elle protégeait, se trouvait un seul cristal imprégné de magie. Un cristal de taille magnifique, de couleur verte, avec des pointes qui s’étendent vers l’extérieur. Je n’en avais jamais vu un aussi grand auparavant. Il était complètement différent de ceux de la taille d’une bille qu’Elinalise portait avec elle.

Mais ça n’a pas d’importance. Non, la taille n’avait pas d’importance. Le plus important était ce qui était piégé dedans : ma mère.

Elle était là, enfermée dans ce cristal.

« Zenith ! », cria Paul.

J’étais complètement désorienté. Pourquoi ? Comment était-ce arrivé ? Comment était-elle piégée dans ce cristal ? Avant que je puisse exprimer mes doutes, Paul avait déjà une épée dans chaque main et chargeait en avant.

L’hydre avait doucement soulevé son cou en forme de faucille.

« Espèce de crétin ! Ne te précipite pas là-dedans ! », aboya Geese.

« Tch… ! »

Elinalise fit claquer sa langue et sprinta à sa suite. Talhand se dandinait derrière elle.

Elle n’arrivait pas à le rattraper.

« Je vais te couvrir ! », cria Roxy.

J’avais finalement repris mes esprits et j’avais tendu mon bâton vers l’hydre. Nous devions d’abord vaincre notre adversaire.

Je vais terrasser ce monstre en un seul coup !

J’avais chargé mon Canon de Pierre avec la même puissance que celle qui avait tué un Roi-Démon.

« Poing silencieux du géant des glaces, Coup de poing Glacé ! »

Roxy récita une incantation de niveau intermédiaire et sauta dans la bataille. Un bloc de glace solide plongea vers la créature, passant juste à côté de Paul avant de…

Piiiing !

Un bruit sec, comme des clous sur du verre, fendit l’air.

Les yeux de Roxy étaient devenus ronds, elle haleta alors.

« Quoi ?! »

L’hydre était complètement indemne.

Était-elle résistante à la glace ? Cette possibilité m’avait traversé l’esprit pendant une fraction de seconde, mais Paul était déjà sur le point d’arriver à l’endroit où se trouvait la créature.

« Canon de pierre ! »

J’avais libéré mon tir chargé. La balle en terre parfaitement polie siffla dans l’air. Il passa juste au-dessus de la tête de Paul, alors qu’il était à quelques pas de l’énorme serpent.

Piiiing !

Encore ce bruit assourdissant.

« A-t-il été dévié ?! »

Je m’étais étouffé d’incrédulité.

La créature ne pouvait pas l’avoir évité. Mon canon avait dû faire mouche. Le tir était précis, je le savais, j’en étais certain.

Mais l’hydre était là, dressée comme si elle n’avait rien remarqué. Pas une seule égratignure sur elle.

« Gruuuoaaah ! »

Le cri de guerre de Paul était si féroce qu’il avait atteint mes oreilles.

L’hydre bougea sa tête comme un serpent, s’attaquant à Paul alors qu’il s’approchait. Il était vif et précis dans ses esquives, ne bougeant que ce qui était nécessaire. L’instant d’après, les têtes du serpent dansaient dans les airs. L’épée gauche de Paul les avait transpercées. Sa vitesse était étonnante.

Puis, pendant un moment, le corps de Paul était devenu flou. Il était si rapide que même mon œil de prévoyance ne pouvait suivre ses mouvements. Du sang avait jailli d’un des autres cous de l’hydre. Une fois de plus, son épée gauche avait tranché la chair, mais sa lame n’avait pas la longueur nécessaire pour décapiter complètement la créature.

Il avait retourné son corps, profitant de la force centrifuge pour trancher une fois de plus. L’un des cous flétris du serpent s’écrasa sur le sol.

***

Partie 2

« Shaaaah ! »

En un instant, elle en avait perdu deux.

Malheureusement, les hydres avaient plusieurs têtes. Les autres avaient donc traversé l’air en fouettant, entourant Paul dans toutes les directions. Il recula d’un pas pour essayer de gagner de la distance, mais la longueur de sa foulée n’était pas suffisante pour échapper à la portée de l’hydre.

« Paul ! »

Elinalise l’avait finalement rattrapé. Elle arma son bouclier et poussa son arme en avant. Une onde de choc invisible se propagea dans l’air.

Piiing !

Il était encore là. Ce son.

L’hydre poursuivit Paul, comme si elle n’avait pas remarqué son attaque.

« Courants boueux rapides, jaillissez ! Déluge éclair ! »

L’incantation de Roxy fit apparaître de l’eau juste devant Paul, le mettant en sécurité et hors de portée de l’hydre.

Et alors qu’il tournait sur lui-même, faisant un saut périlleux dans l’eau, Elinalise s’avança immédiatement pour le couvrir. Derrière eux, Talhand s’était arrêté et commença sa propre incantation.

Bien qu’un peu irrégulière, notre formation comportait maintenant l’avant-garde, le milieu et l’arrière-garde habituels. Mais qu’est-ce que nous étions censés faire, nous autres ? Les attaques de Paul faisaient contact, mais mon Canon de Pierre avait été dévié. La magie de Roxy aussi. Devrais-je essayer le feu ensuite ? Ou le vent ? Il n’y avait cependant aucune garantie que Paul et les autres ne soient pas pris dans l’explosion.

Qu’est-ce que j’étais censé faire ?

« Pilier de terre ! »

Talhand avait finalement terminé son incantation. Il utilisait la magie de la terre.

Un rocher était apparu au-dessus de l’hydre et dégringola vers elle.

Piiing !

Encore une fois, le même son.

Juste avant l’impact, l’énorme rocher s’était brisé en poussière et avait disparu. Et il y avait de nouveau ce son — ce son perçant et aigu qui annulait la magie lorsqu’il se répercutait dans l’air.

« La magie ne fonctionne pas contre cette chose ?! », hurla Talhand.

Merde, que devions-nous faire ? Continuer à essayer ? Ou devrions-nous battre en retraite pour le moment ?

Qu’est-ce que j’étais censé faire ?

Roxy avait soudainement élevé la voix à côté de moi, bouleversée.

« Rudy, regarde ! Ça régénère ! »

J’avais levé les yeux à temps pour voir l’un des moignons, à l’endroit où Paul lui avait tranché la tête, commencer à se développer, la viande et les muscles se recoller. L’autre cou avait bientôt suivi.

Elle se régénérait.

Cela signifiait que le simple fait de lui couper le cou ne serait pas suffisant pour lui causer des dommages substantiels.

« On bat en retraite ! », cria Roxy, mais sa voix n’avait pas atteint Paul.

Paul poussait des cris de guerre féroces tout en frappant l’hydre avec son épée. Son style était si imprudent qu’il mettait en danger Elinalise, qui lui servait de soutien.

« Geese ! », cria Talhand.

Geese s’élança, dépassant Talhand et sprintant derrière Paul. Il saisit quelque chose dans sa main et le lança sur l’hydre.

Pa-pang !

Une explosion se fit entendre. Une fumée dense s’en échappa, avec l’hydre en son centre. Une bombe fumigène ?

Geese cria quelque chose en passant ses bras sous ceux de Paul, le coinçant par-derrière. Cependant, Geese n’avait pas suffi à maintenir Paul au sol. En quelques secondes, ce dernier était sur le point de le secouer jusqu’à ce qu’Elinalise frappe Paul à la tête avec son bouclier.

« Ah… ! »

Geese relâcha sa prise, prononça quelques mots que je n’avais pas pu saisir. Paul commença alors à revenir vers nous en se bousculant.

« Rudeus ! »

Elinalise m’appela, et mon corps bougea.

J’avais concentré tout le mana que je pouvais dans ma main, faisant apparaître une épaisse brume blanche dans l’espace vide entre Paul et l’hydre. Un écran de fumée. À travers elle, nous pouvions entendre le grondement de l’approche de la créature, mais heureusement, elle n’était pas si rapide. Paul et les autres avaient pu revenir vers nous.

« Rudy, on se replie. Retournons dans le cercle magique ! », dit Roxy.

« Oui, professeur ! »

J’avais ouvert la voie et j’avais sauté sur le cercle de téléportation.

*****

Tout le monde était arrivé sans encombre de l’autre côté — Roxy, Talhand et Geese, ainsi que Paul, soufflaient et haletaient. Puis, finalement, une Elinalise blessée était apparue derrière lui. Du sang coulait d’une blessure qu’elle avait reçue à l’épaule.

« Tu vas bien ? », avais-je demandé.

« Juste une égratignure. »

Une partie importante de son corps avait été coupé. Étrange, étant donné que je ne me rappelais pas qu’elle avait pris des coups.

« Son écaille m’a coupée. », dit-elle.

Apparemment, sa carapace extérieure était tranchante comme un rasoir.

Une magie de guérison de niveau basique avait suffi à refermer la blessure sans laisser la moindre égratignure. La même blessure aurait nécessité des dizaines de points de suture dans mon monde précédent. La magie de ce monde est vraiment pratique.

« Merci », dit Elinalise.

Il s’agissait maintenant de savoir comment s’occuper de la source de sa blessure, l’hydre.

Paul s’était installé devant le cercle magique. Il fixa son regard sur lui, l’intention meurtrière suintant de son corps comme une brume de poison.

Je l’avais appelé : « Père ? »

« C’était Zenith. J’en suis sûr », avait-il dit.

Ses yeux n’avaient même pas remarqué la blessure d’Elinalise. Bien qu’elle soit notre tank, on pouvait dire que les blessures faisaient partie de son travail. Mais quand même…

« S’il te plaît, calme-toi un peu », avais-je insisté.

« Oui, c’était ma faute. Je vais bien maintenant. »

La voix de Paul était basse. Il était calme, mais il n’avait pas la tête froide. Les mots « le calme avant la tempête » m’étaient venus à l’esprit.

Je ne pouvais pas faire grand-chose. Il avait raison, c’était Zenith. Même de loin, j’avais tout de suite su que c’était elle. J’étais sûr que Paul ne se tromperait pas non plus sur quelque chose comme ça. La personne piégée dans ce cristal imprégné de magie était certainement Zenith.

Mais pourquoi diable était-elle enfermée là-dedans ?

Non, la raison n’avait pas d’importance. Il y avait de nombreuses explications possibles. Peut-être que lorsque l’incident de Téléportation s’était produit, elle avait été téléportée à l’intérieur du cristal. Il était rare qu’une telle chose se produise, mais rare signifiait juste improbable, pas impossible.

Mais attends, Geese ne nous avait-il pas dit qu’elle avait été trouvée par des aventuriers ? Le mot qu’il avait utilisé était « capturée ». Attendez un peu. Est-ce que ça voulait dire que Geese savait dans quel état elle était… ?

Non, impossible. Ce n’était pas possible.

Ça ne servirait à rien de l’interroger sur l’origine de ces informations ici. Je pourrais lui poser des questions plus tard, une fois que ce serait terminé. Ce n’était pas le problème pour l’instant.

« … Je me demande si elle est encore en vie là-dedans », m’étais-je risqué, exprimant mon inquiétude.

« Tu as dis quoi ?! »

Paul avait bondi sur ses pieds et m’avait attrapé par le col de ma chemise.

« Ça n’a pas d’importance qu’elle soit vivante ou non ! »

« Tu as raison. » Il avait raison. C’était déplacé de ma part de dire ça.

Les chances de survie de Zenith étaient minces dès le départ. J’avais même envisagé la possibilité que nous ne trouvions aucun corps, peut-être rien de plus qu’un souvenir, quelque chose qu’elle avait laissé derrière elle. Nous pourrions au moins nous y accrocher dans notre chagrin, si elle était vraiment morte.

On pouvait dire que la trouver de cette façon, avec son corps en un seul morceau, était bien mieux que ce que nous pouvions espérer.

« Arrêtez de vous battre ! », dit Geese.

Mais Paul avait juste penché son visage vers moi, comme pour m’intimider. « Rudy. Elle est là. Zenith est là… ta mère ! Comment peux-tu être si calme ? »

« Tu préférerais que je panique ? Comment le fait que je perde mon calme pourrait-il résoudre quoi que ce soit ? »

« Ce n’est pas de ça que je parle ! », avait-il aboyé en retour.

Je savais ce qu’il voulait dire. Il était vrai que je faisais peut-être preuve d’un peu trop de sang-froid en ce moment. Mon attitude n’était certainement pas appropriée pour un enfant qui avait retrouvé sa mère après qu’elle ait disparu pendant six ans.

Mais, bon, je n’avais pas eu beaucoup de contact avec Zenith depuis que j’étais enfant. Je n’avais pas vraiment le sentiment qu’elle était ma mère. Elle était plutôt une personne qui avait vécu avec nous par hasard. Après tout, j’avais quitté la maison à l’âge de sept ans et je ne l’avais pas vue depuis presque dix ans.

Alors peut-être que ce n’était pas entièrement ma faute si j’avais une réaction tiède.

« Pour l’instant, mettons-nous d’accord sur notre situation actuelle », avais-je dit.

« Huh ?! »

J’avais ignoré les fanfaronnades de Paul et j’avais commencé à parler de manière factuelle : « Notre magie n’a pas fonctionné sur ce gardien. Il a d’incroyables capacités de régénération et sa force offensive est si écrasante qu’il a réussi à vaincre les défenses de Mlle Elinalise en la frôlant. Et puis il y a ma mère, qui est piégée dans un cristal. Franchement, on ne sait pas si elle est vivante ou non. »

« Dégage ! Je sais déjà tout ça ! Je dis que ce n’est pas l’attitude à avoir quand on l’a enfin trouvée ! », dit Paul.

Geese reprit la parole : « Je vous l’ai dit, laissez tomber ! Vous pourrez vous chamailler quand nous serons de retour à l’auberge ! »

Cette fois, il enleva Paul de moi par la force.

Paul cracha dans son souffle en s’écroulant sur le sol : « Bon sang, ça suffit. »

Il avait déjà compris la situation, il n’avait pas besoin que je lui explique. C’était juste mon attitude qu’il ne pouvait pas supporter. Même moi, j’admettais que j’étais trop peu émotif, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Que voulait-il que je fasse ?

Elinalise frappa ses mains l’une contre l’autre.

« Bon, assez de bagarres. Maintenant, discutons ! »

Paul et moi avions pris notre temps pour les rejoindre dans leur cercle sur le sol. Roxy avait l’air un peu troublée en nous regardant tous les deux. On dirait que je l’avais inquiétée.

« Je vais bien. », avais-je dit pour la rassurer.

« Tu es sûr… ? »

Ce n’était pas la première fois que quelque chose comme ça arrivait entre nous. Une fois les choses terminées, Paul reprendrait ses esprits. J’étais sûr que je ressentirais quelque chose aussi, une fois que Zenith serait en sécurité et que je pourrais à nouveau entendre sa voix.

C’est vrai. Cela devait être vrai. Les choses étaient juste un peu déréglées cette fois, c’est tout.

« Ahem. »

Roxy s’était éclairci la gorge.

« Hum, pour ce qui est de la Zenith cristallisée, je pense qu’il y a quelque chose que nous pouvons faire à ce sujet », dit-elle, l’air un peu plus joyeux que d’habitude.

« Vraiment ?! »

Paul avait l’air soulagé.

***

Partie 3

« Oui. J’ai entendu des histoires occasionnelles d’objets magiques puissants enfermés dans du cristal magique. Une fois que nous aurons vaincu la gardienne, le cristal se liquéfiera et nous pourrons la faire sortir. Ou du moins, c’est ce que disent les histoires. »

Ce n’était pas quelque chose que j’avais déjà entendu. Pourtant, c’était Roxy. J’étais sûr qu’elle n’inventerait rien.

« Oui, je sais de quoi tu parles. Je connais une autre personne qui a été comme Zenith, et elle est toujours en vie. », ajouta Elinalise.

« … »

Celui-là devait être un mensonge. Elinalise était du genre à raconter des histoires dans ce genre de situation. Je ne pouvais pas lui en vouloir si elle faisait ça pour essayer d’apaiser la tension, mais le précédent ne signifiait pas que Zenith irait bien.

Mais ce n’était pas comme si j’avais besoin de le dire. Tout le monde le savait déjà.

« Notre problème, c’est ce gardien », avait-elle poursuivi.

C’était la première à aborder le vrai problème.

« Honnêtement, je n’ai jamais vu un monstre de cette variété avant. »

« Sans blague. Je peux dire en regardant que c’est une hydre, mais je n’en ai jamais entendu parler avant ça d’une avec des écailles vertes. », poursuivit Geese.

« Pas seulement ça, cette chose peut aussi se régénérer. »

Talhand avait un regard troublé, les mains croisées devant lui.

Une hydre est un type de dragon. Un loup solitaire à têtes multiples, à la force inégalée. Pour autant que je sache, elles étaient censées habiter certaines parties du Continent Démon. Il y avait trois variétés actuellement confirmées, divisées par la couleur de leurs écailles : blanche, grise et dorée. Il n’existait pas d’hydre aux écailles vertes.

« C’est probablement une hydre manatite. Je l’ai lu dans un livre. C’est un dragon infernal dont le corps entier est recouvert d’écailles faites de pierre magique absorbant le mana. Elle avait été repérée pendant la deuxième Grande Guerre entre humains et démons, et selon le livre, elle avait été anéantie lorsque le continent fut divisé. J’étais persuadé que ce n’était rien de plus qu’un conte de fées, mais… il semble qu’elle existe vraiment. », dit Roxy.

L’absorption de mana… Cela signifiait-il que toute magie est inutile contre elle ?

« Veux-tu dire que nous ne pourrons pas du tout l’endommager ? », avais-je demandé juste pour confirmer

« Si ce que j’ai lu est vrai, tu devrais pouvoir l’atteindre avec tes sorts à condition de les lancer à bout portant », répondit Roxy.

« À bout portant… »

Cette chose était énorme. Sans compter qu’elle vous découperait comme une râpe à fromage si son corps entrait en contact avec le vôtre. Elle me disait de mettre ma main directement contre cette chose pour essayer de lancer mes sorts ? Je pourrais perdre tous mes doigts.

« Elle va quand même se régénérer même si tu l’endommages. Qu’est-ce qu’on est censés faire à ce sujet ? », grommela Talhand.

« Sa capacité à se régénérer est certainement une nuisance. », acquiesça Elinalise.

« Mais cette fichue chose ne peut pas être invincible », insista le nain.

L’hydre pouvait se régénérer, ce qui ne me surprenait pas du tout. En ce qui me concernait, c’était de notoriété publique.

« Nous lui avons coupé la tête et elle s’est remise à fonctionner normalement. Comment sommes-nous censés vaincre quelque chose comme ça ? »

Roxy fredonna d’un air pensif.

Moi, par contre, je ne pouvais pas me résoudre à le considérer comme un adversaire aussi invincible, même si je savais qu’il pouvait se rétablir. Pourquoi, me demandez-vous ? Grâce aux connaissances que j’avais acquises dans ma vie précédente.

« J’ai entendu dire que si vous brûlez le cou où sa tête a été coupée, elle ne pourra pas se régénérer. »

J’avais raconté l’histoire mythique d’Hercule. Il avait combattu une hydre. Selon les récits, il avait utilisé une torche pour cautériser les plaies ouvertes après l’avoir décapitée, l’empêchant ainsi de se régénérer.

Honnêtement, c’était juste un mythe — une histoire. Cela n’avait pas beaucoup de crédibilité.

Mais cela n’avait pas d’importance pour les membres de mon groupe. Leur réaction était positive.

« Alors c’est ça. Brûlons juste les plaies ouvertes ! »

« Nous n’avons pas apporté de torches, mais il ne pourra pas refléter la magie si nous le frappons là où il est blessé », poursuivit Elinalise.

« Je suppose que ça vaut le coup d’essayer. »

Je ne savais pas à quel point l’hydre de ce monde était similaire à celle de mon monde précédent. L’hydre des mythes était censée avoir une tête immortelle, mais peut-être, aussi improbable que cela puisse paraître, nous pourrions vaincre celle-ci en brûlant simplement toutes ses têtes. Je ne voulais pas être trop optimiste, mais c’était une créature vivante. Les êtres vivants pouvaient être tués.

« OK, alors essayons. », accepta Geese.

Avec ça, notre stratégie était établie.

Ma proposition ne garantissait pas le succès, mais il n’y avait de toute façon rien de tel qu’un succès garanti.

Franchement, j’avais l’impression que notre meilleur plan d’action était de retourner en ville. Même s’il était vrai que nous n’avions pratiquement pas utilisé nos provisions, nous avions un ennemi coriace devant nous. Il serait peut-être bon de nous préparer à combattre ce boss. Nous pourrions même engager des gens spécialement pour combattre une hydre. Je ne savais pas combien d’épéistes étaient capables de trancher le cou d’une hydre, mais avec le nombre d’aventuriers à Rapan, j’étais sûr que nous pourrions en trouver au moins un.

« … »

Mais je savais que Paul ne le permettrait pas. Dans son état actuel, si je lui proposais de faire demi-tour maintenant, il pourrait insister pour défier la bête tout seul. De plus, même si nous faisions demi-tour, je ne pouvais pas prévoir que nous serions assez chanceux pour trouver des objets spécifiques pour vaincre une hydre ou des mercenaires à louer.

Nous avions une contre-mesure. Nous avions le nombre de personnes nécessaires. Nous devions donc passer à la bataille.

« Hey, Paul. Tu es d’accord avec tout ça ? », demanda Geese.

« … Oui. »

« Ce n’est pas vraiment une réponse. Tu m’écoutes ? Tu es le seul à pouvoir couper la tête de cette chose. »

Il était possible qu’Elinalise et Talhand puissent endommager les écailles de la créature, mais ils ne pouvaient pas les couper. C’était Paul qui devait trancher, et comme j’étais le seul à pouvoir utiliser la magie silencieuse, je devais cautériser la plaie ouverte. La division des rôles était nécessaire ici.

Selon la situation, je pourrais même avoir à réduire la distance et le faire à distance de mêlée. Bien que je vise le bout du cou restant, il y avait de fortes chances que les écailles qui l’entouraient annulent ma magie. Si cela arrivait, les autres devraient agir comme un leurre pour détourner les attaques qui viendraient vers moi. Roxy les soignerait s’ils subissaient des dommages.

C’était comme ça qu’on s’était réparti les rôles. C’était comme ça que ça devait être.

Bien sûr, les attaques viendraient toujours inévitablement vers moi. J’étais dans une position très précaire.

« Ouf… »

Paul expira bruyamment et jeta un coup d’œil à chacun d’entre nous.

« Elinalise, Talhand, Geese, et Roxy… »

En prononçant leurs noms, ils s’étaient tous retournés pour le regarder.

« Vous m’avez tous aidé jusqu’à présent. Des années ont passé depuis l’incident de téléportation. Vous avez traversé le Continent Démon pour moi, vous avez cherché Rudy dans les Territoires du Nord pour moi, vous êtes allés jusqu’à des limites dont je ne pouvais même pas rêver. »

Les quatre l’ont regardé tranquillement, d’une manière qui semblait dire. Dépêche-toi et crache le morceau.

« Mais maintenant, c’est fini. Nous allons soit la sauver… ou, en supposant qu’elle ne soit pas en vie, au moins toute ma famille sera retrouvée. C’est la fin. S’il vous plaît, prêtez-moi votre force une dernière fois. »

Les quatre gloussèrent et hochèrent la tête.

« Ce n’est pas ton genre de jouer l’humilité. Mais je comprends. Je vais donner tout ce que j’ai. », dit Elinalise.

« Hmph, il n’y a pas un idiot ici qui dirait non après avoir fait tout ce chemin », dit Talhand.

Geese s’était joint à lui : « Tu t’es vraiment calmé au fil des ans. Je ne serai pas d’une grande aide, mais je ferai quand même ce que je peux. »

« Gagnons ça. Nous serons récompensés pour nos efforts une fois que nous aurons remporté la victoire. », dit Roxy en levant le poing.

Ému par leurs paroles, Paul semblait étouffer ses larmes en reniflant. Mais il ne nous avait pas laissés le voir pleurer. Au lieu de cela, il s’était tourné vers moi.

« Rudy. Tu… tu es vraiment un fils fiable. », balbutia-t-il.

Mais je pouvais voir la détermination dans ses yeux.

« Tu pourras me flatter après avoir vaincu l’hydre. »

« Ce n’est pas de la flatterie. Je le pense vraiment. Je ne peux pas être aussi calme que toi. Je ne peux pas non plus avoir d’idées. Je suis juste un idiot qui fonce tête baissée sans réfléchir. », dit Paul en laissant échapper un rire d’autodérision.

« … Je suis un père terrible. Je ne peux même pas donner le bon exemple à mon fils. », continua-t-il, ses lèvres se déchirant comme s’il grinçait des dents.

Sa voix était chargée de conviction. Il me regardait fixement, les yeux si concentrés qu’on aurait dit qu’il me fixait avec des poignards.

Détermination — c’était le mot. Paul était plein de détermination.

« Avec ça en tête, je vais te dire ceci. Je sais que ce n’est pas quelque chose qu’un parent devrait dire, mais je vais le dire quand même. »

« Très bien », ai-je dit tout en soutenant son regard.

Je pouvais déjà deviner plus ou moins ce qu’il voulait dire.

« Sauve ta mère, même si ça te tue », dit-il.

C’était un père qui parlait à son fils.

Même si ça doit te tuer.

Ce n’était certainement pas quelque chose qu’un parent devrait dire. Au minimum, cela aurait été mieux s’il avait dit : « Je la sauverai même si ça me tue. »

Pourtant, je ne pensais pas qu’il était un père cruel, même après qu’il ait dit ça. C’était sa conviction, sa confiance en moi. Paul pensait ce qu’il disait, il la sauverait même si cela devait lui coûter la vie. Et il me considérait comme son égal. Il croyait en moi. Il me voyait comme un adulte. C’était pourquoi il avait dit ce qu’il a fait.

Tout ce qu’il me restait à faire était de répondre.

Nous allions sauver Zenith. À cette fin, Paul et moi allions partager la même détermination.

« … Oui ! »

J’avais hoché la tête avec force, et Paul hocha la sienne en retour. Je ne pouvais pas en être sûr, mais je pensais qu’il avait l’air heureux.

« OK, allons-y alors ! » avait-il dit tout en faisant se lever tout le monde.

Notre revanche sur l’hydre était sur le point de commencer.

***

Chapitre 9 : Combat mortel

Partie 1

L’hydre était une figure imposante, qui nous attendait dans cette pièce spacieuse. Derrière elle se trouvait un cristal imprégné de magie. Il n’y avait pas l’ombre d’un doute dans mon esprit, c’était bien Zenith qui était scellée dedans.

« OK, allons-y ! »

Paul s’était précipité en avant. Il s’était accroupi au ras du sol comme un chien, se déplaçant comme le vent — à une vitesse qui avait laissé le reste d’entre nous loin derrière. Sauf que cette fois, Elinalise était juste derrière lui. Derrière elle, il y avait Talhand à la démarche lente. Nous avions suivi son rythme en avançant.

Geese était en attente derrière nous. Il serait inutile dans ce combat, vu qu’il n’avait aucun moyen de faire des dégâts. Pourtant, il était resté. Son devoir était de s’échapper et de raconter aux autres ce qui s’était passé si notre groupe échouait et était anéanti.

« Raaaah ! »

Paul avait atteint l’hydre. Au même moment, trois de ses têtes bougèrent pour frapper. La bête était rapide pour sa taille, suffisamment agile pour que chacune de ses têtes ressemble à des serpents sauvages dans leurs mouvements.

Mais ce fut alors que Paul s’estompa, et en cet instant, il trancha l’un des cous de la créature.

OK, ça y est !

« Boule de feu ! »

J’avais levé mon bâton et j’avais déversé tout le mana que je pouvais, remplissant les flammes de chaleur avant de les lancer sur l’hydre.

Mais c’était inutile.

Plus la boule de feu se rapprochait de sa cible, plus sa taille diminuait. Elle s’était évaporée à l’instant où elle le frappa. La seule chose qu’elle avait laissée derrière elle était ce crissement désagréable, comme des ongles sur du verre — Piiing.

« Je suppose que je vais devoir m’approcher et le lancer directement », avais-je soupiré.

Je vais devoir lui asséner ma magie de feu à distance de mêlée pour cautériser les moignons de son cou.

« Comme nous l’avions prévu. Rudy, tu peux le faire ? », dit Roxy.

« Je m’en occupe. Ce n’est pas comme si la magie était la seule chose que je pratiquais », avais-je assuré, même si mon cœur battait la chamade.

Je n’étais pas bon en mêlée. Tous mes souvenirs de combat rapproché étaient entachés de défaite, à commencer par Paul, puis Ghislaine, puis Éris, et enfin Ruijerd. Je n’avais jamais été capable de battre l’un d’entre eux à bout portant. Bien sûr, j’avais déjà gagné des batailles, contre Linia, Pursena et Luke. Il y en avait d’autres que j’avais vaincus avec l’aide de mon œil de clairvoyance. Mais auraient-ils pu vaincre une hydre ?

Non. Je ne voyais pas comment ils auraient pu, alors que Paul et Elinalise étaient tous deux en difficulté. Penser que je puisse aussi gagner contre elle était totalement illogique.

Mais je ne me battais pas seul cette fois. J’avais une équipe. Paul, Elinalise et Roxy étaient tous avec moi. Je ne connaissais pas l’étendue des pouvoirs de Talhand, mais s’il était un tant soit peu comparable aux autres, il me serait également utile.

Je m’étais déplacé aussi vite que possible, arrivant juste derrière Paul.

« Rudy, tu restes derrière moi ! »

Je l’avais entendu me répondre en criant.

À sa droite, il y avait Elinalise, et à sa gauche, Talhand. Derrière nous, Roxy. C’était précisément la formation de la Croix Impériale.

« Shaaaah ! »

D’un seul coup, trois de ses têtes allèrent dans notre direction. L’hydre n’en bougeait pas plus de quatre à la fois. Peut-être était-ce là l’étendue de sa capacité d’attaque ? Ou peut-être était-ce simplement parce que les têtes supplémentaires gêneraient les unes les autres ?

Je n’en étais pas sûr, mais c’était une bonne nouvelle pour nous.

« Hah ! »

« Mmph ! »

« Graah ! »

Elinalise para une tête et Talhand en dévia une autre. Paul coupa la troisième, qui tomba au sol en se tordant.

« Vas-y ! »

« Oui ! »

Paul me hurla l’ordre, je m’étais alors approché du tronc qui se tortillait, en lançant ma magie sur elle. Les flammes léchèrent vers le haut, illuminant la zone tout en brûlant la blessure ouverte. La viande sur son cou grésilla, devenant noire et carbonisée.

« Comment ça se passe ? »

J’avais fait un pas en arrière pour observer mon travail, mais il était trop tôt pour le dire.

Avant que j’aie pu confirmer quoi que ce soit, d’autres têtes étaient arrivées en vrombissant sur nous. Paul en avait bloqué une, et Elinalise dévia l’autre avec son bouclier. Dans le coin de ma vision, j’avais aperçu un jet de sang provenant de Talhand.

« Guh ! »

« Que ce pouvoir divin soit comme une nourriture satisfaisante, Guérison ! »

Roxy avait couru au secours du nain au moment où il avait reçu le coup, et avait soigné ses blessures.

Ils travaillaient tous pour me protéger des blessures. Il ne me restait plus qu’à vérifier si mes flammes avaient été efficaces ou non.

Comment était la blessure sur son cou ? Le cou carbonisé allait-il se régénérer ?

« … Ok ! »

Ce n’était pas le cas. La blessure était exactement comme Paul l’avait laissée. La viande et la chair ne se recolleraient pas comme avant.

« C’est efficace ! », avais-je annoncé.

« Putain, ouais ! »

Paul avait poussé un cri avant de couper le suivant.

J’avais brûlé celle-là aussi. La chaleur que cela dégageait était incroyable, étouffant l’air autour de moi. Même Paul avait de la sueur qui coulait sur son front. Mais si je n’avais pas mis la puissance de feu nécessaire derrière ces attaques, je n’aurais pas pu cautériser les blessures. Si on la laissait à moitié grillée, la créature se régénérerait. Tant que nous continuons à ce rythme…

« Ah… ! Couvre-moi ! », avais-je crié.

Mon Œil de Clairvoyance avait prédit le mouvement de l’hydre. Deux des têtes qui n’avaient pas encore bougé allaient se diriger vers moi.

Je pourrais esquiver l’une, mais l’autre tête prédirait ce mouvement et viserait en conséquence.

« Laisse-moi faire ! », cria Elinalise.

Alors que j’esquivais la première, l’autre vola à côté de moi. Elle fit tomber une tête tout en se plaçant inconfortablement entre moi et le monstre, poussant son bouclier devant avec un grincement de métal afin de me protéger.

Une goutte de sang gicla sur ma joue.

« Roxy ! Guérison ! », avais-je appelé.

« Que ce pouvoir divin soit une nourriture satisfaisante — Guérison ! »

Elle s’était immédiatement mise en action avec sa magie de guérison.

Puis le duo avait repris leur position initiale, comme si rien ne s’était passé.

« Rudy, j’y vais pour la troisième ! », me cria Paul.

« Entendu ! »

Une colonne de liquide rouge gicla dans l’air tandis qu’une autre tête s’écrasait devant moi.

Brûler ! Mon travail était de brûler, de brûler sa chair, de ne rien faire d’autre que brûler. Tout le reste, je pouvais le laisser aux autres. Pour l’instant, je devais juste me concentrer sur ce qui était devant moi. Paul coupait, je brûlais. Elinalise et Talhand s’assureraient que je suis bien protégé, et Roxy les soignerait si nécessaire.

Nous avions brûlé la quatrième tête.

Nous pouvons le faire !

Soudainement, les mouvements de l’hydre changèrent. Les cinq têtes restantes s’étaient déplacées simultanément, pour poursuivre Talhand.

« Gah ! »

« Talhand ! »

Il avait évité la première. Mais comme il ne pouvait pas faire de même pour la seconde, il s’était laissé tomber au sol et roula, essayant de lui échapper. Dès qu’il le fit, ses écailles l’atteignirent et son armure lourde s’envola, s’entrechoquant en tombant sur le sol. Ses fesses étaient fermement plantées sur le sol lorsqu’il bloqua le troisième coup avec sa hache. Quant au quatrième, il n’avait même pas pu se défendre. Elle s’était brisée à ses pieds.

En quelques secondes, Talhand était suspendu dans les airs.

« Gwoooh ! »

La cinquième était arrivée en piqué, mâchoires ouvertes, menaçant de lui briser le torse en deux alors qu’il se balançait sans défense. Puis…

« Hyaah ! »

Un faible boom ! résonna au moment où une tête heurta le sol. Le tragique et charnu cou d’un nain… était introuvable.

C’était la tête de l’hydre qui avait été perdue. Paul l’avait tranchée.

« Désolé pour ça, et merci pour ton aide ! », dit Talhand.

« Je vais la brûler maintenant ! »

« Que ce pouvoir divin soit comme une nourriture satisfaisante, Guérison ! »

La voix de Talhand, puis la mienne, et celle de Roxy, respectivement. On pouvait les entendre tous les trois simultanément, chacun entreprenant des actions différentes.

J’avais brûlé deux des cous en même temps. Il n’en restait plus que trois.

« Hm ? »

Ce fut alors que les mouvements de l’hydre changèrent une fois de plus. La créature commençait à reculer en titubant, comme si elle était effrayée par nous.

« Nous pouvons le faire ! Je vais pousser l’attaque, Rudy ! »

Paul fit un bond en avant, mais mes jambes gelèrent.

Attendez…

N’était-ce pas un piège ?

J’avais le sentiment que nous ne devions pas attaquer quand nous n’avions aucune idée de ce que notre ennemi pouvait manigancer. Ce mauvais pressentiment m’avait traversé l’esprit en quelques secondes. Et l’instant d’après…

« Quoi ? »

C’était une des têtes de l’hydre. Incroyable, il rongeait les cous brûlés de sa propre chair !

« C’est quoi ce bordel ?! »

Et pendant qu’on regardait, la viande et les os s’étaient recollés.

« Merde ! »

Les plaies cautérisées ne pouvaient pas guérir, mais elles redeviendraient normales si l’hydre parvenait à les ronger.

« Ne lui donnez pas la chance de se régénérer ! »

« Yaaaah ! »

Elinalise poussa un cri féroce et se dirigea vers elle. Elle combla la distance, puis abattit son gladius sur l’une des têtes qui commençait à guérir.

« Je dépose devant toi un berceau de glace comme tu le désires, maintenant renonce à tes courants glaciaires, Coup de poing de Glace ! »

Elinalise chanta, envoyant sa magie sur le cou en train de repousser, à bout portant. Les écailles n’avaient pas encore repoussé, et le bloc de glace perça la chair molle. Des poignées de sang giclèrent comme des grenades tandis que la tête — ou ce qui restait du cou, en tout cas — se tordait de douleur.

« Roxy ! »

« Que cette flamme qui couve brûle avec ta bénédiction, Lance-flammes ! »

***

Partie 2

Roxy, qui avait rattrapé Elinalise à un moment donné, déchaîna un brasier rugissant. Bien que les écailles aient pu absorber la force de son sort dans une certaine mesure, elle parvint tout de même à brûler la chair, de la fumée s’échappant de la blessure.

« On a réussi ! »

Paul voulut poursuivre, mais l’hydre n’avait pas reculé. Elle avait soulevé son énorme corps, étirant ses têtes — les trois — juste à côté du plafond, et nous avait regardés d’un air mauvais.

Était-elle vraiment effrayée ? Non, elle n’en avait pas l’air. Qu’est-ce que c’était ? Ça semblait familier. Dangereux.

« Quelque chose arrive, fais attention ! », prévint Paul.

« Oui ! »

Mon corps avait bougé par instinct — non, par expérience. J’avais déjà vu un dragon se redresser comme ça, se mettre sur ses pattes, aspirer l’air.

« Il va envoyer quelque chose ! Que tout le monde vienne vers moi, s’il vous plaît ! »

« Entendu ! »

Paul recula d’un pas et s’était remis près de moi. Elinalise et Talhand étaient arrivés en courant, presque en culbutant, à mes pieds. Roxy bondit vers moi, les bras écartés, comme pour m’agripper.

J’avais conjuré un mur d’eau aussi épais que possible.

Presque au même moment, la créature expira. D’énormes flammes jaillirent de trois des bouches de l’hydre, dégringolant vers nous, s’écrasant sur ma barrière d’eau. D’énormes panaches de vapeur s’étaient échappés, chauffant toute la pièce.

« Ah… ! »

Le souffle du dragon était réputé pour sa chaleur redoutable. Il pouvait faire fondre l’acier ou évaporer une petite tourbière en un instant. Et à l’instant, trois de ces têtes avaient expulsé ce même souffle. Un magicien ordinaire n’aurait pas pu s’en défendre. Si cinq, non, dix d’entre eux s’unissaient pour ériger une barrière d’eau, alors… Non, même cela pourrait ne pas être suffisant.

Heureusement, mon mana n’était pas ordinaire.

« Père ! »

« Oui ! »

Après que la créature ait baissé la tête, Paul bondit en avant.

Le souffle de l’hydre avait un usage limité. Je ne savais pas si elle le créait grâce à un organe de son corps ou si elle devait stocker du mana. Je savais juste qu’elle ne pouvait pas le lancer en succession rapide.

Ce devait être son atout. Quelque chose qu’il pouvait déclencher avec trois têtes en même temps, avec un temps d’arrêt entre les deux. Peut-être que si une seule tête avait tiré, alors une des autres aurait pu être capable d’utiliser la même capacité successivement. Mais il ne l’avait pas fait, très probablement pour éviter de toucher ses autres têtes dans l’attaque.

Quoi qu’il en soit, c’était notre chance.

« Hyaah ! »

Paul déplaça sa lame vers le bas, déchirant un autre cou.

Je l’avais brûlé instantanément.

Plus que deux à atteindre, un cou épais et un mince. Le gros cou était-il la tête principale ? Si oui, nous devrions la laisser pour la fin.

« Père, allons d’abord tuer la plus fine ! »

« Je sais ! »

Paul s’était alors précipité.

Elinalise et Talhand s’occuperaient de la plus grosse. Les choses étaient beaucoup plus faciles maintenant vu qu’il y en avait plus que deux.

« Graaaah ! »

Son épée dansa, la tête était tombée. Mes flammes avaient immédiatement brûlé sa chair brute.

On peut le faire, m’étais-je dit.

Il n’en restait plus qu’une. Nous avions gagné. Après être allés si loin, nous n’allions pas lui laisser la chance de se rétablir. Même si sa dernière tête était immortelle, nous pourrions facilement nous en occuper maintenant que les autres étaient partis.

Ce fut à ce moment-là, au moment où j’utilisais ma magie pour cautériser l’avant-dernier moignon, que le corps de l’hydre trembla. Je ne savais pas ce que ce mouvement signifiait. Je pouvais le voir avec mon œil de prévoyance, mais je ne le comprenais pas. La créature était trop grosse.

« Espèce de crétin ! »

« Attends… ! »

Avant que je réalise ce qui se passait, Paul me poussa hors du chemin. Quelque chose d’énorme était venu s’écraser juste devant mes yeux.

Mais… ça n’avait plus de tête ?

Non, il n’y avait pas de tête, mais elle avait toujours un cou.

L’hydre balançait ses cous sans tête comme des fouets à pointes — tous les huit d’entre eux ! Chacun d’eux était recouvert d’écailles résistantes qui pouvaient déchiqueter la chair comme une râpe à fromage. Il fouettait ces cous d’un coup, fauchant tout ce qui se trouvait à proximité.

« Ruuudyyyyy ! », cria Paul, enfonçant son pied dans mon corps pour m’écarter du chemin.

Presque simultanément, un bruit sourd résonna alors que quelque chose s’écrasait sur le sol là où je me trouvais il y a un instant, dans l’espace autrefois vide qui existait entre Paul et moi.

« Quoi ! »

Des cornes avaient surgi du front de la créature. Un œil me fixait, un œil paniqué, acculé. Un œil qui tentait désespérément de survivre, de s’accrocher au minuscule brin de vie qui reste. L’œil de l’hydre.

« Graaaah ! »

Agissant par instinct, j’avais plongé ma main gauche dans son œil. J’avais entendu un bruit, comme un grain de raisin qui éclatait, et une chaleur intense consuma mon bras.

L’hydre cligna des yeux sous la douleur, sa paupière recouverte d’écailles s’était effondrée comme une guillotine.

L’instant d’après, j’avais lancé mon Canon de pierre. La partie supérieure de la tête de l’hydre fut arrachée alors que sa paupière se refermait. La force de la collision projeta mon bras en l’air. Une larme, puis un claquement vicieux — deux sons qui avaient pénétré si profondément dans mes oreilles qu’ils semblaient se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau.

« R-Roxyyyyy ! »

J’avais étouffé la douleur en criant son nom, le nom de mon maître de confiance.

« Laisse cette flamme incandescente brûler avec ta bénédiction, Lance-flammes ! »

Sa voix, bien que faible, m’avait atteint.

La dernière tête était tombée, noircie par le feu. Puis son énorme corps commença à s’effondrer lentement. Un boom retentit autour de nous alors qu’il s’effondrait. Je pouvais sentir la vie s’échapper progressivement de son corps.

Il n’y aura plus de régénération. Sa dernière tête n’était pas immortelle.

« Haah… Haah… »

On l’avait battu. On l’avait vraiment battu. On avait gagné !

« On l’a fait… Urgh ! »

À la seconde où j’avais réalisé que c’était fini, une douleur aiguë monta de ma main gauche. Quand j’avais baissé les yeux, j’étais choqué.

« Ahh… »

Ma main gauche avait disparu.

Les écailles de la paupière de l’hydre avaient tranché la peau et les muscles, ses muscles férocement puissants avaient brisé mes os. Puis, au dernier moment, quand elle releva sa tête, elle l’arracha. Le sang avait jailli de mon artère ouverte.

« Ma main… ma main gauche… »

Dans son œil. Ma main… j’avais réalisé qu’elle était dans l’œil du monstre.

J’avais jeté un coup d’œil à la tête. La puissance brute de la magie du feu de Roxy l’avait transformée en charbon de bois. Au moment où j’avais vu ça, j’avais su.

Ma main gauche n’était plus là.

Je pouvais la chercher, mais je ne la trouverais pas. Je me viderais de mon sang si j’essayais.

Merde. J’avais besoin de guérir. Rapidement.

« Ange des miracles, accorde ton souffle sacré au cœur qui palpite devant toi. Ô cieux bénis par la lumière du soleil, serviteurs qui méprisez le cramoisi, plongez dans l’océan de lumière, le blanc pur de vos ailes déployées. Chassez le sang que vous voyez devant vous ! Guérison ! »

J’avais récité une incantation de niveau avancé. Le niveau avancé ne suffirait pas à restaurer ce qui avait été perdu. Je le savais. Je l’avais quand même utilisée.

De la chair rose avait gonflé sur le moignon amputé, arrêtant l’écoulement du sang. L’égratignure sur mon visage et l’ecchymose à l’endroit où Paul m’avait donné un coup de pied avaient disparu en même temps.

« Ouf… Haah… »

Ma respiration était irrégulière.

Calme-toi, m’étais-je dit, calme-toi.

Ma main gauche était partie, mais l’hydre avait été un ennemi incroyablement difficile. Je m’en étais sorti en un seul morceau sauf ma main gauche. Vu sous cet angle, c’était peut-être un petit prix à payer. Si Paul n’avait pas réussi à se glisser là et à me sauver, il y avait de fortes chances que je sois mort.

« Tu m’as vraiment sauvé, Père. »

J’avais jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule, à sa recherche.

Il n’y avait pas eu de réponse.

Tout le monde était silencieux. Elinalise était restée là. Talhand était silencieux. Roxy pinçait les lèvres. Et derrière eux, Geese était pâle comme un linge.

Paul n’avait pas répondu.

« … Père ? »

Ils regardaient tous quelque chose, alors j’avais suivi leur regard jusqu’à l’endroit où se trouvait Paul, effondré sur le sol. Oui, effondré. Là, sur le dos.

Mais… il n’était pas seulement effondré. Il était inconscient. Ses yeux étaient vides.

Et… le bas de son corps était manquant.

« … Huh ? »

Mon cerveau ne pouvait pas le traiter.

« Quoi ? »

Oh, non. Je savais ce qui s’était passé.

C’est vrai. Je l’avais vu moi-même. Paul m’avait poussé parce que l’endroit où je me tenais était exactement celui où la dernière tête s’était écrasée. Il avait dû me frapper aussi fort qu’il le pouvait pour pouvoir me déplacer. Je n’étais plus un enfant, donc il devait, vous savez, pousser le bas de son corps en avant pour que le coup de pied ait de la puissance. Normalement, ce genre de coup de pied aurait fait reculer une personne à cause du recul, mais Paul était un épéiste. Un expert, qui pouvait s’envelopper d’une aura de combat qui possédait une force physique. Donc quand il m’avait frappé, son corps n’avait pas bougé.

Cela signifiait… Cela signifiait que l’endroit où j’étais… Je veux dire, l’endroit…

Je n’avais pas… voulu le comprendre.

J’avais juste…

« Mais… pourquoi ? »

Au moment où j’avais étranglé ces mots, les yeux de Paul bougèrent, se posant sur moi. J’avais rencontré son regard.

« … »

Paul n’avait rien dit. Sa bouche s’était simplement adoucie — comme si elle était détendue, comme si elle expirait un soupir de soulagement — et du sang sortait au-delà de ses lèvres.

Puis la lumière s’était éteinte dans ses yeux.

Paul était mort.

 

***

Chapitre 10 : Parents

Partie 1

Au moment exact où l’hydre avait rendu son dernier soupir, le cristal imprégné de magie qu’elle gardait s’était liquéfié, et Zenith s’effondra sur le sol. Elle était vivante. Bien qu’encore inconsciente, il n’y avait aucune erreur sur le fait qu’elle respirait.

Il y avait des dizaines d’énormes cristaux imprégnés de magie dans la zone, et le sol était jonché de pierres magiques qui avaient constitué les écailles de la créature. Plus loin, il y avait aussi une pléthore d’objets magiques tombés. On en obtiendrait sûrement un bon prix. Mais aucun d’entre nous n’était d’humeur à commencer à les collecter.

Je me sentais léger, instable, comme si j’étais dans un rêve. Si quelqu’un m’appelait, je répondais, mais mon esprit était autrement vide. C’était presque comme si quelqu’un d’autre répondait à ma place, en utilisant ma bouche. Pourtant, à ma grande surprise, j’avais pu accomplir rapidement les tâches inachevées qui restaient à accomplir par la suite.

Nous avions incinéré le corps de Paul dans cette pièce.

Mes sentiments à ce sujet étaient compliqués. Une partie de moi voulait le ramener à la maison, pour au moins laisser Zenith voir son visage même s’il était mort, mais finalement, j’avais suivi les recommandations de tout le monde pour ses funérailles.

Ma magie du feu était suffisante pour le réduire en os en quelques minutes. Quand Elinalise m’avait prévenu qu’en l’enterrant ainsi, il risquait de se réanimer sous forme de squelette, j’avais suivi sa proposition. J’avais écrasé les os, j’avais conjuré un bocal avec ma magie de Terre et je les avais versés à l’intérieur.

Il n’avait laissé que trois objets personnels : le plastron en métal qui protégeait son torse, l’épée magique qui pouvait infliger des dégâts considérables à des adversaires coriaces, et enfin, son arme favorite qu’il gardait à ses côtés depuis avant même ma naissance.

« … »

Je me sentais étrange. Je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qu’était cette émotion, mais j’avais l’impression qu’un poids s’écrasait sur ma poitrine.

« Rentrons à la maison. »

Je n’avais pas été très utile sur le chemin du retour. Nous avions battu nos ennemis et j’avais pu utiliser ma magie, mais mes pieds étaient instables. C’était comme si je ne marchais pas du tout, mais plutôt que je flottais. Sans Roxy, qui était serrée contre moi, j’aurais pu marcher sur un piège de téléportation.

Peu importe le nombre d’erreurs que j’avais commises, personne ne m’avait dit un mot. Ni Elinalise, ni Roxy, ni Talhand, ni Geese. Aucune plainte, aucune consolation. Tout le monde était à court de mots.

Zenith avait été portée tout le long du chemin sur le dos de quelqu’un. Il y eut des combats intenses pendant la montée vers la surface, mais elle ne s’était jamais réveillée. Cela me rendait anxieux, mais le fait qu’elle respire encore signifiait qu’elle était vivante. Du moins, c’était ce que j’essayais de me dire.

Il nous avait fallu trois jours pour sortir du labyrinthe.

Je ne me souvenais plus vraiment de ce qu’avaient dit les trois personnes qui nous avaient accueillies à notre arrivée, mais Elinalise et Geese leur avaient expliqué les détails. Shierra s’était effondrée en larmes et Vierra s’était mise à genoux avec un air choqué. Même en voyant cela, je n’avais rien pu dire.

Pas un seul mot.

Lilia était différente. Son visage était impassible, ne révélant rien alors qu’elle me regardait et serrait ses bras autour de moi. Puis elle déclara : « Ça a dû être difficile. Tu as bien fait. Essaie de te reposer et laisse-moi m’occuper du reste. »

Me sentant complètement vide, j’avais simplement hoché la tête.

J’avais retiré ma robe une fois que nous étions rentrés à l’auberge. Il y avait un trou dans l’épaule, et je savais que je devais la recoudre. Mais pour l’instant, je l’avais jetée dans un coin de la pièce, avec mon bâton et mon sac d’équipement. J’avais jeté le tout dans un tas. Puis je m’étais effondré sur mon lit.

*****

Cette nuit-là, j’avais fait un rêve. Dans ce rêve, j’étais de retour dans mon ancien corps, je redevenais un grabataire à l’esprit lent et méprisant. Mais cette fois, l’Homme-Dieu était introuvable. Ni la chambre blanche dans laquelle il résidait toujours.

C’était un souvenir de ma vie antérieure. Oui, un rêve de ce qui avait été. Je ne savais pas exactement quand cela se passait, mais le décor me semblait familier. C’était le salon de la maison de mes parents. Ils étaient tous les deux là, à parler de moi. Je ne pouvais pas entendre leurs voix, peut-être parce que ce n’était qu’un rêve. Pourtant, étrangement, je savais que c’était de moi qu’ils parlaient. S’étaient-ils inquiétés pour moi à l’époque ?

J’avais quitté ce monde sans jamais découvrir la raison de leur mort. Vu qu’ils étaient morts en même temps, j’avais pensé à une maladie. Peut-être un accident, ou peut-être un suicide.

Je m’étais demandé ce qu’ils avaient pensé de moi juste avant leur mort. Me considéraient-ils comme un simple grabataire sans scrupules ? Étaient-ils contrariés par ce que j’étais devenu ? Honteux ? Je n’avais aucune idée de ce qu’ils ressentaient vraiment. Ma mère passait encore me voir de temps en temps, mais à un moment donné, mon père avait cessé de me parler.

Est-ce que j’avais seulement traversé leur esprit quand ils étaient morts, m’étais-je demandé ?

Et moi, alors ? Quand ils étaient morts, je n’étais même pas allé à leurs funérailles. Qu’est-ce que je faisais ? Je n’avais pas retiré leurs os de la cendre après la crémation, comme un enfant aurait dû le faire. Mais qu’est-ce que je faisais ? Pourquoi n’étais-je même pas allé à leur enterrement ?

J’avais peur de la façon dont les gens me regarderaient quand ils verraient que je n’essayais même pas d’être triste. De la façon dont ils regarderaient une merde comme moi, un grabataire. Leur hostilité. Leur mépris. Mais ce n’était pas toute l’histoire, bien sûr. Je n’étais pas un être humain honorable. À l’époque, je n’avais même pas ressenti une once de tristesse pour la mort de mes parents. Je ne les aimais pas assez pour pleurer leur absence. J’étais moins inquiet de les perdre que préoccupé par des pensées de type « Oh merde, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? ». Je ne pouvais même pas regarder directement mon propre avenir.

Je ne voulais évidemment pas justifier mon comportement. Mais je ne pouvais pas non plus m’en empêcher. Imaginez que vous soyez acculé dans un coin, que vous perdiez la dernière source de salut que vous aviez. Être soudainement plongé dans un vaste océan avant même d’avoir eu la chance de remplir vos poumons d’air. Toute personne placée dans cette situation chercherait un moyen d’échapper à la réalité. Bien sûr, je regrettais de ne pas avoir fait plus, mais je ne pouvais pas m’en vouloir plus longtemps.

Mais au moins, n’aurais-je pas dû assister à leurs funérailles ? Je n’avais aucune idée de ce à quoi je pensais à l’époque, mais n’aurais-je pas dû au moins regarder leur visage après leur mort ? N’aurais-je pas dû au moins ramasser leurs ossements ?

Comment Paul avait-il regardé après sa mort ? La satisfaction n’était pas visible sur son visage, mais j’avais vu le bord de ses lèvres se courber en un sourire de soulagement. Qu’est-ce qu’il avait essayé de dire à la fin ?

Quelle expression mes parents de ma vie précédente portaient-ils sur leur visage lorsqu’ils étaient morts ?

Pourquoi n’avais-je pas regardé en arrière ?

J’aimerais pouvoir y retourner maintenant et voir.

Je m’étais senti très mal le lendemain au réveil. Un désir intense de ne rien faire pesait sur tout mon corps. Afin d’échapper à ce sentiment, je m’étais forcé à sortir du lit et m’étais rendu dans la chambre voisine où se trouvaient Lilia et Zenith.

Quand elle m’aperçut, Lilia me regarda avec étonnement.

« Seigneur Rudeus, vous avez déjà récupéré ? »

« … Oui, pour le moment. Je ne peux pas être le seul à me reposer, non ? »

« Je suis certaine que personne ne se plaindrait si vous vous reposiez un peu plus. »

Honnêtement, j’avais envie de me recoucher dans le lit comme elle le suggérait, mais le sentiment que je devais faire quelque chose, que je devais bouger, était encore plus fort.

« S’il te plaît, laisse-moi rester ici. »

« Très bien. Je comprends. N’hésitez pas à vous asseoir. », dit-elle.

J’étais finalement resté là et nous avions veillé ensemble sur Zenith. Elle dormait depuis des jours maintenant. Il avait fallu trois jours pour quitter le labyrinthe, un jour pour revenir en ville, et même maintenant, elle ne se réveillait pas. Son apparence ne suggérait rien d’inhabituel. Elle avait simplement l’air de dormir. Et bien qu’elle ait été alitée pendant des jours, il n’y avait aucun signe montrant qu’elle avait perdu du poids. Elle avait l’air en parfaite santé.

J’avais pensé qu’elle avait l’air un peu plus âgée, mais ce n’était pas le cas. Ses joues et ses mains étaient chaudes, et si vous approchiez votre oreille de ses lèvres, vous pouviez entendre sa respiration. Il n’y avait que ses yeux qui ne s’ouvraient pas.

Peut-être qu’elle allait rester comme ça pour toujours. Peut-être que son corps allait se détériorer et qu’elle allait mourir. Cette pensée avait brièvement traversé mon esprit. Je ne l’avais pas exprimée. Il valait mieux ne pas dire les mots inutiles.

Lilia et moi avions veillé sur elle tranquillement. De temps en temps, Vierra et Shierra passaient, discutant de ceci ou de cela. Quelle que soit la conversation, elle ne restait pas dans ma tête.

Nous partagions les repas tous les deux, même si je n’avais pas l’impression d’avoir faim. Je n’avalais presque rien. J’essayais de faire passer ce que je pouvais avec de l’eau, mais la nourriture restait collée à ma gorge et me faisait vomir.

Zenith avait montré des signes de changement qu’au milieu de l’après-midi.

Là, juste devant nous, elle avait laissé échapper un petit gémissement et avait lentement levé les yeux.

« Mm… »

Les personnes présentes étaient Lilia, Vierra, et moi-même. Vierra avait immédiatement franchi la porte pour aller informer les autres. Lilia et moi étions restés, regardant Zenith essayer de se soulever. Cela aurait dû être difficile après avoir été alitée pendant des jours, mais avec un peu d’aide de Lilia, Zenith avait été capable de soulever le haut de son corps presque entièrement seule.

« Bonjour, ma dame. »

Lilia avait souri en saluant ma mère.

Zenith la regardait avec le visage de quelqu’un qui n’était pas encore vraiment réveillé.

« Mm… »

Sa voix… c’était une voix que je reconnaissais. En y repensant, c’était la même que j’avais entendue au moment où j’étais né dans ce monde. Une voix apaisante.

Le soulagement m’avait envahi. Paul était mort, mais au moins la personne qu’il avait essayé de sauver était maintenant en sécurité. En sécurité, et en vie. Ses espoirs avaient été réalisés.

J’étais sûr qu’elle serait triste quand elle apprendrait sa mort. Elle pourrait même pleurer. Mais au moins, nous trois, Lilia incluse, pourrions partager cette perte ensemble.

***

Partie 2

« Mère… »

Je n’avais pas à lui en parler maintenant. Je pouvais garder cela jusqu’à ce que les choses se calment un peu plus et qu’elle comprenne ce qui se passait. Nous pourrions prendre les choses lentement, un pas après l’autre. Il ne serait pas sage de lui imposer la dureté de la réalité d’un seul coup. D’abord, nous devions nous réjouir qu’elle soit en vie et que nous soyons enfin réunis. Nous pourrons être tristes plus tard.

« Hm… ? »

Zenith avait légèrement incliné la tête.

J’avais fait taire mon cœur.

Elle m’avait oublié.

Je ne pouvais pas lui en vouloir. La même chose s’était produite avec Roxy. Alors que les jours et les mois se transformaient en années, mon visage avait changé. Cela devait être un choc pour elle maintenant, mais j’étais sûr que nous en rirons tous les deux dans les années à venir.

« Ma dame. Voici le Seigneur Rudeus. Dix ans ont passé depuis la dernière fois que vous l’avez vu. » dit Lilia

« … »

Zenith m’avait fixé d’un regard vide. Puis elle regarda Lilia. Ses yeux, comme un miroir vide, ne reflétant que ce qu’ils voyaient devant eux.

« Hm… ? »

Elle inclina sa tête à nouveau, et les yeux de Lilia s’étaient agrandis.

Quelque chose n’allait pas. C’était étrange. Elle ne parlait pas. Tout ce qu’elle faisait était de gémir. De plus, vu la façon dont elle bougeait… c’était comme si elle avait aussi oublié Lilia. M’oublier était une chose, mais pouvait-elle vraiment ne pas reconnaître Lilia ? La servante avait vieilli, certes, mais elle n’avait pas tant changé que ça. Ses cheveux et même ses vêtements étaient les mêmes qu’avant.

« Ohhh… Aah… »

Sa voix était maladroite, ses yeux étaient vides, et elle ne pouvait former aucun mot. Tout ce qu’elle faisait était de nous fixer.

« Ma dame… serait-il possible que… ? »

Il semblerait que Lilia l’ait aussi réalisé.

Je savais quels mots restaient inexprimés, suspendus à la fin de sa phrase inachevée, mais mon cœur était prompt à les rejeter.

Nous avions tous les deux essayé de nombreuses fois de lui parler.

« … »

La conclusion était venue rapidement. Zenith avait réagi à nos voix, mais n’avait produit aucun mot de son cru. Et elle n’avait montré aucun signe de compréhension de ce que nous avions dit.

« Seigneur Rudeus… J’ai peur qu’elle ait tout perdu. »

En effet, Zenith avait tout perdu. Sa mémoire, ses connaissances, son intelligence, tous les éléments nécessaires à la formation d’une personne.

Elle n’était plus qu’une enveloppe.

Elle ne se souvenait pas de Paul. Elle ne connaissait même pas Lilia ou moi. Qui, quoi, quand, comment, elle ne se souvenait de rien. Cela signifiait qu’elle ne pouvait même pas être triste qu’il soit mort. Nous ne pouvions pas partager cette perte.

Avoir cette réalité devant moi me poignarda comme un couteau.

« Aah… »

Un souffle s’était échappé de ma gorge.

Et mon cœur se brisa.

*****

Combien de jours avaient passé après ça ? Je n’avais qu’une vague notion du temps. Je me réveillais, je dormais. Je me réveillais, je dormais. J’avais répété le processus d’innombrables fois.

Quand je dormais, mes rêves repassaient le moment de la mort de Paul. Je le voyais frapper l’hydre, la voir se tordre le cou. Je l’avais senti me pousser sur le côté, m’écarter de son chemin. Puis je l’avais vu bouger à nouveau, l’hydre aussi, mais je ne pouvais pas bouger. Paul m’écarta d’un coup de pied et j’avais vu la tête de l’hydre s’effondrer devant moi.

Je m’étais réveillé en sursaut, j’avais vérifié que ce n’était qu’un rêve et je m’étais recroquevillé dans mon lit. Je n’avais pas la volonté de me lever. Tout ce que je pouvais faire était de penser à Paul.

Paul était… Il…

Bien sûr, ce n’était pas un humain louable. Il était nul avec les femmes et un vrai frimeur. Il était faible face à l’adversité et cherchait une échappatoire dans l’alcool. Il n’avait même pas pris la peine de dire quelque chose de paternel avant de partir au combat. Pour la plupart des gens, il était un échec total en tant que père.

Mais quand même, je l’aimais.

Ce que Paul ressentait pour moi n’était pas tout à fait la même chose que l’amour parent-enfant. Pour moi, Paul était plus comme un partenaire dans le crime. À proprement parler, j’étais mentalement plus âgé, mais il avait plus d’années physiques que moi. Même en ce qui concernait l’expérience de la vie, il avait probablement une bonne longueur d’avance sur moi si l’on considérait les décennies que j’avais passées en étant renfermé.

Rien de tout cela n’avait vraiment d’importance. L’âge n’avait pas d’importance. Quand je parlais à Paul, j’avais l’impression que nous étions tous les deux sur un pied d’égalité. Je ne pouvais pas le voir comme un père, et je ne m’étais probablement jamais vraiment considéré comme son enfant.

Mais Paul était différent. Il m’avait considéré comme son enfant depuis le tout début. Moi, qui n’étais qu’un merdeux trentenaire reclus à l’intérieur à l’époque. Moi, dont les actions jusqu’ici devaient être bizarres d’un point de vue extérieur. Pourtant, il me considérait comme sa famille, ne détournant jamais les yeux. Il y avait eu des domaines où il avait échoué en tant que père, mais il n’avait jamais hésité à me considérer comme de la famille. Pas une seule fois il ne m’avait traité comme un étranger. J’étais toujours son fils. Malgré mes capacités anormales, il m’avait toujours considéré comme son fils. Il m’avait regardé en face.

C’était un père, et il l’avait toujours été. Même s’il portait des fardeaux bien trop lourds pour lui, il agissait comme un père et continuait à faire des choses pour le bien de notre famille. À la fin, il m’avait même protégé. Il avait utilisé son corps, comme un père qui voulait protéger son fils.

Il avait bravement mis sa vie en jeu, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Et il était mort.

C’était étrange.

Je n’étais même pas son enfant, mais Paul était toujours mon père.

Paul avait deux vrais enfants. Pas des faux comme moi — des vrais, honnêtes, et authentiques enfants. Deux douces et authentiques filles. Norn et Aisha. S’il devait protéger quelqu’un, ça aurait dû être elles.

De plus, il avait deux femmes, non ? Il avait passé des années à chercher désespérément l’une d’entre elles, Zenith. L’autre, Lilia, avait été là pour le soutenir jusque là. Deux épouses et deux filles. Quatre personnes au total.

Que diable fais-tu en les laissant derrière toi, hein, Paul ? N’étaient-elles pas importantes pour toi ?, dis-je avec colère.

Mais peut-être que j’étais également tout aussi important pour lui. Deux femmes, deux filles et un fils. Peut-être qu’ils étaient tous aussi importants pour lui.

Je ne l’avais jamais vu comme un père, mais il me considérait comme l’une des personnes les plus importantes de sa vie.

Ah, putain. Pourquoi, Paul ? Laisse-moi tranquille. Tu l’as dit tellement de fois : « Rudy, je te vois comme un adulte maintenant. Je te vois comme un homme. »

Je m’étais marié, j’avais acheté une maison, j’avais pris la tutelle de mes sœurs, bien sûr que je m’étais senti adulte. Je suis venu t’aider, j’ai travaillé dur dans ce labyrinthe. Je me voyais comme un adulte. Toi aussi, n’est-ce pas ? C’est pour ça que tu as dit ce que tu as fait à la fin, non ? « Sauve-la, même si ça te tue. »

Alors, explique-moi : pourquoi ? Pourquoi… ? Pourquoi m’as-tu protégé, si je suis un adulte ?

Qu’est-ce que j’étais censé dire à Norn et Aisha quand je rentrerai chez moi ? Comment étais-je censé expliquer ce qui s’était passé ? Qu’étais-je censé faire de Zenith, telle qu’elle était maintenant ? Qu’étais-je censé faire à partir de maintenant ?

Dis-moi, Paul. C’est toi qui devais décider, non ?

Bon sang. Pourquoi a-t-il fallu que tu meures ? Ah, merde.

Au moins, si j’étais mort, ce serait lui qui serait ici à se demander quoi faire à la place. Ou mieux encore, si aucun de nous n’était mort, personne n’aurait eu à souffrir.

Ah, je ne peux pas le faire.

La tristesse m’avait envahi. Je n’avais pas pu empêcher les larmes de couler.

Dans ma vie, ma vie précédente en fait, je n’avais même pas pleuré à la mort de mon père et de ma mère. Je n’avais même pas été triste. Maintenant que Paul était mort, les larmes coulaient naturellement. J’étais triste. Je ne pouvais pas le croire. La seule personne qui devait être là, qui était censée être là, était maintenant partie.

Paul était un père. Paul était mon père. Je ne l’avais jamais considéré comme tel, et pourtant, il était pour moi un parent au même titre que ceux de ma vie précédente.

J’y pensais avec insistance, et pleurais tout autant, jusqu’à ce que je sois épuisé.

Je ne voulais rien faire.

Je me prélassais paresseusement dans ma chambre. Il y avait des choses que je devais faire, je le savais, mais je n’arrivais pas à trouver la volonté de les faire. Je n’avais même pas la force de quitter cette pièce. Je dormais, me réveillais, m’asseyais, ajustais ma posture et laissais le temps passer.

Elinalise et Lilia étaient venues me rendre visite au milieu de tout cela. Elles m’avaient dit quelque chose, mais je n’étais pas sûr de quoi. C’était presque comme si elles parlaient une langue étrangère et que mon cerveau ne comprenait pas les mots. Ce n’était pas important. Je n’aurais pas été capable de répondre même si je l’avais fait.

Je n’avais rien à dire, et aucun mot à leur adresser.

Si j’avais été capable de manier une épée un peu mieux, juste un peu, alors j’aurais pu couper la tête de l’hydre. Peut-être qu’alors, Paul ne serait pas mort. Tous les deux, nous aurions pu couper la tête pendant que Roxy rôtissait les plaies ouvertes. Nous aurions pu la vaincre facilement si nous avions fait ça, non ?

Si seulement je pouvais m’envelopper d’une aura de combat. Si seulement je pouvais bouger un peu plus vite. Alors Paul n’aurait pas eu à me protéger. J’aurais pu esquiver l’attaque tout seul.

Mais je ne pouvais pas, et c’est pourquoi les choses s’étaient terminées de cette façon.

Ce n’était pas comme si je n’avais pas essayé.

Peut-être qu’on aurait dû retourner en ville, même si ça signifiait que je devais lui casser la gueule et le ramener. On aurait pu revenir, avoir une réunion stratégique calme, et ensuite on aurait peut-être pu trouver un plan solide. Un plan intelligent, pas le plan maladroit et improvisé que nous avions utilisé. Si nous avions fait les choses un peu différemment, le résultat aurait très bien pu être différent.

Mais c’était trop tard. Paul était mort. Je ne le reverrais jamais, tout comme les parents de ma vie précédente. Peu importe ce que je disais maintenant, c’était déjà trop tard.

***

Chapitre 11 : Aller de l’avant

Partie 1

Quatre personnes, hommes et femmes, s’étaient réunies autour d’une table dans un certain pub. Une aura sinistre s’était installée sur eux au milieu de la clameur de la salle.

« Paul est mort », murmura Elinalise, l’elfe aux cheveux blonds et brillants.

« Oui, c’est sûr », avait convenu Geese, le démon à la tête de singe qui regardait le contenu de la tasse dans sa main.

« Il a protégé son garçon. C’est comme ça qu’il aurait voulu que ça se passe », dit sans ambages Talhand, le nain corpulent et barbu.

Sa voix avait peu d’énergie. Il aurait dû être en train de se noyer dans son alcool adoré, mais il n’avait pas l’air le moins du monde ivre.

« Je ne pense pas qu’il serait heureux, pas avec Zenith comme ça », dit Geese.

Le nain s’était contenté de vider sa chope en silence.

Le fait d’avoir découvert que Zenith était devenue une coquille vide fut un sacré choc pour eux. Et un choc particulièrement cruel, étant donné qu’ils avaient tous connu la personne joyeuse et énergique qu’elle était avant l’accident. Malgré tout, c’étaient des aventuriers. La mort était toujours à portée de main. Ils auraient eu la capacité de l’accepter même si elle était morte.

« Elle est vivante, non ? Qui sait, peut-être qu’elle peut être guérie », dit Talhand bien qu’il soit clair qu’il n’en avait pas beaucoup d’espoir.

Il y avait occasionnellement des histoires de personnes qui avaient été estropiées par le poison d’un monstre. Jamais, dans ces histoires, ces personnes ne s’étaient rétablies. Une fois que l’esprit était parti, rien ne pouvait les guérir, pas même la magie de guérison de niveau Divin. Si quelque chose n’allait pas dans l’esprit de quelqu’un, il n’y avait aucun moyen de le réparer.

« Même si elle est capable de marcher et de parler à nouveau, ses souvenirs ne reviendront pas », cracha Elinalise.

« C’est quoi ça ? Tu parles comme si tu en savais beaucoup sur le sujet, Elinalise. »

Talhand l’avait regardée avec méfiance.

« Je dis simplement les choses telles qu’elles sont. »

Elinalise ne s’était pas expliquée davantage. Elle avait vécu une longue vie, plus longue que celle de Talhand ou Geese. Elle avait dit qu’elle avait déjà vu un cas similaire. Il était probable qu’elle savait quelque chose, mais quoi que ce soit, cela ne leur donnerait aucun espoir de voir Zenith se rétablir. Talhand n’insista donc pas.

« Le vrai problème, c’est le garçon », dit le nain.

« Oui… », acquiesça Geese tout en expirant le mot comme un soupir.

Rudeus, le fils de Paul, avait passé presque une semaine enfermé dans sa chambre.

« Et ce n’est pas comme si le gamin était uniquement déprimé. C’est plus profond que ça. », poursuivit Geese.

« C’est presque comme s’il était aussi devenu une enveloppe vide », dit Elinalise.

Rudeus n’avait même pas répondu quand ils avaient essayé de lui parler. Il hochait juste la tête, un regard vide dans les yeux, tout en disant « Oui… »

« Rudy était très attaché à Monsieur Paul », dit la jeune démone aux cheveux bleus.

Roxy Migurdia avait été relativement silencieuse jusqu’à ce que le sujet tourne autour de Rudeus.

Dans un coin de son esprit, elle imaginait un jeune Rudeus prenant des leçons d’épée avec Paul. Peu importait la façon dont Paul le battait, Rudeus se relevait et continuait à faire des attaques, un air indigné sur le visage. Il avait été l’incarnation du talent. Pour Roxy, on aurait dit qu’il prenait vraiment plaisir à apprendre le maniement de l’épée avec son père. C’était une source d’envie aveuglante pour elle, étant donné qu’elle n’avait jamais partagé de tels moments avec ses propres parents.

« Eh bien, je comprends ce que ressent le patron, mais ça va être mauvais si les choses restent comme ça. », dit Geese.

« Je suis d’accord. »

Elinalise ponctua ses paroles d’un hochement de tête.

Rudeus n’avait pas mangé depuis le jour où c’était arrivé. Même lorsque son entourage l’incitait à essayer, il se contentait de dire « Bien sûr », mais ne montrait aucun signe de suivi. Il semblait pourtant faire le minimum en buvant de l’eau, mais il devenait de plus en plus décharné. Ses yeux étaient enfoncés et ses joues étaient creuses. Il semblait avoir l’ombre de la mort sur son visage. S’il était laissé à lui-même, il ne serait pas surprenant qu’il rejoigne Paul. Toutes les personnes présentes le pensaient aussi.

Après une pause, Roxy continua.

« J’aimerais faire quelque chose pour essayer de lui remonter le moral. »

Le regard de Geese se dirigea vers Elinalise.

« N’as-tu pas toujours dit qu’il était important d’avoir de la chance dans ces moments-là ? »

« Je ne peux pas l’aider à avoir de la chance », avait-elle répondu instantanément.

Roxy était la seule à ne pas comprendre de quoi ils parlaient.

« Qu’est-ce que vous ne pouvez pas faire ? »

« … »

Geese et Talhand échangèrent des regards et se pincèrent les lèvres.

« Mlle Elinalise, avez-vous une sorte de plan ? », dit Roxy tout en fronçant les sourcils, méfiante.

Le silence régna alors.

« Non, je n’en ai pas. »

L’elfe garda son visage impassible.

« Eh bien, comment dire ? »

Geese se gratta la joue tandis que Talhand inclinait son verre en arrière par désintérêt.

« Hm, euh… Eh bien, dans des moments comme celui-ci, il est préférable de s’amuser au maximum et d’essayer d’oublier. »

« S’amuser ? »

Roxy répondit en écho, confuse.

« Les hommes sont simples. Donnez-leur de l’alcool, une femme pour la nuit, et ils auront cette poussée de joie d’être en vie. Ça leur redonne un peu d’énergie. Je veux dire, oui, ça ne va pas les ramener à ce qu’ils étaient, mais quand même. »

« Ah… ! Oh, d’accord, je comprends maintenant. »

Roxy avait finalement compris ce qu’il disait. Et surtout, ce qu’il essayait de faire faire à Elinalise.

« Eh bien, je suppose que vous avez raison, c’est comme ça que sont les hommes ! Oui ! Oui… »

Ses joues rougirent et son regard se porta sur ses genoux.

Les hommes aimaient coucher avec les femmes quand ils étaient déprimés. Elle était sûre d’avoir déjà entendu cette histoire. Et c’était particulièrement vrai pour les mercenaires, qui aimaient payer pour les services des femmes avant et après la bataille, afin de se distraire de leur propre peur. Après avoir accompli une mission où leur vie était en jeu, de nombreux hommes se rendaient dans les bordels.

Mais quand Roxy pensait à Rudeus et Elinalise ensemble, un nuage noir planait sur son cœur.

Geese s’était tourné vers elle : « Elinalise. Tu as toujours dit, aussi loin que je me souvienne, que tu étais douée pour consoler les hommes au cœur blessé. »

« C’est vrai. »

Roxy se mit à réfléchir. Il était vrai qu’Elinalise avait un talent pour ce genre de choses. Elle avait des relations quotidiennes avec un nombre indéterminé d’hommes, et Roxy avait entendu dire qu’elle était incroyablement douée pour ce qu’elle faisait. Il était sûrement possible pour une femme avec ce niveau d’expérience de remettre Rudeus sur pied. Cette pensée la rendait morose, mais que pouvaient-ils faire d’autre ?

« C’est inhabituel. Normalement, tu devrais te jeter sur quelqu’un dans l’état où se trouve le Patron en ce moment. »

Roxy ne supportait pas de voir Rudeus comme il était en ce moment. Elinalise ressentait la même chose, elle voulait l’aider, le consoler. Mais elle savait aussi ce qui se passerait une fois rentrés chez eux, si elle succombait et utilisait son cœur brisé comme excuse pour coucher avec lui. Elle aurait trahi Cliff, trahi Sylphie. Même Rudeus ne serait pas capable de supporter ça.

« Même moi, il y a des gens avec qui je ne peux pas coucher. », avait répondu Elinalise.

« Pourquoi pas Rudy ? »

Les lèvres de Roxy s’étaient durcies. Elle avait fixé l’autre femme avec un regard furieux.

« Tu sais à quel point il souffre. »

« Parce que… »

Elinalise commença à parler, mais elle s’était souvenue. Roxy n’était pas encore au courant.

« Parce que la personne qu’il a épousée — sa femme — est ma petite-fille. »

« Hein ?! »

La tasse échappa à la main de Roxy, son contenu se répandant partout avant de rouler sur la table et de heurter le sol avec un bruit sec.

« Quoi ? Rudy est marié ? »

« En effet. Et son enfant va bientôt naître. »

« O-oh, alors c’est vrai… Bon, je veux dire, bien sûr que c’est vrai. Rudy a déjà cet âge… »

Roxy ne pouvait pas cacher à quel point elle était secouée en se penchant pour récupérer la chope tombée. Elle l’avait portée à ses lèvres sans réfléchir avant de se rappeler qu’elle avait tout renversé et en commanda une autre.

« Hum, je voudrais l’alcool le plus fort que vous ayez. »

Ses yeux pivotèrent, elle croisa alors ses bras sur sa poitrine. Le mariage. C’est vrai, même Rudeus pouvait se marier. Oui. C’était normal. Du moins, c’est ce qu’elle essayait de se dire.

Puis Roxy s’était souvenue de la façon dont elle avait agi dans le labyrinthe, et elle avait serré les dents. Elle lui avait fait des avances, pensant qu’il était célibataire. Rudeus avait été réceptif à un niveau qu’elle n’avait jamais connu auparavant, mais peut-être que la seule raison pour laquelle il ne l’avait pas rejetée d’emblée était qu’elle était une connaissance. Depuis les coulisses, ça devait sembler hilarant, une bouffonnerie des plus divertissantes.

Roxy voulait leur crier : « Pourquoi personne ne m’a rien dit ?! » Mais la plainte était restée logée dans sa gorge.

De toute façon, ses sentiments n’étaient pas ce qui comptait pour l’instant.

« Malgré tout, même s’il est marié, c’est une urgence. Ne pourriez-vous pas être pardonnés si vous le faites juste une fois ? »

Roxy ne comprenait même pas les mots qui sortaient de sa bouche. Elle avait juste le sentiment qu’ils devaient faire quelque chose pour relever Rudeus.

« Peut-être, mais je ne peux pas être celle qui le fait », dit Elinalise avec tristesse.

Roxy ne pouvait pas comprendre l’émotion dans la voix de l’elfe, ni la frustration visible sur son visage.

« Désolé pour l’attente », dit un serveur.

« Oh, merci. »

Comme par hasard, sa boisson était arrivée. Roxy la prit et l’avala entièrement. Celui-ci brûlait, passait dans sa gorge desséchée et se répandit dans son corps comme une traînée de poudre. Il avait probablement un goût particulièrement délicieux pour elle en ce moment parce que son corps avait envie d’alcool.

« De plus, Rudeus et moi avons déjà… »

Elinalise s’était interrompue à ce moment-là, en se pinçant les lèvres.

« Bon, même si je ne peux pas l’aider, Geese peut le traîner dans un bordel, non ? »

« Je n’en suis pas si sûr. Croyez-vous vraiment que Rudeus sera content de coucher avec une fille qu’il ne connaît pas ? », dit Geese, dubitatif.

« Eh bien, ce dont il a besoin en ce moment, c’est de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un en qui il a confiance », dit Elinalise.

« Alors, Lilia ? »

Celle-ci lança alors un regard noir à Geese.

« C’est franchement… »

Celui-ci leva alors les mains en signe de capitulation : » Ok, ok, j’ai compris ! Ne sois pas si agacé. »

***

Partie 2

Les sentiments d’Elinalise à ce sujet étaient compliqués. Elle ne voulait pas s’immiscer dans son mariage avec Sylphie, mais elle voulait aider Rudeus. Si elle couchait avec lui, elle pourrait le remettre sur pied. Elinalise en était sûre : ce n’était pas la première ni même la deuxième fois qu’elle se trouvait dans une telle situation, où elle avait aidé un homme à guérir les blessures de son cœur. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que le faire maintenant serait un choix désastreux sur lequel elle ne pourrait jamais revenir.

Elle était en conflit.

Normalement, cela ne la dérangeait pas d’être celle qui se salissait les mains. Elinalise avait joué ce rôle de nombreuses fois. Mais son désir de ne pas trahir Cliff l’avait empêchée de le faire cette fois-ci. Elle ne pouvait tout simplement pas.

« … »

Le silence planait dans l’air. Seul le bruit des gens buvant leur boisson persistait. Aucun de leurs membres n’osait parler. L’air était aussi vicié que celui d’un enterrement.

« De toute façon, on a aussi Zenith dans l’état où elle est maintenant. Je veux que le Patron se remette sur pied le plus vite possible pour qu’on puisse quitter cette ville en vitesse. »

Aux mots de Geese, les trois autres soupirèrent.

« Oui, je ne suis pas contre », dit Talhand d’un ton bourru.

Ils étaient eux aussi épuisés. Après tout, six ans, six !, s’étaient écoulés depuis l’incident de Téléportation. Une période considérable, toute estimation gardée, pendant laquelle ils avaient voyagé du Continent Central au Continent Démon, du Continent Démon au Continent Begaritt, puis s’étaient aventurés dans le Labyrinthe de Téléportations. Le voyage avait été intense, souvent difficile, mais ils avaient travaillé dur, dans les bons comme dans les mauvais moments, avec l’espoir d’en sortir ensemble en riant.

L’incident de téléportation avait été une affaire désagréable, mais le temps qu’ils avaient passé ensemble n’avait pas été complètement horrible. Leur groupe brisé, déconnecté s’était lentement reconstitué. Elinalise et Talhand avaient fait équipe, tandis que Geese était passé à l’action pour Paul. Paul et Talhand avaient enterré leurs différends. Paul et Elinalise avaient même combattu côte à côte une fois de plus à la toute fin.

Aucun d’entre eux n’avait rêvé qu’ils se remettraient ensemble comme ça, mais ils étaient là, avec Paul en leur centre. Tout ce qu’ils avaient à faire était de sauver Zenith et de localiser Ghislaine, où qu’elle se soit égarée, et ils pourraient à nouveau partager un verre tous ensemble. C’était ce qu’ils pensaient tous.

Mais maintenant, Paul était mort.

C’était suffisant pour les submerger d’un indescriptible sentiment d’épuisement, comme si tout ce qu’ils avaient fait n’avait servi à rien. C’était le genre d’épuisement que l’on ressentait après avoir passé des heures à construire quelque chose, juste pour que cela tombe en morceaux à la toute fin.

Rudeus n’était pas le seul à être envahi par la léthargie.

« Ne sois pas si morose. Rudeus est le fils de Paul. Il est peut-être déprimé en ce moment, mais il finira par se relever tout seul, sans aucun doute. », dit Talhand.

Elinalise hésita avant de dire : « J’espère que tu as raison. »

« … »

Elle et Geese hochèrent vaguement la tête suite aux paroles du nain. Ils connaissaient la faiblesse du garçon, mais il avait déjà seize ans. Ce n’était plus un enfant. La situation était peut-être sinistre, mais il était un adulte remarquable dans le fond. La mort rendait visite à tout le monde. Elle était une compagne particulièrement proche des aventuriers. Les parents de tout le monde finissaient par mourir, tout le monde devait y faire face à un moment ou à un autre de sa vie. C’est pourquoi ils supposaient que Rudeus finirait aussi par faire de même.

« … »

Un seul d’entre eux n’avait pas hoché la tête. Il s’agissait de Roxy, ses pensées étaient préoccupées par des souvenirs d’il y a longtemps.

Rudeus

J’avais réalisé que c’était le soir au moment où j’avais regardé par la fenêtre. J’étais assis sur mon lit, les idées claires. Combien de jours s’étaient écoulés ? Cela avait-il vraiment de l’importance ?

Alors que je me disais cela, on frappa soudainement à la porte.

« Rudy, puis-je te parler un instant ? »

En suivant le son de la voix, j’avais aperçu Roxy à l’entrée. Avais-je laissé la porte ouverte pendant tout ce temps ?

« Professeur », avais-je dit après une longue pause.

Cela semblait faire une éternité que je n’avais pas parlé. Ma voix était rauque, et je n’étais même pas sûr qu’elle m’ait entendu ou non.

Roxy s’était précipitée vers moi.

Quelque chose semblait différent de la normale. Je m’étais demandé ce que c’était… Ah, c’était ça ! Elle n’était pas vêtue d’une robe aujourd’hui. Sa chemise et son pantalon étaient des pièces séparées de tissu fin. C’était une vue rare.

« Pardonne-moi », dit-elle avec raideur, en s’asseyant sur le lit à côté de moi. Plusieurs secondes de silence avaient passé. Roxy parla lentement, comme si elle choisissait soigneusement ses mots.

« Veux-tu sortir quelque part avec moi pour changer un peu d’air ? »

« … Hein ? »

« Uhh, il y a beaucoup d’objets magiques dans cette ville que tu ne pourrais pas voir sur d’autres continents. Il pourrait être intéressant de les regarder tous, non ? », balbutia-t-elle.

« Non… je ne suis pas d’humeur. »

« O-Oh, tu ne l’es pas ? »

« Désolé. »

Elle m’invitait à sortir. Je savais que c’était parce qu’elle voulait me remonter le moral. Normalement, je l’aurais suivie comme un chiot, mais je n’en avais pas envie pour le moment.

Le silence s’était étiré entre nous.

Roxy avait de nouveau semblé choisir ses mots en parlant.

« C’est malheureux ce qui s’est passé avec Monsieur Paul et Mlle Zenith. »

Malheureux ? Malheureux… Est-ce que c’était vraiment quelque chose qui pouvait se résumer à ce seul mot ? Eh bien, après tout, ils n’étaient pas de sa famille.

« Je me souviens encore, dans les moindres détails, de la vie que nous menions tous les cinq au village de Buena. C’était peut-être la période la plus heureuse de ma vie. »

Roxy avait parlé doucement, en serrant ma main. La sienne était chaude.

« … »

« En tant qu’aventurière, il n’est pas rare que les personnes qui vous sont proches meurent. Je connais cette douleur. Je l’ai déjà vécue. »

« S’il te plaît, ne me mens pas », avais-je dit.

J’avais déjà rencontré les parents de Roxy. Ils étaient vivants et en bonne santé. Elle ne les avait peut-être pas vus depuis un moment, mais cela n’avait sûrement pas changé.

« Ta mère et ton père vont très bien, non ? »

« C’est vrai. Cela fait quelques années que je ne les ai pas vus, mais ils avaient l’air bien. Je suis sûre qu’ils ont encore une centaine d’années devant eux. », dit-elle pensivement.

« Alors tu ne comprends pas ! »

Une vague d’émotion avait envahi ma poitrine et j’avais repoussé sa main.

« Ne lance pas ce mot avec autant de désinvolture ! »

J’avais senti mes dernières forces me quitter en lui criant dessus.

Roxy, bien que décontenancée, semblait peser sérieusement ses prochains mots.

« La personne qui est morte était quelqu’un qui formait un groupe avec moi et qui m’a appris les bases juste après que je sois devenue une aventurière. Je n’irais pas jusqu’à l’appeler un parent, mais je le considérais comme un grand frère. »

« … »

« Il est mort en me protégeant. »

« … »

« Comme toi, j’ai été angoissée par sa mort. »

« … »

« Bien sûr, je ne pense pas que ce soit aussi grave que ce qui t’est arrivé — perdre ton père et retrouver ta mère dans cet état. Mais ça m’a laissée profondément déprimée. »

« … »

« C’est pourquoi je pense pouvoir comprendre un peu — même si ce n’est qu’une infime partie — de ce que tu ressens en ce moment. »

Alors tu ne comprends pas du tout.

Elle ne comprenait pas ce que je ressentais. Je m’étais réincarné, coincé entre le passé et le présent. Je n’étais pas seulement attristé par la mort de Paul. Je ne me lamentais pas non plus sur le fait que Zenith était devenue une coquille vide.

J’avais réalisé quelque chose.

Depuis que je m’étais réincarné et que j’avais décidé de tout recommencer, j’avais pensé que je faisais du bon travail. Mais en fin de compte, j’avais juste ignoré quelque chose d’important. J’avais tourné le dos à la discorde entre moi et ma famille dans ma vie précédente. J’avais gardé les yeux fermés, même après ma renaissance. Et par conséquent, j’avais fait la même erreur une deuxième fois dans ce monde.

J’avais été incapable de rendre quoi que ce soit à mes parents avant que Paul ne meure et que Zenith ne devienne une coquille. J’avais juste refait la même chose, répété la même erreur, une erreur que je ne pouvais pas effacer.

Ma vie précédente de trente-quatre ans, ma vie actuelle de seize ans. J’avais ainsi vécu cinquante ans au total, et pourtant j’avais recommencé.

Dans ma vie précédente, j’étais sans espoir. Mais quand je m’étais réincarné dans ce monde, je pensais avoir changé. Maintenant, j’étais confronté à la réalité que rien n’avait changée. Les choses pouvaient sembler bonnes en surface, mais en vérité, je n’avais guère dépassé la case départ.

Me remettre sur pied semblait franchement désespéré. Savoir que Roxy avait vécu une expérience similaire et avait réussi à se remettre sur pied ne m’avait guère rassuré.

« J’étais vraiment heureuse à l’époque où j’étais au village de Buena. À l’origine, je suis venue au Royaume d’Asura en voulant y travailler, mais je n’ai trouvé aucun emploi. J’ai décidé de prendre un poste temporaire à la campagne en tant que tutrice à domicile. Mais tu débordais de talent, et Paul et Zenith m’ont traitée si chaleureusement. Je pense que ce sont eux qui m’ont vraiment appris ce qu’est la gentillesse — la vraie gentillesse — d’une famille », dit Roxy en me regardant, ses yeux doux, chaleureux.

« Ils étaient comme une seconde famille. », poursuivit-elle.

Elle s’était levée de mon lit, s’était glissée derrière moi et s’était agenouillée, enroulant ses bras autour de ma tête comme pour me bercer.

« Rudy, je pense que je peux partager ta tristesse. »

J’avais senti quelque chose de doux se presser contre l’arrière de ma tête. Le pouls doux de son cœur retentit. C’était un son apaisant. Pourquoi l’écouter me réconfortait-il autant, m’étais-je demandé ? Pourquoi cela me donnait-il l’impression que tout irait bien ?

Il en allait de même pour son odeur. L’odeur de Roxy était aussi relaxante. Jusqu’à présent, chaque fois que je faisais face à quelque chose de difficile, il était étrangement réconfortant de se souvenir de cette odeur et de ce qu’elle m’avait appris. Quand j’étais aux prises avec mon impuissance, le simple fait de penser à Roxy m’aidait à tenir le coup.

Pourquoi cela ? La réponse était suspendue au fond de ma gorge, mais refusait de sortir.

« Je suis ton professeur, et bien que je sois petite et inadéquate, j’ai vécu plus longtemps que toi, et je suis forte. Ça ne me dérange pas que tu t’appuies sur moi. », dit-elle.

***

Partie 3

J’avais saisi l’une des mains qui s’enroulaient autour de mon cou. Elle était si petite et pourtant elle semblait si grande. Le simple fait de regarder ses mains m’avait réconforté. Je m’étais demandé si ce sentiment de soulagement serait plus fort si je me rapprochais.

« Je suis sûre que, même quand les choses sont difficiles, tu peux alléger le fardeau en le partageant avec quelqu’un d’autre », dit Roxy en s’éloignant.

J’avais retiré sa main par instinct.

« Wh-whoa ! »

Son petit corps était facilement tombé sur mes genoux. Nos visages s’étaient rapprochés et nos yeux s’étaient croisés — ceux de Roxy semblaient endormis, humides de larmes. Son visage était rouge, ses lèvres étaient étroitement fermées. J’avais posé une main sur son dos, la guidant vers moi. Son cœur tonnait furieusement, et elle se sentait chaude.

« On peut le faire », bégaya Roxy.

Faire quoi ? avais-je pensé.

« Je-je veux dire, j’ai entendu dire que le cœur d’un homme se sent plus léger après avoir emmené une femme dans son lit. »

Qui diable lui a dit ça ? Ah… Elinalise ? Qu’est-ce que l’elfe pouvait bien dire à Roxy à un moment pareil ?

« Les femmes ressentent la même chose. Quand les choses sont difficiles, elles veulent quelque chose pour les faire oublier. Je suis aussi dévastée par la mort de Monsieur Paul, alors si c’est ce que tu veux faire, ça ne me dérange pas que tu m’emmènes au lit avec toi. »

Elle parlait si vite que ses mots se mélangeaient, elle divaguait.

« C’est ça, je veux que tu m’aides à oublier. Mais mon corps est plutôt quelconque… Si tu n’es pas intéressé, tu pourrais aller dans un bordel à la place ? »

J’avais un immense respect pour elle, telle qu’elle était. Qu’est-ce que ça ferait si je faisais ce qu’elle me proposait et que je la prenais dans mon lit ?

« Quoi qu’il en soit, je n’en ai peut-être pas l’air, mais j’ai beaucoup d’expérience ! Je suis sûre que je peux faire beaucoup mieux que n’importe quelle fille que tu trouverais dans la rue. Vois cela comme une chose occasionnelle, une façon d’effacer toutes les mauvaises choses, une façon de tester les choses, juste une fois… »

Ses explications incohérentes m’échappèrent, mais je m’étais quand même senti investi. Si je trouvais le battement de son cœur si apaisant, alors quel soulagement supplémentaire pourrais-je trouver si nos corps étaient pressés l’un contre l’autre ? Mon esprit s’était attardé sur cette excuse alors qu’elle bafouillait.

« Euh, eh bien, si tu es vraiment particulier et que tu es avec quelqu’un de compétent, peut-être que tu pourrais incliner ta tête devant Miss Elinalise et… ah ! »

Je l’avais poussée sur le lit, brutalement, violemment. Peut-être que j’avais de la frustration à revendre.

*****

Quand j’ouvris les yeux le lendemain matin, la première chose qui m’accueillit était le visage endormi de Roxy. Elle avait l’air si innocente avec ses cheveux lâchés.

En même temps, la pensée que j’avais foiré traversa mon esprit.

« Haah… »

Un soupir s’était échappé. Comment allais-je expliquer ça à Sylphie ? Encore une autre chose dont je devais me préoccuper maintenant.

Mais pour une raison quelconque, ma vision semblait plus claire, comme si tout ce que j’avais angoissé n’avait été qu’un rêve. Il y avait encore un poids, une lourdeur qui s’accrochait à moi, mais je n’avais plus l’impression de toucher le fond. Ce n’était pas comparable à ce que j’avais ressenti hier.

Pourquoi cela avait-il été si efficace ? Était-ce parce que j’avais accompli un acte associé à la mise au monde d’une nouvelle vie ? Cela avait-il atténué ma tristesse à propos de la perte de Paul ? Peut-être pas. En faisant l’amour, j’avais plus ou moins mis le problème de côté pour le moment.

« Mm… »

Soudainement, les yeux de Roxy s’étaient ouverts. Elle me fixa sans sourciller pendant quelques instants avant de froisser les couvertures, les remontant sur son corps.

« Bonjour, Rudy… Hum, comment était-ce ? », marmonna-t-elle tout en détournant les yeux

Je ne pouvais pas mentir. J’avais été horriblement brutal avec elle. J’avais su presque immédiatement que son affirmation selon laquelle elle avait de l’expérience n’était rien d’autre qu’un mensonge éhonté, mais je n’avais pas laissé cela me déranger. Pour sa part, Roxy avait tout accueilli ouvertement, même la douleur. J’étais à la fois reconnaissant et plein de remords.

La complimenter ne me semblait pas correct, étant donné que j’étais amoureux de Sylphie. Honnêtement, son corps était un peu petit, et ne correspondait pas tout à fait au mien. Bien sûr, je mentirais si je disais que ça ne m’avait pas fait du bien. Ce qui était encore vrai maintenant, malgré le fait que je me sentais détendu. Il n’y avait aucune raison de mentir si cela pouvait la blesser.

« C’était incroyable », avais-je finalement dit.

Le visage de Roxy s’était réchauffé progressivement.

« Merci… Mais non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Par “comment était-ce”, je voulais dire comment se sent ton cœur ? Un peu plus léger ? »

Oh, c’est ce qu’elle voulait dire ? Oups.

« C’est le cas. »

« Alors en guise de remerciement, je serais heureuse que tu m’enlaces. »

« Bien sûr. »

Comme elle l’avait demandé, j’avais enroulé mes bras autour d’elle. Sa peau était douce, humide à cause de la sueur. C’était à travers sa peau souple que je pouvais sentir son pouls, un son des plus rassurant.

« Tes bras sont vraiment forts. Ce ne sont pas ceux d’un magicien. », dit-elle.

« Je me suis entraîné. »

Ses doigts glissèrent légèrement sur ma poitrine et le haut de mon bras. Le mouvement était si attachant qu’il menaçait de faire basculer mon amour pour Sylphie.

Lentement, je m’étais détaché de son corps et m’étais levé.

« Professeur, je peux te demander quelque chose ? Quelque chose d’étrange. »

Une pause s’ensuivit alors.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Elle avait dû bien comprendre ce que j’allais dire. L’expression de Roxy était devenue sérieuse alors qu’elle s’était assise dans le lit et avait replié ses jambes sous elle. Et alors qu’elle était assise là proprement, elle était complètement nue. C’était tellement sexy et stimulant que j’avais dû détourner les yeux et déplacer la couverture pour cacher ma moitié inférieure tout en poursuivant la conversation.

« Cette histoire est juste une fiction, quelque chose que j’ai inventé », avais-je dit avant de commencer. Puis je lui avais raconté l’histoire d’un homme — un faux, bien sûr.

Quand il était jeune, des choses terribles lui étaient arrivées et il s’était retiré. Il avait vécu uniquement grâce au soutien financier de ses parents pendant des décennies. Puis un jour, ses parents moururent subitement. L’homme n’avait même pas assisté à leurs funérailles — non, il avait fait la pire chose qu’une personne puisse faire. Les autres membres de sa famille le virent, le bâtirent sans ménagement et le chassèrent de chez lui.

Et bien que l’homme n’avait rien eu, il eut la chance de renaître dans un nouveau monde. Il tourna la page et commença à essayer de s’amender. La vie se déroulait bien et il pensait qu’il pourrait être heureux si les choses restaient ainsi. Mais il fit alors une terrible erreur et laissa mourir quelqu’un de précieux pour lui. Ce fut alors que l’homme se souvint de la mort de ses parents. Et bien qu’il soit tard, il avait finalement fait son deuil.

Voici l’histoire.

Plus je la racontais, plus la bile accumulée dans mon cœur semblait se déverser. Peut-être que tout ce que j’avais voulu, c’était que quelqu’un entende mon histoire. Peut-être que c’était aussi simple que ça.

Roxy écouta en silence. Elle inséra un mot ici et là, mais elle resta silencieuse la plupart du temps.

« Que penses-tu que cet homme devrait faire ? », avais-je demandé après avoir terminé.

« … »

Elle était restée silencieuse pendant un moment. L’histoire était venue de nulle part. Peut-être avait-elle du mal à trouver une façon de répondre. J’étais sûr qu’elle ne pensait pas que la personne de l’histoire était moi. Elle était intelligente, elle aurait pu deviner qu’il y avait une autre signification derrière tout ça.

« Si c’était moi, j’irais me recueillir sur la tombe de mes parents. Même maintenant, il n’est pas trop tard. Je parlerais aussi aux autres membres de la famille. », dit-elle.

« Mais les tombes et ces membres de la famille sont si éloignés que l’homme ne peut pas facilement aller les voir. S’il va les voir, il ne pourra peut-être jamais revenir. L’homme a une vie à lui maintenant. Il a sa propre famille dans ce nouveau monde et il veut la chérir. »

« Donc, il ne peut pas y retourner ? »

« Non. Il y a de fortes chances qu’il ne puisse pas y retourner même s’il le voulait. », avais-je répondu.

Roxy s’était de nouveau tue. Cette fois-ci, la pause avait été plus brève que la précédente.

« Dans ce cas, il n’y a rien à faire. Tout ce qu’il peut faire, c’est chérir la famille qu’il a devant lui. »

Ses mots étaient incroyablement clichés. N’importe qui aurait dit la même chose, n’importe qui aurait pensé la même chose. Les mots n’avaient rien de spécial en eux.

« Même Paul aurait souhaité que tu fasses la même chose, Rudy. S’il te plaît, regarde vers l’avenir. Tout le monde t’attend. », dit simplement Roxy, en énonçant l’évidence.

Ses mots n’étaient rien d’autre que des banalités, des mots que j’avais déjà entendus quelque part.

Et pourtant, en entendant ces mots, j’avais eu l’impression qu’un poids m’avait été enlevé.

Il n’y avait pas que ses mots qui étaient banals. La mort de mes parents de mon monde précédent, même la mort de Paul — c’étaient des événements inévitables. Tout ce que je pouvais faire était de les affronter et de les accepter. J’étais encore là, vivant dans ce monde. Un monde dans lequel je continuerais à vivre.

Je me sentais anxieux, sachant que je devais transmettre la mort de Paul et le handicap de Zenith à la famille qui nous attendait dans les Territoires du Nord. Je me sentais anxieux quant à ce que je devais faire à partir de maintenant. J’étais submergé par l’angoisse d’un avenir plein d’inconnues. Mais je ne pouvais pas m’enfuir. La seule chose que je pouvais faire était de résoudre les problèmes qui se trouvaient devant moi. Je n’avais aucune idée de ce que je devais faire, mais tout ce que je pouvais faire était de résoudre chaque problème, les uns après les autres.

C’était ce que j’avais décidé de faire depuis que je m’étais retrouvé dans ce monde, non ? Que j’allais vivre pleinement. Je ne pouvais donc pas détourner les yeux. Peu importe les épreuves qui m’attendaient, je les surmonterais. Je devais les surmonter, même si cela ne faisait pas totalement disparaître la douleur. Cela apporterait juste un certain soulagement.

C’était comme si je m’étais libéré des chaînes qui m’avaient pesé.

« Professeur », avais-je dit.

« Oui ? »

« Merci. »

Roxy m’avait sauvé une fois de plus. Aucune gratitude ne pourrait jamais la remercier pour cela.

***

Chapitre 12 : Rentrons à la maison

Partie 1

Je m’étais décidé à consulter quelqu’un au sujet de Zénith. Maintenant que je réfléchissais calmement à la situation, ce n’était pas un problème que je pouvais résoudre seul. J’avais besoin de l’avis de quelqu’un d’autre, et en plus, j’avais un autre membre de ma famille avec moi.

« Professeur, je pense parler à Mlle Lilia de ce qu’il faut faire à partir de maintenant. »

« Je pense que c’est une bonne idée. »

Après nous être habillés et avoir fait notre toilette, nous étions sortis par la porte. Elinalise s’était glissée hors de sa chambre au même moment, et nos regards se croisèrent. Les siens s’élargirent de surprise après que son regard vola entre Roxy et moi.

« Roxy, tu… », commença-t-elle à dire.

« Rudy, je suis désolée, mais je dois aussi parler de quelque chose à Mlle Elinalise. S’il te plaît, va voir Mlle Lilia tout seul. »

De quoi devait-elle parler avec Elinalise ? J’en avais une vague idée, mais si c’était ce à quoi je pensais, il valait mieux que je ne sois pas présent.

« Compris. »

Je l’avais laissée derrière moi et je m’étais dirigé vers l’une des chambres plus loin, celle où Zenith dormait. Juste avant d’entrer, j’avais jeté un bref coup d’œil derrière moi, assez longtemps pour voir Elinalise et Roxy rentrer dans leur chambre commune.

J’avais pris les devants et m’étais glissé par la porte. Zenith était assise sur le lit, avec Lilia perchée à côté d’elle sur une chaise. La vue me rappelait celle d’une chambre d’hôpital, et mes lèvres s’étaient pressées en une ligne serrée. « Miss Lilia ? »

« Oui, qu’y a-t-il, Seigneur Rudeus ? »

Lilia s’occupait de Zénith, le visage lourd d’épuisement.

Avant de faire quoi que ce soit d’autre, j’avais besoin de la consulter.

« Je suis désolé de t’imposer les soins de ma mère », avais-je dit.

« Cela ne me dérange pas. C’est mon travail. »

« Oh, ok. »

Un travail… pouvait-elle vraiment appeler ça comme ça ? Ce n’était pas comme si quelqu’un la payait pour ça.

« Comment va-t-elle ? »

J’avais jeté un coup d’œil à ma mère, qui m’avait juste regardé en réponse. Elle n’avait pas essayé de me parler ou de m’examiner. Elle ne fit simplement que me regarder fixement.

« Eh bien, il semblerait donc qu’elle ait effectivement plus de souvenirs, son corps est étrangement sain. Elle a aussi de l’endurance. Il ne semble pas y avoir d’autres déficiences résiduelles. Elle peut accomplir certaines tâches par elle-même une fois que je le lui ai demandé, comme manger et se changer. »

« Vraiment ? »

Cela signifiait donc qu’elle n’était pas complètement invalide. Elle avait juste perdu la mémoire.

Lilia continua. « L’opinion de Shierra est que c’est probablement un effet secondaire du mana piégé dans ce cristal. »

« Va-t-elle s’en remettre ? »

Lilia hésita : « D’après ce que m’a dit Mlle Elinalise, il n’y a aucun espoir. »

Elinalise avait dit ça ? S’y connaissait-elle dans ce genre de choses ? J’avais l’impression qu’il était quand même un peu trop tôt pour abandonner. Et il n’y avait même pas de médecins décents ici qui valaient la peine qu’on l’emmène.

« La maîtresse m’a bien traitée. Maintenant que le maître est décédé, je vais m’occuper d’elle. »

« Je veux aussi faire ce que je peux. »

Mais au moment où j’avais dit ça, Lilia répondit sèchement : « Ce n’est pas nécessaire. »

Ses mots étaient froids, isolants.

« Huh… ? »

J’avais sursauté, bien que je n’ais pas le droit d’argumenter. Juste après la mort de mon père, quand ma mère avait le plus besoin de soins, je n’avais rien fait pour elle. Lilia en avait sûrement assez de moi, et j’en étais le premier fautif.

Mais Lilia continua : « Je sais que je suis impertinente, mais me permettez-vous de parler franchement un moment ? »

« Oui, qu’est-ce qu’il y a ? »

« Vous devriez vous concentrer sur vous-même. »

J’avais hésité : « Sur… moi-même ? »

« Je suis sûre que c’est ce que le maître dirait », avait-elle ajouté.

Je ne pouvais pas me résoudre à être d’accord. Il était, enfin, vous savez, plus égoïste que ça.

« C’est moi qui devrais m’occuper de la maîtresse. C’est pourquoi je suis ici. »

Lilia était épuisée. Elle devait l’être. Et pourtant, elle était si forte. Elle avait déjà fait la paix avec la mort de Paul et allait de l’avant. J’avais besoin d’apprendre de son exemple.

« Miss Lilia, tu pourrais être bouleversée si je demande ce — »

« Je ne le serai pas », dit-elle en m’interrompant.

« Mais qu’est-ce que je dois faire ? »

Je savais que c’était quelque chose que je devais découvrir par moi-même, mais je l’avais quand même demandé.

Lilia me regarda avec surprise. Je connaissais déjà la réponse, mais je voulais entendre quelqu’un d’autre la dire.

« Vous devriez d’abord retourner voir Maîtresse Norn et les autres et les informer de la mort du maître. »

C’est vrai. Je devais rentrer à la maison.

Le lendemain, j’avais réuni tout le monde et les avais informés que nous quittions la ville. C’était presque comme si je prenais la place du leader. Tout le monde m’avait suivi. Peut-être me voyaient-ils comme le remplaçant de Paul. Si c’était vrai, je devais être digne de ce rôle.

Par précaution, j’avais pris les devants et leur avais expliqué la route que nous allions emprunter. J’avais évité de mentionner les cercles de téléportation, leur disant simplement que nous utilisions une méthode unique pour revenir. J’avais également donné un avertissement strict contre la mention de cette méthode à quiconque.

« Mais Geese est du genre à cracher le morceau dès qu’il voit quelques verres », dit Elinalise.

« Hm, je m’assurerai de ne pas mentionner le nom du Patron même si ça arrive, alors ne t’inquiète pas. »

Tu ne pouvais pas fermer la bouche des gens. Je ne leur donnerais pas l’emplacement exact. En fait, je préférerais plutôt leur bander les yeux avant même que nous entrions dans les ruines.

Attendez, oui, c’était une bonne idée. Je leur banderais les yeux avant. Peut-être que leur couvrir les yeux pour qu’ils ne voient pas les cercles magiques eux-mêmes serait un moyen efficace d’empêcher l’information de se répandre.

« Ce voyage est une bonne chose, mais Patron, allez-vous vraiment bien maintenant ? »

Apparemment, Geese était inquiet. Son visage de singe était froncé tandis qu’il me regardait fixement.

« Est-ce que j’ai l’air d’aller bien ? »

Ses lèvres tressaillirent : « Non, pas vraiment… Mais, bon, vous avez l’air mieux qu’avant. »

« Eh bien, je vais donc bien maintenant. »

Pour être honnête, je n’étais pas encore vraiment bien. Mais grâce à Roxy, j’avais au moins réussi à me relever de terre. Mais je doutais qu’on puisse vraiment faire le voyage de retour.

Je m’étais tourné vers Lilia : « Comment va ma mère ? Nous allons voyager à travers le désert pendant un demi-mois. Penses-tu qu’elle peut le supporter ? » 

« Je ne suis pas sûre, mais je prendrai la responsabilité de m’occuper d’elle en chemin. »

« Je l’apprécie. »

Lilia avait l’air sérieuse quand elle déclara ses intentions. J’étais sûr que je serais aussi capable de l’aider dans sa tâche. S’il y avait un problème avec l’endurance de Zenith, nous pourrions simplement ralentir notre rythme.

« Si vous êtes inquiet, achetons un chariot. », dit Geese

« Tu te rends compte que nous devrons le jeter à un moment donné ? », fit remarquer Elinalise.

« Ah, qui s’en soucie ? On nage dans l’argent en ce moment. »

Pendant que j’étais noyé dans le chagrin, Geese et les autres avaient engagé des personnes pour entrer dans le labyrinthe avec eux et collecter les objets magiques situés dans la chambre au trésor au-delà de la salle de l’hydre. Le Labyrinthe des Téléportations était un endroit ancien, et d’innombrables aventuriers y avaient perdu la vie, aussi les objets magiques abondaient. Ils avaient également dépouillé la créature de ses écailles — ou plutôt, des pierres magiques qui avaient été collées sur sa peau. C’étaient des pierres qui pouvaient absorber le mana. La vente de tout cela nous avait rapporté une fortune colossale.

« Nous ramenons ce que nous pouvons à Asura pour le vendre », avait-il dit en me montrant un sac débordant de pierres magiques et d’accessoires tels que des pendentifs et des bagues.

Paul était mort, et j’étais en deuil, mais Geese était préoccupé par la façon de faire plus d’argent. Cette seule pensée m’avait un peu irrité. Mais pour le bien de notre avenir, il aurait été vraiment stupide de ne pas récupérer ce que nous pouvions. L’argent était essentiel, et chacun fut au moins remboursé pour son aide. Le jugement de Geese était correct.

De plus, étant donné que j’avais sombré dans la dépression et que je n’avais rien fait, ce n’était pas comme si j’avais le droit de dire quoi que ce soit. J’étais sûr que Geese aurait obéi, bien qu’à contrecœur, si j’avais donné l’ordre de rentrer à la maison le jour suivant.

« J’ai donné votre part à Lilia », m’avait-il informé.

Les autres s’étaient réunis et avaient décidé de la répartition de l’argent sans moi. Ils m’avaient attribué une part massive, en partie parce que j’avais aussi reçu la part de Paul, mais aussi parce que Talhand avait partagé la moitié de la sienne avec moi, en disant : « Eh, je n’ai pas été si utile que ça cette fois, alors voilà ». Vierra et Shierra, reconnaissant également combien ce serait difficile pour nous maintenant que Paul était parti, avaient chacun partagé la leur avec Lilia. Lilia avait l’intention de me donner chaque partie de cet argent.

À mon avis, tout le monde avait fait de son mieux, je pensais donc qu’ils devaient reprendre leur part. Mais, bon, je n’allais pas faire la fine bouche. Il était vrai que les choses allaient sans doute devenir plus difficiles à partir de maintenant.

« Nous avons également fait un balayage complet de la zone finale, mais nous n’avons jamais trouvé d’indice sur la raison pour laquelle Zenith s’était retrouvée là, » déclara Geese en haussant les épaules.

« Rien, hm ? Eh bien, merci d’avoir cherché », avais-je dit.

« Non, ce n’était rien. »

Nous n’avions aucune idée de ce qui avait causé le piégeage de Zenith dans ce cristal. Et même si nous découvrions la raison, il n’y avait aucune garantie que cela conduise à sa guérison. De toute façon, le traitement devrait attendre notre retour à la maison.

« Geese, Mlle Elinalise, puis-je vous confier les préparatifs de notre départ ? »

« Oui », dit Geese.

« Très bien », déclara Elinalise.

J’étais sûr de pouvoir leur faire confiance pour mener ces choses à bien.

Nous avions planifié notre voyage dans les moindres détails. Je connaissais la route, et tout le monde ici était un voyageur expérimenté, mais je ne voulais pas que nous perdions quelqu’un d’autre. J’avais donc procédé avec précaution. Nous avions tracé un itinéraire qui nous permettrait d’éviter les bandits que nous avions rencontrés en chemin. Le chemin faisait un petit détour, mais ce n’était pas un problème.

***

Partie 2

J'étais inquiet pour Zenith, mais ce problème fut rapidement résolu. Geese avait acheté une calèche pour une personne tirée par une bête qui ressemblait à un tatou. Il semblait avoir été conçu spécialement pour les voyages dans le désert. Geese avait bien fait.

Le « tatou » était apparemment une bête domestiquée qui vivait dans les régions orientales du Continent de Begaritt. Il semblait à la fois coûteux et inutile d'en acheter un et de s'en débarrasser plus tard, mais comme le dit le proverbe, on ne peut pas faire d'omelette sans casser des œufs.

Néanmoins, si nous devions aller aussi loin, nous pourrions tout aussi bien faire passer la bête par le cercle de téléportation et l'emmener chez nous. Tant que nous pouvions lui faire passer les escaliers, tout irait bien. Mais si elle mourait à cause des différences de climat quand nous arriverions de l'autre côté… Non, elle mourrait à coup sûr si nous la laissions dans le désert. Nous pourrions tout aussi bien le ramener et le vendre à quelqu'un ayant une affinité avec de tels animaux.

Ainsi, nos préparatifs furent terminés. Nous étions donc partis.

Le voyage s’était déroulé sans encombre. Nous avions facilement évité les bandits. Nous avions croisé quelques monstres en chemin, mais avec notre nombre, ils ne représentaient pas le moindre danger. Nous avions deux guerriers, deux magiciens, un mage guerrier et une guérisseuse. Il y avait une nette différence de puissance entre chaque personne, mais nous étions bien équilibrés. Bien qu'il nous manquait un épéiste qui aurait dû faire ce voyage avec nous…

Voyager sans main gauche s’était avéré plus gênant que je ne l'avais imaginé. Je n'avais pas mal, mais j'essayais souvent de l'utiliser sans réfléchir, et mon bras ne faisait que balayer l'air vide. Beaucoup de choses s’étaient avérées difficiles sans deux mains. Heureusement, Roxy était là pour m'aider à chaque fois. Depuis cette nuit-là, elle était collée à moi et me soutenait. Elle prit l'habitude de marcher à ma gauche. Ainsi, dès qu'il se passait quelque chose, elle était là pour m'aider. Presque comme une amante.

« ... »

J'étais stupide. Je m’étais dit que je ne le serais pas, mais je l'étais. Mais même moi, je ne pouvais pas m'empêcher de le réaliser à ce stade : Roxy avait des sentiments pour moi.

« Hum, Professeur ? »

Je l'avais appelée un soir où nous étions tous les deux de garde.

Il y avait un feu crépitant devant nous, et elle s’était assise à côté de moi. Tous les autres étaient à l'intérieur de l'abri, en train de dormir. L'abri était assez solide, mais nous avions tout de même maintenu une garde de deux personnes par roulement, juste pour être sûrs.

« Oui, qu'y a-t-il, Rudy ? »

Roxy était assise tout près. Elle était en fait juste à côté de moi, et avait son corps pressé contre le mien. Je pouvais sentir la douceur et la chaleur de ses petites épaules à travers le tissu de sa robe. Presque comme si nous étions amants.

Je voulais dire, nous avions fait quelque chose que les amants faisaient. La nuit que j'avais passée avec elle, à m'appuyer sur elle, à profiter de sa gentillesse, avait pu donner lieu à un malentendu sur le fait que nous étions amants. Ou du moins, c’était peut-être ce qu'elle voulait.

Je m’étais demandé si elle savait que j'étais marié. Peut-être qu'elle ne le savait pas. Je n'avais pas l'impression qu'elle aurait été aussi audacieuse si elle l'avait su.

Non, le problème n'était pas du côté de Roxy. Il était de mon côté. Ce que je faisais en ce moment était de la tromperie. J'avais juré fidélité à Sylphie, et pourtant j'étais là, à briser ce vœu. Peut-être que ce serait mieux pour moi d'être clair avec elle, genre, « Merci, mais je vais bien maintenant. Mettons un terme à tout ça parce que sinon, ce serait manquer de respect à ma femme. »

Depuis que j'avais rencontré Roxy après mon arrivée dans ce monde, je m’étais beaucoup reposé sur elle. Elle m'avait appris la magie et le langage. D'une certaine manière, c’était grâce à elle que j'avais pu me lier d'amitié avec Zanoba. Sylphie était bien celle qui avait soigné mes problèmes d'érection, mais au cours de ces trois années d’enseignements, Roxy avait été une source de soutien mental pour moi. Je lui devais beaucoup.

En plus, elle était allée jusqu'à utiliser son corps pour me réconforter cette fois. Même si c'était sa première fois, elle s'était offerte pour m'aider, pour me sortir des ténèbres dans lesquelles j'avais sombré. Quand j'étais le plus faible, à genoux, elle m'avait tendu la main. Même maintenant, elle gardait ses vrais sentiments pour elle afin de m'aider.

Alors, de quoi aurais-je l'air si je la rejetais une fois que tout serait terminé ? N'était-ce pas horriblement irrespectueux ?

Non. Ça suffit. Plus d'autosatisfaction. Parler de la manière ou de comment elle m'avait sauvé, ce n'était que des excuses. J'aimais Roxy. C'est vrai, je l'aimais. Si vous me demandiez laquelle j'aimais le plus entre elle et Sylphie, je ne pourrais pas vous répondre. Mon amour pour chacune d'elles était différent, mais égal.

C’était pour ça que j'hésitais ici, en cet instant. En cet instant, j'aimais Sylphie, mais j'aimais aussi Roxy. Mais c’était à Sylphie que j'avais juré fidélité. Et même si j'avais brisé ce serment, une promesse restait une promesse, même si elle avait été brisée une fois auparavant.

Oui, d'accord, Sylphie avait dit : « ça ne me dérange pas si tu ramènes une deuxième femme à la maison ». Mais c’était moi qui avais rejeté ces mots, jurant que je ne serais qu'avec elle. Sylphie fut sans l’ombre d’un doute si heureuse quand j'avais dit ça. Je ne pouvais pas la trahir.

« Hum, tu vois… la vérité est que je suis actuellement marié et que je vais bientôt avoir un enfant. Donc, je me sens mal de dire ça, mais pourrais-tu arrêter de faire des choses pour moi comme si tu étais mon amante ? »

Son épaule fit un bond.

« Je savais déjà que tu étais marié. Je l'ai appris par Mlle Elinalise. », murmura-t-elle.

« Oh, c’est vrai ? »

Elle le savait et elle agissait encore comme ça. Alors ça devait vouloir dire… Attends, ça voulait dire quoi exactement ?

« C'est bon, je comprends. Tu n'as pas à t'inquiéter. C'est moi qui ai profité de toi quand tu te sentais faible. De plus, je sais que dans des circonstances ordinaires, tu ne t'engagerais jamais avec quelqu'un d'aussi petite et peu attirante que moi. », poursuivit-elle, le ton complètement plat.

« Petite et sans attrait ? C'est absurde », avais-je protesté.

« Tu n'as pas besoin de me réconforter, je suis parfaitement consciente de mon apparence. »

Il était vrai que son corps n’était pas grand. Elle n'avait pas de courbes et elle était mince comme un bâton. Dans le domaine de la féminité, elle aurait probablement perdu contre Sylphie. Mais on pouvait aussi dire qu'elle avait simplement le corps d'une loli, et j'étais du genre à apprécier ça.

« Ne t’inquiète pas. Je n'ai pas l'intention de faire irruption dans ta vie. Je vais juste être ta main gauche pour la durée de ce voyage. Ignore-moi une fois le voyage terminé et occupe-toi plutôt de ta femme », dit Roxy tout en levant les yeux vers moi avec hésitation.

« D'accord. »

« ... »

Mais quand même, elle m'avait vraiment sauvé. Ne rien faire en retour ne pouvait pas être juste.

« Me permettras-tu au moins de te rembourser ? »

« Me rembourser ? », Roxy eu l'air surprise.

« Oui, s'il y a quelque chose que je peux faire, dis-le. N'importe quoi. »

Ses yeux vacillèrent.

Ah, merde. Peut-être que j'avais dit la mauvaise chose. « N'importe quoi » n'était pas bien. N'importe quoi était exactement ce qu'elle avait fait pour m'aider.

« Hm, bien, alors… », commença-t-elle.

« Oui ? »

« … Alors voudrais-tu entendre mon excuse ? Tout ce que tu as à faire, c'est écouter. »

Une excuse ? Une excuse pour quoi ?

« Bien sûr, vas-y. », dis-je.

Roxy était restée silencieuse un court moment après ça, mais finalement, les mots étaient sortis, les uns après les autres.

« Je suis... tombée amoureuse au premier regard. »

« De qui ? »

« Huh ? »

Roxy était tout aussi confuse par ma question.

« Ne me dis pas que tu es tombée amoureuse de mon père ? »

« Non, pas du tout ! De toi, Rudy, quand tu m'as sauvée dans ce labyrinthe. »

Quand on s'est retrouvés ? À l'époque, elle m'avait traité comme un parfait inconnu, je ne pouvais même pas retenir ma nausée. Je l'avais prise dans mes bras, puis j'avais vomi. Je ne voyais pas comment on pouvait tomber sous le charme après ça. Je m’étais dit que ses sentiments avaient évolué après ça.

« Tu peux difficilement me blâmer. J'étais aux portes de la mort, sur le point d'abandonner tout espoir, et ce beau et fringant jeune homme est apparu et m'a sauvée. N'importe qui aurait été secoué par ça. », dit-elle.

« Suis-je beau ? »

« L'image même de mon partenaire idéal. », dit Roxy en hochant la tête.

Vraiment ? Son partenaire idéal ? Je devais m'empêcher de sourire.

« Pendant toute la durée de notre exploration dans ce labyrinthe, je fixais ton visage », dit-elle.

« En y réfléchissant, nos regards se sont souvent croisés. Mais tu détournais toujours le regard immédiatement. »

Roxy hésita : « C'est parce que, eh bien… Allez, c'est embarrassant de regarder quelqu'un d'aussi beau que toi droit dans les yeux. »

Elle était donc embarrassée ?

« Je me suis dit que c'était impossible. Mlle Elinalise et les autres discutaient au pub. Qu'est-ce que Rudy va faire après ce qui s'est passé avec Paul, ce genre de choses. Mlle Elinalise et M. Geese ont dit que ça irait, que tu pourrais te relever tout seul. Mais je me suis souvenue du temps que nous avions passé ensemble au village de Buena. », dit-elle.

Ses mots continuaient à venir.

« Je me suis souvenue vous avoir vu, toi et Monsieur Paul, vous entraîner ensemble à l'épée. Vous vous entendiez si bien à l'époque. Et puis je me suis soudainement souvenue d'autre chose : la première fois que tu es monté à cheval. À l'époque, tu étais si terrifié. Ton corps était si tendu, et tu ne pouvais pas du tout bouger. Je me suis dit : Ahh, ce gamin est si mature et a tant de talent, mais il est en fait très faible. »

***

Partie 3

« Puis je me suis souvenue de toutes tes interactions avec Paul. De quand vous vous êtes entraînés ensemble dans le passé, à vos plaisanteries dans le labyrinthe. J’ai vu à quel point tu étais déprimé, apathique, et je me suis souvenue que tu es beaucoup plus faible que tu ne le parais. J’avais l’impression que Paul comptait beaucoup plus pour toi que ce que l’on pensait. Maintenant que tu l’as perdu, j’avais peur que tu sombres si profondément dans la dépression que tu ne puisses pas te relever par toi-même.

Bien sûr, je ne pensais pas que je serais celle qui t’aiderait à te relever. J’ai entendu dire que tu avais quelqu’un que tu aimais. J’étais sûre que cette personne aurait le pouvoir de te remettre sur pied si tu te sentais brisé. Mais tu en avais plus que jamais besoin à ce moment-là, et elle n’était pas là. Je sentais que quelqu’un devait te sauver. Mais Mlle Elinalise et Monsieur Geese avaient l’intention de te laisser tranquille, et Mlle Lilia était trop occupée à s’occuper de Mlle Zenith. Alors j’avais pensé que j’étais la seule à pouvoir le faire.

Je suis sûre que cela doit ressembler à une excuse, mais je n’avais pas l’intention d’aller aussi loin au début. J’avais l’impression que tu me respectais, mais je suis minuscule et peu attrayante. Je n’ai aucune idée de qui est ta partenaire, mais je suis sûre qu’elle doit être une beauté si elle est liée à Mlle Elinalise. Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait une chance que tu me regardes de la même façon, mais j’ai ignoré cela, pensant que tout irait bien tant que je ferais quelque chose qui pourrait aider.

Mais quand tu m’as soudainement attrapée et que j’ai vu ton visage de près… je n’ai pas pu m’empêcher de penser que j’avais peut-être une chance. Mlle Elinalise et les autres venaient de dire que le sexe pouvait remonter le moral des hommes quand ils étaient déprimés. Alors, j’ai pensé que je pouvais peut-être le faire. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je t’aime. »

Les larmes de Roxy commencèrent à couler les unes après les autres. Et dès que je les avais vues, la douleur traversa ma poitrine comme si on m’arrachait le cœur.

« C’était cruel. Mes sentiments pour toi étaient évidents, mais personne ne m’a dit que tu étais marié avant que cela ne se produise. Ce n’était pas juste. », dit-elle en s’essoufflant.

Je m’étais demandé à qui ces mots étaient adressés. Pas à moi, m’étais-je dit, alors peut-être Elinalise ? Il était vrai que je ne lui avais pas parlé de mon mariage. Il n’y avait pas de raison particulière à cela, mais le sujet n’avait pas été abordé. Si elle devait blâmer quelqu’un, j’étais également responsable.

Pourtant, si nos rôles étaient inversés… si j’avais retrouvé Sylphie, qu’elle m’avait sauvé, que j’étais tombé amoureux d’elle, puis que j’avais fait des avances romantiques pour découvrir qu’elle avait déjà un autre partenaire… Eh bien, je serais sûrement choqué. Non, il n’y avait aucun doute là-dessus. Je le serais certainement.

« Hum, Professeur ? »

Je voulais que Roxy soit récompensée pour ce qu’elle avait fait. Elle devait être récompensée.

« Qu’est-ce qu’il y a ? », avait-elle demandé.

Mais qu’est-ce que j’étais censé faire ? Que pouvais-je faire pour la récompenser ? Comment pouvais-je lui apporter la satisfaction sans trahir Sylphie ?

« Hum, au minimum, pourquoi ne pas exaucer ton vœu pendant que nous faisons ce voyage ? Je serais ton amant jusqu’à ce que je rentre à la maison, et ensuite… »

Et puis quoi ? Ça ne résoudrait rien. Je le savais bien. Ça n’aiderait aucun de nous deux. Je ne ferais que trahir Sylphie. Ce ne serait que temporaire, et c’était la pire proposition que j’aurais pu faire.

Une longue pause et puis… « C’est… une idée incroyablement séduisante. »

Roxy serra mon bras fortement. Puis, légèrement, elle tapota sa main contre ma joue.

« Mais s’il te plaît, arrête avec tout ça. Tu n’es pas obligé de faire quoi que ce soit. »

« … D’accord. »

Je n’avais pas à faire quoi que ce soit. Si Roxy était d’accord avec ça, alors je ferais ce qu’elle demandait. J’avais fait tout ce qu’elle m’avait dit de faire jusqu’à maintenant, et je continuerai à le faire.

C’est ce que tu voulais, n’est-ce pas, Professeur ?

*****

Nous étions arrivés à Bazaar en un peu plus d’un mois.

Une fois là-bas, nous avions acheté quelques souvenirs, comme des objets en verre pour Sylphie et les autres. Il y avait notamment une bouteille en verre d’une forme intéressante et un accessoire pour cheveux en verre rouge avec un écusson tribal dessus. J’avais prié pour qu’ils ne se cassent pas pendant le voyage de retour.

Après cela, nous avions acheté du riz. Des semences de riz, en fait. Je n’étais pas sûr qu’il pousserait bien chez moi, mais je voulais essayer. Si cela échouait, je pourrais toujours le manger tel quel.

Ce soir-là, Elinalise emmena les femmes du groupe boire un verre. Je suppose que c’était l’une de ces fêtes réservées aux filles. Bon ce n’était pas comme si l’une d’entre elles ne soit assez jeune pour être considérée comme une fille. Lilia avait été la seule à refuser, parce qu’elle devait s’occuper de Zenith. Les autres suivirent Elinalise, même Roxy. Geese et Talhand n’avaient bien sûr pas participé, mais ils avaient trouvé leurs propres excuses pour sortir.

J’étais resté pour aider Lilia et m’occuper de Zenith. Ma mère pouvait marcher, manger et aller aux toilettes, mais elle ne voulait pas parler ni faire quoi que ce soit par elle-même. Elle était presque comme une machine, exécutant les ordres qu’on lui donnait. De temps en temps, elle regardait fixement dans ma direction, sans dire un mot, elle me fixait juste. Peut-être ressentait-elle une certaine connexion avec moi parce que nous étions liés par le sang ? Les chances que quelque chose déclenche le retour de sa mémoire étaient… minces, voire nulles.

Je m’étais demandé ce que Paul ferait s’il était là. Vraiment, je me le demandais. Il ferait sûrement du bon travail. Ou peut-être qu’il ne le ferait pas. Peut-être qu’il échouerait.

Au milieu de la nuit, Roxy était venue me voir, complètement bourrée. Apparemment, elle avait tout dit à Elinalise, laissant éclater tout son ressentiment. De son côté, Elinalise avait dû se sentir en conflit. Elle avait dit que Roxy était son amie la plus chère. Elle devait vouloir soutenir sa vie amoureuse, mais pas au détriment du mariage de sa petite-fille. J’imagine que cela la mettait dans une situation difficile.

Roxy frappa ses petits poings contre ma poitrine, puis elle retourna dans sa chambre.

Le jour suivant, nous étions arrivés à la corniche des Gryphons. Normalement, un chariot ne pourrait pas monter, mais j’avais utilisé ma magie pour le forcer à monter sur la corniche.

Le premier jour, le tatou s’était recroquevillé à cause de l’odeur des Gryphons et s’était arrêté dans sa course. Je m’étais demandé si nous n’allions pas devoir faire demi-tour et le laisser à Bazaar, mais une fois que nous avions vaincu le monstre en question et qu’il vit Geese dévorer la viande de l’ennemi juste devant lui, le tatou semblait sentir qu’il était en sécurité et continua à avancer gaiement.

Selon Geese, c’était un truc qu’il avait appris d’un de ses amis démons. En vainquant et en mangeant le prédateur naturel d’un monstre juste devant lui, vous lui inculquez l’idée que votre propre groupe était supérieur en force à celui du prédateur. Quand j’avais demandé si l’homme qui lui avait enseigné cela avait un visage de lézard, Geese avait ri, puis il avait dit : « Alors vous le connaissez ? J’aurais dû m’en douter, Patron. »

Il avait fallu une journée entière de voyage à travers la corniche pour arriver au désert. De là, il avait fallu encore trois jours pour percer la tempête de sable. Et au moment où j’avais utilisé ma magie pour l’interrompre, Roxy dit, d’une voix teintée de jalousie : « Alors ta magie de terre est aussi de niveau Saint. Incroyable. »

Il y avait une abondance de monstres après cela, nous avions donc procédé avec une extrême prudence, même si nous avions beaucoup de personnes avec nous cette fois, y compris plusieurs vétérans. Même si un ou deux d’entre nous étaient en difficulté, quelqu’un d’autre pouvait immédiatement plonger pour les aider. Nous avions même écrasé le Garuda de sable, que nous avions évité d’affronter à l’aller. Ensuite, un lézard géant ressemblant à un T-rex s’était présenté, nous l’avions également vaincu.

Je craignais que les vers de sable ne représentent une réelle menace sur notre chemin, mais Geese avait été capable de les détecter tous. Apparemment, il y avait un truc pour ça. Selon lui, il y avait une fine crête en forme de beignet dans le sol là où ils se trouvaient. En scrutant attentivement le terrain à la recherche de cette crête, vous pouviez identifier leurs cachettes immédiatement. Cela dit, le désert n’était pas vraiment plat. Il avait eu ainsi de nombreuses occasions où je n’avais pas réussi à identifier correctement les crêtes, probablement en partie à cause de mon manque d’expérience.

Les succubes nous avaient aussi attaqués, mais nous nous en étions débarrassés facilement, puisque notre groupe était composé principalement de femmes. Geese et moi avions tous deux été touchés par leurs phéromones, mais nous avions la magie de désintoxication pour les contrer. Mes vrais sentiments s’étaient manifestés à un moment donné, ce qui m’avait poussé à essayer de m’en prendre à Roxy… mais tout s’est déroulé sans incident.

Ce qui me choqua le plus était de voir que Talhand n’était absolument pas affecté par ses sentiments. Il grogna et dit : « Bien sûr, ça ne marche pas sur moi. »

Je suppose donc qu’un corps sain menait à un esprit sain. Incroyable !

Nous étions arrivés aux ruines. Comme nous l’avions prévu, tout le monde, à part Elinalise, avait les yeux bandés à l’extérieur. Shierra s’était un peu énervée à ce sujet, mais Vierra l’avait persuadée et nous avions pu continuer sans problème. Les bandeaux eux-mêmes n’étaient juste là que pour ma tranquillité d’esprit, mais tant qu’ils ne voyaient pas les cercles, ils ne pouvaient pas savoir ce qui s’était passé.

Quant au chariot, nous l’avions laissé derrière nous. Il n’aurait pas pu passer l’entrée. Zenith pourrait sûrement passer la semaine suivante à pied. Maintenant que nous étions arrivés jusqu’ici, ça ne me dérangeait pas si la dernière étape de notre voyage nous prenait un peu plus de temps.

Le tatou avait réussi à passer l’entrée, nous l’avions donc emmené avec nous. Je ne savais pas vraiment s’il s’acclimaterait au temps de chez nous, mais c’était mieux que de le laisser ici pour que d’autres monstres s’en régalent.

Geese et les autres furent surpris lorsqu’ils retirèrent leurs bandeaux et découvrirent que le paysage autour d’eux avait complètement changé. Nous étions passés d’un désert au cœur d’une forêt. Leur choc était compréhensible. Je les avais strictement avertis de ne jamais parler de la façon dont nous étions arrivés ici, même s’ils parvenaient à deviner comment nous avions fait.

Ce fut ainsi que nous avions quitté le Continent de Begaritt. Encore un petit effort et je serais chez moi.

***

Chapitre 13 : Retour

Partie 1

La neige tombait légèrement dans les Territoires du Nord.

Cela faisait environ quatre mois que je m’étais mis en route. L’automne et la saison des amours des hommes bêtes étaient passés depuis longtemps, laissant place à une longue saison d’hiver. Il y avait de la neige jusqu’aux chevilles, même au milieu de la forêt. Si nous étions arrivés ici, ne serait-ce qu’un mois plus tard, la neige serait montée jusqu’à ma poitrine, rendant difficile le voyage jusqu’à Sharia.

« Mlle Elinalise et moi allons ouvrir la voie », avais-je dit.

Si des monstres surgissaient, nous les vaincrions tous. Le mana n’était pas un problème. Zenith marchait sans se plaindre d’être épuisée. Le tatou frissonnait, mais tout irait bien tant que je le réchauffais de temps en temps avec ma magie.

Tout va bien, me disais-je au fur et à mesure que nous avancions.

Un soir, Elinalise et moi étions de garde ensemble.

« Rudeus, il y a quelque chose dont je veux te parler, » avait-elle soudainement lâché.

Je pouvais déjà vaguement pressentir ce que serait le contenu de cette conversation. Roxy, sans aucun doute.

Je m’étais assis juste en face d’elle, les jambes repliées sous moi — la posture parfaite pour me prosterner devant elle si elle commençait à me condamner. Elinalise prit un siège plus confortable sur le sol.

Je me demandais comment elle allait exprimer sa colère. Me reprocherait-elle de manquer de respect à Sylphie ? Ou bien me gronderait-elle pour avoir couché avec Roxy ?

Mais elle ne fit ni l’un ni l’autre.

« Rudeus, tu n’es pas un disciple de Millis ? »

« Hein… ? »

Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire, mais je savais qu’il n’y avait qu’une seule personne que je pouvais appeler Dieu. Cela n’avait pas changé depuis que j’étais petit.

« Effectivement », avais-je finalement dit.

« Je ne le pensais pas. Et Sylphie non plus ? »

« Non, elle ne devrait pas l’être. »

Sylphie n’était pas religieuse. En fait, le seul fidèle de Millis que je connaissais était Cliff. Il avait une amulette de l’église suspendue à son cou, et une fois par semaine, il assistait à quelque chose qui ressemblait à une messe à l’église. Sylphie ne portait pas de tels symboles de Millis, et elle n’allait pas à l’église. Peut-être que Cliff était une mauvaise comparaison — il était possible qu’elle ait la foi, mais si c’était le cas, je ne l’avais jamais entendue en parler.

« Mon Cliff est un fervent croyant », dit-elle.

« C’est ce que je pense aussi », avais-je immédiatement approuvé, car je venais aussi de penser à lui.

« Savais-tu que la foi des Millis stipule qu’un homme ne peut avoir qu’une seule femme ? »

« C’est ce qu’il me semblait. »

Elinalise poursuivit : « C’est une sorte d’édit démodé, disant qu’un homme doit aimer sa femme pour le reste de sa vie. Mais ça fait du bien d’être l’objet d’une telle affection. »

Ça me semblait correct. Je ne doutais pas qu’il était bon d’aimer quelqu’un de tout son être et d’être aimé de la même façon en retour. Mon cœur hésitant et infidèle, d’un autre côté, s’était tourné vers Roxy.

Je l’aimais. Il n’y avait aucun doute là-dessus. Mais je m’étais aussi rappelé à quel point j’avais été malheureux quand j’avais eu mon impuissance. Sylphie avait été celle qui m’avait guéri et avait ramené le bonheur dans ma vie, et je voulais donc lui rendre la pareille en lui offrant un amour qui la comblerait en retour. Ces sentiments étaient tout aussi forts.

« Cependant, Rudeus », commença Elinalise.

« Oui ? »

« Je suis différente. Je ne pense pas qu’aimer plusieurs partenaires en même temps soit mal. »

« Je ne suis pas surpris d’entendre que tu ressentes ça, mais est-ce que ça ne manque pas de sincérité ? », avais-je demandé.

Elinalise s’était contentée de secouer la tête.

« Ce serait différent si tu mettais Sylphie de côté. Mais du moment que tu l’aimes comme il se doit, ce n’est pas du manque de sincérité. »

« Si tu as deux personnes à aimer, ça veut dire que le temps que tu peux te permettre d’accorder à chacune d’elles sera divisé par deux, non ? »

« Ce n’est pas comme si vous étiez l’un avec l’autre toute la journée, non ? Il ne sera pas réduit de moitié. Ce sera peut-être un peu moins qu’avant, mais c’est tout. »

Donc, prendre une deuxième partenaire ne serait pas un problème même si l’affection que je donnais à ma première partenaire était un peu réduite à cause de cela ? Les humains pourraient être inconscients des montées émotionnelles, mais plutôt sensibles aux réductions même infimes. Ce serait terrible si Sylphie commençait à penser que mon amour pour elle diminuait.

« Essaie de te souvenir. Après que Paul ait épousé Lilia, Zenith était-elle malheureuse ? »

Heureuse ou malheureuse, j’avais l’impression que ce n’était pas vraiment le problème ici. Bien que maintenant qu’elle l’avait mentionné, il est vrai que Zenith n’était pas particulièrement malheureuse. Les choses étaient les mêmes qu’avant. En fait, elle s’était encore plus rapprochée de Lilia qu’avant, et en avait été d’autant plus heureuse. Paul était peut-être malheureux, étant donné qu’il était soudainement la cible des attaques de ses deux femmes, mais… peut-être que c’était une sorte de bonheur en soi. Un bonheur qui ne reviendrait jamais.

« Qu’est-ce que tu veux dire exactement ? », avais-je demandé.

Le souvenir de Paul fit remonter le chagrin à la surface. Il ne pouvait que s’aggraver si nous continuions à parler de lui. Je voulais juste entendre ce que voulait dire Elinalise.

« Prends Roxy comme ta femme. Tu l’aimes, hein ? »

Je m’étais figé.

« Es-tu sérieuse là ? »

« Oui, bien sûr que je le suis. »

« Mlle Elinalise, est-ce que tu peux vraiment dire ça ? Tu es la grand-mère de Sylphie. Ne devrais-tu pas veiller à son bonheur ? »

Mais ce n’était pas comme si j’avais le droit de lui en vouloir. C’était moi qui avait eu une liaison, qui avait rompu mon serment envers Sylphie et qui avait couché avec Roxy. Ce fait restait inchangé, quelles que soient les circonstances. Et pourtant, je m’étais retrouvé à prendre un ton accusateur.

« Oui, je peux le dire. Personne d’autre que moi ne peut le dire », avait-elle dit de manière hautaine en me regardant.

« Je réalise que je ne devrais pas le dire comme ça, mais avant d’être la grand-mère de Sylphie, j’étais l’amie intime de Roxy. »

Pendant un moment, je n’avais pas compris ce qu’elle voulait dire. Puis j’avais réalisé qu’elle parlait de l’ordre dans lequel elles s’étaient rencontrées. Elinalise avait rencontré Roxy en premier, puis Sylphie, par la suite.

« Honnêtement, le fait de voir Roxy comme elle est en ce moment m’est vraiment insupportable. Elle a envie de se lancer dans une relation et de s’appuyer sur toi, mais elle se force à rester en retrait, juste parce qu’elle t’a rencontré trop tard. »

Vu la manière dont elle disait ça, je m’étais senti mal pour Roxy… mais je m’étais aussi senti mal pour Sylphie quand je l’avais regardé de son point de vue.

« Si vous vous séparez en mauvais termes, je ne doute pas qu’elle mènera une vie misérable. Il est possible qu’un salaud profite d’elle, la traite de manière horrible, puis la vende comme garantie pour ses prêts impayés, et qu’elle finisse par porter l’enfant d’un homme qu’elle ne connaît même pas. »

« N’est-ce pas aller un peu trop loin ? », avais-je demandé sans me sentir à l’aise.

« Je connais une femme qui a mené une telle vie. »

Elle parlait si franchement que je m’étais demandé pendant un moment si elle parlait de son expérience personnelle.

Elinalise poursuivit : « Je veux que Roxy soit heureuse, même si ce bonheur est assorti de conditions. »

« Je peux dire que je veux la même chose. »

« Rudeus, je sais que tu peux le faire. Tu peux aimer Sylphie et Roxy de la même façon. Tu es bien le fils de Paul. Tu devrais être capable de le faire. »

Le pourrais-je vraiment ? Peut-être. Non, certainement. Je les aimais toutes les deux également. Je l’avais fait et je le pouvais. Mais est-ce que c’était vraiment bien ? Était-ce bien de le dire, d’être aussi égoïste ?

Non. Ce n’étaient que les murmures du diable. Je ne pouvais pas les écouter.

« Non, Sylphie est ma seule… »

« Je n’avais pas prévu de dire ça, mais quand nous avons bu ensemble à Bazaar, Roxy m’a dit que ses menstruations n’étaient toujours pas arrivées », me coupa Elinalise en haussant la voix.

« Hein ? » Ses menstruations ? Oh, attends ! Je savais ce que c’était. Euh, mais… ça voulait dire… ?

« Eh bien, ce n’est pas encore certain », avait-elle ajouté.

Nous avions fait l’acte. C’était donc possible. En plus, le soir où elles s’étaient saoulées, elle était venue me taper sur la poitrine (bien que faiblement). C’était peut-être un signe ?

Elinalise me regarda dans les yeux et me dit : « Rudeus, si Roxy est vraiment enceinte de toi, que feras-tu ? »

Sa question fit apparaître dans ma tête une image de Paul à l’époque… quand Lilia était enceinte de lui. Il avait l’air si pitoyable. C’était moi qui l’avais sauvé à l’époque, alors qu’il était sans défense. Maintenant, je pensais que c’était un homme qui méritait le respect. Mais ça ne voulait pas dire que je voulais faire les mêmes erreurs que lui.

« … Je ferai ce qui doit être fait. »

« C’est-à-dire ? », demanda-t-elle.

« Je vais l’épouser. »

Épouser ! Au moment où le mot quitta ma bouche, j’avais eu l’impression que mon cœur était tombé dans mon estomac.

J’aimais Sylphie, mais je voulais aussi épouser Roxy et qu’elle fasse partie de ma famille. Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre la prenne. Je voulais qu’elle soit à moi. C’était égoïste de ma part. J’avais dit la même chose à Sylphie, je l’avais rendue enceinte de mon enfant, et maintenant je désirais aussi une autre femme. C’était impardonnable. Seul un déchet pouvait penser comme je le faisais.

J’avais dit la même chose de Paul tant de fois jusqu’à présent, et en le traitant d’ordure tout autant, mais j’étais aussi un homme. Maintenant que j’avais deux femmes que j’aimais et que je désirais, ne pouvais-je pas faire de mon mieux pour les avoir toutes les deux, comme Paul l’avait fait ? Peut-être que Sylphie serait dégoûtée par moi et que Roxy m’abandonnerait. Mais cela ne valait-il pas la peine d’essayer, même si je les perdais toutes les deux ?

Oh, c’est vrai. Ça ne dépendait pas que de moi.

« Que Roxy et Sylphie soient d’accord, c’est une autre histoire », avais-je finalement dit.

« En effet. Bon, je vais aller chercher Roxy. »

« Hein ? »

Me laissant sur ces mots, Elinalise s’était immédiatement dirigée vers l’une des tentes voisines.

Après quelques instants, Roxy était sortie toute seule. Elle ne semblait pas du tout endormie. Au contraire, elle m’avait regardé d’un air nerveux. Peut-être qu’Elinalise lui avait dit quelque chose.

« De quoi voulais-tu me parler, Rudy ? »

Elle s’était assise en face de moi, les jambes repliées sous elle. Je lui avais emboîté le pas et m’étais redressé.

Que devais-je dire ? Tout se passait si vite. Je n’avais pas encore trouvé les mots. Non, penser n’était pas nécessaire. Mes sentiments pour Roxy n’étaient pas quelque chose à laquelle je devais réfléchir avant de parler.

« Hum, j’ai envie de dire ça depuis très, très longtemps », avais-je commencé.

« Oui ? »

« Je t’aime, professeur. Je t’ai toujours aimée, depuis très, très longtemps. Et je ne fais pas que t’aimer, je te respecte. Tu semblais être gêné par le fait que tu ne puisses pas utiliser la magie aussi bien que moi, mais cela n’a pas d’importance pour moi. Tes enseignements m’ont aidé de nombreuses fois. C’est grâce à eux que j’ai pu aller aussi loin. »

Le visage de Roxy s’était progressivement réchauffé. Le mien était probablement aussi teinté de rose. Parler face à face comme ça était embarrassant.

« Eh bien, je te remercie pour ça. »

« Mais, euh, euh, vois-tu, j’ai aussi une femme. », avais-je ajouté en bégayant.

« Oui, j’en ai entendu parler. »

Était-il vraiment approprié de dire : « Alors s’il te plaît, sois ma seconde épouse » ? N’était-ce pas une façon égoïste de le dire ? Mais je n’avais pas trouvé de meilleure façon de le dire.

Qu’est-ce que je devrais faire ?

***

Partie 2

Je devais juste le dire. Peu importe comment je l’avais formulé, ma demande restait la même. Je suggérais de ne pas me séparer de Sylphie, mais plutôt d’essayer d’intégrer Roxy dans la famille sans demander d’abord l’avis de Sylphie. Je devrais obtenir son approbation après coup. C’était exactement le genre de chose qu’un être humain merdeux ferait.

Pourtant, je devais le dire maintenant. Roxy pourrait s’éloigner si je ne le faisais pas. Elle était du genre à se mettre en route dès que le travail était terminé. Si je ne l’arrêtais pas maintenant, il pourrait être trop tard.

… Assez. Si je devais regretter de ne pas l’avoir dit plus tard, alors je devais le dire maintenant. Même si ça faisait de moi une merde.

« Le nom de ma femme est Sylphiette Greyrat, mais à l’origine elle n’avait pas de nom de famille. Elle était juste Sylphiette. »

« Oui, c’est ce que j’ai entendu dire. », dit Roxy en hochant la tête.

« Ça te dérangerait de t’appeler Roxy Greyrat ? »

Elle eut l’air méfiante pendant un moment. Mais elle avait dû comprendre ce que je voulais dire l’instant d’après, car elle mit une main sur sa bouche. Roxy retrouva son calme presque aussi rapidement.

« J’apprécie que tu dises ça, vraiment. Mais es-tu sûr que tu ne devrais pas d’abord demander l’accord de ta femme ? »

Bien sûr. Nous parlions d’une parfaite inconnue qui allait faire partie de notre famille, je devais absolument consulter Sylphie. Je devais aussi l’expliquer à mes jeunes sœurs. À Lilia aussi.

« J’ai besoin de son approbation », avais-je admis.

« Dans ce cas… »

Elle allait me rejeter. Il semblerait bien que Roxy voulait que je la choisisse, et seulement elle. À peine cette pensée avait-elle surgi dans ma tête que…

« Dans ce cas, redemande-le-moi une fois que tu auras reçu son accord », dit Roxy d’un air sérieux, la neige tombant en pluie fine autour de nous.

Redemande-le-moi s’il te plaît. Ces mots résonnaient dans mon esprit. J’avais senti mon corps se réchauffer en constatant qu’elle ne m’avait pas rejetée.

Nous nous étions rapprochés de la Cité magique de la Charia.

J’avais aussi parlé à Lilia de Roxy. Elle me répondit simplement, avec son habituel visage impassible en place : « Je vois. Très bien. »

Elle n’avait pas l’air de me juger pour ça, probablement parce qu’elle avait déjà été dans la même position que Roxy.

Non, ce n’était pas ça. C’était parce que la notion de mariage monogame n’existait qu’à Millis. Quoi qu’il en soit, ça m’avait enlevé un poids de mes épaules. J’avais donc fait ma promesse à Roxy et j’avais obtenu la compréhension de Lilia. Il ne me restait plus qu’à rentrer chez moi, à expliquer les circonstances du voyage à Sylphie, et à m’incliner devant elle en plaidant pour l’inclusion de Roxy dans la famille.

Je sentais encore du poids sur mes épaules, car je devrais expliquer la situation de Paul et Zenith à Aisha et Norn. Mais elles devraient l’accepter, comme je l’avais fait. J’étais certain que Norn réagirait avec colère et me blâmerait, mais j’allais quand même le faire. Je n’allais pas fuir. Peu importe comment les choses avaient tourné, je n’aurais aucun regret.

« … Regrets ? »

Juste à ce moment-là, l’anxiété me montra sa vilaine tête.

C’était les mots de l’Homme-Dieu. Il avait dit que je « regretterais » quelque chose.

Ce fut vrai, il y avait eu la mort de Paul, une Zenith qui est devenue une coquille vide, et moi qui avais perdu ma main gauche. J’avais perdu beaucoup de choses. Pourtant, étrangement, je n’avais pas eu de regret, et je pouvais remercier Roxy pour cela.

Oui, une partie de moi pensait ainsi : si seulement j’avais été plus fort, si seulement j’avais appris à mieux manier l’épée, si seulement j’avais été assez fort pour vaincre cette hydre. Mais une autre partie de moi était convaincue que cela aurait été de toute façon impossible. Mon aptitude au combat n’était pas la meilleure. Je ne pouvais pas envelopper mon corps de cette aura de combat, et je ne savais pas comment essayer. Il fallait être capable de manipuler son aura de combat pour progresser en tant qu’épéiste. De plus, l’hydre était immunisée contre la magie. Même si j’avais travaillé assidûment pour apprendre des sorts de niveau Roi, ils auraient été inutiles. Il y aurait pu y avoir un autre moyen, mais le passé était le passé.

C’était pourquoi je n’avais pas de regrets. La mort de Paul m’avait permis de réfléchir à mon passé. J’avais inquiété les gens et leur avais causé des problèmes, mais en fin de compte, il y avait du bon dans tout ça. Ce que je ressentais n’était pas du regret, mais de la tristesse. Juste de la tristesse. La tristesse était tout ce que j’avais emporté avec moi du continent de Begaritt.

Mais c’était aussi pourquoi je me sentais anxieux maintenant. Peut-être que la chose que je regretterais vraiment était encore à venir. Par exemple, peut-être que quelque chose était arrivé aux petites sœurs que j’avais laissées derrière moi.

Rappelle-toi ce qu’il a dit.

Il avait parlé de certaines choses à propos de Linia et de Pursena. Cela signifiait-il que quelque chose était arrivé à l’une d’entre elles ? Étais-je censé leur demander de l’aide pour résoudre un problème quelconque ?

Ou bien, ne me dites pas que quelque chose était arrivé à ma femme enceinte… ?

C’étaient les seules choses qui pourraient me laisser des regrets.

*****

Nous étions arrivés à la Cité Magique de Charia.

Je m’étais immédiatement dirigé vers ma maison, sentant mon rythme s’accélérer.

« Hé, patron, qu’est-ce qui se passe ? On dirait que vous avez vu un fantôme. Vous ne devriez pas jeter un peu de ce truc de désintoxication sur vous ? », demanda Geese avec inquiétude.

Je l’avais ignoré et j’avais continué à avancer à toute vitesse.

« Ah, alors c’est le centre de la ville, hein ? Devrions-nous aller de l’avant et nous trouver une auberge pour le moment ? Il n’y a aucun moyen de rester chez le Patron avec autant de monde. »

Quelqu’un parlait derrière moi, mais ses mots n’étaient pas parvenus à mes oreilles.

« Hé, patron, vous m’écoutez ? Patron ? Hé, Rudeus ! »

À un moment donné, j’avais commencé à sprinter. J’avais laissé tout le monde derrière moi et j’avais couru vers ma maison, dans les rues familières que j’avais déjà empruntées, dans une ville où je vivais depuis plus d’un an maintenant. Ceux que je croisais me regardaient avec confusion, se demandant pourquoi j’étais si pressé, mais j’allais aussi vite que possible, trébuchant, complètement déséquilibré. Peut-être que l’absence de main gauche entravait ma capacité à courir en douceur.

Au moment où j’allais tomber, quelqu’un m’avait attrapé et m’avait maintenu debout.

« Pourquoi toute cette hâte ? »

C’était Elinalise.

« C’est juste que…, » avais-je commencé à dire tout en cherchant mes mots.

Elle avait attendu un moment avant de me demander à nouveau : « Qu’est-ce qu’il y a ? Ça fait un moment que tu paniques. S’est-il passé quelque chose ? »

« Oh, non, hum, j’ai juste l’impression que Sylphie a des problèmes. »

« Des problèmes ? Te bases-tu sur quoi ? »

« Rien, vraiment. »

Je l’avais repoussée et j’avais repris ma marche rapide. Je voulais me débarrasser de cette anxiété aussi vite que possible. Ma maison était juste devant. Si les choses étaient comme elles devaient l’être, le ventre de Sylphie devait être bien bombé, et elle devrait être à la maison. Ou peut-être avait-elle déjà accouché ? Ce serait un prématuré si c’était le cas. Et si c’était le cas, alors peut-être que… ?

N’importe quoi d’autre que ça. N’importe quoi d’autre. Je ne voulais pas que d’autres mauvaises choses se produisent.

J’étais arrivé à la maison. La neige s’était accumulée, mais l’endroit n’avait pas l’air très différent de ce qu’il était quand je l’avais quitté. Le nombre d’arbres et de plantes en pot dans le jardin avait légèrement augmenté. Je suppose que c’était le résultat de la passion d’Aisha. L’endroit était plus beau qu’avant.

J’avais pris ma clé dans mes affaires, je l’avais glissée dans le trou de la porte et j’avais lutté pour la tourner. Le métal était froid et ma main tremblait. La porte ne s’ouvrait pas, la clé ne tournait pas.

« Tch. »

J’avais attrapé le heurtoir de la porte. Je l’avais senti comme de la glace sur ma peau, mais je l’avais quand même frappé plusieurs fois.

« Es-tu sûr qu’elle n’est pas déjà ouverte ? », m’avait demandé Elinalise, derrière moi.

Comme elle l’avait suggéré, j’avais essayé la poignée. Je l’avais donc tournée et tiré, et elle s’était ouverte.

Trop imprudent, avais-je pensé en commençant à entrer.

Mes yeux avaient immédiatement rencontré ceux de quelqu’un à l’autre bout de la pièce, essayant d’ouvrir une porte.

« Oh, grand frère ?! »

« Aisha… tout le monde est en sécurité ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Perplexe, le regard d’Aisha vola entre moi et Elinalise, maintenant debout à côté de moi, puis derrière nous. Quand j’avais suivi et que j’avais regardé en arrière, j’avais vu Roxy qui luttait pour reprendre son souffle.

Pour le moment, j’avais attrapé Aisha par les épaules. Elle avait dû sentir que quelque chose n’allait pas, parce qu’elle avait jeté un coup d’œil à son épaule droite et ses yeux s’étaient agrandis. Visiblement choquée, elle avait regardé entre mon visage et ma main.

« Huh ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-il arrivé à ta… »

« Je vois que tu es en sécurité. Et pour Sylphie ? »

« Hein ? Oh, hum… n’est-elle pas juste là ? »

À ses mots, j’avais réalisé que juste derrière Aisha, l’air tout aussi perplexe… se trouvait Sylphie. Son ventre avait doublé ou peut-être triplé de volume. Même ses seins étaient un peu gonflés. Elle était enceinte de sept ou huit mois et produisait probablement déjà du lait maternel… non, cela n’avait pas d’importance pour le moment.

« Rudy, qu’est-ce qu’il y a ? », demanda-t-elle.

« Sylphie, vas-tu bien ? Il ne s’est rien passé ? »

« Hein ? Non, tout le monde a été très gentil avec moi, et Aisha a aussi fait de son mieux pour m’aider. »

Donc Sylphie allait bien ? Oui, c’était ce que j’avais pu constater.

« Et les autres ? Norn ? Est-ce que Linia, Zanoba et les autres sont en sécurité ? »

« Huh ? En sécurité ? Il ne s’est rien passé ici », dit-elle, toujours confuse.

« Personne n’est tombé malade ou n’a été blessé ? »

« N-non, rien de notable… »

Sylphie avait l’air complètement abasourdie, comme si elle n’avait aucune idée de ce dont je parlais.

En voyant cette expression, j’avais réalisé… qu’il ne s’était strictement rien passé.

« Hum, Grand Frère ? »

Le temps que je le réalise, le visage d’Aisha me surplombait. Mec, elle avait vraiment grandi. Non, attends, je venais de m’écrouler sur le sol.

« Ok…, » avais-je expiré.

La tension quitta mon corps.

En fin de compte, le regret dont l’Homme-Dieu avait parlé était le regret de la mort de Paul et de celle de mes parents dans ma vie précédente. Le reste de mon anxiété était une inquiétude inutile.

« Haah… »

Comme tout s’était bien passé, j’avais laissé échapper un énorme soupir de soulagement.

« Merci mon Dieu. »

Sylphie s’était approchée progressivement et avait posé sa main sur mon épaule. Je pouvais sentir sa chaleur se répandre à travers le tissu de ma robe. Elle s’était immédiatement agenouillée et avait doucement enroulé ses bras autour de moi. J’avais glissé les miens autour d’elle également — bien que maladroitement, avec ma main gauche manquante — et je les avais serrés. Son odeur familière m’avait envahi le nez.

« Bienvenue à la maison, Rudy. »

Il y avait tellement de choses que je devais lui dire — sur Paul, sur Zenith, sur Roxy. J’avais aussi besoin d’accueillir ceux que j’avais laissés sur la place dans ma maison. J’avais quand même fait tout ce chemin tout seul. J’avais un peu trop paniqué. Il ne s’était rien passé. J’aurais dû prendre mon temps avec les autres.

Mais il y avait quelque chose que je devais dire d’abord, avant de faire tout ça.

« Je suis à la maison. »

J’étais rentré chez moi.

***

Chapitre 14 : Rapport

Partie 1

Les choses s’étaient précipitées après mon retour. D’abord, Aisha était partie chercher Norn à l’école. Roxy, soit par considération, soit parce qu’elle se sentait trop gênée de s’attarder ici, était allée chercher Geese et les autres. Elinalise semblait impatiente de se précipiter aux côtés de son Cliff adoré, mais elle résista à la tentation.

Pendant que nous attendions que tout le monde se rassemble ici, j’avais passé le temps à demander à Sylphie ce qui s’était passé depuis mon départ. J’étais sûr qu’elle ne souhaitait rien d’autre que d’entendre comment mon aventure s’était déroulée, mais elle ne s’était pas plainte en racontant les événements survenus pendant mon absence.

Sa grossesse se déroulait sans problème. D’après le médecin, l’enfant naîtrait probablement à la date prévue. Quant aux autres, ils allaient apparemment bien. Il y avait eu un petit incident à l’école il y a quelques jours, mais Nanahoshi l’avait résolu. Quelque chose avait dû changer en elle pour qu’elle fasse tout son possible pour aider les gens de ce monde.

Ni Aisha ni Norn n’étaient tombées malades ou blessées, elles se portaient bien toutes les deux. La passion pour le jardinage d’Aisha avait pris de l’ampleur, et elle avait même fait pousser de nouvelles plantes dans sa chambre. Il faudrait que j’aille voir par moi-même quand j’en aurais l’occasion. Norn devenait peu à peu une idole à l’école et avait créé une sorte de fan-club. C’était logique, vu comme elle était mignonne.

Zanoba, Cliff, Linia et Pursena passaient de temps en temps à la maison pour prendre des nouvelles. Ariel s’était apparemment plainte que je ne lui avais rien dit avant de partir. Et maintenant que j’y pensais, elle avait raison. Il faudra que je m’excuse la prochaine fois que je la verrai.

Malgré tout, il semblerait que tout s’était bien passé de leur côté. Quand j’en aurais le temps, je devrais aller les informer de mon retour.

Apparemment, la seule exception à notre groupe d’amis était Badigadi, qui restait introuvable. Eh bien, il était immortel, je doute fort que quelque chose de mal lui soit arrivé.

Sylphie avait l’air comme toujours adorable, un doigt appuyé sur son menton alors qu’elle essayait de se remémorer les six derniers mois.

« Donc rien n’est arrivé à personne », avais-je remarqué.

« Non. Rien qui puisse t’inquiéter. »

« Très bien. »

Sylphie changea alors de sujet.

« Bref, alors dis-moi. Que s’est-il passé avec toi ? »

« Oh, je vais te le dire. Attends juste que tout le monde soit réuni avant. Il s’est passé beaucoup de choses. », avais-je promis.

« … D’accord. Oh, on dirait qu’ils sont de retour. »

Au milieu de cette conversation, Roxy était revenue, ainsi que Geese, Talhand, Lilia, Vierra, Shierra, Elinalise et Zenith. En comptant Sylphie et moi-même, nous étions dix. Notre espace de vie était suffisamment spacieux pour les accueillir et même plus.

« Oh, vous devez être la femme du patron. Heh heh heh, vous êtes vraiment mignonne. Patron, vous avez de la chance. », réalisa Geese.

« C’est ma petite-fille », lui dit Elinalise.

« Oui, et si elle n’avait pas sa mamie salope, elle serait parfaite. »

« Pardon ?! »

Les autres membres du groupe ignorèrent leurs deux compagnons chamailleurs, se déplaçant pour saluer Sylphie un par un. Elle les reçut humblement et leur rendit la pareille.

« C’est un plaisir. Je m’appelle Roxy… Migurdia. »

« Roxy ? Comme le maître dont Rudy se vante toujours ? », demanda Sylphie.

« Oui, c’est bien moi. Bien que je ne sois pas assez spéciale pour mériter de telles vantardises. », dit Roxy, puis s’arrêta un moment avant de continuer.

« Eh bien, je suis ravie de vous rencontrer. Rudeus m’a beaucoup parlé de vous. Je suis Sylphiette. C’est un honneur. »

« O-oui, pour moi aussi… », dit Roxy, semblant un peu mal à l’aise.

Je suppose qu’il était logique qu’elle le soit. Peu de temps s’était écoulé depuis notre conversation de l’autre jour sur son entrée dans la famille. Mais cette conversation devra attendre plus tard.

« Cela fait un moment, Maîtresse Sylphiette », Lilia l’avait salué avec une inclinaison de la tête.

« Oui, ça fait longtemps, Mlle Lilia ! »

Sylphie semblait ravie de leurs retrouvailles, ses lèvres menaçant de se transformer en un véritable sourire, pour devenir aussi rapidement amères.

« Hum, il n’y a pas besoin de “Maîtresse Sylphiette”. Pourrais-tu simplement m’appeler Sylphie, comme tu l’as fait il y a si longtemps ? »

Lilia secoua la tête : « Non. Je ne peux pas vous traiter comme avant, pas maintenant que vous avez épousé le Seigneur Rudeus. »

« O-oh, d’accord… »

Sylphie avait l’air embarrassée.

Lilia lui avait appris tout ce qu’elle savait sur les tâches ménagères. D’une certaine manière, elle était le « maître » de Sylphie, tout comme Roxy était la mienne. Bien sûr, Sylphie la respectait.

« Ça fait un bail, Mlle Zenith », dit Sylphie en se tournant enfin vers ma mère.

« Um… Mlle Zenith ? »

« … »

Zenith regarda fixement devant elle, même si Sylphie l’avait appelée.

« Um… ? »

Troublée, Sylphie jeta un regard vers moi. L’expression de son visage indiquait qu’elle craignait que Zenith ne soit pas satisfaite de notre mariage.

« Sylphie. Je vais t’expliquer au sujet de ma mère et de mon père une fois que Norn sera là. », avais-je dit.

« Oh oui, je ne vois pas Maître Paul ici… », commença-t-elle à dire, ses yeux fouillant la pièce.

Il ne lui fallut pas longtemps pour déduire ce qui s’était passé après que tout le monde se soit tu et qu’elle ait entrevu leurs visages. Sylphie pinça les lèvres et se tut.

Le silence était tombé alors que nous attendions le retour de Norn. Il était tacitement entendu que nous ne pouvions pas commencer avant son arrivée.

Après un moment, Aisha et Norn étaient revenues, toutes deux essoufflées par la course.

« G-Grand Frère, bienvenue à la maison après ton long voyage ! »

Norn souffla en parlant tout en inclinant la tête. Elle jeta un coup d’œil à ma main et sursauta.

« Ta main va-t-elle bien ? »

« Elle va bien. C’est gênant, mais ça ne fait pas mal », avais-je dit.

Comparée à ce dont nous allions discuter, ma main gauche n’était guère digne d’intérêt.

« O-oh, ok. »

Norn avait encore du mal à reprendre son souffle alors qu’elle jetait un coup d’œil à la pièce.

« Huh ? », marmonna-t-elle avec confusion, incapable de trouver qui elle cherche alors qu’elle prenait un siège.

Aisha s’était approchée de moi et me demanda : « Avant de continuer, ne serait-il pas approprié de servir du thé aux invités ? »

« Oui, tu as raison. Cela va prendre un certain temps, alors fais-le s’il te plaît. », avais-je accepté

« Oh, je suis désolée. Je devrais être celle qui fait ça. Laisse-moi t’aider. », dit Sylphie.

« Pas du tout, Maîtresse, restez ici. »

Chargée de cette tâche, Aisha se mit immédiatement au travail. Elle prépara suffisamment de thé pour tout le monde, rassembla leurs bagages en un seul endroit, et accrocha leurs manteaux, mouillés par la neige. Elle offrit à tous des pantoufles, prit leurs chaussures humides et les mit à sécher près de la cheminée.

J’étais resté assis sans bouger et l’avais simplement regardé faire tout cela. Il n’y avait pas que moi qui regardait, d’ailleurs. Lilia observait aussi sa fille de près.

En y réfléchissant, c’était Lilia qui avait toujours fait ce genre de travail à Rapan. Mais maintenant, dans ce silence mortel, elle ne bougeait pas, sans lever le petit doigt. C’était un spectacle rare.

« Aisha. »

Une fois que le travail de sa fille était presque terminé, Lilia l’avait appelée.

« Oui, qu’y a-t-il, mère ? »

« Il semblerait que tu t’occupes correctement de tes tâches et que tu ne causes pas de problèmes à ton frère. »

« Oui. », dit Aisha en hochant la tête.

« Tu es peut-être liée au Seigneur Rudeus par le sang, mais c’est lui qui t’a sauvé la vie. Garde cela à l’esprit alors que tu continues à remplir tes fonctions de servante. »

« Oui, Mère », répondit Aisha, qui semblait tout aussi formelle que Lilia.

Ce n’était pas normal d’entendre un parent et un enfant parler comme ça. C’était la première fois qu’elles se voyaient depuis un moment. J’avais l’impression qu’elles devraient être… eh bien, vous savez, plus chaleureuse l’une envers l’autre. Mais peut-être que Lilia s’était juste retenue. La conversation à venir allait quand même être douloureuse.

« Puisque tout le monde est réuni, pourquoi ne pas commencer ? »

J’avais le cœur lourd, mais c’était mon devoir d’en parler. Paul n’était plus là pour le faire à ma place.

« Mais Père n’est pas encore là », dit Norn en protestant avec anxiété.

Serait-elle en colère quand elle l’apprendrait, m’étais-je demandé ? Avant mon départ, elle s’était accrochée à moi, me demandant de l’aider. Je lui avais dit de me confier toute l’affaire. Elle m’en voudrait probablement quand elle apprendrait qu’il était mort.

C’était bien si elle le faisait. C’était moi qui n’avais pas exaucé son souhait.

J’avais jeté un coup d’œil à tout le monde et j’ai dit : « Notre père est… Paul Greyrat est mort. »

« Hein… ? »

Norn éleva la voix en signe de confusion.

Sylphie baissa la tête, le chagrin se lisant sur son visage.

Les yeux d’Aisha étaient devenus grands, ses poings s’étaient serrés.

« Voici ce qu’il a laissé derrière lui », avais-je dit tout en plaçant son équipement pièce par pièce sur la table. Son épée, son épée courte, son armure, et ses restes. Juste ces quatre choses.

Norn sauta sur ses pieds et s’approcha : « P-pourquoi ? ! Mais tu y es allé ! Pourquoi est-il mort ?! »

« Je suis désolé… Je n’étais pas assez fort. »

« Mais tu es… ! »

Norn s’était approchée, comme si elle avait peut-être l’intention de m’attraper par le col. Mais sa fureur s’était soudainement essoufflée. Je pouvais voir ma main gauche — ou plutôt, son absence — se refléter dans ses yeux. Son regard s’était déplacé entre celle-ci, les affaires de Paul et mon visage, et des larmes avaient commencé à couler lentement dans ses yeux.

J’avais couvert mon poignet gauche avec ma main droite et j’avais continué : « Je vais vous expliquer plus en détail maintenant. »

Elle renifla et marmonna : « Ok… »

***

Partie 2

Aisha s’était approchée derrière elle et l’avait attrapée par l’épaule : « Pour l’instant… »

« Assez, je sais ! »

Norn repoussa sa main et retourna à son siège.

Aisha resta inactive un moment avant de reprendre sa position derrière Sylphie.

« Très bien, je vais vous l’expliquer depuis le début… »

J’avais résumé tout ce qui s’était passé. Comment Elinalise et moi étions partis pour Rapan et y avions retrouvé Paul et les autres. Comment, grâce aux informations que nous avions sur la localisation de Zenith, nous avions plongé ensemble dans le Labyrinthe de téléportations et commencé à le cartographier. Je leur avais raconté que tout s’était bien passé jusqu’à ce que nous rencontrions le boss. Le combat qui avait suivi avait été si dur que j’avais perdu ma main et Paul sa vie. Et même si nous avions bien réussi à sauver Zenith, celle-ci était devenue une coquille vide. Geese était intervenu par intermittence pour fournir des informations supplémentaires alors que je me frayais lentement un chemin à travers tout cela.

Puis finalement, Norn demanda : « Cela signifie que tu n’as pas été en mesure de sauver Mère ou Père ? »

« … C’est exact. »

J’avais l’impression de voir ses nerfs se hérisser au moment où j’avais acquiescé. Mais elle ne m’avait pas explosé. Au contraire, elle s’était mordu la lèvre inférieure et avait fixé ma main gauche.

« As-tu fait tout ce que tu pouvais ? »

« Oui. J’ai donné tout ce que j’avais. »

« Si tu as essayé aussi fort et que tu as quand même échoué, alors ça n’aurait pas eu d’importance si… »

Elle parla calmement, mais sa voix s’était ensuite éteinte. Je pouvais voir les larmes commencer à remplir ses yeux à nouveau.

« Je suis sûre que ça n’aurait pas eu d’importance… Père est… parti… Waah… wah… waaaaah ! »

Elle se mit alors à sangloter, de grosses gouttes ruisselant sur ses joues.

Norn pleurait bruyamment, d’une voix qui me transperça le cœur. Toutes les personnes présentes avaient des expressions graves en écoutant, et son corps tremblait alors qu’elle sanglotait. Et sanglotait. Et sanglotait. Et sanglotait. Elle avait pleuré toutes les larmes que le reste d’entre nous n’avait pas, et nous avions simplement écouté ce qu’elle faisait.

« Hic…waah… »

Après un moment, elle s’était arrêtée. Ses yeux étaient gonflés et rouge vif, des bruits d’étranglement continuaient à s’échapper de sa gorge. Mais elle s’était tournée vers moi, les yeux remplis de détermination.

« Grand Frère ? »

« Oui, qu’y a-t-il ? », avais-je demandé.

« Cette épée, je peux… hic… puis-je l’avoir… ? »

Norn avait pointé du doigt l’arme favorite de Paul. Celle qu’il avait avec lui depuis avant ma naissance. Celle qu’il gardait toujours sur lui, celle qui ne l’avait jamais quitté.

« Oui, bien sûr. Tu devrais la prendre. Mais ne l’utilise pas sans réfléchir. »

« Hein… ? »

« Ne crois pas qu’avoir cette épée soit le signe que tu es soudainement devenue plus forte. »

Paul m’avait remis une épée le jour de mon cinquième anniversaire et m’avait dit la même chose.

« Je… comprends », dit Norn tout en la serrant contre sa poitrine.

Elle était forte. Il ne serait pas inhabituel pour un enfant de son âge de se terrer dans sa chambre et de pleurer, mais elle faisait face à la mort de Paul. Contrairement à moi, qui ne pouvais même pas me remettre sur pied sans l’aide de Roxy.

Vraiment, elle était forte.

Nous avions décidé de partager ses autres souvenirs avec notre famille. Aisha avait choisi son épée courte, et moi son armure. Quant à sa dépouille, nous lui construirons une tombe appropriée et l’enterrerons là. Du moins, c’était le plan jusqu’à ce que Zenith s’avance et prenne son armure dans ses mains.

« Mère ? »

« … »

Je l’avais appelée, mais elle n’avait pas répondu. Comme d’habitude, elle ne fit que fixer son regard devant elle, comme une coquille vide. Et pourtant, elle avait bougé comme si elle comprenait ce qui se passait ici. Ou était-ce juste une coïncidence ? Non… peut-être que le noyau de ce qu’elle était était toujours là.

Quoi qu’il en soit, cela signifiait que je n’avais plus rien de lui. Mais j’étais satisfait de cela. J’avais déjà tellement reçu de lui.

« Eh bien, parlons de Mère ensuite. »

Une fois de plus, je leur avais expliqué l’état de Zenith — qu’elle avait perdu ses souvenirs et semblait presque complètement vide à l’intérieur.

« Elle ne va pas s’améliorer ? », demanda Sylphie.

« Je ne sais pas. », dis-je en secouant la tête

J’avais l’intention de demander aux médecins et aux guérisseurs de l’examiner pour en être sûr, mais je n’avais jamais entendu parler d’une magie de guérison capable de restaurer des souvenirs perdus. Honnêtement, nous ne connaissions même pas la cause première de son état. Nous savions qu’elle avait été enfermée dans un cristal imprégné de magie et qu’elle avait perdu ses souvenirs, mais c’était tout. Cela pourrait bien être quelque chose d’apparenté à un manque d’oxygène.

Je n’étais bien sûr certain de rien. Mais je pensais que les chances de guérir son état étaient minces. Si son cerveau était endommagé, la technologie médicale de ce monde ne suffirait pas à la soigner. Même la magie de guérison de niveau avancé n’avait rien donné. J’avais lu un ou deux mangas où le fait d’infliger le même niveau de choc que celui qui avait fait perdre la mémoire à une personne la ramenait à la normale, mais nous ne pouvions pas tester cela sur Zénith.

De plus, je n’étais pas sûr qu’elle serait heureuse, même si on la guérissait. Paul était mort en essayant de la sauver. J’étais sûr qu’elle s’en voudrait, disant : « Si seulement il n’avait pas essayé de m’aider. »

Peut-être qu’il valait mieux pour elle de ne pas s’en souvenir.

Non, ce n’était pas bien. Nous devrions travailler pour lui rendre la mémoire.

« De toute façon, elle aura besoin d’un traitement et de soins. Je prévois donc qu’elle vive ici avec nous. », avais-je dit.

Si mes parents dans ma vie précédente avaient vécu, avaient vieilli et étaient devenus grabataires, aurais-je pris soin d’eux de la même manière ?

Lilia avait d’abord dit qu’elle prévoyait de louer des logements séparés afin que cela ne gêne pas ma vie. Elle avait gagné assez d’argent avec le Labyrinthe de téléportations pour vivre pendant plus de dix ans dans cette ville. J’avais rejeté cette idée du revers de la main. Je n’aurais pas permis une telle chose. Paul n’aurait pas permis une telle chose. C’était notre devoir, en tant que famille restante, de veiller sur elle.

« J’ai l’intention de confier ses soins à Mlle Lilia, mais je suis sûr que tout le monde finira par devoir donner un coup de main. », avais-je poursuivi.

« Très bien. Je ferai de mon mieux pour aider. », dit Sylphie avec joie.

Personne ne semblait en désaccord, mais je n’avais pas l’intention de les laisser faire. Paul m’avait dit de sauver Zenith même si cela devait me tuer. Même maintenant, je ne savais pas vraiment ce qu’il voulait dire par là.

Mais maintenant qu’il était parti, c’était à moi de la protéger.

De plus, même si j’avais dit qu’elle avait besoin d’un traitement, ce n’était pas comme si elle avait Alzheimer. Elle était juste plus ou moins une coquille vide. Avec Lilia à ses côtés à tout moment, j’étais sûr qu’elle irait bien, même si je devais rassembler les fournitures nécessaires à ses soins.

« Ça veut donc dire que Mère va vivre ici aussi ? », lâcha Aisha, la voix remplie de confusion et d’anxiété.

« Oui, Aisha. Je serai au service du Seigneur Rudeus. »

Je me demandais si Aisha voyait Lilia comme une épine dans son pied. Lilia avait été très stricte dans son enfance, et j’avais l’impression qu’Aisha aimait vivre loin de sa mère. Pourtant, je ne pensais pas qu’il était approprié pour elle d’exprimer son mécontentement ici. Si elle exprimait de telles plaintes, je devrais la punir en conséquence.

« Allons-nous aussi partager le travail ? », dit Aisha avec insistance.

« Nous pouvons discuter de cela plus tard. J’ai l’intention de faire des soins de la Maîtresse mon objectif principal, en te laissant la majorité des tâches ménagères, Aisha. », dit Lilia.

« … Très bien. »

Aisha n’avait pas protesté, mais on aurait dit qu’elle était mal à l’aise en présence de sa mère. Sa voix était raide, son expression sombre.

Ayant remarqué cela, Norn était intervenue.

« Hé, Aisha. »

Elle posa une main sur l’épaule de sa sœur et chuchota : « Tu n’as pas besoin de te retenir pour nous, d’accord ? »

Aisha jeta un regard à Norn, puis à Lilia, puis à moi. Puis à nouveau à Lilia et à nouveau à moi. Je n’étais pas sûr de la raison pour laquelle elle cherchait mon approbation, ou ce qu’elle cherchait à approuver, mais j’avais néanmoins hoché la tête.

Aisha sauta sur ses pieds et jeta ses bras autour de Lilia.

« M-Mère… ! Mère, je suis si heureuse que tu sois en bonne santé ! », brailla-t-elle tout en enfouissant son visage dans le ventre de Lilia.

« Je suis maintenant à la maison, Aisha. »

L’expression de Lilia était devenue douce alors qu’elle caressait la tête de sa fille.

Ah, oui. Tout cela avait un sens.

Aisha avait dû se sentir en conflit. Lilia était quand même sa mère. J’étais sûr qu’elle avait aussi prié pour le bien-être de Paul et Zenith, mais c’était pour la sécurité de Lilia qu’elle avait prié avant tout. Et elle était maintenant revenue saine et sauve.

Et pourtant, les circonstances étaient tellement sombres qu’Aisha ne pouvait pas exprimer sa joie sincèrement.

Pardonne-moi d’avoir douté de toi, Aisha.

***

Partie 3

Nous avions parlé d’une variété de choses après cela, concluant notre annonce de retour. La conversation avait inclus le rapport financier de Geese prouvant que nous étions rentrés dans les clous, mais ce n’était pas comme si nos poches nouvellement profondes aient fait quoi que ce soit pour éclaircir les expressions sombres sur les visages de chacun.

« Eh bien, je suppose que nous devrions partir à la recherche d’une auberge. »

Dès que nous en avions terminé, Geese s’était levé. Talhand, Vierra et Shierra suivirent son exemple.

Je m’étais alors précipité pour les arrêter.

« Ça ne me dérange pas si vous restez ici avec nous aujourd’hui. »

« Quoi, Patron ? Ne soyez pas stupide. Nous sommes assez intelligents pour savoir que nous ne ferions qu’entraver le chemin de votre famille ici », répliqua Geese.

Les trois autres semblaient d’accord, ils allèrent récupérer leurs bagages, enfilèrent leurs chaussures et leurs manteaux encore humides.

« … »

J’avais finalement décidé de leur dire au revoir à l’entrée principale, et alors que je regardais les quatre s’éloigner, j’avais à nouveau parlé.

« Tout le monde, merci pour l’aide que vous avez apportée à mon père pendant tout ce temps. »

Vierra et Shierra avaient profondément incliné leur tête. Elles avaient aidé Paul depuis son séjour à Millishion. Je n’avais pas beaucoup parlé avec elles, mais elles nous avaient soutenus de multiples façons alors que nous plongions dans et hors du Labyrinthe de Téléportations. C’étaient des héros dans les coulisses.

« Non, c’est nous qui devrions nous excuser de ne pas avoir été plus utiles. »

« Nous apprécierions que vous nous fassiez savoir où se trouve la tombe du capitaine quand vous l’aurez terminée. »

Leurs réponses avaient été brèves. Je m’étais demandé ce que Paul avait été pour elles ? Elles l’avaient suivi sur le Continent de Begaritt, même après la dissolution de l’équipe de recherche et de sauvetage de Fittoa. Peut-être avaient-elles des sentiments particuliers pour lui ? Mais même si elles l’avaient aimé, tout était fini maintenant.

« Qu’allez-vous faire maintenant ? », avais-je demandé.

« Une fois l’hiver terminé, nous retournerons au Royaume d’Asura. Il y a d’autres personnes de l’équipe de recherche et de sauvetage envers qui nous sommes redevables. »

« Je vois. Eh bien, prenez soin de vous. », dis-je.

« Vous aussi, Seigneur Rudeus. Je sais que vous aurez beaucoup de choses sur les épaules à partir de maintenant, mais prenez soin de vous. »

Elles m’avaient salué une dernière fois avant de disparaître dans le rideau de neige qui tombait.

L’équipe de recherche et de sauvetage… Oh oui, quelqu’un n’avait-il pas dit que la famille de Zenith aidait à financer les activités de Paul ? Zenith n’était pas exactement ce qu’on pourrait appeler saine et sauve, mais nous devrions quand même les informer qu’elle avait été retrouvée. Je pourrais au moins leur écrire une lettre.

Alors que j’étais préoccupé par ces pensées, Geese me tapa sur l’épaule par-derrière.

« Eh bien, à plus tard, patron. »

« Monsieur Geese, Monsieur Talhand. »

Je les avais regardés tous les deux.

« Quoi ? Effacez ce regard morose de votre visage », grommela Geese.

« Que ferez-vous tous les deux après ça ? »

Geese s’était alors gratté la tête.

« Nous avons l’intention d’aller jusqu’à Asura. Nous voulons échanger notre monnaie de Begaritt et vendre ces objets magiques que nous avons. »

« Vous allez tous les vendre ? », avais-je demandé.

« Je prévois d’en garder quelques-uns pour les utiliser nous-mêmes, mais j’en vendrais sûrement la plupart. »

Geese en avait toujours un en main. Il m’avait informé de la fonction des objets lorsqu’il les avait évalués, mais la plupart d’entre eux n’avaient rien de spécial — juste des trucs au hasard comme cette épée courte qui pouvait être utilisé à la place d’une allumette. Je m’étais dit que j’en trouverais peut-être l’utilité un jour, alors je les avais jetés dans notre sac de stockage. Même si leurs effets étaient ridicules, ils nous rapporteraient de l’argent si nous étions un jour en difficulté.

Les pierres magiques qui absorbaient le mana étaient tout autre chose. Je voulais y consacrer mes recherches dès que j’en aurais le temps. Si je devais affronter un adversaire similaire à l’avenir, je ne voulais pas que ce qui s’était passé dans le Labyrinthe se répète. Je ne voulais pas être impuissant. Je n’étais peut-être pas assez doué pour obtenir quoi que ce soit sur la recherche des pierres, mais je préférais essayer plutôt que d’abandonner.

« Si vous voulez, nous pouvons prendre vos objets avec nous pour les vendre à Asura. Vous en tirerez beaucoup plus d’argent là-bas qu’ici. »

Asura avait un prix d’achat élevé pour ces marchandises, et leur monnaie était largement acceptée sur le Continent Central. Si vous vouliez vendre quelque chose, Asura était l’endroit idéal pour le faire.

« Et laisse-moi deviner, sur le chemin du retour, tu vas tout jouer et t’enfuir ? », dis-je d’un air entendu

« Ah-hey, pas question, je ne mettrais pas la main sur votre argent, Patron. »

Ses yeux allaient et venaient, sans me regarder. Peut-être avait-il vraiment l’intention de jouer l’argent.

Ah, bien. Si ce n’était pas grâce à Geese, nous n’aurions jamais vraiment réussi à traverser ce labyrinthe. Je lui devais une énorme dette. C’était insignifiant en comparaison.

« Je plaisante », avais-je finalement dit.

« Eh bien, j’avais prévu d’en jouer une partie », avoua-t-il, le bord de ses lèvres se retroussant en un petit rire malicieux.

« Et après ça ? »

« Je vais continuer comme aventurier. Ce sont les seules compétences que nous avons. », dit Geese en haussant les épaules.

« D’accord. »

« On sera ici jusqu’au printemps, alors venez boire avec nous quand vous aurez le temps. N’avez-vous pas dit que vous me présenterez à une gentille femelle singe, hein ? Ah, je suppose que depuis que vous avez une femme et un enfant en route, vous ne devez pas fréquenter ce genre d’endroit. Heh heh. »

C’était vrai, nous n’étions pas prêts de nous revoir. Pourtant, Geese était le genre d’homme à partir à l’aventure sans jamais prévenir. Je voulais au moins faire mes adieux pendant que j’en avais l’occasion.

« Monsieur Geese », avais-je commencé.

« Patron. Vous savez que vous parlez bizarrement ? Parlez-moi comme vous le faites toujours, comme, “Hey, le Bleu !” »

« Pourquoi aimes-tu tant que je t’appelle “le Bleu” ? », avais-je demandé, curieux.

« Ça porte la poisse. »

La poisse. Ce seul mot aurait dû être une explication inadéquate, mais il m’avait frappé en plein cœur. Si c’était une de ses guignes, je ne pouvais pas me plaindre.

« Dans tous les cas, merci à vous deux pour tout ce que vous avez fait jusqu’à maintenant. »

« Je vous l’ai dit, pas besoin. Quoi qu’il en soit, prenez soin de vous, Patron. »

Une fois que j’avais baissé la tête, Geese fit un signe de la main et commença à s’éloigner.

« Il a raison, tu ne nous dois rien. Si quelqu’un le doit, c’est Paul. Ce que je veux dire, c’est que nous n’avons pas besoin de remerciements », dit Talhand en déplaçant son corps robuste pour suivre Geese.

J’avais regardé jusqu’à ce qu’ils disparaissent.

« Les hommes veulent toujours se montrer comme ça », dit une voix.

J’avais jeté un coup d’œil pour voir Elinalise à côté de moi. Apparemment, elle avait parlé à Sylphie pendant que je leur disais au revoir.

Je m’étais demandé si c’était à propos de Roxy. Je lui avais dit que j’avais le devoir de tout dire à Sylphie, mais en tant que fouineuse qu’elle était, Elinalise aurait pu glisser quelques mots pour moi. Honnêtement, je n’avais pas envie d’avoir cette conversation, alors je lui étais reconnaissant de sa considération.

« Bon, je devrais aller voir Cliff. Il ne me reste plus beaucoup de temps. »

Elinalise se caressait le bas-ventre en parlant. Je lui avais fait subir beaucoup de choses à elle aussi. Pendant l’aller et le retour, elle avait couché avec trois inconnus différents. C’était normal pour elle, bien sûr, et elle en avait ri, mais je ne pouvais pas être aussi désinvolte.

« Mlle Elinalise, tu as vraiment été là pour moi », lui avais-je dit.

Elle avait un air amer sur le visage.

« … Je suis désolée pour Paul. »

« Non, c’était mon… »

Mon erreur, mon imprudence. Du moins, c’était ce que j’avais essayé de dire, mais ce fut elle qui parla la première.

« C’était mon devoir dans ce groupe, je devais m’assurer que des choses comme ça n’arrivent pas. Paul est mort à cause de mes manquements. »

Il n’y avait aucune chance pour que ce soit vrai. Nous nous étions battus pour nos vies là-bas, aucun d’entre nous ne pouvait savoir ce qui nous attendait après avoir esquivé l’ultime attaque de l’hydre et être passé à un cheveu de la victoire. Il n’y avait que deux personnes qui pouvaient lui en vouloir : Elinalise elle-même et le défunt Paul.

« Je ne peux pas t’en vouloir. Ni à personne d’autre. », dis-je.

« Alors, ne te blâme pas non plus. »

« … D’accord. »

« Bon, il est temps pour moi d’y aller ! », dit Elinalise avant de s’élancer dans la neige. Il y avait quelqu’un d’important qui attendait encore d’apprendre qu’elle était revenue.

« Ouf. »

Je poussai un long soupir, mon souffle se transformant en un panache visible qui s’élevait et se dissipait au milieu de la neige.

Enfin, l’incident de téléportation était terminé. Du moins pour moi. Tous les membres de ma famille disparus avaient été retrouvés. Il y avait probablement d’autres victimes dehors toujours portées disparues, mais je n’avais aucune obligation de les rechercher.

C’était terminé. C’était la conclusion d’un long, frustrant et amer voyage. La vie pouvait maintenant passer à l’étape suivante. Pas de retour en arrière. Je devais continuer à vivre et regarder devant moi. Il y avait encore tant de choses que je devais faire dans ce monde. Tant de choses que je voulais encore faire.

Alors, regardons vers l’avenir.

« Rudy, tout le monde est déjà parti ? »

Une voix féminine m’appela de derrière. J’avais jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule pour voir Roxy qui se tenait là.

« Je voulais aussi leur parler un peu… »

« Il semblerait qu’ils restent en ville pour le moment, donc tu pourras les voir contre quand tu auras le temps », lui avais-je assuré.

« Vraiment ? »

Roxy n’était pas sortie dans la neige. Elle était restée dans la maison, et c’était la seule membre du groupe à l’avoir fait. Qu’elle continue à rester ici ou qu’elle parte chercher une chambre dans une auberge dépendait de la façon dont se déroulait notre discussion imminente.

« Eh bien, Roxy… »

« Oui ? »

« Faisons ça. »

J’avais fait un pas en arrière en direction de l’intérieur, et Roxy me suivit.

***

Chapitre 15 : Carnage

Partie 1

Il restait cinq personnes dans le salon : Sylphie, Norn, Aisha, Roxy, et moi-même. Il y avait aussi le tatou (Dillo, comme je l’avais appelé) affalé près de la cheminée avec un air bienheureux sur le visage, mais on pouvait difficilement le compter parmi nous.

Lilia aidait Zenith à prendre son bain. Avant d’entrer, elle était venue me demander si tout allait bien, et j’avais acquiescé. Je voulais en finir avec cette discussion sans compter sur son aide.

Plutôt que de retourner dans sa chambre, Norn s’était attardée. Elle passait un mauvais moment, reniflant toujours de manière audible. Elle avait été incroyablement attachée à Paul, et prenait cette perte exceptionnellement mal.

« Eh bien, il y a une dernière chose dont je dois parler. »

Après en avoir dit autant, les trois autres personnes étaient retournées à leurs sièges. J’avais échangé un regard avec Roxy qui s’était approchée de moi en silence.

« … »

En voyant à quel point le ventre de Sylphie était gonflé, j’avais hésité, mais j’avais une responsabilité. Roxy allait finir par être dans le même état de grossesse. Si Sylphie refusait de la prendre en charge, Roxy accoucherait-elle toute seule ? C’était l’accord que nous avions passé, mais si cela se produisait vraiment, j’avais l’intention de la soutenir de toutes les manières possibles, financièrement ou autrement.

« J’aimerais prendre Roxy comme seconde épouse », avais-je lâché.

« … Hein ? »

La personne qui exprima sa confusion n’était pas Sylphie, mais plutôt Norn. Sylphie avait juste un regard vide sur son visage.

« De quoi parles-tu ?! », demanda Norn.

« Laissez-moi tout vous expliquer dans l’ordre. »

J’avais commencé par raconter ce qui s’était passé sur le continent de Begaritt — comment Paul était mort et comment j’avais sombré dans une profonde dépression. Je leur avais raconté comment Roxy avait été celle qui m’avait sauvé, et que j’avais développé des sentiments pour elle en conséquence. Que je la respectais profondément et que je voulais qu’elle fasse partie maintenant de notre famille.

« Ce n’était pas mon intention de trahir Sylphie, mais au final, j’ai rompu ma promesse. Je suis désolé. »

Je m’étais mis à genoux. Il y avait un tapis étendu sur le sol, mais les hivers dans les Territoires du Nord étaient froids, et donc naturellement le tapis l’était aussi. Je m’étais penché en avant et j’avais appuyé ma tête sur le sol.

« Huh, quoi-Rudy ?! »

J’avais entendu la voix paniquée de Sylphie appeler d’en haut.

« J’aime toujours autant Sylphie qu’avant, mais il semble que j’ai peut-être mis Roxy enceinte. Je dois en prendre la responsabilité. »

Plus je parlais, plus mes mots semblaient maigres, même s’il s’agissait de mes vrais sentiments.

Quand j’avais levé les yeux, Sylphie avait un regard troublé sur son visage. Elle était peut-être confuse. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça. Je lui avais dit que je l’aimais, juré que je reviendrais quoi qu’il arrive. Et au final, j’étais revenu en lambeaux, sans un membre de ma famille ni ma main gauche. Elle aurait pu penser qu’elle pouvait au moins se réjouir parce que j’étais sain et sauf, mais j’étais là, à dire que je voulais prendre une autre femme pour épouse. À sa place, j’aurais gémi, crié et m’en serais pris à elle.

Mais quand même, j’avais demandé l’impossible.

« Sylphie, s’il te plaît, pardonne-moi. »

« Il n’y a pas moyen qu’elle puisse ! »

Celle qui m’avait répondu en hurlant était Norn, pas Sylphie. Elle s’était approchée et m’avait attrapé par le col de ma chemise.

« Comment peux-tu dire ça ? Tu sais ce qu’elle a ressenti pendant tout le temps où elle attendait que tu rentres à la maison ?! »

« … »

« Tous les jours, elle disait : “J’espère que Rudy va bien”, “Rudy me manque”, “Je me demande si Rudy mange en ce moment”. Sais-tu à quel point elle avait l’air seule ?! »

Je ne le savais pas. Je ne le savais pas du tout, mais je pouvais l’imaginer. L’expression sur son visage pendant qu’elle m’attendait. Comment elle avait l’air seule. Comment elle pouvait s’asseoir sur une chaise sans rien d’autre à faire que de taper du pied en attendant.

« Je me suis dit que je ne pouvais pas t’en vouloir de ne pas avoir pu sauver Père. Si les choses étaient si difficiles au point où tu as même perdu ta main gauche, alors il n’y avait rien à faire. Il semblait donc injuste de t’en vouloir. Mais maintenant, tu me dis que tu as eu assez de sang-froid après tout ça pour coucher avec une autre femme ? Et maintenant, tu veux en faire ton épouse ?! »

« Non ! Je n’étais pas du tout calme. J’étais déprimé ! C’est pourquoi Roxy a mis ses propres sentiments en jeu pour me sauver ! »

« Mlle Sylphie aurait fait la même chose pour toi si elle avait été là ! », répliqua Norn.

Bien sûr que Sylphie m’aurait sauvé si elle avait été là. Elle avait quand même guéri mon impuissance. Mais ce fut Roxy qui m’avait vraiment sauvé. Même si elle avait des sentiments pour moi, même si elle savait que j’avais déjà quelqu’un. Elle s’était résolue à le faire, même en sachant qu’elle pourrait être mise de côté après.

« Norn, tu devrais comprendre ce que l’on ressent, en s’enfermant dans sa chambre, en ayant l’impression d’être si profondément dans un trou que l’on ne voit pas la lumière au bout du tunnel. Comment es-tu censé rejeter la personne qui t’a sauvé de ça ? », avais-je argumenté.

« Je le sais ! Je te suis reconnaissante de m’avoir aidé à traverser cette épreuve, mais c’est une question totalement différente ! Le Seigneur Millis ne permettrait jamais à quelqu’un de prendre une seconde épouse ! »

Oh, c’était vrai. Norn était une disciple de Millis. Non, sa religion n’était pas le problème ici. Peut-être que c’était juste moi. Peut-être que je faisais quelque chose de mal, et que j’essayais de forcer les choses pour être dans le vrai.

« D’ailleurs, pourquoi cette petite fille ? ! Elle n’est pas différente de moi ! »

Norn lança un regard noir à Roxy.

Roxy retourna le regard de la jeune fille avec son habituel visage impassible. Elle était plus grande que Norn, mais à peine, peut-être même de moins de quelques centimètres. Et face au regard hostile de ma petite sœur, Roxy resta imperturbable et marmonna : « Je suis peut-être petite, mais je suis toujours une adulte. »

Je m’étais demandé ce qu’elle allait dire. Sa voix tremblait, une porte ouverte sur son cœur, mais les mots étaient tel qu’ils pouvaient être interprétés comme impertinents.

Norn était furieuse : « Si tu es si adulte, n’as-tu pas l’impression d’être impudique ?! »

« … »

« Tu ne te sens pas mal de faire irruption dans leur relation ?! »

« Norn, c’est aller trop loin. C’est moi qui ai dit que je voulais l’amener dans notre famille. Roxy n’a rien fait de mal. C’est elle qui a essayé de faire marche arrière », avais-je objecté d’une voix ferme.

Norn ne m’avait même pas regardé, mais continua son attaque verbale sur Roxy.

« Tu restes tranquille ! De plus, si elle a vraiment essayé de se retirer, alors pourquoi est-elle encore là, à s’accrocher à toi ? Elle ne fait que profiter de ton offre ! », me cria-t-elle dessus.

J’avais honnêtement pensé à la gifler, mais, et cela va sans dire, je n’avais pas le droit de faire une telle chose. Si je la giflais, j’avais l’impression que je serais vraiment une vraie ordure.

« … »

Roxy s’était tue lorsque Norn l’avait rabrouée. Elle semblait aussi indifférente que d’habitude, les yeux tournés vers le sol. Finalement, elle leva la tête et l’inclina vers Norn.

« Tu as raison. C’est impudique de ma part. Je m’excuse. »

Puis elle s’était redressée et s’était dirigée vers le bord de la pièce. Elle ramassa ses bagages, posa son chapeau sur sa tête et se dirigea rapidement vers la sortie.

Je ne pouvais même pas l’arrêter. Je savais que nous rencontrerions de la résistance, je savais qu’il ne fallait pas sous-estimer la difficulté pour tout le monde d’accepter cela, mais j’avais pensé que je pourrais les convaincre. C’était naïf. Maintenant, nous en étions là, et Roxy avait été critiquée pour son rôle. Elle avait probablement l’impression de marcher sur un lit de clous, et les choses pourraient continuer à être aussi douloureuses pour elle si elle restait ici.

Personne ne choisirait de rester en pensant à cette possibilité. Même moi, je me précipiterais vers la porte, incapable d’y résister.

Je ne pouvais pas la laisser partir d’ici avec un goût aussi amer dans la bouche. Ce n’était pas comme ça que je voulais que ça se termine. Je voulais la remercier pour tout ce qu’elle avait fait, pas l’amener ici juste pour qu’elle soit traînée dans la boue. Je l’avais amenée ici pour pouvoir la rendre heureuse.

Et pourtant, peu importe ce que je ressentais, je ne pouvais pas l’arrêter. Je ne pouvais pas la retenir. Peut-être que je ne pouvais pas la rendre heureuse ?

Non, réfléchis ! Roxy serait à la porte d’une seconde à l’autre. Je devais au moins l’arrêter ! Même si cela signifiait gifler Norn, même si cela signifiait que ma petite sœur me détesterait, je…

« Attendez ! Mlle Roxy, attendez s’il vous plaît ! », une voix l’appela de derrière.

C’était Sylphie. Elle s’était levée et s’était précipitée vers Roxy en l’attrapant par la main. Roxy s’était retournée, les yeux pleins de larmes.

« Pourquoi l’arrêtes-tu ?! Laisse-la partir ! », haleta Norn.

« Norn, pourrais-tu te taire ? »

Abasourdie, Norn fit un « Huh ? ».

« Tu as été beaucoup trop dure tout ce temps. Je n’ai jamais exprimé la moindre objection », dit Sylphie.

Norn se figea, ne sachant plus quoi dire.

« S’il vous plaît, asseyez-vous », dit Sylphie, tournant le dos à Norn pour guider Roxy vers une place sur le canapé. Roxy s’y assit de bon gré, sans aucun signe de résistance. Puis Sylphie prit place à côté d’elle.

« J’étais un peu confuse au début… Il semble donc que ce soit vous qui avez sauvé Rudy, Mlle Roxy ? »

***

Partie 2

Roxy hocha timidement la tête : « … Oui. Mais j’avais une arrière-pensée, et je n’ai pas l’intention de m’en excuser. »

« Oui. Eh bien, Rudy est vraiment très beau. Je ne vous aurais pas crue si vous aviez dit que vous n’aviez pas d’arrière-pensées. », approuva Sylphie.

« … »

« Je pense que si j’avais été à votre place, j’aurais fait exactement la même chose. »

Sylphie sourit à Roxy, une expression douce sur son visage. Celui de Roxy était par contraste raide. Sylphie continua de sourire en poursuivant.

« Pour être honnête, je me suis dit que c’était juste une question de temps. »

« Hum, qu’est-ce qui n’était qu’une question de temps ? », demanda Roxy, confuse.

« Rudy qui ramène une autre femme à la maison. »

Juste une question de temps avant que je ramène une autre fille ? … Hm ? Attendez, est-ce que ça voulait dire qu’elle ne me faisait pas confiance ?

« Vous savez que Rudy est un pervers ? Je me suis dit qu’il le ferait avec quelqu’un d’autre si je n’étais pas là. Mais il est loyal, alors je me suis dit que s’il le faisait avec quelqu’un d’autre, il voudrait l’intégrer à notre famille, comme il l’a fait avec moi. Je ne pensais pas que je serais capable de l’avoir pour moi toute seule pour toujours. »

Je voulais protester, mais elle avait fait mouche. Je n’avais pas le droit de dire quoi que ce soit.

« Honnêtement, je pensais que s’il devait ramener quelqu’un à la maison, ce serait Linia, Pursena ou Mlle Nanahoshi. »

Roxy ajouta : « Je n’ai jamais entendu ces noms, sauf celui de Mlle Nanahoshi. »

« Ce sont ses amies à l’école. Elles sont toutes très sexy, avec des poitrines énormes. »

Eh bien, Nanahoshi n’est pas nécessairement très sexy. Attendez, ça n’a pas d’importance pour le moment, avais-je protesté intérieurement.

« Honnêtement, ce que j’ai entendu de votre voyage semblait brutal, et il y avait aussi la mort de Paul. J’ai complètement oublié la possibilité qu’il ait pu sortir avec quelqu’un d’autre. C’est pourquoi j’ai été si surprise quand j’ai entendu… »

Sylphie fit une pause.

« Mais ça a du sens. »

« Qu’est-ce qui est logique ? », demanda Roxy.

« Depuis que vous êtes arrivée ici, vous le regardez fixement avec un air anxieux. Je me suis demandé ce que cela signifiait. Au début, je pensais que c’était parce que vous étiez nerveuse à l’idée qu’il annonce la mort de Paul. Mais c’est de ça qu’il s’agissait en fait. »

« … »

« Vous avez les yeux d’une femme amoureuse, Mlle Roxy. », continua Sylphie.

Les yeux d’une femme amoureuse. Quand Roxy entendit ça, son visage se réchauffa.

« Je suis désolée de vous avoir fait assister à quelque chose d’aussi désagréable. »

Elle baissa alors la tête, les joues encore rouges comme une tomate.

Du point de vue d’une épouse, il ne devait pas être agréable de voir une autre femme regarder son mari avec amour. Je pouvais comprendre que Roxy pense de la sorte.

Mais Sylphie se contenta de secouer la tête.

« Ce n’était pas désagréable. »

« Mais… », Roxy commença à protester.

« Comment puis-je dire ça… ? »

Sylphie inclina la tête en réfléchissant, puis hocha presque aussi rapidement la tête.

« Vous savez, Rudy m’a toujours parlé de vous, Mlle Roxy. »

« Qu’est-ce qu’il disait ? »

« Des choses comme, “C’est la seule magicienne que je respecte”. Il parlait de vous de la même façon avant l’incident de téléportation et après. »

Roxy s’était déplacée maladroitement sur son siège.

« Je ne sais pas trop quoi dire, mais je me sens mal que vous ayez dû entendre ça. »

« Eh bien, c’est pour ça que je me suis aussi sentie un peu jalouse. Il y avait une telle admiration dans ses yeux chaque fois qu’il parlait de vous », avoua Sylphie.

« … »

« Je me suis dit que cette Roxy Migurdia était une magicienne tellement incroyable que je ne pourrais jamais être à son niveau. »

« … »

« Mais maintenant que je vous ai vraiment vue et que je sais que vous êtes juste une fille normale qui aime Rudy, cette jalousie a disparu. Cela signifie que vous êtes comme moi », dit Sylphie en soulevant le chapeau de Roxy et en caressant son visage.

Roxy se contenta de fixer l’autre femme et de la laisser faire.

Et alors qu’elle continuait à caresser, Sylphie dit : « Norn a peut-être exprimé son opposition, mais je vous souhaite la bienvenue. »

Le visage de Roxy s’était coloré de surprise.

Moi aussi, j’avais senti ma mâchoire tomber sous le choc. Je n’avais jamais imaginé que Sylphie l’accepterait si facilement.

« Sylphiette… Mademoiselle », dit Roxy en hésitant.

« Sylphie tout court, c’est très bien. J’espère que nous allons nous entendre. Hum, Rox ? »

« Hum, j’ai en fait cinquante ans depuis cette année, alors ce genre de surnom semble un peu trop enfantin… »

« Oh, d’accord. »

Sylphie hocha la tête pour elle-même.

« Tu es donc plus âgée que moi. Je suis désolée pour ça. Maintenant que j’y pense, Rudy l’a mentionné, mais en te voyant, je n’y ai plus pensé. »

« Eh bien, je suis petite », admit Roxy.

« Je ne suis pas si grande que ça. »

Les deux s’étaient regardées, en se tenant la main, et rirent.

« Eh bien, Roxy, soutenons donc Rudy ensemble. »

« Merci, Sylphie. »

Après avoir échangé ces mots, elles se serrèrent la main. Ce geste dégageait une curieuse sorte de solidarité, et en le voyant, j’avais laissé échapper un soupir de soulagement. Une réaction inconsciente qui m’avait échappé au moment où j’avais pensé que tout irait bien.

Norn me regarda et fronça les sourcils.

« Si Mlle Sylphie l’accepte, alors je n’ai plus rien à dire. »

Apparemment, elle n’était pas encore tout à fait de notre côté. Elle fronça légèrement les sourcils, visiblement toujours mécontente, et nous regarda fixement. Peut-être avais-je gagné son mépris une fois de plus.

Ce fut Sylphie qui l’apaisa en disant : « Pardonne-lui, Norn. Rudy n’est pas un disciple de Millis. »

« Mais… »

Norn commença à protester.

« Monsieur Paul avait aussi deux femmes, non ? »

Elle s’était tue un instant avant de dire : « C’est vrai. »

« Alors, est-ce que tu dirais le même genre de choses à Miss Lilia ? », continua Sylphie.

Les yeux de Norn s’élargirent de surprise. Elle se tourna pour regarder Aisha, qui était assise à côté d’elle.

Aisha était restée silencieuse tout ce temps, son visage était l’image même du calme.

« Oh… Je suis désolée, Aisha », dit Norn.

« C’est bon. Je sais que tu dis souvent des choses sans y réfléchir. »

« Pourquoi dois-tu le dire comme ça… ? »

« Regarde ce qui vient de se passer. Ce n’était pas à toi de parler. Tu n’arrêtais pas de parler de Mlle Sylphie et de ses sentiments, mais en réalité, tu ne faisais qu’imposer tes croyances aux autres. », fit remarquer Aisha.

« Quoi ?! »

Norn s’était levée d’un bond.

J’avais vu les poings à ses côtés et j’avais sauté pour gronder Aisha.

« Aisha, tu es allée trop loin. »

« Mais… »

« Je comprends moi aussi ce que Norn dit. Si Sylphie avait dit les mêmes choses elle-même, ça aurait été compréhensible. Je suis également fautif de ne pas avoir pris en compte les sentiments de chacun. On ne peut pas blâmer Norn. », dis-je en la coupant.

« Eh bien, je suppose que oui, si tu le dis. »

« … »

Norn avait un regard contradictoire sur son visage, comme si elle ne savait pas quoi dire. Elle avait dû se sentir mal à l’aise en restant là, car elle dit ensuite : « Je vais me coucher. »

Elle quitta le salon d’un pas rapide. Mais elle s’arrêta, comme si elle venait de se souvenir de quelque chose, et se retourna vers moi.

« Euh, Grand Frère… ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Allait-elle faire une dernière remarque cinglante ? C’était ma crainte, mais ce qui sortit de la bouche de Norn défia alors mes attentes.

« Voudrais-tu m’apprendre à manier l’épée ? Quand tu auras le temps. »

« Huh… ? »

C’était si soudain que, pendant un moment, les mots n’avaient aucun sens pour moi.

L’art de l’épée, allait-elle essayer d’utiliser l’épée de Paul ? Une partie de moi pensait qu’une tentative d’autodéfense à moitié ratée ne serait, au mieux, qu’autodestructrice, mais ce monde n’était pas comme le précédent. Cela pourrait probablement lui faire du bien d’apprendre à manier l’épée. Un peu de puissance était quand même mieux que rien. La question la plus importante était de savoir si je serais bon en tant que professeur.

« Es-tu sûre que tu veux que je t’apprenne ? », avais-je demandé.

« Je ne peux pas approuver ce que tu as fait, mais je ne te déteste pas non plus. »

« … Ok. »

En fait, je lui avais demandé si elle était sûre de vouloir que je lui enseigne alors que je n’avais fait que barboter dans cet art moi-même, mais je ne pouvais pas lui refuser maintenant qu’elle avait indirectement admis qu’elle m’aimait toujours.

« Très bien. Je trouverai le temps de t’apprendre après l’école. », avais-je dit.

« S’il te plaît, fais-le. »

Une fois qu’elle avait dit ça, Norn était partie dans sa chambre au deuxième étage.

Au final, j’étais complètement impuissant. Sylphie m’avait sauvé avec sa générosité.

« Grand frère. Sais-tu que tu as l’air vraiment pathétique en ce moment ? », me dit Aisha

Incapable de dire quoi que ce soit pour ma défense, j’avais juste hoché la tête.

***

Partie 3

Après cela, nous trois (Sylphie, Roxy et moi) avions commencé à parler de la façon dont les choses allaient fonctionner à partir de maintenant, comme l’ordre dans lequel nous allions passer nos nuits ensemble, et comment nous allions négocier du temps de qualité. La discussion était suffisamment franche pour qu’Aisha prenne congé.

« Eh bien, Mlle Roxy, j’ai hâte qu’on vive ensemble », dit Aisha.

« Oui, moi aussi. »

Aisha grommela dans son souffle en partant, mais elle souriait même en le faisant.

Qu’est-ce qui lui arrive ? Eh bien, peu importe. Sylphie, Roxy et moi devions discuter de l’avenir. Certaines personnes pourraient être choquées que nous discutions de telles choses alors que Paul venait de mourir, mais c’était précisément la raison pour laquelle je voulais un sujet de conversation plus joyeux.

« S’il te plaît, fais de Sylphie ta principale priorité, Rudy. Juste un peu de ton attention quand tu as du temps libre me suffira », dit Roxy.

« C’est absurde. Tout cela doit être équitable », insista Sylphie.

« Mais… »

« Il peut encore prendre d’autres épouses, alors ne soyons pas timides. »

D’autres ? Je pouvais voir le peu de foi qu’elle avait dans ma moitié inférieure rien qu’avec ce mot.

« Honnêtement, en ce moment, je me sens juste accablée de culpabilité à propos de tout ça. Je vais juste rester sur la touche jusqu’à ce que ton bébé soit né », dit Roxy.

Sylphie hocha la tête pensivement : « Alors c’est comme ça que tu te sens. Eh bien, il ne reste qu’un peu plus d’un mois avant l’accouchement. Ça ne te dérange pas que je prenne tout ce temps pour moi ? »

« Non, ça ne me dérange pas. Alors, attendons le mois prochain pour que je devienne officiellement ta femme, Rudy. »

« … »

Pour trouver décevant le fait de devoir mener une vie de célibataire pendant le mois prochain… J’étais vraiment une personne horrible. Mais quand j’avais commencé à penser à la façon dont je pourrais faire l’amour avec les deux autant que je le voudrais après que Sylphie ait accouché… Mon pote d’en bas commença à se lever pour me saluer.

« … »

« … »

Alors que ces fantasmes se solidifiaient dans ma tête, les deux femmes tournèrent leurs regards vers moi.

« Um, Rudy ? Si tu ne peux absolument pas attendre, dis-le-moi, ok ? Nous ferons quelque chose à ce sujet. », me dit Sylphie.

« Oh, non, je vais m’en occuper moi-même. »

Peu importe à quel point j’étais un chien à cornes, je n’allais pas tricher plus que je ne l’avais déjà fait. Je voulais qu’elle ait confiance que moi, Rudeus Greyrat, je ne faiblirais pas à nouveau. La seule raison pour laquelle j’avais hésité était la situation unique dans laquelle je me trouvais, et le fait que ma partenaire était Roxy. Tant que je ne me retrouverais pas dans une spirale dépressive et qu’une femme du calibre de Roxy se présenterait devant moi, je ne tricherais plus jamais. Jamais.

« Oh, mais tu as dit que Roxy est aussi enceinte ? Dans ce cas, si on attend un mois, tu ne pourras pas non plus faire l’amour avec elle. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? », se demanda Sylphie avec anxiété.

Roxy, l’air honteuse, dit : « Hum, à propos de ce que Rudy a dit à ce sujet… je pense qu’il mentait. Je n’ai pas eu l’occasion de le dire, mais je ne suis pas vraiment enceinte. »

« Hein ? », avais-je lâché.

Elle ne l’était pas ? Alors de quoi Elinalise parlait-elle la dernière fois ?

« … Oh. »

Elle m’avait attiré dans un piège. Cette imbécile. Et merde. Et je m’étais retrouvé dans la paume de sa main.

« Qu’est-ce qu’il y a, Rudy ? », demanda Roxy.

« Rien, mais laisse-moi juste clarifier les choses et dire que je ne mentais pas. C’était juste un malentendu de ma part. »

Roxy s’était alors gratté les joues, le visage rouge. « Oh, et bien, tu sais. Mais j’ai hâte que ça arrive, un jour. »

« Oh, oui. Moi aussi », avais-je dit. Les mots « Planifications des Naissances Heureuses » m’étaient venus à l’esprit et me firent sourire. Ahh, j’étais vraiment impatient de ce qui allait arriver.

« Rudy est un pervers, non ? » dit Sylphie en me taquinant.

« Oui, certainement », avais-je accepté.

« Je me demande ce que notre pervers de Rudy va me faire ? », se demanda Roxy à voix haute.

Nous avions continué à parler et à rire ensemble.

Et ce fut ainsi que j’eus ma deuxième femme.

Nous avions préparé une chambre pour Lilia et ma mère après qu’elles aient fini leur bain, puis nous nous étions retirés pour la nuit. Comme nous en avions discuté précédemment, je passais la nuit avec Sylphie. Je lui avais fait un oreiller avec mon bras et nous nous étions blotties l’un contre l’autre, son corps face au mien. Mais nous ne nous étions pas encore endormis. Nous nous regardions tous les deux tranquillement.

« À propos de notre conversation de tout à l’heure. J’avais une image absolument tragique en tête quand tu as dit que tu avais quelque chose à dire et que Roxy se tenait à tes côtés. », commença-t-elle, en étant la première à parler.

« Qu’est-ce que c’est ? », avais-je demandé.

« Je pensais que tu allais me dire que tu ne pouvais plus m’aimer et que tu voulais que je parte. »

« Je ne dirais jamais ça ! »

Quel genre de sale type dirait une chose pareille ?!

« Oui, je sais. »

Sylphie avait remué dans tous les sens. Je pouvais sentir quelque chose se presser contre le moignon où se trouvait ma main gauche. Les doigts de Sylphie le caressaient.

« Mais j’étais quand même anxieuse. Je ne sais pas pourquoi. J’avais juste le sentiment que tu ne me reviendrais pas. »

Une sorte de pressentiment ? Eh bien, il s’en était fallu de peu. Il n’aurait pas été surprenant que je sois mort.

J’avais jeté un coup d’œil à Sylphie.

« Je t’ai inquiétée ? »

« Oui. »

« C’est bon maintenant. »

J’avais caressé sa tête avec ma main droite. Ses yeux s’étaient plissés alors qu’elle se penchait sur mon toucher. Ses cheveux étaient d’une belle couleur pâle. Ils avaient poussé pendant que j’étais parti.

« Tes cheveux sont de plus en plus longs. »

« Parce que tu as dit que tu aimais les cheveux longs. »

« Tu le fais pour moi ? »

« Oui. »

Elle m’avait attendu tout ce temps, et j’avais été assez stupide pour…

« Je suis désolé, Sylphie, d’avoir rompu la promesse que je t’avais faite. »

« Ce n’est pas grave. Je t’aime comme tu es. », dit-elle en secouant la tête.

« Mais si tu m’avais fait la même chose, j’aurais crié et pleuré comme un bébé et je me serais emporté contre toi pour m’avoir trahi. Je sais que je l’aurais fait. »

« Hee hee, mais je ne te ferais pas ça. Je n’ai d’yeux que pour toi, Rudy. », dit-elle en gloussant.

Sylphie pressa alors son visage contre moi, me donnant une petite tape sur la joue.

Une vague d’affection jaillit de ma poitrine. J’allais aimer Sylphie pour le reste de ma vie. Elle devait être inquiète, elle devait avoir envie de m’engueuler, et pourtant, elle acceptait tout sans une seule plainte.

« Sylphie », avais-je chuchoté.

« Hee hee. »

Pour la remercier de son baiser, je lui avais donné le mien, en posant mes lèvres sur sa joue douce et moelleuse.

« … »

Normalement, c’était le prélude à nos ébats amoureux, mais on s’arrêterait là pour aujourd’hui. Je ne pouvais pas pousser son corps, surtout quand elle était enceinte.

Mais juste à ce moment-là, j’avais senti quelque chose frétiller contre mon bas-ventre.

« Allez, Sylphie, on ne peut pas faire ça. Si tu commences à me toucher là en bas, je ne vais pas pouvoir me retenir. Je veux dire, je suis intéressé par le sexe de grossesse, mais… »

« Non, on ne peut pas, Rudy. Ce ne serait pas bon pour le bébé. », dit-elle en même temps.

« Hm ? »

« Huh ? »

Soudainement, nous avions tous les deux baissé les yeux. Là, juste à côté du ventre gonflé de Sylphie, se trouvait une masse dense et montagneuse. Nous avions replié la couverture pour découvrir…

« Dillo ?! »

L’énorme tatou avait glissé sa tête à la base du lit, juste entre Sylphie et moi. Quand est-ce que cette chose était arrivée ici ? Je n’avais même pas remarqué son entrée.

« Petite chose perverse, mettre sa tête dans l’entrejambe des gens », dis-je en rigolant.

« Tout comme toi, Rudy. »

« Non, je… »

J’avais commencé à protester, puis je m’étais ravisé.

« Ah bon, je suppose que tu peux dormir avec nous ce soir. »

« Oui, ça me paraît bien. »

Je m’étais glissé hors du lit, j’avais pris une deuxième couverture et j’avais créé une place sur le sol à côté de notre lit pour que Dillo puisse y dormir. Il s’était étalé dessus et ferma les yeux.

La créature avait l’apparence d’un tatou, mais au fond, elle ressemblait à un gros chien. Nous devrions lui construire une niche plus tard. Le garder à l’intérieur était bon, mais ce serait vraiment pénible s’il commençait à chier ici. Attendez, je suppose qu’on pourrait toujours l’entraîner à être propre, comme un chien ? Eh bien, c’était une conversation que nous pourrions avoir plus tard en famille.

« On va se coucher ? »

J’avais commencé à me glisser dans le lit à la droite de Sylphie, mais je m’étais arrêté et j’étais revenu à sa gauche à la place, afin de pouvoir tenir sa main avec ma main droite. Elle la serra avec force.

« Bonne nuit, Sylphie. »

« Oui. Contente que tu sois rentré, Rudy. »

Je m’étais alors rapidement endormi.

***

Chapitre 16 : Devant une tombe

Partie 1

Quelques jours s’étaient écoulés depuis que j’avais pris Roxy pour épouse. Dernièrement, ma crainte qu’une autre catastrophe soit sur le point de se produire avait progressivement commencé à s’estomper. L’avenir semblait plus radieux que ça, même si j’avais encore beaucoup d’inquiétudes au sujet de Zenith.

Elle avait réclamé l’une des autres grandes chambres de la maison pour elle-même. J’avais déconseillé à Lilia de le faire, étant donné que le précédent résident de la maison y avait été tué, mais Zenith s’y était attachée et avait refusé de la quitter. Voyant cela, Lilia balaya mes inquiétudes en disant : « Je suis sûre qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. »

Il était vrai que si elle devait s’occuper de Zenith, une chambre spacieuse serait préférable à une chambre exiguë.

J’avais également emmené Zenith chez un médecin, l’un des plus éminents praticiens du royaume de Ranoa, qui nous avait été recommandé par Ariel. Malheureusement, l’homme leva les bras au ciel, disant qu’il n’avait aucune idée du type de problème médical dont elle souffrait, et donc aucune idée de la façon de le traiter. Avec la technologie médicale actuelle de ce monde, il n’y avait vraiment rien qu’ils puissent faire pour restaurer ses souvenirs. C’était peut-être à cause de la magie curative que le traitement médical dans ce monde était si déséquilibré.

Quoi qu’il en soit, nous avions pris des mesures pour établir un plan de réhabilitation formulé spécifiquement pour une personne amnésique. Je ne savais pas si cela aiderait, mais c’était mieux que de ne rien faire. Si j’en avais l’occasion, ce serait une bonne idée de chercher un outil magique qui pourrait aider à retrouver la mémoire. D’accord, je n’avais aucune idée de l’existence même d’une telle chose.

Il était probablement préférable de considérer son traitement comme une entreprise à long terme. Je n’avais aucune idée de ce que sa famille au Saint Pays de Millis dirait également de tout cela. Tout restait incertain.

La grossesse de Sylphie se déroulait normalement. Quand j’avais essayé de tripoter ses seins gonflés, elle s’était mise en colère contre moi. Apparemment, ça faisait mal si je tripotais trop fort. La façon dont elle me suppliait d’être doux me donnait envie de lui sauter dessus. J’avais déjà cédé à ses tentations à plusieurs reprises et j’avais fait ce que je voulais avec elle, mais elle était enceinte cette fois-ci, alors je ne pouvais pas laisser libre cours à mes désirs. Je ne pouvais pas m’empêcher de vouloir la toucher tout autant, mais j’étais prudent, doux, quand je la caressais.

La grossesse entraînait des changements dans le corps, ses seins n’étaient plus ceux que j’avais l’habitude de caresser. Et quand je considérais comment j’avais été celui qui avait provoqué ce changement dans son corps, je ressentais une joie indescriptible. C’était probablement ce que les gens voulaient dire quand ils parlaient d’un « sentiment de domination ».

Ahh, Sylphie est toute à moi.

Mais, comme vous l’aviez peut-être deviné, ne pas avoir de main gauche, ça craint. Je pensais avec nostalgie au temps où je pouvais tripoter sa poitrine avec mes deux mains. Maintenant qu’il m’en manquait une, ma satisfaction était réduite de moitié.

Bientôt, ses seins allaient commencer à produire du lait. Je me doutais qu’elle serait fâchée si je lui demandais de le goûter. Peut-être même qu’elle me mépriserait. Mais ça pouvait valoir la peine de demander, même si les chances étaient contre moi. C’était probablement dans mon intérêt de garder la question pour moi, mais juste une fois, ça ne pouvait pas faire de mal, non ?

« Tu aimes vraiment mes seins », dit Sylphie.

« Oui, c’est vrai. Ils sont minuscules, mais ce sont les meilleurs du monde. »

« Les meilleurs du monde… Tu peux vraiment dire ça après avoir tripoté ceux de Roxy ? », marmonna-t-elle.

« Pardonne-moi pour mes péchés », avais-je dit dramatiquement.

« Hee hee, je ne suis pas en colère ! »

Nous nous étions livrés à un badinage enjoué, notre relation étant plus forte que jamais. S’il cela s’était passé dans mon monde précédent (plus précisément du Japon), notre relation aurait probablement été assez tendue. Mais dans ce monde, Sylphie était compréhensive. Tant que je les aimais de manière égale, je pouvais avoir deux ou trois épouses.

Quant à mon autre femme, Roxy, elle avait pris l’une des petites chambres du deuxième étage. La plus petite, pour être exact. Je lui avais suggéré d’en choisir une plus spacieuse, mais elle aimait apparemment les espaces exigus, ce que je comprenais. Et cela ne me dérangeait pas non plus.

Roxy était devenue professeur à l’université. En même temps, j’étais allé la présenter à tout le monde et annoncer mon retour, mais nous garderons cette histoire pour une autre fois.

*****

Un autre mois avait passé, et finalement, un jour de forte neige, Sylphie accoucha. Ce fut un accouchement normal, sans réelles complications. Ni par le siège, ni prématuré. Le seul problème était que le blizzard dehors était si fort que le médecin que nous avions appelé n’avait pas pu arriver à temps. Dans mon monde précédent, cela aurait été une cause de panique, mais heureusement, nous avions Lilia.

Ayant l’expérience des accouchements, elle avait pu agir rapidement, avec Aisha comme assistante, sans jamais me demander quoi que ce soit. Elle avait effectué chaque étape avec soin, en accompagnant Aisha tout au long du processus. Roxy et moi étions sur la touche au cas où quelque chose arriverait. Si une urgence survenait, la magie de guérison serait notre atout caché.

Bien que, comme on pouvait le remarquer, mes nerfs étaient complètement à plat. La guérison n’était même pas dans ma tête à ce moment-là. Tout ce que je pouvais faire était de saisir la main de Sylphie dans la mienne alors que son visage se déformait de douleur.

« Te voir comme ça me rappelle le moment où la maîtresse a donné naissance à Norn », dit Lilia.

Cela m’avait aussi donné des flash-back. Norn était un bébé qui se présentait par le siège, et la mère et le bébé avaient été en danger pendant l’accouchement. Paul avait été inutile, complètement étouffé. J’avais réussi à garder mon calme et à assister à l’accouchement à l’époque, mais regardez-moi maintenant. J’avais été beaucoup plus capable dans le passé que je ne l’étais maintenant, pas très différent de la façon dont j’avais été dans mon monde précédent.

« Ne vous inquiétez pas, Maîtresse Sylphie ira très bien. Il n’y a pas besoin de stresser », dit Lilia en travaillant rapidement, manipulant le tout avec une telle expertise que j’en étais resté bouche bée.

Mais peu importe comment elle essayait de calmer mes nerfs, mon esprit ne se calmait pas. La seule chose que je pouvais faire était de m’accrocher à la main de Sylphie et de dire, « Inspire… et expire. Inspire… et expire », tout en essuyant la sueur sur son front.

L’angoisse sur son visage était claire, même si elle ricanait face à ma panique.

« Um… Rudy, peux-tu te détendre un peu ? »

Aisha grogna en riant de son côté, ce qui lui valut une gifle de Lilia.

Sylphie regarda les deux et ricana à nouveau.

« Ngh ?! »

Au moment où la pièce semblait se détendre, la première vague arriva.

« Maîtresse Sylphie, nous sommes prêtes maintenant. Poussez ! »

« Nnnngh… »

J’avais regardé tranquillement comment elle se débattait. La seule chose que je pouvais dire était, « Tu peux le faire. » Je sentais qu’il y avait quelque chose que je devais faire, mais aussi qu’il n’y avait rien que je puisse faire.

Sylphie répondit aux appels de Lilia pour pousser, son visage se crispant à chaque fois, jusqu’à ce que…

Le bébé soit né.

Elle poussa un cri féroce lorsqu’elle arriva en toute sécurité dans notre monde. Une petite fille, une adorable fille avec la même couleur de cheveux que moi. Lilia la souleva et la tendit à Sylphie, qui serra le nouveau-né dans ses bras et soupira de soulagement.

« Je suis si heureuse… Ses cheveux ne sont pas verts », avait-elle chuchoté.

J’avais ébouriffé les cheveux de Sylphie, des cheveux qui avaient été verts, mais qui étaient maintenant d’un beau blanc.

« Oui. »

Même si notre bébé était né avec des cheveux verts, je n’aurais pas blâmé Sylphie pour cela. Comment aurais-je pu ? Le vert était ma couleur préférée dans ce monde, la couleur des cheveux de Sylphie et de Ruijerd. Même ceux de Roxy, sous un bon éclairage, brillaient comme de l’émeraude. J’adorais le vert. Si quelqu’un voulait discriminer les cheveux verts, il devrait passer par moi. Je les affronterais, même si ça signifiait se faire un ennemi du monde entier.

« Tu as été merveilleuse, Sylphie. »

« Merci. »

Si j’avais la volonté d’aimer les cheveux verts, ce n’était pas le cas du reste du monde, qui y voyait un mauvais présage. J’avais remercié Dieu pour cette chance. Ma fille avait la même couleur de cheveux que moi. En parlant de Dieu, elle se trouvait dans la pièce voisine, un bâton fermement serré dans ses mains, pâles comme un linge.

« Tiens, Rudy. Tiens-la », dit Sylphie.

« Ok. »

Je l’avais prise dans mes bras. Son corps était chaud, sa voix farouche quand elle pleurait. Sa tête était minuscule, tout comme sa bouche et son nez, son corps entier débordait de vie. Mon cœur déborda d’émotion au moment où j’avais pensé que cette petite fille était la mienne, mon bébé que Sylphie avait mis au monde.

« … »

Les larmes jaillirent.

Paul était parti, mais nous avions maintenant un bébé. Il m’avait sauvé la vie. S’il n’avait pas été là, je ne serais pas là à tenir mon enfant. Mais en échange, Paul ne tiendrait plus jamais dans ses bras sa propre femme, ses propres filles ou sa petite-fille.

Serait-il amer de ne pas pouvoir être là ? Ou est-ce qu’il rirait et se vanterait : « Tout ça grâce à moi ? »

Dans tous les cas, je devais continuer à vivre. Pour le bien de mon enfant, je ne pouvais pas mourir. Je devais protéger Sylphie, ma famille.

***

Partie 2

Sylphie et moi avions pris les deux premières lettres de nos noms et les avions légèrement modifiées pour trouver son nom : Lucy. Lucy Greyrat. Aisha avait ri, en disant que c’était un nom trop simple, et Lilia lui avait donné une nouvelle claque sur la tête. J’étais juste heureux qu’elle soit une fille. Si nous avions eu un garçon à la place, je l’aurais peut-être appelé Paul.

*****

Lilia me chassa de la pièce après ça. Il y avait beaucoup à faire, apparemment, elle m’avait donc dit d’attendre dehors. Je m’étais alors dirigé vers le salon et m’étais planté sur le canapé. Je n’avais pas vraiment bougé, et pourtant j’étais épuisé.

Roxy s’était installée à côté de moi, semblant elle-même fatiguée, et soupira. Elle en avait fait encore moins que moi, alors la sienne devait être une fatigue mentale.

« C’était la première fois que je regardais une personne donner naissance. C’était incroyable. », dit-elle.

« Je l’ai… vu plusieurs fois maintenant. Environ trois fois, je crois. Mais ça vous épuise encore plus quand c’est le vôtre. »

Sylphie était probablement encore plus épuisée. Je devrais vraiment lui montrer ma reconnaissance plus tard.

« Je suppose que c’est comme ça que je suis aussi née », dit Roxy pensivement.

« Eh bien, c’est comme ça que tout le monde naît, non ? »

Je ne savais pas grand-chose sur la façon dont les Migurd se reproduisaient, mais vu qu’ils ressemblaient aux humains, il ne devait pas y avoir trop de différence, non ?

« … Je finirai bien par accoucher comme ça moi aussi, non ? »

Quand j’avais jeté un coup d’œil dans sa direction, j’avais trouvé Roxy qui me regardait, le visage rougeoyant. J’avais enlevé mes chaussures et replié mes jambes sous moi sur le canapé, assis aussi raide que possible.

« Oui, j’espère que je peux te demander de faire ça pour moi. »

Maintenant que le bébé de Sylphie était né, cela signifiait que Roxy et moi allions commencer le processus de fabrication du bébé. Honnêtement, j’avais hâte d’y être, même si le bébé de Sylphie venait juste d’arriver. J’étais vraiment désespéré. Non pas que je me détestais pour cela, je ne le pouvais pas, pas quand je considérais que Paul avait probablement ressenti la même chose dans le passé.

J’ai hâte d’y être, pensais-je en riant. Roxy rougit d’une teinte vive, enroulant ses bras autour de son corps.

« Rudy, tu as un regard sérieusement pervers sur ton visage. »

« Je suis né avec. »

C’est vrai, j’étais né avec. C’était quelque chose que j’avais depuis que j’étais venu au monde, ou peut-être même avant.

« … »

Oh, c’est vrai. Avant de commencer cette routine avec Roxy, je devais annoncer la naissance de mon bébé.

Le lendemain, je m’étais rendu seul à la périphérie de la ville, où un cimetière de nobles était niché sur une petite colline. C’était là que nous avions décidé d’enterrer Paul. Il pourrait s’offusquer d’être mis dans le même panier que les autres nobles, mais cet endroit était mieux géré que celui destiné au grand public.

Je me tenais au milieu de la neige, devant la pierre tombale ronde de style Ranoa. Je n’avais aucune idée de la religion qu’avait suivie Paul. Je ne pensais pas qu’il avait cru en Dieu. Il semblait être du genre à ne pas se soucier de la religion. J’étais certain que, si nous avions fait une erreur à cet égard, il nous pardonnerait. Peut-être aurait-il été plus idéal de lui faire une tombe dans le Royaume d’Asura, là où se trouvait le village de Buena. Paul n’avait aucun lien ni aucune relation avec la terre d’ici. Mais si nous l’enterrions trop loin, nous ne pourrions pas lui rendre visite.

J’avais déjà informé Geese et les autres de cet endroit. Nous l’avions même visité une fois en groupe. Chaque personne avait apporté quelque chose qu’elle pensait que Paul aimerait. De l’alcool, un sabre court, ce genre de choses. Geese et Talhand s’étaient assis devant sa tombe et avaient bu comme des trous, ce qui avait suscité l’ire du gardien de la tombe.

J’avais entrepris de nettoyer la tombe de Paul, une bouteille d’alcool que j’avais achetée en chemin, tordue sous mon bras. J’avais épousseté la neige qui s’était accumulée sur sa pierre tombale, lustrant la pierre avec un chiffon que j’avais apporté. La route menant au cimetière avait été recouverte de neige, mais le gardien de la tombe gardait les allées déneigées, il n’était donc pas difficile de nettoyer l’endroit où se trouvait Paul.

J’avais nettoyé, puis j’avais posé la bouteille devant sa tombe et j’avais joint les mains. J’avais pensé à acheter des fleurs aussi, mais il n’y en avait pas à vendre. Pendant l’hiver dans les Territoires du Nord, les fleurs étaient difficiles à trouver. Et Paul était de toute façon pas du genre à aimer les fleurs.

« Paul… Mon père, mon bébé est né hier. Une petite fille. C’est celle de Sylphie, alors je suis sûr qu’elle sera très belle en grandissant. »

Je m’étais assis devant sa tombe et je lui avais annoncé la nouvelle.

« J’aurais aimé que tu puisses la voir. »

Si Paul l’avait vue, j’étais sûr qu’il se serait agité et aurait roucoulé jusqu’à ce que Zenith le gronde. Il m’aurait probablement emmené boire un verre pour fêter ça, et on aurait bu comme des trous. Puis il aurait fait des avances à Lilia, exaspérant Zenith.

C’était tellement dans sa manière de faire que je pouvais l’imaginer clairement, ce futur qui aurait été présent si Paul était encore en vie et si ma mère n’avait pas perdu la mémoire.

« J’ai fait de Roxy ma femme. J’en ai deux maintenant, tout comme toi. J’aurais cependant aimé que tu m’apprennes à m’y préparer mentalement. »

Maintenant que j’y pensais, c’était probablement ce dont Paul avait essayé de me parler à ce moment dans le Labyrinthe. Il savait que Roxy avait des sentiments pour moi et que j’avais des sentiments pour elle à mon tour. Il voulait sans doute m’apprendre à m’y préparer.

« Ce n’est pas tout à fait la même chose, je n’ai pas soudainement deux filles, mais Roxy finira par tomber enceinte et avoir aussi mon enfant. Je suis sûr que c’est encore loin dans le futur, mais j’espère qu’ils grandiront et seront en aussi bonne santé que Norn et Aisha. »

Je n’avais pas l’intention de remettre en cause les enseignements de Lilia, mais je voulais que mes enfants grandissent sur un pied d’égalité, qu’ils soient assez forts pour supporter que les gens les traitent de demi-démons.

« Apparemment, Sylphie pense que je vais prendre une autre femme après ça. Je ne prévois rien de la sorte, mais on dit que ce qui arrive une fois peut arriver une seconde fois. Elle a peut-être raison. »

Je m’étais demandé si Paul avait déjà envisagé d’épouser Ghislaine, Elinalise ou Vierra. Il semblerait qu’il ait eu une relation sexuelle avec Ghislaine, je suppose donc qu’il y avait pensé au moins une fois. Mais bon, Paul était un peu plus ouvert d’esprit que moi, alors peut-être qu’il ne pensait pas aussi loin que le mariage.

« Peut-être que je ne devrais pas trop y penser, hein ? »

Lorsque j’avais dirigé ma question vers sa pierre tombale, j’avais eu l’impression de le voir me renvoyer un sourire malicieux. Tout ce que je pouvais voir, c’était son sourire, je ne pouvais entendre aucun mot.

Mais ce n’était pas comme si Paul n’avait jamais réfléchi. J’étais sûr qu’il s’était creusé la tête pendant des années à propos de certaines choses. C’était logique. Il y avait peu de gens dans le monde qui vivaient sans jamais réfléchir.

« Père, j’ai été un fils terrible, porteur de souvenirs de ma vie antérieure. Je ne t’ai pas aimé comme j’aurais dû le faire, en tant que père », avais-je dit en me levant.

J’avais pris la bouteille d’alcool en main et j’avais avalé une gorgée. C’était une liqueur forte, brûlante comme le feu en descendant, et une fois que j’avais fini, j’en avais éclaboussé un peu sur sa tombe.

« Mais maintenant, je me vois comme ton fils. »

Peut-être que l’alcool n’était pas le meilleur remède pour quelqu’un comme Paul, qui avait tout gâché en se noyant dans cette substance. Mais sûrement, aujourd’hui pourrait être une exception. Nous célébrions une nouvelle vie dans ce monde.

« Je comprends enfin maintenant. Je ne suis encore qu’un enfant. Un gosse qui a prétendu être un adulte en utilisant ses souvenirs antérieurs. »

J’avais pris une autre gorgée, puis j’en avais versé pour Paul. Une autre gorgée, puis une autre. Bientôt, la bouteille fut complètement vide.

« Maintenant que j’ai un enfant dans ce monde et que je suis parent, je sais que je dois grandir tout de suite. Et pour ce faire, je vais devoir faire un tas d’erreurs, en faire le deuil, et changer. Lentement, progressivement. Je suis sûr que c’est comme ça que tu as dû faire aussi, alors je ferai de mon mieux. »

J’avais remis le bouchon sur la bouteille et l’avais posée devant sa tombe.

« Je reviendrai encore. La prochaine fois, j’amènerai aussi tous les autres », avais-je dit en me tournant pour partir.

Beaucoup de choses s’étaient mises en place, avec beaucoup de douleur et beaucoup de joie en cours de route. J’avais répété d’horribles erreurs sur mon chemin, mais ce n’était pas fini. Peu importe à quel point j’avais merdé ou fait des erreurs, ce n’était pas la fin. J’avais encore beaucoup de choses à vivre dans ce monde. Et c’était ce que j’allais faire : vivre pleinement, de sorte que peu importe quand je mourrais, je n’aurais aucun regret.

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Illustrations

 

Fin du tome.

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