Mushoku Tensei (LN) – Tome 11

Table des matières

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Chapitre 1 : Faire face aux sœurs Greyrat

Partie 1

Après un long et éreintant voyage, mes sœurs Norn et Aisha étaient enfin arrivées chez moi, dans la ville de Sharia. En ce moment, elles étaient assises à la table à manger, mangeant quelque chose que j’avais rapidement préparé.

« Est-ce bon ? », avais-je demandé prudemment.

« Oui ! C’est génial ! », répondit Aisha.

Norn était restée silencieuse. Elle ne mangeait pas avec autant d’enthousiasme que sa sœur, mais elle n’avait pas fait la grimace et ne s’était pas non plus plainte. Je n’étais pas à la hauteur de Sylphie en cuisine, mais j’avais au moins réussi à faire quelque chose de comestible.

En parlant de Sylphie, elle était partie au travail un peu plus tôt. Elle voulait rester dans le coin, mais ses responsabilités envers la princesse Ariel devaient passer en premier. J’avais choisi de prendre un jour de congé pour pouvoir discuter avec mes sœurs.

Une fois qu’elles avaient terminé leur repas, nous étions allées toutes les trois dans le salon. Aisha et Norn s’étaient assises l’une à côté de l’autre sur le canapé, et j’avais pris la chaise en face d’elles. Après leur avoir servi du thé et les avoir laissées se détendre un moment, j’avais finalement décidé d’aborder le sujet principal.

« Eh bien, je suppose que j’aurais dû le dire plus tôt, mais… c’est bon de vous voir toutes les deux. Je suis vraiment content que vous soyez arrivées ici saines et sauves. »

« Merci, frère aîné. C’est un plaisir d’être ici. », dit Aisha avec un sourire pudique.

Ma jeune sœur portait comme d’habitude un uniforme de femme de chambre. Sa tenue était un peu trop grande pour elle la dernière fois que nous nous étions rencontrés, mais elle lui allait parfaitement maintenant. En fait, à en juger par les petites pièces que je voyais ici et là, c’était probablement exactement la même tenue qu’avant.

Elle semblait être curieuse à propos de ma maison. J’avais remarqué que sa queue de cheval brune et soignée se balançait d’avant en arrière tandis qu’elle jetait des regards dans le salon.

« … »

Norn, quant à elle, fixait tranquillement le sol à la manière d’une enfant beaucoup plus jeune. Elle portait une jolie robe bleue ornée de quelques froufrous — un vêtement assez typique pour les enfants de Millishion, mais qui se remarquait forcément ici. Ses cheveux dorés semblaient un peu plus longs que ceux d’Aisha, mais c’était difficile à dire, puisqu’elle les avait attachés derrière sa tête avec une grosse pince à la mode.

« On dirait que tu t’es bien débrouillée pendant le voyage jusqu’ici, Aisha. Je suis impressionné. »

« Naturellement. J’étais très motivée pour te revoir aussi vite que possible, cher frère. »

Aisha arborait toujours ce sourire calme, mais quelque chose dans sa façon de parler m’avait paru un peu étrange.

« Euh… Écoute, c’est ici que tu vas habiter à partir d’aujourd’hui. Tu peux te détendre un peu si tu veux. Être un peu plus décontractée, peut-être ? »

« Merci beaucoup, vraiment. Mais même si nous sommes une famille, c’est toujours ta maison. Il ne serait pas juste que je m’impose à toi sans rien offrir en retour. J’espérais pouvoir t’aider au moins dans les tâches ménagères. », répondit Aisha.

Oui, j’avais l’impression qu’elle était vraiment… distante. Ou peut-être juste formelle. En fait, ça me mettait mal à l’aise.

« Par ailleurs, ma chère sœur… »

« Oui, mon très cher frère ? »

« Tu pourrais peut-être arrêter de parler comme ça ? S’il te plaît ? »

« Oh, mais je ne pourrais pas. Tu me parles toujours si poliment ! Comment pourrais-je ne pas faire de même ? »

Ah, c’était donc ma faute. J’avais tendance à être un peu formel dans mes propos — apparemment, cela avait donné à Aisha l’impression qu’elle devait faire de même.

« D’accord, je serai plus décontracté avec toi à partir de maintenant. »

« Je t’en prie. Nous sommes après tout frères et sœurs. Mais je vais continuer à m’adresser à toi poliment, puisque tu es le chef de cette famille. », dit Aisha avec un sourire.

Oh, c’est bon. Suis juste mon exemple, ok ?

Eh bien, peu importe. Ce n’était pas une mauvaise idée pour elle de s’entraîner à parler de manière formelle, choisir le bon ton pour une situation donnée était après tout une compétence sociale précieuse. Pourtant, il semblerait qu’Aisha avait interprété ma politesse comme une marque montrant que je voulais la garder à distance. Est-ce que toutes les personnes que j’avais rencontrées ces dernières années pensaient la même chose ? J’avais tendance à adopter un discours formel dans toutes mes interactions, car cela me semblait plus respectueux… mais peut-être devrais-je essayer de plaisanter la prochaine fois que je croiserai une vieille connaissance.

« Hey, Ruijerd, comment ça va ? Tu as vraiment changé, mec ! Tu as pris du poids ou quoi ? Cette barbe est nouvelle aussi ! Quoi ? Tu n’es pas Ruijerd ? Merde, tu as aussi changé de nom ? C’est bien de voir que tu es au moins toujours ce connard grincheux. »

… À la réflexion, peut-être pas. C’est normal de parler poliment à quelqu’un qu’on respecte, non ? Rien que d’imaginer essayer de badiner avec Ruijerd ou Roxy me donnait envie de me frapper au visage.

« Eh bien, quoi qu’il en soit… c’est bon de vous avoir toutes les deux ici. Il nous faudra peut-être un peu de temps pour nous habituer à vivre dans la même maison, mais nous y arriverons. »

« Bien sûr ! », dit Aisha avec énergie.

Son enthousiasme était palpable. Ça me rappelait l’attitude de Pursena quand on lui faisait miroiter un morceau de viande. Je sentais qu’Aisha était prête à faire tout ce que je lui demandais en ce moment.

Norn, elle, ne disait toujours rien et l’expression de son visage était plutôt sombre. J’avais eu le sentiment qu’elle n’était pas venue volontairement pour rester avec moi. La façon dont nous avions été réunis n’avait probablement pas aidé non plus. De son point de vue, j’étais rentré ivre à la maison avec une femme étrange à mon bras.

Pour le moment, il semblerait préférable de prendre les choses lentement et de la traiter avec précaution.

« Bref, je ne savais pas que tu t’étais marié avec Sylphie ! D’ailleurs, quand est-ce que c’est arrivé ? Tu as dû être surprise aussi, n’est-ce pas, Norn ? », dit Aisha.

Norn secoua légèrement la tête à cette tentative de l’attirer dans la conversation.

« Je ne me souviens pas… vraiment de Mlle Sylphie. »

C’était un peu décevant, mais c’était logique. Aisha avait étudié l’étiquette de base avec Sylphie au village de Buena, alors que Norn n’avait pas passé beaucoup de temps avec elle.

« Alors, quelle est l’histoire, mon cher frère ? Qu’est-il arrivé à cette fille Éris avec qui tu étais avant ? », demanda Aisha tout en se penchant vers l’avant avec enthousiasme.

Je n’avais pas envie de revenir sur ce sujet, mais… c’était logique qu’elles soient curieuse à ce sujet.

« Eh bien, tu vois… »

Souriant maladroitement, j’avais pris quelques minutes pour mettre mes sœurs au courant des récents développements dans ma vie. J’avais commencé par mon retour dans la région de Fittoa, où je m’étais séparé d’Éris et étais devenu un aventurier. J’avais mentionné que j’avais contracté une maladie et que je me rendais à l’Université de magie dans l’espoir de trouver un remède. Puis j’avais expliqué que j’avais rencontré Sylphie ici, et qu’elle avait réussi à guérir ma maladie.

Bien sûr, je n’avais pas précisé que la maladie était un dysfonctionnement érectile ni le moyen par lequel Sylphie l’avait guéri. Ce n’était pas le genre de choses dont on parlait avec des filles de 10 ans. J’avais pris soin de mentionner que Sylphie se trouvait dans une situation un peu délicate qui l’obligeait à s’habiller en homme en public. La princesse Ariel m’avait déjà donné la permission de l’expliquer à tous ceux qui avaient besoin de le savoir.

Pour être honnête, il aurait été plus judicieux de ne pas en parler à mes petites sœurs. Elles n’étaient après tout que des enfants. Mais si elles devaient vivre avec nous à partir de maintenant, elles allaient inévitablement découvrir la vérité à un moment ou à un autre, ou au moins commencer à avoir des soupçons. Compte tenu des problèmes que cela pourrait causer, j’avais choisi de leur donner un aperçu de la situation dès le départ.

« … Et je suppose que cela nous amène au présent. »

Après cinq minutes environ, j’avais couvert tous les événements les plus importants.

Norn fixait toujours le sol d’un air troublé, mais Aisha m’étudiait avec inquiétude.

« Alors, ta maladie est partie, maintenant ? Pour de bon ? », avait-elle demandé.

« Oui, je suis complètement guéri. Il n’y a plus de quoi s’inquiéter. Néanmoins, je fais encore une séance de rééducation tous les quelques jours. »

« Hmm, d’accord. Oh, j’allais oublier ! », murmura Aisha pensivement avant de frapper ses mains ensemble.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« J’ai quelque chose pour toi de la part de papa. Il m’a dit de te le donner dès que je te trouverais. »

Se levant du canapé, elle se précipita au deuxième étage. Elle n’avait pas tardé à redescendre en trottinant, une boîte rectangulaire dans les mains.

« Voilà ! »

Pour une raison quelconque, la chose était sécurisée par trois gros cadenas. Prendre des précautions supplémentaires ne faisait bien sûr pas de mal, mais cela donnait l’impression d’annoncer au monde entier qu’il y avait quelque chose de précieux à l’intérieur. Mais peut-être que les verrous étaient juste là pour empêcher Aisha et Norn de fouiller dans le contenu et de le perdre.

J’avais utilisé un peu de magie pour ouvrir les trois serrures simultanément.

« Oh ! Uhm, j’ai les clés ici, si tu veux… »

« Hm ? Ah, merci. »

Aisha s’était figée de surprise avec un trousseau de clés dans sa main. Je les lui avais pris et les avais mis dans ma poche. Ce n’était pas comme si j’en avais besoin. Il était maintenant temps d’ouvrir la boîte mystérieuse.

« Uh, Wow… »

Eh bien, c’était une cachette. Il y avait une quantité significative d’argent à l’intérieur, dont une douzaine de pièces d’or royale, et une petite horde de divers métaux précieux. Il était difficile d’estimer leur valeur exacte au premier coup d’œil, mais ils rapporteraient une jolie somme si je les vendais tous.

Ce devait être le soutien financier dont Paul avait parlé dans sa lettre. Si je l’utilisais avec sagesse, cela suffirait à maintenir ma famille à flot pendant une dizaine d’années. Je devais m’assurer que je ne le dépensais pas inconsidérément.

Il y avait aussi deux feuilles de papier attachées à l’intérieur du couvercle de la boîte. Je les avais enlevées et j’avais jeté un coup d’œil.

La première était une lettre de Paul, la même qui m’était parvenue quelques jours auparavant. Mais la seconde était un message de Lilia. Elle décrivait en détail l’état actuel de l’éducation d’Aisha et de Norn et expliquait ce qu’elle considérait comme leurs « défauts ».

De l’avis de Lilia, Aisha était une enfant talentueuse qui échouait rarement dans tout ce qu’elle entreprenait, mais cela lui avait laissé une tête enflée. On m’avait conseillé d’être strict avec elle. Norn était une petite fille ordinaire, mais le fait d’être constamment comparée à sa sœur à l’école l’avait rendue maussade et renfermée, et elle se montrait dure aux yeux de tous. On m’avait demandé de la traiter avec douceur et gentillesse.

J’avais l’impression que Lilia était assez bizarrement un peu dure avec sa fille. Elle semblait toujours se considérer comme la maîtresse ou l’amante de Paul, plutôt que comme sa seconde épouse. Peut-être que ça avait quelque chose à voir avec ça ? Honnêtement, mon instinct me disait de traiter mes petites sœurs aussi équitablement que possible.

Pourtant… d’après cette lettre, Aisha était vraiment une enfant remarquablement douée. Il y a un an, Lilia était à court de choses à lui apprendre. Elle avait une bonne maîtrise de la lecture, l’écriture, les mathématiques, l’histoire et la géographie. De plus, elle était douée pour le nettoyage, la lessive, le ménage et la cuisine. Elle avait même atteint le niveau débutant dans le Style du Dieu de l’Eau — et aussi avec les six éléments de base de la magie.

Alors qu’elle avait été inscrite dans une école à Millishion, Roxy et les autres étaient arrivés peu après, Aisha n’avait donc pratiquement pas passé de temps dans une salle de classe ces derniers temps. Et pourtant, elle était arrivée jusqu’ici. Ce n’était pas étonnant que Norn ait un peu un complexe d’infériorité.

***

Partie 2

Norn était fondamentalement une enfant ordinaire. Elle n’avait pas de forces ou de faiblesses notables au niveau scolaire. Cela la plaçait à minima bien en avance sur Éris à son âge. Dans la plupart des classes, elle se situait au milieu du peloton, ou juste un peu en dessous. Cependant, sa vie avait été sérieusement perturbée par tous ces voyages. Vu les circonstances, on pouvait dire qu’elle s’en sortait plutôt bien. Elle n’avait en tout cas pas renoncé à s’améliorer.

Il n’y avait pas d’autres messages dans la boîte. J’avais vraiment espéré quelques mots de Roxy, mais il s’agissait de lettres familiales intimes, elle s’était donc probablement abstenue par politesse.

« Très bien. Une fois que vous serez toutes les deux installées, je suppose que notre prochaine étape sera de vous faire retourner à l’école. », avais-je dit en posant les lettres.

« Quoi ?! Non ! »

Pour une raison inconnue, ce fut Aisha qui s’était immédiatement levée pour objecter. J’avais été un peu surpris par cela. Peut-être que sa dernière expérience dans le système éducatif n’avait pas été très agréable.

« Je n’ai plus rien à apprendre à l’école, Rudeus ! J’ai travaillé très dur pour pouvoir être une bonne servante pour toi ! »

« D’accord, mais… »

« Je veux être ta servante ! Tu as promis, tu te souviens ?! Regarde, j’ai toujours ce truc que tu m’as donné ! »

Défaisant sa queue de cheval, Aisha m’avait montré ce qu’elle avait utilisé pour la maintenir en place. C’était une partie du protecteur de front que je lui avais donné à l’époque. Elle avait modifié la plaque de métal protectrice pour en faire un ornement de cheveux.

Je devais admettre que ça m’avait fait plaisir de voir qu’elle avait gardé cette chose toutes ces années. Mais ça n’avait rien à voir avec le sujet du moment. Honnêtement, j’étais d’accord pour qu’elle n’aille pas à l’école si elle ne le voulait pas. Votre désir d’apprendre de nouvelles choses était plus important que le fait d’être assis dans une salle de classe toute la journée. Et si vous n’avez pas cette envie, l’école n’était qu’une perte de temps. J’étais sûr que mon passage au collège ne m’avait rien apporté.

Cela dit, la lettre de Paul m’avait clairement ordonné d’inscrire mes deux sœurs à l’école. Le concept d’éducation obligatoire n’existait pas vraiment dans ce monde, mais quand même…

« Bon, eh bien… je veux au moins que tu passes l’examen d’entrée à l’Université de la Magie. Je prendrai ma décision en fonction des résultats. »

« Hein ? Ooh, j’ai compris. D’accord ! Pas de problème ! »

Le sourire d’Aisha était plein de confiance. Elle semblait convaincue qu’elle pouvait obtenir les meilleures notes à n’importe quel test que je lui proposais. Bien sûr, si elle y arrivait, elle pouvait sans doute arrêter l’école. Et je serais en mesure de justifier ma décision à notre père.

« Norn, pourquoi tu ne passerais pas le test aussi, pendant qu’on y est ? »

Les yeux de Norn s’étaient tournés vers moi au moment où j’avais parlé, mais elle n’avait pas bougé la tête. Ça commençait à m’énerver. Est-ce que cette gamine allait me donner le traitement silencieux pour le reste de ma vie ou quoi ?

« Je pense que je pourrais vraiment échouer », avait-elle finalement murmuré après une longue pause.

C’était comme si c’était la première fois qu’elle me parlait vraiment. Ce qui n’était bien sûr pas vrai du tout, mais je me sentais quand même soulagé. Ça faisait vraiment mal d’être ignorée.

« Ne t’inquiète pas trop pour ça, Norn. N’importe qui peut entrer dans cette école s’il a assez d’argent », avais-je dit.

« Quoi… ? Je ne veux pas que tu m’achètes une place ! »

Oups. Je suppose que j’avais fait croire que j’allais la faire entrer en douce par la porte de derrière.

« Hey, Norn ! Tu ne devrais pas parler à Rudeus comme ça ! », siffla Aisha.

« Tu as entendu ce qu’il a dit, non ? Il a dit qu’il allait soudoyer quelqu’un pour me laisser entrer ! »

« Eh bien, peut-être que si tu pouvais passer un test pour sauver ta vie, il n’aurait pas besoin de le faire ! »

« Me traites-tu de stupide ?! », cria Norn en attrapant sa sœur par les cheveux.

Aisha attrapa le poignet de Norn en retour et lui donna un coup au visage. En un clin d’œil, elles se tiraient et se griffaient furieusement, mais sans trop d’efficacité.

Dans un sens, c’était presque agréable de voir un combat aussi normal entre deux enfants. C’était mieux que de voir l’une d’elles frapper l’autre à la mâchoire, puis de l’enjamber pour la battre brutalement. Cela dit, bien qu’une petite bagarre ne soit pas la pire chose au monde, celle-ci était de ma faute. Je devais intervenir.

« Arrêtez ça, vous deux. »

Les mots étaient sortis plus brusquement que je ne l’avais prévu. Les deux avaient sursauté et avaient instantanément arrêté de bouger leurs mains.

« … »

Norn avait de nouveau baissé les yeux vers le sol, son expression étant encore plus maussade qu’auparavant. Je pouvais voir des larmes s’accumuler dans ses yeux.

Nous avions clairement un petit problème ici. Elle était encore plus sensible à ce sujet que je ne le pensais.

« Laisse-moi te l’expliquer, Norn. L’université de cette ville permet à tout le monde d’y aller, quels que soient leur âge, leur race ou leurs talents… tant qu’ils peuvent payer les frais. Je ne voulais pas dire que j’allais payer quelqu’un pour te laisser entrer. »

Reniflant doucement, Norn essuya les larmes de ses yeux, mais ne répondit pas.

« Tu te souviens de ma tutrice Roxy, n’est-ce pas ? Elle est aussi venue ici. C’est une bonne école, avec beaucoup de professeurs sympas qui peuvent t’apprendre toutes sortes de choses. Tu pourrais y trouver quelque chose qui t’intéresse. »

J’avais commencé à dire qu’elle pourrait trouver quelque chose dans lequel elle était meilleur que sa sœur, mais je m’étais ravisé au milieu de la phrase. Ce n’était vraiment pas le bon moment pour les comparer.

Norn continua à regarder le sol pendant un moment, mais elle finit par parler.

« OK. Je vais le faire cet idiot de test. »

Dès que les mots étaient sortis de sa bouche, elle repoussa bruyamment sa chaise et sortit du salon.

Aisha cria dans son dos : « Norn ! On n’a pas encore fini de parler ! »

« Oh, la ferme ! »

Norn monta les escaliers en tapant du pied. Quelques secondes plus tard, une porte claqua au deuxième étage.

Cela allait… être vraiment délicat. La fille était clairement à un âge difficile, et elle avait une personnalité piquante. Je n’étais pas sûr d’être bien équipé pour la gérer.

« Honnêtement, Norn ne changera jamais. C’est tellement ennuyeux de devoir faire plaisir à des enfants boudeurs. N’es-tu pas d’accord, Rudeus ? », dit Aisha en haussant les épaules.

Nous avions aussi quelques problèmes sur ce front. Ce genre d’attitude n’allait pas vraiment aider les choses.

« Aisha… »

« Oui ? »

« Je ne veux pas que tu insultes Norn comme ça. Surtout pas à propos de ses performances à l’école. »

« Quoi ? Mais elle essaie à peine, Rudeus. », dit Aisha en faisant la moue

« Ça peut te paraître comme ça, bien sûr. Mais je pense qu’elle fait de son mieux, à sa façon. »

« … Eh bien, si tu le dis. Je vais essayer de garder mes opinions pour moi. »

C’était agréable à entendre, mais elle ne semblait pas particulièrement disposée. Tout ce que je dirais ne serait probablement pas très convaincant pour le moment. Je ne les connaissais pas très bien, et je n’avais pas la moindre idée de la façon de traiter avec des filles de dix ans.

Ça allait être un chemin semé d’embûches.

*****

En début d’après-midi, j’avais laissé mes deux sœurs à la maison et m’étais rendu à l’Université de Magie. Je m’étais dirigé vers les bureaux de la faculté, j’avais trouvé le vice-principal Jenius et j’avais rapidement expliqué la situation.

« Elles étaient toutes les deux scolarisées dans d’autres écoles auparavant, c’est ça ? Je pense qu’elles devraient donc être en mesure de suivre les cours d’introduction. Il serait préférable qu’elles passent l’examen le plus tôt possible. »

Après une petite discussion, nous avions décidé de fixer la date de l’examen dans sept jours. Elles n’auraient pas beaucoup de temps pour étudier, mais ce n’était pas vraiment un problème.

« Je dois dire que je suis plutôt excité de les rencontrer. Si ce sont vos sœurs, elles doivent être très talentueuses. », dit Jenius.

« L’une d’elles est une sorte de prodige, mais l’autre n’est qu’une fille ordinaire. »

« J’espère que vous n’êtes pas encore modeste. Je m’attendais à ce qu’elles soient toutes deux capables de lancer des sorts silencieux. »

« Non, non, rien de tout ça… »

Alors que nous nous engagions dans ce va-et-vient poli, une pensée sans rapport m’était venue à l’esprit.

« Au fait, Vice Principal Jenius, savez-vous si Badigadi est sur le campus aujourd’hui ? »

« … Le Seigneur Badigadi ? Non, je ne crois pas l’avoir vu aujourd’hui. »

« Ah. Très bien, alors. »

Pour un gars si grand et si fort, Badi pouvait être vraiment insaisissable quand il le voulait. Mais quand il décidait de faire une apparition, il était impossible de le manquer.

« Si vous avez des affaires avec lui, je pourrais lui transmettre un message… »

« Non, il n’y a rien d’urgent. J’espère juste pouvoir m’asseoir et discuter avec lui d’une de nos connaissances communes. Je pense qu’il pourrait y avoir un malentendu que je pourrais éclaircir. »

« Compris. Si je le vois, je lui en ferai part. »

J’avais remercié poliment le vice-principal pour son aide, puis j’avais poursuivi mon chemin.

J’avais l’intention de rentrer directement chez moi après, mais j’avais un peu de temps libre, alors j’étais passé voir Nanahoshi à la place. J’avais frappé à sa porte et étais entré, mais j’avais trouvé sa salle de recherche vide. C’était inhabituel à cette heure-ci. La fille était essentiellement une grabataire.

J’avais jeté un coup d’œil dans sa salle d’expérience dédiée, mais elle n’y était pas non plus. On m’avait strictement interdit d’entrer dans sa chambre, mais j’avais frappé à la porte, juste au cas où.

« Hmm ? Guhhhh… »

Un long et misérable gémissement émergea de l’intérieur. On aurait dit qu’elle était en détresse.

J’avais hésité, me demandant si je devais essayer d’entrer. Mais après un petit moment, Nanahoshi avait ouvert la porte elle-même. Son visage était d’une pâleur alarmante.

« Uh, hey. Est-ce que tu vas bien ? »

« Ma… ma tête me fait mal… je pense… que je vais être malade… »

Gah. Elle pue l’alcool.

Maintenant que j’y pensais, le fait qu’elle avait la gueule de bois n’était pas une surprise. Elle avait vraiment fait une pause la nuit dernière. Au contraire, elle avait eu de la chance de ne pas s’être empoisonnée à l’alcool.

« Viens t’asseoir une seconde, Nanahoshi. Je vais t’arranger ça. »

J’avais traîné mon amie titubante dans sa salle d’expérience, l’avais assise sur une chaise, puis avais pris sa tête entre mes mains. Après avoir lancé un sort de désintoxication de base, j’avais ajouté un peu de magie de guérison pour soulager la douleur.

« Ouf… Merci, Rudeus. Je t’en dois une. »

Secouant lentement la tête, Nanahoshi pressa ses doigts sur ses tempes. Après un moment, elle se retourna et mit le masque qu’elle avait laissé sur sa table.

Je parlais à Silent Sevenstar maintenant, apparemment.

« Quoi qu’il en soit, as-tu besoin de quelque chose de ma part ? Si c’est à propos de ta récompense, elle n’est pas encore prête. J’apprécierais que tu patient un peu. »

Ses paroles étaient toujours aussi froides, mais il y avait une pointe de gêne dans sa voix. Serait-elle l’une de ces « kuuderes » dont j’avais tant entendu parler ?

« Je n’ai besoin de rien. Mes deux petites sœurs ont débarqué chez moi tout à coup, alors je suis passé au campus pour leur faire passer l’examen d’entrée. Je me suis juste arrêté pour te voir, puisque j’étais dans le coin. », avais-je dit.

« … Tes sœurs ? Attends, ce sont tes sœurs de l’autre monde ? Ont-elles aussi été amenées ici ? »

« Nan. Ce sont mes sœurs de ce monde. Elles sont nées et ont été élevées ici. »

« Je vois. Eh bien, si elles sont tes sœurs dans ce monde, j’imagine qu’elles sont plutôt adorables, » murmura Nanahoshi pensivement tout en fixant mon visage.

« Attends, tu me complimentes sur mon apparence ou quoi ? »

« Selon les normes de notre ancien monde, tu es objectivement un bel homme. Je ne sais pas à quoi tu ressemblais de l’autre côté, mais là, tu pourrais passer pour un mannequin européen. N’es-tu pas d’accord ? »

« Euh, je suppose que oui. »

Je ne m’attendais pas à ça…

***

Partie 3

Je devais faire attention à ce que je faisais avec cette fille. Dans ma vie antérieure, j’aurais pu penser qu’elle avait un faible pour moi. Mais je n’étais plus vierge, bon sang ! Je n’étais même pas célibataire ! Elle n’allait pas me faire perdre la tête aussi facilement.

« Quel âge ont-elles ? », demanda Nanahoshi.

« Je pense qu’elles ont toutes les deux 10 ans. »

« Je vois. J’ai en fait un petit frère qui a à peu près le même âge. Mais je suppose qu’il est plus âgé que moi maintenant, si le temps passe au même rythme chez nous… »

C’était difficile à dire à travers le masque, mais elle avait l’air nostalgique. Elle se souvenait probablement de sa vie au Japon. Personnellement, je n’avais pas beaucoup de souvenirs agréables associés au mot frère.

« Eh bien, tu me donnes maintenant envie de pudding », marmonna Nanahoshi.

Quoi ? D’où est-ce que ça vient ?

« Euh, as-tu de bons souvenirs de pudding ? »

« Le petit con avait l’habitude de manger ceux que je mettais au frigo pour plus tard. Ces trucs étaient en plus vraiment chers… »

Un truc classique de petit frère. Ça ne m’avait pas semblé être le plus beau des souvenirs, mais Nanahoshi avait clairement le mal du pays. Elle regardait le plafond, retenant ses larmes. J’avais détourné les yeux pour ne pas l’embarrasser.

« Eh bien, de toute façon. Je repasserai bientôt, d’accord ? », avais-je dit.

« Très bien… Euh, au fait, désolée pour tous les problèmes de tout à l’heure. Tu as beaucoup amélioré l’opinion que j’ai de toi. »

« Heh. Mais ne tombe pas amoureuse de moi, petite. Tu vas te brûler… »

« Pardon ? Est-ce que tu t’entends bien là ? »

« Allez ! C’était censé être un trait d’humour ! »

Une fois que je lui avais expliqué cela, Nanahoshi gloussa un peu, mais ça semblait un peu forcé. Les enfants de nos jours ! Ils n’appréciaient pas les classiques.

En tout cas, la fille n’était clairement pas en état de mener des expériences aujourd’hui. Je n’avais pas non plus le temps d’aider. Nous devrons reprendre nos recherches plus tard, une fois que les choses se seront un peu calmées.

*****

Une fois la journée d’école terminée, j’avais retrouvé Sylphie et nous étions rentrées ensemble. Je voulais avoir son avis sur Norn et Aisha. Elle était beaucoup plus proche de leur âge, j’espérais donc qu’elle pourrait avoir quelques idées.

Mais avant que je puisse aborder le sujet, Sylphie prit la parole.

« Oh, c’est vrai. On va s’arrêter au marché, Rudy. Il y a plus de monde dans la maison maintenant, on va donc avoir besoin de plus de nourriture. »

Sa demande me semblant raisonnable, nous avions donc fait un petit détour.

Dès que nous avions mis le pied à l’intérieur du marché, la douce odeur des haricots m’avait frappé le nez de toutes parts. Le marché du quartier du commerce était toujours très animé le soir. Les gens avaient tendance à penser que les marchés étaient plutôt matinaux, mais ceux de ce quartier vendaient beaucoup de viande fournie par les chasseurs ou les aventuriers. Les chasseurs avaient des horaires imprévisibles, mais les aventuriers avaient tendance à passer leurs journées à tuer des monstres dans les forêts ou les plaines. Naturellement, la viande qu’ils ramenaient avec eux le soir avait tendance à être vendue la nuit.

Il n’y avait pas beaucoup de variété dans la nourriture disponible ici, et la plupart des ingrédients étaient assez chers. Mais le Royaume de Ranoa et les autres nations magiques étaient en fait mieux lotis que la plupart des pays de cette région. Si vous pouviez vous le permettre, il y avait au moins de la viande disponible ici. Si vous vous dirigiez plus à l’est, vous trouveriez des pays où il n’y avait que peu d’aliments frais à acheter à des prix hors d’atteinte.

En dehors du marché lui-même, vous pouviez également trouver quelques emplois pour les aventuriers postés dans cette zone de la ville. La plupart d’entre eux consistaient à congeler de la viande fraîche par magie — des emplois populaires auprès des jeunes étudiants universitaires qui avaient appris les rudiments de la magie et avaient besoin d’argent de poche.

Sylphie et moi nous étions promenés, choisissant les ingrédients pour le dîner. J’en avais profité pour lui raconter tout ce qui s’était passé aujourd’hui.

« Eh bien, je pense que tu as raison. On dirait qu’elles ne s’entendent pas très bien toutes les deux. »

« Franchement, je ne suis pas sûr de ce qu’elles pensent. Je suppose que je ne sais plus comment voir le monde à travers les yeux d’un enfant. »

« C’est dur, oui. »

« Aisha semble cependant déterminée à devenir notre bonne au lieu d’aller à l’école. Tu as une idée à ce sujet ? »

« Hmm. Je n’ai pas pu consacrer beaucoup de temps aux tâches ménagères, avec déjà tout ce que je dois faire… donc personnellement, j’apprécierais l’aide. »

Le sourire de Sylphie avait l’air sincère. C’était bien de savoir qu’elle ne voyait pas ça comme une intrusion dans son domaine.

« Le truc, c’est que nous sommes les adultes ici, et c’est une enfant. », avais-je dit

« Oui. »

« Crois-tu qu’on a la responsabilité de l’envoyer à l’école ? Elle pourrait finir par y découvrir de nouveaux centres d’intérêt, non ? »

« Hmm. Eh bien, tu dois avoir sans doute raison. On pourrait l’encourager à prendre toutes sortes de cours bizarres et voir si quelque chose l’attire… »

Sylphie avait fait une pause pensive et mit sa main sur son menton, semblant déchirée entre les options que j’avais placées devant elle.

Puis j’avais suivi son regard et réalisé qu’elle considérait deux morceaux de jambon de prix différents.

« Allez, Sylphie. Je suis sérieusement en conflit avec cette idée. Au moins, réfléchis-y avec moi. »

« J’y réfléchis ! Mais tu sais, Rudy, je suis sûre que tu sous-estimes un peu Aisha. C’est une fille très intelligente. »

« Je sais. Et alors ? »

« Je pense qu’elle s’en sortira très bien, qu’elle aille à l’école ou pas. »

« Hmm… »

« Cela dit, peut-être qu’on ne devrait pas trop y penser. La laisser faire ce qu’elle veut est l’option la plus simple, non ? »

Je ne m’attendais pas à une telle preuve de confiance envers ma sœur. Mais Sylphie les avait connues quand elles étaient beaucoup plus jeunes ? Elle avait dû voir de ses propres yeux ce dont Aisha était capable.

« Honnêtement, je suis plus inquiète pour Norn. Elle est manifestement anxieuse, et je pense que ton père et Ruijerd lui manquent. Nous devons nous assurer que nous prenons bien soin d’elle, d’accord ? », dit-elle.

« Oui… Tu as raison sur ce point. »

La voix de Sylphie était calme, ses mots raisonnables et mesurés. Cela me fit réaliser à quel point j’étais agité par contraste. Ma femme était vraiment une femme fiable. J’avais l’impression de recevoir des conseils de mon vieil ami, Maître Fitz. Ce qui était d’une certaine manière le cas.

« Donc, pour résumé, nous donnons à Aisha la liberté de faire ce qu’elle veut et mettons Norn sur les rails pour le moment ? », avais-je dit.

« Sur les rails ? »

« Euh, ça veut tout simplement dire qu’on lui trace un chemin à suivre. »

« Ah, ok. Ouais. Je pense que ça sonne bien. »

Était-ce vraiment bien de les traiter si différemment ? Eh bien, Aisha était beaucoup plus avancée que Norn en ce moment. Ignorer ce fait et les traiter exactement de la même façon n’aurait pas beaucoup de sens. Reconnaître leurs différences n’était pas la même chose que de jouer les favoris.

« Euh… Cela dit, Rudy, c’est finalement ta décision. Désolée si j’ai eu l’air un peu autoritaire. »

J’avais secoué ma tête.

« Non, tu m’as beaucoup aidé. Je pense que je sais comment je veux aborder ça maintenant. »

« Je ne pourrai cependant pas t’aider autant. J’ai encore mes fonctions avec la Princesse Ariel entre autres…, », répondit Sylphie en se grattant l’arrière de l’oreille avec une expression troublée.

Son travail l’éloignait souvent de la maison. Et elle semblait toujours coupable lorsque cela me causait le moindre désagrément. Parfois, j’avais l’impression que son travail lui causait plus de stress qu’elle ne le disait. Nous étions mariés maintenant, et il y avait la possibilité que je lui demande de démissionner.

Sur une impulsion, j’avais décidé de donner suite à cette pensée.

« Dis-moi quelque chose, Sylphiette, ma chère. »

« Qu’est-ce qu’il y a, mon très cher Rudeus ? »

« Supposons que je t’aurais demandé de démissionner de ton travail avec la princesse Ariel avant qu’on se marie. Qu’aurais-tu fait ? »

J’avais essayé de formuler la question le plus légèrement possible, mais lorsque Sylphie s’était tournée vers moi, son expression était très sérieuse.

« Je suppose que… je t’aurais peut-être refusé. »

Huh ? Hmm. En fait, ça pique un peu. Peut-être que j’aurais dû poser la question plus progressivement ou quelque chose comme ça. Bien. Ok, alors. Alors… elle choisirait Ariel plutôt que moi, hein ? C’est vrai…

« Oh ! »

Ayant perçu ma réaction, Sylphie s’était soudainement mise à s’agiter.

« Ne te fais pas de fausses idées, Rudy ! Je t’aime beaucoup, tu le sais ! Je veux dire, il y a plus que ça, même… Pour être honnête, je sais à peine comment l’expliquer. C’est ce grand et chaud mélange de sentiments… »

Elle était vraiment trop mignonne quand elle était déséquilibrée comme ça.

« Eh bien, je suppose que ce sont fondamentalement différents types d’amour. Je veux dire, euh… pour commencer, j’ai vraiment envie d’avoir un bébé avec toi… »

En disant ces mots, Sylphie frotta par réflexe une main sur son ventre.

Maintenant, elle me faisait rougir moi aussi. Avait-elle oublié que nous étions en public ?

« Mais j’aime aussi la princesse Ariel, tu sais ? D’une manière différente, bien sûr. Je suppose que c’est une amie très chère… »

Je ne l’avais pas encore entendue exprimer ses sentiments envers Ariel avec des mots. Mais maintenant qu’elle avait commencé, les mots continuaient à venir.

« La Princesse Ariel peut sembler parfaite de l’extérieur, mais elle a beaucoup de défauts et de faiblesses. Je sais que tu serais très bien sans moi, Rudy, mais si la princesse n’avait pas Luke et moi pour la surveiller, elle ne tiendrait pas une semaine. Je ne pourrais pas supporter de l’abandonner. »

Sylphie fit une pause pour reprendre son souffle et se gratter à nouveau derrière les oreilles, puis continua maladroitement.

« Uhm, mais tu sais… être mariée avec toi, c’est, eh bien… c’est un peu un rêve qui se réalise pour moi. Je ne veux pas y renoncer non plus. Tant que je resterais avec toi. »

Sylphie semblait avoir l’impression que c’était injuste de sa part de demander autant. Plutôt que de choisir entre moi et Ariel, elle avait l’impression de profiter de ma gentillesse pour avoir le beurre et l’argent du beurre. C’était peut-être pour ça qu’elle était toujours si… conciliante quand elle était avec moi.

C’était complètement ridicule, bien sûr.

Au lieu de répondre, je m’étais penché et j’avais déposé un baiser sur la joue de Sylphie, provoquant des huées d’amusement et quelques railleries autour de nous. Nous avions clairement attiré l’attention.

Rougissant jusqu’au bout des oreilles, Sylphie avait rapidement mis ses lunettes de soleil.

Maître Fitz était plus mignon que jamais ces jours-ci.

Au bout de quelques minutes, ma femme avait réussi à se calmer suffisamment pour que nous puissions reprendre notre course à l’épicerie. Nous nous étions éloignés du sujet principal à un moment donné, mais au moins j’avais obtenu son avis sur les problèmes les plus importants à court terme. Avec un peu de chance, elle s’entendrait avec Norn et Aisha. Ce serait d’une grande aide. Je ne pensais pas être capable de comprendre l’esprit d’une préadolescente.

« De toute façon, il se pourrait que je doive m’appuyer sur toi pour m’aider avec ces deux-là, Sylphie. Je ne suis pas très douée avec les filles. »

« Ce n’est pas grave. Tu te souviens qu’on est marié ? Je t’aiderai chaque fois que tu auras besoin de moi. »

Le sourire de Sylphie était carrément radieux. C’était agréable d’avoir une femme aussi charmante et fiable dans ma vie. Bien sûr, elle semblait penser que la Princesse Ariel serait perdue sans elle, alors que je me débrouillerais très bien toute seul. C’était… intéressant.

De la même manière, Sylphie pourrait sûrement se débrouiller sans moi. Sur ce point, au moins, les choses n’étaient plus comme avant.

Une semaine plus tard, Aisha passa son examen d’entrée comme prévu… et avait obtenu la note parfaite.

***

Chapitre 2 : La bonne et l’élève du pensionnat

Partie 1

Cet après-midi, j’étais rentré avec Norn et Aisha de l’Université de Magie.

Elles avaient toutes deux passé un test écrit standard. C’était un examen général, donné à la plupart des étudiants potentiels, quel que soit leur âge. Certaines sections couvraient divers sujets académiques, tandis que d’autres couvraient les six disciplines fondamentales de la magie. Cela ne ressemblait pas du tout à l’examen que j’avais passé, mais c’était normal.

En tout cas, Aisha avait réussi son examen.

Le Royaume de Ranoa avait des différences culturelles fondamentales avec Millis. J’étais presque sûr que le programme scolaire qu’ils enseignaient à leurs enfants était au moins un peu différent. Et pourtant, Aisha avait obtenu un score parfait au premier test qu’elle avait passé dans ce pays.

Je devais admettre que j’étais impressionné. Jenius, lui aussi, avait été tellement choqué de voir une enfant de dix ans réussir aussi bien qu’il avait proposé de l’admettre comme élève spéciale, sous certaines conditions. Mais, bien sûr, ce n’était pas ce que j’avais promis à ma sœur.

« Très bien, alors. J’ai tenu ma part du marché ! Je suis maintenant officiellement ta servante, Rudeus ! », annonça triomphalement Aisha quand nous étions entrés dans la maison.

« Veux-tu donc vraiment devenir la servante de la famille ? Même si tu fais partie de la famille ? »

« Non, non. Je suis ta servante, pas celle de la famille ! »

Donc son but était… d’être la servante personnelle de son frère. Ça me semblait un peu bizarre, mais je ne pouvais pas vraiment revenir sur ma décision.

« Bon, d’accord. Dans ce cas, euh… assure-toi de faire ce que je te dis à partir de maintenant, ok ? »

« Mais bien sûr ! Je suis à votre disposition, Maître ! »

C’était plutôt agréable d’entendre une fille m’appeler ainsi pour une fois, bien plus que Zanoba. Si cela avait été dit par une autre personne que ma petite sœur, j’aurais probablement été excité.

Mettons de côté le fait que j’étais actuellement un homme marié.

« Cela dit, gardons l’esprit ouvert pour ton avenir. Si tu as envie d’étudier quelque chose, fais-le-moi savoir. », avais-je dit

« Eh bien, je suis sûre qu’il y a quelque chose que je dois encore apprendre. Peut-être auriez-vous l’amabilité de m’enseigner personnellement, jeune maître… »

Mettant un doigt sur ses lèvres, Aisha me regarda en clignant des yeux.

J’avais compris ce qu’elle voulait dire, mais j’avais décidé qu’il était plus facile de faire la sourde oreille. Si la gamine me demandait un jour de lui apprendre à faire des bébés, je devrais la faire asseoir et lui donner un cours complet d’éducation sexuelle. Sans aucune démonstration pratique, bien sûr.

« Au fait, il y a une raison pour laquelle tu m’appelles “maître” tout d’un coup ? »

« Eh bien, je vais être votre serviteur à partir de maintenant, monsieur. Il est tout à fait naturel que je m’adresse à vous de manière appropriée. »

Oh, génial. Maintenant, elle était de retour au langage formel ridicule.

« Pour être honnête, je préférais quand tu m’appelles simplement Rudeus. On ne peut pas s’en tenir à ça ? »

« Je suis terriblement désolée, mais je dois maintenir au moins un semblant de professionnalisme. »

La gamine avait un vocabulaire solide. Pas étonnant qu’elle ait si bien réussi ce test.

Pas la peine d’insister pour l’instant. Sylphie pourrait me regarder un peu bizarrement pendant un moment, mais je sentais qu’Aisha avait gagné le droit de faire ce qu’elle voulait.

« Très bien. Assure-toi de consulter Sylphie avant d’accepter un quelconque travail pour toi, compris ? »

« Bien sûr. Ma mère m’a tout appris sur les devoirs d’une femme de chambre, je vous l’assure. Laissez-moi m’occuper de tout. »

Pliant ses mains devant elle, Aisha s’était inclinée profondément devant moi. Apparemment, j’avais maintenant une petite sœur servante. Je devais admettre que ces mots avaient une résonance étrangement puissante…

Ils sonnaient mieux que « gouvernante » ou « marginale », en tout cas. C’est probablement comme ça qu’ils l’auraient appelée au Japon.

Les résultats de Norn étaient tout à fait ordinaires.

D’après ce que Jenius m’avait dit, elle avait obtenu un score légèrement inférieur à la moyenne pour son âge. Pour être juste, la gamine avait passé une année entière à voyager jusqu’à cette ville, et puis je lui avais fait passer un test avant même qu’elle ait eu le temps de s’orienter. Elle aurait probablement fait beaucoup mieux si j’avais organisé quelques séances de tutorat avant. En d’autres termes, elle s’était bien débrouillée… sauf si on la comparait avec Aisha.

Je n’avais pas vu la nécessité de trop en faire dans ce domaine. Nous devions simplement l’aider à s’améliorer petit à petit. Elle ne sera peut-être jamais la première de sa classe, mais quelle importance ? Tant qu’elle apprenait les compétences de base dont elle avait besoin pour agir dans la société, c’était suffisant pour moi. Il n’était pas nécessaire de sortir du lot pour vivre une vie heureuse et épanouie.

« As-tu une idée de ce que tu aimerais étudier, Norn ? », avais-je demandé.

Ma sœur n’avait pas répondu. Elle avait de nouveau baissé la tête, faisant une légère moue en évitant mon regard. Elle n’avait pas du tout l’air de s’intéresser à moi. J’avais espéré pouvoir briser la glace entre nous, mais je ne savais pas par où commencer.

« Je ne pense pas connaître toutes les options possibles de mémoire. Mais je pense qu’on commence généralement par deux ou trois années de cours généraux avant de devoir choisir une spécialité. L’Université a beaucoup de cours d’introduction intéressants, alors peut-être que tu peux en essayer quelques-uns et voir si tu aimes un sujet ? Oh, et si rien ne t’intéresse particulièrement, tu peux toujours choisir la magie de guérison. Te rappelles-tu que notre mère était aussi une guérisseuse ? Il n’y a pas beaucoup de guérisseurs dans ces régions, tu pourrais donc facilement trouver un emploi une fois diplômée. », avais-je dit.

Norn ne répondant à rien de ce que je disais, j’avais donc fini par jacasser pendant un bon moment dans cette veine. Finalement, j’avais remarqué qu’elle me regardait avec une expression qui suggérait qu’elle voulait parler. J’avais fermé ma bouche et j’avais attendu.

« Je pense que je veux essayer de vivre dans les dortoirs là-bas. »

Sa voix était tendue et anxieuse, mais elle avait réussi à sortir les mots. J’avais pris un moment pour réfléchir à ce qu’elle avait dit.

« Les dortoirs, hein… ? »

Il aurait été facile de refuser catégoriquement, mais j’avais résisté à cette impulsion. Il lui avait manifestement fallu beaucoup de courage pour aborder ce sujet.

Ma première réaction avait été de penser qu’elle était trop jeune. Les filles de dix ans ne se lançaient généralement pas seules. Cependant, vivre dans les résidences universitaires n’était pas tout à fait la même chose que de louer son propre logement. De plus, vous aviez presque toujours un colocataire.

Norn ne connaissait presque personne dans cette ville, et elle n’avait pas d’amis ici. Si elle vivait dans les dortoirs, cela pourrait changer rapidement. Son âge pourrait être légèrement problématique à cet égard, mais l’université était ouverte aux étudiants de tous âges. Je savais pertinemment qu’il y avait des enfants encore plus jeunes qu’elle qui y vivaient. Les dortoirs étaient un environnement sûr avec des règles assez claires que tout le monde devait suivre. Même un enfant de l’âge de Norn pouvait y vivre confortablement, du moins en théorie.

J’aurais personnellement aimé apprendre à mieux connaître ma sœur en vivant avec elle. Mais d’après ce que j’avais vu, la forcer à rester dans le coin ne ferait que renforcer son ressentiment envers moi.

Dans ma vie précédente, j’avais passé de nombreuses années en étant enfermé. J’avais refusé de m’engager avec le reste du monde, m’enfermant dans ma chambre à la place. Pendant un certain temps, ma famille avait essayé toutes sortes de stratagèmes pour m’atteindre. Ils m’avaient tenté avec des cadeaux coûteux, m’avaient acheté de la nourriture délicieuse et avaient parlé de mon avenir sur un ton optimiste. Mais cela ne faisait que m’éloigner encore plus d’eux à chaque fois. J’avais l’impression qu’ils me considéraient comme un animal à dresser, plutôt que comme un être humain.

Je ne voulais pas que Norn se sente comme ça. Je ne voulais pas qu’elle se sente piégée ici. Je ne voulais pas que nous soyons tous les deux sur les nerfs chaque jour, essayant de lire les humeurs et les pensées de l’autre.

Peut-être que ce serait mieux pour moi de garder un œil sur elle à distance. Si elle trouvait un endroit où elle se sentait un peu plus à l’aise, il serait peut-être plus facile pour nous de nous voir clairement.

Il y avait aussi le truc d’Aisha à considérer. Elle avait tendance à être condescendante avec sa sœur. Je l’avais prévenue de faire attention, mais elle ne semblait même pas consciente qu’elle le faisait la moitié du temps. Corriger cela allait être un projet à long terme. Tant qu’elle vivrait dans cette maison, Norn serait constamment exposée au mépris de sa sœur. Et elle me verrait, le frère qu’elle méprisait, tous les jours.

En plus de tout cela, Aisha et moi avions tous deux des talents naturels inhabituels. Je ne me voyais pas comme un magicien de classe mondiale, mais la plupart des gens me considéraient comme très doué.

Il était difficile de grandir « normalement » dans une maison où vos frères et sœurs étaient exceptionnels. Je l’avais déjà vécu dans ma vie précédente.

Dans le pire des cas, je pouvais aller jusqu’à imaginer que Norn s’enfuirait de la maison un jour. Et je savais à quel point cela pouvait mal tourner, surtout pour une jeune fille. Un bâtard malade pourrait la récupérer et commencer à exiger des faveurs ou autre. Comparée à ça, elle serait bien mieux dans un dortoir sécurisé maintenant.

Sylphie avait aussi passé beaucoup de temps dans ces dortoirs. Elle revenait ici une nuit sur trois, mais entre ces visites, elle restait avec la princesse Ariel. Si quelque chose arrivait, elle était là pour aider Norn, et heureusement, Norn semblait l’apprécier. Peut-être qu’elles s’étaient ouvertes l’une à l’autre dans le bain la première nuit ou quelque chose comme ça.

Plus j’y pensais, plus ça me semblait être une bonne idée.

Dix ans, c’est un jeune âge pour vivre dans un dortoir… mais l’expérience pourrait être bonne pour elle. Elle devra apprendre à se socialiser et à coopérer avec d’autres enfants de son âge.

« OK, Norn. Si c’est ce que tu veux, je pense que je peux l’arranger. Je vais soumettre la demande pour toi. »

« Attends, quoi ?! Pourquoi la laisses-tu faire ce qu’elle veut ? Elle n’a même pas eu une bonne note ! », s’écria Aisha, la bouche béante d’incrédulité.

Où étaient donc passés tous ces discours sur le professionnalisme ? Ça avait dû lui échapper à un moment donné au cours des cinq dernières minutes.

« Aisha, je… »

« J’ai travaillé très dur pour ça, Rudeus ! Ce n’est pas juste ! »

Je pouvais comprendre où Aisha voulait en venir. De son point de vue, j’avais l’air de faire du favoritisme avec Norn. En ce qui concernait Aisha, elle avait gagné le droit de faire ce qu’elle voulait en obtenant une note parfaite à son test. Je devais supposer qu’elle avait fait beaucoup d’études secrètes au cours de la semaine dernière pour y arriver.

Norn, d’un autre côté, n’avait pas fait grand-chose, mais j’avais déjà décidé de lui donner ce qu’elle voulait. Cela avait dû sembler manifestement injuste.

Qu’avaient dit mes parents dans ma vie antérieure quand je faisais des histoires pour ce genre de choses ? Je ne me souvenais pas exactement, mais j’avais l’impression que c’était surtout des variations sur « Tu feras ce qu’on te dit » ou « Nous savons ce qui est le mieux pour toi, jeune homme ».

Ces mots m’avaient-ils déjà satisfait ? Eh bien, non.

Est-ce que l’approche sévère marcherait sur Aisha, alors ? Non. Probablement pas.

C’était vraiment une enfant très intelligente. Si j’expliquais mon raisonnement en détail, elle pourrait comprendre… peut-être ? Si j’avais de la chance ?

Ça ne pouvait pas faire de mal d’essayer d’en parler.

***

Partie 2

« Aisha, je ne récompense pas Norn pour quoi que ce soit. J’ai juste réfléchi, et je suis arrivé à la conclusion que vivre dans les dortoirs pourrait être ce qu’il y a de mieux pour elle. »

« Mais… »

« Norn ne connaît encore personne dans cette ville, et malheureusement… je pense également qu’elle n’aime pas beaucoup être près de moi. Je ne veux pas la garder enfermée dans cette maison si elle doit y être malheureuse. »

« Mais papa… papa a dit que nous étions censés vivre ensemble ! »

Hm. C’était un bon point. Maintenant, je me sentais un peu tenter de tout reprendre.

Non, non, ça ne serait pas bien. Mon travail ici n’était pas de suivre aveuglément mes ordres. Paul avait fait beaucoup d’erreurs lui-même, non ? Mon jugement n’était pas parfait, bien sûr, mais je devais lui faire confiance pour le moment.

« Je vais toujours prendre soin d’elle, bien sûr. Vous êtes toutes les deux de ma famille, et je suis là pour vous quoi qu’il arrive. Mais il semble que Norn ne soit pas heureuse ici, et je pense que vivre dans les dortoirs pourrait l’aider à trouver son équilibre. »

« … »

Maintenant, c’était au tour d’Aisha de baisser sa tête dans un silence maussade. Pour une raison quelconque, il y avait des larmes dans ses yeux.

« Es-tu plus gentil avec elle parce que ma mère n’est que la maîtresse ? », avait-elle dit.

La question m’avait pris complètement par surprise. Dès que j’avais entendu le mot « maîtresse », j’avais su que nous étions en territoire dangereux.

« Lilia n’est pas une maîtresse, Aisha. Qui t’a dit qu’elle l’était ? Était-ce papa ? J’espère que ce n’était pas Norn. »

« Maman l’a dit elle-même ! Et… la grand-mère de Norn l’a aussi dit… »

Les larmes coulaient sur son visage maintenant.

Lilia et la grand-mère de Norn… C’était donc la famille de Zenith.

Que Lilia se rabaisse elle-même était une chose. Je savais qu’elle se sentait toujours coupable de tout ça. C’est pourquoi elle avait consciemment continué à jouer le rôle de la bonne de la famille, plutôt que d’agir comme l’égale de ma mère. Il était peut-être naturel qu’elle attende d’Aisha qu’elle se comporte de la même manière avec Norn, la fille de Zenith. Je devais supposer que Paul traitait ses deux filles de la même façon. Mais dans l’esprit de Lilia, au moins, les deux n’étaient pas égales.

Quant à la famille Latria… D’après ce que j’avais entendu, c’était une maison aristocratique avec une histoire riche. Je n’avais rencontré que ma tante, Thérèse, qui n’était pas une mauvaise personne, mais en tant que groupe, ils avaient probablement des idées très arrêtées sur l’adultère et le statut social. Ils s’étaient probablement occupés de Norn tout en ignorant complètement Aisha. Ils n’étaient après tout pas liés à elle par le sang.

Logiquement, il était difficile pour moi de les blâmer ou de blâmer Lilia pour leurs actions.

« Tu la préfères… parce que je suis juste ta demi-sœur… ? Hic… »

Aisha sanglotait maintenant, frottant ses poings contre son visage froissé.

Mais, quelles que soient leurs raisons, ils avaient quand même blessé une enfant innocente.

Je m’étais trompé dans mes hypothèses. Aucune de mes sœurs n’allait être facile à gérer.

« Aisha, je n’ai jamais considéré Lilia comme la maîtresse de mon père. Et en ce qui me concerne, toi et Norn êtes purement et simplement toutes les deux mes sœurs. »

« Mais je… j’ai étudié si dur pour ce test… j’ai essayé si dur…et Norn a juste… juste réussi à… »

Entre deux reniflements, Aisha balbutia d’autres plaintes.

Elle avait donc bachoté secrètement pour le test. Ça avait dû être… stressant. Je ne l’avais après tout prévenue qu’une semaine à l’avance. Elle avait évidemment gagné ce score parfait.

« Écoute, Aisha. »

« Qu-Quoi ? »

« C’est peut-être difficile pour moi d’expliquer ça, mais je comprends. Je sais que tu as travaillé très dur, et je suis fier de toi. C’est pourquoi j’ai accepté de te laisser faire ce que tu voulais. »

« Mais tu as dit… tu as dit que Norn pouvait aller vivre dans les dortoirs, et elle… »

Aisha renifla bruyamment à ce moment-là, laissant sa lèvre inférieure frémir. C’était une technique efficace, mais je n’avais pas reculé. Je n’étais pas vraiment injuste ici.

« C’est différent, Aisha. Je prends ça au cas par cas, d’accord ? Si tu me disais que tu voulais aller vivre dans les dortoirs maintenant, tu aurais ma permission de le faire. Mais si Norn disait qu’elle voulait rester ici et faire le ménage au lieu d’aller à l’école, je ne le permettrais pas. Tu as gagné le droit de le faire avec ton score à ce test. »

Aisha fronça les sourcils et s’était tue.

Et après une pause douloureusement longue, elle avait finalement répondu : « D’accord. »

Mes arguments ne l’avaient clairement pas satisfaite, mais elle avait fini par les accepter.

Norn regarda tranquillement, sans avoir l’air particulièrement heureuse.

J’avais l’impression de commencer à comprendre la situation. La famille de Zenith avait traité Aisha comme la fille illégitime de la maîtresse de Paul, et Aisha avait canalisé cela en essayant d’être meilleure que Norn en tout. Mon père ne les avait probablement pas traitées différemment, mais les circonstances avaient quand même creusé un fossé entre elles. Leur relation avait été déformée bien avant qu’elles ne m’atteignent.

Pourtant, la famille Latria était assez éloignée de nous maintenant. Personne dans cette ville n’allait se moquer d’Aisha à cause de qui était sa mère. Tant que je jouais mon rôle avec soin, ce problème finirait par s’estomper.

« Au fait, Norn, il y a une condition à cette offre. Je veux que tu viennes nous rendre visite ici une fois tous les dix jours au minimum. »

Norn fronça les sourcils à ce sujet.

« Pourquoi ? »

« Parce que je suis inquiet pour toi. »

J’avais aussi la responsabilité de garder un œil sur elle. Ce ne serait pas très agréable de dire à Paul que j’avais jeté sa fille chérie dans un dortoir et que je l’avais ensuite oubliée.

« … Très bien. »

Et bien qu’elle semblait extrêmement réticente, Norn était au moins d’accord.

*****

Maintenant que nous avions finalement élaboré un plan initial, il était temps pour nous de réorganiser nos vies pour l’adapter.

Je m’étais arrangé pour que Norn s’inscrive à l’Université de Magie, et j’avais fait une demande pour lui assurer une place dans les dortoirs. Bien sûr, j’avais aussi expliqué la situation à Sylphie et je lui avais demandé d’aider Norn si elle rencontrait des problèmes.

« Quoi ? Tu vas vraiment repousser Norn comme ça ? »

Sylphie avait d’abord critiqué mon plan. Sa première impulsion était de garder Norn dans notre maison pour que nous puissions la couvrir d’affection jusqu’à ce qu’elle commence à nous faire un peu plus confiance. Ce n’était pas une option déraisonnable, mais au vu de la façon dont Norn avait semblé mal à l’aise durant la première semaine, je n’arrivais pas à me convaincre que c’était notre meilleure chance.

« Je pense qu’Aisha et Norn feraient mieux de vivre séparément pendant un certain temps. Il semblerait que la famille de ma mère a dû faire passer un moment difficile à Aisha, car c’était la fille d’une “maîtresse”. Je ne veux pas repousser Norn, mais je pense qu’elles ont toutes les deux besoin d’espace en ce moment. », avais-je dit.

« Hmm… Eh bien, je ne savais rien de tout cela. Très bien, alors. Je suppose que je vais devoir garder un œil sur Norn chaque fois que je le pourrai. »

Sylphie ne sera pas là tous les jours, mais c’était mieux que rien. Espérons que tout se passera pour le mieux.

Aisha, pour sa part, avait rapidement assumé son nouveau rôle de femme de ménage.

Elle était très douée pour cela. Dès qu’elle avait commencé à prendre en charge les tâches ménagères, notre vie était devenue nettement plus facile. Elle s’occupait déjà du nettoyage et de la lessive, ce qui signifiait que toutes mes corvées avaient disparu. Je ne pouvais plus frotter mon visage contre les sous-vêtements sales de Sylphie, je devais donc faire du mieux que je pouvais.

Sylphie s’occupait toujours des courses et de la cuisine. C’était un rôle qu’elle voulait conserver. Mais Aisha était toujours là pour l’aider.

En dehors de ces tâches principales, ma nouvelle bonne avait également commencé à s’occuper d’un certain nombre de choses qui ne m’avaient jamais effleuré auparavant. Elle était allée par exemple saluer nos voisins, et s’était arrangée pour faire ramoner notre cheminée. Cette fille était très vive d’esprit et, en plus, elle travaillait dur. Elle excellait dans tout ce qu’elle entreprenait, et je ne l’avais jamais vue faire une erreur majeure. Je me doutais bien qu’il fallait faire beaucoup d’effort pour maintenir cette image de perfection.

Pour une raison ou une autre, il semblerait qu’elle voulait sérieusement faire de ce métier de femme de chambre son occupation à plein temps. Quand elle était au travail, elle laissa tomber son petit jeu de la sœur collante et se transformait en une professionnelle presque robotique. La formation de Lilia avait évidemment été très approfondie.

En général, Aisha passait la plupart de ses heures de travail en aidant autour de la maison. Quand nous rentrions à la maison, elle aidait Sylphie pour le dîner ou m’aidait à préparer le bain. Lorsque nous prenions un bain, elle nous préparait des vêtements de rechange, puis brossait les cheveux de Sylphie. Et les soirs où Sylphie repartait pour son service de nuit, elle apportait son manteau à la porte et l’accompagnait d’un salut poli.

Sylphie, qui n’avait pas l’habitude d’être chouchoutée de la sorte, réagissait maladroitement aux attentions d’Aisha. C’était toujours amusant de les voir interagir.

Lorsque nous avions des invités, Aisha s’assurait également de les rendre heureux et de les divertir. Mais ce n’était pas comme si cela arrivait très souvent. La seule personne qui s’était arrêtée récemment était Nanahoshi, cherchant à me remercier formellement pour mon aide antérieure. Elle avait apparemment commandé quelque chose pour moi en guise de récompense : le cercle magique pour un sort d’invocation spécifique qui pourrait m’être utile. Elle avait promis de me le remettre et de m’expliquer comment l’utiliser avant que nous passions à la deuxième étape de ses expériences.

Aisha avait sauté sur l’occasion pour prodiguer son hospitalité à notre invité. Elle avait fait couler un bain pour Nanahoshi, lui avait préparé des vêtements de rechange et l’avait même aidée à se laver.

Nanahoshi semblait exaspérée par toute cette attention. En partant, elle m’avait grommelé quelque chose à propos du « monstre » que j’étais pour « faire travailler ma propre petite sœur jusqu’à l’os ».

Je pense qu’elle préférait que ses bains soient paisibles, tranquilles et solitaires. Il faudrait que je dise à Aisha de lui laisser un peu d’intimité la prochaine fois.

Aisha ne se détendait même pas après le dîner. Quand je m’installais dans le salon, elle s’affairait à entretenir le feu ou à m’apporter des boissons chaudes. Pour être honnête, le fait de voir ma propre sœur qui agissait comme ma servante personnelle était vraiment bizarre. Mais comme Aisha semblait heureuse de cet arrangement, j’étais prêt à laisser les choses continuer ainsi pendant un certain temps. Je ne voulais pas la forcer à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas faire.

Cependant, après avoir atteint cette conclusion, je m’étais souvenu de ma théorie selon laquelle votre capacité de mana était partiellement déterminée par la quantité de magie que vous utilisez dans votre enfance. Si Aisha n’allait pas à l’école, je pouvais au moins lui donner un petit entraînement à la magie. À l’âge de dix ans, sa capacité de mana n’allait probablement pas beaucoup changer, mais elle n’était pas non plus figée. Et il serait préférable qu’elle connaisse au moins la magie offensive de niveau intermédiaire. Les sorts de débutant étaient suffisants pour une personne ordinaire vivant une vie paisible, mais les intermédiaires étaient plus utiles si vous aviez un jour besoin de vous défendre.

***

Partie 3

« Aisha, viens par ici. Entraînons-nous à la magie pendant un moment. »

« Oh ! Tu vas m’apprendre, Rudeus ?! Vraiment ?! »

Aisha trotta vers moi avec un grand sourire sur son visage. Malgré toute sa discipline, la gamine avait tendance à laisser tomber le personnage de la « bonne à tête froide » dès que quelque chose la faisait émouvoir. Elle avait encore du chemin à parcourir avant qu’elle soit une vraie rivale pour Lilia.

« Oui, je pense qu’apprendre un peu plus est une bonne idée. Je sais que tu n’es peut-être pas très intéressée, mais… »

« Mais je le suis, pourtant ! Bien sûr que je le suis ! Je t’en prie, vas-y ! », dit-elle en sautant sur mes genoux.

Cette fille pouvait être terriblement mignonne quand elle le voulait.

Notre première séance de tutorat avait été productive. Elle n’avait pas pris le temps d’apprendre les sorts intermédiaires, mais j’avais l’impression qu’elle aurait pu les apprendre assez rapidement avec un bon manuel. Elle n’était cependant pas capable de lancer des sorts silencieux. Elle était certainement trop âgée pour apprendre cette compétence particulière.

J’avais passé en revue certaines choses, puis je lui avais donné un simple devoir à faire : utiliser autant de magie que possible chaque jour, jusqu’à ce que sa réserve de mana soit épuisée.

Cette nuit-là, Aisha grimpa sur mon lit et me demanda : « Puis-je dormir avec toi ce soir, Rudeus ? »

Après l’avoir vue fondre en larmes l’autre jour, je ne pouvais pas me résoudre à dire non. Et ce n’était pas comme si ça pouvait faire du mal.

« Bien sûr. Viens. »

Sans un mot de plainte, j’avais tiré les couvertures et je fis de la place pour elle.

Aisha était plus petite que Sylphie, bien sûr, mais aussi plus chaude. Dans un climat froid comme celui-ci, avoir un autre oreiller chauffant et câlin dans son lit ne faisait pas de mal.

Bien sûr, tout cela était purement innocent. En dehors du fait qu’elle était ma sœur, elle était aussi juste une enfant. Elle semblait avoir appris quelques doubles sens à un moment donné, mais elle ne les comprenait probablement pas vraiment. Il n’y avait aucune raison de se sentir trop gêné par tout cela.

Si Aisha finissait par développer une sorte de béguin pour moi, j’aurais juste à la convaincre d’y renoncer. Je ne savais pas si le baiser avec une sœur était quelque chose d’intrinsèquement immoral, mais j’aimais ma famille comme elle l’était.

Et ce furent ainsi que les choses se passaient généralement les nuits où Sylphie était absente.

Le vrai problème était apparu la nuit suivante où ma femme était là. Plus précisément, lorsque nous nous étions mis au lit ensemble.

Maintenant que mes petites sœurs vivaient avec nous, j’avais décidé de mettre en veilleuse nos activités intimes pendant un certain temps. Mais vu que j’avais une belle femme allongée à côté de moi, il m’était impossible de résister.

Normalement, j’aurais pu me contenir. Mais normalement, j’avais l’occasion de me défouler tout seul. Malheureusement, Aisha avait tendance à me suivre partout dans la maison. Je n’avais aucune intimité ces jours-ci, et je n’allais pas commencer à me faire plaisir dans les toilettes de l’école. L’idée était plutôt déprimante, surtout pour un homme marié et heureux.

Incapable de trouver une bonne solution, j’avais fini par laisser les choses s’accumuler pendant un certain temps. J’étais un homme jeune et énergique. Après une semaine entière sans aucun relâchement, j’étais prêt à exploser. Et juste à côté de moi, il y avait une femme mignonne. Une femme mignonne qui m’aimait, qui n’avait jamais dit non, et qui avait sincèrement promis de porter mon bébé.

L’idée de me retenir semblait ridicule. Je ne l’avais donc pas fait.

« Ouf… »

J’avais cependant fini par aller un peu trop loin. J’avais verrouillé la porte à l’avance et utilisé un peu de magie de terre de base pour étouffer les sons, mais… j’espère qu’Aisha n’allait pas jeter un coup d’œil par le trou de la serrure.

« Wôw, tu étais… vraiment quelque chose aujourd’hui, Rudy… »

Quand cela s’était terminé, Sylphie était épuisée. Elle était trempée de sueur et ses cheveux étaient en bataille, mais d’une manière très séduisante.

Après quelques minutes de conversation sur l’oreiller, nous nous étions essuyés avec des serviettes, nous avions enfilé nos chemises de nuit habituelles et nous nous étions assis sur le lit ensemble.

Nos vêtements de nuit étaient faits d’un tissu doux et confortable, mais ils étaient un peu ordinaires, ressemblant plus à des survêtements qu’à des pyjamas. Sylphie semblait penser que la sienne n’était pas très flatteuse, mais je n’étais pas d’accord. Quand je la regardais assis sur le lit, j’avais l’impression d’avoir attiré une fille de l’équipe d’athlétisme dans ma chambre. L’absence de sexualité explicite n’avait fait que rendre la chose plus excitante.

On n’obtiendrait pas cet effet avec de la lingerie rouge flashy, comme celle d’Éris. Ou avec une fille plus ronde comme Linia ou Pursena. Mais pour je ne sais quelle raison, les vêtements plus sobres convenaient à Sylphie.

« … »

« Hm ? Que se passe-t-il, Rudy ? »

Pendant que je réfléchissais à tout ça, j’avais commencé à passer mes mains sur le corps fin de ma femme, par-derrière.

J’aimais beaucoup son corps. Sylphie n’était pas la plus galbée, mais elle n’était pas plate non plus. Il n’y avait presque pas de graisse sur elle, mais elle était encore douce au toucher. Le simple fait de la toucher ainsi suffisait à faire pointer mon paratonnerre vers les cieux.

« Euh… tu en veux plus ? »

« Non, non. Tu as, euh, du travail demain et tout. Je vais être gentil ! Laisse-moi juste… frotter ta poitrine le matin ? S’il te plaît ? Je serai bien. »

« Ne sois pas stupide. Il n’y a pas besoin de te retenir. »

Sylphie s’était allongée sur le lit, écarta ses jambes, et me sourit timidement.

« Viens là, Rudy. »

Mon self-control fut instantanément réduit en poussières qui disparurent dans le vent. Le mot « retenue » n’avait plus aucune signification pour moi. J’avais arraché mes vêtements sans ménagement, j’avais joint mes mains et j’avais exécuté un magnifique saut de cygne vers ma femme qui m’attendait.

Continuons, alors…

Norn avait été plutôt docile ces derniers jours pendant que nous préparions son déménagement dans les dortoirs de l’école. Elle ne m’avait pas dit grand-chose, mais ce n’était pas comme si elle m’était hostile. Elle venait quand je l’appelais, et elle écoutait quand je lui demandais de faire quelque chose. Mais je n’avais pas l’impression que nous nous rapprochions.

J’avais bien sûr toujours l’espoir d’améliorer notre relation. J’avais même essayé de l’inviter à prendre un bain avec moi l’autre jour, pensant que ce serait une bonne façon de briser la glace. Malheureusement, elle avait juste fait la grimace et dit « Non ».

Aisha avait rapidement passé la tête dans sa chambre et s’était portée volontaire pour m’accompagner à la place. Elle avait fini par me laver le dos et me faire un bon petit massage.

Cette fille pouvait vraiment faire tout ce qu’elle voulait. Elle était même douée pour rincer les gens… non pas que je veuille qu’elle poursuive une carrière où cela serait utile.

*****

En quelques jours, j’avais réussi à finaliser les arrangements pour l’inscription de Norn à l’Université. Sa colocataire était une étudiante de quatrième année, comme Nanahoshi. J’avais espéré une cinquième ou une sixième année, puisque je connaissais plus de gens dans ces classes.

La fille ressemblait aussi à un hybride perroquet-homme. Elle avait une grande crête colorée sur la tête qui bougeait quand elle était excitée ou contrariée. Je ne savais pas si son peuple était composé de démons ou d’hommes bêtes, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. En tout cas, elle s’appelait Marissa, et je n’avais rien entendu de mal à son sujet.

En y pensant, cette école avait un corps étudiant très diversifié, avec beaucoup de personnes métisses. Je devrais rappeler à Norn de faire attention à ses manières et de ne pas dire quelque chose qui pourrait offenser quelqu’un.

J’avais d’ailleurs essayé de me présenter à Marissa. Mais quand je l’avais approchée avec un sourire, elle avait eu peur et avait pris ses jambes à son cou. Je n’avais même pas pu lui dire un mot. Vu cette réaction, il valait mieux que Norn ne mentionne pas qu’elle était de ma famille à l’école. Beaucoup de gens semblaient penser que j’étais le patron d’une sorte de gang. La dernière chose que je voulais était que ma réputation effraie les enfants et les empêche de devenir amis avec elle.

Mais ce n’était pas la peine de s’inquiéter de ça maintenant. Essayer de régler tous les problèmes de Norn à sa place serait bien trop lourd. Si j’en avais besoin, je pourrais toujours me tourner vers Sylphie, Luke et Ariel. Ils étaient incroyablement populaires et semblaient toujours attirer la foule où qu’ils aillent. Passer du temps avec eux pourrait aider Norn à apprendre quelques compétences sociales.

Mais bon… il y avait aussi la chance que leurs fans soient jaloux d’elle. Mais peut-être que c’était le genre d’adversité qu’elle devait apprendre à affronter…

Hrrm. Mais au fait, pourquoi cette chose doit-elle être si compliquée ?

Au final, Norn avait dû faire face à cela elle-même. C’était mieux pour moi de rester en dehors de ça jusqu’à ce que quelque chose tourne mal. Pour l’instant, mon travail était de regarder.

J’étais cependant toujours aussi nerveux à ce sujet.

Assez rapidement, le jour du départ de Norn arriva. Quand je l’avais vue ce matin-là, elle portait déjà son nouvel uniforme et son sac.

Avant qu’elle ne parte, je lui avais donné quelques points importants à retenir. Premièrement, elle devait respecter les règles du dortoir. Deuxièmement, elle devait prendre ses études au sérieux. Et enfin, elle devait être respectueuse envers les démons qu’elle rencontrait.

J’avais beaucoup d’autres choses à dire, mais il valait mieux rester simple pour l’instant.

« Ah, au fait. Une dernière chose… Si tu as des problèmes à l’école, n’oublie pas de nous en parler, à moi ou à Sylphie. »

« OK », répondit Norn tranquillement tout en étudiant le cadre de la porte à côté de moi.

Est-ce qu’elle allait commencer à me regarder dans les yeux ? Je commençais à me sentir un peu anxieux à ce sujet.

« N’oublie pas de te brosser les dents au réveil et avant d’aller te coucher. »

« Oui. »

« N’oublie pas de te laver aussi. »

« Oui. »

« N’oublie pas non plus de faire tes devoirs. »

« … Bien sûr. »

Voyons voir, quoi d’autre… Oh, c’est vrai !

« Essaye de ne pas attraper de rhume. »

« … »

Eh bien, maintenant, elle me regardait fixement. C’était au moins ça de gagner.

***

Interlude : Relation Maître Serviteur

Partie 1

Revenons un peu en arrière. Avant de raconter la suite de cette histoire, je voulais mentionner quelque chose qui s’était produit environ une semaine avant la dépression de Nanahoshi.

« Maître ! Regarde ça ! »

Dès que j’avais mis le pied dans le laboratoire de Zanoba ce jour-là, il m’avait appelé, trottant vers moi avec une boîte dans les bras. Son visage brillait de fierté.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« C’est un bras de la poupée que nous avons étudiée. »

Posant la boîte sur une table voisine, Zanoba en sortit son contenu — un objet long et fin recouvert de tissu. En le déballant, il révéla le bras artificiel en question. Il l’avait découpé en tranches comme une carotte.

« En regardant de plus près les endroits où la peinture s’était écaillée, j’ai remarqué ce qui ressemblait à des coutures dans sa surface. J’ai essayé de couper le long de celles-ci, juste pour voir ce qui pourrait arriver… et voilà ce que j’ai trouvé. »

Prenant l’une des tranches, Zanoba la tourna pour que je puisse en voir la coupe transversale. Elle était couverte d’un motif complexe qui me faisait penser à un QR code. Il s’agissait d’un cercle magique, mais il était particulier et ne ressemblait en rien à ce que j’avais vu faire par Nanahoshi.

Ce n’était pas seulement cette section transversale. Des motifs similaires étaient présents sur chaque section du bras, à la fois sur les surfaces avant et arrière, et ils étaient tous légèrement différents les uns des autres. Même ceux qui partageaient une section n’étaient pas identiques.

« Wow. OK. Je ne m’attendais franchement pas à ce que les bras soient remplis de cercles magiques… C’est intéressant qu’ils soient tous si différents les uns des autres, aussi… »

En les regardant pendant un moment, je m’étais senti un peu mal à l’aise. J’avais presque l’impression d’étudier le système nerveux d’un corps humain disséqué ou quelque chose comme ça.

« Je ne savais même pas qu’il y avait des coutures sur ce truc. Elles devaient être vraiment subtiles. »

« Eh bien, elles étaient en grande partie cachées par la peinture. Il aurait été impossible de les remarquer sans l’avoir préalablement écaillée. », dit fièrement Zanoba.

« Je vois… »

C’était la première grande découverte de Zanoba dans ses recherches, et il était visiblement très enthousiaste. Je n’étais pas aussi enthousiaste, car j’avais supposé dès le départ qu’il devait y avoir une sorte de technologie magique complexe pour animer cette chose.

« Maintenant que j’y pense, ses mouvements étaient très doux et coordonnés. Je suppose qu’il faut beaucoup de cercles magiques pour que cela soit possible », avais-je pensé.

« Oh ? Peux-tu dire quelle fonction aurait ces motifs, Maître ? »

« Non. Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant. »

Tous ces motifs étaient-ils nécessaires pour faire bouger le bras ? Peut-être était-il nécessaire d’avoir une chaîne de cercles magiques dans tout le corps pour contrôler et coordonner ses mouvements ? Il y avait toujours une chance qu’ils aient également une fonction totalement différente. C’était impossible à dire sans une recherche plus approfondie.

Jusqu’à ce que je la rencontre, cette chose se promenait dans cette maison chaque nuit, nettoyant et attaquant toute menace qu’elle identifiait. Une fois sa routine de nettoyage terminée, elle retournait à sa base pour se recharger. Quand on y pensait, c’étaient des comportements très complexes. Il était plus intelligent que votre aspirateur robot ordinaire… et significativement plus violent.

Je suppose que ce n’était pas quelque chose que vous pouviez créer en gravant quelques cercles magiques sur sa tête ou son torse.

Mon but ici n’était pas seulement de créer un Roomba magique. Je voulais faire des poupées qui pouvaient bouger. J’en voulais quelques-unes pour moi, et je voulais en vendre quelques-unes pour faire du profit. Elles seraient certainement commandées à un prix élevé sur le marché.

Mais ce n’était pas comme si je cherchais à devenir millionnaire. Je voulais juste une certaine sécurité financière. Si j’avais une grosse rentrée d’argent, je serais probablement négligent et je la gaspillerais.

Il y avait aussi ce projet d’utiliser mon travail pour améliorer la réputation des Superds. Bien que ce soit une question distincte.

Quoi qu’il en soit, tout cela n’était pour le moment qu’une chimère. Mais peut-être qu’un jour, j’aurais la femme de chambre robot de mes rêves.

« Je suppose que les cercles magiques responsables de la plupart des mouvements sont probablement dans la tête ou le torse, Zanoba. Essaie d’être prudent si tu coupes là. »

« Bien sûr, maître ! », répondit Zanoba en en hochant joyeusement la tête.

Rétrospectivement, je pensais que cette découverte avait été la raison pour laquelle Zanoba avait pu proposer sa suggestion au moment où Nanahoshi s’était effondrée. Et, grâce à cette suggestion, Nanahoshi avait réussi à créer ses propres cercles magiques à plusieurs niveaux. Elle avait même réalisé son objectif d’invoquer des objets d’un univers parallèle, qu’elle avait pratiquement abandonné.

Un jour, nous réaliserions sûrement notre propre rêve : créer le parfait robot domestique. Et peut-être que ce jour arrivera plus tôt que prévu.

Ces derniers temps, cette pensée m’animait lorsque je me rendais au laboratoire de Zanoba.

« J’entre, Zanoba ! »

J’avais frappé une fois à la porte de mon ami, puis j’étais entré dans sa chambre. Je m’étais retrouvé nez à nez avec une femme qui se tenait à l’entrée comme si elle était de garde. Elle n’était pas un top model, mais elle avait un visage aimable.

« Oh ! Hey, Ginger ! C’est bon de te revoir. »

Pendant un moment, la femme m’avait étudié avec méfiance. Mais quand je l’avais saluée, celle-ci s’était détendue et avait légèrement incliné la tête.

« Bonjour, Seigneur Rudeus. Cela fait trop longtemps. »

Elle s’appelait Ginger York. C’était un ancien chevalier de Shirone et la fidèle garde du corps du troisième prince Zanoba. Le fait de la revoir m’avait rendu un peu nostalgique.

« J’avais l’intention de passer et de dire bonjour, mais les choses ont été un peu mouvementées… », poursuivit Ginger

« Ne t’inquiète pas pour ça. En toute honnêteté, j’aurais dû venir moi-même. Tu as escorté mes sœurs ici gratuitement, et je n’ai même pas pris le temps de te remercier. »

« C’est moi qui devrais vous remercier. Mlle Aisha nous a fait gagner beaucoup de temps pendant notre voyage. »

Ginger s’était écartée avec un sourire et je m’étais dirigé vers le laboratoire de Zanoba.

Comme toujours, Zanoba et Julie travaillaient d’arrache-pied à leurs propres projets. Zanoba dessinait des diagrammes des cercles magiques qu’il avait trouvés à l’intérieur de la poupée, et Julie travaillait sur sa dernière figure avec un petit ciseau. Ce projet semblait sur le point d’être terminé, alors j’étais allé l’inspecter en premier.

« Comment ça se passe, Julie ? »

« Je pense qu’elle… devrait bientôt être terminée, Grand Maître. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

« Hé, ce n’est pas si mal. Il a cependant l’air un peu trop beau pour être Zanoba. »

« Ce n’est pas vrai. Le maître est beau, lui aussi. »

Sa sculpture était encore un peu bâclée, mais elle commençait à bien maîtriser les principes de base. Je pourrais formuler quelques critiques sur les petits détails, mais comme la gamine semblait avoir un don pour ça, il valait mieux la laisser continuer à se débrouiller toute seule.

J’avais jeté un coup d’œil dans la direction de Zanoba, mais il semblait avoir besoin d’un peu de temps pour terminer. Ce fut à ce moment-là que j’avais remarqué que Ginger me regardait fixement.

« Qu’est-ce qu’il y a, Ginger ? »

« Oh, ce n’est rien. Je me disais juste… vous avez beaucoup grandi, c’est tout. »

« Bien sûr que oui. Cela fait quoi ? Quatre ans qu’on ne s’est pas vus ? »

J’avais l’impression que beaucoup de gens avaient fait des commentaires sur mon apparence ces derniers temps. Peut-être que je commençais à développer une certaine sorte de sex-appeal. Si je n’avais pas épousé Sylphie, j’aurais peut-être pu me constituer un harem ? L’idée avait un certain attrait, mais ce serait probablement un peu stressant dans la pratique. J’étais de toute façon satisfait de ma vie sexuelle telle qu’elle était.

« Au fait, Ginger, que comptes-tu faire ensuite ? »

« J’ai l’intention de rester ici, aux côtés du prince Zanoba. »

« Oh. Tu reprends donc tes fonctions de garde du corps ? »

« C’est exact. J’ai terminé mon autre mission, et on s’occupe de ma famille au pays. »

La loyauté de cette femme était vraiment impressionnante. Elle avait protégé Lilia et Aisha pendant des années sous les ordres de son maître avant de les mettre en sécurité. Zanoba lui avait-il au moins montré de la reconnaissance ? Ou même l’avait-il remerciée ? Probablement pas. Ce type n’était pas le plus prévenant des employeurs.

« Hé, Zanoba. Tu ne crois pas que tu devrais donner à Ginger une récompense pour son travail ? »

« Monsieur Rudeus ! Je n’oserais pas demander… »

« Hm, je suppose que tu as raison. Y a-t-il quelque chose que tu désires, Ginger ? Parle librement. », dit Zanoba, toujours concentré sur ses cercles magiques.

Le prince pouvait être très pompeux quand il le voulait.

Ginger semblait décontenancée par ce développement. C’était sans doute la première fois que Zanoba lui témoignait une quelconque reconnaissance pour ses efforts.

Après avoir réfléchi quelques longs instants, elle s’était mise à genoux, baissa la tête et parla.

« Dans ce cas, monseigneur… me permettez-vous de m’occuper de l’éducation de Julie ? Je comprends qu’elle soit l’élève du Seigneur Rudeus, mais ses manières ne conviennent pas à la servante d’un prince. »

« Très bien. Je l’autorise. »

« Merci, Prince Zanoba ! »

Ce n’était vraiment pas ce que j’avais en tête. Éduquer Julie, c’était pour le bien de Zanoba, pas pour celui de Ginger. Mais peut-être y avait-il une règle tacite selon laquelle les serviteurs ne devaient pas recevoir trop d’éducation ?

***

Partie 2

L’humanité avait été chassée du jardin d’Eden pour avoir mangé le fruit de la connaissance. Restez ignorant, et vous pourriez être parfaitement heureux de passer le reste de votre vie à danser avec une feuille de figuier sur l’entrejambe, en chantant « Yatta » toute la journée. C’était pourquoi les rois préféraient que leurs sujets soient aussi ignorants que possible. Moins vous les éduquez, moins ils étaient susceptibles de se soulever contre vous. Bien sûr, vous sabotiez aussi leur capacité à acquérir de nouvelles compétences et à devenir plus utiles, mais c’était un compromis que beaucoup de souverains étaient prêts à faire.

Dans tous les cas… Je pense qu’il aurait été difficile pour Zanoba d’accorder à Ginger une récompense plus typique comme des terres ou un trésor, étant donné sa position actuelle. Elle s’en était probablement rendu compte et avait gardé sa demande modeste par loyauté.

« Bon, très bien, alors. Retour à nos moutons. Où en es-tu ? », avais-je dit.

« J’avais prévu de travailler sur les jambes ensuite, Maître. »

« Oui, j’y ai pensé, et j’ai l’impression qu’il serait préférable pour nous d’étudier en profondeur les cercles de l’intérieur des bras d’abord. Je veux dire, ce n’est pas comme si on pouvait recoller les parties du corps une fois qu’on les a ouvertes, non ? Il vaut mieux y aller doucement. »

« Hmm, c’est vrai… »

« Peut-être que nous pourrions faire venir Cliff et Nanahoshi pour jeter un coup d’œil. Ils pourraient remarquer quelque chose qui nous échappe. »

Zanoba et moi étions penchés sur la table et avions discuté longuement de nos plans, avant de décider finalement de commencer à disséquer le second bras de la poupée pour le comparer au premier. Au moment où nous allions commencer, j’avais remarqué que Ginger se tenait à côté de moi. On aurait dit qu’elle avait quelque chose à dire.

« Tu as besoin de quelque chose, Ginger ? »

« Seigneur Rudeus… malgré sa situation actuelle, le prince Zanoba est un membre de la famille royale de Shirone. Je sais qu’il est votre élève en tant qu’artiste, mais la façon dont vous lui parlez me semble… peu respectueuse. »

« Hm ? »

Maintenant qu’elle le mentionnait, j’avais été plus familier que d’habitude avec lui aujourd’hui. J’étais habituellement un peu plus formel dans mon discours, mais après la remarque d’Aisha l’autre jour, je m’étais inconsciemment un peu relâché.

Je pouvais comprendre qu’un fidèle serviteur soit ennuyé d’entendre son maître s’adresser à lui de cette façon. Je devais juste être plus poli quand Ginger était là.

« Je suppose que tu as raison. Je suis désolé pour cela. Le prince Zanoba étant l’un de mes bons amis, alors je suppose que j’ai juste… »

Avant que je puisse finir ma phrase, Zanoba s’était levé d’un bond, la fureur dans les yeux.

« Gingeeeeer ! »

Il s’était précipité vers sa garde du corps, l’attrapa par le cou et la plaqua contre le mur. Julie sursauta en entendant le bruit et lâcha son ciseau.

« Comment oses-tu !? Maître Rudeus s’ouvrait enfin à moi, et maintenant tu as tout gâché ! Comment as-tu pu ? Excuse-toi ! Présente-lui tes excuses immédiatement ! »

« Guh… Guhh ! »

Ginger avait l’air d’avoir très mal. Il était en train de lui serrer le cou ? C’était allé trop vite !

« Zanoba ! Arrête ça ! Laisse-la partir ! », avais-je crié.

Zanoba ouvrit immédiatement sa main et laissa tomber Ginger. Ses doigts avaient laissé des marques rouges claires sur sa peau. Ginger avait essayé de tendre la main pour toucher son cou, mais elle s’était arrêtée à mi-chemin, grimaçant de douleur. On aurait dit qu’il lui avait cassé un os de l’épaule en la plaquant contre le mur.

Je m’étais précipité et j’avais soigné ses blessures avec ma magie. Et aussitôt que j’en avais fini, elle s’était agenouillée devant moi et baissa la tête.

« Toux… toux… mes sincères excuses, Sire Rudeus… »

C’était à moi qu’elle présentait ses excuses. Après que Zanoba ait failli la tuer.

Pendant un instant, j’étais resté muet de culpabilité. Elle n’avait rien fait de mal. Pourquoi s’excusait-elle auprès de moi ?

Finalement, je m’étais retourné et j’avais jeté un regard furieux à Zanoba.

« Qu’est-ce qui te prend ?! »

« Mais Maître ! Elle est intervenue sans réfléchir, sans connaître notre amitié… »

« D’accord, peut-être bien ! Alors pourquoi ne lui as-tu pas dit ça ?! »

Ginger avait servi fidèlement Zanoba pendant de nombreuses années. Et elle avait protégé ma famille lors d’un long et dangereux voyage en territoire inconnu. Ça n’avait pas dû être facile, mais elle avait fait tout ce chemin par loyauté envers son maître en exil.

Et au moment où elle avait fait une seule erreur, sa réaction avait été de la jeter contre un mur et de commencer à l’étouffer ? C’était juste horrible.

Notre amitié était manifestement très importante pour Zanoba. C’était bon à savoir. Mais je ne voulais pas qu’il maltraite son plus fidèle garde pour autant.

« Seigneur Rudeus, s’il vous plaît… Ça va aller. Je suis fière de voir le prince Zanoba défendre un ami. Il a clairement grandi depuis la dernière fois que je l’ai vu. », dit doucement Ginger, le visage calme et posé.

Quoi ? Sérieusement ? Et c’est moi qui suis bizarre ici ?

Ce n’était peut-être pas à moi de dire quoi que ce soit, mais Ginger méritait un meilleur traitement que celui-là.

« … Zanoba. »

« Oui, Maître ? »

« Je te considère comme un bon ami. »

Le visage de Zanoba rayonna de bonheur à ces mots. J’avais fait une pause un instant pour le laisser les savourer.

« Mais je dois aussi beaucoup à Ginger pour avoir protégé ma famille. Elle est restée avec eux pendant… quoi, quatre ans ? Je lui en suis vraiment reconnaissant, et j’apprécierais que tu la traites avec plus de gentillesse. »

« Bien sûr, Maître. Je m’excuse pour mes actions, Ginger. », dit Zanoba avec une expression sérieuse sur le visage.

« Il n’y a pas besoin de s’excuser, Prince Zanoba. J’ai prêté un serment de loyauté absolue envers vous, et je mourrais volontiers sous vos ordres. Ma remarque était irréfléchie. Je regrette sincèrement ce que j’ai dit. », objecta Ginger en se levant.

Cela semblait être le point final de cet incident, et je ne voyais pas l’intérêt de faire traîner les choses plus longtemps. De toute évidence, c’était de cette manière que fonctionnait la relation maître-serviteur ici. Mais que se passerait-il si Zanoba commettait une grave erreur ? Ginger pourrait-elle se résoudre à ne pas être d’accord avec lui ?

Enfin, peu importe. Je n’étais qu’un étranger ici. Je ne comprenais pas comment les choses fonctionnaient à Shirone, et si je continuais à m’en mêler, je ne ferais qu’attirer des ennuis.

Cet incident alarmant mis à part, nos recherches sur l’automate commençaient à faire de réels progrès.

« Je sais que j’ai suggéré de se concentrer sur les bras pour le moment, mais c’est ta décision. Fais ce que tu penses être le mieux. »

« J’apprécie, mais je suis d’accord avec ta suggestion, Maître. Remonter la poupée entière après l’avoir disséquée pourrait s’avérer difficile. Voyons si nous pouvons recréer son bras avant de passer au reste. »

Nous avions passé le reste de la séance à démonter et à étudier les bras de la poupée. J’avais suggéré de faire appel à Cliff ou Nanahoshi pour nous aider, mais je laissais ces décisions entièrement à Zanoba. Il y avait certaines choses que je voulais essayer, bien sûr, mais il semblait faire de bons progrès tout seul jusqu’à présent. Je ne ressentais pas le besoin de m’en mêler.

« Je pense que tu peux me laisser faire le reste, Maître. Il semble que j’ai un certain talent pour ce genre de travail. »

« Huh. Sans blague ? »

« Non. J’ai aussi été un peu surpris, mais je trouve ce travail assez engageant. Je m’amuse beaucoup en ce moment. »

Il avait pu passer toute la journée sur des recherches qui l’avaient attiré, avec une sculpteure de figurine dédiée travaillant constamment à ses côtés. Zanoba ne pouvait pas faire mieux. Mais que comptait-il faire après avoir obtenu son diplôme ? Continuerait-il à traîner dans cette ville, à jouer avec ses poupées ?

Eh bien, c’était une autre chose qu’il devra résoudre par lui-même. Ce n’était pas vraiment mon problème… même s’il était ici, en partie, à cause de moi.

« Bon, très bien. Continue comme ça, Zanoba ! Je repasserai bientôt. »

« J’attends ça avec impatience, Maître. »

« Sois gentil avec Ginger, d’accord ? »

« Bien sûr ! »

À ce rythme, nous aurions peut-être une autre percée prochainement.

***

Chapitre 3 : Le patron et ses larbins

Partie 1

Un nouveau mois venait de s’écouler, ce qui signifiait qu’il était temps de tenir la réunion régulière de la principale bande de délinquants de l’Université de Magie de Ranoa. J’entends par là la classe spéciale. Les participants étaient les suspects habituels : Zanoba, Julie, Cliff, Linia, Pursena et moi. Nanahoshi et Badigadi étaient absents, puisque les règles ne s’appliquaient pas vraiment à eux.

Je n’étais pas de très bonne humeur ce matin. J’avais beaucoup pensé à mes sœurs ces derniers temps… et plus particulièrement à Norn. Elle vivait dans les dortoirs depuis déjà un certain temps, mais lui donner l’espace qu’elle voulait n’avait pas vraiment amélioré notre relation. Elle m’ignorait généralement quand on se croisait dans les couloirs. Quand elle ne le faisait pas, elle me lançait des regards dégoûtés.

OK, peut-être que ce dernier point était juste lié à mon complexe de persécution. Mais en tout cas, on ne se rapprochait pas l’une de l’autre.

Et pourtant, cela me convenait. Ça me rendait un peu triste, mais je pouvais vivre avec. Ce n’était pas comme si les frères et sœurs devaient être les meilleurs amis. Et même si nous ne nous entendions pas très bien en temps normal, j’aiderais Norn si elle avait besoin de moi.

Bon sang, je serais sur ses professeurs comme un parent surprotecteur si je le devais. Ma position au sommet de la hiérarchie de cette école pourrait être utile. Je pourrais par exemple intervenir afin de m’occuper de quiconque tenterait de l’intimider. Et comme je connaissais personnellement le vice-principal, je pourrais aussi lui demander de l’aide si nécessaire. C’était toujours agréable de savoir que l’on peut passer par-dessus la tête des gens. J’avais pris note d’apporter à Jenius quelques modestes cadeaux de temps en temps.

Le vrai problème était le suivant : Norn vivait dans ce dortoir depuis environ un mois, mais il semblait qu’elle ne s’était pas encore fait un seul ami. Quand je la voyais dans les couloirs, elle était généralement seule. Elle n’avait pas l’air particulièrement triste, mais ça commençait à me déranger.

On pouvait bien sûr s’en sortir sans amis pendant un certain temps. Mais est-ce qu’elle parlait au moins aux autres personnes de sa classe ? S’adaptait-elle à la vie dans les dortoirs ?

J’étais sincèrement inquiet, mais je ne voulais pas non plus m’impliquer directement. Et je ne connaissais pas beaucoup d’étudiants de première année. Le seul qui me venait à l’esprit était en fait un vrai délinquant. Si j’essayais de lui faire faire quelque chose, j’avais l’impression que Norn s’en rendrait compte immédiatement et m’en voudrait probablement.

De plus, je ne me souvenais même pas du nom de ce type. Si j’avais bonne mémoire, il ressemblait beaucoup à un husky sibérien.

« Ça va, patron ? Tu as l’air bien sombre ces derniers temps, » dit Linia, en se penchant pour me regarder dans les yeux.

« Oui, tu as raison », ajouta Pursena.

Aussi bruyantes et irritantes que pouvaient être ces deux-là, la moitié des hommes bêtes de l’école les idolâtraient. Même après avoir fait la paix avec la princesse Ariel, on les voyait souvent errer dans les couloirs entourés d’une bande de laquais fidèles. D’une certaine manière, je doute qu’elles aient beaucoup de conseils à donner sur le sujet de la solitude.

« Eh bien, ne t’inquiète pas, miaou. On t’a trouvé un cadeau spécial pour te remonter le moral ! »

« Yep. Ça nous a pris un mois entier. »

Avec un sourire narquois, Linia déposa un gros sac bosselé sur mon bureau.

Je l’avais regardé d’un air dubitatif. Il était difficile de dire ce qu’il pouvait contenir.

« Retiens-toi, patron ! N’ouvre pas ça avant d’être rentré chez toi. »

« Déballe-le en privé, compris ? Assure-toi que personne ne regarde. »

Ça commençait à être vraiment louche. Heureusement, ce n’était pas un sac de poudre de joie ou autre. Je savais qu’au moins deux types de narcotiques faisaient le tour des Territoires du Nord et de certaines parties du Continent Démoniaque. Millis et Asura avaient apparemment des lois limitant leur utilisation, mais la plupart des nations de cette région n’étaient pas trop strictes à ce sujet.

Naturellement, je n’avais pas l’intention de prendre l’habitude de me droguer. Si je devenais dépendant ou en manque, ma magie ne suffirait pas à me guérir. Il fallait des sorts de désintoxication de niveau Saint pour gérer ce genre de choses. Plus précisément, je n’étais pas si désespéré au point de fuir la réalité pour le moment.

Néanmoins, le matériel pourrait être utile à un moment donné, je ne voyais donc aucune raison de refuser. Je pourrais toujours le vendre si jamais j’avais besoin d’argent.

« Eh bien, euh… merci, je suppose. »

« De rien, patron ! »

« Je ferai tout pour toi, mec. »

Maintenant que j’y pense… ces deux-là vivaient dans les dortoirs, non ? Comme elles y étaient depuis six ans maintenant, elles connaissaient probablement tout le monde et tout ce qu’il y avait à savoir. Elles auraient peut-être des informations utiles, ou au moins des conseils.

« Cependant, à propos de ce que tu as dit… Le fait est que je suis un peu inquiet pour ma petite sœur. »

« Ta petite sœur ? Oui, je crois qu’on l’a déjà croisée une fois. C’est la petite fille que tu as habillée comme une servante, non ? »

« On l’a vue au marché l’autre jour. Elle avait ton odeur partout sur elle, patron. J’ai pensé que vous étiez liés. »

Elles avaient donc déjà rencontré Aisha, hein ? Elle se mettait au lit avec moi régulièrement, ce qui expliquait probablement le truc de l’odeur.

« Non, pas elle. Je veux dire mon autre sœur. Elle vit dans les dortoirs depuis un mois maintenant. »

« Huh ?! Attends, il y en a une autre ?! »

« Et elle vit dans les dortoirs ? »

Linia et Pursena s’étaient retournées pour se regarder, les yeux écarquillés. Apparemment, elles n’avaient pas encore rencontré Norn… ou peut-être l’avaient-elles fait sans savoir qu’elle était ma sœur. Elle ne passait pas beaucoup de temps à la maison, elle ne devait donc pas sentir comme moi.

« C’est ça. Mais je ne pense pas qu’elle m’apprécie beaucoup. Nous nous parlons à peine depuis un moment. Je ne sais pas comment faire pour qu’elle se rapproche de moi. »

« Errrrr… ouais, ça pourrait être délicat… »

« On pourrait se promener en criant à quel point tu es cool, si tu veux… »

Hmm. Je n’avais pas envisagé une stratégie de guerre de l’information. Peut-être que Norn serait plus disposée à me donner une chance si elle pensait que j’étais le gars le plus populaire de l’école. Mais si je confiais le poste à Linia et Pursena, elles allaient probablement raconter des bêtises sur le fait que j’allais tabasser des gens.

Je préférerais vraiment que ce soit des trucs du genre « Rudeus a sauvé un chiot ». Peut-être qu’une version modifiée du jour où j’avais rencontré Julie fonctionnerait.

« Bref, le vrai problème, c’est qu’elle n’a pas encore d’amis. Elle n’est là que depuis un mois, il est peut-être trop tôt pour que je m’en préoccupe… Mais c’est une étudiante transférée. Je parie qu’elle a du mal à s’intégrer. », avais-je dit.

« Eh bien, c’est tôt, non ? »

« Oui. Peut-être que, euh… elle n’a pas encore eu le temps de faire connaissance avec les gens ? »

Pour une raison inconnue, Linia et Pursena semblaient un peu anxieuses. Elles trébuchaient sur leurs mots, ce qui signifiait généralement qu’elles me cachaient quelque chose.

« Ne me dites pas que vous vous en êtes pris à ma sœur. »

« Franchement, ne dis pas des trucs aussi idiots ! »

« Bien sûr que non, patron ! Tu nous as dit de ne pas nous en prendre à plus faible que nous ! »

Ok. Alors pourquoi deviens-tu pâle ?

Il se passait vraiment quelque chose ici, mais je ne savais pas encore quoi. Dans tous les cas, je pouvais probablement profiter de leur mauvaise conscience pour m’assurer qu’elles interviendraient si quelqu’un essayait d’intimider Norn.

« Quel âge a ta petite sœur, patron ? »

« Elle est plus âgée que la bonne ? Ou plus jeune ? »

« Euh, elles ont le même âge. Elle a 10 ans. »

« Vraiment ?! Ouf ! »

« C’est bon à entendre ! Oui, on ne lui a rien fait. »

En d’autres termes, elles avaient fait quelque chose à quelqu’un. Peut-être qu’elles avaient l’habitude d’apprendre aux nouveaux étudiants arrogants leur place dans la hiérarchie ou quelque chose comme ça ?

« Alors Boss, euh, à propos de ce cadeau… »

« Ne nous en veux pas si tu ne l’aimes pas, d’accord ? On a travaillé très dur dessus. »

C’était bizarre, pourquoi revenaient-elles sur ce sujet maintenant ? Pourquoi avaient-elles l’air si nerveuses tout d’un coup ? C’était un peu déstabilisant, mais j’étais vraiment curieux de savoir ce qu’ils m’avaient obtenu à ce stade.

« Hé, c’est l’intention qui compte, non ? Je ne me fâcherai pas, promis. »

Je ne serais pas vraiment ravi de trouver quelque chose comme un tas de souris mortes à l’intérieur, mais je n’allais pas leur en vouloir.

À ce moment-là, j’avais remarqué que Cliff me regardait de son siège, quelques places plus loin.

« Hey. Tu as des conseils pour ce truc avec ma sœur, Cliff ? »

« … Hmph. Mais au fait, qui a dit que tu avais besoin d’amis ? »

Wôw. Quelqu’un avait besoin d’un câlin aujourd’hui ou quoi ?

Pourtant, Cliff n’était plus le solitaire qu’il était avant. Il avait Elinalise maintenant. Et moi, pour ce que ça vaut. Peut-être que Norn ne sera jamais aussi populaire que ce papillon social, mais j’espérais vraiment qu’elle apprendrait à connaître quelques personnes un de ces jours.

Récemment, Nanahoshi avait commencé à se montrer au réfectoire à l’heure du déjeuner. Peut-être qu’elle avait finalement compris l’importance de manger de vrais repas. Non pas qu’elle soit particulièrement sociable à ce sujet…

Remarquant mon regard, elle s’était retournée pour me fixer.

« Tu as besoin de quelque chose ? »

« Non, pas vraiment. »

Bien que Nanahoshi ait pris l’initiative d’introduire la cuisine japonaise sur le campus, elle ne s’était presque jamais aventurée à en goûter les résultats jusqu’à présent. Elle n’aimait pas beaucoup cette nourriture, et elle avait généralement l’air un peu misérable quand elle la mangeait.

« Tu n’as pas l’air d’aimer ça », ai-je dit.

« Eh bien oui. Je sais que c’est moi qui ai inventé la recette, mais c’est horrible. »

« Je suppose que les ingrédients d’ici ne sont pas aussi bons que ceux du Japon. »

« Ça, c’est sûr. »

« Y a-t-il une sorte de nourriture de ce monde que tu aimes ? »

« Les chips que j’ai mangées chez toi, je crois. Elles étaient bonnes. »

Je suppose qu’elle parlait de celles que Sylphie faisait chez elle. C’était logique. De simples en-cas comme ceux-là n’avaient pas un goût si différent de ceux qu’on avait au Japon.

« Veux-tu qu’on t’en fasse d’autres ? »

« … Ce ne sera pas nécessaire. »

OK, alors. La prochaine fois qu’elle viendra utiliser notre bain, il y aura quelques chips qui l’attendront.

Badigadi n’était pas là aujourd’hui. Il avait l’habitude de passer régulièrement au réfectoire, mais je ne l’avais pas du tout vu le mois dernier. J’avais vraiment envie de m’asseoir avec lui et de lui parler de Ruijerd.

Au moins, les manières de Julie à table s’amélioraient un peu en son absence. Ginger lui apprenait les règles de base de l’étiquette, mais ça aurait été une cause perdue avec le grand homme dans les parages. L’endroit semblait cependant un peu vide sans lui. Son rire constant et tonitruant me manquait. Plus tu ris, plus tu vis, non ? Peut-être que je devrais essayer moi-même.

***

Partie 2

« Fwahahahaha ! »

« Euh, pourquoi ris-tu ? Ai-je fait quelque chose de drôle ? »

« Maître ? »

« Grand maître… ? »

Et voici tout ce que j’avais gagné de cette expérience, un tas de regards perplexes de la part de toutes les personnes présentes à la table. Honnêtement, c’était assez embarrassant. Je suppose que je n’étais pas fait pour prendre la place de Badigadi.

« J’aimerais bien te demander ce qui était si amusant ? »

Luke surgit de nulle part. Il était plus élégant que jamais, mais aucun fan ne l’avait suivi aujourd’hui. Sylphie n’était pas non plus avec lui.

« Rien. Je n’ai pas vu notre Roi Démon depuis un moment, alors j’ai essayé de l’invoquer avec mon rire », avais-je dit.

« Je vois. En tout cas, Rudeus, pourrais-tu m’accompagner à la salle du conseil des élèves ? », l’expression de Luke était troublée. Y avait-il un problème ?

« Bien sûr, pas de problème. »

J’avais englouti le dernier morceau de ma nourriture en quelques secondes, je m’étais levé et j’avais suivi Luke.

Je n’aurais pas pu vous dire pourquoi, mais j’avais l’impression que Luke était en colère contre quelque chose. Il n’avait pas dit grand-chose sur le chemin de la salle du conseil des élèves, et ses pas étaient plus forts que d’habitude.

Et comme je m’y attendais, Ariel et Sylphie nous attendaient à l’intérieur. L’expression de la princesse était toujours aussi impassible, mais elle était un peu pâle. Sylphie semblait également un peu anxieuse.

Le nouveau trimestre venait à peine de commencer, mais apparemment, nous avions déjà une sorte d’incident sur les bras.

« Bonjour, tout le monde. Quelque chose ne va pas ? »

« Oui, ça va », dit Ariel avec un petit soupir.

Elle hésita un moment avant de continuer.

« Nous avons malheureusement remarqué qu’un certain nombre de filles de première année qui vivent dans les dortoirs sont plutôt pâles et en détresse ces derniers temps. »

« Vraiment ? »

Elle venait de gagner à tous les coups mon attention là. Quelle que soit la cause de tout cela, cela pourrait avoir un effet sur Norn.

« Au cours de notre enquête, nous avons réalisé que la plupart des filles affectées étaient assez jolies… et un peu plates aussi. »

Merde. Norn répondait parfaitement à ces deux critères. J’allais devoir coopérer pleinement avec leur enquête. Si je réussissais à terminer l’enquête, peut-être que je gagnerais un peu de gratitude de la part de ma sœur.

« Aujourd’hui, nous avons réussi à obtenir des détails sur une victime. Apparemment, Linia et Pursena ont fait le tour et… euh… »

Attends, Linia et Pursena ? Elles avaient dit qu’elles ne s’en prenaient plus aux faibles, mais… peut-être qu’elles avaient senti de la viande séchée dans la poche d’un petit nouveau et qu’elles l’avaient poursuivi ou quelque chose comme ça. C’était déprimant et plausible.

« … Elles exigent qu’elles enlèvent leurs sous-vêtements et les remettent. »

Attends, quoi ?

J’avais un très mauvais pressentiment sur la tournure que prenaient les évènements.

« Une enquête plus poussée a révélé qu’elles ont dit, “Je parie que le patron va adorer ceux-là”, dans la salle à manger peu de temps après. »

« … »

« D’après ce que nous avons compris, elles cachaient les sous-vêtements qu’elles ont volés dans un certain sac. »

En disant cela, Ariel avait tranquillement jeté un coup d’œil au cadeau que j’avais accepté quelques heures plus tôt. Luke et Sylphie avaient fait de même, ayant sans doute reçu une description de ce à quoi ressemblait le sac.

Il ne faisait aucun doute dans mon esprit que ce truc était rempli de culottes pillées. Des culottes sales et non lavées, en fait. C’était mon sac idéal.

Incroyable. Quand avais-je demandé un tel cadeau à Linia et Pursena ? Et pourquoi est-ce que je m’excitais rien qu’en y pensant ? Bon sang, je n’étais vraiment qu’une raclure de l’espèce humaine.

« Rudeus, je m’excuse, mais… »

J’avais décidé d’anticiper la question. C’était plus intelligent de prendre l’initiative dans une telle situation.

« Linia et Pursena m’ont donné ce sac ce matin. Elles m’ont dit de ne pas regarder à l’intérieur avant d’être rentré chez moi, je ne peux donc pas en être totalement sûr, mais je suppose qu’il contient les objets que vous cherchez. »

« Je vois. Juste pour être clair, est-ce que tu leur as ordonné de faire ça ? »

« Bien sûr que non. »

J’essayais de garder mes réponses fermes et concises. Un mot de travers pouvait être fatal ici, mais je m’en sortirais tant que je resterais simple. Ce n’était en fait qu’un malentendu.

« Tu n’as donc été impliqué à aucun moment ? »

« Bien sûr que non. Je viens juste d’épouser Sylphie. Je ne suis pas vraiment frustré sexuellement en ce moment. »

Pensait-elle vraiment que j’étais du genre à réaliser un plan aussi fou juste après avoir envoyé ma propre petite sœur dans ces dortoirs ? Je ne pouvais pas prouver mon innocence, alors je ne savais pas comment me défendre. Il devait y avoir un moyen de lui faire comprendre…

« Très bien alors. Je te crois sur parole. »

Avec un autre petit soupir, Ariel interrompit brusquement son interrogatoire.

Eh bien, c’était plus facile que prévu.

« Merci, Princesse Ariel. J’apprécie cela. »

« Ce n’est pas grave. Je m’étais dit qu’il semblait étrange que tu sois derrière tout ça. Vu comment tu sembles apprécier tes nuits avec Sylphie, je ne pouvais pas imaginer pourquoi tu voudrais harceler d’autres filles. »

Attendez, est-ce qu’elle savait comment on passait notre temps ensemble ? Oh, mon dieu. Sylphie lui avait-elle parlé des répliques ridicules que j’avais utilisées sur elle l’autre soir ?

« Euh, Sylphie ? Est-ce que tu donnes à la Princesse Ariel des rapports sur nos moments privés ? »

« Bien sûr que non ! Je… je ne dirais rien à personne à ce sujet ! Comment as-tu pu découvrir ça, Princesse Ariel !? », protesta Sylphie tout en secouant vigoureusement la tête.

Je l’avais cru. Je savais que toutes les deux étaient des amies proches, mais je ne voyais pas une fille aussi timide que Sylphie parler de sa vie sexuelle à qui que ce soit. Non pas que ce serait un gros problème si elle le faisait… tant qu’elle ne se plaignait pas de mes performances ou autre…

« Eh bien, je ne l’ai pas fait. J’étais juste à la recherche d’une réaction. Je suis néanmoins contente d’entendre que vous appréciez la compagnie de l’autre. », répondit Ariel avec légèreté.

OK, bien joué.

Mais bon… à quoi pensaient Pursena et Linia ? Rassembler un sac entier de sous-vêtements fraîchement portés devait être leur idée la plus stupide. Est-ce que j’avais fait ou dit quelque chose pour qu’elles croient que je voulais… Attendez une seconde. Ne m’avaient-elles pas dit qu’elles allaient m’apporter un tas de culottes en guise de tribut il y a un moment ?

Oh, merde, elles l’ont fait.

J’avais pensé que c’était juste une blague, mais peut-être qu’elles étaient sérieuses. Eh bien, peu importe. Ce n’était toujours pas ma faute, non ? Ouais. Définitivement pas.

« Je pense que c’était une tentative malencontreuse de me rendre service, alors j’apprécierais que tu me laisses gronder Linia et Pursena moi-même. Oh, et tu pourrais faire en sorte que les sous-vêtements soient rendus à leurs propriétaires ? Pour que ce soit clair, je n’ai pas regardé à l’intérieur, et encore moins touché à quoi que ce soit. », avais-je dit.

J’avais remis le sac à Ariel sans hésiter.

Linia et Pursena n’étaient peut-être pas mal intentionnées, mais je devais être ferme avec elles sur ce point. Les seules culottes que j’aimais étaient celles qui venaient d’être enlevées. Ça ne m’apportait rien si je ne pouvais pas les voir s’enlever.

Attends, non. Ce n’est pas le problème ici.

« Très bien. »

Ariel jeta un bref coup d’œil à l’intérieur du sac, puis hocha de nouveau la tête. Il semblerait que nous ayons réussi à résoudre le problème de manière satisfaisante.

« Je dois dire, cependant, que ça fait beaucoup de sous-vêtements. Tu n’es pas un peu déçu de perdre un tel trésor, Rudeus ? », continua Ariel en jetant un coup d’œil à Sylphie.

« Pas du tout. Je ne suis pas un fétichiste des sous-vêtements. »

« … Je vois. Eh bien, je m’excuse d’avoir douté de toi. »

« Ce n’est pas grave. Le fait que nous ayons pu dissiper ce malentendu me rend heureux. »

Honnêtement, j’avais eu de la chance que ça se passe comme ça. Si j’avais vraiment emporté cette culotte chez moi… je ne savais pas comment je m’en serais débarrassé. C’était trop facile de m’imaginer en train de flipper pendant un moment, puis de les tremper dans de l’alcool pour faire une « bière de culotte » expérimentale. Ce qui aurait inévitablement conduit Sylphie et Aisha à les trouver, et je n’aurais jamais entendu la fin de cette histoire.

« Eh bien, c’est un soulagement. J’étais inquiète de ne pas te satisfaire, Rudy. », murmura Sylphie.

Ariel et Luke l’avaient regardée avec des expressions amusées sur leurs visages. Il lui fallut une seconde pour se rendre compte de ce qu’elle venait de dire, puis un rouge vif se répandit sur son visage.

Et à ce moment précis, la cloche sonna. Notre période de déjeuner était terminée.

« Oh, ce n’est pas bon. On va être en retard en classe. »

« Je suis désolé pour tous les ennuis que Linia et Pursena vous ont causés, princesse Ariel… »

« Ce n’est pas grave, Rudeus. Ce sont des choses qui arrivent. »

Luke ouvrit la porte et m’invita à la franchir. Ariel et Sylphie suivirent, après quoi il sortit lui-même et verrouilla la porte derrière lui.

« Allons-y, alors. »

Ariel s’était mise à côté de moi pendant que nous marchions. Sylphie et Luke suivaient légèrement derrière. Peut-être que j’étais aussi censé rester en arrière ? Je n’étais pas très au fait de l’étiquette ici.

« Oh… »

Avant que je puisse me décider, on tourna au coin suivant et on croisa Norn. Elle traînait dans le couloir, regardant autour d’elle avec incertitude. Elle serra les lèvres l’une contre l’autre en me voyant.

« Qu’est-ce qu’il y a, Norn ? Le cours est sur le point de commencer. », avais-je demandé.

Au lieu de répondre, Norn détourna son visage du mien. Par pure coïncidence, elle rencontra le regard de la Princesse Ariel à la place.

« Bonjour, toi. Je suis Ariel, la présidente du conseil des élèves », dit Ariel.

Quand Ariel lui adressa un sourire agréable, le visage de Norn était devenu instantanément rouge. Je suppose que la princesse avait tendance à avoir cet effet sur les gens.

« Je suis, euh… Norn Greyrat. »

« Enchantée de te rencontrer, Norn. Est-ce que quelque chose ne va pas ? Ton prochain cours va bientôt commencer. »

« Euh, eh bien… Je ne sais pas où se trouve la troisième salle d’entraînement… »

« Ah, je vois. »

***

Partie 3

Elle avait donc été laissée derrière quand sa classe avait changé de salle, hein ? Pauvre enfant. Ça pouvait paraître insignifiant, mais ce genre de choses faisait vraiment mal quand ça arrivait à un enfant. Il semblerait que mes inquiétudes sur le fait qu’elle devienne une solitaire pouvaient être justifiées.

« Luke, tu peux lui montrer le chemin, s’il te plaît ? », demanda Ariel.

« Bien sûr. Par ici, Norn. Ce n’est pas loin. »

Posant délicatement une main sur le dos de Norn, Luke l’avait guidée dans le couloir.

Le visage de ma sœur était rouge d’embarras. C’était compréhensible, puisque Luke était un beau garçon, mais je devais la mettre en garde contre lui plus tard. Cet homme était un play-boy né.

Juste avant qu’ils ne tournent au coin, Norn s’était arrêté pour nous regarder. Son regard avait erré entre moi, Ariel, et Sylphie pendant un moment. Mais elle s’était ensuite retournée et était partie. Sans m’avoir dit un seul mot.

Cela m’avait rendu un peu triste.

Une fois les cours terminés, j’avais demandé à Linia et Pursena de me rejoindre à l’arrière du bâtiment principal. J’avais beaucoup de choses à leur dire sur les événements qui s’étaient déroulés aujourd’hui.

Elles étaient arrivées de bonne humeur. Je pense qu’elles avaient apprécié l’idée d’une réunion secrète derrière l’école. C’était exactement le genre d’endroit où se déroulerait une scène dramatique dans un drame romantique.

« Quoi de neuf, patron ? Pourquoi nous as-tu fait venir jusqu’ici ? »

« Tu es enfin prêt à admettre que tu es amoureux de nous ? Eh bien, tu ferais mieux de soumettre le plan à Fitz d’abord. Je ne veux pas qu’elle se mette en colère contre nous. »

Je me sentais presque mal d’avoir gâché leur bonne humeur. Presque.

« Il faut qu’on parle du sac que vous m’avez donné. Je l’ai remis à la Princesse Ariel au déjeuner et lui ai demandé de rendre son contenu à ses propriétaires. », avais-je dit

Au début, leurs visages étaient muets de confusion. Mais un instant plus tard, elles avaient commencé à se donner des coups de coude sur le côté et à se siffler dessus.

« Je te l’avais dit ! Il n’en voulait vraiment pas ! »

« C’est ta faute, Linia. Tu as dit que le patron aimait les culottes. »

« Quoi ? Tu le pensais aussi ! »

« Je voulais qu’on sonde les eaux d’abord. En lui donnant la tienne. »

« Pourquoi juste moi ?! Ça ne serait pas juste ! »

« Ouais. C’est pour ça qu’on a aussi pris celles des dortoirs. »

« Ce n’est pas ce que je veux dire ! Tu aurais aussi pu lui donner les tiennes ! »

« Non. J’ai des gros seins, il ne serait donc pas intéressé. »

C’était assez amusant de voir leurs tentatives pathétiques de s’accuser mutuellement de la situation, mais aussi assez irritant. Et à propos, pourquoi pensaient-elles que je n’aimais que les filles à la poitrine plate ?

« Ok, on se calme ! »

J’avais l’impression qu’elles auraient pu continuer indéfiniment, j’avais donc tapé dans mes mains pour les interrompre.

« Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit tout à l’heure, les filles ? Je vous ai dit de ne pas vous en prendre à plus faible que vous. Vous vous en souvenez ? »

Cela les fit trembler.

« En toute honnêteté, on n’a embêté personne, patron ! », dit Linia en pleurnichant.

« C’est vrai. On leur a juste demandé gentiment », ajouta Pursena en pleurnichant.

Oh, ce n’est pas vrai. Comme si une pauvre petite fille de première année allait dire non à deux brutes terrifiantes de deux fois sa taille.

« Écoutez, vous êtes des hommes bêtes, non ? Je m’attendais à ce que vous compreniez combien il est humiliant de se faire arracher ses vêtements. »

« M-Mais nous leur avons donné de nouveaux sous-vêtements et tout ! C’était juste un échange ! »

« Oh, vraiment ? D’après ce que j’ai entendu, un tas de filles ont été assez secouées par la suite. »

« Leurs nouveaux sous-vêtements n’étaient probablement pas bien ajustés, c’est tout ! On n’a pas pris de culottes aux filles qui ont dit non, je le jure ! »

Hm ? Cela semblait différent de la façon dont Ariel l’avait décrit. Ça m’avait apporté un certain soulagement. Je me serais senti mal si elles avaient arraché de force les vêtements de quelqu’un. J’aurais pu être tenté de les faire se promener nues en public pendant un moment, juste pour qu’elles comprennent à quel point c’était humiliant.

« Tu as dit que tu ne t’énerverais pas, patron ! Tu as promis ! »

« C’était juste un malentendu, tu sais ? Lâche-nous un peu, merde… »

Ces deux-là avaient manifestement plus peur d’être punis qu’autre chose. Mais elles s’étaient finalement donné beaucoup de mal pour moi. Elles avaient remarqué que j’étais déprimé et avaient essayé de me remonter le moral. C’était leur seule motivation.

Par certains aspects, c’était quand même un beau geste, même si je n’aimais pas leur cadeau. J’avais de la sympathie pour leurs victimes, mais en gros, elles voulaient bien faire. Ce n’était pas comme si elles avaient délibérément cherché à humilier quelqu’un, comme les brutes qui m’avaient ciblé dans ma vie précédente.

Oui. Elles ressemblaient plus à une paire d’enfants innocents qui ramassaient des coquilles de cigales. Serait-il vraiment juste pour moi de leur infliger une punition massive ?

« Très bien, je comprends. Mais si je découvre que vous avez vraiment traumatisé quelqu’un, je vais vous faire ramper nue devant eux afin de vous excuser. »

« O-ok, Patron. »

« Nous sommes désolées… »

J’avais le sentiment qu’Ariel s’assurerait que ses victimes soient prises en charge. En gardant cela à l’esprit, je n’avais pas pu trouver en moi la force de m’énerver contre elles, ce qui m’avait un peu surpris. Peut-être que j’étais partial parce qu’elles étaient mes amies ?

« Dites-moi quand même quelque chose. Pourquoi diable avez-vous décidé de m’offrir un tas de sous-vêtements ? »

Elles m’avaient regardé toutes les deux avec un air de confusion, comme si j’avais posé la question la plus étrange du monde.

« Je veux dire, tu vénères les culottes, non ? »

« Oui. Tu en as une paire dans ton autel spécial et tout. »

Ah, d’accord. Donc c’était finalement ma faute. Je n’aurais jamais dû permettre à ces deux idiotes de poser les yeux sur mon objet sacré, même pas une seconde.

« Vous vous trompez. Je ne vénère pas la culotte elle-même. Elle a juste appartenu à quelqu’un que je vénère. C’est en fait une relique sacrée. », avais-je dit.

« Attends, vraiment ? »

« On pensait vraiment que tu étais dans un culte de la culotte ou un truc du genre. »

J’avais un certain penchant pour les culottes, mais je n’avais jamais poussé les choses aussi loin.

« Bien, maintenant que c’est réglé… assurez-vous de ne pas répéter cette erreur, d’accord ? »

« Entendu, patron ! »

« Nous ferons plus ça à partir de maintenant. »

Y avait-il autre chose à dire ? Hmm… oh, oui.

« Si vous ressentez vraiment le besoin de me donner une culotte, je préférerais que vous vous l’enleviez vous-mêmes devant moi. »

« Huh ? »

« Huh ?! »

Oups, peut-être que cette chose n’avait pas besoin d’être dite.

Maintenant, j’avais les deux qui me souriaient d’un air entendu.

« Je le savais ! Tu veux vraiment t’accoupler avec nous, Patron ! »

« Bien sûr qu’il le veut. Au fond, ce n’est au fond qu’un simple mec. Nous sommes irrésistibles. »

Wôw, c’était extrêmement ennuyeux, et ça n’avait pas beaucoup de sens non plus. Ne devraient-elles pas montrer une sorte de dégoût, au lieu de me taquiner comme ça ? Avaient-elles le béguin pour moi ?

Non, ce n’était pas ça. C’était quelque chose de différent. Je pouvais dire qu’elles m’aimaient bien, mais pas de la même manière que Sylphie. Je n’arrivais cependant pas à mettre le doigt sur la différence exacte. Pour l’instant, j’avais pensé que c’était une sorte d’amitié bizarre.

J’avais dit tout ce que j’avais à dire, ce qui mettait fin à cette réunion. Ma réputation allait probablement en prendre un coup à la suite de cet incident, mais je pouvais vivre avec ça. Et je ne me souciais pas tellement de ce que les gens disaient de moi dans mon dos.

En sortant tous les trois de derrière le bâtiment, nous étions tombés sur un groupe d’étudiants de première année. Ils portaient tous leurs sacs d’école, il semblerait donc qu’ils se dirigeaient vers les dortoirs. Dès qu’ils nous aperçurent, ils s’étaient tous déplacés sur le côté du chemin pour s’écarter de notre chemin.

Pendant qu’ils se déplaçaient, j’avais repéré Norn à l’arrière du groupe. Elle m’avait regardé, puis avait regardé Linia et Pursena. Son expression était passée de la surprise à l’indignation et à l’incrédulité, puis, en nous dépassant, elle m’avait lancé un regard mauvais.

Linia et Pursena s’étaient retournées pour la regarder partir, elles n’avaient pas l’air contentes non plus.

« C’est quoi le problème de cette gamine ? Elle a un sacré caractère. »

« Sans blague. On devrait lui apprendre qui est le patron par ici. »

« Pour votre information, c’était ma petite sœur », avais-je dit avec modération.

Linia et Pursena avaient grimacé, leurs oreilles étant visiblement tombées. « Eh bien, c’est bien de voir qu’elle a du caractère ! »

« Oui. Et elle est très mignonne. »

En parlant de transparence.

Avec un sourire, je leur avais donné une tape sur l’épaule.

« Essayez de garder un œil sur elle, d’accord ? »

« Compris, patron ! »

« On va la jouer cool. »

Quand même, ce traitement silencieux de Norn commençait vraiment à m’énerver. Je voulais que nous arrivions au moins à avoir une conversation de base… mais tant qu’elle se débrouillait bien toute seule, il ne me semblait pas juste de forcer la question.

Pendant un moment, les choses s’étaient relativement calmées. Je ne me rapprochais pas de Norn, mais elle passait à la maison une fois tous les dix jours comme elle l’avait promis.

J’étais un peu surpris par le fait qu’elle ne me désobéissait pas plus souvent, étant donné qu’elle me détestait visiblement. Mais la plupart du temps, elle ne me réprimait pas directement… même si elle grimaçait parfois.

Quand on y pensait, je n’avais pas passé beaucoup de temps avec mes sœurs après leur enfance. C’était peut-être stupide de ma part de m’attendre à ce qu’elles me considèrent comme de leur famille. L’attitude amicale d’Aisha était probablement la plus inhabituelle des deux. Ce n’était pas parce qu’on était parent avec quelqu’un qu’on appréciait inconditionnellement la compagnie de l’autre. Je ne le savais que trop bien. En fait, les membres de la famille étaient souvent les personnes auxquelles nous en voulions le plus — et avec le plus de rigueur.

J’avais frappé mon père devant Norn. Paul et moi nous étions rapidement réconciliés et avions mis cet incident derrière nous, mais le souvenir devait encore couver dans le cœur de ma sœur. Si jamais elle en parlait, je devrais m’excuser sincèrement. Même si cela semblait être de l’histoire ancienne pour moi, la douleur et la colère étaient peut-être encore fraîches pour elle.

Il n’y avait cependant pas besoin de précipiter les choses. Nous allions probablement vivre tous les deux à proximité l’un de l’autre pendant des années, voire des décennies. S’il fallait un an ou deux pour qu’elle se rapproche de moi, je pourrais vivre avec.

Ce n’était pas comme si les frères et sœurs devaient être les meilleurs amis du monde. Nous devions juste trouver une relation qui nous convienne à tous les deux, et cela pouvait prendre un certain temps.

Quelques jours seulement après avoir tiré cette conclusion, j’avais reçu des nouvelles alarmantes.

Norn s’était enfermée dans sa chambre.

***

Chapitre 4 : Les sentiments d’un frère

Partie 1

J’avais pris connaissance de la situation alors que je me rendais à l’école avec Sylphie un matin.

Linia et Pursena m’attendaient devant le portail. Dès qu’elles nous virent nous approcher, elles avaient accouru et m’avaient expliqué que Norn s’était enfermée dans sa chambre la veille et qu’elle refusait d’en sortir.

« Je vais aller jeter un coup d’œil ! »

Sylphie était partie en courant vers le dortoir des filles presque instantanément.

De mon côté, j’étais figé sur place. J’aurais probablement dû suivre ma femme, mais la nouvelle m’avait fait paniquer. Je suppose que le mot enfermé avait des connotations très lourdes pour moi.

« Tu n’y vas pas aussi, patron ? »

« Vas-tu ignorer ça ? »

Je ne savais pas quoi dire.

Qu’est-ce que j’allais faire ? Qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’avais l’esprit vide. Dans mon cas, tout était fini à la minute où je m’étais enfermé dans ma chambre. J’étais resté enfermé toute ma vie.

Pourquoi n’en étais-je jamais sorti ? Parce que je pensais que le monde extérieur était un endroit dangereux, plein de gens qui voulaient me faire du mal. Je pensais que je serais à nouveau malmené si je retournais à l’école. Oui, tout avait commencé par de l’intimidation. Je savais qu’ils me rendraient malheureux encore une fois si j’essayais de sortir de mon isolement.

Je devais m’attaquer à la cause du comportement de Norn si je voulais qu’elle change. Avant d’essayer de l’amadouer, je devais trouver la raison pour laquelle elle se cachait dans sa chambre.

Un souvenir de mon passé m’avait traversé l’esprit. J’étais à la cafétéria de mon ancienne école, faisant patiemment la queue. Mais alors que c’était enfin mon tour, une bande de voyous effrayants avait fait irruption devant moi. Empli d’une juste colère, j’avais stupidement décidé de me défendre. Je les avais sermonnés assez fortement pour que tout le monde entende, même s’ils me ricanaient et me disaient d’aller me faire foutre.

Je pouvais voir d’autres étudiants commencer à nous regarder. De plus en plus fier de moi, je m’étais entêté, exigeant des excuses. Au lieu de cela, ils m’avaient battu vicieusement. Quand ça s’était terminé, je pensais qu’ils m’avaient estropié à vie.

Cette seule erreur avait transformé ma vie en un véritable enfer.

S’il y avait une chance que Norn traverse quelque chose de similaire en ce moment, je devais l’aider. Je battrais les brutes qui la harcelaient jusqu’à ce qu’elle se sente à nouveau en sécurité.

Leurs amis ou parents pourraient s’en prendre à moi plus tard, mais je m’occuperais d’eux aussi si je le devais. Je me fichais qu’ils soient de riches aristocrates, ou même de la royauté. Je les combattrais avec tout ce que j’ai. Je m’assurerais qu’ils vivent en regrettant de m’avoir contrarié.

Il y avait une possibilité que Norn ait déclenché le conflit initial. Mais quoi qu’ils lui aient fait en réponse, ils avaient manifestement dépassé les bornes.

Norn était ma sœur. Cela n’avait pas d’importance si elle nous détestait Aisha et moi, ou si elle ne voulait pas vivre avec nous. Elle faisait toujours partie de ma famille. C’était bien le travail du grand frère que de protéger ses frères et sœurs, non ?

Quelques minutes plus tard, j’avançais dans le couloir vers les salles de classe des premières années, suivi de près par Linia et Pursena. J’avais envisagé de faire ça tout seul, mais je ne pensais pas que mon visage était particulièrement intimidant. Au moins, avec ces deux-là à mes côtés, tout le monde devrait savoir que j’étais sérieux.

« Euh, patron… »

« Ne fais pas ça, Linia. Tu ne vois pas à quel point il est en colère ? C’est plutôt effrayant. »

Les deux filles semblaient un peu dubitatives à ce sujet. C’était compréhensible. Je les entraînais dans une situation sérieusement embarrassante. Mais pour l’instant, je n’allais pas laisser mon sentiment de honte m’arrêter. En ce moment, j’étais en mode parent surprotecteur.

Peu de temps après, nous avions atteint la classe primaire de Norn. La leçon était déjà en cours.

« Excusez-moi », avais-je dit tout en ouvrant la porte et en entrant directement.

« Euh, M-Monsieur Greyrat ? Nous sommes au milieu de… »

« J’aimerais que vous me laissiez un peu de temps, si vous le voulez bien. »

« Mais… »

« Ce ne sera pas long. »

En écartant le professeur, j’avais pris sa place derrière l’estrade.

Avant de commencer, j’avais regardé la classe. Tout le monde me regardait avec surprise. Mais quelque part dans cette foule, il devait y avoir une brute qui s’en prenait à ma petite sœur.

L’avaient-ils frappée ? Lui donner des coups de pied ? Peut-être qu’ils l’avaient seulement insultée pour le moment. Peut-être s’étaient-ils juste moqués d’une petite fille triste et seule, isolée dans une ville inconnue.

« Comme la plupart d’entre vous le savent, un membre de cette classe était absent hier. »

Personne n’avait rien eu à dire à ce sujet.

« Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que c’est ma petite sœur. »

Ça avait fait réagir. J’avais entendu des murmures tout autour de la classe.

« Je n’ai pas encore entendu les détails de ma sœur, mais il n’y a pas beaucoup de raisons pour qu’une enfant de son âge arrête de venir en classe. Je pense que quelqu’un dans cette salle est probablement responsable. »

J’avais balayé la salle du regard en parlant, à la recherche d’une réaction. Un certain nombre d’élèves avaient baissé les yeux sur leur bureau lorsque j’avais établi un contact visuel avec eux. La plupart d’entre eux étaient des enfants à l’allure plus dure qui commençaient déjà à faire quelques entorses au code vestimentaire. Avaient-ils mauvaise conscience, peut-être ?

En regardant de plus près, j’avais réalisé que l’un d’entre eux était ce délinquant que j’avais rencontré quelque temps auparavant. Je n’arrivais pas à me souvenir de son nom. Cela pourrait-il être lui ?

Ralentis. Il est trop tôt pour commencer à sauter aux conclusions.

« Je n’attends pas grand-chose de ces responsables. Peut-être qu’ils ne faisaient que s’amuser, ou qu’ils essayaient d’apprendre à connaître ma sœur, et que les choses ont pris une tournure bizarre. Peut-être qu’elle les a en quelque sorte provoqués. », avais-je dit.

Je regardais tous les visages de la classe très attentivement maintenant.

Qui était-ce ? Qui la harcèle ? Est-ce ce gosse de riche là-bas ? Ou peut-être cet enfant démon renfrogné ? Non, ça pourrait tout aussi bien être une fille ordinaire. Les enfants ordinaires peuvent être parfois les plus méchants de tous les tyrans.

« J’apprécierais beaucoup que toutes les personnes impliquées se manifestent et l’admettent. Je ne vais pas vous crier dessus. Je veux juste que vous reconnaissiez ce que vous avez fait et que vous vous excusiez auprès de ma sœur. »

Et après ça, je vous réduirai en purée.

Certains des enfants dans cette pièce étaient à peu près aussi jeunes que Norn, mais la majorité était plus âgée. Certains étaient même à la fin de leur adolescence. Il y en avait probablement au moins quelques-uns qui avaient détourné le regard. Il y avait même une chance qu’ils aient tous été dans le coup. Plus j’y pensais, plus j’étais en colère.

Pendant quelques longs moments, personne n’avait dit un mot. Tout le monde me fixait, les yeux écarquillés par la surprise.

« Uhm… »

Finalement, une fille du groupe hésita à lever la main. Il m’avait fallu beaucoup de volonté pour m’empêcher de lui tirer dessus avec un canon de pierre.

C’était une homme-bête, âgée de treize ans, peut-être, qui ressemblait un peu à un chien viverrin. Elle avait un visage rond, des yeux timides, et une coupe de cheveux au carré. Ce n’était sûrement pas le type d’enfant qui aurait pu faire des brutalités. C’était plus facile de l’imaginer se faire intimider.

« J’étais en train de parler à Norn l’autre jour, et… »

« Tu lui as accidentellement dit quelque chose de méchant ? »

Tant que ce n’était que quelques mots méchants, peut-être que j’irais doucement avec elle.

« Non, non ! C’est juste que, euh… J’ai entendu beaucoup d’histoires sur vous, M. Greyrat. Mais Norn est plus une fille ordinaire, non ? J’ai juste fait remarquer que vous étiez assez différents l’un de l’autre, et elle s’est mise en colère contre moi… »

Ça n’avait aucun sens. Pourquoi Norn se serait-elle énervée pour ça ? Elle ne voulait pas être comme moi. Elle ne m’aimait même pas.

« Oh… »

La professeur qui se tenait sur le côté de la pièce semblait s’être souvenue de quelque chose. J’avais tourné mon attention vers elle. À première vue, la femme ressemblait à une magicienne ordinaire d’âge moyen. Il ne m’était même pas venu à l’esprit qu’un professeur pouvait être le coupable, mais les adultes pouvaient évidemment aussi être des brutes.

« Quelque chose vous est venu à l’esprit, Mademoiselle ? »

« Eh bien, je rendais à Norn ses devoirs hier, et… »

« Elle ne pouvait pas finir tous les devoirs que vous lui aviez donnés, alors vous l’avez fait se tenir nue dans le bureau de la faculté pendant une heure ? »

« Quoi ? N-Non, non ! Elle n’a pas très bien réussi son devoir, alors je lui ai dit d’apprendre de votre exemple et de faire un peu plus d’efforts la prochaine fois. »

« … »

« J’ai cru qu’elle allait pleurer pendant un moment, mais elle hocha ensuite la tête et dit qu’elle ferait de son mieux. »

Attendez, quoi ? Elle a failli pleurer ?

« Oh, attendez, je me souviens que… »

Tout d’un coup, il y eut plusieurs personnes qui s’exprimèrent de partout dans la classe. Et tous avaient des histoires similaires à partager.

Après avoir laissé la classe derrière nous, nous nous étions dirigés tous les trois vers le réfectoire. À cette heure de la journée, il était totalement désert.

***

Partie 2

J’avais pris un siège au hasard et m’étais effondré sur la table. Cette fois, ça faisait vraiment mal.

Pour faire court, tout m’était revenu. Chaque fois que Norn avait perdu son sang-froid, c’était parce que quelqu’un avait mentionné mon nom ou l’avait comparée à moi.

La plupart des élèves de sa classe savaient que nous étions frères et sœurs. Ce n’était pas trop étrange en soi. Nous avions les mêmes parents, et nous nous ressemblions. Mais chaque fois que quelqu’un le mentionnait, Norn réagissait mal. Elle détestait être comparée à moi, mais elle était tout aussi contrariée lorsque quelqu’un faisait référence à moi pour la complimenter.

Ses camarades de classe n’étaient pas à blâmer pour tout cela. Aucun d’entre eux n’essayait délibérément de la contrarier. Certains d’entre eux essayaient même d’être gentils en lui disant qu’elle n’avait rien à voir avec son effrayant frère.

Le vrai problème était que presque tout le monde dans cette école me connaissait. Et donc, même sans le vouloir, ils avaient tendance à parler de moi quand ils étaient avec elle. Cela avait toujours été difficile pour Norn. Dans son ancienne école, elle était constamment comparée à Aisha, et jamais d’une bonne façon. Elle était la sœur la moins douée, et ils lui avaient mis le nez dedans tous les jours.

Elle était enfin dans une nouvelle école, vivant seule, sans Aisha pour lui faire de l’ombre. Mais avant qu’elle ait eu la chance de reprendre son souffle, tout le monde commença à la comparer à moi. Où qu’elle aille, elle avait été forcée de faire face au fait qu’elle était la membre la moins talentueuse de sa famille.

Ça avait dû être dur en soi. Et puis, pour couronner le tout, il y avait eu l’incident de la culotte.

Heureusement, personne n’avait été traumatisé par cette histoire. Ariel avait fait un excellent travail de suivi avec les victimes, et maintenant, la plupart d’entre elles pouvaient y repenser et en rire. D’après ce que j’avais compris, Linia n’avait pas forcé les filles à se déshabiller contre leur gré, mais les avait plutôt harcelées pour qu’elles échangent leurs sous-vêtements. Il semblerait que quelqu’un avait vu cela de loin et avait donné au conseil des élèves une version exagérée des événements.

Pourtant, je ne pouvais qu’imaginer ce que Norn avait ressenti quand elle l’avait appris. C’était déjà difficile de se sentir inférieur à son frère, mais se sentir inférieur à son frère totalement pervers doit être dix fois pire.

« Soupir… »

Mais c’était quoi mon problème au fait ? J’avais tiré des conclusions hâtives et fait irruption dans sa classe comme un idiot. Je n’étais pas un parent surprotecteur, j’étais un idiot surprotecteur.

« Désolé de vous avoir entraînées là-dedans, les gars. Je suppose que j’ai été un peu stupide. », avais-je marmonné en regardant mes fidèles subordonnées.

« Ce n’est pas vrai. Ce n’est jamais stupide d’essayer d’aider sa famille. »

« Elle a raison, patron. »

« Si la petite reste dans cette chambre trop longtemps, son cerveau va fondre en bouillie. »

« C’est vrai, miaou. »

« Elle pourrait même devenir aussi stupide que Linia. »

« Ouais, elle pourrait…rrrrrr !! »

Je n’avais même pas pu esquisser un sourire alors que Linia et Pursena se livraient à leur comédie habituelle. Je savais à quel point ce genre de situation pouvait être délicate. Les gens n’arrêtaient pas de sortir parce que c’est amusant. Il y avait toujours une raison pour laquelle ils ne pouvaient pas se résoudre à sortir, et les faire sortir de force de leur chambre n’y changeait rien. En fait, cela ne faisait qu’aggraver le problème.

Cela dit, ce n’était pas le genre de chose que nous pouvions simplement ignorer. Si Norn restait là trop longtemps, elle finirait par le regretter. Même un mois ou deux gaspillés pouvaient avoir de graves conséquences.

Je savais malheureusement tout cela par expérience. Mais ce n’était pas quelque chose que vous pouviez expliquer à un enfant qui était au milieu de tout ça.

Finalement, même les cas les plus têtus commençaient à souhaiter pouvoir revenir en arrière et faire les choses différemment. Mais il fallait beaucoup de temps pour en arriver là. Le vrai regret ne vous frappait pas avant qu’un an — ou deux, ou même dix — se soient écoulés. Et à ce moment-là, il était trop tard pour revenir sur les choix que vous aviez faits.

Je suppose que c’était en partie pourquoi tant de parents poussaient leurs enfants si fort. Tout le monde avait des regrets. Parfois, on reportait ces regrets sur les autres.

« Dites-moi, vous deux. Disons que vous êtes moins doués que vos frères et sœurs, et que les gens ne cessent de vous le rappeler. Quelle est la meilleure chose que vous puissiez faire pour y remédier ? »

Linia et Pursena s’étaient regardées et avaient haussé les épaules.

« Je ne sais pas, patron. On est de base toutes les deux assez douées. »

« Oui. On est douées pour tout. »

Attendez, je croyais que vous aviez été envoyées ici parce que vous étiez trop bêtes et paresseuses pour diriger votre tribu. Pas vrai ? Genre, ils voulaient vous remettre en forme avant de vous donner du pouvoir ?

Eh bien, peu importe. Leur manque total de conscience de soi ne leur avait pas fait de mal. Cette approche n’allait cependant pas fonctionner pour Norn. Ce n’était qu’une petite fille sensible, pas une narcissique à fourrure.

« Oh, je connais quelqu’un comme ça, pourtant ! Tante Ghislaine ! C’était une voyou qui passait tout le temps à se battre. Mais ensuite, elle a commencé à s’entraîner, et elle a fini par devenir un roi de l’épée ! », dit fièrement Linia.

« Hmm. Ok, ce n’est pas un mauvais exemple… »

Ghislaine était un cas exceptionnel, mais il y avait certainement une chance que Norn ait un talent inattendu que nous n’avions pas encore découvert. Il n’y avait aucune raison pour qu’elle soit en compétition avec moi ou Aisha dans les domaines où nous étions bons. Si elle ne voulait pas être comparée à nous, elle pouvait simplement faire quelque chose qu’aucun de nous n’avait essayé. Je n’étais pas sûr de ce que ce quelque chose pouvait être, mais le monde était grand. Elle pourrait sûrement trouver un domaine qui l’intéressait, en dehors de la magie ou de l’épée.

Il y avait un risque qu’elle ne soit pas particulièrement douée dans ce qu’elle déciderait de faire de sa vie. C’était aussi arrivé à Zanoba. Mais malgré son manque de talent en tant qu’artisan, le prince semblait quand même profiter de la vie. Il pouvait fabriquer ses propres figurines, les collectionner et les apprécier. C’était suffisant pour le rendre heureux, et c’était tout ce qui comptait vraiment.

Néanmoins, il serait probablement difficile de convaincre Norn de cela. Aucun de ces arguments n’aurait fonctionné sur moi à l’époque.

« Mais comment suis-je censé lui parler de tout ça ? »

« Ne réfléchis pas trop, Patron. Fais irruption là-dedans et dis-lui franchement ! »

« Oui. Dis-lui juste de ramener ses fesses en classe. »

Elles avaient fait en sorte que ça paraisse simple… mais peut-être que je passais trop de temps à essayer de penser à tous ces détails. Norn n’avait après tout que dix ans. Peut-être qu’elle était juste en train de bouder.

Je voulais dire, c’était seulement son deuxième jour dans sa chambre, non ? Il était bien trop tôt pour la qualifier d’enfermée à ce stade. Passer quelques jours seul quand on se sentait mal n’avait rien d’inhabituel.

Cela dit, il était évident qu’elle avait du mal en ce moment. Je m’étais dit qu’elle avait probablement juste besoin d’espace, mais était-ce vraiment vrai ? Peut-être que j’avais juste évité le problème.

En tant que grand frère, j’aurais pu au moins essayer de soutenir activement Norn et l’aider à s’adapter. L’approche passive était peut-être plus facile, mais cela ne signifiait pas que c’était le meilleur choix. Ce serait peut-être une autre histoire s’il s’agissait d’un lycéen, ou même d’un collégien, mais Norn n’avait que dix ans. Lui donner plus d’attention qu’elle n’en voulait était probablement la bonne décision.

Avant que je ne le sache, j’avais établi un plan d’action.

« Bon, très bien. Je vais aller lui parler. »

« C’est l’esprit, Patron ! »

« Ouais. Va lui donner une petite claque sur la tête. »

Bien sûr, étant la cause directe des problèmes de Norn, il était donc très possible qu’elle n’écoute pas un mot de ce que j’avais à dire. Mais je n’allais pas me rendre fou en pensant à ça. Chaque chose en son temps : je devais aller la voir et entendre ce qu’elle avait à dire.

« Oh. Je ne sais pas trop comment je vais réussir à faire pour aller la voir… »

La chambre de Norn était dans le dortoir des filles. Je pouvais passer devant en toute sécurité ces jours-ci, mais cela ne signifiait pas qu’ils allaient me laisser me promener à l’intérieur.

« Tu vas juste te faufiler à l’intérieur, évidemment. »

« Il est temps de faire une opération secrète, patron. Laisse-nous nous occuper de la planification ! »

***

Partie 3

« L’opération secrète » ne s’était heureusement pas avérée trop difficile. J’avais beaucoup d’amis à l’intérieur : Sylphie et Ariel étaient aussi dans ce dortoir. Lorsque j’avais expliqué la situation à la princesse, elle avait immédiatement accepté de m’aider. Bien sûr, Goliade et les autres membres de son équipe d’autodéfense n’allaient pas se laisser convaincre aussi facilement, et la visite devait donc rester secrète.

Linia, Pursena et Sylphie s’occuperaient du soutien opérationnel réel. Sylphie était prête à aider, mais elle semblait un peu abattue par la situation.

« Je suis désolée, Rudy. Je t’ai promis que je garderais un œil sur Norn, mais elle ne veut même pas me parler… »

« Ce n’est pas ta faute, Sylphie. Je suis le seul à blâmer ici. »

J’avais expliqué ce que j’avais appris sur la situation, notamment le fait que la dépression de Norn avait beaucoup à voir avec moi.

Sylphie avait écouté en silence, mais elle avait finalement froncé les sourcils et secoué la tête.

« Rien de tout cela ne semble être de ta faute, Rudy. »

« Quoi ? Mais je… euh… »

Hm. Maintenant que j’y pensais, peut-être que je n’avais pas vraiment fait quelque chose de mal. Mais ce n’était pas comme si j’avais très bien géré la situation.

Ça n’avait de toute façon pas d’importance. J’avais toujours besoin de réparer ça.

*****

Ce soir-là, j’avais attendu l’heure du dîner, puis je m’étais dirigé vers le dortoir.

La majorité des résidents étaient à la cantine en ce moment. La rumeur s’était répandue qu’Ariel allait y faire un discours impromptu, et elle attirait toujours une grande foule.

Cela ne voulait cependant pas dire que les dortoirs seraient totalement déserts. Le réfectoire ne pouvait pas contenir tous les étudiants, même si on essayait. Pourtant, j’avais compris que les membres de l’équipe d’autodéfense étaient encouragés à y assister.

Je m’étais glissé le long du bâtiment aussi furtivement que possible, à la recherche d’une pièce spécifique. Après quelques instants, je l’avais repérée : une fenêtre avec une seule fleur posée sur le rebord.

J’avais attrapé un petit caillou et l’avais jeté sur la fenêtre. Un instant plus tard, elle s’était ouverte en glissant. Après cela, il ne me restait plus qu’à me soulever du sol avec le sort Lance de Terre et à grimper à l’intérieur.

« … Hm. »

Je m’étais retrouvé à l’intérieur d’une pièce sombre ayant une forte odeur animale. L’odeur ne me dérangeait pas tant que ça. Peut-être était-ce parce que les bêtes en question étaient aussi des jeunes femmes. Les animaux avaient tendance à être plus tolérants envers les odeurs émises par des compagnons potentiels, non ?

« Merci pour ton aide. »

« De rien, patron. »

Linia m’attendait ici depuis un moment. Ses yeux de chat scintillaient légèrement dans l’obscurité.

Mes yeux commençaient à s’ajuster, j’avais donc jeté un coup d’œil à l’endroit. La disposition était parfaitement typique. Il y avait un lit superposé à deux niveaux, quelques bureaux et chaises, et un placard commun.

C’était un peu difficile à dire, mais la chambre avait l’air d’être un peu en désordre.

« Ne regarde pas trop autour de toi, patron. C’est embarrassant, tu sais ? »

« C’est vrai. Désolé. »

J’avais fait quelques pas prudents en avant et j’avais tâtonné, à la recherche de la poignée de porte. À la place, ma main s’était refermée sur quelque chose d’étrangement doux.

« Ooh. C’est un des soutiens-gorge de Pursena. »

« … »

Je n’étais pas sûr de son tour de poitrine, mais au toucher, ça devait être impressionnant.

« Nyheh. N’hésite pas à l’emporter chez toi, patron. »

« Je ne pense pas que tu puisses décider de ça. »

J’avais jeté le soutien-gorge avec un soupir. En temps normal, j’aurais pu en profiter pour le presser contre ma bouche et prendre quelques grandes respirations, mais il n’y avait pas de temps à perdre pour le moment.

Linia s’était glissée devant moi et avait frappé à sa porte de l’intérieur. Quelques secondes plus tard, un autre coup avait répondu de l’extérieur.

« On dirait qu’on est bon. »

Nous avions tous les deux fait pivoter la porte, et je m’étais rapidement glissé dans le chariot à linge qui attendait juste devant, me terrant sous une pile de draps.

Rien qu’à l’odeur, je pouvais dire qu’ils venaient du lit de Sylphie. Il y avait aussi des couvertures et des chemises pour donner un peu plus de volume, et tout cela sentait comme elle. Je n’arrivais cependant pas à trouver l’énergie pour m’exciter.

Norn était la seule chose à laquelle je pensais en ce moment.

Ma petite sœur souffrait. Elle était toute seule dans cette pièce, totalement isolée, se cachant du monde. Et je devais l’aider. J’étais après tout son frère.

« OK. On y va. »

Et alors que le chariot avançait dans les couloirs, je pensais au problème en cours.

Si c’était juste une crise de colère, ce ne serait pas grand-chose. Mais si c’était quelque chose de plus sérieux ? Serais-je utile ici ? Jusqu’au jour où mes frères m’avaient jeté à la rue, je n’avais jamais réussi à sortir de chez moi. S’il y avait un argument qui aurait pu me faire sortir, je ne le connaissais pas.

« On arrive, patron. »

Le chariot avait atteint sa destination avant que je puisse tirer de véritables conclusions.

Nous étions devant la chambre de Norn.

J’avais poussé la porte aussi silencieusement que possible et j’étais entré.

La pièce était totalement sombre, je m’étais donc arrêté pour allumer une des bougies dans le coin.

Dans sa faible lumière, je pouvais voir Norn assise sur son lit, tenant ses genoux contre sa poitrine. Ses yeux étaient ouverts, et elle me fixait.

« … »

Je m’étais approché lentement d’elle et j’avais pris place sur la chaise la plus proche.

Mais au fait, qu’est-ce qu’on était censé dire dans des moments comme ça ? Qu’est-ce que j’aurais voulu que quelqu’un me dise ? Je n’arrivais pas à me souvenir. Tous les mots que j’avais répétés à l’avance s’étaient évaporés de mon esprit.

Je pouvais au moins me souvenir des choses que je détestais entendre. Principalement les clichés faciles. Au moins, je n’allais pas tomber dans le schéma « c’est comme ça ou rien ». Pas de « tu retournes à l’école tout de suite ». Pas de « je paie tes frais de scolarité pour une raison, jeune fille ». Et pas de « arrête de faire une telle nuisance de toi-même ».

Ce genre de phrases ne ferait que se retourner contre moi.

Dans un sens, Linia et Pursena avaient peut-être raison : une claque sur la tête serait plus simple. Norn n’avait que dix ans, cela pourrait suffire à lui faire faire ce que je voulais. Mais ce serait le contraire d’une solution à long terme. Une autre crise surviendrait bien assez tôt, et elle deviendrait de plus en plus rebelle.

Et en plus de tout le reste, elle se cachait ici par ma faute. Quel droit avais-je de lui faire la morale, et encore moins de la frapper ? Au moins, je lui devais des excuses.

Mais ce n’était pas comme si mes excuses allaient changer quoi que ce soit. Les rumeurs sur moi n’allaient pas disparaître, et Norn allait continuer à être comparée à moi.

« Norn, je… »

« Uhm, Rudeus — »

Nous avions tous les deux parlé exactement au même moment.

Je m’étais coupé au milieu de la phrase pour que Norn puisse continuer. Mais elle s’était tue elle aussi. C’était une sensation désagréable. J’avais eu l’impression d’avoir raté ma seule chance.

Je devais cependant croire que ce n’était pas vraiment le cas. Je m’étais donc forcé à entamer la conversation.

 

« Je suis désolé, Norn. Ça n’a pas été facile pour toi ici, n’est-ce pas ? »

J’avais fait une pause pendant un moment, mais elle n’avait rien dit en réponse.

« Tu as finalement été acceptée dans une nouvelle école, mais maintenant tout le monde te harcèle à mon sujet. Je ne sais même pas quoi dire, honnêtement… », avais-je continué.

Norn n’avait pas répondu.

« Je suppose que je ne te comprends pas vraiment… si bien que ça… »

Toujours pas de réponse. Et malgré toute la réflexion que j’avais faite en venant ici, je m’étais retrouvé à court de mots. Je ne savais rien d’elle. J’avais gardé mes distances avec elle, me disant de ne pas être indiscret. Je n’avais même pas essayé d’apprendre à la connaître.

« … Je sais que cela doit être difficile pour toi, mais je ne suis pas sûr de ce que je dois faire », avais-je essayé à nouveau.

Norn était toujours silencieuse. Je ne pouvais pas commencer à dire ce qu’elle pensait. Je ne savais même pas si elle m’écoutait.

Est-ce que c’était en fin de compte une cause perdue ? Devrais-je simplement reculer et attendre que Paul arrive ? Peut-être que je devrais prendre du recul et chercher de l’aide auprès des gens que je connais. Nanahoshi pourrait peut-être m’aider à comprendre ce qu’une jeune fille pouvait penser. Peut-être qu’Elinalise pourrait trouver une façon intelligente de l’amadouer. Il n’y avait aucune raison pour que j’essaie de résoudre ce problème tout seul, non ?

« … Oh. »

Soudainement, je m’étais souvenu d’une chose à laquelle je n’avais pas pensé depuis longtemps.

Quand j’avais commencé à me couper du monde, un de mes frères venait me voir dans ma chambre. Il me regardait toujours droit dans les yeux et m’assénait toutes sortes d’arguments qui semblaient raisonnables.

« La vie a toujours des hauts et des bas, tu sais ? Mais il y a des gens qui ont plus de mal que toi. Les choses sont peut-être difficiles en ce moment, mais si tu fuis tous tes problèmes, tu continueras à fuir pour toujours. C’est bien pire à long terme. Tu n’es pas obligé de retourner à l’école tout de suite, mais pourquoi ne viens-tu pas au moins déjeuner avec moi ? »

Dans mon esprit, j’avais répondu à ces mots en lui crachant au visage. Et en réalité, je l’avais ignoré.

Malgré cela, il restait là un certain temps après avoir prononcé ses discours. Il me regardait attentivement, comme s’il avait quelque chose de plus à dire. Mais je continuais à l’ignorer, persuadé qu’il ne pouvait pas comprendre mes sentiments.

Peut-être que c’était ce qu’il avait ressenti à l’époque.

Nous restions assis comme ça pendant des heures, parfois dans un silence total, avant qu’il ne se lève et ne parte. Au bout d’un moment, il avait cessé de venir. Je ne pouvais que deviner ce qu’il pensait. Et bien qu’il ne soit plus venu, un tas d’autres personnes avaient commencé à me rendre visite à la place. Peut-être qu’il avait arrangé ça.

Finalement, je n’avais pas non plus prêté attention à ce que ces gens disaient.

Cela pourrait être un tournant crucial. Si je me retirais maintenant, j’avais le sentiment que Norn pourrait rester dans cette pièce pour toujours.

Je ne pouvais pas simplement me retourner et fuir. Pas cette fois.

Pendant un long moment, j’avais étudié ma sœur tranquillement dans l’obscurité.

***

Chapitre 5 : Norn Greyrat

Partie 1

Je ne savais pas quand j’avais commencé à avoir peur de mon frère. Mais ce n’était pas le jour de notre première rencontre.

La première fois que j’avais rencontré Rudeus, c’était le jour où il avait frappé mon père au visage.

J’aimais mon père. Il avait d’énormes défauts, mais je savais qu’il se souciait beaucoup de moi, et qu’il me faisait toujours passer en premier. Plus important encore, j’avais moins de cinq ans à l’époque. La plupart des enfants aimaient leurs parents inconditionnellement à cet âge.

J’adorais mon père. Et Rudeus avait débarqué de nulle part et avait commencé à le frapper.

Je n’avais pas vraiment compris la conversation qui avait mené à ça. À ce stade, des années après les faits, je pouvais reconnaître que mon père avait en fait provoqué la bagarre. Rudeus venait d’achever un long et difficile voyage dans un pays dangereux, et papa s’était moqué de lui sans ménagement. Mais à l’époque, tout ce que je voyais, c’était mon frère assis sur mon père, le frappant à plusieurs reprises. Et tout ce que je pouvais penser, c’était il allait le tuer. C’était la seule chose qui comptait pour moi à ce moment-là.

Naturellement, je n’étais pas prête à accepter le fait qu’un tel monstre fasse partie de ma famille.

Je n’avais pas peur de Rudeus à l’époque. Je le détestais, tout simplement.

Je continuais donc à le détester bien après ça. Et le fait que tout le monde ait ressenti le besoin de le complimenter ne m’avait pas aidée.

Ce n’était pas uniquement mon père, quand j’avais rencontré ma sœur et la bonne de la famille plus tard, elles avaient aussi parlé de lui en termes élogieux. Mais plus ils le louaient, plus je m’entêtais à le mépriser.

Je détestais ma sœur presque autant que je détestais Rudeus. À l’école où nous allions ensemble, Aisha insistait pour être constamment en compétition avec moi. Elle me mettait au défi en classe et sur le terrain où nous nous entraînions, et elle me battait toujours à plate couture. Elle me mettait le nez dans mes échecs.

Avec elle dans les parages, je passais chaque jour à me sentir comme une perdante. Je ne pensais pas que je pourrais un jour être amie avec elle.

Ma grand-mère était au courant de cet état de fait, et elle n’aimait pas du tout ça. Elle n’avait que du mépris pour Aisha, qu’elle appelait « illégitime ». Mais elle avait aussi de grands espoirs pour moi… ou du moins de grandes attentes. Elle avait dit que j’étais une « dame de la famille Latria ». Apparemment, cela signifiait que je devais être un minimum « compétente ».

J’avais été obligée de suivre des cours d’étiquette et des leçons pour me préparer à des cérémonies spécifiques. Rien de tout cela n’était inné en moi, je faisais des erreurs à répétition et j’étais réprimandée tous les jours. Chaque fois que je me mettais dans l’embarras, ma grand-mère marmonnait : « Je suppose que ces aventures doivent polluer le sang ainsi que l’esprit ».

Je savais qu’elle insultait à la fois ma mère et mon père avec ces mots. Mon père travaillait dur pour moi, et c’était tout ce qu’elle avait à dire sur lui. Il n’avait pas fallu longtemps pour que je commence à la détester aussi.

Alors, quand la professeur de mon frère était arrivée et nous avait dit où était ma mère, je m’étais décidée à suivre mon père dans son voyage au lieu de rester avec ma grand-mère.

Papa était hésitant. Il pensait que ce serait plus sûr pour moi de rester derrière. Ma mère venait de l’aristocratie Millis, et mon père d’une maison noble d’Asura. J’avais une bonne lignée, du moins en ces termes. Grâce à cela, mon grand-père était prêt à me prendre dans sa maison de façon permanente.

Mais je détestais cette idée, j’avais donc supplié mon père de me prendre avec lui. J’avais pleuré et supplié. Et finalement, j’avais pu venir avec lui.

Et pourtant…, mon père m’avait finalement envoyé vivre avec Rudeus.

Il avait dit que les choses seraient trop dangereuses à partir de maintenant. Il avait dit que Rudeus vivait dans le nord, et que je devais y rester et l’attendre. Il avait dit qu’il me suivrait là-haut une fois qu’il aurait retrouvé ma mère.

J’avais pleuré. J’avais refusé. Je l’avais supplié de me prendre avec lui. La dernière chose que je voulais était d’être séparée de lui maintenant, après que nous soyons allés si loin ensemble. Si Ruijerd n’était pas arrivé, j’aurais peut-être fini par épuiser mon père. Et puis je serais probablement tombée malade ou blessée pendant ce dur voyage à travers le continent Begaritt. Je lui aurais probablement causé toutes sortes de problèmes.

Mais grâce à Ruijerd, on n’en était pas arrivé là.

Je me souvenais très bien de lui. Le jour où j’avais rencontré mon frère, Ruijerd avait tendu la main et m’avait rattrapée quand j’avais trébuché dans la rue. Il m’avait tapoté la tête et m’avait donné une pomme. Je ne connaissais pas son nom à l’époque. J’avais appris qu’il était le garde du corps de mon frère, mais je n’avais jamais eu l’occasion de lui demander son nom.

Il était tout aussi gentil la deuxième fois où nous nous étions rencontrés. Il m’avait encore tapoté la tête et m’avait gentiment persuadée de faire le bon choix.

Et ce fut ainsi que j’avais fini par me diriger vers le nord, vers la nouvelle maison de mon frère.

Aisha était pleine d’énergie et d’enthousiasme dès que nous avons pris la route. Elle avait laissé tomber ses manières de bonne fille qu’elle montrait devant papa et Lilia, et commença à agir comme le chef de notre expédition, venant ainsi avec toutes sortes de plans fous.

Je pensais qu’elle était stupide. Le fait qu’elle essayait de prendre les choses en main alors que nous avions deux adultes qui voyageaient avec nous me semblait ridicule. Mais pour une raison quelconque, Ruijerd et Ginger l’avaient pris au sérieux et avaient même accepté la plupart de ses idées.

Cela ne semblait pas du tout juste. Ses opinions semblaient toujours avoir plus de poids. Tout ce que je disais était ignoré.

Ruijerd était la principale raison qui avait fait que j’avais pu supporter ça. Il avait au moins de la considération pour mes sentiments. Il prenait toujours le temps de me réconforter et d’écouter mes plaintes.

Mais même lui passait beaucoup de temps à complimenter mon frère.

Il disait que Rudeus était un homme remarquable. Il m’avait dit à quel point il avait hâte de le voir. Il souriait même légèrement lorsqu’il parlait de lui, lui qui ne souriait presque jamais. Le Rudeus que je connaissais et le Rudeus dont il parlait semblaient être des personnes totalement différentes.

C’était peut-être à ce moment-là que j’avais commencé à avoir peur de mon frère.

Rudeus était un puissant magicien. Il était digne de respect. Tout le monde le disait. Mais le Rudeus que je connaissais était l’homme qui avait jeté mon père au sol et l’avait battu. C’était une personne violente. Si je l’énervais, il n’y avait aucune garantie qu’il ne me frappe pas comme il avait frappé mon père.

J’avais peur de le rencontrer, et l’idée de vivre avec lui pendant des mois était terrifiante. Parfois, je me réveillais au milieu de la nuit, tremblante. Parfois, je ne pouvais pas m’endormir du tout, mais Ruijerd était toujours là pour me réconforter. Il me mettait sur ses genoux et nous regardions les étoiles ensemble pendant qu’il me racontait des histoires de son passé. La plupart étaient tristes, mais pour une raison quelconque, elles m’aidaient toujours à m’endormir.

Et au moment où je m’apprêtais à revoir Rudeus pour la première fois depuis des années, celui-ci était ivre et s’accrochait à une femme.

Apparemment, c’était une de ses amies d’enfance du village de Buena, et ils s’étaient mariés récemment. Je ne me souvenais pas du tout d’elle. J’avais le vague souvenir d’une gamine plus âgée qui traînait avec Aisha et Lilia, mais je ne me souvenais plus si elle ressemblait à cette Sylphie. Elle avait dû beaucoup changer au fil des ans.

Rudeus profitait visiblement pleinement de sa vie ici.

Voir cette scène m’avait mise en colère. Mon père n’avait pas perdu de temps à jouer avec les femmes pendant des années. Il avait dit qu’il mettait ça en attente jusqu’à ce qu’il trouve ma mère. Il n’avait même pas touché Lilia, et encore moins les autres femmes proches de lui.

D’un autre côté, la priorité de mon frère était son propre bonheur. Cela m’avait rendue folle.

Cependant, je ne pouvais pas me résoudre à dire quoi que ce soit. J’avais peur de lui. J’avais peur qu’il commence à me frapper si je le mettais en colère.

Ruijerd interviendrait-il pour me défendre si cela arrivait ? C’était difficile à dire. Il semblait vraiment heureux de revoir Rudeus. Peut-être qu’il ne serait pas de mon côté. Peut-être qu’il dirait que j’étais impolie ou égoïste.

Je n’avais rien pu dire cette première nuit. Et puis, dès le lendemain, Ruijerd était parti pour de bon. J’avais supposé qu’il resterait avec nous un peu plus longtemps. Je ne voulais pas qu’il parte. Mais il était parti quand même.

J’avais encore plus peur qu’avant. Les seules personnes restantes dans la maison étaient Rudeus, sa femme et Aisha. Ma petite sœur était ravie d’être à nouveau avec Rudeus. Sylphie semblait être une personne assez gentille, mais elle n’était pas de mon côté. Je n’avais personne de mon côté.

Et j’étais coincée ici jusqu’au retour de mon père. J’allais devoir vivre dans la peur pendant des mois et des mois.

Rudeus sera probablement gentil avec Aisha, mais strict avec moi. Il féliciterait ma sœur et me dirait de faire plus d’efforts.

Aisha disait toujours que c’était ma faute si je ne faisais rien de bien. Elle disait que je ne faisais pas d’efforts. Mais il y avait des choses que je ne pouvais pas faire, même si j’essayais très fort. Même si je voulais m’améliorer, même si je m’entraînais beaucoup, je ne pouvais toujours pas me comparer à elle. Alors qu’est-ce que j’étais censée faire ?

Pour l’instant, tout ce que je pouvais faire était de rester à l’écart. Je m’étais cachée, en espérant que personne ne se fâche contre moi. En espérant que personne ne me dise à quel point j’étais inférieure.

La ville dehors était couverte de neige. J’avais peur d’être jetée dans le froid toute seule.

Rudeus décida subitement que je devais commencer à aller à l’école.

Cette « université » semblait assez différente de l’école que j’avais fréquentée à Millishion. Je pouvais m’inscrire en première année, mais cela ne signifiait pas que tous mes camarades de classe auraient mon âge. Il y avait toutes sortes de personnes qui étudiaient là, et la plupart d’entre elles étaient plus âgées que moi.

Pour être honnête, je ne voulais pas y aller. Je savais que je finirais par être à nouveau comparée à Aisha. Mais il s’était avéré que ma sœur n’avait pas l’intention de retourner à l’école. C’était enfin une bonne nouvelle pour moi. Sans elle dans les parages, je pourrais peut-être faire un peu mieux.

Mon frère posa cependant une condition à Aisha. Elle devait passer l’examen d’entrée de l’université. C’était un test que tout le monde devait passer avant d’entrer dans l’école — ce qui signifiait que je devais le passer aussi.

Cela m’avait profondément découragée. Il n’y avait aucune chance que je réussisse un test sans même l’étudier. Je l’avais ainsi signalé à Rudeus, mais ce dernier me dit qu’il pouvait simplement m’acheter une place à l’université. C’était une chose tellement irréfléchie et impolie à dire que je m’étais mise en colère malgré moi. Aisha s’était alors mise en colère contre moi parce que j’étais en colère, et ça s’était transformé en bagarre.

« Arrêtez, vous deux. »

Le ton froid de mon frère déclencha un pincement au cœur en moi.

Pendant une seconde, j’avais cru qu’il allait me frapper. J’avais tellement eu peur que j’en avais un peu pleuré.

Est-ce que j’allais devoir continuer à vivre comme ça, à trembler constamment de peur ?

Le jour de l’examen, Rudeus m’avait parlé des dortoirs. Apparemment, l’Université de Magie laissait ses étudiants vivre dans de grands bâtiments sur le campus, pour les aider à devenir plus indépendants. Cela semblait être la solution à tous mes problèmes.

Je ne doutais pas que ma sœur réussirait l’examen, ce qui signifiait qu’elle n’aurait pas à aller à l’école. Si je m’installais dans les dortoirs, je n’aurais plus à la voir ni à voir Rudeus. Personne ne me comparerait à personne. Je pourrais juste être moi-même et vivre ma propre vie.

Plus j’y pensais, plus ça me semblait parfait.

Quelques jours plus tard, nous avions reçu les résultats du test. Mon frère m’avait alors demandé ce que je voulais faire maintenant. Hésitante, j’avais admis que je voulais vivre dans les dortoirs.

J’avais peur qu’il se mette en colère. Mon père avait voulu que je reste avec Rudeus, et il avait probablement dit à Rudeus de garder un œil sur moi dans sa lettre. Je pensais que mon frère pourrait se mettre en colère contre moi. Peut-être qu’il me frapperait pour avoir été si égoïste.

Mais à ma grande surprise, Rudeus accepta immédiatement.

Ce fut Aisha qui se mit en colère. Elle trouvait injuste que j’obtienne ce que je voulais. Jusqu’à présent, elle avait toujours été mieux traitée que moi. Je suppose qu’elle n’avait pas apprécié le fait que Rudeus l’ait testée et pas moi.

Mais pourquoi mon frère avait-il accepté ma demande ? Je ne le savais pas. Je ne le comprenais pas du tout. En y repensant, je m’étais rendu compte qu’il ne s’était jamais énervé contre moi depuis mon arrivée ici, à l’exception de la fois où je m’étais battue avec Aisha.

… Peut-être qu’il ne s’intéressait pas du tout à moi.

Peut-être qu’il pensait que prendre soin de moi n’était rien de plus qu’une nuisance, et qu’il avait vu là une occasion en or de me mettre dehors. Pour ce que j’en sais, il avait déjà prévu de me larguer dans les dortoirs.

Mais en ce qui me concerne, ce serait pratique. Mais pour une raison inconnue, cette pensée me rendait un peu triste.

***

Partie 2

Tout ce qui concerne la vie dans les dortoirs était nouveau pour moi. C’était vraiment excitant.

Pour la première fois de ma vie, j’avais une colocataire. J’allais vivre avec une fille plus âgée appelée Marissa. C’était un démon.

Ma grand-mère disait toujours que les démons étaient des créatures maléfiques, des monstres ne vivant que de chasse et de destruction. Si je n’avais pas rencontré Ruijerd, j’aurais probablement continué à le croire. Mais j’avais rencontré Ruijerd, je m’étais donc présentée poliment à Marissa, et elle m’avait accueillie chaleureusement en réponse. J’avais besoin de beaucoup d’aide, puisque je commençais au milieu du trimestre scolaire, et Marissa était vraiment là pour moi. Elle m’avait appris comment fonctionnaient les repas ici, où étaient les toilettes et les règles du dortoir.

Alors qu’elle me faisait visiter les lieux, une fille démone à l’air effrayant de la « brigade d’autodéfense » nous avait repérées et s’était présentée à moi.

« Nous sommes tous une grande famille ici, alors nous devons veiller les uns sur les autres. », avait-elle dit

J’étais un peu intimidée par elle, mais Marissa m’avait dit que c’était une personne au grand cœur qui prenait ses responsabilités au sérieux.

Dans l’ensemble, j’avais hâte de commencer ma nouvelle vie ici. C’était ennuyeux de devoir retourner chez mon frère tous les dix jours, mais il ne me posait pas trop de questions spécifiques, alors ce n’était pas si grave.

Et ce fut ainsi que commença ma nouvelle vie d’élève d’internat.

J’avais tout de suite compris que les cours ici étaient très difficiles. Je pensais que cela était dû au fait que les professeurs expliquaient tout différemment de ceux de Millis. Cela aurait pu être différent si j’avais assisté à tous les cours dès le début, mais j’étais arrivée à mi-chemin. Il y avait beaucoup de cours que je ne pouvais pas suivre.

À Millis, nous avions eu beaucoup de cours sur la religion, mais ce n’était même pas un sujet ici. À la place, nous avions des leçons pratiques de magie. Je n’étais pas non plus très douée pour ça. Les professeurs n’avaient pas pris la peine d’expliquer les bases.

C’était un peu décourageant. Mais si mes notes étaient trop mauvaises, je pourrais finir par être traînée chez mon frère. J’avais essayé d’étudier dans ma chambre, mais ça ne m’avait pas aidée. Et puis, alors que j’étais au bout du rouleau, Marissa a eu la gentillesse de me donner des cours particuliers. Avec son aide patiente, j’avais finalement réussi à comprendre certains des concepts que j’étais censée apprendre en classe.

Aisha aurait probablement compris tout ça instantanément. Parfois, je me détestais d’être aussi stupide.

Le campus était très grand, et je me perdais régulièrement.

Les leçons pratiques de magie et de condition physique étaient particulièrement mauvaises. Ils les tenaient dans un tas de salles différentes que je ne pouvais jamais me rappeler comment trouver. Chaque fois que je me perdais, je devais demander mon chemin à un élève plus âgé ou attendre que quelqu’un de ma classe vienne me chercher.

Une de ces fois, j’étais même tombée sur Rudeus. Pour une raison inconnue, il marchait avec l’élève le plus important de toute l’école. C’était incroyablement embarrassant.

Tout le monde à l’université avait peur de mon frère.

D’après ce que j’avais entendu, il était le chef d’une petite bande de six voyous qui faisaient tout ce qu’ils voulaient. Deux de ces personnes vivaient dans mon dortoir. C’était des grandes filles à l’air effrayantes qui se pavanaient comme si l’endroit leur appartenait. Marissa m’avait prévenue de ne pas me mettre sur leur chemin si je pouvais l’éviter.

La rumeur disait que Rudeus avait ordonné à ces deux-là de collecter une paire de culottes de chaque jolie fille de l’école.

La femme de mon frère était-elle au courant ? Probablement pas. Je n’avais aucune idée de ce qu’il comptait faire avec tous ces sous-vêtements, mais ça me mettait hors de moi. Mon père était parti risquer sa vie pour sauver ma mère, et mon frère s’amusait comme un idiot. Mon opinion de lui était de plus en plus basse.

Mais malgré ses actions bizarres, la réputation de mon frère était étrangement positive. Les gens disaient qu’il ne s’en prenait jamais aux élèves ordinaires. Même s’il faisait ce qu’il voulait, il ne faisait de mal à personne et ne les harcelait pas. En fait, il avait soi-disant dit à tous les durs à cuire d’arrêter de s’en prendre à plus faible qu’eux. Un des enfants les plus effrayants de ma classe s’était même vanté d’avoir parlé à Rudeus une fois.

Rudeus était meilleur en magie que quiconque à l’Université, et apparemment, c’était aussi un bon professeur. Les gens disaient qu’il était le tuteur d’une fille encore plus jeune que moi.

Mes camarades de classe, mes professeurs, et même Marissa m’avaient dit que je devrais essayer de suivre ses traces. Ils voulaient que je sois comme lui. Que je sois comme… le frère que je craignais, que je détestais et que je ne comprenais pas du tout.

Je ne voulais pas être comme lui.

Mais plus que tout, ça me faisait mal de savoir que je ne pouvais pas me comparer à lui. Il était meilleur que moi en tout, tout comme Aisha.

Peu importe à quel point j’essayais, je ne serais jamais de taille pour lui.

Je détestais Rudeus. Je pensais que c’était une personne terrible.

Mais le fait était que je ne pouvais même pas commencer à rivaliser avec lui.

Un jour, j’étais retournée dans mon dortoir et m’étais écroulée sur mon lit.

Un grand fouillis d’émotions s’était développé en moi depuis des semaines. Amertume, tristesse, apitoiement sur soi, colère et je ne sais quoi encore.

Je ne pouvais plus les retenir. Je ne pouvais pas m’empêcher de m’effondrer.

Marissa était revenue dans la chambre un peu plus tard. Elle m’avait vu pleurer dans mon oreiller et m’avait demandé gentiment ce qui n’allait pas. Je lui avais simplement répondu que « Ce n’est rien » et j’avais mis ma couverture sur ma tête.

Qu’est-ce que j’étais censée faire maintenant ?

Avais-je tort à propos de Rudeus ? Ou est-ce que c’était tout le monde ?

… C’était probablement moi. Il n’était probablement pas aussi mauvais que je le pensais.

J’étais très jeune le jour où j’avais vu Rudeus frapper mon père. Après cela, mon père avait essayé d’expliquer qu’il avait traversé une période difficile, mais je n’avais jamais pu comprendre ce que cela signifiait. Mais maintenant, après tout ce temps, ça avait finalement pris un sens pour moi. N’étais-je pas en train de « traverser une période difficile » moi-même en ce moment ?

Si je travaillais dur, que je changeais les choses et que je parvenais à me remonter le moral, ce serait vraiment nul d’entendre quelqu’un dire : « Wôw, regarde-toi. Ça doit être bien d’avoir une vie aussi insouciante ». J’aurais probablement aussi envie de les frapper. Même si c’était mon propre père.

Au fond, Rudeus et moi étions probablement des personnes similaires. Il n’était finalement pas un monstre inhumain.

Mais ceci dit… comment étais-je supposée parler de tout ça avec lui maintenant ? Que voudrait-il de moi ? Comment avait-il réussi à se réconcilier avec papa, d’ailleurs ?

J’y avais pensé, et j’y avais encore pensé, rien ne me venait à l’esprit. Et finalement, mon ventre commença à me faire mal. J’avais eu une crampe à l’estomac, et j’avais commencé à avoir la nausée. Je m’étais donc enfouie plus profondément dans mon lit et je n’avais rien fait.

Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais même pas me résoudre à aller voir mon frère.

 

 

Dans ces moments-là, papa était toujours là pour moi. Quand quelque chose de grave arrivait et que je me recroquevillais dans mon lit, il entrait et me frottait doucement le dos pendant un moment. Et après notre séparation, Ruijerd avait pris sa place. Il me prenait sur ses genoux, me tapotait la tête et me racontait des histoires.

Je n’avais personne comme ça ici. Marissa était gentille avec moi, mais elle n’était pas de mon côté. Tout ce qu’elle avait pu suggérer, c’était que je devrais parler à mon frère, ou essayer de retourner en classe.

Je savais déjà tout ça. Le problème était que mon corps ne voulait pas bouger.

*****

Combien de temps s’était écoulé depuis que je m’étais pelotonnée dans mon lit ?

J’avais continué à penser en rond pendant ce qui m’avait semblé être de nombreuses heures, puis je m’étais endormie d’épuisement. J’avais répété ce cycle plusieurs fois, cela devait donc faire quelques jours maintenant.

J’étais assise sur le bord de mon lit. Et pour une raison inconnue, Rudeus était juste en face de moi. Il était assis en arrière sur une chaise et me fixait.

« Norn, je — »

« Uhm, Rudeus — »

C’était comme si c’était la première fois que je prononçais le nom de mon frère à voix haute.

Nous avions tous les deux rompu le silence exactement au même moment. Apparemment, je n’hallucinais pas. Comment était-il entré dans le dortoir des filles ?

J’étais si confuse que je ne savais pas quoi dire. Mon frère était silencieux aussi. Pendant un moment, on s’était juste regardés.

C’était la première fois que je regardais aussi attentivement le visage de Rudeus. Il avait l’air un peu anxieux. Ses traits me rappelaient un peu mon père, ce qui était plutôt rassurant. Mais bien sûr, ils se ressemblaient.

« Je suis désolé, Norn. Cela n’a pas été facile pour toi ici, n’est-ce pas ? Je suppose que je ne te comprends pas très bien… Je sais que ça doit être dur pour toi, mais je ne sais pas trop quoi faire. », dit Rudeus d’une voix hésitante.

Était-ce moi, ou bien était-il vraiment nerveux ? Ça me faisait aussi penser à mon père.

« … »

Mon frère s’était de nouveau tu. Il était resté assis là tranquillement, sans bouger d’un pouce.

Il me regardait avec anxiété, mais il n’avait pas bougé de sa chaise. Mon père m’aurait probablement déjà entourée de ses bras, et Ruijerd m’aurait tapé sur la tête. Mais mon frère ne s’était même pas approché de moi.

« Oh. »

J’avais soudainement compris pourquoi.

Il ne pouvait pas m’approcher. Il avait trop peur que je le rejette.

À l’instant où cette pensée m’était venue, j’avais senti toutes mes émotions négatives commencer à fondre. Je ne détestais plus Rudeus. Je ne le trouvais pas effrayant non plus. Il ressemblait trop à mon père.

Il n’allait jamais me frapper, quoi qu’il arrive. Et il n’allait probablement plus jamais frapper mon père.

« Sniff… »

J’avais besoin de lui pardonner.

« Hic ! »

Des larmes coulaient sur mes joues maintenant. Ma gorge tremblait.

Après un moment, j’avais commencé à sangloter.

« Je suis désolée, Rudeus ! Je suis désolée… »

Lentement, prudemment, mon frère s’était levé et s’était assis à côté de moi. Il avait doucement posé sa main sur ma tête, puis il m’avait serrée contre sa poitrine. Sa main était chaude, et sa poitrine était ferme.

Il sentait aussi un peu comme mon père.

J’avais passé le reste de la nuit à pleurer dans ses bras.

Rudeus

Au final, je n’avais pas fait grand-chose.

Norn ne m’avait pas dit ce qui se passait. Elle ne m’avait jamais dit ce qui la contrariait, ou ce qu’elle ressentait. Elle pleura simplement pendant un long moment.

Et puis, quand c’était enfin terminé, elle leva les yeux et marmonna : « Je vais mieux maintenant. »

Et ce fut tout.

Mais pour une raison inconnue, elle avait enfin l’air vraiment bien. Elle avait même réussi à me regarder droit dans les yeux.

Je m’étais senti énormément soulagé. Quelque chose me disait qu’elle allait s’en sortir maintenant.

J’avais donc laissé le reste à Sylphie et je m’étais glissé hors de la chambre de ma sœur.

Norn était devenue sensiblement plus gaie après cet incident.

Les changements n’étaient pas vraiment spectaculaires. Elle avait juste commencé à me dire bonjour quand on se croisait dans le couloir. Nous ne parlions toujours pas beaucoup, et elle ne s’était pas mise à me coller comme sa sœur. Elle était probablement toujours comparée à moi dans ses cours, mais je suppose que cela ne la dérangeait plus autant.

Je ne comprenais toujours pas ce qu’elle ressentait. Je n’avais vraiment rien fait de significatif. Ça me rendait un peu pathétique. Je savais ce que ça faisait d’être méprisé, et je savais ce que ça faisait de s’isoler dans sa chambre. Mais je n’avais toujours pas réussi à trouver quelque chose d’utile à dire.

Finalement, je pense que Norn s’était débrouillée toute seule. Elle avait mis de l’ordre dans ses sentiments et avait surmonté l’obstacle sur son chemin.

C’était un accomplissement très impressionnant.

Paul et Aisha semblaient penser que Norn n’était qu’une enfant maladroite et timide sans aucun talent particulier. Mais j’avais une opinion très différente d’elle maintenant. Elle avait réussi à sortir d’un trou dans lequel j’avais passé toute ma vie.

Si j’avais été à moitié aussi forte qu’elle, ma première vie n’aurait peut-être pas été aussi misérable. Peut-être que je ne me serais pas fait frapper au visage par mon frère au grand cœur.

Il m’était bien évidemment impossible d’en avoir la certitude. Ma situation était différente de celle de Norn. Même si je m’étais débarrassé de mes sentiments, je n’aurais peut-être jamais quitté ma chambre. Peut-être que j’avais besoin de renaître et de rencontrer Roxy pour que cela soit possible.

Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas changer le passé. Les relations que j’avais brisées ne pourraient jamais être réparées. Et je ne saurai jamais avec certitude ce qui se passait dans la tête de mon frère à l’époque.

Pourtant, je me sentais un peu… comme si quelque chose qui était coincé entre mes dents depuis très longtemps venait de se libérer. Si Nanahoshi réussit à retourner dans notre ancien monde un jour, je devrais lui demander de transmettre un message à mon frère.

« Merci d’avoir essayé de me faire comprendre certaines choses à l’époque. Et je suis désolé. »

***

Chapitre 6 : Ma vie avec les sœurs Greyrat

Partie 1

Un nouveau mois s’était écoulé, et le temps se réchauffait enfin. C’était le deuxième été que je passais à Ranoa.

Même à cette époque de l’année, il ne faisait pas vraiment chaud dans cette région. Mais les gens commençaient à s’habiller un peu plus légèrement. Les élèves de l’école avaient adopté des uniformes à manches courtes, ce qui ne me dérangeait pas du tout, et Aisha avait également changé son uniforme de femme de chambre. Sylphie avait même commencé à porter des chemises sans manches à la maison. Le fait qu’elle possédait quelque chose de ce genre auparavant m’était inconnu, mais je suppose qu’elle avait acheté quelques tenues supplémentaires après avoir emménagé avec moi.

Je n’allais certainement pas me plaindre sur le fait qu’elle choisisse de montrer un peu de peau. La vue de ces minces épaules blanches rendait cependant le contrôle de mes mains plus difficile. L’été était véritablement une saison agréable. Et ici, il n’y avait pas de visiteurs à plusieurs pattes qui venaient grignoter votre nourriture.

Le changement de saison m’avait rappelé que je n’avais pas vu Badigadi depuis un certain temps. Peut-être s’était-il égaré quelque part et avait-il oublié de le dire à quelqu’un.

Certaines autres choses avaient changé au cours de ce mois.

Tout d’abord, il semblerait que Norn se soit fait quelques amis. J’avais remarqué qu’elle se déplaçait dans un groupe de trois filles et deux garçons, y compris quelques élèves de différentes classes. C’était probablement les premiers vrais amis de Norn. Comme je voulais me présenter à eux, je lui avais demandé de les amener chez nous un jour, mais elle avait catégoriquement rejeté l’idée. Je suppose qu’elle trouvait l’idée de les présenter à sa famille trop embarrassante.

La chose positive dans tout cela était que la façon dont j’avais fait irruption dans sa classe ne lui avait apparemment pas causé trop de problèmes par la suite. C’était vraiment un soulagement.

Norn et moi nous entendions maintenant aussi un peu mieux. Par exemple, elle m’avait récemment demandé de lui donner des cours particuliers dans certaines de ses matières. J’avais bien sûr accepté avec joie. J’étais prêt à lui enseigner toutes mes techniques secrètes et tout ce que je savais. Mais je m’étais rendu compte que si je passais trop de temps à l’aider, Aisha risquait de bouder un peu parce qu’elle était exclue.

Après avoir réfléchi un peu, j’avais décidé de retrouver Norn à la bibliothèque après l’école pour des séances de tutorat régulières et de les limiter à une heure par jour. Nous pourrions revoir les choses qu’elle avait apprises ce jour-là et revoir ce que ses cours couvriront demain. Cela pourrait faire une grande différence en soi.

Norn s’efforçait manifestement de suivre le rythme, mais elle semblait avoir du mal à mettre en pratique la théorie de ses manuels. Cela dit, elle n’était pas aussi mauvaise qu’Éris ou Ghislaine. Avec des efforts constants, j’étais persuadé qu’elle atteindrait rapidement un niveau moyen.

« Au fait, Ruijerd a dit qu’il était de la région de Babynos, non ? Je sais que tu as été dans le Continent Démon un moment, Rudeus. Sais-tu où c’est ? », m’avait-elle demandé une fois.

« Hmm. Pas de mémoire. Je crois qu’il a dit que c’était près de la région de Biegoya, peut-être ? Je n’y suis cependant jamais allé moi-même. »

Nous étions tous les deux en assez bons termes maintenant pour avoir des conversations informelles pendant nos sessions d’étude. Mais pour une raison quelconque, Norn voulait surtout parler de Ruijerd. Je suppose qu’il était notre principal intérêt commun. Ce n’est pas que ça me dérangeait vraiment. J’étais en fait heureux d’avoir quelqu’un d’autre à qui je pouvais parler de lui.

« Je vois… Désolée de t’embêter, mais peux-tu me décrire le Continent Démon ? »

« Eh bien, tous les monstres qui y vivent sont vraiment gros. La culture est assez différente, aussi… mais il y a en fait quelques similitudes avec cette région. La plupart des gens là-bas sont juste des gens ordinaires qui vivent des vies ordinaires. »

J’avais remarqué que Norn me parlait toujours de manière un peu raide. Son ton avait tendance à être un peu trop poli, surtout pour une petite sœur qui parle à son propre frère. Aisha et moi étions devenus plus informels l’un envers l’autre, mais je suppose que Norn se sentait plus à l’aise de cette façon pour le moment.

« Oh, ça me rappelle, Rudeus. Est-ce que Ruijerd t’a déjà raconté l’histoire de sa lance ? »

« Oui, je ne l’oublierai jamais. Tu parles d’une histoire dramatique. »

« Absolument… J’espère qu’il finira par atteindre son but. »

« … Pareil pour moi. »

Il était temps que je fasse avancer ce projet particulier, non ?

Le plan consistait en la fabrication de figurine d’un guerrier superd afin de les vendre avec un livre. Je n’avais pas abandonné ce projet, mais Julie était encore inexpérimentée et n’avait pas beaucoup de mana, la production en masse de figurines n’était donc pas envisageable pour le moment.

Cela ne m’empêchait pas de travailler au moins sur un prototype.

Le livre était une autre affaire. Le principal problème avait été de trouver le temps d’écrire. J’avais passé de nombreuses heures au cours des derniers mois à apprendre la magie de guérison avancée et de désintoxication intermédiaire. J’étais doué pour la mémorisation brute que ces sujets exigeaient, mais ils m’avaient quand même tenu très occupé.

À ce stade, je n’étais pas sûr de ce que je voulais apprendre ensuite.

Passer à la désintoxication avancée semblait logique, mais il n’y avait rien d’autre qui m’intéressait vraiment. Cela ne ferait pas de mal de faire passer ma magie du feu et du vent au niveau Saint, mais ce niveau de sorts impliquait généralement des manipulations spectaculaires du climat, plutôt que des sorts plus pratiques que l’on pouvait utiliser régulièrement. Apprendre de nouvelles choses était toujours agréable, mais je voulais me concentrer sur quelque chose de plus utile. Peut-être même une compétence comme l’équitation.

Alors que je faisais défiler les possibilités dans ma tête, il m’était venu à l’esprit que je pourrais utiliser une partie de mon nouveau temps libre pour travailler sur mon livre sur les Superds. Je pourrais probablement aussi écrire un peu pendant mes séances avec Norn.

Je cherchais à écrire un résumé franc et direct de l’histoire tragique de la tribu. La prose n’était pas mon point fort, mais je pouvais probablement en tirer quelque chose si je m’y mettais vraiment.

C’était du moins ce que je m’étais dit au début. Mais lorsque je m’étais retrouvé devant cette première feuille de papier blanche, je n’arrivais pas à décider par où commencer.

Était-il préférable d’écrire simplement les faits, comme le scénario d’un documentaire ? Serait-ce plus lisible sous la forme d’un journal intime ? J’avais souvent entendu dire qu’il valait mieux commencer par un petit projet pour son premier texte créatif, plutôt que d’essayer de rédiger un chef-d’œuvre épique dès le départ. Je devrais peut-être en faire un livret d’une dizaine de pages maximum. Il serait de toute façon bien plus pratique à distribuer avec les figurines.

Si j’optais pour cette solution, il serait probablement préférable de la garder simple et légère. Je pourrais en faire une histoire basique du bien contre le mal, avec Laplace révélé comme le vrai méchant.

Attends… Laplace n’était pas considéré comme un héros légendaire sur le Continent Démon ? Si je le fais passer pour un méchant, je risque d’énerver beaucoup de monde.

Un après-midi, alors que je me débattais avec ces questions pour la centième fois, Norn jeta un coup d’œil à mon travail.

« Qu’est-ce que tu écris là, Rudeus ? »

« J’essaie d’écrire un livre sur le passé de Ruijerd. Le problème réside dans le fait que je ne suis pas sûr de la façon d’aborder le projet. »

« Hmm… »

Son intérêt manifestement piqué, Norn prit mon papier et le regarda de plus près. En haut, il y avait le titre de mon travail : « Le conte du grand guerrier Ruijerd et la persécution de son peuple ».

Il n’y avait qu’une page de texte pour l’instant, principalement un aperçu de qui était Ruijerd et de ce qu’il était. Bien sûr, j’étais assez partial, il était donc apparu comme un saint héros.

« Est-ce tout ce que tu as pour l’instant ? »

« Ouais, je n’ai pas encore fait beaucoup de progrès. »

Le problème principal consistait en ce que je ne savais pas par où commencer l’histoire, ni comment la raconter. Je me souvenais encore des récits de Ruijerd sur les actions de son peuple pendant la guerre de Laplace, et je connaissais l’histoire de base de leur persécution par la suite. Cependant, cela faisait plusieurs années que je n’avais pas entendu ces histoires, et j’étais un peu perdu sur certains détails. Avec le recul, j’aurais vraiment dû prendre des notes à ce moment-là.

« Est-ce que cela te dérangerait si je te donne un coup de main ? », demanda Norn timidement.

C’était une offre très inattendue. Mais apparemment, Ruijerd avait pris l’habitude d’asseoir ma sœur sur ses genoux tous les soirs, de la tapoter sur la tête et de lui raconter des histoires de son passé.

Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais pu m’asseoir sur les genoux de Ruijerd ! OK, attends. Essayons d’être adulte à ce sujet.

« Ce serait d’une grande aide, Norn. Assure-toi juste de ne pas négliger tes études, d’accord ? »

« D’accord ! »

À partir de ce jour, Norn et moi avions commencé à travailler ensemble sur le projet. Quand elle avait un peu de temps libre entre ses leçons et ses sessions d’étude, elle l’utilisait pour écrire les histoires de Ruijerd. Son écriture était parfois un peu enfantine et comportait toujours quelques imperfections. Mais pour une raison ou une autre, en les lisant, je me souvenais si bien de Ruijerd que je me surprenais souvent à pleurer. Ce livre avait du punch.

Plus je lisais ses écrits, plus je commençais à penser qu’elle pouvait avoir un certain talent dans ce domaine. Encore une fois, je n’étais pas vraiment un observateur impartial, mais on avait tendance à s’améliorer plus vite quand on faisait quelque chose qu’on aimait. Si elle persévérait suffisamment longtemps, elle deviendrait peut-être un jour une auteur brillante.

Mais pour l’instant, je me concentrais sur la correction de ses petites erreurs et de ses phrases maladroites. J’étais pratiquement l’éditeur de l’équipe maintenant.

J’avais le sentiment que le livre serait bien meilleur de cette façon. Bien meilleur que si j’essayais de l’écrire moi-même.

Alors que ma relation avec Norn commençait à s’améliorer, il y avait aussi eu un petit développement avec Aisha. Pour une fois, cela n’avait rien à voir avec Norn. Elles n’étaient toujours pas très amies l’une avec l’autre, bien qu’Aisha fasse attention à ne pas insulter sa sœur depuis que je l’avais grondée pour cela. Elle était toujours au moins superficiellement polie quand sa sœur venait lui rendre visite.

En fait, cela me préoccupait un peu. Je ne voulais pas qu’elle ait l’impression de ne pas pouvoir exprimer ses véritables pensées. J’étais heureux que Norn commence à se rapprocher de moi, mais cela ne voulait pas dire que je pouvais négliger ma relation avec Aisha. J’avais donc décidé de lui donner la permission de dire ce qu’elle pensait.

« Tu sais, Aisha… s’il y a quelque chose que tu veux dire, tu n’as pas besoin de le garder pour toi. »

« Tu pourrais être plus précis, Rudeus ? »

« Eh bien, je ne sais pas. J’ai passé beaucoup de temps avec Norn ces derniers temps, non ? Peut-être que tu ressens quelque chose ressemblant à un manque d’attention ? Peut-être que tu as travaillé trop dur et que tu as besoin de vacances ? Peut-être que tu veux passer toute la journée au lit ? »

Mettant un doigt sur son menton, Aisha inclina sa tête sur le côté en signe de perplexité. C’était trop mignon.

« Tu me donnes donc la permission d’être égoïste ? »

« C’est exact. Tu peux être un peu égoïste avec moi. Il n’y a pas besoin de te retenir. »

« Hmm… bien ! Une chose me vient à l’esprit. »

Ce sourire espiègle sur son visage déclencha quelques sonnettes d’alarme. Qu’est-ce qu’elle avait l’intention de demander ? Pas mon corps, j’espère, et même si c’était pour plaisanter. Je devrais trouver une excuse pour refuser, et elle ferait la tête pendant une semaine.

« Je voudrais un salaire, s’il te plaît ! »

Eh bien, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais.

« Un salaire… ? »

Maintenant que j’y pensais, Aisha travaillait assidûment comme notre femme de chambre depuis un certain temps maintenant. Il était effectivement étrange que nous ne la payions pas. Mais encore une fois, nous étions une famille, non ? Elle n’était pas une employée.

Peut-être que nous pourrions penser à ça comme à une allocation. Elle aidait à la maison toute la journée, elle voulait donc un peu plus d’argent de poche. C’était équitable.

« OK, on peut faire ça. »

J’avais immédiatement accepté l’idée, mais nous avions attendu que Sylphie rentre à la maison pour discuter des détails. Quand je lui avais proposé une somme d’argent relativement importante, cette dernière avait refusé et avait essayé de me convaincre de réduire la somme.

Tu parles d’une maturité. Cette enfant n’avait-elle vraiment que dix ans ?

***

Partie 2

Finalement, nous nous étions mis d’accord sur un montant sur lequel nous étions tous d’accord.

« Puis-je te demander pourquoi tu as parlé de ça ? Y a-t-il quelque chose que tu veux acheter ? »

Je devais admettre que j’étais curieux de savoir ce qui avait motivé cette demande. Aisha pouvait acheter ce qu’elle voulait, bien sûr, mais ça ne pouvait pas faire de mal de savoir ce que c’était.

« Eh bien, une fille a ses besoins. »

Wôw, ça clarifie vraiment les choses. J’espérais vraiment entendre quels étaient ces besoins, petite…

« Es-tu si curieux, cher frère ? Très bien, alors. Pourquoi ne viendrais-tu pas à ma prochaine virée shopping ? »

Ooh. Ça ressemblait à un rendez-vous. Un rendez-vous avec ma petite sœur ! Quel beau concept !

J’avais informé Sylphie de nos plans à l’avance. Malheureusement, elle devait travailler ce jour-là. Je me sentais un peu coupable de parcourir la ville avec une autre fille pendant que ma femme était au bureau, mais ce n’était pas tromper quand il s’agissait de sa petite sœur.

Mais qu’est-ce qu’Aisha avait l’intention d’acheter ? Espérons que ce ne soit pas un esclave musclé ou autre. Je ne voulais vraiment pas qu’un macho en sueur traîne dans mon salon tout le temps. C’était déjà assez difficile d’avoir un monstre géant à six bras qui passait par hasard pour dîner… Bon ce n’était pas comme s’il était passé depuis des mois.

Le jour de notre rendez-vous, Aisha m’avait conduit au marché et s’était dirigée directement vers un magasin d’articles généraux qui vendait toutes sortes de produits divers de la vie quotidienne. Les étagères étaient remplies de bibelots, mais il n’y avait pas d’autres clients. À première vue, ils vendaient surtout des produits d’occasion.

Après avoir farfouillé un peu, Aisha y avait acheté trois petits pots de fleurs.

« Qu’est-ce que tu vas faire avec ça ? Les jeter sur la tête des Rois Démons qui passent par là ? », avais-je demandé.

« Euh, non. J’allais juste y planter des fleurs. Tant que ça ne te dérange pas, bien sûr. », dit Aisha tout en levant les yeux au ciel.

Il n’y avait qu’une seule façon pour moi de répondre à cette question.

« Bien sûr que ça ne me dérange pas. »

Pourtant, je ne pensais vraiment pas qu’Aisha était du genre fleuriste. Je la voyais surtout comme une petite génie énergique. Dans mon esprit, ses hobbies étaient de nettoyer, compter l’argent et équilibrer les budgets.

Faire pousser des plantes était plus un hobby lent et contemplatif. Il fallait laisser la nature suivre son cours, en regardant les résultats se déployer au fil des semaines ou des mois. Et même une génie ne pouvait pas réussir à 100 % à faire pousser des choses.

Mais peut-être que c’était exactement pour ça que ça l’attirait ? Elle était habituée à être capable de manipuler les choses à sa guise. Ceci serait partiellement hors de son contrôle.

« Alors, ne devrais-tu pas aussi acheter du terreau ? La terre ici n’est pas des plus fertiles, il ne sera pas facile d’y faire pousser des fleurs. », avais-je dit.

« J’allais te demander d’en faire pour moi avec ta magie, Rudeus. Si ça ne te dérange pas ? »

Elle m’avait encore lancé des regards suppliants. Il n’y avait qu’une seule réponse possible.

« Bien sûr que ça ne me dérange pas. »

J’étais un homme, après tout. L’idée de creuser dans la terre et de semer des graines avait un certain attrait pour moi. J’aurais à lui préparer une super terre plus tard. Le genre qui vous permet de faire pousser des baobabs à partir de graines de tulipes.

« Quel genre de fleurs pensais-tu planter ? »

« En fait, j’ai récolté un tas de graines différentes en venant ici. Je vais les utiliser. »

« Juste pour ta gouverne, celles-ci pourraient ne pas pousser. »

« Hmm. Je pense que ça va probablement aller. »

Nous avions ainsi traîné dans le magasin encore un petit peu, tout en discutant des plans d’Aisha. Avant de partir, j’avais choisi une paire de boucles d’oreilles pour Sylphie, en forme de gouttes d’eau, avec des petites pierres bleues au centre. Elles lui iront à merveille.

« Est-ce un cadeau pour Sylphie ? »

« Oui. Je suis le genre d’homme qui ne prend pas sa femme pour acquise. »

« Sylphie est vraiment une femme chanceuse. Mais quand elle est occupée, mon cher frère, tu pourrais peut-être m’accorder aussi un peu d’amour. »

Oh, encore les yeux tournés vers le haut. Comme toujours, il n’y avait qu’une seule réponse possible.

« Je n’y arriverai pas. Le vieux me battrait à mort. »

« Mince… »

Nous avions payé nos achats et laissé le petit magasin derrière nous.

Notre prochain arrêt était un endroit spécialisé dans la vente de tissus et d’ameublement. Il y avait de gros rouleaux de tissu faits à la main accrochés un peu partout. La princesse Ariel m’avait recommandé ce magasin il y a quelque temps, lorsque j’avais acheté des tapis pour la maison. Ils vendaient des articles de bonne qualité à des prix très variés et semblaient attirer une large clientèle. Mais je ne savais pas comment ma sœur avait appris son existence.

À l’intérieur du magasin, Aisha avait rapidement choisi des rideaux. Ils étaient roses et froufroutants, sûrement du côté des prix élevés.

Quand elle les avait apportés au comptoir, elle commença aussitôt à marchander impitoyablement avec le vendeur. Elle laissa tomber mon nom et celui de la princesse Ariel et utilisa toutes les cartes qu’elle avait à jouer. Elle avait finalement réussi à les faire baisser à un prix modéré.

« Tu as assez d’argent pour payer ça, Aisha ? Je peux participer un peu si tu veux. »

« C’est bon ! J’en ai exactement assez. »

En remettant le reste de son argent de poche, Aisha termina son achat. Elle avait utilisé chaque pièce de l’argent que je lui avais donné. Cette fille avait un vrai don avec l’argent. C’était franchement un peu effrayant.

« C’est une bonne idée de garder un peu de ton argent de poche pour plus tard, tu sais. Des dépenses inattendues peuvent surgir de nulle part. », l’avais-je prévenu en quittant le magasin.

Bon sang, tu pourrais être téléporté sur le Continent Démon sans raison apparente.

Depuis cet incident, j’avais pris l’habitude de cacher de l’argent liquide dans mes vêtements à tout moment. J’avais même quelques billets dans la semelle de mes chaussures.

« Ok ! J’économiserai un peu la prochaine fois ! »

Quand même, des pots de fleurs et des rideaux roses à froufrous, hein ? J’avais vraiment pris Aisha pour une petite intello jusqu’ici, mais elle avait clairement un côté féminin.

« J’ai toujours voulu avoir des trucs mignons comme ça, tu sais », avait-elle dit.

« Quoi, Lilia ne voulait pas les acheter pour toi ? »

« Maman a toujours dit non. Elle pense que c’est mal pour une bonne de décorer en fonction de ses goûts personnels. J’espère que ça ne te dérange pas, Rudeus… »

Cette fille n’était pas seulement intelligente, elle savait aussi jouer avec vos émotions. Non seulement elle avait enroulé ses bras autour de ma taille, mais elle me regardait avec des yeux de Bambi. Je savais que c’était de la comédie, bien sûr, mais c’était tellement mignon que je ne pouvais pas m’en soucier.

Il n’y avait de toute façon qu’une seule réponse possible.

« C’est très bien, Aisha. »

Heureusement que je n’étais pas une sorte de vieil homme effrayant. J’aurais pu la kidnapper sur le champ.

Dans les semaines qui suivirent ce petit rendez-vous, la chambre d’Aisha était devenue de plus en plus féminine. Elle semblait aimer les petites choses mignonnes et trouvait sans cesse de petits pots pour y planter des fleurs et alignait des poupées de la taille d’un poing sur ses étagères. À un moment donné, elle avait même brodé de charmants petits motifs sur l’ourlet de son tablier. Je commençais à avoir un peu peur. Elle pouvait se transformer en gyaru si ça continuait comme ça.

Pourtant, mes deux sœurs se portaient bien. J’étais satisfait.

Et bien qu’elle ne soit pas ma sœur, Nanahoshi avait finalement retrouvé aussi son rythme. Lors de notre dernière expérience, elle avait réussi à invoquer une bouteille en plastique. Cette bouteille était actuellement posée sur le rebord de la fenêtre de son laboratoire, servant de vase à une seule fleur. Avec ce succès, nous étions passés à la deuxième phase de son plan.

« À partir de maintenant, nous allons essayer d’invoquer la matière organique de notre ancien monde », m’avait-elle déclaré un après-midi.

« De la matière organique ? »

« C’est exact. Je pensais que nous pourrions commencer par la nourriture. »

Après ma contribution à son récent succès, Nanahoshi semblait un peu plus encline à me faire confiance qu’auparavant. Elle avait même pris le temps de revoir les phases de son plan avec moi :

Invoquer un objet inorganique.

Invoquer un objet composé de matière organique.

Invoquer un être vivant — une plante ou un petit animal.

Invoquer un être vivant qui répond à certains critères spécifiques.

Ramener un être vivant invoqué à son emplacement précédent.

La bouteille en plastique que nous avions invoquée précédemment n’était peut-être pas techniquement un objet totalement inorganique, selon la définition que l’on donnait à ce terme, mais elle ne semblait pas considérer cela comme un problème majeur.

« Hmm. Est-ce que cette étape avec les critères spécifiques est vraiment si importante ? »

« Eh bien, je dirais que oui. Quand je me téléporte chez moi, je ne veux pas ressortir dans un pays étranger. »

En fait, elle voulait se rapprocher de plus en plus de l’invocation de quelque chose d’aussi complexe qu’un être humain et, au final, se téléporter au Japon avec une précision extrême. Chaque étape de l’expérience avait été construite dans ce but précis.

Au stade actuel, elle était déjà capable d’établir certaines conditions sur ce qu’elle invoquait, mais elles étaient assez générales. Les résultats individuels varieraient considérablement. Par exemple, si elle essayait d’invoquer un chat, elle pourrait obtenir un chat domestique femelle, un matou tacheté, un tigre ou une panthère.

Pour l’instant, ses recherches se concentrent sur les moyens de rendre ses sorts plus précis. Elle voulait être capable d’invoquer un chat domestique, et pas seulement un félin, et même de spécifier le type exact de chat domestique qu’elle voulait.

« Définir les conditions est cependant assez délicat. Je suppose que je vais devoir retourner voir le vieil homme à un moment donné. », avait-elle marmonné, plus pour elle-même que pour moi.

Ce vieil homme était vraisemblablement l’autorité en matière de magie d’invocation qu’elle avait mentionnée une ou deux fois auparavant.

« Est-ce que ce type en sait beaucoup sur cette, euh, invocation conditionnelle ? »

« Eh bien… »

Nanahoshi mit sa main sur son menton et réfléchit un moment, puis hocha la tête et commença à expliquer.

« Laisse-moi développer un peu. Dans ce monde, la magie d’invocation est généralement divisée entre l’invocation de démons et l’invocation d’esprits. »

« Vraiment ? »

L’invocation de démons faisait apparemment référence à l’appel de monstres spécifiques. Vous invoquiez une créature intelligente à l’aide d’un ensemble complexe de cercles magiques, vous lui versiez une certaine forme de compensation et vous la faisiez travailler pour vous. C’était le genre d’invocation auquel les gens pensaient généralement quand ils utilisaient ce mot.

En général, il s’agissait d’invoquer des monstres du type de ceux que l’on pouvait rencontrer dans la nature. Mais il était également possible d’invoquer des bêtes légendaires censées résider dans d’autres mondes. L’invocation de monstres n’était pas non plus limitée aux êtres vivants — il était également possible de cibler des objets inanimés. L’invocation de Nanahoshi produisant cette bouteille en plastique serait techniquement classée comme un sort d’invocation de démon.

Si je maîtrisais cela, je pourrais peut-être invoquer la culotte que portait Maître Roxy !

L’invocation d’esprit, d’un autre côté, était une technique très différente. Il s’agissait en fait de créer des entités artificielles à partir de mana. La conception de ces sorts était, d’une certaine manière, apparemment similaire à la programmation.

« Juste pour que tu saches, il est préférable de ne pas discuter ouvertement de cette partie », avait-elle dit.

« Pourquoi ? »

« La plupart des gens pensent que les esprits sont des êtres vivants qui résident dans le monde stérile, et que nous ne faisons que les appeler vers le nôtre. »

En d’autres termes, on pensait que c’était juste une autre variation de l’invocation de démons.

Les démons étaient plus difficiles à contrôler, mais ils pouvaient penser et agir par eux-mêmes, et s’adapter à des circonstances inhabituelles. En revanche, les esprits étaient assez faciles à contrôler, mais n’agissaient généralement que selon quelques schémas fixes. Cela dit, si vous aviez les compétences en « programmation » pour créer un code très complexe, vous pouviez être capable de créer un esprit qui pouvait passer pour un humain. Elle en avait vu chez le vieil homme mentionné ci-dessus.

« Et sur une note légèrement différente… voici le cercle magique que je t’ai promis avant ça. »

Nanahoshi m’avait tendu un parchemin. Il y avait un cercle magique dense et compliqué, inscrit en son centre, couvrant environ une demi-page.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Un parchemin d’invocation pour un esprit de type lumière. »

***

Partie 3

Un esprit de type lumière était une chose simple qui flottait derrière l’invocateur en émettant une lumière vive. Il était capable de comprendre des commandes simples comme « éclairez cette zone », mais au fil du temps, son mana diminuait jusqu’à disparaître. C’était un esprit très basique, mais si vous utilisiez suffisamment de mana, il pouvait rester en place pendant une période relativement longue.

Ce n’était pas le sort le plus excitant que j’aie jamais appris. Pour être honnête, je m’attendais à quelque chose d’un peu plus flashy pour ma récompense.

« Au fait, ce cercle magique est une création originale de ce vieil homme dont je parle sans cesse. Même la Guilde des Magiciens ne le connaît pas. », dit Nanahoshi.

« Hein ? Vraiment ? »

Mais quand j’avais appris qu’il s’agissait d’un produit en édition limitée, ça m’avait semblé soudain beaucoup plus excitant. Je suppose que j’étais toujours japonais dans l’âme.

« Oui. Et je te trouverai quelque chose de plus impressionnant la prochaine fois, d’accord ? Je te le promets. »

Nanahoshi pressa ses mains ensemble dans un geste de supplication. Je n’avais pas vu quelqu’un faire ça depuis longtemps. Ça m’avait rendu un peu nostalgique.

« Je pense que tu devrais être capable d’utiliser ta magie de terre pour faire un modèle de ce design. De cette façon, tu pourras imprimer un grand nombre de copies. Je suis sûre que la guilde des magiciens les paierait grassement. », dit-elle.

« Es-tu d’accord pour que je vende des copies ? Le type qui l’a fait ne va-t-il pas s’énerver ? »

« Crois-moi, il a d’autres choses en tête. Je doute qu’il s’en soucie. »

Hmm. Eh bien, il était bon de savoir que vous n’aviez pas besoin d’écrire des parchemins magiques à la main à chaque fois.

« Si tu décides de les vendre à la guilde, assure-toi de mentionner mon nom. Cela devrait servir de garantie afin qu’ils n’essaient pas de t’arnaquer. », ajouta-t-elle.

« Compris. Merci. »

J’avais décidé de classer cette idée pour le moment. Ça ne faisait jamais de mal d’avoir une source potentielle de revenus dans sa poche arrière.

En tout cas, le fait que ces esprits soient purement artificiels était intéressant. J’avais senti que cela pourrait être pertinent pour le projet de Zanoba. En combinant différentes disciplines de la magie, nous pourrions peut-être fabriquer un robot capable de dire « hawawa » à chaque fois qu’il était agité.

« Oh. Au fait, Nanahoshi… si tu peux invoquer des objets de notre ancien monde, il n’y a-t-il pas une chance que nous puissions ramener des choses vraiment utiles ? »

Cela semblait être une idée décente à première vue, mais Nanahoshi avait secoué la tête.

« À ce stade, je ne suis capable que d’invoquer des objets simples composés d’une seule substance cohérente. Bien que je suppose que cela nous donne un éventail assez large de possibilités. »

Une seule substance cohérente, hein ? Cela expliquait pourquoi la bouteille en plastique n’avait pas de bouchon ni d’étiquette. Mais si elle arrivait à mieux définir ses conditions, on pourrait peut-être invoquer des objets complexes pièce par pièce et les reconstituer.

« Aussi, ce n’est pas une bonne idée d’amener trop de choses qui appartiennent à notre ancien monde dans celui-ci. Je crois que je l’ai déjà mentionné, non ? »

Oh, elle était toujours inquiète à propos de cette histoire de « modification de la ligne temporelle » ?

« Je pense sincèrement que tu es un peu trop paranoïaque à ce sujet… », avais-je dit.

« Tu pourras tester cette théorie une fois que je serai rentrée chez moi. Je préfère ne pas prendre de risques. »

Wôw. Quelle froideur !

Zanoba, quant à lui, avait enfin réussi à terminer sa figurine de wyrm rouge l’autre jour. Elle ne ressemblait pas exactement à celle que j’avais vue, avec les cornes sur le front et tout… mais elle était cool, et c’était le plus important.

Julie était très heureuse de son cadeau tardif. Elle n’était pas du genre à sourire beaucoup, mais elle avait passé un bon moment à tenir la figurine en l’examinant sous différents angles.

« Merci beaucoup, Maître ! Merci, Grand Maître ! »

Se retournant pour faire face à nous deux, elle avait exécuté un salut un peu raide, mais respectable.

« De rien. Continue à travailler dur. », dit Zanoba avec un signe de tête seigneurial.

« Oui, monsieur ! », répondit-elle joyeusement.

Julie parlait la langue humaine beaucoup plus couramment ces derniers temps. Ce n’était pourtant pas à cause de ce que j’avais fait. Ginger avait l’habitude de la corriger à chaque fois qu’elle faisait une erreur, et on apprenait toujours plus vite quand on avait quelqu’un qui vous faisait remarquer vos erreurs.

« N’es-tu pas une fille chanceuse, Julie ? Prends-en bien soin », dit Ginger.

« Oui ! Merci à vous aussi, Mlle Ginger. »

Ginger était maintenant une présence constante dans la chambre de Zanoba. Elle se tenait généralement près du mur et sortait pour aller chercher des boissons pour Zanoba ou répondre aux besoins de ses visiteurs. En ce moment, elle louait un appartement dans un immeuble proche de l’université. Je lui avais demandé un jour pourquoi elle ne s’installait pas dans la pièce vide réservée aux gardes du corps à côté du cabinet de Zanoba, mais elle m’avait répondu que ce serait « présomptueux » de sa part de résider à côté du prince.

Leur arrangement ressemblait moins à une relation maître/serviteur qu’à un étrange mariage de banlieusards. Ou peut-être le lien entre un chef de culte et son plus fidèle disciple. La femme s’ouvrirait probablement l’estomac instantanément si Zanoba le lui ordonnait.

« Avez-vous besoin de quelque chose, Rudeus ? »

« Je me demandais pourquoi tu avais juré fidélité à Zanoba. »

Ginger hocha la tête à ma question abrupte, l’air plutôt satisfait.

« La mère du prince m’a demandé personnellement de m’occuper de lui. Et j’ai juré, à ce moment-là, de me dévouer à son service. »

« Hmm. Eh bien, c’est bien. Continue. »

« Que voulez-vous dire ? C’est tout ce qu’il y a dire. »

Attends, c’est tout ? C’était suffisant pour que tu supportes tout ça ?!

Mais bon, prêter un serment d’allégeance était probablement une affaire sérieuse. Si vous deviez rompre cette promesse lorsqu’on vous traitait mal, vous ne l’auriez probablement pas faite en premier lieu. J’avais lu un jour dans un manga que la société féodale était composée de quelques sadiques nés et d’un grand nombre de masochistes. Peut-être que Ginger faisait partie de cette deuxième catégorie.

Quand j’y avais pensé de cette façon, cela me parut un peu plus logique… même si la réalité n’était probablement pas aussi grossière.

Cliff faisait aussi des progrès dans ses recherches. Il venait de terminer le tout premier prototype d’un outil magique pour supprimer les symptômes de la malédiction d’Elinalise. Il me l’avait annoncé personnellement un jour. Il était encore plus fier de lui que d’habitude.

« En gros, il force l’entrée de mana externe pour contrer le flux de mana interne. Ce n’est pas suffisant pour éliminer la malédiction, mais ça la ralentit. »

Il continua à expliquer les détails dans un langage complexe et technique. Une grande partie de ces détails concernait la façon dont il avait « aligné » le mana externe avec la « fréquence » du mana de la malédiction d’une manière très spécifique. Il avait également passé beaucoup de temps à souligner son propre génie, je pensais donc que j’allais omettre cette partie.

L’essentiel étant qu’il avait trouvé un moyen de rendre la malédiction d’Elinalise moins sévère.

« Cependant, il reste deux problèmes », a-t-il dit.

À ce moment de la conversation, Cliff m’avait enfin laissé voir l’appareil lui-même. C’était une sorte de pagne volumineux, le genre de chose qu’un lutteur de sumo pourrait porter. Pour être honnête, je l’aurais pris pour une couche pour adulte.

« Je vois. Eh bien, le problème le plus évident est que ce n’est pas vraiment à la mode. »

« En effet. Je ne pouvais évidemment pas demander à Lise de se promener en portant cette chose. »

Ils s’étaient même disputés à ce sujet, ce qui ne leur arrivait presque jamais. Elinalise avait en fait dit qu’elle se fichait de l’apparence, mais Cliff refusait obstinément de céder. Je suppose qu’il était trop fier pour supporter l’idée de rendre sa petite amie ridicule.

Ils s’étaient réconciliés au cours d’une seule nuit passionnée, d’ailleurs. Leur amour était toujours aussi nauséabond.

« Zanoba et Silent se sont portés volontaires pour m’aider, et nous avons développé un plan pour miniaturiser l’appareil. J’aimerais aussi le rendre beaucoup plus efficace. Mais comme je suis un génie, je suis sûr que ce n’est qu’une question de temps. »

Son objectif ultime était de fabriquer un dispositif pas plus grand qu’une culotte ordinaire. Il était difficile de dire si c’était faisable, mais s’il y parvenait, peut-être pourrions-nous aussi fabriquer une paire de gants pour Zanoba. Cela pourrait lui donner une chance de faire des figurines de ses propres mains.

Mais j’avais l’impression qu’il était peut-être naturellement maladroit, même sans sa super force.

« Alors, quel est l’autre problème que tu as mentionné ? »

« C’est en fait la raison pour laquelle je t’ai appelé ici aujourd’hui, Rudeus. », dit Cliff en fronçant les sourcils.

« Oh ? »

« Le fait est que… l’outil consomme actuellement beaucoup trop de mana pour être pratique. »

Si je me souvenais bien, les outils magiques nécessitaient que quelqu’un les remplisse de mana avant qu’ils puissent fonctionner. Les outils moins efficaces n’étaient pas considérés comme particulièrement utiles pour les applications du monde réel. Idéalement, Cliff voulait quelque chose qu’Elinalise pourrait porter en permanence, tout en ne consommant que la quantité de mana qu’elle pouvait supporter. Mais pour l’instant, l’appareil était tellement assoiffé d’énergie que Cliff ne pouvait même pas le faire fonctionner pendant une heure.

« Nous allons essayer de continuer à affiner la conception, mais j’aurais vraiment besoin de ton aide. Sans toi, nous ne serions en mesure de charger la chose que quelques fois par jour. »

« Ah, d’accord, je comprends. Je vais aider quand je peux. »

Cliff se considérait comme un magicien de génie, et sa capacité de mana était certainement du côté des plus grandes. Mais même ainsi, c’était loin d’être suffisant. C’était exactement là que je pouvais être utile.

À partir de ce jour, j’avais aussi commencé à aider Cliff dans ses expériences.

D’ailleurs, l’appareil n’avait pas rendu Elinalise moins excitée.

*****

Ces derniers temps, j’avais l’impression que ma vie s’était installée dans un rythme doux et agréable.

Je me réveillais le matin, je faisais mon entraînement, je prenais mon petit-déjeuner et je me rendais à l’université. Je passais voir Zanoba, puis Cliff, pour vérifier l’avancement de leurs recherches et leur donner de temps en temps quelques conseils. Après le déjeuner, j’allais aider Nanahoshi dans ses expériences d’invocation. Et une fois les cours terminés, je prenais une heure pour donner des cours particuliers à Norn.

En rentrant chez moi, je faisais des courses avec Sylphie et Aisha nous accueillait à la porte d’entrée. Sylphie et moi prenions un bain ensemble, et nous dînions tous les trois. Puis nous pratiquions la magie dans le salon et parlions de nos journées.

Après qu’Aisha soit allée se coucher, je travaillais sur le projet de fabrication du bébé avec Sylphie, puis je dormais d’un sommeil profond avec ma femme comme oreiller. Chaque jour se déroulait à peu près comme le précédent, mais j’avais toujours l’impression de progresser régulièrement vers mes objectifs.

Peut-être que c’était ça, le bonheur ?

Ce n’était pas quelque chose que j’avais obtenu lors de mon premier essai dans la vie. Mais en supposant que Paul revienne sain et sauf dans un an environ, les choses ne pouvaient que s’améliorer à partir de là.

***

Chapitre 7 : Le troisième tournant

Partie 1

Il y a des cas où la vie vous tombe dessus rapidement.

Par un agréable matin d’été, je faisais ma routine d’entraînement habituelle et je me sentais plutôt bien. Je n’avais pas vu Badigadi depuis des mois, mais je n’étais pas trop inquiet. L’homme étant de nature impulsive, il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter pour lui.

C’était d’ailleurs ce qu’Elinalise disait toujours. Et cela s’était avéré exact jusqu’à présent.

Lorsque j’avais terminé et que j’étais rentré dans la maison, j’avais trouvé Aisha et Sylphie dans le couloir avec des expressions sérieuses sur le visage. Elles s’étaient retournées pour me regarder au moment où j’avais franchi la porte.

« Oh… »

« Rudy… »

Quelque chose dans l’atmosphère qui régnait ici me rendait nerveux. Avions-nous un problème à régler ?

« Err… Haha, wow. Ça me rend plus nerveuse que je ne le pensais… », dit Sylphie en se grattant l’arrière de ses oreilles avec un sourire gêné.

« Il n’y a aucune raison d’hésiter, Sylphie ! Vas-y ! Sois courageuse ! », dit Aisha

Ma femme s’était avancée. Après un moment d’hésitation, elle croisa ses mains devant son ventre et parla.

« Eh bien, Rudy. En fait, ça fait… deux mois maintenant. Depuis mes dernière, euh, tu sais… »

Ses dernières… ? Oh. Oh, wôw.

« Et, eh bien, je ne me sentais pas très bien ces derniers temps, et je commençais à me demander. »

Je n’avais pas pu m’empêcher de regarder le ventre de Sylphie. Il n’avait pas l’air différent en ce moment. Était-ce vraiment en train de se passer ?

« Alors je suis allée avec Aisha chez le médecin du quartier, et… ils ont dit, euh, félicitations. »

« Oh… Ohhh… »

Ma voix tremblait. Tout comme mes mains. Et mes jambes, d’ailleurs.

Félicitations ? Elle était enceinte ? On allait vraiment avoir un enfant. Ce n’était pas un rêve ?

Je me fis un pincement de ma joue expérimental qui me fit grimacer. Cette théorie avait donc raison.

J’avais avalé bruyamment.

Mais oui, bien sûr. Pourquoi ne serait-elle pas enceinte ? J’étais un homme qui pouvait faire bouger les choses quand je m’y mettais vraiment. Cela avait toujours fait partie du plan. Je ne m’attendais pas à ce que ça arrive si vite, puisque tout le monde disait que les elfes avaient du mal à tomber enceintes.

J’étais un peu surpris, c’est tout.

« Uhm, Rudy… une idée ? »

Sylphie me regardait avec anxiété. Je n’étais pas sûr de ce que je devais dire. Tout ça était si soudain.

« Je peux, euh… toucher ton ventre ? »

« Huh ? Err, bien sûr. Vas-y. »

Je m’étais baissé et j’avais caressé le ventre de Sylphie. Il était encore mince, sans graisse supplémentaire que je pouvais sentir. Sa peau était chaude au toucher et étonnamment douce. En d’autres termes, c’était comme d’habitude. Mais en me concentrant bien, j’avais eu l’impression de sentir un léger soupçon de bosse.

C’était probablement juste mon imagination, non ? L’enfant ne serait pas encore si grand.

« Bien… Notre enfant est ici… »

Lorsque j’avais prononcé ces mots à voix haute, j’avais senti une soudaine poussée d’émotion monter en moi. Quel était ce sentiment ? J’avais dû réprimer l’envie de me mettre à crier de façon incohérente.

Mon enfant était en cours de création. J’allais être papa.

Ça ne semblait pas encore réel. Mais ça me rendait quand même incroyablement heureux.

Est-ce que « heureux » était le bon terme ? Le mot semblait si inadéquat. Qu’est-ce que je ressentais en ce moment ? Pourriez-vous même l’exprimer avec des mots ?

« Mon cher frère ? N’y a-t-il rien que tu veuilles dire à ta femme ? »

Les mots d’Aisha m’avaient ramené à la réalité.

« Muh ? »

Quelque chose que je dois dire ? Comme quoi ? Des félicitations ? Non, ça ne peut pas être ça.

Je devrais peut-être la remercier. Oui, ça sonne mieux.

« Merci, Sylphie. »

« Huh ? »

Sylphie avait souri, mais elle avait l’air un peu perplexe. Avais-je mal deviné ? Quelle était la réponse, alors ? J’avais cherché un indice dans ma mémoire. Qu’avait dit Paul à Zenith, quand nous avions découvert que Norn allait arrivée ? Quelque chose comme « Bien joué », non ? Ou peut-être « Beau travail ! »

Je n’aimais pourtant pas beaucoup ces options. Pensait-il que les femmes ne tombaient enceintes que si elles essayaient vraiment fort ou quelque chose comme ça ? Peut-être. Peut-être qu’il était aussi stupide.

… Enceinte, hein ? Oui. Sylphie est enceinte. J’ai mis cette douce et belle fille enceinte. Je l’ai fait, moi.

Plus j’y pensais, plus mes émotions menaçaient de me submerger. Je commençais à avoir les larmes aux yeux.

« Je suis désolé… Je ne, euh… pense pas savoir quoi dire. Désolé, Sylphie… »

« Oof ! Uhm, Rudy ? »

Au lieu de continuer, j’avais jeté mes bras autour de Sylphie. Je voulais la soulever dans les airs et la faire tourner plusieurs fois pour faire bonne mesure, mais ce n’était pas le moment pour ça. Elle avait un bébé dans son ventre. Je devais être très, très doux avec elle.

« Hehehe. Tu voulais vraiment des enfants, non ? »

Ma femme m’avait également entouré de ses bras et avait commencé à me taper dans le dos.

Je l’avais serrée encore une fois doucement, puis je l’avais finalement relâchée. En reculant, j’avais regardé dans ses yeux. Je pouvais voir mon visage s’y refléter, et ce n’était pas beau à voir. Des larmes coulaient sur mes joues.

Sylphie ferma les yeux. Je l’avais embrassée et j’avais caressé ses cheveux, appréciant la douceur de ses lèvres. Voilà à quoi ressemblait l’amour, non ?

« Ahem. »

Aisha s’était raclé la gorge, me rappelant que nous n’étions pas seuls dans la pièce. J’avais commencé à tripoter les seins et les fesses de Sylphie sans même m’en rendre compte.

« Mon cher frère, nous devons être doux avec la maîtresse de maison pendant un moment. Tu vas devoir t’abstenir de… rapports sexuels pour le moment. »

Elle a raison. Méchant Rudeus ! Méchant !

Peu importe à quel point ma femme était adorable, je devais me contrôler à partir de maintenant. Mais bon… elle était enceinte de moins de deux mois, non ? Et on l’avait fait tous les trois jours jusqu’à maintenant. Ça ne ferait probablement pas de mal de continuer un peu…

Non ! Non. Reste concentré, mec.

« Oui, bien sûr. »

Aisha sourit et souleva l’ourlet de sa jupe légèrement vers le haut.

« Si tu es désespéré, je suis toujours disponible pour prendre le relais. »

« Pas la moindre chance, ma petite. »

Elle fit alors une petite moue à ce sujet. C’était gentil de sa part de proposer et tout, mais même en mettant de côté toutes les questions morales, je n’étais tout simplement pas attiré par elle. Et ça me convenait bien. La dernière chose dont j’avais besoin était de détruire mon mariage en jouant avec la bonne.

« Dans ce cas, c’est réglé, cher frère, je vais aller informer la Princesse Ariel de ce développement. Je pense que Mlle Sylphie devra mettre son travail en suspens pendant un certain temps. »

Je n’y avais même pas pensé, mais elle avait raison. Vous ne voudriez pas qu’une femme enceinte travaille comme garde du corps. Sylphie allait avoir besoin d’un congé.

« Je vais y aller. Je devrais vraiment expliquer la situation moi-même. », avais-je dit.

Aisha m’avait regardé en soupirant : « Rudeus, tu dois vraiment rester avec Sylphie pour le moment. Vous avez beaucoup de choses à vous dire, non ? »

C’est vrai ? Oh, oui. Je suppose que oui. Après tout, cette nouvelle change tout.

« Ceci étant réglé, je vais y aller maintenant. »

« D’accord. Ok. Merci, Aisha. »

Ma petite sœur quitta la maison de bonne humeur, nous laissant seuls, Sylphie et moi.

Quelques minutes plus tard, nous étions tous les deux assis l’un à côté de l’autre sur le canapé.

J’avais prudemment tendu la main pour prendre celle de Sylphie. Elle serra la mienne en retour et appuya sa tête contre mon épaule. Nous n’avions rien dit pendant un moment.

Et honnêtement, je ne savais pas trop par où commencer.

Les seuls mots qui me venaient étaient des variantes de « J’assumerai la responsabilité de mes actes ». Mais comme on était déjà mariés, ça n’avait pas beaucoup de sens.

« Uhm, Sylphie… »

« Oui, Rudy ? »

« Je sais que ça va être dur, mais… on va le faire ensemble. »

« Eh bien, je pense que je vais faire le plus gros du travail. »

En riant doucement, Sylphie s’était allongée sur le canapé et avait posé sa tête sur mes genoux. J’avais utilisé ma main libre pour lui caresser la tête et frotter derrière ses oreilles.

« Hey, Rudy. »

« Oui ? »

« Tu veux un garçon ou une fille ? »

La question m’avait pris par surprise. J’avais presque oublié qu’il y avait deux sortes de bébés.

« Je veux dire, ce n’est pas comme si nous pouvions vraiment choisir », ajouta Sylphie en souriant doucement.

Hmm. Lequel serait le mieux ?

Peut-être qu’un garçon serait bien, juste pour avoir un héritier dans la famille ? Mais ce n’était pas comme si j’étais à la tête d’une sorte de clan féodal. Nous pourrions tout transmettre à une fille tout aussi facilement… même si nous n’avions pas beaucoup de fortune à hériter pour le moment.

Dans mon ancienne vie, j’aurais probablement dit « Une fille ! » avec un sourire effrayant sur le visage. J’aurais peut-être même suggéré que nous prenions des photos d’elle tous les jours pour enregistrer sa croissance vers l’âge adulte. Quel homme stupide j’étais !

Mais pour l’instant, je ne trouvais aucune raison de préférer l’un à l’autre. Tant que c’était un enfant heureux et en bonne santé, j’étais satisfait de l’un ou l’autre.

« Tu sais, Rudy, je suis un peu soulagée. »

« Pourquoi ? »

« J’ai l’impression d’être vraiment ta femme maintenant. »

« … »

Tout comme dans mon ancien monde, avoir des enfants était la raison majeure pour laquelle les gens se mariaient ici. Sylphie avait probablement été un peu anxieuse à ce sujet, puisqu’il était plus difficile pour son peuple de tomber enceinte. Bon, ce n’est évidemment pas comme si je l’aurais quittée pour quelque chose comme ça.

« Quoi qu’il en soit, je suppose que ça va être un peu dur pour toi aussi, hein ? Puisqu’on ne peut pas, euh, le faire pendant un moment. », dit-elle.

« Hey, je vais surmonter ça. »

Je pourrais supporter une période de sécheresse dans ces circonstances. Contrairement à certains vieux hommes que je pourrais mentionner.

« N’hésite pas à me virer de la maison pour de bon si je vais coucher avec une autre femme, d’accord ? Je le mériterais », avais-je dit.

« … Oh, je ne pense pas que je serais si en colère. Peut-être un peu triste. Mais je comprendrais. »

Vraiment ? Ça semblait être une réaction terriblement douce. Je n’allais cependant pas la trahir. Je savais que je me sentirais comme une merde totale si elle me trompait.

« Pour être honnête, je pense que je serais contrarié si tu sortais avec un autre gars », avais-je avoué.

Sylphie s’était mise à rire doucement et à sourire. C’était une expression qu’elle ne portait que devant moi. Personne d’autre ne pouvait la voir. Et ça me rendait vraiment heureux.

Nous avions passé un moment tranquille ensemble.

***

Partie 2

Le soir, Aisha était revenue à la maison avec Norn à ses côtés.

« F-Félicitations, Sylphie », dit Norn en s’inclinant poliment.

« Merci, Norn », dit Sylphie en souriant et en lui tapant sur la tête.

Norn sourit à son tour. Elle n’avait pas l’air d’être dérangée par les caresses autant qu’on pourrait le croire. Peut-être qu’elle aimait ça, si cela venait de la bonne personne. En tout cas, c’était agréable de les voir s’entendre si bien toutes les deux.

« Tout le monde voulait venir te féliciter, mais je les ai convaincus de reporter leur visite de quelques jours », dit Aisha d’un ton calme.

Elle avait apparemment supposé que je voulais garder cette occasion familiale intime pour aujourd’hui.

Je ne me rappelais pas avoir suggéré quoi que ce soit de ce genre, mais cela semblait assez raisonnable. Sylphie serait probablement un peu gênée ou accablée d’avoir beaucoup de gens qui la félicitent tous en même temps. Il valait mieux lui laisser quelques jours.

« La princesse Ariel a indiqué que Mlle Sylphie devrait prendre une pause de ses fonctions pendant au moins deux ans. Elle a également dit qu’elle s’arrangerait pour obtenir un congé de l’école. La grand-tante Elinalise s’est portée volontaire pour assumer les fonctions de garde du corps de Sylphie pendant cette période. »

« Est-ce que grand-mère va vraiment s’en sortir ? Je veux dire, elle a cette malédiction et tout… »

« Elle m’a assuré qu’elle pouvait s’en sortir, Madame. Je ne m’inquiéterais pas pour elle. »

Elinalise savait comment prendre soin d’elle, et elle avait cet outil magique maintenant. De plus, elle pouvait toujours attirer Cliff dans une salle de classe ou une salle de stockage vide si elle avait besoin de s’occuper pendant les heures de cours.

« Le prince Zanoba a dit qu’il nous rendrait visite dans cinq jours, dans la soirée. Il veut dîner avec nous, alors je vais préparer les choses pour cela. La princesse Ariel passera dans dix jours, également le soir, mais elle a indiqué qu’elle ne dînerait pas avec nous. Cliff et grand-tante Elinalise nous accompagneront lors de cette visite. Mademoiselle Linia et Mademoiselle Pursena ont indiqué qu’elles passeraient un jour, mais je n’ai pas de détails sur la date de leur visite. Mlle Nanahoshi vous a adressé un bref message de félicitations à tous les deux. Je n’ai pas pu trouver le Seigneur Badigadi, mais j’ai laissé un message pour lui. »

Aisha avait énuméré toute la liste de nos amis rapidement et efficacement, d’un ton stable. C’était comme si nous avions une secrétaire personnelle ou quelque chose comme ça. Cette fille était vraiment bonne dans son travail.

« Entendu. Merci de l’avoir fait savoir à tout le monde, Aisha. »

« Bien sûr, cher frère. »

Aisha regarda Norn avec un sourire fier sur le visage. Norn rencontra son regard avec un froncement de sourcils.

Aisha semblait toujours prendre un certain degré de joie malicieuse à montrer sa sœur comme ça. Il y avait un conflit persistant entre elles concernant leurs positions dans la famille. Je disais toujours à Aisha qu’elle était une membre de la famille à part entière, et que cela n’avait pas d’importance si elle avait une mère différente… mais elles se disputaient toujours constamment, pour les choses les plus mineures.

On disait que se disputer avec quelqu’un pouvait être un signe de la proximité de l’autre. C’était probablement bien de laisser faire les choses, tant que cela ne se transformait pas en une guerre froide. De plus, elles ne se disaient jamais rien de vraiment cruel quand elles se disputaient.

« Je dois cependant dire que Papa va probablement être choqué quand il va arriver et découvrir que j’ai un enfant qui arrive. », avais-je murmuré.

« Oh, oui ! », dit Norn, son visage s’illuminant à la mention de Paul.

Elle aimait vraiment son père. Je la voyais bien mettre « épouser mon papa » sur sa liste de rêves pour l’avenir.

« Je ne peux pas attendre. J’aimerais tant voir la tête qu’il fera ! »

« Il est du genre à gâter ses petits-enfants, alors je parie qu’il sera ravi. Il était aussi très gentil quand vous êtes nées. », avais-je dit.

Aisha et Norn avaient l’air un peu déconcertées pendant un moment. Aucune d’entre elles n’avait de souvenirs de cette époque.

« Eh bien, de toute façon ! J’ai vraiment hâte d’y être, Rudeus ! », annonça Norn.

Ces mots inhabituellement gais firent naître un sourire sur tous les visages.

Sylphie et moi étions heureux en ménage. Paul, Zénith et Lilia seraient bientôt avec nous. Et mes petites sœurs étaient aussi là. C’était la vie dont j’avais rêvé à l’époque du village de Buena, et elle était à portée de main.

La mauvaise nouvelle était arrivée deux mois plus tard.

J’avais reçu une lettre, datée de six mois dans le passé. Elle avait été envoyée par courrier express. L’expéditeur s’appelait Geese. Et le contenu, comme d’habitude avec les lettres express, était très bref.

« On a des difficultés à secourir Zénith. Demande de l’aide. »

À l’instant où je vis ces mots, le monde devant moi devint tout blanc.

*****

Quand j’étais revenu à moi, je m’étais retrouvé dans un espace blanc pur. J’étais redevenu l’immonde personnage que j’étais auparavant, et j’avais senti une vague de colère et de ressentiment m’envahir.

J’avais fixé d’un air renfrogné la figure qui se trouvait devant moi. C’était l’Homme-Dieu souriant, dont le visage n’était rien d’autre qu’un flou.

« Hé, toi. »

Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?

« De quoi parles-tu ? »

Cette lettre. Celle de Geese. Il dit que le sauvetage ne se passe pas bien. C’est quoi le problème ?

« Eh bien, je suppose que ça veut dire que le sauvetage ne se passe pas bien. Qu’est-ce que tu veux de moi ? »

Mais ce n’est pas ce que tu m’as dit ! Tu as dit que je le regretterais si j’allais sur le continent de Begaritt ! Qu’est-ce que c’était, alors ? Est-ce que tu m’as menti ? !

« Non, bien sûr que non. Tu le regretteras si tu vas sur le continent de Begaritt. C’était vrai à l’époque, et c’est toujours vrai maintenant. »

Ah, maintenant je vois. J’ai compris. Je le regretterais si je me rendais sur le continent de Begaritt, mais je le regretterais aussi si je ne m’y rendais pas. Est-ce ça que tu voulais dire depuis le début ?

« Oh, je n’en sais rien. Tu n’étais pas trop malheureux de ta vie hier, non ? Tu t’es fait beaucoup d’amis ici. Tu as rencontré beaucoup de gens intéressants, et tu as beaucoup grandi. Ta maladie a été guérie, tu t’es lié d’amitié avec tes petites sœurs, tu t’es même marié ! Et maintenant, tu as un enfant qui arrive. »

… Oui, ma vie n’est pas si mal en ce moment. Mais ce n’est pas la question ! Tu m’as dit de ne pas aller à Begaritt ! Tu m’as trompé !

« Je ne l’ai pourtant vraiment pas fait. Laisse-moi me répéter une fois de plus : si tu vas sur le continent de Begaritt, tu le regretteras certainement. »

Quoi ? Mais ma famille a des problèmes ! Dis-moi au moins pourquoi !

« Je ne peux pas faire ça, j’en ai peur. »

Ce n’est pas vrai ! J’aurais dû m’en douter. Tu es toujours comme ça !

« Tu es terriblement dur aujourd’hui. Mes conseils ont toujours été utiles, non ? »

Peut-être, mais ça ne change rien au fait que tu m’as trompé cette fois. Écoute, peux-tu au moins me donner quelques détails ? Qu’est-ce que je vais finir par regretter ? Je ne peux pas prendre cette décision sans connaître les risques et les récompenses !

« La plupart des gens doivent pourtant prendre leurs décisions à l’aveugle. Tu es terriblement exigeant. »

Je m’en fiche si je suis déraisonnable. Je ne veux pas regretter mes choix.

« Eh bien, si tu y réfléchis vraiment, quelques-unes des conséquences devraient être évidentes. Tu as passé la dernière année et demie en tant qu’étudiant, non ? Et tes petites sœurs ont passé un an à voyager jusqu’ici. Si tu étais allé à Begaritt à la place, tu n’aurais rien eu de tout ça. »

Quoi ? Mais Paul a envoyé mes sœurs ici parce qu’il a vu ma lettre. Si je ne lui avais pas écrit, elles seraient restées à Millis ou auraient attendu à Port Est.

« Ce n’est pas vrai. Même s’il n’avait pas reçu ta lettre, Paul aurait envoyé ses enfants au Royaume d’Asura. Tu te rappelles que Lilia a de la famille là-bas ? »

… Bien sûr. Je suppose que tu as raison.

« Les choses ne sont franchement pas si différentes maintenant. Disons que tu pars en voyage demain. Qu’est-ce qui arrive à Sylphie et à ton enfant ? Tu prévois de la laisser ici, toute seule, pendant que tu te balades à l’autre bout du monde ? »

Donc en gros, j’aurai des regrets quoi que je fasse.

« Naturellement, j’ai bien peur qu’il soit impossible d’éviter d’avoir des regrets. Si tu vas à Begaritt, tu vas rater au moins une occasion en or. De mon point de vue, il vaut mieux rester sur place. »

Tch.

Eh bien… si tu es si sûr de toi, je pense que je vais probablement finir par le regretter. Bon…

« Bon. Bien, alors, tu veux entendre mon conseil ? »

Oui, bien sûr. Je suppose que ça ne peut pas faire de mal.

« Ahem. Rudeus, reste à Ranoa jusqu’à la prochaine saison des amours. Linia et Pursena te poursuivront de manière agressive. Choisis l’une d’elles et entame une relation avec elle. Tu seras plus heureux au bout du compte. »

C’est quoi ce bordel ? Tu me dis de tromper ma femme maintenant ?! Je suis heureux avec Sylphie ! Et ces deux-là ne sont que de bons amis, bon sang !

Ses derniers mots résonnant dramatiquement dans l’air, l’Homme-Dieu disparut. Et j’étais retombé dans l’inconscience.

*****

Je m’étais réveillé et je m’étais retrouvé dans mon lit. Sylphie me regardait avec de l’inquiétude sur le visage.

« Oh, Rudy ! Tu vas bien ? Tu gémissais dans ton sommeil. »

« Oui, je vais bien… »

Que s’était-il passé après que j’ai reçu cette lettre ? Je ne me souvenais plus très bien des détails. Je me rappelais avoir fixé la page avec stupeur, mais rien d’autre que mon rêve.

Les choses s’étaient passées trop facilement ces derniers temps. Je suppose que le choc m’avait frappé de plein fouet.

La lettre de Geese était alarmante. Quelque chose avait manifestement mal tourné. Pourtant, j’avais les mots de l’Homme-Dieu à considérer. Si je me mettais en route maintenant, il y avait une chance que ma famille et moi nous croisions sur la route et que je perde quelques années de ma vie.

C’était peut-être trop optimiste, mais… il y avait une chance que Geese ait juste envoyé cette lettre dans un moment de panique. Je veux dire, ce n’était pas Paul qui m’avait écrit. C’était Geese. Mon compagnon de cellule à tête de singe.

Pourquoi m’aurait-il écrit une lettre comme celle-là ? Parce qu’il essayait aussi de sauver Zénith ? Mais Paul ne l’avait pas mentionné dans sa dernière lettre. Il semblait probable que Geese ait trouvé Zenith tout seul.

La lettre avait été écrite il y a six mois. Il était possible qu’il ait été seul et se soit senti impuissant à l’époque, mais qu’il ait rencontré Paul et les autres depuis. Peut-être avait-il même envoyé une lettre similaire à Paul. Ils avaient peut-être uni leurs forces et sauvé ma mère quelques semaines plus tard.

***

Partie 3

Tout cela n’était, bien sûr, que des suppositions. Je n’avais absolument aucun moyen de savoir ce qu’il en était réellement. Pas à une telle distance.

Il fallait aussi penser à l’enfant de Sylphie. Quelle que soit la vitesse à laquelle on voyageait, il fallait une bonne année de voyage pour atteindre le Continent de Begaritt. Je connaissais la route menant à Port Est pour l’avoir empruntée lors de mon dernier grand voyage, il était donc possible de réduire considérablement la durée du trajet. Mais même si je parvenais à y arriver en six mois, je ne serais pas de retour à la maison avant au moins un an.

Ça n’allait pas marcher, hein ? Je ne pouvais pas laisser ma femme enceinte toute seule pour partir à l’aventure.

« C’est à propos de cette lettre, n’est-ce pas ? »

« … »

Je ne pouvais pas me résoudre à répondre. J’avais promis à Sylphie que je ne disparaîtrais pas à nouveau. Je lui avais donné ma parole.

Techniquement, ce ne serait pas « disparaître » si je lui expliquais tout avant. Mais c’était juste de la sémantique. Même si on en parlait avant - ou si je lui laissais une lettre détaillée — ce serait toujours angoissant pour elle d’être abandonnée.

« Euh, Rudy… tu n’as pas besoin de trop t’inquiéter pour moi, ok ? Aisha est là pour prendre soin de moi. »

Il y avait juste une pointe d’angoisse sur le visage de Sylphie. Elle était évidemment anxieuse. C’était sa première grossesse. Son ventre grossissait déjà de jour en jour. Tôt ou tard, il lui serait difficile de monter et descendre les escaliers. Et il y avait une chance que je puisse mourir pendant ce voyage. Je pourrais ne jamais lui revenir.

Elle avait combattu cette peur pour prononcer ces mots.

« … Je ne vais nulle part. Je reste avec toi, Sylphie », avais-je dit.

Au moment où j’avais dit ça, elle se mit à sourire, même si elle semblait encore un peu troublée.

Les mots de l’Homme-Dieu continuaient de s’attarder dans mon esprit. Quel que soit le choix que je fasse, avait-il insisté, je finirais par le regretter.

Les trois jours suivants avaient été longs et difficiles.

Chaque fois que je les voyais, Sylphie, Aisha et Norn avaient un air anxieux. Je leur avais déjà dit que je n’allais pas sur le Continent de Begaritt, mais plus j’y pensais, plus je me sentais incertain. J’étais déchiré entre mes deux choix, et il n’y avait pas beaucoup de personnes vers qui je pouvais me tourner pour avoir des conseils.

La première, Elinalise, avait hoché la tête lorsque je lui avais fait part de mes intentions.

« Je pense que c’est sage, Rudeus. Tu ferais mieux de rester derrière pour cette fois. »

La façon dont elle avait formulé cela m’avait surpris. Cela suggérait qu’elle avait d’autres plans.

« Tu vas y aller, Elinalise ? »

« Sylphie est ma petite-fille, Rudeus. C’est normal que j’accepte ce travail, pour son bien autant que pour le tien. »

Apparemment, elle avait elle-même reçu une lettre identique. Et contrairement à moi, elle était prête à partir, même si cela signifiait laisser sa vie ici derrière elle.

« N’es-tu cependant pas censée garder la princesse Ariel ? »

« Il y a très peu de danger réel pour sa vie tant qu’elle est inscrite dans cette école. En toute honnêteté, je ne faisais pas grand-chose. »

C’était probablement vrai la plupart du temps, mais on ne savait jamais quand les choses pouvaient prendre une tournure dangereuse. C’était tout l’intérêt d’avoir des gardes du corps. Mais bien sûr, c’était à Ariel de prendre cette décision, et Elinalise s’était essentiellement portée volontaire pour faire ce geste. Je doute que la princesse s’oppose à ce qu’elle fasse marche arrière.

« Et Cliff ? »

« Je vais devoir le quitter. Il risque de me détester à jamais, mais je n’ai pas vraiment le choix. »

« Pourquoi ne pas au moins lui expliquer la situation ? Je suis sûr qu’il comprendra. »

Elinalise secoua la tête avec un sourire mélancolique. Cela ne ressemblait pas vraiment à son rictus habituel.

« Cliff est un jeune homme au cœur pur. Il a du talent, de la volonté et une vision. Je ne serais pas surprise qu’il devienne le pape un jour. Il est préférable qu’il se souvienne de moi comme d’une simple aventure de jeunesse. »

Eh bien, ça me faisait sentir mal pour le gars.

Les membres de l’église de Millis devaient rester fidèles à une seule personne. Si Elinalise disparaissait, cela pourrait ébranler les fondations mêmes de la foi de Cliff. C’était quelqu’un de volontaire, mais il était difficile de savoir ce que la perte de sa religion pourrait lui faire.

« Et aussi… C’est moi qui t’ai dit de rester ici la dernière fois. C’est donc à moi qu’il incombe de réparer ce désordre, tu ne crois pas ? »

Les mots d’Elinalise étaient si fermes et clairs que je m’étais retrouvé à ne plus savoir quoi dire.

Prenant apparemment cela pour un accord, celle-ci avait hoché la tête.

« Tu me laisses ça et tu attends ici, mon cher. Je veux voir un arrière-petit enfant heureux qui m’attendra à mon retour. »

Il était clair que rien de ce que je pourrais dire ne la ferait changer d’avis.

J’avais ensuite demandé conseil à Zanoba. Son expression n’avait même pas changé pendant que je lui racontais l’histoire.

« Je vois. Je suis sûr que tu vas régler cette affaire assez facilement et que tu seras de retour assez rapidement. Je vais rester ici et poursuivre mes recherches, mais j’espère que tu reviendras aussi vite que possible. », avait-il dit calmement.

« Je pensais que tu me demanderais de ne pas y aller, Zanoba, ou bien que tu exigerais que je t’emmène. »

Quand nous nous étions séparés au Royaume de Shirone, il avait pleuré et s’était accroché à moi. Une partie de moi avait espéré quelque chose de similaire. Mais cette fois, son attitude était très différente.

« Si tu souhaites que je t’accompagne, je ne pourrais refuser. Mais je ne suis pas habitué aux longs voyages, et je crains d’être un fardeau. Et bien sûr… Je ne pourrais pas emmener la petite dans un tel voyage. », dit-il en jetant un coup d’œil à Julie.

Julie était encore une jeune enfant. La laisser ici aux soins de Ginger était une option, mais cela signifiait mettre leurs études et leurs recherches en suspens. Et si elle venait à la place, il serait dangereux qu’elle continue à s’épuiser en utilisant tout son mana.

« Penses-tu que je devrais y aller, Zanoba ? »

« C’est à toi de décider, Maître. »

Il avait l’air presque dédaigneux maintenant. J’avais espéré un vrai conseil…

« Cependant, si je peux faire une observation ? », dit-il.

« Hmm ? »

« La naissance d’un enfant ne nécessite pas la présence d’un père. Si tu es inquiet pour tes parents, pourquoi ne pas leur venir en aide ? Je garantirai la sécurité de ta femme et de tes sœurs en ton absence. »

Il y avait une réelle conviction dans les paroles de Zanoba. Il était logique que la royauté ait un point de vue différent sur ce genre de choses. La plupart des rois ne se précipitaient probablement pas pour assister à l’accouchement de leurs concubines.

« Je préférerais bien sûr t’avoir constamment à mes côtés, mais le choix t’appartient. », dit-il.

« Tu as raison, Zanoba. Merci pour le conseil. »

Sylphie n’était pas seule ici. Elle avait Aisha, Zanoba, et la suite de la Princesse Ariel.

Elle n’était pas seule. Nous n’étions pas seuls.

Finalement, que devrais-je faire ? Rester ou partir ?

Elinalise voulait que j’attende ici pendant qu’elle partait seule à Begaritt. Zanoba voulait que je m’en aille, en laissant les affaires ici entre ses mains. Quel chemin avait le plus de sens ? Où avait-on le plus besoin de moi en ce moment ?

La logique de Zanoba semblait saine. Tant que Sylphie restait en bonne santé, tout irait bien. Ma présence n’allait pas faire de différence. Pourtant, cette attitude ne me convenait pas. Je n’étais pas un roi, et je ne voulais pas agir comme tel. C’était évidemment mieux pour Sylphie de m’avoir ici, pour lui apporter un soutien émotionnel.

Sylphie m’avait encouragée à y aller, et m’avait dit de ne pas m’inquiéter… mais c’était sa première grossesse. Au fond de moi, je savais qu’elle devait être terrifiée. Elle luttait probablement contre l’envie de s’effondrer et de me supplier de ne pas partir.

C’est moi qui lui avais dit que je voulais des enfants, encore et encore. Je n’étais peut-être pas si sérieux à l’époque, mais elle l’avait manifestement pris au sérieux. Et maintenant qu’elle était enceinte, je pensais la laisser derrière moi pendant que je voyageais à l’autre bout du monde. J’avais ressenti ça comme une sérieuse trahison.

D’un autre côté… je devais admettre que je repoussais ma responsabilité d’aider Paul depuis longtemps maintenant. J’avais fait passer mon propre bonheur en premier pendant des années. J’avais donné la priorité à la résolution de mes problèmes de « performance » plutôt qu’à la recherche de ma mère.

Peut-être que c’était un appel au réveil. Peut-être qu’il était enfin temps pour moi de payer les pots cassés.

… Je n’arrivais pas à me décider. Les deux options me coûteraient cher.

C’était maintenant le quatrième jour après l’arrivée de la lettre. J’avais passé la plupart de ce temps à ruminer mon dilemme. Je ne dormais pas bien, et je n’arrivais pas à me motiver pour faire ma routine d’entraînement habituelle ce matin-là. J’étais resté assis au premier étage, les yeux fatigués, à ne rien faire de particulier.

Les matinées étaient fraîches ici, même en été, et je me sentais vraiment léthargique. Pendant un moment, j’avais juste regardé le soleil se lever.

« … Oh ! »

Au bout d’un moment, j’avais entendu un petit cri de surprise derrière moi. En me retournant, je vis que notre porte d’entrée était ouverte, et que Norn se tenait devant. Elle avait un grand sac sur le dos, le même que j’avais utilisé à l’époque où j’étais un aventurier. Il était plein à craquer.

Elle se préparait manifestement à un long voyage. Mais comme elle n’avait que dix ans, on aurait plutôt dit qu’elle allait faire un pique-nique ou autre chose.

Pendant un long moment, je l’avais regardée en silence. Norn avait évité mon regard. Elle avait l’air d’une enfant qui venait d’être prise en flagrant délit de farce.

« Où est-ce que tu vas ? »

« … »

Norn n’avait pas répondu, alors je m’étais répété.

« Où vas-tu, Norn ? »

Se mordant la lèvre, elle me regarda finalement dans les yeux.

« Eh bien… si tu ne vas pas aider, Rudeus, je suppose que je dois y aller à la place. »

J’avais étudié son visage pendant un moment. Aller où ? Elle ne pouvait pas sérieusement parler du continent de Begaritt ?

Norn était encore si petite. C’était d’une enfant de dix ans dont nous parlions ici.

« … »

Il n’y avait aucune chance que ce sac contienne tout ce dont elle avait besoin pour ce voyage. Elle avait probablement de l’argent, mais savait-elle comment le dépenser intelligemment ? Savait-elle même quelle route elle allait prendre ? Comment comptait-elle faire face aux dangers qu’elle rencontrerait en chemin ? Elle pourrait se faire kidnapper par des esclavagistes à la minute où elle mettrait le pied hors de cette ville.

« Norn, je ne peux pas te laisser faire ça », avais-je dit.

« Mais je… je… Rudeus, s’il te plaît ! Maman et papa ont des problèmes ! »

Elle pleurait maintenant, mais elle gardait ses yeux fixés sur les miens.

« Pourquoi… pourquoi ne vas-tu pas les aider ? »

Pourquoi ? Eh bien, parce que j’allais bientôt avoir un enfant. Je devais penser à ma femme.

« Tu es bien plus fort que moi, Rudeus ! Tu sais comment voyager ! Pourquoi n’y vas-tu pas ?! »

Elle n’avait pas tort. Je n’étais pas aussi expérimenté qu’Elinalise, mais j’avais passé cinq ans sur la route en tant qu’aventurier. J’avais au moins le savoir-faire. Et même s’il y avait beaucoup de gens plus puissants que moi, je pouvais me défendre dans un combat.

Tel que j’étais aujourd’hui, je pourrais probablement réussir à traverser le Continent Démon même sans l’aide de Ruijerd.

« … »

C’était vrai. Je pouvais le faire si je le voulais.

Cela faisait des jours que je pesais le pour et le contre d’y aller, mais c’était parce que je pouvais me permettre de choisir. Norn n’avait pas eu ce choix. Elle voulait aller aider, mais elle ne pouvait pas. Moi, d’un autre côté, j’avais la capacité d’atteindre le Continent de Begaritt, d’aider nos parents, et de revenir sain et sauf.

C’était la raison pour laquelle Geese m’avait envoyé cette lettre et pas quelqu’un d’autre.

« Ok, Norn. Tu as raison. »

« R-Rudeus ? »

Il y avait d’autres personnes qui pouvaient s’occuper de Sylphie pour moi. Mais j’étais le seul à pouvoir aller sauver mes parents.

Ça devait être moi. Je pouvais traverser le Continent de Begaritt jusqu’à la ville de Rapan. Je pouvais résoudre les problèmes que Paul et les autres avaient rencontrés. Il n’y avait personne d’autre à qui je pouvais confier cette tâche.

« Je vais y aller. Peux-tu t’occuper de la maison pour moi ? »

Le visage de Norn s’était éclairé. Mais un instant plus tard, elle serra les lèvres et hocha la tête avec l’expression la plus sérieuse qu’elle pouvait avoir.

« Absolument ! »

« Ne te dispute pas avec Aisha. Et aide Sylphie quand tu peux, d’accord ? »

« Bien sûr ! »

« Très bien. Gentille fille. »

Je me sentais mal d’avoir fait ça à Sylphie et à notre bébé. Si elle me larguait pour ça, je ne lui en voudrais pas. Mais ce n’était pas comme ça que je devais penser à ça. Je devais faire confiance à ma femme.

« Je vais donc aller sur le Continent de Begaritt. »

J’avais pris ma décision maintenant. J’allais sauver mes parents.

***

Chapitre 8 : Adieux

Partie 1

Le Continent de Begaritt était une île massive, il fallait donc traverser la mer pour l’atteindre. Et ma destination spécifique, la Cité-Labyrinthe de Rapan, était située près de la côte est.

Il y avait deux routes possibles que je pouvais prendre. La première consistait à me rendre à Port Est, la principale ville portuaire du Royaume du Roi Dragon, et à y prendre un bateau. Ce ne serait pas la route la plus directe, mais elle me permettrait d’entrer dans Begaritt par l’est, réduisant ainsi le nombre de voyages que j’aurais à faire sur ce continent. C’était l’option la plus sûre.

L’autre possibilité était de prendre un bateau depuis le Royaume d’Asura, ce qui m’amènerait sur la côte nord du continent. Cela impliquerait de couper à travers le territoire de Begaritt, ce qui rendrait le chemin plus dangereux, mais cela me permettrait de gagner du temps.

D’après mes estimations, le premier plan me prendrait 18 mois et le second environ 12 mois. Même le plan le plus efficace ne me permettrait pas de faire l’aller-retour dans les sept prochains mois. Je manquerais la naissance de mon enfant, quoi qu’il arrive.

Mais c’était évidemment loin d’être ma seule préoccupation.

Pour une fois, j’allais ignorer les conseils de l’Homme-Dieu. Le connaissant, il devait savoir que je n’allais pas être d’accord avec lui, mais je n’avais jamais fait exactement le contraire de ce qu’il recommandait auparavant. C’était comparable à… comme si j’avais entièrement évité le Royaume de Shirone en traversant le Continent Central. Lilia et Aisha seraient toujours captives là-bas, et je n’aurais jamais rencontré Aisha. Je suppose que cela m’aurait quand même empêché de rencontrer Orsted.

Où serais-je maintenant si les choses s’étaient passées ainsi ? Nous aurions probablement atteint le camp de réfugiés sans trop de problèmes. Mais les choses auraient quand même pu se terminer aussi mal avec Éris. Et dix ans plus tard, j’aurais peut-être découvert où étaient Lilia et Aisha, à mon grand regret.

Oui. Il avait dit que je regretterais ça aussi. Il l’avait répété les deux fois où j’en avais parlé avec lui.

En se basant sur ça, les raisons n’avaient probablement rien à voir avec mon timing. Peu importe quand j’allais à Begaritt, je finirais par avoir de nouveaux regrets. Mais je ne pouvais pas dire ce qu’ils seraient. Je pouvais imaginer toutes sortes de possibilités. Je pourrais finir par perdre quelque chose. Comme une de mes mains, peut-être… ou un de mes parents.

Il n’y avait pas de raison de perdre du temps à y penser. Si je n’y allais pas, je serais coincé ici à attendre anxieusement pendant au moins deux ans. Au final, je pourrais apprendre que quelqu’un que j’aimais est mort. Paul ou Geese pourraient se montrer, meurtris et blessés, et me reprocher de les avoir abandonnés.

Tout pouvait arriver, mais je devais y aller. Même si je savais que je le regretterais.

Mais avant toute chose, j’avais décidé de parler de ma décision à Elinalise. Si je commençais par Sylphie et qu’elle fondait en larmes, ma détermination pourrait vaciller. Je voulais m’endurcir en annonçant d’abord la nouvelle à mes amis.

J’avais demandé à Elinalise de me rejoindre dans une salle de classe vide sur le campus.

Quand je lui avais dit ce que je prévoyais, celle-ci fit une grimace de mécontentement.

« Écoute, Rudeus. Ne t’ai-je pas dit de rester ici ? »

« Si, tu l’as fait. Mais je… »

« Tu sais, il y a toujours une chance que Geese ait sautée aux conclusions. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Tu connais l’homme, Rudeus. Il réfléchit rarement avant d’agir. Ce ne sont que des pressentiments et des intuitions avec lui. »

Eh bien, elle n’avait pas tort à ce sujet. Geese aimait aussi garder les faits pour lui, et il n’était pas au-dessus de la manipulation des gens.

« La lettre pourrait être l’un de ces cas. Pour ce qu’on en sait, il y a déjà une autre lettre en route vers nous, qui dit : “Ne tenez pas compte du dernier message, Zénith est en sécurité”, ou quelque chose du genre. », poursuivit Elinalise.

« Oui. L’idée m’a traversé l’esprit. »

Il y avait une chance que nous allions là-bas pour découvrir que Paul avait déjà sauvé ma mère. On pourrait même se rater sur la route. C’était possible, mais…

« Réfléchis-y une seconde. N’est-ce pas étrange que Geese sache où me trouver ? », avais-je dit.

« … Quoi ? »

« J’ai envoyé une lettre à Paul il y a un an et demi, lui disant où je vivais. Geese était sur le Continent Begaritt il y a six mois, au moins. Quand a-t-il appris que nous étions dans cette ville maintenant ? Comment nous a-t-il envoyé ces lettres ? »

Se rendre à Begaritt prenait environ un an à un voyageur, et même les lettres ne se déplaçaient pas aussi rapidement. Ce n’était pas comme les textos sur votre téléphone. Il fallait compter six mois minimum, même avec un service de livraison express. Les dates ne correspondaient pas.

« Le seul moyen pour que Geese puisse savoir où je suis est qu’il ait rencontré mon père et les autres. Ils ont dû lui dire où nous étions. »

« Alors pourquoi est-ce Geese qui nous a écrit, et pas Paul ? »

« Soit Geese a décidé d’envoyer la lettre tout seul, soit la fierté obstinée de mon père s’y est opposée. »

« Oh. Je vois… »

Elinalise porta une main à son menton, en réfléchissant à la question.

Dans la dernière lettre de Paul, il m’avait assuré qu’il pouvait s’occuper tout seul du sauvetage de Zénith. Il lui aurait été plus difficile de me demander de l’aide, même s’il en avait eu besoin.

Elinalise m’avait étudié pendant quelques instants et avait laissé échapper un « Hmm » réfléchi. Mais finalement, elle hocha la tête.

« Très bien, alors. Je suppose que nous irons ensemble. »

Je ne savais pas exactement à quoi elle avait pensé, mais son sourire était un peu triste. J’avais eu le sentiment qu’elle s’attendait à moitié à ce que les choses se terminent ainsi.

Nous allions voyager ensemble sur le continent de Begaritt, tous les deux.

Une heure plus tard, on s’était retrouvés.

« Bien. Commençons par décider de notre itinéraire, d’accord ? »

Elinalise était retournée brièvement dans sa chambre pour récupérer une grande carte du monde. Elle l’avait probablement achetée il y a quelques jours pour préparer son voyage. Tous deux l’avaient étalée sur une table, puis s’étaient penchés dessus pour examiner nos options.

La carte était assez grossière. Elle n’indiquait pas les noms de routes spécifiques ou l’emplacement de nombreuses villes. Elle indiquait simplement la forme des continents, les principales chaînes de montagnes et d’autres caractéristiques géographiques de base.

Elinalise avait manifestement passé du temps à étudier les routes possibles. De petites marques sur la carte indiquaient l’emplacement approximatif de Rapan et les lieux importants que nous devions traverser en chemin. Comme je l’avais prévu, il y avait deux approches possibles.

« Pour commencer, je pense que nous voulons arriver à Rapan le plus rapidement possible. »

Elinalise désignait la route la plus courte, qui nous mènerait d’Asura au côte nord du continent.

« Mais la route du nord est plus dangereuse, non ? », avais-je demandé.

Cette approche comportait toutes sortes de risques. Nous ne connaissions pas les routes de Begaritt, et nous devions parcourir presque toute la longueur d’un Continent dangereux. J’avais confiance en ma capacité à tuer des monstres, mais une terre inconnue pouvait encore receler de nombreux dangers.

« Je crois me souvenir que tu peux parler la langue du Dieu Combattant, Rudeus. »

« Huh ? Eh bien, oui. Mais je ne suis pas vraiment à l’aise. »

« Dans ce cas, nous pouvons simplement engager un guide et des gardes du corps une fois arrivés. »

« Ah, je vois… »

Grâce aux nombreuses années d’expérience d’Elinalise sur la route, nous nous étions rapidement mis d’accord sur notre itinéraire de base. Cela fait, nous étions passés à la planification des détails de notre voyage.

Tout d’abord, nous avions acheté des chevaux ici à Ranoa et les avions chargés avec juste assez de provisions pour nous rendre au Royaume d’Asura. Nous ne voulions pas apporter trop de choses, car cela nous ralentirait. Nous remplacerons nos chevaux quand ce sera nécessaire et les conduirons aussi loin que possible jusqu’à ce que nous atteignions le port d’Asura.

Une fois là-bas, nous achèterions de l’équipement et des provisions. Les denrées alimentaires étaient difficiles à trouver à Begaritt, même quand on avait de l’argent à dépenser. Les prix à Asura étaient peut-être plus élevés, mais il était sage de faire des provisions quand on en avait l’occasion.

Et dès que nous aurions tout ce dont nous avons besoin, nous prendrions le prochain bateau pour Begaritt. Là, nous engagerons un guide, et éventuellement des gardes du corps si cela semblait prudent. Elinalise s’occuperait de ces négociations tandis que je ferais office d’interprète. Après cela, nous laisserions notre guide nous conduire à la ville de Rapan. Une fois là-bas, nous retrouverions Paul et les autres, nous sauverions Zénith, et nous prendrions le même chemin pour rentrer chez nous.

« J’ai fait le voyage jusqu’à Asura plus d’une fois, ce ne sera donc pas un problème. Le seul souci est de choisir ce que nous allons apporter avec nous à Begaritt… », dit Elinalise pensivement.

Nous ne pourrions pas transporter tout ce que nous voudrions. Un chariot aurait pu résoudre ce problème, mais Begaritt était apparemment couvert de déserts, et les roues des chariots ne sont pas très bonnes sur le sable. Nous aurions probablement dû acheter un destrier comme le lézard que j’avais utilisé sur le Continent Démon. Peut-être qu’ils avaient des sortes de chameaux.

« Je pense néanmoins que tu peux me laisser ces détails. J’ai plus d’expérience dans ce domaine », a-t-elle dit.

« La vieillesse a ses avantages, hein ? »

« Ne me provoque pas, s’il te plaît. »

J’avais passé cinq ans en tant qu’aventurier, mais comparé à un vétéran comme Elinalise, j’étais encore un jeune homme. J’avais fini par lui laisser la plupart des décisions difficiles à prendre.

« Heureusement, nous sommes tous les deux en assez bonne forme. Nous devrions être capables de nous pousser à bout quand c’est nécessaire. », déclara Elinalise.

« Oui, je suppose que c’est vrai… »

J’étais persuadé qu’Elinalise pourrait marcher toute la journée dans le désert, mais pas tout à fait aussi certain que je serais capable de la suivre. J’avais continué à m’entraîner, mais il y avait une chance que je la ralentisse un peu.

Néanmoins, cela ne me semblait pas être trop problématique.

« En tout cas, c’est pratique qu’ils élèvent des chevaux pour les voyages longue distance dans cette région. Nous devrions être en mesure de trouver des options très appropriées. »

Notre objectif initial était d’atteindre le port d’Asura en deux mois. Il était difficile de dire combien de temps prendrait la traversée vers Begaritt, mais nous avions estimé à un mois. Aucun de nous n’était allé sur le continent lui-même, mais le terrain était apparemment difficile. Nous avions donc prévu six mois supplémentaires pour atteindre notre destination.

Au total, nous devions compter environ huit mois pour un aller simple.

C’était plus rapide que ce que j’avais estimé. Je sentais qu’il y avait peut-être moyen de réduire encore le temps en utilisant ma magie de manière créative, mais je ne voulais pas risquer de nous ralentir avec des expériences d’amateur. Le plus important était d’y arriver en un seul morceau.

Nous avions passé un peu plus de temps à discuter d’autres détails dont nous devions être conscients pendant notre voyage. Elinalise avait éclairci quelques points que je n’avais pas compris avec une précision remarquable et nous avait fait prendre plusieurs décisions à l’avance pour éviter tout désaccord sur la route. C’était agréable de savoir que nous n’allions pas perdre de temps à nous disputer sur ce qu’il fallait faire une fois en route.

***

Partie 2

« Le plus gros problème… »

Après un moment, cependant, elle avait mis une main sur son menton et avait grimacé. J’avais l’impression d’avoir abordé la plupart des sujets importants, mais manifestement, j’avais oublié quelque chose.

« … va être ma malédiction. »

« Oh. C’est vrai. »

Si elle ne couchait pas régulièrement avec des hommes, Elinalise allait littéralement mourrir. Pour un voyage occasionnel, cela ne posait pas de problème : elle pouvait satisfaire ses besoins dans n’importe quelle ville où elle se trouvait. Lors de voyages plus longs, elle rejoignait souvent un groupe et trouvait un partenaire consentant. Mais dans une expédition rapide comme celle-ci, il y aura des moments où aucune de ces méthodes ne fonctionnerait.

Nous nous étions tus tous les deux pendant un moment.

Bien entendu, il y avait une réponse évidente. Je pouvais coucher avec elle quand c’était nécessaire. Mes problèmes de performance appartenaient au passé. Si une femme au hasard s’approchait de moi et me demandait de coucher avec elle, je pourrais probablement m’en sortir sans problème.

Mais je ne voulais pas trahir Sylphie.

« Je ne vais pas coucher avec toi pendant ce voyage », avais-je dit.

« Oui, ce ne serait pas une bonne idée. »

« Je suppose qu’on devra s’arrêter dans des sortes de bordels sur notre chemin. »

Nous deux, nous allions rester dans une relation strictement platonique. Je voulais que ce soit clair dès le départ. Sinon, on finirait probablement par le faire sur la route par pure commodité.

« Et cet outil magique, alors ? Il affaiblit la puissance de la malédiction, non ? », avais-je demandé.

« Eh bien, si j’essayais de le prendre, Cliff demanderait pourquoi… »

« Tu ne vas vraiment pas lui en parler ? »

Pour une raison quelconque, Elinalise semblait déterminée à disparaître sans un mot pour Cliff. Ça me semblait inutilement cruel.

« Écoute, je pense vraiment que tu dois d’abord lui parler », avais-je dit.

« Mais je… »

« Laisse-moi t’aider, d’accord ? Tout va bien se passer. »

Nous avions fini par aller voir Cliff tous les deux le soir même.

Lorsque nous étions arrivés à son laboratoire, Cliff était venu en trottant pour nous montrer la culotte magique en question avec un grand sourire.

« Regardez ça, vous deux ! Je l’ai déjà rendue plus petite ! Elle n’est pas non plus aussi lourde que l’ancienne. Tu devrais pouvoir la porter pendant un certain temps sans… »

« Cliff. Est-ce que tu aimes Elinalise ? »

Je lui avais coupé la parole au milieu d’une phrase. J’avais posé la question le plus crûment possible. Cliff m’avait regardé avec un air de confusion sur le visage.

« Quoi ? Bien sûr que oui. »

Son ton suggérait que je lui avais posé la question la plus évidente du monde. Jusque-là, tout allait bien.

« Tu continueras à l’aimer, quoi qu’il arrive ? »

« Naturellement. J’aime Lise du plus profond de mon cœur. Tu en es conscient, j’en suis sûr. »

« Eh bien, tant mieux. C’est ce que je voulais entendre. »

J’avais expliqué la situation à Cliff.

J’avais expliqué que ma famille était en grand danger. J’avais expliqué qu’Elinalise était une vieille camarade de mon père et qu’elle se sentait obligée de l’aider. Et j’avais expliqué que ce serait un long voyage, au cours duquel elle aurait probablement besoin de coucher avec d’autres hommes. J’avais été très long, couvrant tous les détails pertinents.

Cliff écouta en silence et ne m’avait pas interrompu une seule fois. Quand ce fut terminé, il s’arrêta un moment, puis murmura : « Je suppose que je serais un fardeau si je venais avec vous. »

Franchement, c’était vrai. Mais c’était difficile pour moi de le dire.

Comme j’hésitais, Elinalise était intervenue pour répondre.

« Oui, j’en ai bien peur. Tu ne serais pas capable d’endurer un tel voyage, Cliff. »

Elle l’aurait peut-être dit plus gentiment dans d’autres circonstances. Mais cette fois, elle avait été franche.

« Je vois… »

Fronçant les sourcils tristement, Cliff regarda le sol. J’avais ressenti un petit coup de poignard douloureux de sympathie dans ma poitrine.

Que devait-il ressentir en ce moment ? Elinalise n’aurait pas d’autre choix que de coucher avec d’autres hommes pendant ce voyage. Il comprenait parfaitement la situation, et il savait qu’elle l’aimait… mais cette pensée devait être douloureuse.

« Tu sais, Elinalise, on pourrait peut-être le faire venir ? Il peut utiliser la magie de barrière et les sorts divins de niveau avancé. Même s’il n’a pas beaucoup d’endurance, il pourrait nous être utile parfois… », avais-je dit.

« C’est bon, Rudeus. Je n’ai pas été utile la dernière fois que j’ai suivi un groupe d’aventuriers. Ce ne sera pas différent. »

En disant ces mots, Cliff s’était avancé et m’avait tendu la culotte magique.

« Rudeus… »

« Oui ? »

« Prends soin de Lise pour moi. »

Pour être honnête, je m’attendais à plus de gémissements et de grincements de dents. Mais il semblerait que Cliff comprenait très bien ses propres forces et faiblesses.

« Lise… »

Cette fois, il s’était tourné vers Elinalise. Se tenant sur la pointe des pieds, il l’entoura de ses bras.

« Cliff… »

Elle l’embrassa à son tour.

« Quand tu rentreras à la maison, marions-nous. Je sais que je n’ai pas encore guéri ta malédiction, mais je veux acheter une maison et y vivre avec toi. Je t’ai rendue anxieuse en attendant si longtemps pour te dire ça, non ? Tu avais peut-être peur que ce ne soit que des paroles en l’air ? », dit Cliff.

« Oh, Cliff… mais je suis une terrible personne. J’avais l’intention de partir sans même te dire un mot… »

« J’aimerais que la cérémonie se déroule dans le style Millis, si cela ne te dérange pas. Je sais que tu n’es pas un membre de l’église, mais… »

Cliff ignorait-il délibérément ce qu’elle venait de dire ? C’était peut-être mieux ainsi. Elinalise avait l’air ravie.

« Cliff, mon chéri ! Je t’aime tellement ! Plus que quiconque au monde ! »

Et après cela, elle le poussa sur le sol. Quand je vis la chemise de Cliff voler, je m’étais rapidement retourné et j’avais rapidement quitté la pièce. Il semblerait qu’ils avaient besoin d’un peu d’intimité en ce moment.

Je n’étais pas attiré par la façon dont elle avait promis de se marier après « un dernier travail », mais peut-être que j’étais juste trop familier avec les clichés de films.

J’avais passé le reste de la journée à informer toutes les personnes que je connaissais de la situation.

J’allais partir pendant près d’un an et demi au minimum. S’il y avait de vrais problèmes à Rapan, ça pourrait durer même plus de deux ans. Cela allait être une absence de très longue durée. J’avais au moins besoin de faire mes adieux.

Ma première destination était le bureau du vice-principal. C’était probablement mieux de s’occuper des formalités le plus tôt possible. J’avais trouvé Jenius derrière son bureau, comme toujours, face à une importante pile de papier.

« Bonjour, Vice Principal Jenius. »

« Ah, si ce n’est pas M. Greyrat. Très heureux de vous voir. J’ai entendu dire que vous avez aidé Mlle Sevenstar à réaliser une expérience plutôt ambitieuse ? »

« Oui, c’est vrai. Mais seulement parce que Zanoba et Cliff nous ont aidés. »

« Ah, je vois. »

Je n’avais aucune idée de la façon dont la nouvelle de l’expérience d’invocation s’était répandue. Peut-être que Jenius était mieux informé que je ne le pensais.

« En tout cas, que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? », avait-il demandé.

« Eh bien, je dois prendre un congé d’environ deux ans. Je voulais m’occuper de la paperasse tout de suite. », avais-je dit.

« Deux ans ? C’est une sacrée période. »

« Oui. Je crains d’avoir à m’occuper d’une situation assez complexe. »

« Vraiment ? Hmm. »

Il n’y avait aucune raison que je ne puisse pas expliquer les détails, mais Jenius n’avait rien demandé.

« Très bien. Je vais mettre votre inscription en attente pour le moment. Une fois que vous serez de retour parmi nous, venez me voir. »

« Une interruption de deux ans ne va pas me poser de problèmes ? »

« Nous ne l’autoriserions pas pour un étudiant ordinaire, mais les étudiants spéciaux comme vous ont droit à un peu plus de flexibilité dans ce domaine. »

Une chance que je sois l’un de ces étudiants spéciaux alors.

« Merci beaucoup. »

« Ce n’est pas grave. Le système des étudiants spéciaux est après tout conçu pour être aussi accommodant que possible. »

« Dans ce cas, pourriez-vous aussi mettre en attente l’inscription d’Elinalise Dragonroad… pour me rendre service ? Elle n’est pas une étudiante spéciale, mais elle va m’accompagner en tant que garde du corps. »

« Ah, je vois. Très bien, je vais trouver une solution. »

Eh bien, c’était facile. C’est bien d’avoir un ami dans la bureaucratie.

En remerciant Jenius une fois de plus, j’avais quitté le bâtiment de la faculté.

Quelques minutes plus tard, j’apercevais Linia et Pursena dehors. Elles me firent signe de l’autre côté de la cour et s’étaient approchées en trottinant. J’en avais profité pour leur expliquer la situation à elles aussi.

« Sans blague ? On va s’ennuyer sans toi, patron. »

« On aura notre diplôme quand tu reviendras, alors je crois que c’est un au revoir. »

Je n’y avais pas pensé jusqu’à présent, mais c’était vrai. C’était des étudiantes de sixième année. Dans deux ans, elles seraient probablement de retour dans la Grande Forêt.

J’étais un peu triste à l’idée de ne pas pouvoir les voir partir.

« Je suppose que tu as raison. C’est dommage… »

Maintenant que j’y pense, l’Homme-Dieu m’avait encouragé à « commencer une relation » avec l’une de ces deux-là. Si j’avais choisi de rester ici jusqu’à ce que la saison des amours commence dans deux mois, les choses auraient pu prendre cette direction.

« Quoi de neuf, patron ? Est-ce que j’ai quelque chose sur mon visage ? »

Linia était une fille attirante. Ces oreilles de chat frétillantes, cette queue qui se balançait et ces cuisses saines étaient ses traits les plus distinctifs, mais elle avait aussi de gros seins. Elle avait quoi, un bonnet E ? Toutes les filles hommes-bêtes étaient bien pourvues, donc c’était probablement la moyenne. Cette attitude arrogante la rendrait probablement amusante au lit aussi.

« Sniff sniff… whoa ! Veux-tu faire un tour avec nous avant de partir, patron ? »

Pursena avait aussi son charme. Ses oreilles de chien souples et son corps voluptueux étaient ses atouts les plus remarquables. Pour je ne sais quelle raison, les hommes bêtes de type chien semblaient avoir des seins particulièrement gros, elle devait être un bonnet G. J’avais tripoté ces choses quelques fois, donc je savais à quel point ils étaient doux. À quel point serait-ce bon d’y enfouir son visage ? Hmm…

« Euh, désolé. Quelqu’un m’a récemment conseillé de vous draguer une fois la saison des amours arrivée. Je me souvenais juste de ce qu’il avait dit. », avais-je dit.

« Whoa, sérieusement ? Je ne savais même pas que tu étais intéressé ! »

« Tu n’as jamais vraiment flirté en retour, alors nous avons pensé que nous n’étions pas ton type. »

Les deux filles avaient l’air surprises, mais aussi plus qu’amusées.

Bien sûr, coucher avec elles aurait signifié tromper ma femme. Mais d’après ce que l’Homme-Dieu avait dit, on dirait que Sylphie ne m’aurait pas viré de la maison pour ça. Est-ce qu’elle me pardonnerait vraiment de l’avoir trompé alors qu’elle était enceinte ? Peut-être qu’il y aurait une vilaine dispute avant que les choses ne se calment ? Difficile à dire. Dans tous les cas, c’était censé mener à un « plus grand bonheur » à la fin.

***

Partie 3

J’aimais ma femme, mais j’étais aussi un homme. L’idée d’un harem avait un certain attrait. Je m’étais surpris à imaginer un ménage à quatre avec Linia, Pursena et Sylphie. Dans une autre réalité, cela aurait-il pu être mon avenir ?

… Non, probablement pas. Ça n’avait jamais été une possibilité réelle.

« Linia, Pursena… »

« Oui ? »

« Quoi de neuf, patron ? »

Linia et Pursena m’avaient regardé nerveusement. Je crois que j’avais parlé sur un ton un peu sévère.

« Restons amis », avais-je dit.

Les deux femmes s’étaient instantanément détendues et avaient haussé les épaules.

« Si tu insistes. Un type comme toi a besoin de quelques amis. », dit Linia en me donnant un coup de coude sur le côté.

« Va pour les amis. Tâche de garder le contact. », dit Pursena en me donnant un coup de coude de l’autre côté.

On avait fini par se serrer la main avant de se séparer, ce qui était probablement une première pour nous. Certaines personnes aiment dire qu’il est impossible pour les hommes et les femmes d’être vraiment amis, mais ce n’était pas vrai. Vous pouviez être ami avec quelqu’un qui vous attirait, il suffisait de fixer les bonnes limites.

« Retrouvons-nous un jour, d’accord ? Même si c’est dans dix ou vingt ans. », avais-je dit.

« Ça me paraît bien, patron. On sera tous les deux des gros bonnets dans dix ans, alors tu pourras te prosterner devant nous et embrasser nos chaussures ! »

« On va conquérir la Grande Forêt, mec. »

Je devais sourire. C’était bien de savoir qu’elles avaient au moins des ambitions.

« J’espère que vous ne vous vengerez pas sur moi. »

Et ce fut ainsi que nos chemins s’étaient séparés. Avec un peu de chance, on se reverrait peut-être un jour ou l’autre.

Un peu plus tard, je m’étais retrouvé devant le laboratoire de Nanahoshi.

Je ne savais pas comment lui annoncer la nouvelle. Nanahoshi était tout de même une fille solitaire. Mais malgré son hostilité extérieure, j’avais eu le sentiment qu’elle recherchait désespérément de la compagnie. Et plus important encore, mon absence allait perturber ses recherches. Son projet de retour à la maison serait considérablement retardé.

Je m’étais imaginé qu’elle allait essayer de me convaincre de ne pas y aller. Elle pourrait même me faire chanter d’une manière ou d’une autre. Qu’étais-je censé faire si elle menaçait de tuer Sylphie si je partais ? Non pas que je m’attende à ce qu’elle devienne aussi folle…

Laissant échapper un petit soupir, j’avais frappé à la porte d’entrée et j’avais attendu. Le « entrez » était arrivé un moment plus tard.

Nanahoshi leva les yeux de son bureau lorsque j’étais entré dans la pièce.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas ton heure habituelle… »

« J’ai bien peur d’avoir de mauvaises nouvelles. »

« De mauvaises nouvelles ? »

L’expression de Nanahoshi était devenue suspecte. J’avais passé quelques secondes à me demander comment commencer, avant de décider que cela n’avait pas vraiment d’importance. Le mieux était d’aller droit au but.

« Je pars pour un long voyage. Mes parents sont en danger, et je dois les aider. Ils sont dans la cité-labyrinthe de Rapan, sur le Continent Begaritt. Il faudra environ deux ans avant que je ne revienne. »

« … Quoi ? »

Après un moment de silence, Nanahoshi s’était levée d’un bond, renversant sa chaise avec fracas. Elle appuya ses mains sur son bureau et me fixa, l’air plus abasourdi qu’autre chose.

« Rapan ? Begaritt ? Tu as dit… deux ans ? »

Elle répéta les mots lentement, comme si elle essayait de leur donner un sens.

« Je sais que j’ai dit que je t’aiderais dans tes expériences, et je me sens vraiment mal de partir maintenant. Mais je dois vraiment y aller. »

Les yeux de Nanahoshi s’ouvrirent en grand, et elle prit une grande inspiration… mais au lieu de crier, elle se laissa retomber sur sa chaise et regarda le plafond.

« Deux ans… », répéta-t-elle.

« Une fois que je serai de retour, je promets de t’aider à nouveau autant que je le pourrai. »

« … Deux ans… »

Nanahoshi croisa les bras et marmonna les mots pour elle-même quelques fois de plus.

Elle n’avait pas essayé de m’arrêter ou de crier de désespoir. Elle avait juste regardé le plafond, apparemment profondément dans ses pensées. Nous avions passé cinq minutes extrêmement gênantes comme ça.

« Eh bien… je crois que je vais y aller », avais-je dit.

Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire ici. Nanahoshi savait que je l’avais aidée par pure bonté d’âme. Elle voulait probablement me faire changer d’avis sur mon départ, mais avait choisi de se mordre la langue.

Je m’étais retourné pour partir…

« Attends juste une minute », avait-elle dit.

Et ainsi, je m’étais arrêté dans mon élan.

Pour être honnête, je ne voulais pas continuer cette conversation. Je savais qu’elle allait juste essayer de m’arrêter. Mais j’avais l’impression que je lui devais une explication complète, alors je m’étais retourné.

Pour je ne sais quelle raison, Nanahoshi fouillait dans le tiroir du bas de son bureau. Après un moment, elle avait sorti une sorte de livre ou de journal. Elle l’avait feuilleté jusqu’à une page spécifique, puis elle l’avait retourné pour me le montrer.

« Jette un coup d’œil à ça. »

Je m’étais penché en avant avec curiosité. Quelqu’un avait collé une section d’une carte sur la page. La carte m’était familière, elle représentait les environs de la ville, même si l’échelle était un peu plus grande.

Près du sommet de la carte, quelqu’un avait griffonné les caractères N1. Au sud-ouest de la forêt se trouvait un X rouge avec les caractères B3 au-dessus.

« Qu’est-ce que c’est, Nanahoshi ? »

« … »

Nanahoshi était visiblement hésitante à expliquer. Mais après quelques instants, elle prit la parole.

« C’est une carte des anciennes ruines qui contiennent des cercles de téléportation. On peut les trouver partout dans le monde. »

Des cercles de téléportation ?

« Hein ? »

Une fois de plus, j’avais regardé la carte. Sur les caractères B3 en particulier. Cela pourrait-il signifier…

« Juste là, il y a un téléporteur qui t’emmènera sur le Continent Begaritt. »

« Qu… »

Maintenant que j’y pense… Nanahoshi avait mentionné quelque chose comme ça une fois, quand elle me racontait ses voyages avec Orsted. Quelque chose sur la façon dont il utilisait les cercles de téléportation pour faire le tour du monde…

« Mais tu avais dit… que tu ne te souvenais pas où ils étaient ! »

Je me souvenais clairement de cette partie. Elle m’avait dit qu’elle n’avait aucune idée d’où les trouver.

« Orsted m’a fait jurer de garder le secret. C’est après tout de la magie interdite. J’ai accepté assez facilement, puisque je me suis dite que je ne serais de toute façon pas capable de m’en souvenir. »

Cependant, au bout d’un moment, elle avait commencé à prendre des notes sur l’emplacement des téléporteurs, au cas où elle aurait à les utiliser. Puis elle avait commencé à acheter des cartes en cachette ou à dessiner ses propres cartes. Parfois, elle demandait nonchalamment à Orsted où ils se trouvaient ou notait les noms des villes voisines… et, au lieu d’essayer de le mémoriser, elle se mit à écrire tout cela.

Stupéfait, j’avais feuilleté le journal.

C’était un dossier brut et incomplet. Parfois, elle ne pouvait pas se procurer de carte, ou ils n’avaient même pas visité une ville, elle avait donc écrit des notes comme « Montagnes à gauche. Environ trois jours de voyage vers l’est pour atteindre la rivière, puis deux de plus pour les atteindre. »

La partie lettre de ses notes indiquait le continent, et le nombre semblait correspondre à l’ordre dans lequel elles avaient été consultées. N était la région nord du Continent Central. S était la région sud, et W l’ouest. DE était le Continent Démon. M était le Continent Millis. Ils n’avaient apparemment pas visité le Continent Divin… mais il y avait quelques B pour Begaritt.

Quand elle ne savait même pas sur quel continent ils se trouvaient, elle utilisait des lettres comme X ou Y à la place. Il était évident qu’elle avait mis beaucoup de réflexion dans cette chose.

« J’ai entendu parler de cet endroit appelé Rapan que tu as mentionné. Je me souviens aussi de l’endroit où il se trouve. Il y a un endroit appelé Bazaar près de ce téléporteur, et Rapan est à environ un mois de voyage au nord de là. J’en suis sûre. », avait-elle dit.

« Est-ce si prêt que ça ? »

J’étais retourné à la page que Nanahoshi m’avait montrée en premier. Elle couvrait la zone allant de la ville de Sharia à la forêt du sud-ouest. L’échelle était un peu floue, mais cela ressemblait à un voyage d’une dizaine de jours. Peut-être même moins. Et le cercle de téléportation ici nous amènerait au point marqué B3.

J’étais retourné à la page correspondante. Depuis le téléporteur B3, il semblerait y avoir environ une semaine de voyage jusqu’à la ville la plus proche. Donc si Rapan était seulement à un mois de là…

Nous devrions mettre 47 jours, et un voyage aller-retour prendra 94 jours. Nous pouvions faire l’aller-retour en seulement trois mois. Même si on prenait un mois pour sauver Zenith, on serait de retour en quatre mois.

Je pourrais rentrer à temps. Je pourrais être là pour la naissance de mon enfant.

Je manquerais toujours la saison des amours, mais ça n’avait pas d’importance.

« Es-tu sûre de toi ? Orsted ne t’a pas dit de garder le secret ? », avais-je demandé.

« Je ne nierai pas que je suis un peu en conflit, mais je te dois beaucoup après la dernière fois. Mais ne partage pas cette information avec qui que ce soit, d’accord ? La magie de téléportation est un art interdit. Si le bruit court, les ruines seront détruites par les gouvernements locaux. »

Et cela rendrait la vie moins commode pour Orsted. Il se mettrait probablement en colère contre nous deux. Rien que de penser à ce type, je tremblais un peu. J’allais me taire, ça, c’était sûr.

« Merci, Nanahoshi. Tu as été d’une grande aide. »

« Je veux juste que tu reviennes ici aussi vite que possible, c’est tout », avait-elle dit avec un grognement dédaigneux. Cette fille était vraiment une pure tsundere.

Refermant soigneusement le journal, j’avais baissé la tête vers elle en signe de gratitude, puis j’avais fait demi-tour pour partir.

« Oh, j’ai failli oublier. Sur la première page, j’ai dessiné les signes qu’ils ont utilisés pour marquer ces ruines et j’ai décrit comment dissiper la magie de dissimulation qui les protège. Assure-toi de lire ça attentivement. », avait-elle dit.

« Entendu. Je t’en dois une, Nanahoshi ! »

« Non, tu ne me dois rien. Je ne fais que rembourser mes dettes. »

Souriant malgré moi devant son air renfrogné, j’avais laissé le laboratoire derrière moi.

***

Partie 4

J’étais immédiatement retourné voir Elinalise.

Nous pouvions donc faire ce voyage beaucoup plus rapidement que prévu. C’était une nouvelle fantastique. Elle en serait bien sûr ravie. Mais nous devions aussi modifier complètement nos plans. Le voyage ne devait plus durer qu’un mois et demi. Nous pourrions même être en mesure d’amener Cliff avec nous pour cela !

En me frappant les joues pour m’empêcher de sourire comme un idiot, j’avais ouvert la porte du laboratoire de Cliff… et j’avais été accueilli par quelque chose qui ressemblait à une peinture Renaissance de Vénus.

« Je suis désolé, Rudeus ! Je ne peux finalement pas y aller ! »

Elinalise se prélassait, vêtue seulement d’une couverture. Et elle avait apparemment perdu tout son sang-froid.

Ses membres fins et élégants et sa poitrine drapée avec goût avaient certes un certain charme classique, mais je n’avais aucune envie de l’exposer dans un musée. Je n’avais jamais été un grand amateur d’art. Il m’était néanmoins venu à l’esprit qu’elle ferait une figurine plutôt sexy.

Cliff était assis, affalé dans un coin de la pièce, ressemblant un peu à une momie égyptienne. Il avait un grand sourire sur le visage, mais il était visiblement dans les vapes. En fait, il ressemblait plus à un chef-d’œuvre qu’à son petit ami. Quel titre donnerais-tu à une statue comme celle-ci ? La mort bienheureuse ?

« Je ne peux pas supporter d’être séparée de Cliff pendant deux ans ! Je sais que c’est horrible de ma part, mais je ne le ferai pas ! », glapit Elinalise.

Hmm. Bon. On dit que les femmes sont davantage guidées par leurs émotions, non ?

« Je veux dire, si tu y vas, alors il n’y a pas besoin que je t’accompagne aussi. Ton père et moi ne sommes même pas en bons termes. Il ne voudrait probablement pas voir mon visage ! Ne devrais-je plutôt pas rester pour protéger ma petite-fille enceinte ? », bredouilla-t-elle.

« … »

Il était difficile de se rappeler que c’était la même femme qui m’avait sévèrement dit que je devais attendre ici pendant qu’elle s’occupait de tout. J’avais fait de mon mieux pour ne pas la juger trop sévèrement. Elle revenait à la réalité après un séjour au paradis, c’est tout.

« Bon, d’accord, Elinalise. Le truc, c’est que je viens de trouver un moyen de faire l’aller-retour en seulement trois mois, mais… »

« Hein ?! »

Elinalise s’était figée un instant, me fixant d’un air incrédule.

« De quoi parles-tu, Rudeus ? »

J’avais vérifié que Cliff dormait toujours, puis je m’étais penché pour chuchoter à l’oreille d’Elinalise.

« Donc en fait, Nanahoshi — »

« Ah ! Non, pas mes oreilles ! Elles sont sensibles… »

« Peux-tu vraiment faire attention, s’il te plaît ? »

« Je plaisantais, mon cher. »

J’avais montré le journal à Elinalise et lui avais donné une explication rapide, en insistant sur le fait que Nanahoshi nous avait fait jurer de garder le secret. Elle l’avait feuilleté plusieurs fois, sans pouvoir cacher son étonnement.

« Est-ce qu’on peut vraiment y arriver aussi vite… ? »

« C’est vrai. Si on fait comme ça, je pourrais même revenir à temps pour voir naître mon enfant. »

« … Cela pourrait marcher. »

Un voyage de six semaines était loin d’être aussi long. Elinalise semblait s’être remise en mode planification, à en juger par le sérieux avec lequel elle scrutait le journal.

« Oh, très bien. Dans ce cas, je vais quand même venir. », dit-elle après un moment.

Encore un changement d’avis soudain, hein ?

J’avais cependant bien compris où elle voulait en venir. Deux ans, c’était vraiment long.

« Vu que cette route est plus rapide, nous pourrions emmener Cliff », avais-je dit.

« … Non, on le laisse derrière nous. »

« Es-tu sûre ? »

« Je doute qu’il puisse garder ça pour lui s’il apprend l’existence de ces cercles de téléportation. »

Vraiment ? Cliff n’était-il pas un gars raisonnablement digne de confiance ? Mais bon… il était probablement du genre à laisser échapper des secrets sans même le vouloir. Ouais, c’était probablement mieux de garder le moins de personnes possible au courant. Plus il y avait de gens dans le coup, plus il y avait de chances que le mot se répande.

De plus, des problèmes nous attendaient à Rapan. Nous voulions nous présenter avec un petit groupe d’élite de personnes expérimentées.

Si j’avais dû emmener quelqu’un d’autre, j’aurais préféré quelqu’un comme Ruijerd. C’était à la fois un combattant puissant et un homme très discret. Badigadi m’avait aussi traversé l’esprit. Il était vivant depuis des milliers d’années, il était donc très possible qu’il connaisse déjà les cercles de téléportation. Et comme il semblait bien connaître Orsted, il serait facile de lui expliquer la situation.

Malheureusement, je n’avais vu aucun de ces deux-là depuis un certain temps. Personne d’autre ne m’était venu à l’esprit comme candidat probable. Zanoba était peut-être fort dans une bagarre, mais il n’était pas un voyageur expérimenté.

… En y réfléchissant, si nous avions des problèmes là-bas, nous pourrions toujours revenir et obtenir plus d’aide. Il valait donc mieux jouer la sécurité pour le moment, puisque nous ne connaissions pas notre itinéraire. Mais une fois que nous aurions fait le voyage, il ne serait pas si difficile de revenir et d’aller chercher quelques alliés supplémentaires. Nous devrions leur parler des téléporteurs, mais c’était mieux que de ne pas atteindre notre objectif.

Le voyage n’était évidemment pas court. Mais même si nous devions attendre trois mois les renforts, c’était au moins une option viable.

« Très bien. On partira donc juste tous les deux. »

« D’accord. Finissons-en avec ça et rentrons chez nous aussi vite que possible. »

Au moins, Elinalise semblait être de nouveau à bord. Pour l’instant.

Finalement, j’étais rentré à la maison pour l’annoncer à Sylphie.

Après l’avoir réunie avec Aisha et Norn dans le salon, je lui avais tout de suite annoncé la nouvelle.

« Je pense que je vais quand même aller aider mes parents. »

Sylphie émit un petit son de surprise, et une expression anxieuse traversa son visage. Je l’avais apparemment prise au dépourvu.

Mais au bout d’un moment, elle secoua la tête comme pour la clarifier, puis hocha sérieusement la tête.

« OK, je comprends. Je vais m’occuper des choses ici. »

« Je suis désolé de disparaître comme ça si soudainement, même si j’ai promis de ne pas le faire », avais-je dit.

« Tu ne romps pas ta promesse, Rudy. Ce n’est pas soudain, et tu ne disparais pas. »

Sylphie m’avait souri, mais cela semblait forcé. Peu importe ce qu’elle disait, il était évident qu’elle avait du mal à accepter la situation. Ça me faisait mal au cœur rien que de la regarder.

« Uhm, combien de temps penses-tu être parti ? Environ deux ans, non ? »

« Non. Nanahoshi m’a montré un moyen d’y aller en utilisant un cercle de téléportation. Je pense que je devrais être de retour avant l’arrivée du bébé. »

J’avais déjà pris la décision de lui parler de la téléportation. Si je ne pouvais pas faire confiance à Sylphie pour garder un secret, je ne pouvais faire confiance à personne.

« Hein ? ! Tu vas te téléporter là-bas ? Est-ce sans danger ? »

Elle était visiblement effrayée. L’anxiété était visible sur son visage une fois de plus.

Il était somme toute logique qu’elle soit inquiète. Nous avions tous deux beaucoup perdu à cause de l’incident de déplacement.

« Je ne peux pas encore en être sûr. Mais Nanahoshi semble avoir utilisé ces cercles personnellement dans le passé, donc je pense que tout ira bien. », dis-je.

« O-ok… »

Sylphie semblait toujours inquiète. Je l’avais donc attirée contre moi et j’avais murmuré la suite à son oreille.

« Ne t’inquiète pas. Je reviendrai, quoi qu’il arrive. »

« Bien sûr. »

« Désolé pour tout ça. »

« C’est bon… »

En tournant la tête, j’avais parlé à l’une de mes sœurs, qui se tenait à proximité.

« Aisha. »

« Euh, oui… ? »

Son expression était encore plus incertaine que celle de Sylphie en ce moment.

« Puis-je te confier les choses ici ? »

« Je… pense que oui. Maman m’a appris à m’occuper des femmes enceintes. »

« Si ça devient trop pour toi, demande de l’aide à tous ceux que tu peux. Ne sois pas timide, et n’essaie pas de tout faire par toi-même. Tu es une enfant talentueuse, mais tu es encore inexpérimentée. Tourne-toi vers les adultes quand tu as besoin de conseils. »

« D’accord. »

Aisha hocha la tête sérieusement. C’est vrai que je me sentais un peu nerveux à ce sujet, mais tout se passerait probablement bien. Il n’y avait pas de solution parfaite ici.

« Norn. »

« Oui, Rudeus ? »

« Si Sylphie et Aisha sont débordées, essaie de les aider, s’il te plaît. Peut-être, simplement leur parler quand elles se sentent stressées. Tu sais à quel point c’est dur de faire face à ce genre de choses tout seul, hein ? »

« Bien sûr ! »

« Et essaie de suivre tes études pendant que je ne suis pas là. »

« Je ferai de mon mieux ! »

Norn semblait très déterminée à jouer son rôle correctement. Espérons qu’elle n’aura pas à se battre avec Aisha.

Eh bien, alors. Qu’est-ce que ça laisse ? Y a-t-il autre chose que je dois leur dire ?

« … Oh, c’est vrai. Peut-être que nous devrions décider d’un nom pour l’enfant avant que je ne parte. »

J’avais prévu de rentrer à temps, mais on ne savait jamais ce qui peut arriver. Ça ne pouvait pas faire de mal de régler ça à l’avance.

Quel genre de nom serait le mieux ? Les gens ont tendance à aimer les noms « cool » ici, donc… hmm. Si c’était une fille, peut-être Ciel ou Sion… Si c’était un garçon, peut-être Nero ou Wallachia…

Nan, ce n’était pas un jeu vidéo.

On s’appelait Rudeus et Sylphie, donc on pouvait combiner des parties de nos noms. Peut-être quelque chose comme Sirius si c’était un garçon, ou Lucie pour une fille. Mais ça faisait un peu cliché… Je devrais peut-être demander conseil à Paul.

Après avoir réfléchi à tout cela pendant quelques secondes, j’avais finalement remarqué que tout le monde me regardait avec des expressions étranges sur le visage.

« R-Rudy… tu veux donner un nom au bébé ? »

« Pourquoi dis-tu une chose pareille ? »

« Rudeus… »

Elles semblaient sincèrement choquées. Aisha avait même des larmes qui montaient aux yeux. L’idée était-elle si étrange ? Je ne me souvenais d’aucune règle interdisant de nommer les enfants avant leur naissance.

« Si tu nommes un enfant avant de partir en voyage, tu ne reviendras jamais à la maison… »

Sylphie avait l’air plus anxieuse que jamais. Apparemment, j’avais trébuché sur un « drapeau de la mort » propre à ce monde. Un de ceux dont je n’avais aucun souvenir.

Non, attends. Je m’en souvenais maintenant. C’était à propos de ce truc de l’histoire de Perugius ?

Un des compagnons de Perugius était un mage de feu de niveau empereur nommé Feroze Star, connu sous le nom de « l’homme chanceux ». Feroze décida de donner un nom à son fils à naître avant de partir au front, au cas où il ne reviendrait pas sain et sauf, et choisit de donner son propre nom au garçon. Dans la bataille qui suivit, Feroze fut vaincu par le Roi-Démon Ryner Kaizel, et il mourut en pensant à l’enfant qu’il ne rencontrerait jamais. Son fils, héritant de l’héritage de son célèbre père, devint à son tour un magnifique magicien.

C’était du moins ce qu’on racontait. J’avais aussi entendu une version où le gamin s’avérait être un bon à rien. Quoi qu’il en soit, l’histoire était si connue que tout le monde pensait désormais que donner un nom à un enfant à naître avant de partir en voyage entraînerait un terrible désastre. Ce n’était pas comme si cette décision avait réellement causé la mort de Feroze, bien sûr, mais les gens pouvaient être superstitieux sur ces choses.

« Euh, ok, alors. Tu penses qu’on devrait attendre que je revienne ? »

« Je-je ne sais pas… Peut-être… »

« Mais je veux avoir en quelque sorte mon mot à dire, tu sais ? Et il y a toujours le pire des scénarios… »

« Ne parle même pas de ça, Rudy. »

« C’est vrai. Désolé. »

On parlait quand même de mon premier enfant. Ça ne semblait pas encore tout à fait réel, mais je voulais au moins participer au choix du prénom.

« Ahem. »

Aisha s’était éclairci la gorge de manière significative. Elle était clairement venue avec une sorte de proposition.

« Que dis-tu de ça, cher frère ? Si l’enfant naît avant ton retour, nous l’appellerons temporairement Rudeus Junior. Une fois que tu seras rentré, tu choisiras un nom plus approprié. On peut faire de Rudeus son deuxième prénom, comme le célèbre Dieu du Nord Kalman. »

Rudeus Junior, hein ? Eh bien, il n’était pas trop inhabituel de donner à un enfant le nom de ses parents dans ce monde. Et si on choisissait Lucie, ça donnerait quelque chose comme Lucie Rudeus Greyrat…

Ça ne me paraissait pas si mal. Il était vrai que c’était un peu gênant, car j’associais toujours ce genre de noms aux aristocrates fortunés, mais cela semblait plus courant ici.

Hm ? Eh, Attendez une seconde.

Et si c’était une fille, et que je ne revenais jamais ? Elle serait coincée avec Rudeus Junior pour toujours ? Et si on se moquait d’elle ? Si elle devenait un petit monstre furieux qui devait battre tout le monde pour défendre son nom stupide ?!

J’avais essayé de me convaincre que c’était peu probable. Le monde n’avait pas besoin d’un autre « chien fou ».

… Eh bien, peu importe. C’était une raison de plus pour rentrer à la maison sain et sauf.

« Je suppose que c’est bon. Sylphie… ? »

« Oui ? »

« Uhm… »

J’avais l’impression d’avoir plus à lui dire, mais je n’arrivais pas à trouver les bons mots. J’avais l’impression que tout ce que je pourrais dire aurait l’air étrangement sinistre.

« Viens ici. »

Au lieu de ça, je m’étais approché d’elle et j’avais mis mes mains sur ses épaules.

« Huh ? Ah… »

Après un moment de confusion, celle-ci ferma les yeux, leva son menton et croisa ses mains devant sa poitrine. En fait, elle tremblait un peu. Ce n’était pas exactement une première pour nous, mais je n’étais pas sûr que nous l’ayons déjà fait de manière aussi cérémonieuse.

J’avais jeté un coup d’œil à mes sœurs. Aisha se penchait en avant avec impatience. Norn avait couvert son visage avec ses mains, mais regardait quand même entre ses doigts.

Je leur avais adressé un rapide clin d’œil. Norn avait instantanément fermé ses mains sur ses yeux, mais Aisha m’avait répondu par un clin d’œil heureux. Quelle petite coquine. Voulait-elle vraiment voir une scène de baiser à tout prix ?

Eh bien, ça ne pouvait pas faire de mal de lui faire plaisir juste pour cette fois. C’était une occasion spéciale.

J’avais embrassé Sylphie profondément tout en écoutant ma petite sœur couiner doucement de plaisir.

***

Chapitre 9 : Direction Begaritt

Partie 1

Elianise et moi avions révisé nos plans de voyage à la hâte.

Tout d’abord, nous achèterions un cheval et le chevaucherions ensemble jusqu’à la forêt où le téléporteur était caché. Nous nous téléporterions ensuite sur le continent de Begaritt.

Si la mémoire de Nanahoshi était exacte, cela nous déposerait à environ une semaine de voyage au sud d’une ville oasis appelée Bazaar. Malheureusement, nous voyagerions à travers un désert pratiquement vide. Nanahoshi était tellement épuisée qu’Orsted avait dû la porter sur son dos. Nous devions nous montrer bien préparés.

J’avais ma magie, donc nous ne manquerions pas d’eau glacée à tout moment. Rien que cela rendrait les choses beaucoup plus simples. Nous n’avions pas de carte pour la ville de Bazaar, mais Elinalise avait confiance en sa capacité à naviguer en terrain inconnu. Elle affirmait que les elfes pouvaient traverser les forêts les plus denses sans jamais se perdre.

J’avais ressenti le besoin de mentionner qu’un désert ne ressemblait pas vraiment à une forêt, mais cela m’avait valu un sermon furieux sur ses nombreuses années d’expérience en tant qu’aventurière. Vu qu’elle semblait confiante, je devais supposer que tout irait bien.

Une fois que nous serions à Bazaar, nous pourrions engager un guide pour notre destination. Rapan était à environ un mois au nord, c’était donc un long voyage. Elinalise pouvait nous faire avancer dans la bonne direction, mais il serait beaucoup plus rapide de trouver un local qui connaîtrait la route la plus facile.

Après être arrivées à Rapan, nous sauverions ma mère aussi vite que possible, puis nous rentrerions chez nous par le même chemin. Cela signifierait qu’il faudrait parler à plus de gens des cercles de téléportation, mais nous n’avions pas vraiment le choix. Je ne pouvais pas dire à mes parents de prendre le long chemin du retour.

D’après ce que nous savions, Paul voyageait dans un groupe de six personnes. Probablement sept, en supposant qu’il ait rejoint Geese. Nous devions juste les faire jurer de garder le secret.

J’avais d’ailleurs prévenu Sylphie et mes sœurs de ne parler à personne des téléporteurs. Pour leur faire comprendre, j’avais mentionné qu’un type très effrayant, capable de battre Ruijerd en un instant, pourrait se mettre en colère contre elles si elles parlaient.

Une fois notre plan de base établi, Elinalise et moi avions commencé à travailler sur les détails.

J’avais déjà préparé mon équipement. J’avais prévu d’apporter mon fidèle bâton Aqua Heartia et une robe que Sylphie avait choisie pour moi. La seule autre chose qui me vint à l’esprit fut le sort d’invocation que Nanahoshi m’avait donné plus tôt. Je ne savais pas quand cela pourrait s’avérer utile, mais j’avais décidé d’emporter dix copies du parchemin avec moi. Je pouvais fabriquer une nouvelle plaque d’impression en un jour, mais je ne voulais pas trimballer de l’encre dans le désert. Les parchemins étaient beaucoup plus légers et moins fragiles. Et si j’en avais besoin, je pourrais toujours essayer d’acheter de l’encre à Rapan.

À ce propos, je n’avais pas de monnaie locale. Je n’étais même pas sûr du type d’argent qu’ils utilisaient là-bas. Le plus simple était probablement d’apporter quelque chose que je pourrais facilement échanger contre de l’argent.

En dehors de cela, j’avais juste besoin de rations alimentaires pour le voyage. C’était mon premier voyage à Begaritt, je n’avais donc aucune idée du type d’outils ou d’équipement dont je pourrais avoir besoin. Je devais les obtenir localement au fur et à mesure que le besoin s’en faisait sentir.

Comme notre voyage ne devait durer que six semaines, j’avais un peu d’espace libre dans mes sacs. Je pouvais techniquement emporter des choses dont je n’avais pas vraiment besoin.

Mais cela ne voulait pas dire qu’il fallait s’alourdir avec des choses inutiles. Il était probablement préférable de voyager léger. Nous atteindrions Bazaar dans une semaine, ce n’était donc pas comme si nous allions errer dans la nature pendant longtemps. J’avais tout de même décidé d’emporter un livre contenant des informations spécifiques sur la magie de téléportation, étant donné les risques auxquels nous étions confrontés. Je savais qu’Orsted avait utilisé ces choses dans le passé, mais cela ne signifiait pas que nous serions en sécurité.

J’étais retourné dans les bureaux de la faculté, j’avais flatté Jenius pendant un moment et j’avais obtenu la permission d’emprunter quelques titres à la bibliothèque à long terme. J’avais pris le livre que j’avais en tête, Compte rendu exploratoire du labyrinthe de téléportations, et j’avais pris un volume intitulé Le continent de Begaritt et la langue du Dieu Combattant pendant que j’y étais. J’avais pensé que celui-ci pourrait être utile si j’avais du mal à me faire comprendre.

Je me rappelais que Ginger semblait connaître une chose ou deux sur les chevaux, je lui avais donc demandé de m’accompagner dans une écurie locale. J’en avais profité pour mettre Zanoba au courant de la situation.

« Je vois ! Tu pourras donc revenir dans environ six mois ? »

« Oui. Mais je ne peux pas expliquer comment. »

« C’est vrai ? Hmm… tu sais, je pourrais demander à Ginger de t’accompagner, si tu le souhaites. »

« Ne sois pas ridicule, Zanoba. »

Pourquoi aurais-je fait tout ce chemin pour me faire un ennemi de cette pauvre femme ?

« Hrm. Bon, d’accord »

« Ne t’inquiète pas pour moi, d’accord ? Occupe-toi juste de Sylphie et de mes sœurs. »

« Il n’y a pas besoin de t’inquiéter pour ça. Je pourrais même demander à Ginger de les protéger en ton absence. »

« C’est moi, ou tu essaies de te débarrasser d’elle ? », dis-je tout en me moquant.

Zanoba jeta un coup d’œil dans la direction de Ginger, puis se pencha vers moi pour me chuchoter à l’oreille.

« Cette femme est un peu casse-pieds, Rudeus. Depuis que je suis tout petit, elle me sermonne sur chacune de mes erreurs. Et dernièrement, elle a été tout aussi stricte avec Julie. Ça devient ennuyeux. »

Ce type avait l’air d’un étudiant qui se plaignait de sa mère. Maintenant que j’y pense, je suppose qu’il avait une vingtaine d’années. Je pouvais en quelque sorte comprendre ce qu’il ressentait. En quelque sorte.

Mais surtout, je me sentais mal pour Ginger. Elle était encore jeune. Cette fille gâchait sa vingtaine en s’occupant d’un bébé trop grand.

« Qu’est-ce que tu en penses, Julie ? », avais-je demandé.

Notre jeune élève avait suivi l’expédition d’achat de chevaux. Je devais l’encourager à continuer à s’entraîner pendant mon absence. Nous pourrions reprendre le projet de la figure de Ruijerd après mon retour.

« Mlle Ginger ne fait que souligner les mauvaises habitudes de Maître Zanoba. »

« Eh bien, nous y voilà. Tu ferais mieux de t’améliorer, Zanoba. Tu dois être un bon exemple pour elle. »

« Hum… »

Oui, ça m’avait vraiment fait penser à une mère faisant irruption dans l’appartement crasseux que ses deux enfants remplissaient de déchets. C’était d’une certaine manière plutôt réconfortant.

« En tout cas. Assure-toi de continuer à t’entraîner comme tu l’as promis pendant que je suis parti, ok, Julie ? »

« Oui, Grand Maître. Je ferai de mon mieux. »

Julie ne trébuchait plus beaucoup sur ses mots ces derniers temps. C’était aussi grâce à Ginger.

À ce moment-là, la femme en question était revenue vers nous, menant un cheval par les rênes.

« Voilà, Seigneur Rudeus. Je crois que celui-ci devrait répondre à vos besoins. »

« Ooh… »

Les chevaux dans ces régions avaient tendance à être des créatures encombrantes, puisqu’ils devaient se frayer un chemin dans la neige la plupart de l’année. De près, celui-ci ressemblait presque à une espèce différente des chevaux de course élancés que je connaissais. Il ne sprintait pas aussi vite, mais il semblait pouvoir tenir plusieurs jours d’affilée. Les chevaux dans ce monde étaient en général monstrueusement forts.

Sans raison particulière, j’avais décidé qu’il était digne du nom de Matsukaze.

« Merci, Ginger. Vous avez été d’une grande aide. »

« Ce n’est pas grave. Ce n’était pas vraiment un problème. »

« Vous voulez que je demande à Zanoba de faire quelque chose pour vous ? Peut-être un massage des épaules ? »

« Seigneur Rudeus, j’ai beaucoup de respect pour vous, mais j’aimerais que vous soyez un peu plus… »

« C’est vrai, c’est vrai. Je suis désolé. C’était juste une blague. »

A en juger par la façon dont elle me fixait, Ginger n’avait pas trouvé ça très drôle.

En tout cas. J’avais mon cheval, et j’avais fait savoir aux personnes les plus importantes de ma vie ce qui se passait. Est-ce que j’oubliais quelqu’un ? Peut-être. Mais j’avais l’impression d’avoir parlé à tous mes amis. Badigadi n’était toujours pas là, mais je ne pouvais rien y faire.

Eh bien, peu importe. J’avais coché tous les points de ma liste de choses à faire, et j’avais juré à tous ceux qui étaient au courant des cercles de téléportation de garder le secret. Nous étions prêts à partir.

Le jour de notre départ, ma femme et mes deux sœurs m’avaient raccompagné à la porte d’entrée.

« Je serai de retour avant que tu t’en rendes compte, Sylphie. »

« Rudy… »

Sylphie jeta ses bras autour de moi, les larmes aux yeux. J’avais pris l’habitude de la tenir dans mes bras au cours des six derniers mois. Son corps était petit et dégageait de la chaleur. J’avais parfois l’impression de serrer dans mes bras un petit animal affectueux.

Mais aujourd’hui, ses épaules tremblaient et elle reniflait doucement. Cela ne facilitait vraiment pas le départ.

… Je ne devrais pas rester derrière après tout ? Peut-être que je pourrais attendre que mon enfant soit né avant d’aider le vieil homme.

Je veux dire, pensez-y. Normalement, il m’aurait fallu presque un an rien que pour aller là-bas. Ne pourrais-je pas rester à la maison pendant encore sept mois et partir après la naissance de mon enfant ? Le voyage ne devrait plus prendre que six semaines maintenant, donc je pourrais encore arriver à temps.

Je n’étais pas assez fort pour empêcher ces pensées de traverser mon esprit. Mais en fin de compte, Geese avait été assez désespéré pour envoyer un message express depuis le Continent de Begaritt. Ces services n’étaient pas bon marché, même pour les lettres les plus brèves. Ce n’était pas quelque chose que l’on faisait à moins d’y être obligé. Le temps était probablement essentiel.

Et si je partais maintenant, je pourrais toujours revenir pour voir mon enfant naître. Il fallait juste que je voie ça comme une sorte de voyage d’affaires.

Essuyant les larmes de Sylphie, je m’adressai à mes sœurs, qui se tenaient maladroitement derrière elle dans le foyer.

« Aisha, Norn, je vous verrai plus tard. Occupez-vous des choses pour moi, d’accord ? »

Je n’étais pas tout à fait sûr moi-même de ce que cela était censé signifier, mais les deux avaient hoché la tête avec insistance.

« Ne t’inquiète pas, cher frère. Je vais garder les choses bien en main ici. »

« Bien sûr, Rudeus ! Sois prudent là-bas ! »

J’avais hoché la tête.

« C’est bon à entendre. Essayez de ne pas vous battre toutes les deux, d’accord ? »

Elles avaient répondu « Oui ! » à l’unisson. Je ne pouvais m’empêcher de sourire devant l’expression sinistrement sérieuse de leurs visages.

« Sylphie ! »

Elinalise avait choisi ce moment pour monter de façon spectaculaire sur notre cheval. Il portait deux semaines complètes de provisions sur son dos, mais ne semblait même pas en sentir le poids. Notre Matsukaze était vraiment une bête.

« Sois courageuse, chérie, tu vas t’en sortir ! Tu n’as de toute façon pas besoin d’un mari qui traîne dans le coin pour accoucher. Crois-moi, je parle d’expérience sur ce point. »

« Je suppose que oui. Fais attention à toi aussi, grand-mère. », dit Sylphie avec un faible sourire.

« Oh, ne t’inquiète pas pour moi. Je me débrouillerai très bien. »

Elinalise releva ses cheveux d’un geste de confiance suprême. Cette femme pouvait être cool quand elle le voulait. Elle ressemblait à une dame chevalier tout droit sortie d’un conte de fées.

Il était dommage que je l’aie vue piquer une colère l’autre jour. Le souvenir de ça avait en quelque sorte entaché toute l’expérience.

Eh bien, je suppose que tout le monde a ses points faibles, non ?

Je ne pensais pas que j’étais quelqu’un qui n’en avait pas.

« Ok, alors. Nous ferions mieux de nous mettre en route. »

Sans perdre plus de temps, j’avais sauté derrière Elinalise. C’était une femme mince, mais elle se tenait droite sur sa selle. C’était plutôt rassurant de savoir qu’elle tenait les rênes.

Ce n’était pas non plus désagréable d’avoir mes bras autour d’elle. J’avais ressenti un petit coup de culpabilité, mais… hé, je l’empruntais à Cliff pour un petit moment, non ?

« Rudy ? »

Sylphie avait incliné la tête curieusement vers moi. Non pas que je fasse quelque chose de louche ! Vraiment ! Je devais m’accrocher pour ne pas tomber, c’est tout.

« Très bien, tout le monde. À bientôt. »

Finalement, notre voyage avait commencé.

***

Partie 2

Il nous avait fallu cinq jours pour atteindre la forêt au sud-ouest de Sharia.

Pendant la première étape du voyage, nous étions accompagnés d’un aventurier que nous avions engagé à la guilde. Il serait chargé de ramener notre cheval à la ville par la suite. Les chevaux ne feraient que vous ralentir dans une forêt dense, et nous ne connaissions pas la taille du téléporteur que nous allions utiliser. Il serait pratique d’avoir une bête de somme pour nos voyages dans le désert, mais il était plus judicieux de s’en procurer une là-bas. Nous trouverions probablement quelque chose de mieux adapté au climat local.

Dans l’ensemble, il était plus logique que quelqu’un escorte le cheval jusqu’à Sharia pour nous. Ce dernier n’était pas bon marché, j’avais donc l’intention de le garder.

Je n’avais jamais appris à monter à cheval, j’avais donc surtout passé le voyage à m’accrocher à Elinalise par-derrière. Bien sûr, je m’étais occupé… d’une manière parfaitement platonique. J’avais passé une journée entière à recharger la culotte magique que Cliff avait créée. Pour ce faire, j’avais dû passer mes bras autour de la taille d’Elinalise, ce qui m’avait valu quelques regards envieux de la part de notre épée de location.

Après être arrivés dans la forêt, nous avions fait nos adieux à Matsukaze. Espérons qu’il s’entende bien avec Aisha et les autres.

Nous avions maintenant une forêt à explorer. J’avais oublié son nom exact. Quelque chose comme la forêt Lumen, peut-être ? Un mot qui signifiait « estomac » dans une langue ou une autre.

Ce choix était logique une fois à l’intérieur de l’endroit. La végétation était incroyablement dense, il y avait tellement de grands et vieux arbres que leurs branches bloquaient le soleil. C’était vraiment un endroit plutôt lugubre. Le sol était épais et plein de racines, ce qui donnait souvent l’impression de marcher sur un sol en bois bosselé et inégal. Il fallait constamment faire attention où l’on mettait les pieds. Les plus grands arbres avaient des racines beaucoup plus grosses, et à certains endroits, elles formaient même des sortes d’escaliers naturels. C’était presque comme un donjon en plein air.

Même un ranger expérimenté pouvait facilement se perdre dans un tel endroit. Et une fois qu’on s’éloignait du chemin, il était trop facile de devenir la proie d’un monstre, ou de glisser et de tomber d’une « plateforme » en bois. De nombreux corps humains avaient sans doute été digérés par cette forêt au fil des siècles.

Il ne semblait pas que des bûcherons venaient ici trop souvent. Peut-être que les monstres ici étaient relativement forts ? Ou nombreux ? Ou peut-être qu’il y avait d’autres forêts dans la région qui étaient juste plus facilement accessibles. C’était probablement une combinaison des trois.

Pour être clairs, les bûcherons de ce monde n’étaient pas à prendre à la légère. Une équipe de bûcherons était souvent plus organisée et plus compétente qu’un groupe d’aventuriers moyens. Les forêts offraient du bois en abondance, mais elles abritaient aussi de nombreux monstres. Couper un seul arbre était une tâche dangereuse. Les gens devaient former des équipes et parfois même engager des gardes du corps. Une expédition typique impliquait de sérieux combats en plus de la coupe de bois proprement dite, aussi la guilde des bûcherons comptait-elle de nombreux personnages redoutables.

De plus, leur travail avait une fonction vitale dans ce monde. Si les arbres n’étaient pas coupés régulièrement, il y aurait de dangereux essaims de Treants.

« Tu te souviens de la formation dont nous avons discuté tout à l’heure, Rudeus ? Prenons nos positions », dit Elinalise.

« Compris. »

Pourtant, ce n’était pas grand-chose pour des aventuriers chevronnés comme nous. Nous étions vigilants, bien sûr, mais calmes. Elinalise prit la tête, et j’avais suivi derrière elle à une distance déterminée.

Comme on pouvait s’y attendre de la part d’une elfe, elle savait comment naviguer sur ce terrain. Et grâce à son excellente ouïe, nous étions prévenus lorsque des ennemis tentaient de nous tendre une embuscade.

« Trois monstres à deux heures ! »

« Compris. »

Sur son ordre, j’avais tiré un canon de pierre devant et sur ma droite. Le projectile avait touché un sanglier vert au moment où il traversait le feuillage, l’envoyant voler en arrière dans une gerbe de sang. Ses deux compagnons avaient immédiatement fait demi-tour et s’étaient enfuis.

Elinalise s’occupait de la partie « recherche », et moi de la partie « destruction ». Jusqu’à présent, nous éliminions toutes les menaces avant même qu’elles ne s’approchent de nous. Nous n’avions pas engagé de véritable combat jusqu’à présent, ce qui me convenait parfaitement. Elinalise semblait nous guider vers des zones dangereuses, où les animaux se rassemblaient en grand nombre. C’était manifestement une compétence qu’elle avait acquise au fil des ans, plutôt qu’une sorte d’instinct elfique naturel.

« Je pense l’avoir trouvé. C’est le monument que nous cherchions, non ? »

Après un certain temps, Elinalise repéra la chose que nous étions venus chercher. Il s’agissait d’une dalle de pierre plate avec un symbole gravé sur sa surface, dressée devant un épais mur de végétation. Je m’étais résigné à l’idée que nous allions passer deux ou trois jours à ratisser cette forêt, mais nous avions réussi à trouver la chose avant le coucher du soleil. Peut-être que la femme avait des points de compétence dans la recherche de secrets ou quelque chose comme ça.

Grâce aux monuments des Sept Grandes Puissances, la gravure sur la pierre m’était familière. Elle portait la crête du Dieu Dragon, un motif anguleux et pointu composé principalement de triangles. Il me rappelait un peu le symbole magique qui apparaissait sur le front d’un personnage d’anime lorsqu’il était sous tension, bien que les détails spécifiques soient totalement différents. Peut-être qu’ils étaient tous deux censés représenter le visage d’un dragon.

Mais… avais-je déjà vu ce blason seul auparavant ?

Ah oui, c’est vrai. Il ressemblait beaucoup au symbole figurant sur les papiers que j’avais trouvés dans la cave de ma maison. Il y avait quelques différences subtiles, mais ils étaient à tous les coups similaires. Peut-être que l’homme qui avait créé ce robot tueur avait un lien avec le Dieu Dragon ?

Eh bien, il y avait probablement un tas de symboles similaires là-bas. Dans mon ancien monde, beaucoup de pays avaient des drapeaux similaires.

« Y a-t-il un problème ? »

« Non, ce n’est rien. »

Elinalise avait remarqué que j’étudiais longuement le symbole, mais j’avais décidé de ne pas poursuivre dans cette voie. Nous avions d’autres priorités pour le moment.

« Je vais commencer à retirer la barrière », avais-je dit.

« Très bien. »

Elinalise s’était retournée pour surveiller mes arrières pendant que je travaillais.

J’avais posé une main sur la surface de la pierre et ouvert le journal de Nanahoshi à la page où elle avait écrit ses notes. Il y avait une incantation spécifique que je devais utiliser.

« Le wyrm ne vivait que pour ses idéaux. Personne ne pouvait échapper à la portée de ses bras puissants. Il fut le deuxième à mourir, un général dragon, ses écailles vertes et or, sa vie, le plus éphémère des rêves. Au nom du Saint Dragon Empereur Shirad, je brise son sceau. »

À l’instant où le dernier mot quittait ma bouche, j’avais senti le mana couler de mon bras vers la tablette. Le monde avait commencé à se déformer devant mes yeux. L’air lui-même sembla tourbillonner étrangement pendant un moment. Lorsque cela fut passé, l’épais mur d’arbres et de plantes devant moi avait disparu, laissant un bâtiment en pierre à sa place.

« Whoa ! »

« Je n’ai jamais vu un enchantement comme celui-ci », dit Elinalise, en regardant la structure avec étonnement.

Ce n’était pas quelque chose que j’avais vu auparavant, non plus. Mais la façon dont la tablette avait aspiré mon mana m’était familière. Cette chose était probablement un outil magique stationnaire et surdimensionné. Si on le cassait en deux, on trouverait probablement un tas de cercles magiques complexes gravés à l’intérieur.

Pourtant, cette incantation m’avait semblé être un original du Dieu Dragon, avec toutes les, euh… références à divers dragons. Ce Saint Dragon Empereur Shirad était l’un des Cinq Généraux Dragons des anciennes histoires, non ?

Cette incantation semblait incomplète, étant donné qu’il manquait le nom du sort lui-même. Mais si vous l’aviez en entier, peut-être que cela vous permettrait d’imiter le pouvoir de cette tablette et de dissiper les barrières magiques librement. Cela semblait troublant et plausible.

« Allons-y. »

« Euh, d’accord. »

J’avais un peu envie de déraciner cette tablette et de la ramener chez moi, mais cela semblait être le genre de chose qui pourrait me faire assassiner par Orsted. J’avais eu assez de ça pour une vie.

Le bâtiment devant nous était une structure trapue, d’un seul étage. Des lianes de lierre couraient le long de ses murs, et il y avait des endroits où les pierres s’étaient effritées au fil des ans.

« Hmm… l’endroit ressemble à une ruine ancienne assez typique, non ? »

« J’ai vu quelques labyrinthes dont l’entrée ressemblait un peu à ça. Oh, c’est vrai. Tu n’as aucune expérience des labyrinthes, n’est-ce pas, Rudeus ? », dit Elinalise.

« Non. J’ai sûrement déjà exploré quelques vieilles ruines et autres, mais pas un vrai labyrinthe. »

« Dans ce cas, assure-toi de me suivre de près. Ne marche que là où je marche. »

« Bien sûr, je peux faire ça. Mais, euh, je ne pense pas que cet endroit soit un labyrinthe. »

« On est jamais assez prudent. »

C’est juste. Vu ce qu’on en savait, il pourrait bien y avoir des pièges là-dedans.

Mais Elinalise n’était pas une sorte de voleuse. Est-elle capable de trouver des pièges ? Par précaution, j’avais activé mon Œil de Prévoyance. Ce n’était pas vraiment un système d’alerte, mais cela pouvait m’aider à mieux gérer les embuscades soudaines.

« Ok, alors, Rudeus. Allons-y. Sois prêt à me couvrir si les choses tournent mal. »

« Compris. »

Avec prudence, Elinalise et moi étions entrés ensemble dans la ruine de pierre.

« … »

L’intérieur était également fait de pierre. Ici et là, on pouvait voir des lianes ou des racines d’arbres s’enfoncer dans les murs. C’était ce à quoi on pouvait s’attendre d’une « ruine forestière ».

Ce n’était pourtant pas une si grande structure. En fait, il semblerait qu’il n’y avait que quatre pièces. Nous nous étions déplacés lentement à travers elles, en nous assurant d’examiner chaque coin.

Les deux pièces les plus proches de l’entrée étaient des espaces complètement vides d’environ sept mètres carrés. La troisième avait un petit placard dans un coin, lorsque nous avions ouvert la porte, nous avions trouvé des vêtements d’hiver à la taille d’un homme rangés à l’intérieur. Ceux-ci n’étaient clairement pas restés là pendant des décennies. Quelqu’un avait changé ses vêtements ici relativement récemment. Et par quelqu’un, je voulais dire Orsted.

Le cercle de téléportation était censé nous déposer au milieu d’un désert, et cette région était recouverte d’une épaisse couche de neige pendant une bonne partie de l’année. Je devais imaginer qu’il serait difficile d’acheter des vêtements appropriés pour ce temps à Begaritt, ce qui était probablement la raison pour laquelle il les avait laissés ici pour sa prochaine visite.

Si j’avais su que nous pouvions laisser des choses derrière nous comme ça, j’aurais pu emporter un peu plus de bagages. Il n’y avait cependant pas de raison de pleurer sur ce qui avait été fait.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Y a-t-il une raison pour laquelle tu fixes ces vêtements ? »

« Nan. Je me demandais juste s’il y avait quelque chose que nous pourrions laisser derrière nous pour notre voyage de retour. »

« Hmm… Je ne pense pas. Nous perdrions des provisions si nous les laissions ici. »

Pour être sûr, la nourriture que nous avions avec nous n’allait pas rester comestible si nous la laissions ici pendant des mois. Barrière ou pas, il y avait probablement des insectes ici.

« Alors, allons-y », dit Elinalise tout en se tournant vers la sortie.

« Bien. »

Dans la quatrième et dernière pièce, nous avions trouvé des escaliers qui descendaient dans l’obscurité.

« Oh, mon Dieu. Ça, ça a l’air suspect. »

Elinalise scruta la zone autour des escaliers et vérifia chaque coin de la pièce comme un joueur de FPS qui nettoyait une zone. Je suppose que les escaliers étaient des endroits populaires pour poser des pièges.

« Ok… Je pense que tout est bon. »

Cependant, elle n’avait finalement rien trouvé. Je n’étais pas trop surpris. Si quelqu’un avait voulu piéger cet endroit, il en aurait probablement mis aussi quelques-uns à l’entrée.

« Je vais descendre en premier. Surveille mes arrières, Rudeus. »

« Compris. »

Elinalise descendit les escaliers très lentement et prudemment. J’avais fait en sorte de suivre exactement ses pas. Bizarrement, les ruines ne s’assombrissaient pas au fur et à mesure que nous descendions.

La raison en était apparue clairement lorsque nous avions atteint le bas des escaliers.

« … Eh bien, c’est là. »

Il y avait un énorme cercle magique sur le sol en face de nous — aussi grand qu’une des pièces de l’étage. En taille, au moins, il était comparable à celui dans lequel j’avais été piégé dans le palais royal de Shirone. Et il émettait une lumière blanche bleutée constante.

« Ce serait donc le cercle de téléportation ? »

« Je suppose que c’est bien ça. »

Juste pour être sûr, j’avais pris le journal de Nanahoshi dans mon sac et revu ses notes. La chose qui se trouvait devant nous ressemblait beaucoup à son croquis d’un cercle de téléportation à double sens. Il y avait quelques différences mineures, mais toutes les caractéristiques principales étaient là. Tout ce que nous avions à faire était d’entrer dans cette chose, et nous devrions théoriquement nous trouver sur le Continent Begaritt.

Elinalise, cependant, ne semblait pas pressée de l’essayer. Elle fixait le cercle magique avec une expression hésitante visible sur le visage.

« Quelque chose ne va pas, Elinalise ? »

« J’ai des souvenirs plutôt douloureux concernant la téléportation, c’est tout. »

Des souvenirs douloureux ? Parlait-elle d’un incident de l’époque où elle était aventurière ?

« Oui, eh bien… tu n’es pas la seule. »

« Ah. Je suppose que non. »

Elinalise secoua la tête et regarda à nouveau le cercle magique. Cette fois, son visage affichait une expression résolue et sinistre.

« Si ce truc nous lâche au milieu de l’océan, faisons en sorte que Nanahoshi le regrette. », avais-je ajouté

« Très bien. Je vais la tenir pendant que tu la lui plante », dit Elinalise.

« On pourrait choisir quelque chose de moins sexuel ? »

« Sexuel ? Je n’ai pas précisé ce que tu allais coincer ni à quel endroit, mon cher. Tu pourrais toujours mettre un doigt dans son nez ou autre. Tu as l’esprit plutôt cochon. »

« Mettre un doigt dans le nez d’une fille me semble en fait toujours aussi sexuel. »

« Vraiment ? Hmm. Je vais voir si Cliff veut essayer plus tard. »

« Ne m’en veux pas s’il te prend au mot. »

Elinalise m’avait pris par la main tout en souriant. Sa prise était forte, malgré ses doigts fins. C’était la main d’une aventurière. Elle était aussi un peu chaude et moite, ce qui fit que mon cœur s’était mis à battre un peu plus vite.

Bien sûr, j’avais Sylphie, et Elinalise avait Cliff. S’il se passait quelque chose entre nous, nous serions tous les deux en train de commettre un adultère. Et de toute façon, ce n’était pas comme si nous avions des sentiments l’un pour l’autre dans ce sens.

« J’espère que tu ne te méprends pas, Rudeus. Il est important que nous soyons en contact physique lorsque nous nous téléportons, si nous voulons être sûrs que cela nous maintienne ensemble. »

« Oh, d’accord. Oui. Désolé pour ça. »

Oups. C’est un peu dégoûtant.

Je n’étais plus vierge, je n’avais donc aucune excuse pour continuer à faire ce genre d’erreurs.

« Et voilà que je recommence à séduire le mari de ma petite-fille sans même essayer. Je suppose que c’est tout simplement criminel d’être aussi belle. »

« Oui. Tu ferais mieux d’expier tes méfaits en demandant le divorce. »

« Hé ! Allez, maintenant tu es juste impolie. »

C’était mieux. Si on transforme la maladresse en blague, cela désamorcerait la tension sexuelle. Elinalise savait vraiment comment gérer ce genre de situations.

« Bon, alors, on y va ? »

« C’est parti. »

Nous étions entrées toutes les deux dans le cercle de téléportation.

***

Bonus : Norn et l’église de Millis

Partie 1

Norn Greyrat se sentait mal à l’aise, c’était le moins qu’on puisse dire.

Un mois s’était écoulé depuis le départ de son frère Rudeus pour le continent de Begaritt, et la vie dans la ville de Sharia était plus paisible que jamais. Il était très difficile de croire que la plupart de sa famille était en danger dans un pays étrange et lointain.

Pourtant, le cœur de Norn était troublé. Il n’y avait évidemment pas eu de nouvelles de Rudeus. Ce n’était pas comme si elle s’attendait à ce qu’il y en ait. Que traversait-il en ce moment ? Était-ce son harcèlement qui l’avait poussé à affronter des dangers auxquels il n’était pas préparé ?

Si Rudeus mourait, Sylphie serait dévastée. Elle en pleurerait encore et encore, tenant un enfant sans père dans ses bras.

Norn n’était qu’une enfant elle-même, et elle n’était peut-être pas aussi vive que sa sœur, mais même elle comprenait que le sourire courageux de Sylphie n’était qu’une tentative pour cacher ses véritables sentiments. Au fond d’elle-même, Sylphie souffrait encore.

Peu importe le talent de Rudeus, il était toujours possible qu’il meure pendant son voyage sur le Continent de Begaritt. Et Norn était celle qui l’avait poussé à le faire.

Si elle ne l’avait pas harcelé… si elle n’avait pas été aussi égoïste… Rudeus et Sylphie vivraient encore ensemble en ce moment.

C’était une pensée douloureuse. L’anxiété et le regret étaient suffisants pour l’écraser.

Regardant par la fenêtre de son dortoir, Norn poussa un long soupir. C’était quelque chose qu’elle faisait régulièrement ces jours-ci.

Dehors, elle aperçut quelques élèves qui marchaient en direction des portes de l’école.

« Oh, c’est vrai… Je suis censée rentrer chez moi aujourd’hui… »

Une fois tous les dix jours, elle devait faire une apparition dans la maison de la famille Greyrat. Aujourd’hui était ce dixième jour.

Se levant à contrecœur, Norn avait commencé à se préparer à partir.

Alors qu’elle marchait vers la maison des Greyrat, ses pensées continuaient de s’attarder sur la situation actuelle.

Le ressentiment ou la méfiance qu’elle avait ressentie envers Rudeus avait presque disparu. Elle ne le haïssait pas non plus comme elle l’avait fait autrefois. Mais c’était en partie ce qui rendait la situation si effrayante. Et s’il ne revenait pas à la maison ? Et si une lettre arrivait, les informant de sa mort ? Elle ne savait pas si elle pourrait le supporter maintenant. Elle ne saurait pas comment s’excuser auprès de Sylphie. Il y avait aussi Aisha… même si elle ne se souciait pas autant d’elle.

Son esprit tournait en rond. C’était une mauvaise habitude de Norn. Une fois qu’elle commençait à s’inquiéter de quelque chose, il lui était très difficile de s’arrêter.

« Hm ? »

Remarquant quelque chose du coin de l’œil, Norn s’était arrêtée.

Elle avait repéré un bâtiment distinctif au bout d’une rue secondaire.

Dans le Pays Sacré de Millis, les bâtiments de ce type étaient très courants. Chaque quartier de la ville en possédait un. Mais depuis qu’elle avait quitté cette terre, elle en avait vu très peu.

« Est-ce une église de Millis… ? Je ne savais même pas qu’il y en avait une dans cette ville. »

Comme elle n’était pas construite exactement comme les églises de Millis, ce bâtiment lui semblait un peu bizarre. Mais sa couleur blanche et son design basique rendaient sa fonction évidente.

« Maintenant que j’y pense, je n’ai pas dit beaucoup de prières ces derniers temps… »

Norn était un membre de la foi de Millis. Au Pays Saint, lorsqu’elle était sous la garde de la famille de sa mère, ils l’emmenaient régulièrement à l’église. Elle en avait appris les bases assez rapidement. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait consciemment choisi de faire elle-même, mais elle n’avait pas non plus l’impression que sa famille l’avait forcée à le faire. Il était important d’apprendre les enseignements de l’église à Millis. Tout le monde attendait de vous que vous les connaissiez et que vous y obéissiez.

Pourtant, elle n’était pas vraiment une croyante passionnée. Après avoir quitté Millis, elle n’avait jamais ressenti le besoin d’errer à la recherche d’églises pour y faire ses prières.

« … »

Mais aujourd’hui, Norn s’était retrouvée à tourner dans cette rue secondaire.

L’intérieur de l’église était, en contraste avec la rue à l’extérieur, plutôt tranquille. Elle avait l’impression d’avoir pénétré dans un espace sacré. Le silence dans l’air, le design imposant du bâtiment lui-même, le soupçon de chaleur — tout cela lui était familier.

Le plafond était un peu plus bas que celui des églises dont Norn se souvenait, mais les rangées ordonnées de bancs étaient les mêmes. Et le sanctuaire sacré à l’arrière aussi.

Se sentant un peu nostalgique, Norn se dirigea vers le symbole sacré de Millis, s’agenouilla et joignit ses mains.

Elle n’avait pas prié depuis des années, mais son corps se souvenait encore de la façon de le faire.

« Grand Saint Millis, entends ma prière… Ramène mon frère sain et sauf. Et mon père. Et ma mère. Et Lilia, aussi… »

Norn avait senti un bref coup de poignard d’inquiétude. Elle pouvait peut-être en avoir trop demander en nommant tout le monde individuellement comme ça. Saint Millis n’avait jamais intercédé en faveur des gourmands. Il était important de garder ses souhaits modestes.

Et pourtant, elle avait décidé de reformuler sa prière.

« S’il vous plaît, aidez tout le monde à rentrer sain et sauf. »

Si Millis jugeait bon d’accéder à cette requête, la famille de Norn serait enfin réunie. Ils pourraient enfin vivre ensemble, pour la première fois depuis de nombreuses années. C’était ce que Norn voulait plus que tout.

En fait… en ce moment, c’était la seule chose qu’elle voulait vraiment.

Si c’était trop demander, elle n’était pas sûre de ce qu’elle était censée faire.

« … »

Au moment où elle termina ses prières, Norn se sentit un peu mieux.

Peut-être que l’atmosphère dans cette église était agréable. Ou peut-être qu’elle avait réussi à trier ses pensées en les mettant en mots.

Dans tous les cas, elle s’était surprise à penser ceci : je devrais peut-être revenir.

*****

Norn assistait à ses cours, faisait ses exercices, puis se rendait à l’église après l’école. C’était vite devenu sa nouvelle routine.

Quand elle priait, elle se sentait toujours un peu mieux après. Elle avait en quelque sorte l’impression de faire sa part.

Mais un jour, quelque chose avait cédé en elle.

« Faites que tout le monde revienne sain et sauf… »

Lorsqu’elle murmura les mêmes mots que d’habitude, une larme coula de son œil. Elle coula lentement sur sa joue avant de tomber sur son menton. Une deuxième larme suivie, puis une troisième. Et tout d’un coup, la digue s’était rompue.

Norn savait, bien sûr, qu’elle ne faisait que se consoler en venant ici. Prier lui donnait l’impression de faire quelque chose, mais ce n’était pas le cas. Il n’y avait rien qu’elle puisse faire.

C’était ainsi que les choses avaient toujours été, et ce serait toujours ainsi. Elle était impuissante, et elle le savait.

Tout en reniflant, Norn couvrit son visage, bien qu’il n’y ait personne ici à qui le cacher.

Elle se sentait pathétique. Pathétique et frustrée. Elle détestait à quel point elle était inutile.

« Pourquoi pleures-tu ? »

La voix semblait venir de nulle part.

Surprise, Norn regarda autour d’elle dans l’église. Elle pensait qu’elle était seule. Il y avait un prêtre qui dirigeait cet endroit, mais il n’était souvent pas là à cette heure. C’était pourquoi elle avait habituellement l’endroit pour elle seule.

Mais aujourd’hui, il y avait quelqu’un d’autre ici, un jeune homme qui venait de sortir de la cabine de confession.

Il avait à peu près le même âge que son frère Rudeus. Ses cheveux étaient assez longs devant pour qu’elle puisse à peine distinguer ses yeux. Quelque chose dans la façon dont il la regardait lui faisait penser qu’il était du genre têtu.

« Qu-Qui êtes-vous ? »

Le jeune homme fronça les sourcils de manière irritée à la question.

« Quoi, tu ne me reconnais pas ? Je m’appelle Cliff Grimoire. Je suis un novice dans cette église. J’ai commencé ici cette année. »

Pour un simple novice, ce jeune homme semblait un peu imbu de lui-même. Mais ce ton arrogant avait aidé à stimuler la mémoire de Norn. Elle l’avait déjà rencontré une fois. C’était un ami de son frère, et un étudiant un peu célèbre de l’Université de Magie.

Maintenant qu’elle y pensait, elle l’avait aussi vu dans cette église. Quand on y disait la messe, il était souvent là à aider le prêtre.

« Oh… oui, bien sûr. Bonjour. »

Essuyant ses larmes, Norn inclina légèrement la tête.

Cliff grogna et s’approcha d’elle.

« Quelque chose te tracasse, alors ? Vas-y, dis-moi tout. »

« Huh ? »

« Si quelque chose te rend malheureuse sans raison valable, je m’en occupe pour toi. Tu as ma parole. »

Norn était honnêtement juste confuse par cette offre soudaine. Cet homme était l’ami de son frère, oui, mais tous les deux se parlaient pour la première fois.

« Euh, mais… »

« Je pense que tu es au courant, mais la femme avec laquelle Rudeus voyage est ma femme. Je suis inquiet pour elle, bien sûr, mais j’ai confiance dans les compétences de Rudeus. Je suis sûr qu’il la protégera correctement. Donc pour ma part, j’ai l’obligation de protéger sa famille ici à Sharia. S’il risque sa vie pour Lise, je ferai de même pour toi et ta sœur. »

Cela avait maintenant un peu plus de sens. Norn savait que la femme, Elinalise, avait fait partie du groupe de son père, mais pas qu’elle était mariée. C’était logique, cependant, vu sa beauté.

« J’ai remarqué que tu venais prier tous les jours depuis le confessionnal. Mais c’est la première fois que tu as fondu en larmes, non ? »

Norn n’avait aucun moyen de le savoir, mais Cliff avait tendance à profiter de ces heures calmes de l’après-midi pour étudier un peu à l’intérieur du confessionnal en attendant les rares visiteurs. Normalement, il y restait à moins d’avoir une corvée à accomplir, mais il s’était dévoilé en voyant Norn pleurer.

« … »

« Vas-y, tu peux me faire confiance. Je m’occuperai de tout. Est-ce un problème gênant ? Nous pouvons utiliser la cabine de confession, si tu le souhaites », dit Cliff avec assurance tout en se frappant la poitrine d’une main.

Norn se méfiait un peu de cette offre. D’après son expérience, il était généralement plus sage de ne pas faire confiance à une personne que l’on rencontrait pour la première fois.

Mais alors qu’elle hésitait, elle s’était souvenue de son frère, du jour où il lui avait rendu visite dans son dortoir. Elle s’était souvenue de l’expression de son visage. Il avait été aussi anxieux qu’elle.

Peut-être que Cliff, malgré toutes ses belles paroles, ressentait les mêmes choses qu’elle. Sa femme, Elinalise, était partie pour le Continent de Begaritt. Il aurait probablement voulu l’accompagner, mais il n’avait pas pu. Tout comme Norn.

Dans ce cas… peut-être qu’il pouvait comprendre ce qu’elle ressentait.

« Eh bien, en fait… »

Et donc, Norn s’était ouverte à Cliff.

Au début, elle avait expliqué que son frère avait décidé de ne pas aller à Begaritt. Mais elle l’avait poussé à y réfléchir, et il avait finalement changé d’avis.

Il y avait une chance que Rudeus meurt à cause de cela. Sylphie aura certainement le cœur brisé. Elle aimait beaucoup Rudeus, et ils étaient sur le point d’avoir un enfant et de fonder leur propre famille. Si Sylphie le perdait maintenant, ce serait un coup dur. Norn savait à quel point cela serait douloureux.

Et si cela arrivait, tout serait de sa faute. Son frère ne serait pas parti pour ce dangereux voyage si elle n’avait pas insisté.

***

Partie 2

Lorsqu’elle avait appris que son père avait des problèmes, elle voulait absolument l’aider. Elle voulait vraiment que Rudeus aille le sauver. Mais à ce moment-là, elle n’avait même pas pensé qu’il pourrait ne pas rentrer à la maison.

Tout ce qu’elle pouvait faire maintenant était d’aller à l’école, d’assister à ses leçons et de dire quelques prières l’après-midi. Mais ses prières n’étaient qu’une façon de se réconforter. Elle était impuissante. Elle ne pouvait rien faire pour aider.

Plus elle pensait à cela, plus cela la rendait triste. Norn en avait conclu que c’était la raison pour laquelle elle avait commencé à pleurer.

« Quoi, c’est tout ? », répondit Cliff avec un petit grognement dédaigneux.

« Qu’est-ce que vous voulez dire par “c’est tout” ? »

Norn s’attendait à ce que Cliff comprenne, alors ses mots avaient été ressentis comme une sorte de trahison.

Mais malgré son regard boudeur, Cliff renifla une fois de plus.

« Écoute. Je n’essaie pas de me vanter, mais je viens de Millis… »

« C’est de là que je viens aussi. »

« Laisse-moi finir, s’il te plaît. Je suis le petit-fils du pape de Millis. J’ai été mêlé à une lutte de pouvoir là-bas, alors mon grand-père m’a envoyé étudier ici. En d’autres termes, je ne peux pas rentrer chez moi de sitôt. Peu importe à quel point je veux aider ma famille, je ne peux rien faire pour eux. En d’autres termes, je suis un peu comme toi. »

« … »

« Que penses-tu que je devrais faire à ce sujet ? »

« Pourquoi me demandez-vous ça ? Je ne sais pas… »

Elle n’avait pas de réponse à cette question. C’était pour ça qu’elle avait pleuré. C’était pour ça qu’elle s’était tournée vers lui pour avoir des conseils.

« Je vois. Heureusement, je suis une sorte de génie, donc je connais la réponse. Veux-tu l’entendre ? Hmm ? »

« … Oui. S’il vous plaît. »

Le ton de Cliff commençait à taper sur les nerfs de Norn, mais elle voulait entendre ce qu’il avait à dire.

« Très bien alors. Tout d’abord, pense à la raison pour laquelle je suis dans cette ville. J’ai été envoyé ici à cause de la lutte pour le pouvoir chez moi. Pourquoi ? Parce que je suis trop faible pour me défendre. Je suis jeune, inexpérimenté, et je n’ai pas de réelle autorité. Il aurait été très simple pour eux de m’enlever et de m’utiliser comme otage. Mon grand-père est un homme vif et impitoyable, mais je suis un élément précieux dans ses plans pour l’avenir. Si ses ennemis me kidnappaient, il serait obligé d’écouter leurs demandes. »

Norn pouvait comprendre cela. Ce n’était pas si différent de la raison pour laquelle elle avait été abandonnée ici. Si elle était aussi puissante que Rudeus, elle aurait pu voyager avec lui en ce moment, ou même se frayer un chemin à travers le Continent de Begaritt par ses propres moyens.

« En gros, si je veux éviter de devenir un otage, je dois avoir la force de me défendre contre la violence. »

« La force ? Que voulez-vous dire ? »

« Je ne parle pas de la puissance physique. Dans mon cas, je me concentre sur l’étude, la collecte d’un maximum d’informations et l’apprentissage de nouvelles magies. Oh, et se faire des amis compte aussi… surtout s’ils ont des compétences inhabituelles ou s’ils sont susceptibles d’accéder à des postes de pouvoir. Quand tu as des alliés solides de ton côté, il est plus difficile pour tes ennemis de te faire du mal. »

Ce dernier point était quelque chose dont Cliff n’avait pris conscience qu’assez récemment, après être tombé amoureux d’Elinalise et s’être lié d’amitié avec Rudeus. Mais il n’y avait pas beaucoup de gens qui pouvaient tolérer son attitude, il n’avait donc pas encore beaucoup élargi son propre cercle social. En dehors de Rudeus et Zanoba, il y avait peut-être Nanahoshi, mais c’était à peu près tout.

« Donc vous vous entraînez tout seul, en fait ? Pour quoi faire ? », demanda Norn.

« Si je suis soudainement rappelé chez moi à Millis un jour, je veux apporter de nouvelles compétences, une nouvelle magie, et de nouvelles connexions avec moi. Je les utiliserai pour aider mon grand-père et m’assurer rapidement une position élevée dans la hiérarchie de l’église. »

Tout cela n’était bien sûr qu’un fantasme à ce stade. Mais Cliff y croyait sincèrement. Tant qu’il avait confiance en ses capacités et qu’il travaillait à les développer, il était sûr que ce futur se réaliserait.

« Mais ça n’arrivera jamais », murmure Norn en fixant le sol.

Personne n’allait l’appeler sur le Continent de Begaritt de sitôt. Et même s’ils le faisaient, elle ne serait d’aucune utilité. Si son frère et son père ne pouvaient pas gérer la situation par eux-mêmes, elle ne serait certainement pas d’une grande aide.

« Oh, mais ça arrivera. Pas demain, et pas après-demain. Mais un jour, il y aura un jour où notre force sera mise à l’épreuve. Ce sera peut-être dans un, où dans dans cinq, voir même dix ans. »

« … »

« Écoute, Norn. Il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire, maintenant que nous avons été abandonnés. Si nous essayons d’aller aider, nous ne ferons que gêner. »

« Je sais ça… »

« Bien. C’est la raison pour laquelle nous devons utiliser ce temps efficacement. Nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire, et nous devons devenir plus forts. Il se trouve d’ailleurs que c’est un enseignement de l’Église de Millis. »

Cliff fouilla dans sa robe et en sortit une petite copie des Écritures saintes. Il avait commencé à réciter un passage de mémoire, sans même ouvrir le livre.

« Atomos Chapitre 12, Verset 31. En ces temps de souffrance, le juste endure. En ces jours d’épreuves, il cultive sa force. Quand les faibles de cœur lui demandèrent pourquoi, le juste leur répondit que le jour viendrait sûrement où il frappera de toutes ses forces. Et lorsque le méchant roi des démons s’abattit sur eux avec sa grande armée, le juste abaissa sur lui sa sainte épée. Cette lame divisa les montagnes, les forêts et les mers, et elle fendit le méchant roi des démons en deux. »

Norn se souvenait aussi de ce verset. Elle l’avait mémorisé plusieurs fois dans son ancienne église, l’histoire de Saint Millis abattant son épée sainte sur l’armée des démons. La puissance de cette arme était si grande qu’elle s’étendait de Millishion aux montagnes de la Wyrm Bleu, puis à la Grande Forêt, et enfin à l’océan. Elle frappa le Roi Démon à l’endroit où se trouvait maintenant au Port Venteux, le tuant instantanément. L’endroit où Millis avait lancé cette attaque était désormais connu sous le nom de Route de l’épée sacrée.

« La puissance stupéfiante de Saint Millis est ce que la plupart des gens retiennent de ce passage, bien sûr. Mais sa véritable importance se trouve au début. Millis lui-même n’était pas omnipotent. Il devait attendre son heure et rassembler ses forces avant de pouvoir abattre l’épée sacrée sur ses ennemis. Si tu consultes les livres d’histoire, tu liras que l’armée de Millis a livré une grande bataille contre les démons sur la côte nord à cette époque. Le commandant de l’armée humaine était Peter Dolior, que l’on dit être le plus proche ami de Saint Millis, et il est mort au cours du combat. Aussi douloureux qu’il ait été par cette perte, Millis garda son attention sur le futur. »

« Voulez-vous dire qu’il a abandonné son ami ? Il l’a laissé mourir ? »

« Non. Millis faisait confiance à son ami, et son ami lui faisait confiance. C’est pour cette raison que Peter a combattue jusqu’à la mort pour ralentir l’avancée des démons, plutôt que de battre en retraite. Et grâce à ce sacrifice, leur rêve commun de victoire et de paix a été réalisé. »

Cette conférence emphatique terminée, Cliff regarda fixement dans les yeux de Norn.

« Maintenant, dis-moi, quel est ton rêve ? »

« Je veux juste que ma famille soit réunie. Je veux que nous soyons heureux à nouveau. »

« Alors, fais ce que tu peux pour réaliser cet objectif. Étudie bien et apprends ta magie. Ce sera un grand soulagement pour ton frère Rudeus et ton père, où qu’ils soient. »

« Que suis-je censée faire après ça ? Je veux dire après avoir appris ce que je peux ? »

Cliff acquiesça, s’attendant à cette question complémentaire. Se tournant vers la châsse où se trouvait le symbole sacré de l’église, il s’arrêta un moment avant de répondre.

« En fin de compte, il faut prier. Saint Millis veille toujours sur nous. »

Si Cliff s’était adressé à Rudeus, le mage aurait levé les yeux au ciel. Mais Norn n’était pas comme son frère.

Elle avait été émue par ces mots. Pour la première fois, elle sentait que les choses qu’elle avait apprises à l’église avaient vraiment un sens.

Ses professeurs, à Millis, lui avaient toujours dit de terminer chaque journée par une prière. Cela lui avait semblé un peu arbitraire à l’époque, pourquoi ne pas commencer la journée par une prière ?

Mais maintenant, elle comprenait. Il y avait une raison à cela après tout.

« Je pense que je comprends. Je vais me concentrer sur ce que je peux faire pour le moment. »

« Je suis très heureux de l’entendre. Si tu rencontres des difficultés ou si tu as besoin d’aide pour vos études, n’hésite pas à venir me voir. Je suis habituellement ici à cette heure-ci, mais tu peux aussi me trouver à mon laboratoire sur le campus. »

« D’accord. »

Norn quitta l’église ce soir-là avec un nouvel état d’esprit.

Elle avait un but maintenant. Elle allait suivre les enseignements de sa foi et devenir plus forte en l’absence de son frère. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était un début.

***

Chapitre 10 : Prédateurs naturel

Partie 1

Se téléporter, c’était comme si on se réveillait d’un assoupissement. J’avais peut-être perdu connaissance pendant un instant.

En regardant à côté de moi, j’avais vu qu’Elinalise était tout aussi surprise.

« Je suppose que nous sommes au bon endroit », dit-elle après un moment.

« Eh bien, peut-être… »

Nous étions toujours debout dans une ruine de pierre, comme avant. Et la chambre ne semblait pas particulièrement différente à première vue.

Néanmoins, après quelques secondes, j’avais commencé à remarquer de petits tas de sable dans les coins, et un manque de vignes sur les murs. La pierre était également teintée d’une couleur légèrement plus brune. Nous avions effectivement été téléportés quelque part.

J’étais sorti avec précaution du cercle magique.

Mon corps semblait fonctionner normalement. J’avais aussi mes affaires. Et je n’avais pas échangé d’esprit avec Elinalise ou autre.

Une fois que nous étions sortis du téléporteur, celui-ci avait recommencé à émettre une lumière blanche bleutée. Apparemment, il était prêt et attendait de nous renvoyer de l’autre côté.

C’était vraiment pratique, mais je n’avais pas vu de cristaux magiques alimentant cette chose. Comment obtenait-il donc le mana dont il avait besoin ? Peut-être qu’il y avait une source d’énergie enterrée sous le sol ? Et si elle faisait en sorte d’absorber le mana de l’air qui l’entoure ? S’il y avait un moyen de faire ça, je voulais vraiment le savoir.

« Oh, attends. Nous devrions vérifier que nous pouvons retourner de l’autre côté, non ? »

« Cela semble prudent, oui. »

Ce téléporteur était censé être à double sens, mais nous n’avions aucun moyen de savoir s’il fonctionnait correctement ou s’il avait des limites. Si nous avions pris un aller simple, nous devrions alors rentrer à pied par le chemin le plus difficile. Cela mettrait fin à mon plan de rentrer avant que Sylphie n’accouche.

« Je suppose que je vais… »

« Non, je vais y aller. Si je ne suis pas de retour dans quelques minutes, tu peux continuer sans moi. Je n’ai pas envie de dire à Paul que tu as disparu à cause d’un téléporteur défectueux. », dit Elinalise en me poussant doucement.

« Bon, d’accord. Je te laisse faire. »

Ça n’avait pas beaucoup d’importance à ce stade. De plus, je n’étais même pas sûr que nous étions sur le bon continent.

« OK, ne bouge pas. »

Elinalise était retournée dans le cercle magique et avait brusquement disparu. J’avais cru l’apercevoir brièvement se faire aspirer par le sol.

En y réfléchissant, c’était la première fois que je voyais quelqu’un se faire téléporter. Ces choses vous déplaçaient-elles à travers le sol ?

« … »

Pour le moment, il n’y avait pas grand-chose à faire à part attendre. Je faisais confiance à la mémoire de Nanahoshi, et d’après ce qu’elle disait, il n’y avait pas besoin d’incantation magique ou de technique spéciale pour utiliser ces choses correctement. Il y avait une chance qu’Orsted ait utilisé une sorte d’outil magique, mais nous nous en étions sortis assez facilement. Je voulais croire que le voyage de retour serait tout aussi facile.

Cinq minutes ont passé. Puis dix. Puis quinze.

« Elle prend vraiment son temps… Hmm ? »

Alors que je commençais à m’inquiéter, Elinalise était enfin réapparue. C’était comme regarder la téléportation à l’envers : elle avait surgi du sol en une fraction de seconde.

L’espace d’un instant, elle semblait un peu étourdie, mais elle hocha la tête quand elle croisa mon regard.

« Tout va bien, Rudeus. Ça marche très bien. »

« Vraiment ? Je commençais à m’inquiéter. Tu as mis plus de temps que je ne pensais. »

« Quoi ? Je n’ai pas passé plus de quelques secondes de l’autre côté. »

Le processus de téléportation n’était donc pas littéralement instantané. Mais mettre quelques minutes pour faire un voyage à l’autre bout du monde n’était pas une mauvaise affaire. On dirait qu’il y avait environ sept minutes de décalage par voyage.

Maintenant que j’y pense, j’avais entendu quelque chose sur l’incident de téléportation de Fittoans qui semblait pertinent. Il y aurait eu un délai étrange entre les disparitions et la réapparition des gens ailleurs. C’est Sylphie qui m’avait dit ça ?

La téléportation était peut-être un moyen de transport rapide, mais pas instantané. Peut-être que c’était plus comme un saut de boson.

« Eh bien, ce n’est pas grave. Tu es revenue, et c’est ce qui compte. »

« Je suppose que oui. »

Si ces choses étaient trop dangereuses, Orsted ne les utiliserait pas. Et nous avions au moins la confirmation que nous pouvions rentrer chez nous.

« Alors, on y va ? »

Quelque peu rassuré, je m’étais dirigé vers les escaliers de pierre qui menaient vers le haut.

Dès que nous avions atteint le premier étage, j’avais remarqué une forte augmentation de la température.

L’air était brutalement chaud, mais il ne me semblait pas trop humide, ce qui était logique si nous étions au milieu d’un désert, comme nous étions censés l’être.

Le premier étage était pratiquement identique à la ruine que nous avions laissée derrière nous dans la forêt. La principale différence était le sable qui recouvrait le sol et l’absence de végétation sur les murs. J’avais remarqué quelques empreintes de pas ici et là. C’étaient sûrement celles d’Orsted. Si nous nous rencontrions, je devrais ramper à ses pieds plus vite qu’il ne pourrait me tuer.

Il y avait quatre pièces ici aussi, et la disposition était identique. Dans l’une d’elles, cependant, nous avions trouvé quelques épaisses capes blanches et des gourdes. Sûrement d’autres possessions d’Orsted.

« Que devons-nous faire de nos traces de pas ? Tu penses que je devrais les effacer ? »

« Es-tu inquiet à propos de cette personne, Orsted ? Je pense qu’il est assez peu probable que nous le rencontrions… »

C’est vrai, mais j’avais quand même un peu peur. Peut-être que je devrais laisser un message ? Lui dire que Nanahoshi m’avait parlé de cet endroit et que je ne l’utilisais qu’en raison d’une urgence familiale ? Promettre de garder le secret, et le supplier de ne pas être en colère contre moi ?

… Mais encore une fois, on ne pouvait pas savoir quand il serait là la prochaine fois. Il se pourrait qu’il ne découvre jamais que nous étions venus ici, et dans ce cas, laisser une lettre ne ferait que lui attirer des ennuis. Après quelques instants, j’avais décidé de ne pas me donner la peine.

Nous avions pris le temps d’examiner les ruines, juste au cas où, mais il n’y avait rien d’autre de notable. Orsted ne rôdait évidemment pas dans les environs.

Après avoir exploré la ruine à fond, nous avions mis le pied dehors pour la première fois.

Il faisait chaud dehors. Très chaud. Et franchement, le mot « chaud » était un peu inadéquat. Le vent me faisait mal au visage.

Tout ce que je voyais devant moi était une mer de dunes ondulantes. Ça ressemblait à une des photos que j’avais vues du Sahara dans ma vie précédente.

Le soleil commençait déjà à se coucher. N’était-il pas préférable de voyager de nuit dans le désert ? Attendez, non. Peut-être que c’était plus dangereux parce que la température descendait en dessous de zéro ? Mais cela ne voulait pas forcément dire que les choses fonctionnaient nécessairement de la même manière dans ce monde…

… je crois me souvenir que les monstres du désert étaient plus actifs la nuit. Si nous errions dans l’obscurité et tombions dans une embuscade, les choses pourraient devenir risquées.

« Que penses-tu que nous devrions faire, Elinalise ? », avais-je demandé.

« Nous n’irons pas loin avant le coucher du soleil si nous partons maintenant. Il est encore un peu tôt, mais je pense que nous devrions profiter de l’occasion pour nous reposer avec un toit sur la tête. »

Nous avions finalement décidé de passer la nuit dans les ruines.

La nuit s’était avérée aussi glaciale que je l’avais craint.

Je m’étais habitué au froid dans le nord. Mais la rapidité avec laquelle la température changeait ici rendait les choses plus difficiles à supporter.

Nous étions bien pour le moment, puisque nous avions d’épais murs de pierre derrière lesquels nous abriter. Mais nous devions réfléchir à la manière de rester au chaud lorsque nous campions à l’extérieur. Peut-être pourrais-je nous fabriquer un abri temporaire avec de la magie ? La forteresse de terre était un bon sort pour ça… mais il fallait continuer à lui donner du mana, sinon elle s’effritait. En bricolant un peu, je pourrais peut-être créer une structure simple de type igloo qui se tiendrait toute seule. Ensuite, nous pourrions faire un feu à l’intérieur pour nous réchauffer. Oui, ça semblait être un bon plan.

Mais pour ce soir, nous avions décidé de nous emmitoufler dans nos sacs de couchage sur le sol. J’avais pris le temps de recharger l’outil magique d’Elinalise avant de me coucher. Pour cela, j’avais dû mettre mes deux mains sur la culotte pour y canaliser du mana. Et honnêtement, je me sentais un peu idiot.

« Rudeus, » murmura Elinalise, « si tu te retrouves à court de mana, tu peux attendre un peu avant de recharger ce truc. »

« Mais si j’arrête de lui fournir du mana, tu ne pourras plus te contenir ? »

« Ta magie va être cruciale chaque fois que nous entrons en combat. Nous devons donner la priorité à ta capacité à te battre. »

Les monstres du Continent de Begaritt n’étaient pas, en moyenne, aussi féroces que ceux du Continent Démon. Mais certains étaient censés être de force comparable. Baisser notre garde pourrait s’avérer fatal.

« Ne t’inquiète pas. Cela ne va franchement pas faire baisser ma réserve de mana de beaucoup. »

« Vraiment ? Je te jure, ton mana est comme un puits sans fond… »

« Un peu comme ta libido. »

« Oh, je ne dirais pas que je suis si excitée, mon cher. »

Si je n’arrivais pas à remplir ce truc de mana et qu’Elinalise passait en mode séductrice, on aurait des problèmes. Je ne pourrais probablement pas résister si elle m’attaquait. Il y avait trop d’excuses faciles à trouver : Juste pour cette fois. Ce sera notre petit secret. J’ai essayé de l’arrêter, mais elle a forcé les choses.

Et si je cédais à ce genre de pression, ça pourrait finir par ruiner nos vies. Je veux dire, et si elle tombait enceinte ? Cliff me détesterait pour le reste de ma vie, et Sylphie pourrait également ne jamais me pardonner. Sans parler de ce que mes petites sœurs pourraient penser.

Je savais très bien qu’aucune bonne chose ne pourrait arriver si je couchais avec Elinalise. Si on ne pouvait pas s’en empêcher, je pourrais peut-être au moins la convaincre d’arrêter à l’oral…

Ugh, non. Je ne devrais même pas penser comme ça.

J’étais moi-même un peu à bout de nerfs à ce stade. La semaine dernière, j’avais passé beaucoup de temps dans les bras d’Elinalise. Nous n’avions rien fait de sexuel, mais on ne pouvait pas reprocher à un jeune homme d’être un peu excité. Il faudrait que je m’occupe de mes propres besoins ce soir, quand je serais de garde ou autre.

« Eh bien, allons dormir, d’accord ? J’imagine que nous allons traverser ce désert pendant un certain temps, alors nous devrions économiser nos forces. »

« Oui, tu as raison. »

Même si je voulais conserver mon énergie, j’avais besoin d’en dépenser ce soir. Ce n’était parfois pas facile d’être un homme.

Plus tard cette nuit-là, alors que j’étais allongé dans les ruines, une douce odeur flotta dans l’air.

Instantanément, j’avais senti mon cœur battre la chamade dans ma poitrine.

En ouvrant les yeux, j’avais vu Elinalise grimacer dans son sommeil, son épée serrée dans ses bras.

Je m’étais surpris à étudier son cou pâle et ses mains fines. Son visage ressemblait un peu à une version plus adulte de celui de Sylphie. Elle était aussi grande et svelte. Surtout en dessous de la taille, sa silhouette était la plus parfaite que j’aie jamais vue.

Et n’était-elle pas supposée être vraiment, vraiment bonne au pieu, aussi… ?

« Hah…haah… »

Tout d’un coup, ma bûche s’était transformée en un chêne imposant, et mes pensées étaient brouillées par le désir.

« Mm… »

Elinalise s’était tortillée dans son sommeil. Sa couverture glissa, me laissant voir ainsi ses cuisses et son short en cuir moulant.

***

Partie 2

Cette femme avait un beau cul. J’avais envie de la toucher. Sans le vouloir consciemment, j’avais tendu la main. Je voulais la toucher très, très fort.

Mes doigts avaient atteint ses cuisses. Elles étaient vraiment très fines.

Elinalise émit un petit son et écarta légèrement les jambes. Essayait-elle de me séduire ou quoi ?

Il m’était de plus en plus difficile de m’en empêcher. Quelle importance, d’ailleurs ? On pouvait faire ça une fois pour toutes. Elle n’allait pas me refuser. Elle le garderait pour elle. Ce ne serait pas un problème.

« Cliff… »

Mais elle murmura ce nom dans son sommeil, me faisant ainsi reprendre mes esprits.

Je m’étais retourné, j’avais rampé hors de la pièce à quatre pattes, puis je m’étais enfui hors du bâtiment.

Je pensais que j’allais encore bien pour le moment, mais j’avais manifestement négligé les besoins de mon corps pendant trop longtemps. J’avais failli être emporté par un élan de luxure momentané. Il était grand temps pour moi de relâcher la pression, si vous voyez ce que je veux dire.

Assis au sommet d’une dune voisine, j’avais commencé à baisser mon pantalon… puis j’avais entendu un bruit. Je n’étais pas seul ici.

« … Hm ? »

Elinalise m’avait-elle suivi dehors ? En regardant autour de moi, j’avais repéré une femme très sexy qui se tenait pas très loin.

Il faisait un froid glacial ici, mais elle était habillée comme une danseuse. Ses vêtements étaient suffisamment légers pour être transparents à la lumière du jour. Elle avait des cheveux courts et bouclés, probablement de couleur noire. Il était difficile de distinguer le teint de sa peau dans l’obscurité, mais son corps brillait pâlement contre le ciel d’encre.

Plus important encore, elle avait un beau corps. Des courbes à tous les bons endroits, si vous me comprenez ? À côté d’elle Elinalise ressemblait à une planche de bois.

La femme porta un doigt à sa bouche et le lécha de façon séduisante. Je m’étais retrouvé à fixer ses lèvres, fasciné.

Lentement, patiemment, elle s’était approchée de moi. Puis elle s’était accroupie, écartant lentement ses jambes. La douce odeur que j’avais sentie un peu plus tôt s’était répandue dans l’air, bien plus forte qu’auparavant. Elle me frappa comme un raz-de-marée.

J’avais avalé bruyamment. Il y avait quelque chose de chaud qui coulait sur mon menton. Quand j’avais touché mon visage, je découvris que je saignais du nez.

« Heh heh… »

La femme tendit sa main vers moi de manière invitante. Je l’avais acceptée et je l’avais laissée m’attirer vers l’avant sur…

« Rudeus ! »

À cet instant, il y eut un cri à l’intérieur des ruines.

La femme fit un bond en arrière. Une fraction de seconde plus tard, Elinalise transperça l’air avec son épée à l’endroit où elle se trouvait. Avant que je puisse réagir, Elinalise s’était placée entre moi et la séductrice.

« Reprends-toi, imbécile ! », s’était-elle écriée.

« Hein ? »

Je ne savais pas comment réagir. Mais Elinalise était déjà en train de lever son bouclier et de foncer sur la femme.

« Keeeaaah ! »

La femme poussa un cri aigu, et ses ongles atteignirent une longueur anormale. Son corps lui-même changeait de forme. Des ailes entièrement formées jaillirent de son dos et elle les battit férocement, essayant de décoller du sol.

Elinalise était déjà sur elle. Elle fit pivoter son bouclier vers le visage de la femme et l’envoya s’écraser au sol. Et une fois qu’elle immobilisa la femme avec son pied, elle abattit son épée.

« Gyeeaaah… »

La femme poussa un dernier cri sinistre, mais Elinalise enfonça simplement la lame plus profondément.

Après un moment, elle fit un bond en arrière. La femme a eu quelques contractions et spasmes, mais elle cessa vite de bouger. Elle était morte.

« Huh… ? »

Je regardais la scène, choqué. Mon esprit ne voulait pas donner de sens à ces événements. Et mon petit gars n’était toujours pas revenu à la normale.

Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui vient de se passer ?

Alors que je restais là, stupéfait, Elinalise se retourna et me gifla.

« Réveille-toi ! Cette chose était une Succube ! »

« Hein ? Une Succube ? Attends, vraiment ? »

Cette chose morte gisant sur le sol m’avait semblé être une femme normale… même si elle avait des ailes de chauve-souris géantes et des griffes étrangement longues.

Oh. Maintenant que je la regardais de plus près, sa peau était en fait d’un bleu vif. Et son visage n’était pas non plus tout à fait humain.

Elle avait néanmoins un très beau corps. Avant sa mort, du moins. Je pourrais peut-être encore le toucher.

« Oui. C’est le premier que je vois, mais je suis sûre. Je suppose que cette odeur nauséabonde qu’ils émettent n’était pas qu’une légende urbaine. », dit Elinalise.

« Quelle odeur nauséabonde ? »

J’avais l’impression que c’était un parfum agréable, en fait. Et un peu excitant. Mais bon…

Je m’étais retrouvé à fixer Elinalise à nouveau. Elle n’avait pas beaucoup de poitrine, mais son visage était magnifique, et ses jambes étaient bien dessinées. Et ce cul, mon Dieu…

« Hmm. Elinalise, tu as un très joli corps, tu sais… »

« Quoi ? Euh, Rudeus ? Reprends-toi, s’il te plaît. »

Ce n’était pas grand-chose, hein ? Cette femme aimait coucher à droite et à gauche. Si je la complimentais assez, elle me laissait entrer dans son pantalon.

« Tu sais, j’ai toujours rêvé de faire l’amour à une fille comme toi… »

« Je vais le dire à Sylphie si tu continues comme ça. »

« Hé, ce qu’elle ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. »

Je m’étais levé et j’avais commencé à marcher lentement vers Elinalise. Celle-ci leva son bouclier et s’éloigna de moi.

« Bon sang, c’est donc vrai. Les succubes peuvent ensorceler les hommes ? », marmonna-t-elle

« Allez, ma jolie… On va s’amuser un peu… »

Elinalise fronça les sourcils, puis soupira…

« Hmph ! »

Et elle m’avait frappé le visage avec son bouclier. J’étais retombé sur le sable, des lumières clignotant devant mes yeux.

Mais cela n’avait pas d’importance. J’avais des choses plus importantes à faire. Comme faire l’amour avec Elinalise.

« Haah… haah… Allez, bébé. Tu ne le regretteras pas, je te le promets… »

« Oh, mon Dieu. Rudeus, utilise la magie de désintoxication sur toi. Et continue à l’utiliser jusqu’à ce que tu comptes dix. »

« Magie de désintoxication ? Si je fais ça, tu me laisseras te baiser ? »

« … On verra ça plus tard. Fais-le, d’accord ? »

Haletant bruyamment, j’avais commencé à lancer mes sorts de désintoxication, en commençant par les plus basiques et en progressant jusqu’aux incantations intermédiaires. Après en avoir terminé quelques-uns, mon corps s’était soudainement senti beaucoup plus léger.

« … Huh ? »

C’était comme si le brouillard dans ma tête s’était levé d’un seul coup. Le bas de mon corps était encore un peu trop actif, mais mon besoin désespéré de sexe s’estompait déjà.

J’avais regardé Elinalise. C’était une femme séduisante, c’est sûr. Mais ce furent mes seules pensées.

« J’ai entendu dire que l’odeur de la succube avait la capacité de rendre les hommes fous. Je vois que cette partie était vraie aussi. »

Elinalise avait lentement rengainé son épée, puis croisa les bras en soupirant.

« … Bon sang. »

« … »

Qu’est-ce que je faisais jusqu’à il y a un instant ?

J’avais cherché dans ma mémoire les mots que j’avais prononcés au cours des dernières minutes.

… Merde.

« Retournons nous coucher, d’accord ? Et essaie de faire un peu plus attention la prochaine fois. »

Elinalise faisait déjà demi-tour pour retourner aux ruines.

En me trémoussant maladroitement, je l’avais interpellée.

« Euh, Mlle Elinalise… Je suis vraiment désolé pour tout ça. »

Elinalise me regarda d’un air soupçonneux, puis sourit d’un air amusé en voyant ma tête.

« C’était quoi cette phrase déjà ? J’ai toujours rêvé de faire l’amour à une fille comme toi ? »

Je pouvais sentir mon visage s’échauffer. Ce n’était pas ma faute ! La succube m’a fait faire ça !

« Allez, ma jolie. Tu ne le regretteras pas ! »

« Uggghgh… »

Bon sang, c’était vraiment humiliant.

Avec un sourire en coin, Elinalise s’était approchée de moi et me donna un coup sur la tête.

« Ce n’est pas grave, je comprends. Sais-tu que ce truc a cet effet sur les gens ? Ce n’est pas ta faute. Je n’en parlerai ni à Sylphie ni à Paul. »

« Tu es une sainte, Elinalise ! »

« Essaie juste de ne pas me faire confiance trop aveuglément, d’accord ? Je peux me contrôler pour le moment, mais ma malédiction ne fera que se renforcer avec le temps. À un moment donné, je ne pourrai plus me retenir. »

« Ouais. OK. Et si ça doit arriver, on gérera. »

« Non, idiot ! Tu es censé m’arrêter si on en arrive là ! »

« D’accord, d’accord. »

Secouant la tête, Elinalise sourit doucement.

« Je crois que je vais aller dormir. Tu restes de garde pour l’instant, s’il te plaît. Oh, et assure-toi de brûler ce corps. »

« Je m’en occupe. »

Sur ce, elle était retournée à l’intérieur de la ruine. Je ne pouvais toujours pas m’empêcher de me sentir coupable de la façon dont je l’avais traitée, mais il n’y avait pas grand-chose que je pouvais faire maintenant.

Je devais brûler le corps de la Succube et enterrer ses os. De près, elle n’était pas aussi attirante, ses traits ressemblaient en fait à ceux d’une chauve-souris. Je suppose que ça avait l’air assez humain si on plissait les yeux, mais je ne comprenais pas pourquoi ça m’avait tant excité avant.

J’aurais juré qu’elle ressemblait à une belle fille au début. Peut-être qu’elle ne révélait sa vraie forme que lorsque sa vraie nature était exposée, comme les vampires dans les films d’horreur.

Pourtant, je n’avais pas imaginé cette silhouette. Il était vrai que le corps de la créature était voluptueux. C’était peut-être ça le vrai problème. À partir du cou, c’était comme une version d’Elinalise avec des ailes et beaucoup plus de poitrine.

Bon, essayons de nous changer les idées sur ce sujet. On l’a échappé belle. Si Elinalise n’avait pas surgi au bon moment, qu’est-ce que je serais devenu ? Peut-être que cette chose m’aurait pris par la main, m’aurait attiré quelque part, et m’aurait vidé de ma vie.

Ugh, bon sang… Je m’excite toujours sur les mauvaises choses…

C’était simplement une autre raison d’en vouloir à cette chose. À ce rythme, je risquais vraiment de me jeter sur Elinalise d’ici peu. Je devrais peut-être me soulager avant de retourner là-dedans.

… en gardant un œil sur les Succubes, bien sûr.

Ce n’était que notre première nuit sur le continent de Begaritt, mais ce voyage s’avérait déjà être un véritable défi.

***

Chapitre 11 : L’écosystème du désert

Partie 1

Notre traversée du désert commença le lendemain matin.

L’attaque de cette Succube m’avait au moins réveillé aux dangers auxquels nous étions confrontés ici. J’avais passé les dernières années dans une ville universitaire agréable et sûre, et cela avait pu émousser mes instincts. Ils n’étaient pas si aiguisés que ça, mais j’étais devenu un peu trop détendu.

Nous étions sur le Continent de Begaritt maintenant. Cet endroit était loin d’être aussi sûr que le Continent Central. Il fallait que je me mette dans le bain, sinon on allait se faire tuer tous les deux.

« Essayons de rester couverts pour l’instant. Assure-toi également de t’hydrater. Fais-moi savoir si ta gourde est à sec. », avais-je suggéré alors que nous nous mettions en route.

« Bien sûr. »

Nous portions tous les deux des manteaux et avions des foulards sur nos têtes. Exposer la moindre peau pouvait être dangereux par ici. Si nous avions emmené Cliff, j’avais le sentiment qu’il se serait plaint d’être si bien emmitouflé par cette chaleur.

Bien que nous soyons au milieu d’un désert, je pouvais remplir notre réserve d’eau avec de la magie chaque fois que c’était nécessaire. Cependant, ni moi ni Elinalise n’avions l’expérience de ce genre de terrain et nous ne pouvions pas savoir ce que nous trouverions sur la route qui nous attendait. Il y avait par exemple un risque que je prenne un coup de chaleur et que je me retrouve incapable d’utiliser un quelconque sort. Nous devions être prudents.

« Je mets donc le cap au nord ? », dit Elinalise.

« Oui, s’il te plaît. »

La carte de Nanahoshi indiquait que la ville la plus proche se trouvait dans cette direction, même si elle était au mieux approximative.

Elinalise n’avait pas besoin de boussole pour nous orienter. C’était une capacité elfique relativement connue. Ils n’avaient jamais perdu leur sens de l’orientation, même dans des forêts si épaisses qu’on ne pouvait pas voir le soleil. Avec cette capacité, ainsi que les compétences qu’elle avait acquises au fil des ans, j’étais sûr qu’elle nous garderait sur la bonne voie, quels que soient les obstacles que nous rencontrerions.

En y réfléchissant, j’avais rencontré pas mal de gens qui pouvaient trouver leur chemin sur un terrain difficile en n’utilisant rien d’autre qu’une carte de base. Je suppose que c’était une compétence que l’on développait avec suffisamment de pratique.

« Il fait cependant vraiment chaud ici… », dit-elle en soupirant.

« Je pourrais essayer de faire tomber une pluie battante autour de nous, si tu veux. »

« N’essayons pas, mon cher. Cela attirerait probablement des hordes de monstres. »

Les animaux du désert étaient toujours à l’affût de sources d’eau. Cette pensée me rappelait les hordes de lézards qui avaient émergé pendant la saison des pluies dans la Grande Forêt. Pourtant, j’avais entendu dire que les monstres de ce continent ne supportaient pas le froid. Si jamais nous étions envahis, je pourrais essayer de geler l’air autour de nous… à condition de ne pas blesser Elinalise par accident.

Mais pour l’instant, je me contentais de la suivre.

C’était la première fois que je marchais dans un désert. J’avais l’impression que mes pieds s’enfonçaient dans le sol à chaque pas. Heureusement, j’avais l’habitude de me déplacer dans la neige dans les Territoires du Nord. Ce n’était pas exactement la même chose, mais ma capacité à marcher légèrement était toujours utile. J’avais l’impression que je pourrais continuer toute la journée sans trop m’épuiser.

Cet optimisme initial s’était cependant avéré être un peu erroné. Quelques heures plus tard, j’étais de plus en plus épuisé. Le soleil qui nous frappait était le principal problème… Ça et les vents brûlants qui me soufflaient au visage. Je pouvais voir que ma température était élevée, et je commençais à me sentir un peu étourdi.

Je me réhydratais aussi souvent que possible, mais cette sensation de fatigue augmentait toujours rapidement. J’aurais peut-être dû finalement faire apparaître un ou deux nuages au-dessus de nous.

En comparaison, Elinalise était encore étonnamment en bonne forme.

« Tu n’as pas autant d’endurance que je le pensais, Rudeus. »

« Le sable n’est pas un gros problème, puisque j’ai l’habitude de marcher dans la neige… mais cette chaleur est vraiment brutale. »

« Pour être honnête, je suppose que Cliff ou Zanoba se seraient déjà effondrés. Ne pas les emmener avec nous était la bonne décision. »

Je n’avais jamais cessé de m’étonner de la résistance monstrueuse des guerriers de ce monde. Peut-être que cette endurance anormale avait quelque chose à voir avec cette aura de combat ? J’étais plus qu’un peu jaloux.

En tout cas, cette chaleur était une mauvaise nouvelle. J’avais l’impression que la sueur s’évaporait avant même de pouvoir couler sur mon visage.

Dans les Territoires du Nord, le froid était le principal problème. À l’époque, je pouvais générer une poche de chaleur autour de moi en utilisant la magie, une application pratique du sort Brûler sur place. Peut-être y avait-il une variation qui rendrait cet endroit plus tolérable.

« Oh, c’est sympa et cool. As-tu fait quelque chose, Rudeus ? », dit Elinalise.

« Oui, j’essaie de faire baisser un peu la température autour de nous. »

Après quelques essais et erreurs, j’avais réussi à refroidir les choses d’environ cinq degrés Celsius. Mais il faisait toujours aussi chaud. Le soleil était trop puissant. J’avais une épaisse capuche, mais j’avais toujours l’impression que le sommet de ma tête était en feu. Peut-être aurions-nous dû apporter des parasols.

Pour l’instant, j’avais complété mon sort de refroidissement en gelant magiquement l’eau contenue dans l’une de mes gourdes et en la glissant dans mes vêtements. Je pourrais la recongeler quand la glace fondrait.

Ces ajustements avaient rendu les choses un peu plus tolérables. Ce n’était pas confortable, mais je pouvais supporter la chaleur.

Nous avions rencontré de nombreux monstres ce premier jour.

La première créature que nous avions rencontrée était un scorpion géant d’environ deux mètres de long. Sa queue était divisée en deux, et il pouvait fouetter les deux côtés indépendamment l’un de l’autre. Elinalise m’avait dit par la suite qu’on l’appelait le scorpion de la mort jumelle. Sa piqûre dégageait un poison très dangereux qui ne pouvait être soigné que par une magie de désintoxication de niveau intermédiaire. Le fait d’avoir pris le temps d’apprendre ce niveau me rendit alors heureux.

La créature avait une carapace relativement solide, mais elle n’était pas très agile. Elinalise l’immobilisa et je l’abattis avec un canon de pierre en deux secondes environ. Cette chose était censée être un monstre de rang B, mais elle ne représentait aucune menace pour nous. On avait bien travaillé ensemble.

Mais si Elinalise avait été seule ici, elle aurait eu plus de mal. Je n’étais pas sûr que ses attaques puissent faire beaucoup de dégâts sur un ennemi lourdement protégé.

« Ouf. C’est vrai qu’elles sont grosses, ces choses-là, non ? », dit Elinalise.

« Je ne sais pas. Ça m’a paru assez normal. »

« C’était à peu près de la même taille que les monstres du Continent Démon, non ? »

« Oui, je suppose que tu as raison. »

Les monstres du Continent de Begaritt n’étaient pas censés être comparables à ceux du Continent Démon. Et le fait que le premier qu’on ait rencontré soit si grand était étrange. Je m’attendais à quelque chose de la moitié de cette taille.

« Peut-être que les scorpions sont juste anormalement grands ? », se risqua Elinalise.

« Bien sûr, peut-être. Parfois, on tombe tout de suite sur les monstres les plus dangereux, non ? »

« Je dirais que ce n’est pas la normalité. »

« Hmm. Peut-être que les monstres de cette région sont plus forts. »

« Cela semble un peu plus probable. »

Malgré tout, nous avions continué à avancer à notre rythme habituel.

Le prochain monstre que nous avions rencontré était un Tréant, un ennemi commun cette fois. Mais ce n’était pas une sorte d’arbre ambulant. Il s’agissait d’un Cactus Tréant vert hérissé. C’était un monstre de rang C capable de tirer des aiguilles sur ses ennemis et d’utiliser la magie de terre de base. Mais une fois de plus, il ne nous posa pas beaucoup de problèmes.

« C’est presque rassurant de tomber sur un Tréant, non ? », dit Elinalise en essuyant sa lame après que nous ayons terminé.

« C’est vrai. Ils sont vraiment partout, n’est-ce pas ? Presque comme les slimes. »

« Hm ? Des slimes ? Mais ils ne vivent qu’au fond des grottes. »

« Désolé, ignore-moi. De toute façon, c’est dommage que ceux d’ici soient des cactus, pas des arbres. On ne peut pas vraiment utiliser leurs corps comme bois de chauffage. »

« Oui, et j’imagine qu’ils sont sûrement saturés d’eau. Ça pourrait être utile en soi, mais nous avons déjà notre magie. »

À présent, Elinalise pouvait elle-même utiliser des sorts de base de la magie de l’eau. J’avais supposé qu’elle séchait tous ses cours, mais je suppose qu’elle avait réussi à apprendre ce dont elle avait besoin.

La menace suivante était arrivée soudainement et sans prévenir.

« Nous sommes attaqués ! », cria Elinalise en bondissant à mes côtés.

Une fraction de seconde plus tard, quelque chose de gigantesque surgit du sol juste devant l’endroit où elle se tenait. C’était un ver. Un ver extrêmement grand, peut-être un mètre d’épaisseur et au moins cinq mètres de long. Il émit un étrange aboiement dans les airs, puis s’enfonça dans le sable et disparut.

« Mon Dieu, j’ai eu peur… », dit-elle.

« C’était quoi cette chose, Elinalise ? »

« Je suppose que c’est un ver des sables. Et un très gros. »

Les vers des sables étaient des monstres qui attendaient patiemment sous le sable, puis surgissaient pour attaquer lorsqu’une proie passait à proximité. Je n’en avais jamais vu auparavant, mais apparemment il y avait des créatures similaires dans la Grande Forêt. Leurs tailles étaient cependant très différentes. Les créatures de la forêt ne mesuraient que vingt à trente centimètres d’épaisseur et pouvaient, au pire, vous arracher une jambe.

« J’ai entendu dire qu’il y en avait aussi des gros sur le Continent Démon. Tu n’en as jamais vu ? », dit Elinalise.

« La plupart des monstres que j’ai croisés là-bas n’étaient que des serpents et des loups. Oh, ça et une espèce d’armure de marche bizarre. »

« Une armure de marche ? C’était quoi, un briseur d’âme ? »

« Non, ils appelaient ça un Bourreau. C’est celui avec la grande épée. »

« Ah, c’est une variété plus forte. Tu ne veux pas tomber sur l’un d’eux quand tu es seul. »

Il semblerait que les Vers des Sables ici étaient aussi inhabituellement grands. J’avais aperçu cinq mètres de son corps, mais le reste était encore sous terre; il pouvait faire jusqu’à dix mètres de long au total. Cela les rendait assez grands pour avaler un homme en entier. Si vous vous promenez sur l’un d’entre eux sans le remarquer, c’était comme si vous marchiez sur un piège mortel.

Pourtant, ils ne représentaient pas un grand danger tant que vous pouviez éviter leur attaque initiale.

J’avais baratté le sol où le Vers des Sables était enraciné, le découpant avec des lames de sable durci. Il était mort sans même pousser un cri. Une petite flaque de liquide s’était formée autour de la partie de son corps qui avait éclaté à la surface.

« S’il y a des vers aussi gros par ici, je me demande comment sont les papillons », avais-je pensé.

« C’est peut-être pour ça qu’on appelle les Succubes. Elles ressemblent un peu à des papillons de nuit, non ? »

« Ha ha. Ça veut dire que tu as commencé par être un insecte, Elinalise ? »

« Heh, eh bien… on a tous nos débuts difficiles, tu sais. »

Hmm. Elle ne niait donc pas qu’elle était une Succube. Maintenant, j’étais curieux à propos de ses années chenilles. Traînait-elle à la bibliothèque de l’école avec une grosse paire de lunettes ringardes ? Travaillait-elle dans les champs dans une paire de salopettes sales ?

Dans tous les cas, j’avais le sentiment que Cliff serait très excité s’il pouvait voir une photo. Ça faisait toujours plaisir à un homme de voir un côté inattendu de la fille qu’il aimait.

***

Partie 2

Les derniers monstres que nous avions rencontrés ce jour-là étaient un groupe de fourmis. Nous les avions repérées après avoir traversé une dune particulièrement grande. L’instant d’après, Elinalise me jeta au sol. Nous avions fini par glisser à mi-pente de la colline que nous venions de gravir.

« Hé ! Qu’est-ce que tu fais ? »

« C’est une armée de fourmis phalanstériennes ! »

Ça ne voulait pas dire grand-chose pour moi. Mais j’avais suivi l’exemple d’Elinalise, en rampant lentement vers la dune. Cela impliquait de fixer ses fesses pendant un bon moment. C’était toujours un plaisir pour les yeux. Est-ce que Sylphie allait finir par s’arrondir comme ça dans quelques années ? Ses fesses étaient belles comme elles étaient, mais j’aimerais bien en avoir plus.

« Tais-toi, Rudeus. Nous ne voulons pas les provoquer. »

En nous plaquant contre la pente de la colline, nous avions regardé par-dessus la crête les fourmis phalanstériennes en contrebas, des créatures rouge vif, marchant en formation ordonnée. Chaque fourmi mesurait entre trente centimètres et un mètre. Certaines étaient plus grandes que d’autres, d’autres encore étaient nettement plus petites. Il y en avait aussi de différentes formes. J’en avais vu quelques-unes avec des ailes, et même quelques-unes qui avaient un corps inférieur étrangement humain.

Malgré les variations dans leurs rangs, les créatures marchaient d’un pas décidé vers la même destination. C’était en fait une rivière de fourmis militaires surdimensionnées, la ligne s’étendait à perte de vue de chaque côté. Je ne pouvais même pas deviner combien ils étaient.

« Vu leur taille et leur nombre, c’est une menace de rang S », dit Elinalise.

« Wôw, vraiment ? Tu peux m’expliquer ? Je suis un peu curieux. »

« Les fourmis phalanstériennes sont l’un des monstres les plus dangereux qui existent. Elles sont connues pour leur appétit insatiable et leur capacité à consommer tout ce qui se trouve sur leur chemin. Celles-ci sont aussi particulièrement massives. Elles doivent être une espèce unique sur ce continent. »

Il semblerait que les fourmis phalanstériennes étaient des versions mutantes d’une espèce plus typique de fourmis militaires. Contrairement aux autres fourmis, elles n’établissaient pas de colonies statiques mais passaient leur vie en mouvement constant, mangeant tout sur leur passage. Elles avaient un certain nombre de prédateurs naturels, mais leur nombre les rendait capables d’écraser tout ennemi terrestre, même les dragons errants. À certains intervalles, ils interrompaient leur voyage pour faire un nid temporaire, où ils se reproduisaient, renouvelant leur nombre avec la génération suivante. Un comportement similaire à celui des fourmis militaires normales.

Cependant, comme il s’agissait de monstres plutôt que d’animaux normaux, ils étaient plus intelligents et plus agressifs que les espèces dont ils étaient issus. Si nous commencions à nous promener tranquillement le long de la dune, elles nous envahiraient en un clin d’œil, même si nous n’étions pas agressifs envers elles.

« Aucune des fourmis individuelles n’est aussi puissante. Celles qui sont là en bas sont probablement de rang E. Peut-être D ou C pour les plus grosses. »

« Eh bien, le rang C n’est pas à dédaigner… »

Et d’après l’apparence des choses, il y en avait des milliers et des milliers. Le danger que représentait un monstre n’était de toute façon pas évalué à la va-vite, il faut prendre en compte leur tendance à se déplacer en groupe. Même les monstres de rang D ou C seraient une menace de rang A si vous en réunissiez une douzaine. Dans un groupe de milliers de personnes, ils seraient certainement de rang S.

J’avais joué à quelques jeux vidéo dans mon ancienne vie où l’on combattait des fourmis trois fois plus grosses qu’un être humain, mais il n’y avait pas vraiment besoin qu’elles soient aussi grosses. Surtout si l’on considérait à quel point les monstres étaient rapides et puissants pour leur taille.

« Oh ! Ça doit être la reine. »

Elinalise pointa du doigt une fourmi particulièrement grande parmi la foule. Elle mesurait au moins deux mètres de long et avait le haut du corps d’une femme humaine. Ça me rappelait un peu un boss dans un vieux jeu de rôle auquel j’avais joué une fois.

Dans mon ancien monde, même la reine des fourmis de l’armée ne mesurait que 15 millimètres. Ces choses devaient être, quoi, cinquante fois plus grandes ? C’était vraiment effrayant. Il y avait beaucoup de monstres qui se déplaçaient en grands groupes ici, et ils avaient tendance à être très bons pour travailler ensemble dans la bataille. Si je lançais un sort d’attaque, ils se formeraient probablement en parfaite armée romaine et me chargeraient de tous les côtés. Pour ce que nous en savons, il pourrait même y en avoir avec des attaques à longue portée ou magiques.

Peut-être aurions-nous une chance si j’utilisais un sort massif pour les frapper tous en même temps ? Non… Si j’essayais de lancer une bombe nucléaire de cette taille, elle finirait probablement par nous frapper aussi.

« Euh, Rudeus ? Pourquoi as-tu l’air de te préparer à te battre ? »

« Quoi ? Je ne le fais pas. »

« Eh bien, tu es clairement en train de penser à comment tu vas essayer de les tuer. »

C’était vraiment écrit aussi clairement sur mon visage ? J’étais quoi, une sorte de barbare assoiffée de combat ?

« Désolé. Je pensais juste à comment m’enfuir s’ils nous remarquaient. »

« Très bien… mais on va rester assis ici et attendre que toute l’armée défile, tu comprends ? »

« D’accord, compris », avais-je dit avec un hochement de tête.

Ce n’était pas comme si j’allais avoir une EXP pour avoir écrasé un demi-million de fourmis tueuses. Les parties de leur corps pouvaient valoir quelque chose en tant que matière première, mais je ne pouvais pas m’imaginer traîner ces lourdes carapaces avec une chaleur pareille. Et notre objectif était d’arriver à Rapan le plus vite possible, pas de nous faire un nom en tant que tueurs de fourmis.

C’était essentiellement une mission de reconnaissance. Je devais m’en souvenir.

Il fallut attendre environ une heure, mais finalement l’armée massive de fourmis finit de défiler devant notre position.

Dans le désert, le soleil devenait rouge quand il se couchait. Le sable s’était mis à renvoyer des lueurs pourpres, et des mares d’ombre s’étaient formées sous les dunes, transformant la scène d’un brun sableux monotone en un motif saisissant de rouge vif et de noir. C’était comme si nous étions entrés dans un autre monde.

Mais un désert restait un désert. Le Sahara, dans mon ancien monde, devait avoir des nuits qui ressemblaient également à ça.

« La température baisse rapidement. Nous pourrions faire plus de progrès dans la nuit. », avais-je dit.

« Je suppose que tu as raison. Continuons à avancer pour le moment. »

« Bien sûr, je suis… Hmm ? »

Alors que nous parlions, j’avais entendu quelque chose voler dans l’air à proximité. En levant les yeux, j’avais repéré un groupe de chauves-souris d’environ 50 centimètres de long. Elles battaient bruyamment des ailes et tournaient autour de la zone. Je n’en avais pas remarqué pendant la journée, elles sortaient probablement la nuit pour se nourrir d’insectes ou de lézards.

« Ce sont des chauves-souris géantes, Rudeus. »

« Oh, ce sont des monstres ? »

« Un cas limite, mais elles se déplacent en groupe. Nous devrions être prudents. »

En tant que monstre, la chauve-souris géante était probablement une menace de rang F, ou peut-être de rang E si vous en aviez un essaim assez important. Elles n’avaient pas beaucoup d’atouts offensifs ou de pouvoirs magiques et n’étaient pas agressives envers les humains. Le principal problème semblait être le suivant : tous les battements d’ailes pouvaient devenir ennuyeux.

« Huh ? A-attends, c’est quoi le problème avec ces choses ?! »

Pour une raison ou une autre, ces créatures s’étaient regroupées autour d’Elinalise. Elles n’avaient pas l’air de l’attaquer, mais elles l’avaient pratiquement encerclée. Ce sont peut-être tous des mâles ?

« Hé ! Rudeus ! Ne te contente pas de regarder. Aide-moi ! »

« Oui, bien sûr. »

Elinalise avait beau être agile, elle ne pouvait pas continuer à avancer avec un mur de chauves-souris autour d’elle. Il faudrait que je les fasse toutes tomber avec une petite tornade ou quelque chose comme ça.

« Hm ? »

Mais au moment où je me préparais à lancer mon sort, j’avais remarqué une silhouette particulièrement grande à l’intérieur de l’essaim de chauves-souris. C’était une figure humanoïde avec des ailes de chauve-souris, et elle sautillait vers nous d’une manière étrangement fluide… et il y avait un soupçon de quelque chose de sucré dans l’air.

C’était une Succube.

« Oh, merde ! Canon de pierre ! »

J’avais lancé ma grosse pierre dure en plein sur la petite séductrice. Grimaçant de douleur, elle s’était agrippée au ventre, fit un bond en arrière, puis s’enfuit. J’avais inconsciemment réduit la puissance du sort à un niveau non mortel. C’était difficile pour moi de tuer quelque chose qui avait l’air si humain.

***

Partie 3

Il fallait se rendre à l’évidence : je n’étais pas fait pour être un exterminateur de succubes. Je ne pouvais pas me résoudre à tuer ces choses, et chaque fois que je sentais leur odeur… ou leurs phéromones, ou quoi que ce soit d’autre… je perdais un peu le sens des réalités. Si je me retrouvais en combat rapproché avec l’une d’entre elles, elles me battraient facilement.

Bien sûr, tant que j’avais l’avantage de la distance, je pouvais les éliminer d’un seul coup de canon de pierre. Si je pouvais les voir venir, elles n’étaient pas une menace.

En termes de capacité de combat, une Succube était probablement l’équivalent d’un monstre de rang E, mais elle était généralement classée rang C à la place. Sa capacité à hypnotiser la rendait puissante.

Heureusement que je n’étais plus vierge. Si je n’avais pas ces doux souvenirs de mes nuits avec Sylphie, je n’aurais pas eu la moindre chance contre ces choses.

Même dans ma vie antérieure, j’avais un faible pour les succubes. Celles de ce monde avaient tendance à porter une tonne de maquillage, mais cela ne me dérangeait pas, tant qu’elles ne laissaient pas voir ce qu’il y avait vraiment sous la peinture. Vous deviez juste vous laisser bercer par l’illusion.

Pour faire court, ce n’était pas ma faute si j’étais vraiment excité, que j’avais alors attrapé Elinalise par-derrière après avoir éliminé les dernières chauves-souris géantes. J’étais victime des circonstances.

« Hé ! Rudeus ? Reprends-toi ! Utilise ce sort de désintoxication ! Gah, arrête de te frotter contre moi ! »

« Allez ! S’il te plaît ? Juste un peu ? Je ne vais même pas le mettre à fond ! Pourquoi n’utiliserais-je pas la porte de derrière ? Ça ne compte pas comme de la triche, hein ?! »

« Arrête de faire l’idiot ! »

« Guhoh ! »

Mon tâtonnement persistant s’était terminé par un coup de bouclier vicieux. Si Elinalise était un personnage de LN, on l’appellerait probablement « héroïne violente et enfantine » sur Internet. Bon ce n’était pas comme si ce n’était pas totalement justifié.

En tout cas, la douleur m’avait redonné un peu de raison et j’avais utilisé mon sort de désintoxication.

« Haa… haa… désolé pour le dérangement, Elinalise… »

« Ce n’est pas grave. C’est la faute du monstre, pas la tienne. »

Franchement, l’endroit où j’ai été giflé était vraiment douloureux… elle balance ce truc comme une massue…

« Honnêtement, j’espère que c’est la dernière fois que l’on voit ces horribles créatures… Ugh, maintenant tu me mets dans tous mes états. »

Elinalise secoua vigoureusement la tête en faisant claquer ses joues rougies. Mes rituels d’accouplement avaient apparemment fait des dégâts cette fois-ci. En fin de compte, c’était la faute de la Succube, mais cela n’avait pas d’importance. Elle avait raison de me frapper.

Ma mâchoire allait être douloureuse pendant un moment, mais ces choses arrivent.

« Ces chauves-souris semblaient être sous le contrôle de la Succube ? »

« Je suppose que oui. »

Le Continent Central avait des monstres qui commandaient aussi des monstres plus faibles. Le premier monstre que j’avais vu dans ce monde était en fait l’un d’entre eux. Comment s’appelait-il, déjà ? … Comme je ne l’avais vu qu’une fois, j’avais dû oublier. C’était une sorte de créature ressemblant à un sanglier qui marchait sur deux jambes.

Apparemment, les Succubes pouvaient contrôler des essaims de chauves-souris géantes de la même manière. Quand elles voyaient des hommes et des femmes voyager ensemble, elles ordonnaient aux chauves-souris d’attaquer les femmes, et en profitaient pour séduire les hommes. Elles ramenaient les hommes dans leurs repaires, où elles les essoraient et les mangeaient littéralement.

Je pourrais abattre ces choses à distance avec une seule attaque, mais un épéiste ou un guerrier habitué au combat de mêlée aurait probablement de gros problèmes. Comment faire face à cette odeur de près ? Plus le combat durait, plus il était difficile de se concentrer. Même le chevalier au cœur le plus pur finirait par tomber à genoux.

Les homosexuels étaient probablement les seules personnes qui avaient une chance de se battre.

« … Qu’est-ce que c’est cette fois ? »

Peu de temps après notre combat contre la Succube, un lézard à deux pattes ressemblant à un vélociraptor apparut au-dessus d’une dune voisine. D’autres suivirent rapidement, et se dirigèrent bientôt vers nous.

Ils n’étaient pas particulièrement grands, mais il y en avait plus d’une douzaine. Quelques-uns s’étaient immédiatement dirigés vers les chauves-souris géantes tombées et commencèrent à se nourrir d’elles.

« Je n’ai jamais vu ces choses auparavant », dit Elinalise en levant son bouclier.

J’avais également préparé mon bâton et observé les créatures avec attention.

« Je suis surpris. Je croyais que tu connaissais toutes les créatures, Elinalise. »

« Tu sais, je ne suis pas une chercheuse de monstres professionnelle. »

Pour une fois, Elinalise n’avait pas pu citer le nom de l’ennemi que nous avions affronté. Cela signifiait probablement qu’il s’agissait d’une espèce que l’on ne trouvait que sur le Continent de Begaritt.

Lorsqu’ils nous avaient repérés, les lézards sifflèrent bruyamment, quelques-uns sautèrent pour attaquer. Il semblerait qu’ils essayaient de protéger leur repas plus qu’autre chose. Mais ce n’était pas comme s’ils l’avaient vraiment mérité, vu que nous avions tué les chauves-souris.

Les lézards étaient rapides et avaient des griffes acérées, mais ils n’étaient pas particulièrement dangereux. À nous deux, nous en avions éliminé sept en quelques secondes, réduisant leur nombre à une dizaine. Les survivants, réalisant le danger qu’ils couraient, s’étaient éloignés de nous avec prudence.

Il semblerait plus facile d’éliminer les survivants avec un seul gros sort de Terre, mais…

« Rudeus ! Fais attention ! Quelque chose d’énorme arrive ! »

Un groupe de monstres plus grands s’était approché de nous pendant le combat. C’était des poulets géants, d’environ cinq mètres de haut, en gros des dinosaures à plumes. Leurs crêtes étaient d’un rouge éclatant et effrayant.

Apparemment, ces choses étaient des prédateurs naturels des « velociraptors ». La meute attaqua immédiatement les lézards, tuant la plupart d’entre eux et faisant fuir les autres frénétiquement. Les poulets consommèrent violemment leurs victimes sur place.

« Ça doit être une variété de Garuda… »

À lui seul, un Garuda était considéré comme un monstre de rang C, mais ceux qui se déplaçaient en meute étaient généralement classés comme des menaces de rang B. Ceux-là étaient exceptionnellement grands. Nous étions probablement dans le territoire du rang A ici. Mais comme leur combat contre les rapaces se déroulait à une certaine distance de nous, les poulets surdimensionnés se contentaient de lancer quelques cris menaçants dans notre direction plutôt que d’attaquer.

Les quelques lézards survivants tentaient toujours désespérément de s’échapper, mais ils ne tiendraient pas longtemps à ce rythme. Et une fois que le Garuda aura fini de les manger, ils se tourneront probablement vers nous. Nous pourrions être en mesure de les gérer, mais…

« Partons d’ici pendant qu’il en est encore temps, Rudeus. Quelque chose de plus gros arrive. »

Les sens aiguisés d’Elinalise avaient déjà repéré un prédateur vraiment massif qui approchait derrière les poulets monstrueux.

« Entendu. »

Alors que nous battions en retraite, Elinalise réussit à attraper un des plus petits cadavres de lézard pour l’emporter avec nous. Il serait probablement meilleur à manger que les chauves-souris.

Après avoir mis une certaine distance entre nous et le lieu de notre bataille avec les lézards, nous avions trouvé un endroit tranquille pour faire un abri temporaire. Ce fut là que nous avions passé le reste de la nuit.

Plutôt que de compter sur nos provisions, nous avions décidé de cuisiner et de manger le lézard mort cette nuit même. Nous avions encore beaucoup de nourriture, mais tout aventurier digne de ce nom essayait de compléter ses provisions quand il le pouvait.

Aujourd’hui, nous avions appris que le désert était un endroit très différent la nuit. Une fois le soleil couché, les monstres continuaient à arriver. Si nous nous étions arrêtés pour combattre le Garuda, nous nous serions probablement retrouvés face à une nouvelle menace quelques minutes plus tard.

Elinalise supposa que les phéromones de la Succube avaient attiré les autres créatures à cet endroit. L’odeur était douce pour les mâles et insupportable pour les femelles. Il était difficile de dire si cela s’appliquait aussi aux monstres, mais peut-être avaient-ils appris qu’il y avait des proies à trouver en suivant cette odeur.

Et bien sûr, les Succubes ciblaient les hommes… ce qui signifiait que les groupes de personnes attiraient naturellement des essaims de monstres dans ce désert. La première Succube que nous avions rencontrée n’avait pas amené de chauve-souris géantes ou d’autres créatures avec elle, mais il y avait une barrière magique qui protégeait cette zone. Peut-être que cette Succube avait réussi à se glisser seule à l’intérieur.

Oh, merde. Et si c’était un ami d’Orsted ou autre ?

N-nah, ça ne peut pas être vrai… elle ne m’aurait pas juste attaqué dans ce cas. Il aurait demandé si je le connaissais ou quelque chose comme ça, non ?

Attendez un peu. Et si c’était juste un gros malentendu culturel ? Et si c’était juste la façon dont une Succube disait bonjour ? Au Japon, les gens aimaient apprendre à connaître quelqu’un en prenant un bain avec lui. Les étrangers n’avaient jamais pu comprendre ça. Peut-être que c’était quelque chose de similaire.

Ce serait donc vraiment malheureux. Je pourrais avoir accidentellement tué une vieille amie d’Orsted. Est-ce qu’il était trop tard pour revenir en arrière et lui creuser une sorte de tombe ? Il serait peut-être moins scandalisé si on lui montrait un peu de respect…

Non, non. S’il avait posté un gardien là-bas, Nanahoshi l’aurait mentionné. Et grâce à sa malédiction, la plupart des gens détestaient instinctivement Orsted. Cela s’appliquait probablement aussi aux monstres humanoïdes.

Tout bien considéré, ce n’était probablement qu’une coïncidence.

« Fwaaah… Je dois dire que le Continent de Begaritt n’est pas vraiment comme je l’avais imaginé. »

Le bâillement d’Elinalise résonna dans notre petit abri. J’enviais sa capacité à se détendre. Elle serait peut-être un peu moins insouciante si elle avait la moindre idée de ce qu’était Orsted.

Mais je pensais trop à ce moment-là. Nous ne pouvions pas commencer à nous inquiéter de savoir si chaque monstre que nous rencontrions était en fait l’ami de quelqu’un. Cette chose avait essayé de me manger. Nous nous étions défendus pour nous protéger. C’était aussi simple que ça.

Repoussant cette pensée improductive, je m’étais tourné pour répondre.

« Oui, c’est ce que je suppose également. Il y a beaucoup plus de monstres que je ne le pensais. »

En termes de taux de rencontre, cet endroit semblait encore pire que le Continent Démon. Espérons que nous n’avions pas merdé et atterri sur le Continent Divin par erreur.

« Eh bien, on s’en sort bien pour l’instant, c’est ce qui compte. »

« Bien sûr. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut être négligents. »

« Je n’ai pas besoin que tu me dises ça, mon cher. Mais si nous continuons à faire ce que nous avons fait aujourd’hui, nous devrions être en mesure de faire face à tout ce qui nous attaque. »

« Assure-toi juste d’être prête à faire face à ça si une Succube m’attrape encore, ok ? »

« Et si tu faisais un peu plus attention ? »

Notre premier jour dans le désert était enfin terminé. Et franchement, on aurait dit qu’il avait duré une semaine.

Une longue route devant nous nous attendait.

***

Chapitre 12 : Traversée du désert

Partie 1

Notre deuxième jour sur la route n’avait pas été moins mouvementé. En fait, nous avions rencontré encore plus de monstres. Malgré l’aspect stérile de ce désert, celui-ci grouillait de créatures.

Les vers de sable étaient particulièrement méchants. Ils ne représentaient pas une réelle menace si on restait vigilant et qu’on les repérait à l’avance, mais parfois, d’autres choses exigeaient notre attention. Comme les monstres, par exemple. À un moment donné, nous étions tombés sur un ver de sable alors que nous étions en train de repousser un scorpion jumeau de la mort. La chose m’avait avalé en un instant et avait commencé à me traîner sous terre. Aussi surpris que je l’étais, j’avais réussi à lancer instantanément le sort intermédiaire Tranche-vent pour le déchirer de l’intérieur.

Après avoir utilisé la magie de Terre pour remonter à la surface, j’avais constaté qu’Elinalise avait été touchée par les dards venimeux du scorpion. Elle était à genoux et son visage était violet. Elle avait été tellement effrayée de voir le Ver de Sable m’avaler qu’elle avait perdu sa concentration. J’avais rapidement tué le scorpion et utilisé ma magie de désintoxication pour lui sauver la vie.

Franchement, aucun de nous n’avait vraiment merdé cette fois. Nous avions juste été malchanceux.

« Beau travail pour nous sortir de ce pétrin, Rudeus. Je vois pourquoi tu as acquis une telle réputation d’aventurier. »

Elinalise ne me reprochait certainement pas la situation, même si elle avait failli mourir et que c’était moi qui avais été le plus négligent. Cette femme était assurément mature.

« N’aie pas l’air si malheureux, d’accord ? Peu importe à quel point tu es alerte, parfois les circonstances ont raison de toi. Nous avons réussi à nous en sortir, et c’est ce qui compte. », dit-elle.

Le risque d’échec était toujours présent — tout comme celui de la mort. Elinalise en était consciente depuis le début.

Heureusement, ce fut la seule fois où nous avions été confrontés à un réel danger ce jour-là. Nous avions aperçu un monstre colossal au loin à un moment donné. Il avançait lentement, mais chaque pas qu’il faisait soulevait un énorme nuage de sable visible même à grande distance. Cette chose devait mesurer des centaines de mètres. C’était difficile à décrire. Je suppose qu’on pourrait dire que c’était comme une baleine bleue avec des jambes d’éléphant.

« C’est un Béhémoth, Rudeus. »

« Huh. Tu en as déjà vu un comme ça, Lise ? »

« Oh ? Quelqu’un est devenu un peu plus décontracté tout d’un coup. »

« Je n’en sais rien. J’essaie juste d’être respectueux avec mes aînés. »

« Tu sais que Zanoba est aussi plus âgé que toi ? »

« Bien sûr, mais c’est un grand enfant… »

Apparemment, le Béhémoth était l’un des monstres les plus célèbres de ce continent. Leur longueur allait de cent à mille mètres.

On ne savait pas exactement ce qu’ils mangeaient, mais ils n’avaient jamais été aperçus que dans le désert. Pour des monstres, ils étaient même plutôt pacifiques, et avaient tendance à laisser les gens tranquilles à moins d’être attaqués.

Quelques aventuriers avaient prétendu en avoir tué un et avoir trouvé un grand nombre de pierres magiques dans son ventre. En entendant ces rumeurs, certaines personnes avaient essayé de les chasser pour en tirer profit, mais abattre un Béhémoth était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Leur peau extérieure était extrêmement résistante et, étant donné leur taille, un aventurier moyen pouvait à peine les égratigner. Ils n’avaient pas d’attaques particulières ni d’armes naturelles, mais le simple fait de secouer leur corps massif suffisait à tuer la plupart de leurs ennemis.

Et si vous les attaquiez à distance ? Eh bien, apparemment, les créatures étaient capables de s’enfouir profondément sous le sable lorsque les choses commençaient à chauffer. Presque personne n’avait réussi à en tuer un. De plus, malgré leur taille massive, personne n’avait jamais trouvé de cadavre de Béhémoth. Cela avait donné lieu à des rumeurs selon lesquelles il y aurait un « cimetière de Béhémoths » caché quelque part. Un concept excitant qui me rappelait les mythes similaires sur les cimetières d’éléphants dans mon ancien monde. Mais d’un point de vue réaliste, leurs cadavres avaient probablement été mangés par d’autres monstres.

« Tu sais, tu pourrais être capable d’en descendre un si tu essayais, Rudeus. »

« Je n’ai pas l’intention d’attaquer d’inoffensifs herbivores sans raison valable. »

Quand même, si jamais je me retrouvais sérieusement à court d’argent, ça pourrait valoir le coup d’essayer de jeter un peu de magie sur l’un d’eux à une distance sûre.

Lors de notre troisième jour dans le désert, nous avions rencontré notre première tempête de sable.

Peut-être que « rencontré » n’était pas le mot exact. Nous étions en train de marcher quand nous avions vu quelque chose qui ressemblait à un mur au loin, et quand nous nous étions rapprochés, il s’était avéré que c’était un mur de sable. Elinalise et moi avions envisagé la possibilité d’attendre qu’il se calme, mais à première vue, il s’agissait d’une tempête statique qui soufflait constamment à cet endroit. Elle ne semblait pas prête à nous dépasser ou à disparaître. Et nous étions bien sûr pressés.

J’avais fini par utiliser ma magie pour éloigner l’orage jusqu’à ce que nous ayons traversé la zone. Mes professeurs m’avaient dit qu’il valait mieux ne pas trop se mêler de la météo, mais dans ce cas précis, j’avais raison.

Lorsque je m’étais retourné pour regarder en arrière après environ une heure de marche, j’avais constaté que la tempête de sable était réapparue exactement là où elle était auparavant. Il était possible que ce soit une sorte de barrière magique à part entière, peut-être une défense naturelle de la route qui menait au téléporteur d’Orsted. Nanahoshi ne l’avait pas mentionné, mais je crois me souvenir qu’elle avait dit qu’elle était un peu à côté de la plaque pendant leur voyage dans le désert.

Le quatrième jour, le nombre de monstres que nous avions rencontrés avait fortement diminué. Peut-être que la tempête de sable les avait isolés dans la zone que nous venions de quitter.

Il y avait aussi des créatures dans cette partie du désert, mais elles étaient totalement différentes de celles de la région autour de la ruine. Les scorpions n’avaient qu’une seule queue, et il n’y avait pas d’armées de fourmis. Les vers de sable étaient maintenant à peu près aussi épais que la taille d’Elinalise. De plus, il ne semblait pas y avoir de chauve-souris géantes qui volaient la nuit. Nous avions repéré quelques rapaces ici et là au crépuscule, mais ils étaient plus petits, tout comme leurs meutes. Il n’y avait aucun signe de Garuda.

Plus important encore, il n’y avait plus d’embuscades nocturnes de la part des Succubes. Je suppose que c’était pour le mieux, mais peut-être qu’une partie de moi était déçue ?

Nah, disons que non.

Le cinquième jour avait été plus ou moins le même. On avait marché dans le même sable, en regardant le même paysage sans relief.

Lorsque vous marchiez dans un endroit sans aucun point de repère visible, il était soi-disant facile de finir par tourner en rond alors que vous pensiez avancer tout droit. Cela avait quelque chose à voir avec la différence de longueur de votre foulée lorsque vous déplacez votre jambe dominante.

Je savais qu’Elinalise nous gardait sur la bonne voie. Mais je commençais à avoir l’impression d’avoir déjà vu certaines de ces dunes. Le doute s’était insinué dans mon esprit. Pourrait-elle vraiment être perdue ?

Ma méfiance croissante n’était pas un problème en soi, tant que je la gardais pour moi. Elinalise serait très ennuyée si je lui faisais part de ces pensées, et si cela nuisait à notre travail d’équipe, nous pourrions finir par mourir.

La seule chose que je pouvais faire ici était d’être compréhensif. Si elle se plantait, je devais lui dire « Ce n’est pas grave ! » avec un grand sourire. C’était une formulation sans aucun aspect négatif.

« … Hm. Rudeus, je crois que je vois quelque chose au loin. »

En fin de compte, ma détermination n’avait pas vraiment été mise à l’épreuve. Je pouvais en effet distinguer un vague flou scintillant à l’horizon dans la direction indiquée par Elinalise,

Il y avait vraiment quelque chose là-bas. Mes yeux n’étaient pas assez aiguisés pour savoir ce que c’était, mais sa couleur suggérait que ce n’était pas seulement une partie du désert. Il y avait toujours une possibilité que ce soit juste un mirage.

Nous nous étions dirigés vers le flou, en restant en alerte.

En y réfléchissant, nous n’avions pas rencontré de monstres aujourd’hui. Peut-être que cette zone n’en abritait aucun… Mais je n’avais évidemment pas l’intention de baisser ma garde.

Alors que je pensais à cela, la forme devant nous était devenue plus grande et plus claire. C’était une formation rocheuse géante qui me faisait penser à Ayers Rock, et qui faisait peut-être cinquante mètres de haut.

La paroi qui nous faisait face semblait très raide, voire totalement verticale. Grimper jusqu’au sommet sera probablement un défi. Et elle s’étendait d’un côté de l’horizon à l’autre, sans fin en vue.

« Devrions-nous essayer de trouver un moyen de le contourner ? », demanda Elinalise.

« Non, on va l’escalader. Je vais utiliser ma magie. »

Avec un simple sort de terre, j’avais créé un pilier de pierre. En prenant Elinalise dans mes bras, je l’avais fait monter comme si c’était un ascenseur de fortune. Et comme on ne savait pas ce qui pourrait nous piéger là-haut, j’y étais allé assez doucement.

Soudainement, j’avais remarqué une sensation étrange. Quelque chose… me frottait les fesses ?

« Uhm, Elinalise ? »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Je peux savoir pourquoi tu me tripotes tout d’un coup ? »

« Oh, c’est juste l’habitude. N’y pense pas. »

Pendant les quelques minutes qu’il nous avait fallu pour atteindre le sommet de l’étagère rocheuse, Elinalise continua à me tripoter.

« … »

Peut-être que sa malédiction commençait à l’affecter. Je maintenais l’invention de Cliff alimentée en mana, mais cela ne faisait que nous faire gagner du temps, et cela faisait maintenant dix jours qu’elle avait quitté Cliff. Elle pouvait probablement tenir un peu plus longtemps, mais cette chose n’était qu’un prototype, nous ne pouvions pas lui faire confiance aveuglément. Le plus tôt nous arriverons à une ville, le mieux ce sera.

Dans le pire des cas, je devrais coucher avec elle moi-même. Mais peu importe comment j’essayais de le tourner, ce serait tromper ma femme. Ce serait toujours une trahison, même si je pouvais mettre ça sur le compte de la malédiction. Nous avions décidé à l’avance que je ne coucherais pas avec Elinalise pendant ce voyage, et je devais tenir cette promesse.

Si Bazaar avait un bordel où elle pouvait engager un prostitué masculin, ce serait idéal. De cette façon, ce serait juste une transaction commerciale. Elle pourrait s’occuper de ses besoins sans qu’aucun de nous ne se sente trop coupable.

« Elinalise, on est au sommet maintenant. »

« Oui, je suppose que oui. »

Elinalise était toujours accrochée à moi. Elle semblait fixer mes épaules avec une certaine passion dans les yeux.

« … Tu peux descendre maintenant. »

« Ah, d’accord. Excuse-moi. »

Elinalise quitta le pilier et s’éloigna de moi, mais ses yeux dérivèrent rapidement vers le bas de mon corps. Je commençais vraiment à sentir le danger.

Peut-être que la tenir comme ça en montant avait été une erreur. Si j’avais pris quelques minutes pour réfléchir, j’aurais pu trouver un autre moyen de nous faire monter tous les deux. Rétrospectivement, j’avais l’impression qu’elle avait consciemment essayé d’éviter tout contact physique avec moi ces derniers jours. Et maintenant, tout ce que j’avais fait n’était que lui mettre des bâtons dans les roues. Nous devrions arriver à Bazaar rapidement.

« Alors, allons-y », avait-elle dit après un moment.

« Bien sûr. »

Quelques secondes seulement après que nous ayons commencé à marcher, une ombre vola droit sur le sol vers nous.

« Rudeus ! Baisse-toi ! »

Alors qu’Elinalise me lançait un avertissement, je m’étais jeté en bas et en avant sans même regarder vers le haut. Un instant plus tard, quelque chose était passé en trombe au-dessus de moi. Un frisson glacial parcourut mon échine.

J’avais rapidement sauté sur mes pieds et regardé en l’air. Nous étions attaqués par un monstre au corps de lion et à la tête d’aigle. Battant bruyamment de ses ailes massives, il s’était écrasé au sol à une certaine distance de nous.

« C’est un Gryphon ! », cria Elinalise en tirant son épée.

J’avais rapidement concentré mes pensées sur la bataille en cours. En préparant mon bâton et en me tournant pour faire face à la créature, je me retrouvais dans une position délicate, et Elinalise se trouvait derrière moi, ce qui inversait notre formation habituelle. Mais même dans une telle situation, elle pouvait probablement se frayer un chemin jusqu’à la ligne de front sans se retrouver dans ma ligne de tir, et je pouvais alors me replier en sécurité.

C’était du moins ce que j’avais pensé au début.

« Il y en a deux, Rudeus ! Occupe-toi de celui-là ! »

Un fort bruit de battement derrière nous confirma que nous avions été pris en tenaille. Je devais m’occuper du Gryphon A tout seul. Si j’esquivais sa trajectoire, il me dépasserait et frapperait Elinalise par-derrière.

***

Partie 2

Mais c’était peut-être la voie la plus sûre. Si elle pouvait les retenir pendant quelques instants, je pourrais les éliminer un par un. Ça ressemblerait un peu plus à notre schéma habituel…

Mais nous n’avions pas élaboré de plan à cet effet à l’avance. Elle m’avait dit de m’occuper de celui-là. Donc si je ne le tuais pas, elle serait prise par surprise.

À ce moment-là.

Le Gryphon se tenait debout, le corps penché en avant, le bec entrouvert, et me regardait férocement. Il n’était pas loin de moi, et il semblait être une créature agile. Il pourrait être capable d’esquiver mon Canon de pierre, ou même de l’ignorer. Je voulais être absolument sûr de tuer cette chose.

Il avait des ailes, mais je n’étais pas sûr de la distance qu’il pourrait parcourir avec. Mon Quagmire ne serait probablement pas non plus très efficace. Il ne me restait donc plus que ma magie du vent.

Les pattes arrière du Gryphon s’étaient soudainement tendues. Je n’avais plus le temps de penser. S’élançant vers l’avant avec un puissant coup de pied, le monstre s’était précipité sur moi, les pattes tendues comme un tigre qui bondissait.

Je m’étais baissé et j’avais lancé le sort avancé Hérisson de Terre sur le sol. Un cercle de pics de terre de trois mètres de long éclata tout autour de moi.

« Kyeeaah ! »

Le Gryphon avait instantanément battu des ailes. Mais mon Œil de Prévoyance avait eu la gentillesse de me montrer ce qu’il prévoyait.

Il ajuste sa trajectoire en plein vol, esquive sur le côté et tente de prendre ses distances.

Avec ma main gauche en avant, j’avais lancé un sort de vent, créant une onde de choc dans l’air qui priva le Gryphon de sa mobilité. Il tourna sur lui-même pendant un instant, mais avant que je puisse poursuivre, il s’était tordu avec une agilité de chat, essayant de se préparer à un atterrissage en douceur.

J’avais tiré un canon de pierre sur l’endroit vers lequel il tombait. Le projectile siffla dans l’air et fit mouche, traversant le corps de la créature avec un craquement humide. Le Gryphon tituba en arrière de quelques pas, puis s’effondra bruyamment sur le sol.

La chose semblait déjà morte, mais je l’avais achevée avec un sort de feu afin d’en être absolument sûr, puis je m’étais retourné pour voir comment Elinalise s’en sortait.

Heureusement, elle allait bien. Je l’avais vue repousser les coups du Gryphon avec son bouclier tout en le frappant avec sa rapière. Les pattes avant du Gryphon étaient rouges de sang, elle les avait manifestement visées avec insistance, pour essayer de réduire sa capacité d’attaque.

« Attention, Elinalise ! Canon de pierre ! »

« … ! »

Après un cri d’avertissement, j’avais tiré un autre projectile mortel. Elinalise l’avait esquivée avec agilité.

Le Gryphon ne l’avait pas suivie. Il m’avait remarqué et essayait d’esquiver dans les airs. Mais Elinalise sortit sa rapière, frappant la patte avant du Gryphon d’un coup sec qui le fit retomber.

La pierre aiguisée toucha le Gryphon au niveau du cou et déchira son corps, sectionnant sa colonne vertébrale au passage. Il s’écrasa au sol la tête la première et commença à convulser. Elinalise s’avança et poignarda la créature à la tête pour mettre fin à ses souffrances. J’avais commencé à brûler son corps avec la magie du feu.

Nous avions tous les deux pris quelques instants pour regarder autour de nous à la recherche d’éventuels renforts supplémentaires avant de finalement laisser échapper un soupir de soulagement.

« Désolée pour ça, Rudeus. J’ai été un peu négligente. »

« Nan, c’est moi qui ne regardais pas au-dessus de moi. »

Après nous être excusés mutuellement pour nos dérapages, nous avions porté notre attention sur la route à suivre. Le sommet de la plate-forme rocheuse avait une couche de sable ici et là, mais pour l’essentiel, c’était de la pierre solide. Au moins, nous n’aurions pas à nous inquiéter de ce qui se cache sous la surface.

« Assurons-nous de surveiller les cieux à partir de maintenant. »

« Oui, allons-y. »

Après cette brève analyse de la bataille, nous étions repartis.

Le sixième jour, nous avions compris que la plate-forme rocheuse était un lieu de nidification du Gryphon. De multiples créatures semblaient avoir divisé la zone en leurs propres territoires, à en juger par le rythme régulier des attaques auxquelles nous étions confrontés.

Les Gryphons étaient des monstres de rang B. Ils n’utilisaient pas de magie, mais ils étaient physiquement puissants et avaient des capacités de vol limitées. Cette mobilité supplémentaire les rendait beaucoup plus difficiles à cibler pour un magicien comme moi. La plupart du temps, nous les rencontrions seuls, mais parfois, il y avait de petits groupes familiaux de deux à cinq personnes. Les créatures étaient intelligentes et pouvaient organiser des attaques coordonnées et des embuscades, donc en groupe, elles étaient considérées comme une menace de rang A.

Elles n’étaient cependant pas de taille pour nous sans l’élément de surprise.

La nuit était tombée, mais aucun Succube n’était apparue pour nous harceler. Ils avaient probablement évité le territoire des Gryphons. Et vu comment se présentaient les choses, les Gryphons étaient plutôt territoriaux. Une fois que vous aviez battu les locaux, il n’y avait pas beaucoup de risque qu’un autre groupe débarque pour vous attaquer le même jour.

En d’autres termes, nous étions en sécurité ici pour le moment. Pour la première fois depuis longtemps, nous avions fait un feu de camp et fit rôtir de la viande de Gryphon pour le dîner.

Le dernier groupe que nous avions battu était composé d’un mâle, d’une femelle et de leur enfant, nous avions donc choisi le plus jeune des trois. Les jeunes animaux avaient tendance à être plus tendres et plus savoureux. Je me sentais un peu en conflit, en tant que personne qui allait devenir père dans peu de temps, mais nous faisons ce que nous devions faire pour survivre. Les gens n’étaient finalement que des créatures égoïstes.

Heureusement, j’avais appris quelques trucs pour cuisiner la viande de monstre, comme emporter mes propres épices avec moi. Les lézards n’avaient pas été particulièrement savoureux, mais le Gryphon était en fait mi-oiseau, mi-mammifère, alors j’avais de meilleurs espoirs cette fois-ci.

Pour l’assaisonnement, j’avais utilisé une part de noix de Kokuri moulues pour deux parts de graines d’Awazu et de feuilles d’Abi. Après les avoir mélangés et broyés, j’avais testé le mélange en me léchant le doigt. Mmmm. Agréable et épicé.

J’avais frotté l’assaisonnement uniformément sur la surface du morceau que nous avions dépecé de la bête, en prenant soin de bien le faire pénétrer. Après avoir ajouté une pincée de sel, j’étais passé à la partie cuisson. Une fois la surface terminée, j’avais éloigné un peu la viande du feu pour faire baisser la chaleur et j’avais attendu un peu plus longtemps. Une fois que la graisse cessa de grésiller de manière audible, nous étions prêts à le manger.

En essayant de ne pas me brûler la langue, j’avais pris une première bouchée prudente.

La viande était à la fois tendre et juteuse. Elle avait une saveur légèrement étrange, mais les épices l’avaient presque entièrement masquée. Vu la façon dont j’avais fait les choses, elle n’était pas complètement cuite. Mais ce n’était pas un problème — et une fois que vous mâchiez la surface, vous pouviez simplement saupoudrer un peu plus d’assaisonnement.

« Ah, ça me ramène en arrière. Geese avait l’habitude de transporter des petites bouteilles d’épices comme ça. »

« Oui, ça semble assez courant chez les voleurs, non ? »

Après qu’Éris m’ait largué, j’avais passé plusieurs années à vivre la vie d’aventurier. Naturellement, j’avais passé une partie de ce temps à travailler dans des groupes. J’avais l’impression qu’il y avait toujours un gars dans chaque groupe qui faisait ses propres épices et les transportait partout. Pour une raison ou une autre, il était généralement du genre à manier la dague, à crocheter les serrures et à désarmer les pièges. J’avais souvent remarqué qu’ils mettaient de côté des noix et des feuilles pour plus tard.

Les produits de la cueillette n’étaient pas uniquement utiles pour la cuisine. Parfois, vous rencontrez un monstre qui reculait devant les goûts et les odeurs forts de certaines plantes. Certaines plantes pouvaient également servir d’insectifuge en cas de besoin. J’avais même vu un type qui jetait une sorte de poudre dans les yeux de ses ennemis pour les aveugler.

« J’aime beaucoup la façon dont tu assaisonnes ça, Rudeus. »

« Eh bien, c’est bon à entendre. »

Elinalise léchait ouvertement la graisse de ses doigts. En général, on ne la surprenait pas à faire ça quand elle mangeait dans une taverne quelconque. Sauf si elle essayait de séduire quelqu’un.

« Tes manières à table ne sont pas les meilleures aujourd’hui, Elinalise. »

« Mon Dieu. Maintenant, on dirait Zenith. »

« Est-ce que maman te harcelait à ce sujet ? »

« Oh, oui. », dit-elle en rougissant et en sifflotant.

« Tu es une dame, Elinalise ! Essaie d’agir comme telle ! »

L’imitation de Zénith par Elinalise ne correspondait pas vraiment à la femme dont je me souvenais. Mais je suppose qu’elles s’étaient connues bien avant ma naissance.

Pendant un instant, je m’étais demandé où était Zénith, mais j’avais chassé cette idée de ma tête. Il n’y avait aucune raison de me rendre anxieux.

« Étais-tu aussi volage à l’époque ? »

« Volage ? C’est plutôt grossier, mais je suppose que je l’étais. Mais à l’époque, on dormait tous en sous-vêtements, ou nus. Au début, Ghislaine ne savait même pas ce qu’était un soutien-gorge ! Tu aurais dû voir la façon dont Paul la reluquait… »

C’était difficile d’imaginer Ghislaine aussi effrontée… mais peut-être qu’elle était juste désemparée. Cela correspondait à ce que je savais d’elle. Quant à Paul, eh bien… je ne voulais pas excuser son comportement, mais j’aurais probablement fait la même chose. Les femmes-bêtes avaient tendance à être assez impressionnantes au niveau de la poitrine.

« Tu sais, en y réfléchissant… je crois que Zénith avait à peu près ton âge quand je l’ai rencontrée », dit Elinalise.

« Vraiment ? Tu la connais depuis qu’elle est adolescente ? »

« Oui. C’était une petite fille innocente et désemparée. Paul l’avait ramassée dans la rue et l’avait entraînée dans notre groupe, le vaurien. »

Il y avait un regard affectueux et nostalgique dans les yeux d’Elinalise alors qu’elle se souvenait. En y réfléchissant, Geese et Ghislaine avaient l’air tout aussi heureux quand ils parlaient vaguement du passé. Ils avaient probablement passé de bons moments ensemble.

« J’ai l’impression que papa veut s’excuser auprès de toi pour quelque chose qui s’est passé à l’époque. Est-ce que je peux demander ce que c’était ? »

« … Il vaut mieux que tu ne saches pas, mon cher. Je ne pense pas que tu veuilles en entendre trop sur les histoires amoureuses de ton père ? », dit Elinalise tout en grimaçant maintenant.

« Oui, tu as raison. »

À vrai dire, j’avais un peu envie de savoir, mais je ne voulais pas lui mettre la pression. Parfois, un homme devait ravaler sa curiosité.

Au moins, sa réponse m’avait dit que ça avait un rapport avec sa vie amoureuse actuelle. Il avait apparemment eu une relation physique avec Ghislaine à un moment donné, alors je ne serais pas surpris qu’il ait aussi couché avec Elinalise. Et puis Zénith était tombée enceinte, faisant disparaître ainsi le groupe… Je pouvais facilement imaginer comment cela pouvait mener à un drame horrible.

« Une fois qu’on sera à Rapan, je suis sûr qu’il fera tout pour s’excuser », avais-je dit.

« … Je ne lui pardonnerai pas, quoi qu’il dise. »

Elinalise était de nouveau renfrognée. Ce qui s’était passé n’avait pas dû être très beau.

Paul était vraiment un bon à rien. Mais c’était exactement pour ça que je devais l’aider. Les gars comme lui et moi devions nous entraider.

Au pire, je n’aurais qu’à supplier moi-même Elinalise de lui pardonner.

Le septième jour avait commencé comme le sixième, nous avions progressé régulièrement vers le nord tout en combattant les Gryphons. Ce plateau rocheux s’étendait plus loin que je ne l’avais imaginé, peut-être s’agissait-il plutôt d’une montagne. Bien que le sommet soit en grande partie plat, nous ne pouvions pas voir loin dans toutes les directions à cause des blocs géants éparpillés au hasard sur sa surface.

De temps en temps, cependant, nous tombions sur une zone plus dégagée. C’était là que les Gryphons locaux nous attaquaient. On les battait, puis on allait de l’avant. Ce cycle se répétant alors de nombreuses fois.

« Oh. »

Mais alors, tout à coup, la zone rocheuse s’était terminée.

« Eh bien, il était temps… »

Le sol loin en dessous de nous n’était plus un désert stérile. Il y avait un peu d’arbres et de plantes en bas. Cela ressemblait à une savane, sans beaucoup d’herbe.

Au loin, il y avait un grand lac, entouré de toits blancs.

Nous avions trouvé la ville de Bazaar.

***

Chapitre 13 : Bazaar

Partie 1

Lors de notre huitième jour sur le continent de Begaritt, nous étions descendus de la plate-forme rocheuse et nous nous étions dirigés vers Bazaar.

De notre point d’observation, la ville ressemblait un peu à un beignet. Le grand lac rond au milieu était entouré d’un anneau de « glaçage » blanc, tentes et bâtiments, et d’une petite zone verte à la périphérie. En y réfléchissant, je n’avais pas mangé de sucré depuis un moment maintenant.

« Nous sommes enfin arrivés. Je dois dire que c’était une sacrée randonnée. », soupira Elinalise.

« Oui. J’ai l’impression qu’on a couvert beaucoup de terrain en une semaine. »

« Je suppose que les monstres l’ont fait paraître encore plus longue qu’elle ne l’était. »

Le sol dans cette zone n’était pas seulement fait de sable. Il y avait de la vraie terre ici, bien que sa couleur brun-rougeâtre suggérait qu’elle n’était pas particulièrement riche, et les plaines étaient parsemées de gros rochers et de quelques plantes éparses. En fait, cela me rappelait un peu le Continent Démon. Il était au moins plus facile de marcher dessus. Et la température était beaucoup moins extrême ici. Il y avait une grande différence de climat par rapport au désert de l’autre côté de ce plateau rocheux.

Lorsque nous avions atteint la périphérie de Bazaar, c’était déjà le soir, et les chauves-souris commençaient à voleter dans le ciel. Elles ne s’étaient pas précipitées pour nous attaquer et aucune Succube ne les accompagnait. C’était juste des chauves-souris ordinaires. Pourtant, il pourrait y avoir d’autres monstres qui rôdaient, même si nous étions maintenant proches de la ville. Nous étions restés vigilants pendant que nous nous approchions de la ville.

Au moment où nous nous étions rapprochés, un cri perçant retentit dans les environs. Reconnaissant le cri d’un Gryphon, nous nous étions tous les deux instantanément crispés.

« Est-ce qu’il vient pour nous ? »

« Non, je ne pense pas. Ne vois-tu pas qu’ils se battent là-bas ? »

Elinalise regardait quelque chose devant nous, mais je n’arrivais pas à savoir ce qu’elle regardait.

« Qui est-ce ? »

« Je ne saurais dire. »

Nous avions avancé prudemment en direction de la ville. Assez rapidement, j’avais repéré un petit groupe de personnes combattant une meute de Gryphons devant nous. Il y avait quatre humains et cinq monstres. Enfin, il y avait six humains, mais deux d’entre eux gisaient immobiles sur le sol. Sur les quatre survivants, un était accroupi et se tenait la tête plutôt et ne se battait pas.

En d’autres termes, c’était trois contre cinq. Les humains, en infériorité numérique, repoussaient les Gryphons à l’aide de sabres de taille importante. C’était un groupe bien coordonné, mais il était évident qu’ils commençaient à être fatigués.

« Devrions-nous les aider, Elinalise ? »

Elle haussa les épaules sans se sentir concernée.

« Je te laisse le choix. »

« Dans ce cas, faisons-le. »

Les abandonner me laisserait probablement un mauvais goût dans la bouche. Je ne voyais aucune raison de ne pas aller à leur secours.

« Très bien. Couvre-moi ! »

« C’est bon ! »

Elinalise se précipitait déjà en avant. Et alors qu’elle s’approchait, j’avais tiré une onde de choc sur un Gryphon qui se trouvait dans les airs.

Mon sort fit mouche : le monstre s’était concentré sur les ennemis qui se trouvaient devant lui. L’explosion n’avait pas suffi à le tuer sur le coup, mais elle le fit tomber au sol en projetant des plumes dans toutes les directions. Elinalise sauta sur la bête tombée et la poignarda dans le cou avec son épée.

J’avais tiré d’autres sorts de vent en succession rapide. Ma deuxième cible tomba d’un seul coup, mais la troisième réussit à échapper à mon sort. Les créatures étaient conscientes de mes attaques à ce stade, mais elles avaient aussi des guerriers armés devant elles, et Elinalise leur bloquait le chemin vers moi. J’étais libre de lancer autant de sorts que je voulais sans craindre de représailles. C’était comme tirer sur des poissons dans un tonneau.

« Kyeeeaaah ! »

Après avoir éliminé quatre des monstres, le dernier tenta de s’enfuir. Je l’avais achevé avec un canon de pierre dans le dos. Laisser une bête blessée et désespérée s’enfuir n’était pas vraiment une bonne idée.

La bataille terminée, Elinalise et moi avions rengainé nos armes et nous étions approchés du groupe de guerriers.

« C’est fini ?! »

L’homme qui était accroupi et tremblait leva finalement le visage. Après avoir regardé nerveusement la zone, il sourit, visiblement soulagé. Les guerriers qui combattaient les Gryphons s’étaient retournés et s’étaient approchés de lui.

Tout en se levant, l’homme se mit immédiatement à leur crier dessus.

« Qu’est-ce que vous faites là ? Vous ! Sortez et commencez à chercher ! »

Le guerrier auquel il s’était adressé hocha la tête et s’enfuit immédiatement.

« Bon sang, quel désastre. Je me demande bien ce que faisait cette diable de meute de Gryphons ici ? », murmura l’homme.

Secouant la tête, il se retourna et s’approcha de nous avec les deux autres guerriers à ses côtés.

« Cela est très aimable à vous de nous avoir aider, voyageurs. Permettez-moi de vous exprimer ma gratitude. »

L’homme portait un turban et une robe rouge sous une sorte de fine robe jaune. Il y avait un petit point rouge au milieu de son front. Il avait une longue et fine moustache, mais cela ne lui donnait pas un air particulièrement imposant. Il m’avait paru plus timide, l’image même du marchand du désert stéréotypé. Ça me convenait.

« Eh bien, il semblait que vous aviez des problèmes. On ne pouvait pas vous abandonner. », avais-je dit.

« La plupart des gens l’auraient fait. »

L’homme parlait dans la langue du Dieu Combattant, j’avais donc répondu de la même façon. Heureusement, il semblait me comprendre parfaitement. C’était un signe d’espoir.

« Que les bénédictions du vent vous honorent, vous et les vôtres. »

Sur ces derniers mots, l’homme s’était promptement retourné vers ses compagnons tombés au combat. Il n’était pas du genre très expressif.

« … »

Les deux autres membres de son groupe étaient des combattants qui portaient une armure rouge et un vêtement épais, semblable à une jupe, autour de la taille. Ils étaient plus lourdement équipés que la moyenne des guerriers du Continent Central. Les armes à leurs hanches étaient de grandes épées incurvées avec des lames épaisses de plus d’un mètre de long. J’avais en fait souvent vu des cimeterres similaires sur le Continent Démon. Ils étaient probablement efficaces contre des monstres plus grands.

Pourtant, des armes et des armures aussi lourdes n’étaient pas idéales pour combattre des monstres agiles comme les Gryphons. C’était peut-être en partie la raison pour laquelle ils avaient eu du mal.

« On ne voit pas souvent de mages par ici. »

Celui qui parla en premier était un homme énorme avec un patch sur son œil gauche et un tatouage couvrant son visage. Il mesurait près d’un mètre quatre-vingt et devait avoir une quarantaine d’années. C’était manifestement un vétéran aguerri.

« Hey, Boss. Cette fille est-elle une Succube ? »

L’autre guerrier était une fille à la peau marron clair qui fixait Elinalise. Je n’avais pas pu voir grand-chose sous son armure, mais elle avait l’air musclée. Je pensais qu’elle avait une vingtaine d’années.

« Qu’est-ce qu’elle dit, Rudeus ? », demanda Elinalise en langue humaine, l’air un peu perdu.

Elle ne parlait pas la langue locale.

« Elle se demande si tu es une Succube », lui avais-je répondu, également en langue humaine.

« Eh bien, je suppose que c’est vrai. D’une certaine manière. »

« Wow. Elle l’admet. »

« Cela dit, je n’ai pas l’habitude de répandre des odeurs nauséabondes partout. »

« Je te le répète, elles sentent très bon pour moi. »

L’homme énorme se tourna vers sa compagne et lui asséna un coup sur la tête.

« Ne sois pas idiote ! Quel genre de succube voyage avec un homme ? Tu as du culot de les insulter alors qu’ils nous ont sauvé la vie ! »

La femme gémit pitoyablement en guise de réponse.

« Aïe ! Mais patron ! Vous avez dit qu’une fille qui se montre quand il y a des chauves-souris doit être une Succube ! »

Il m’avait fallu un certain effort pour comprendre ce qu’elle disait. Peut-être que son accent était vraiment fort ? Je pouvais comprendre les mots, mais ce n’était pas facile.

« C’est exactement pour ça qu’on t’appelle Gros bêta, gamine. »

L’homme, par contre, parlait plus clairement. Je ne savais pas s’il parlait plus couramment la langue du Dieu Combattant ou quoi, mais je le comprenais beaucoup mieux.

En soupirant, il s’était tourné vers Elinalise pour s’excuser.

« Désolé, mademoiselle. Nous ne voulions pas vous offenser. Carmelita est un peu idiote, c’est tout. »

Elinalise regarda maladroitement dans ma direction. Elle n’avait aucune idée de ce que l’homme était en train de lui dire.

« Qu’est-ce que c’est encore ? Il essaie de me draguer ou quoi ? », me demanda-t-elle.

« Non. Il s’excuse parce que la femme t’a traitée de Succube. »

« Ah, c’est tout ? Eh bien, dis-leur que je n’ai pas du tout été offensée. »

Elinalise montra son plus brillant sourire vers le grand homme, l’incitant à rougir férocement.

« Elle dit que ça ne la dérange pas », avais-je ajouté.

« Sans blague ? Elle ne parle pas notre langue ou quoi ? »

« Non. Mais je peux cependant interpréter pour elle. »

Le grand homme regardait ouvertement Elinalise maintenant. Il n’était pas difficile de deviner ce qu’il pensait : c’est une belle femme, ou quelque chose de ce genre. Il était peut-être dommage qu’elle ait une poitrine plate. Elinalise n’avait pas eu l’air de s’offusquer de ce regard. Au contraire, elle avait l’air plutôt fière d’être reluquée. Je suppose qu’elle y était habituée maintenant.

Détournant son regard d’Elinalise, l’homme me regarda de nouveau.

« … Je m’appelle Balibadom. Merci encore pour votre aide, étranger. »

« Je m’appelle Rudeus Greyrat, et voici Elinalise. »

« Compris. Si jamais vous avez besoin de quelque chose… »

« Hé ! Qu’est-ce qui se passe, vous deux ? Nous devons trouver cette cargaison maintenant ! », cria l’homme moustachu à qui nous avions parlé plus tôt, interrompant le guerrier au milieu de sa phrase.

« Oups, désolé. Je dois y aller. Je suis sûr que notre employeur vous récompensera aussi plus tard. »

Balibadom et Carmelita s’étaient précipités vers leur patron. Ils eurent tous les trois une brève discussion, puis se séparèrent en deux groupes et partirent en courant dans des directions différentes. Ils disparurent en un instant.

« Quoi, ils partent comme ça ? Je m’attendais à un peu plus de gratitude », dit Elinalise.

Je pouvais comprendre ce qu’elle ressentait, mais nous n’avions pas agi dans l’espoir d’une récompense.

« On dirait qu’ils ont aussi laissé leurs blessés derrière eux… »

J’avais baissé les yeux vers les combattants tombés au combat, prêt à lancer un ou deux sorts de guérison.

« Oh. Ils sont morts. »

En y réfléchissant, les survivants n’avaient même pas essayé de les aider après la bataille. Ils avaient probablement été bien conscients qu’ils étaient morts.

« Celui-là était encore très jeune, le pauvre… »

L’un des morts était une adolescente, peut-être dix-huit ans. Il y avait un trou béant dans son front, là où le bec acéré d’un Gryphon l’avait frappée. Elle avait dû mourir sur le coup.

« Je me demande si laisser les morts là où ils sont tombés est une tradition sur ce continent ? »

« Aucun aventurier décent ne ferait une telle chose. »

« Eh bien, ces gens n’avaient pas l’air d’être des aventuriers… »

Comme leur groupe avait disparu, j’avais brûlé les corps avec ma magie et je les avais enterrés moi-même. La façon dont ils les avaient laissés ici me semblait un peu cruelle.

Ce Balibadom avait promis que nous serions récompensés plus tard, mais nous ne connaissions même pas le nom de ce type à moustache. Et comment étaient-ils censés venir nous trouver s’ils ne savaient pas qui nous étions ? Ils s’attendaient à ce qu’on les retrouve et qu’on exige une sorte de paiement ?

… Eh bien, peu importe. Ce n’était pas comme si j’étais intervenu dans l’espoir d’obtenir un gros paiement. Je devais me satisfaire d’avoir fait ma bonne action de la journée.

« Je suppose qu’on va aussi y aller. »

« Très bien. »

Nous nous étions dirigés tous les deux vers Bazaar.

***

Partie 2

Lorsque nous avions atteint la ville proprement dite, le soleil s’était couché. Cependant, l’endroit était étonnamment bien éclairé. Il y avait de grands feux de joie tout autour, comme ceux que l’on voyait lors d’un festival. Le sol autour de ces feux était couvert d’une sorte de tapis. Les gens s’y asseyaient en groupes, mangeant joyeusement et s’amusant entre eux. Cela m’avait fait penser à un grand pique-nique pour admirer les cerisiers en fleurs.

Tout le monde semblait avoir des turbans sur la tête. Les couleurs et les motifs de leurs vêtements étaient très différents, mais beaucoup d’entre eux me rappelaient les vêtements tribaux que j’avais vus sur le Continent Démon. Elinalise et moi allions nous faire remarquer. Mais ça n’avait pas vraiment d’importance.

« J’ai un peu faim, tu n’as pas faim ? »

« Je suppose que oui. »

Voir tout le monde festoyer autour de nous fit gronder nos estomacs assez rapidement. Mais nous devions d’abord trouver un endroit où loger.

Alors que je cherchais une auberge, un homme s’était approché et nous avait appelés.

« Hé, vous deux ! Vous cherchez un repas ? Je peux vous faire entrer pour seulement trois Cinsha en ce moment ! »

D’après ce qu’on entendait, son groupe vendait les portions excédentaires d’un énorme repas qu’ils avaient préparé. Nous avions décidé d’accepter son offre. On ne pouvait vraiment pas réfléchir avec un estomac vide.

Une fois que nous nous étions installés sur le tapis, l’homme qui nous avait conduits là nous tendit la main.

« Je vais devoir vous demander de payer d’avance, les gars. Comme vous le voyez, nous avons déjà préparé la nourriture. »

J’avais sorti trois pièces de bronze et les avais remises.

Il les examina avec méfiance.

« Qu’est-ce que c’est que ces trucs ? »

« Des pièces de bronze du royaume d’Asura. »

« Le royaume de quoi maintenant ? Je ne peux pas utiliser ces trucs, mon pote. »

Comme je le craignais, l’argent du Continent Central n’était pas utilisable ici. C’était logique. J’avais prévu d’échanger ma monnaie quelque part, mais nous n’en avions pas encore eu l’occasion.

« Alors, que dites-vous de ça ? »

Alors que je réfléchissais à ce que je devais faire, Elinalise déposa quelque chose d’autre dans la main de l’homme. C’était un petit anneau doré. Il le tint et l’examina attentivement, puis il hocha la tête avec joie et partit chercher un autre client.

« Il est préférable de faire du troc dans ce genre de situation », expliqua Elinalise.

C’était encore l’instinct du vétéran qui faisait son œuvre. Elle avait trouvé la bonne solution presque instantanément.

« Je suis content de t’avoir avec moi, Elinalise. Tu connais vraiment ton affaire. »

« Tu n’as pas besoin de flatterie, mon cher. »

Nous nous étions installés sur le tapis pour attendre notre repas. Cela m’avait rappelé de très vieux souvenirs de ma vie précédente au Japon. Je ne m’étais pas beaucoup assis par terre ces derniers temps.

« Voilà, les amis ! »

Nous n’avions pas passé une sorte de commande, mais notre nourriture était quand même arrivée. Le plat principal était une soupe de haricots blancs épaisse avec des morceaux mystérieux dedans, mais nous avions de la viande épicée à la vapeur sur le côté. Il y avait aussi un étrange fruit tropical au goût légèrement acide, qu’ils avaient recouvert d’une sorte de sauce sucrée.

La soupe sucrée, la viande épicée et le fruit acide formaient une combinaison intéressante. Le repas semblait manquer un peu de glucides, mais une fois que j’avais commencé, je l’avais beaucoup apprécié. La soupe était particulièrement bonne. Les mystérieux morceaux blancs qui flottaient dedans se sont avérés être du riz, et non pas de la viande. C’était donc une sorte de gruau de riz ?

Je ne m’attendais pas à trouver du riz dans un endroit comme celui-ci. Il ne pouvait pas y avoir de rizières dans ce climat, ils devaient donc le cultiver dans un sol sec. J’avais entendu dire que c’était possible, mais plus difficile à réaliser. Ce fut une agréable surprise, et j’avais fini par engloutir la soupe en un rien de temps.

Mon amour pour le riz ne faisait que croître au fil des ans. Le simple fait d’en avoir une tasse dans le ventre me donnait l’impression d’être invincible, comme si j’étais prêt à conquérir le monde. Je devais voir s’il était possible de cultiver du riz dans les Territoires du Nord. Si j’apprenais à Aisha les bases de la culture, elle pourrait peut-être créer un petit champ dans notre jardin…

Mais encore une fois, il ne serait probablement pas bon de transformer ma petite sœur en ouvrière agricole pour mon propre plaisir.

« Oh ? Tu ne te plains pas de la nourriture pour une fois, Rudeus. C’est inhabituel. »

« Eh bien, c’était franchement mieux que ce à quoi je m’attendais. »

J’avais même fini par demander du rab. Que l’on soit clair sur ce point, je ne m’étais jamais plaint de la cuisine de Sylphie… mais le riz avait vraiment une place spéciale dans mon cœur. Si seulement j’avais des œufs et de la sauce soja pour l’accompagner, tout serait parfait.

Je pourrais toujours piller un nid de Garuda pour obtenir des œufs, non ? Ce n’était rien d’autre que des poulets géants. Il ne restait plus que la sauce soja. Peut-être que ce continent allait encore me surprendre, et que j’en trouverais en vente au marché.

« Voyons maintenant si nous ne pouvons pas trouver une auberge. »

Mais bien sûr, nous n’étions pas ici en vacances. Si nous avions un peu plus de temps après avoir sauvé Paul, je pourrais peut-être poursuivre ce petit projet parallèle. Ce n’était pas le moment.

« Bon, je pense qu’il est préférable de remettre à demain la recherche d’un guide. », dit Elinalise.

La plupart des marchands autour de nous étaient déjà en train de fermer boutique et de rentrer chez eux. Les feux de joie s’éteignaient les uns après les autres, et les gens semblaient se préparer à aller se coucher. Cela me semblait un peu tôt, mais il était clair que nous n’allions pas pouvoir embaucher quelqu’un ce soir.

Repérant l’homme qui nous avait vendu notre repas plus tôt, je l’avais interpellé.

« Excusez-moi ! Y a-t-il des auberges dans le coin ? »

« Des auberges ? Qu’est-ce que vous racontez ? Vous pouvez dormir où vous voulez. »

Intéressant. Apparemment, les visiteurs de Bazaar qui n’avaient pas apporté leur propre tente dormaient simplement à la belle étoile. Nous pourrions quand même nous fabriquer un abri avec ma magie.

« Où est-ce qu’on s’installe ? », demanda Elinalise.

« On dirait que les gens se regroupent assez près de l’eau. »

« Très bien, mettons-nous un peu en retrait de la foule. »

Nous avions cherché notre chemin pendant un moment, puis nous avions trouvé un bel endroit dégagé à mi-chemin entre deux grandes tentes. Il y avait des gardes qui traînaient à l’extérieur, nous n’aurions donc probablement rien à craindre de voleurs.

J’avais fait notre abri du côté le plus grand cette fois. Il m’avait pris plus de temps à créer que d’habitude, mais nous aurions plus d’espace pour passer la nuit. Une fois le soleil levé, il fera probablement très vite très chaud ici, nous ne l’utiliserons donc pas plus longtemps que ça.

« Ouf. Eh bien, nous avons au moins réussi à venir jusqu’ici, non ? »

« Jusqu’ici, tout va bien. »

Déposant nos sacs sur le sol, nous nous étions permis de pousser un soupir de soulagement.

« Pourtant, nous ne sommes qu’à mi-chemin. Faisons en sorte de rester sur nos gardes. »

« Chaque chose en son temps. Demain, nous achèterons les provisions nécessaires et nous nous trouverons un guide. », approuva Elinalise.

Nous avions passé quelques minutes à passer rapidement en revue nos priorités. Avant tout, nous devions échanger notre argent, acheter des provisions, confirmer la route vers Rapan et engager un guide. Nous avions également pris un peu de temps pour entretenir notre équipement. Elinalise nettoya son épée et son bouclier, et j’avais vérifié que nos équipements de protection n’étaient pas endommagés. Cela faisait partie de notre routine quotidienne à présent.

Après quelques minutes, nous avions terminé et étalé les fourrures qui nous servaient de literie. Mais au moment où j’allais me coucher, Elinalise se leva.

« Bon, je vais sortir un petit moment. »

Quoi ? Elle va à l’épicerie ou quoi ?

« Euh… pour faire quoi ? »

Elinalise sourit à la question : « Pour draguer un homme. »

En d’autres termes, elle allait remettre à zéro le minuteur de sa malédiction.

« Il te reste encore un peu de temps, non ? »

La malédiction d’Elinalise passait à la vitesse supérieure toutes les deux à quatre semaines. L’outil magique de Cliff faisait plus que doubler ce délai, elle était donc bonne pour au moins un mois entre deux rencontres. Cela ne faisait que deux semaines que nous étions partis, et cela commençait probablement à avoir un certain effet sur elle, mais ce n’était pas encore urgent.

« C’est vrai. Mais je vais de toute façon engager quelqu’un pendant que nous sommes ici. »

« Bon… »

Ce voyage allait durer au moins trois mois. Compte tenu de l’incertitude qui régnait sur ce qui nous attendait, quatre mois étaient probablement une estimation plus probable. Même dans le meilleur des cas, Elinalise aurait besoin de coucher avec quelqu’un au moins une fois pendant cette période. Il n’y avait aucun moyen d’y échapper.

« Très bien. Je suppose que je te verrai plus tard. »

« Oui, je reviendrai éventuellement. Mais ne m’attends pas. Va dormir. »

« Bon, d’accord… mais tu ne parles pas la langue ici ? »

« Ce ne sera pas un problème. Ce genre de choses se passe de la même façon partout où tu vas. »

Sur ce, Elinalise quitta l’abri et se dirigea vers la ville.

Le lendemain matin, je m’étais réveillé en sursaut aux cris de « Attaque de fourmis ! » alors qu’une armée de fourmis Phalanx descendait sur la ville.

… Et puis je m’étais réveillé pour de bon.

Pour une fois, j’avais vraiment eu une nuit de sommeil complète, et mes rêves étaient pour la plupart agréables. Je me souvenais d’un rêve dans lequel Aisha et Norn me demandaient de les porter sur mes épaules. Quand je portais Norn, Aisha boudait, et quand je passais à Aisha, Norn commençait à brailler. Mais finalement, Sylphie était arrivée et saisit leur prix, mes épaules, pour elle-même.

Je l’avais gentiment réprimandée, lui expliquant que chacun devait se relayer, mais elle répondit : « Tant pis ! C’est mon siège maintenant ! Personne d’autre n’a le droit de l’utiliser ! »

Mes pauvres sœurs s’étaient bien sûr mises à gémir misérablement. Sylphie était adulte quand elle était apparue dans le rêve, mais elle s’était transformée en une version d’elle-même âgée de sept ans une fois que je l’avais mise sur mes épaules.

C’était un beau rêve. Quand je m’étais réveillé et que je m’en étais souvenu, je m’étais surpris à sourire. J’avais l’impression qu’aujourd’hui allait être une bonne journée.

En me retournant, je vis Elinalise endormie, une expression de satisfaction sur le visage. On aurait dit qu’elle s’était amusée la nuit dernière. C’était bon à savoir, même si je me sentais un peu mal pour Cliff.

Au petit matin, le Bazar s’était complètement transformé. Le calme de la nuit avait laissé place à une explosion de commerce animé. Les marchands étalaient leurs marchandises à l’extérieur de leurs tentes et appelaient à grands cris tous ceux qui passaient par là.

« J’ai de gros melons juteux ici ! Dernière chance, les amis ! Il n’y en aura plus demain ! »

« Griffes de griffon ici ! Trente Cinsha si vous achetez maintenant ! »

« Quelqu’un a du tissu Nania ? J’ai des fruits de Tokotsu à échanger ! »

Les vendeurs criaient leurs prix, tandis que leurs clients potentiels leur répondaient par des offres tout aussi bruyantes. Certains échangeaient de l’argent, mais beaucoup faisaient aussi du troc. La foule du marché semblait s’étendre tout autour de nous à perte de vue. Ici et là, j’avais vu des bagarres ou des pugilats éclater, mais il semblerait s’agir de querelles entre marchands, plutôt que de quelque chose de vraiment dangereux.

« J’ai des bouteilles en verre de Vega ! Je ne les emmènerai pas plus loin à l’est ! Quelqu’un a besoin de s’approvisionner ?! »

Les produits en verre, en particulier, semblaient être un point central du commerce. Je devais supposer que c’était une industrie majeure dans cette région. Un marchand avait tout un tas d’étagères pleines de récipients rectangulaires avec des symboles complexes gravés sur leur surface. Cela ressemblait un peu à des bouteilles de whisky fantaisistes. Certains étaient de couleurs vives, mais ils étaient tous remarquablement lisses et clairs.

***

Partie 3

Le Continent Central avait aussi du verre, mais il était généralement fin et semi-transparent. J’avais entendu dire que les régions les plus riches d’Asura avaient des artisans qui fabriquaient du bon verre, mais cette région produisait probablement des objets de qualité.

Bien sûr, même ce verre n’était pas comparable à celui auquel je m’étais habitué au Japon, mais certaines de leurs pièces étaient manifestement fabriquées à la main avec soin. Je m’étais retrouvé à tenter d’acheter quelque chose en souvenir.

« Rudeus, nous ne sommes pas venus ici pour acheter des cadeaux. »

« Oui, je sais. »

Alors que le marché s’animait tout autour de nous, Elinalise et moi avions commencé à travailler sur notre liste de choses à faire de la veille. Tout d’abord, nous avions besoin d’argent. La monnaie utilisée ici semblait être le Cinsha, quelque chose qui ne m’était pas familier, ce qui était d’une certaine façon plutôt excitant. Sur le Continent Central, tout le monde avait tendance à utiliser des noms simples comme « pièces d’or ».

La monnaie elle-même n’était pas particulièrement différente des autres. Il s’agissait simplement d’une petite pièce d’or ronde avec un dessin mal imprimé sur sa surface. J’en avais déjà vu auparavant, en fait, lorsque j’étais de passage à Port Est avec Éris.

Nous avions vendu certaines des choses que nous avions apportées et nous avions mis la main sur une bonne quantité de cette monnaie locale. Il semblerait que le troc soit très courant ici, mais il était toujours bon d’avoir un peu d’argent liquide dans sa poche.

Les objets que nous avions ramenés du continent central se vendaient très bien. À ma grande surprise, quelques morceaux de viande séchée bon marché s’étaient vendus trois fois plus cher que ce que nous avions payé. Nous aurions pu les négocier encore plus cher si nous avions essayé. J’avais l’impression qu’il y avait une opportunité de gagner de l’argent en vendant de la viande ici et en achetant du verre pour le revendre à Ranoa… mais essayer de gagner de l’argent avec ce téléporteur, c’était chercher les ennuis.

Pour l’instant, nous nous étions assurés d’avoir 5000 Cinsha en poche pour payer nos besoins à court terme. Je ne savais pas combien nous aurions besoin, mais notre dîner d’hier n’avait coûté que 3 Cinsha. Nous pourrions probablement nous en sortir pendant un certain temps.

Une fois notre problème d’argent réglé, nous avions commencé à rassembler des informations sur Rapan. Et comme c’était apparemment une ville importante, ce ne fut pas très difficile. Comme Nanahoshi nous l’avait assuré, c’était apparemment à environ un mois de voyage vers le nord.

J’avais également posé des questions sur la route pour y arriver, juste pour avoir une idée de ce qui nous attendait.

« La route habituelle consiste à passer par la région de Nkots et de prendre le long chemin autour du désert, mais il y a beaucoup de bandits sur cette route récemment, alors ce n’est pas sûr. Les marchands les plus intelligents coupent directement à travers le désert d’Ucho ces jours-ci. Vous allez vers l’est jusqu’à ce que vous atteignez le marqueur, puis vous allez vers le nord jusqu’à l’oasis. De là, c’est une route sinueuse vers l’ouest pendant un moment. Une fois que vous verrez les montagnes Kara, vous les gardez sur votre gauche et allez vers le nord jusqu’à la prochaine oasis. De là, le désert est un peu moins brutal à l’est. Vous vous frayez un chemin à travers aussi vite que vous le pouvez, puis vous vous dirigez vers le nord-ouest pour rejoindre la route normale. »

C’était agréable de recevoir une réponse aussi détaillée, mais tout cela ne signifiait rien pour moi. Il y avait beaucoup de références à des endroits spécifiques que je ne connaissais pas, la plupart ressemblant à des montagnes ou des étendues de désert. Le message de base que j’avais reçu était qu’il y avait deux routes à choisir, mais que si nous essayions de suivre l’une ou l’autre, nous nous perdrions probablement.

« Y a-t-il des sortes de cartes de cette région en vente ? », avais-je demandé.

Les cartes n’étaient pas toujours fiables, mais elles étaient utiles. En général, on pouvait au moins avoir une idée générale de l’endroit où l’on se trouvait. C’était toujours rassurant.

« Des cartes ? Qui diable s’embêterait à faire quelque chose comme ça ? »

Il ne semblait pas que nous aurions beaucoup de chance sur ce front. Ce continent n’avait pas encore trouvé son Ino Tadataka. Nous devions donc clairement nous trouver un guide digne de confiance.

« Très bien. Savez-vous où on peut trouver quelqu’un qui pourrait nous guider jusqu’à Rapan ? »

J’avais supposé que ce ne serait pas un problème, mais…

« Je suis sûr qu’il y a des gens qui connaissent le chemin, mais vous ne trouverez pas de guides cherchant des clients ici. Cette ville est plus une station de passage sur la route. »

« Attendez, vraiment ? »

« Oui. Je veux dire, en général, vous voulez voyager entre les grands centres commerciaux, non ? »

« Ah, je vois… »

Maintenant que j’y pensais, cela semblait logique. Pourquoi n’avais-je pas réalisé que ça pouvait être un problème avant ?

Elinalise avait supposé que nous trouverions un guide assez facilement, mais son expérience ne s’appliquait pas vraiment ici. Lorsqu’elle visitait un pays inconnu pour la première fois, elle commençait toujours par les villes frontalières où les voyageurs étaient nombreux. Mais cette fois-ci, nous avions utilisé un téléporteur pour nous retrouver en plein milieu du continent. Cette différence nous avait déstabilisés.

Les choses ne se passaient déjà pas comme prévu.

Pourtant, il n’y avait pas de raison de paniquer. La vie nous envoie toujours des balles courbes. Nous n’étions là que depuis deux semaines, alors que le voyage aurait normalement pris une année entière. C’était un progrès impressionnant, quelle que soit la façon dont on le voyait.

« Que ferais-tu normalement dans une telle situation, Elinalise ? »

« Je passerais directement par le chemin le plus court possible. Mais pour être honnête, j’en ai assez de marcher dans le désert depuis un moment. »

« Oui, moi aussi. »

« Qu’est-ce que tu en penses ? »

« … Hmm. Peut-être que nous pourrions suivre un marchand en route pour Rapan ? »

« Ça ressemble à un plan. Voyons si nous pouvons en trouver un. »

Aisha avait réussi à atteindre Ranoa rapidement en faisant du stop avec des caravanes de marchands. Il n’y avait aucune raison pour que nous ne puissions pas utiliser la même astuce. Nous n’avions même pas besoin de nous presser. La seule chose qui comptait était d’arriver à destination en toute sécurité.

« Monsieur, connaissez-vous par hasard des marchands en route pour Rapan ? »

Il n’y aurait pas de caravanes cherchant activement des gardes ici, pour la même raison qu’il n’y avait pas de guides à trouver. Mais Elinalise était une aventurière de rang S, et j’étais un magicien d’Eau de rang Saint. Si nous proposions de l’argent et nos services, nous trouverions peut-être quelqu’un qui accepterait de nous emmener.

Malheureusement, l’homme nous avait dit qu’il n’y avait pas beaucoup de gens qui se rendaient à Rapan en général. La plupart des marchands voyageurs étaient en route pour un endroit appelé Kinkara à l’est.

Il y avait cependant un peu de trafic vers le nord. Rapan était célèbre pour ses labyrinthes, qui produisaient un flux constant d’objets magiques précieux, si vous en stockiez, vous pouviez les vendre plus cher dans d’autres villes. Certains marchands gagnaient leur vie de cette façon. La plupart d’entre eux transportaient des pierres et des cristaux magiques du sud-ouest jusqu’à Rapan, où ils vendaient leur cargaison et utilisaient les bénéfices pour acheter des objets magiques.

« Je ne sais vraiment pas s’il y a quelqu’un comme ça dans le coin en ce moment. On en aura certainement sûrement un paquet dans quelques mois. », conclut l’homme.

Ce n’était pas très rassurant. Je commençais à penser que nous ferions mieux de faire du stop pour aller dans cette ville à l’est. Nous ferions un détour, mais au moins nous atteindrions un centre commercial où nous pourrions trouver un guide.

J’avais quand même essayé de demander autour de la ville pendant un moment. Presque tout le monde se dirigeait vers Kinkara, et après une heure ou deux, je m’étais presque résigné à suivre cette route.

Mais alors que je m’apprêtais à abandonner, nous étions tombés sur une piste.

« Oh, Rapan ? Il faut donc vous rendre vers Galban. Je crois qu’il a planté sa tente sur la rive ouest de la rivière. Allez voir si vous pouvez le trouver. »

Elinalise et moi étions immédiatement partis à la recherche de ce Galban. Il avait apparemment fait fortune en parcourant la route entre Rapan et une ville appelée Tenorio, apportant des pierres magiques à Rapan et ramenant des objets magiques. On disait qu’il voyageait dans une caravane de six chameaux, ce qui signifiait qu’il gagnait bien sa vie.

Il ne nous avait pas fallu beaucoup de temps pour trouver la tente que nous cherchions. Elle n’était pas très grande, mais il y avait en fait six chameaux attachés devant.

Et alors que nous nous approchions, une femme à la peau brune émergea de l’intérieur de la tente. Elle portait une cuirasse et une sorte de jupe autour de la taille. On ne pouvait pas voir ses muscles sous l’équipement, mais elle semblait assez forte.

Il m’avait fallu quelques secondes pour réaliser qu’il s’agissait en fait de Carmelita, la même guerrière que nous avions rencontrée hier.

« Hey ! Vous êtes ces gens d’hier ! »

Apparemment, elle se souvenait aussi de nous, même si elle avait l’air surprise de nous voir. Il semblerait que le petit homme moustachu que nous avions sauvé hier était Galban lui-même. Une chance qu’on ait décidé de l’aider.

Galban nous accueillit avec un sourire chaleureux lorsque nous étions entrés dans sa tente.

« Mes excuses pour hier, mes amis ! Nous avons été surpris de voir que vous étiez déjà partis quand nous sommes revenus ! »

Apparemment, ils étaient partis à la recherche de leurs chameaux, qui s’étaient enfuis dans le chaos avec le précieux chargement qu’ils transportaient. Ils étaient ensuite retournés sur les lieux de la bataille, pour constater qu’on avait enterré les corps de leurs camarades et disparu. Galban prétendit avoir passé beaucoup de temps à essayer de nous trouver ce soir-là.

Vous auriez pu expliquer le plan avant de disparaître…

Mais peut-être que c’était juste du bon sens dans un endroit comme celui-ci. Votre cargaison passe en premier, et tout le reste peut attendre.

« Ce doit être le destin qui fait que vous nous avez trouvés comme ça. Voulez-vous rejoindre ma caravane comme gardes du corps ? »

D’après ce que j’avais entendu, il cherchait de toute façon à embaucher de nouvelles épées. C’était logique, puisqu’il en avait perdu quelques-unes hier.

« Que diriez-vous de 500 Cinsha pour aller à Rapan ? Qu’en dites-vous ? »

À en juger par la façon dont il avait enchaîné les compliments sur notre élégant combat contre les Gryphons, il avait cette idée en tête depuis le début. Je crois me souvenir qu’il s’était mis en boule pendant toute la bataille, mais peu importe. C’était exactement ce dont nous avions besoin.

« Entendu. Nous irons donc avec vous jusqu’à Rapan. »

« Ah, splendide ! C’est vraiment merveilleux. Je serais même prêt à vous signer un contrat d’exclusivité à long terme, si vous êtes intéressés. Je n’ai jamais vu un magicien de votre calibre auparavant ! Je ferais en sorte que ça en vaille la peine, je vous l’assure. Que diriez-vous de 10 000 Cinsha par an ? Non, attendez, Balibadom en ferait tout un plat. Est-ce que 8000 serait suffisant ? Je pourrais… »

Les offres commençaient à être un peu trop ambitieuses, alors j’avais fini par devoir les interrompre.

« Je suis désolé, mais nous devons nous occuper de quelque chose à Rapan. Nous garderons cependant cette offre en tête. »

Galban accepta assez facilement. On avait ainsi trouvé notre ticket pour Rapan. Tout était de nouveau sur les rails.

***

Chapitre 14 : Guerriers du désert

Partie 1

Nous étions donc partis pour Rapan en tant que membres de la caravane de Galban.

Le chef de son équipe de garde était le guerrier Balibadom, également connu sous le nom d’Oeil de Lynx. Ses compagnons étaient Carmelita la briseuse d’os et Tont la Grande Lame. En ajoutant Elinalise et moi-même, nous avions cinq combattants et un marchand dans notre groupe.

Et il y avait aussi six chameaux. J’avais envisagé d’inventer des noms pour ces types aussi, mais j’avais décidé de ne pas le faire après avoir appris que nous devrions peut-être les manger si nous étions à court de nourriture dans le désert. Je ne voulais pas que la saveur de mon premier plat de viande de chameau soit empreinte de culpabilité.

Avant de partir, nous avions tenu une réunion pour mettre au point notre formation de base. En règle générale, nous garderions Galban au milieu. Balibadom était devant, accompagné de Carmelita à gauche et de Tont à droite. Elinalise et moi serions positionnés à l’arrière.

Nous formerions tous les cinq un cercle de protection autour de notre employeur et de ses chameaux. Quelle que soit la direction d’où nous étions attaqués, l’un d’entre nous devrait être capable d’intercepter la menace avant qu’elle ne puisse nuire à notre client. C’était une sorte de formation classique de la Croix Impériale.

J’avais l’impression que Carmelita ou Tont seraient des choix plus sûrs pour l’arrière-garde, mais ils voulaient me garder à l’arrière puisque j’étais un magicien — et il était logique de garder Elinalise plus près de moi, puisque nous avions l’habitude de travailler ensemble.

« Très bien. On y va. »

Nous commencions par voyager vers l’est depuis Bazaar jusqu’à atteindre la grande route régionale. Le nom des lieux ne me disait rien, mais cela ressemblait à la route fréquentée par les bandits. Par précaution, j’avais informé Balibadom de ce que j’avais entendu.

« Nous ne connaissons pas de route plus sûre dans le désert. Si les bandits attaquent, c’est pour ça qu’on est là. Parfois, ils demandent juste un péage et nous laissent continuer notre route. », dit-il.

Un péage, hein ? Je n’en avais pas entendu parler, mais si nous pouvions nous frayer un chemin sans avoir à nous battre, alors tant mieux. Les bandits essayaient juste de gagner leur vie. Tant que nous leur donnions ce qu’ils voulaient, ils ne devraient pas en demander plus.

Pour être honnête, l’idée de donner de l’argent à une bande de gens qui menaçaient les voyageurs au lieu de travailler honnêtement ne me plaisait pas trop. Mais je n’étais pas celui qui devait payer ici, alors je pouvais vivre avec.

Pourtant, il y avait une chance que nous tombions sur des bandits plus avides ayant un intérêt autre que l’argent et les marchandises. Par exemple, ils pourraient exiger qu’on leur remette Elinalise, vu son charme. Cela pourrait être problématique. Ce n’était pas comme si on était de vieux amis de Galban et compagnie. On leur avait sauvé la vie, mais ça ne voulait pas dire qu’ils risqueraient leur peau pour nous s’il le fallait. Il y avait toujours une chance qu’ils nous laissent tomber.

« Tu as l’air nerveux, Rudeus, mais ne t’inquiète pas trop. Avec un magicien de ton niveau à nos côtés, quelques bandits ne devraient pas être un problème. », dit doucement Elinalise.

« Tu crois ça ? »

« Je le pense. Et au pire, j’utiliserai un petit charme sur eux. »

« Euh, quoi ? Tu veux être transporté jusqu’à leur base, enchaînée, et brutalement… »

« Mon Dieu, c’est extrême. Tant que tu y vas de ton plein gré, même les bandits seront gentils avec toi. »

« Parles-tu en connaissance de cause ? »

« Nous faisons tous des erreurs dans notre jeunesse. »

Elinalise ne semblait pas du tout préoccupée. Pourtant, cette époque était bien révolue, et elle serait probablement moins désireuse de faire quelque chose comme ça maintenant qu’elle avait Cliff dans sa vie.

Eh bien, peu importe. Nous pourrions probablement repousser une attaque assez facilement, tant que les ennemis n’étaient pas trop nombreux.

Notre groupe traversa des champs arides pendant un moment, en direction de l’est.

Nous avions dû combattre de nombreux monstres en chemin. Il y avait des buffles de Begaritt, qui fonçaient sur vous en groupe, et de grandes tarentules, d’énormes araignées qui se déplaçaient furtivement. Nous avions également rencontré des aigles maîtres du vent, des monstres volants qui vous jetaient des sorts de vent depuis le ciel. Certains de nos amis du désert avaient également fait une apparition : principalement des Cactus Treants et ces lézards tueurs, qui étaient apparemment appelés Gyroraptors. Il y en avait beaucoup d’autres aussi.

Cependant, Balibadom s’était montré capable de repérer nos ennemis bien à l’avance, si bien que nous n’avions jamais été contraints à un combat sérieux. Il s’était avéré qu’il avait lui-même un œil démoniaque, ce qui lui avait valu le nom d’Œil-de-lynx.

L’homme était musclé et grand, et devait avoir la quarantaine, à en juger par les rides au coin de ses yeux. On pouvait dire au premier coup d’œil qu’il était le type de survivant rusé. Ses cheveux étaient coupés court sur les côtés et dans le dos; il me rappelait un peu le capitaine de l’équipe de ce vieux film de basket-ball. Je m’attendais à ce qu’il s’écrie : « Marque-le ! » ou quelque chose comme ça.

Son œil démoniaque était du même type que celui de Ghislaine : il lui permettait de voir le flux de mana dans le monde qui l’entourait. C’était le moyen le plus efficace pour détecter des ennemis.

« Nous avons des monstres devant nous. Prêt au combat, tout le monde. »

Jusqu’à présent, il avait parfaitement prédit chaque monstre en approche et chaque changement de temps. C’était presque comme voyager avec Ruijerd. Il n’était pas aussi précis sur les détails, mais il repérait les ennemis très rapidement. Ses nombreuses années d’expérience y étaient probablement pour quelque chose.

« Cela me ramène un peu en arrière. Ghislaine repérait les monstres comme ça, avec son œil et son nez. », dit Elinalise avec un sourire.

Lorsque vous aviez quelqu’un dans votre groupe qui pouvait détecter les ennemis à l’avance, le combat avait tendance à être beaucoup moins risqué. Lorsque les monstres arrivaient à portée, j’étais prêt à les frapper avec un sort. J’avais commencé par utiliser le Canon de pierre, mais le viser précisément devenait fastidieux, alors je les envoyais en l’air avec la magie du vent, puis je les écrasais au sol. Ça demandait un peu moins d’efforts.

« Tu utilises ces sorts terriblement librement, mon garçon. Ne vas-tu pas manquer de mana ? »

J’étais devenu tellement paresseux que Balibadom ait fini par revenir me parler, l’air un peu inquiet.

« Ça devrait aller. Je pense que je peux continuer comme ça toute la journée. »

« Je vois. Tu es donc un Grand Sorcier ? »

« Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? »

« C’est un titre donné aux magiciens qui ont atteint une profonde maîtrise de leur art. »

« Eh bien, euh, je ne dirais pas que je suis un maître de quoi que ce soit pour le moment. »

« En tout cas, il est rare de trouver un magicien prêt à utiliser ses pouvoirs aussi librement. »

De nombreux magiciens mettaient un point d’honneur à ne pas dépenser plus de la moitié de leur réserve de mana dans une journée donnée. C’était également la norme dans les Territoires du Nord. Comme la plupart des mages n’étaient pas très forts physiquement, leur réserve de mana était tout ce sur quoi ils pouvaient compter pour se défendre. Mais pour autant que je sache, je n’avais jamais vidé la moitié de ma réserve.

Garder un peu de mana disponible en cas d’urgence relevait du bon sens. Mais pour les guerriers du désert qui ne connaissaient pas grand-chose à la magie, la plupart des mages étaient probablement des fainéants. Balibadom semblait avoir assez d’expérience de combat en groupe pour comprendre la vraie raison pour laquelle les mages se retenaient. Pourtant, il ne semblait pas si bien connaître la magie en général, étant donné qu’il n’avait pas fait de commentaire sur mes incantations silencieuses.

« Je suis heureux d’avoir ta puissance de feu de notre côté, mais essaye de garder un peu de mana pour les situations inattendues. Nous sommes cinq dans ce groupe, tu sais ? Retiens tes attaques à longue portée jusqu’à ce que je les demande. », avait-il dit.

« Compris. »

Je n’essayais pas vraiment de cacher le fait que ma réserve de mana était massive, mais je ne voyais pas non plus de raison de le lui dire ouvertement. Et d’abord, je ne savais pas trop où se trouvaient mes limites. Je ne voulais pas être trop arrogant et finir par provoquer un désastre.

La nuit, nous étions cinq à monter la garde à tour de rôle tandis que Galban se reposait seul dans sa tente. Nous étions tous censés dormir dehors. Ce n’était pas comme si je m’attendais à un traitement égalitaire.

J’avais créé un abri et encouragé tout le monde à dormir dedans, mais Balibadom et les autres refusèrent, disant qu’ils auraient plus de mal à remarquer les monstres qui pourraient s’approcher. Cela semblait effectivement être une raison légitime pour dormir dehors.

Utiliser cet abri moi-même me fit sentir mal à l’aise, mais Elinalise était intervenue.

« Il n’y a pas à se sentir mal, Rudeus. Nous avons notre propre façon de faire les choses, et nous serons plus utiles si nous sommes bien reposés demain. »

Cela me paraissait logique. Nous avions donc fini par dormir dans notre petit refuge. C’était à coup sûr plus reposant que l’alternative.

Deux d’entre nous monteraient la garde à la fois pendant la nuit. J’avais supposé qu’un seul suffirait, mais apparemment c’était plus sûr ainsi, surtout quand on avait un groupe de cette taille. Nous avions changé les quarts de garde chaque nuit.

La première nuit, j’étais jumelé avec Carmelita.

« Hé, toi. Je suppose qu’on va travailler ensemble ce soir, hein ? »

« Oui. Ne t’endors pas. »

« Eh bien, je n’en avais pas l’intention. »

Bien que nous ayons techniquement un travail à faire ici, fixer silencieusement quelque chose en particulier pouvait devenir assez ennuyeux. Nous avions donc finalement commencé à faire un peu la conversation tous les deux.

« Merci pour ton aide l’autre jour. »

« Oh, je t’en prie. Ce n’était pas grand-chose. »

« Tu es fort. Comme l’autre. La femme. »

Carmelita la « Briseuse d’os » était une guerrière de profession et allait avoir vingt et un ans cette année. Son arme de prédilection était une épée à lame large et épaisse de plus d’un mètre de long, qu’elle balançait férocement en combat.

Il semblerait que la plupart des guerriers de cette région préféraient les armes énormes de ce type. Balibadom portait également une lame massive. Il semblait y avoir beaucoup de gros monstres avec des carapaces épaisses et résistantes par ici. Il était logique d’utiliser des armes qui ne se briseraient pas facilement. Même si vous étiez un bon épéiste, vous ne voudriez pas essayer de percer un trou dans une plaque de fer avec une petite rapière.

***

Partie 2

Et d’après ce que j’en avais vu, leur style de combat semblait également être unique.

« L’épée de ta femme est cependant beaucoup trop fine. Tu ne peux rien tuer avec ça. »

« Tu pourrais en fait être assez surpris. C’est un objet magique, et elle sait s’en servir. Je l’ai vue découper des Gryphons. Oh, et juste pour que tu le saches, ce n’est pas vraiment ma femme. On est juste des amis qui vont à Rapan ensemble. »

« Mais tu couches avec elle, oui ? Quand une Succube vient ? »

« Euh, non. Je connais un peu la magie de la désintoxication, donc je l’utilise juste… »

« Quand une succube vient, les hommes sont excités. Les femmes couchent avec eux. C’est comme ça que ça se passe, dans le désert. »

« Oh ? »

Carmelita continua à expliquer le lien entre les Succubes et le fonctionnement des bandes de guerriers dans le désert, en ayant l’air plutôt fière d’elle.

De nos jours, on pouvait trouver des Succubes sur tout le continent. L’espèce était à l’origine de la région sud-ouest, et leur nombre était relativement faible, mais lors de la guerre d’il y a quatre cents ans, Laplace les avait délibérément encouragées à se reproduire. Cela faisait partie de son plan pour briser la résistance obstinée des guerriers Begaritt.

Les succubes étaient mortelles pour les hommes. Leurs phéromones pouvaient neutraliser même les vétérans les plus déterminés. Je pouvais attester de cette partie personnellement. Si deux d’entre elles venaient à moi en même temps, ou si une apparaissait juste devant moi, je n’étais pas du tout sûr de survivre.

Une fois touchés par les phéromones d’une Succube, les hommes étaient réduits à l’état d’esclaves irréfléchis. Mais une Succube ne pouvait ramener qu’un certain nombre de victimes dans son repaire en même temps. Elles avaient donc tendance à choisir quelques morceaux de choix, laissant les autres derrière elles. Les hommes laissés derrière de cette manière se battaient ensuite entre eux jusqu’à la mort. Une fois que votre esprit était empoisonné par les phéromones, tous les autres hommes que vous voyez devenaient automatiquement vos ennemis. Franchement, cela ressemblait énormément à l’effet de statut Charme.

Pour guérir quelqu’un de cet état, il fallait soit le dissiper avec un sort de désintoxication de niveau intermédiaire, soit le laisser coucher avec une femme. Et il y a 400 ans, pratiquement personne sur ce continent ne pouvait utiliser la magie de désintoxication.

Par conséquent, de nombreux jeunes hommes vierges finirent par perdre la vie. Il n’y avait pas grand-chose à faire — ils n’avaient personne avec qui coucher. Ils étaient probablement morts en souhaitant avoir couché avec quelqu’un, même avec la Succube qui les avait condamnés. J’en compatissais presque…

Bon, revenons à notre sujet principal… Avec le temps, les guerriers du continent de Begaritt s’étaient adaptés à leur situation. Chaque groupe commença à voyager avec un certain nombre de femmes. Au début, il s’agissait souvent d’esclaves ou de prisonnières démoniaques, mais les guerriers s’étaient vite rendu compte que les non-combattantes les ralentissaient. Les femmes avaient peu d’endurance et avaient constamment besoin d’être protégées au combat.

Les guerriers avaient réfléchi à la question. Ils s’étaient creusé les méninges pendant des années et finirent par trouver une solution : ils pouvaient former les femmes pour qu’elles deviennent elles aussi des combattantes. Exactement le genre de solution que l’on pourrait attendre d’un groupe de personne de type Conan le Barbare.

Et ce fut ainsi que les femmes guerrières du continent de Begaritt virent le jour.

Actuellement, chaque groupe de combattants ou de gardes sur ce continent contenait au moins quelques femmes. Lorsque le groupe rencontrait une Succube, elles étaient chargées de la tuer puis de coucher avec les hommes pour briser le sort. Certains groupes comptaient même plus de femmes que d’hommes, car il était plus sûr d’affronter les Succubes de cette façon. Dans l’ensemble, les femmes de ce continent firent plus que leur part du combat.

Carmelita n’avait aucune objection à son rôle. Chaque fois que son groupe rencontrait une Succube, elle la tuait et couchait avec les hommes pour briser son enchantement. Bien sûr, cela entraînait parfois des grossesses, mais les guerrières l’acceptaient et rentraient fièrement chez elles quand cela arrivait. Le bébé était finalement confié aux habitants de leur village, et la guerrière retournait à ses occupations. Carmelita avait déjà elle-même donné naissance à un tel enfant.

Ces bébés étaient élevés par tout leur village, plutôt que par leurs parents. Tous étaient soignés et traités de la même manière, indépendamment de leur héritage ou de leur race. On leur apprenait à se battre dès leur enfance, et une fois qu’ils atteignaient l’adolescence physique, ils subissaient une cérémonie de passage à l’âge adulte et quittaient leur village. Lorsqu’un guerrier devenait trop vieux pour se battre, il gagnait le droit de rentrer chez lui et de se consacrer à l’éducation des générations futures.

Cependant, certains choisissaient de ne jamais rentrer chez eux, préférant passer toute leur vie à se battre. Balibadom était l’un d’entre eux.

Naturellement, il n’y avait pas de véritable concept de mariage dans ces villages. Il était difficile d’imaginer que quiconque dans cette société s’attache romantiquement à une personne en particulier.

Honnêtement, le choc culturel était réel. J’avais lu des articles sur des tribus ayant des arrangements similaires dans mon ancien monde, mais… c’était vraiment difficile à comprendre. Je n’avais même pas réussi à me convaincre que c’était sexy.

J’avais regardé Carmelita pendant un long moment, pour essayer de comprendre les choses de son point de vue.

« Je te suis reconnaissante, mais je déteste les mages. Si une Succube se montre, va voir l’autre femme. », avait-elle dit à sa manière hésitante

Pour une raison ou une autre, être rejeté sans avoir rien entamé, comme ça, me mit mal à l’aise. Je pouvais toutefois m’occuper de la Succube moi-même.

La Grande Lame Tont était un homme tranquille d’une trentaine d’années, avec une épaisse moustache, une peau brun clair et des muscles ondulants. Il n’était pas aussi grand que Balibadom, mais leurs visages se ressemblaient beaucoup. Sans la pilosité faciale, j’aurais pu facilement les confondre l’un l’autre. Nous avions un peu parlé lors de notre première garde de nuit ensemble, mais il n’était pas du genre bavard. C’était un vrai contraste avec Carmelita, qui semblait aimer parler.

Je n’avais rien de particulier à dire, mais le temps semblait passer plus lentement lorsque nous regardions l’obscurité en silence. Au bout d’un moment, j’avais essayé de le faire parler.

« Au fait, j’aime ton nom. La Grande Lame Tont. Ça sonne bien. », avais-je dit.

« Oui. La matriarche l’a choisi pour moi. »

« Oh, vraiment ? Tu n’as pas juste pris ce surnom à un moment donné ? »

« C’est la matriarche qui choisit nos seconds noms. Il en est ainsi pour tous les guerriers du désert. »

Apparemment, leurs titres n’étaient pas de simples surnoms, mais plutôt des noms de cérémonie qui leur étaient donnés par l’ancien du village le jour où ils le quittaient définitivement.

Pour ceux qui avaient une grande force, comme Carmelita, il s’agissait souvent de quelque chose comme Briseuse d’Os ou Bras-Puissant. Ceux qui avaient des yeux perçants, comme Balibadom, étaient généralement appelés Oeil-de-Lynx ou Oeil-de-Faucon. En d’autres termes, le nom d’une personne permettait généralement de déterminer son plus grand talent. Mais comme il n’y avait qu’un nombre limité de façons d’appeler quelqu’un « fort », vous rencontriez parfois un autre guerrier qui partageait votre nom.

Tont était connu sous le nom de la Grande Lame, mais son épée n’était pas exceptionnellement massive selon les normes de son peuple. C’était juste une façon de dire qu’il avait une puissance physique. Peut-être qu’il y avait un « Tue en un coup » là-bas aussi.

« Eh bien, les gens ont commencé à m’appeler Quagmire Rudeus. J’ai utilisé ce sort à chaque bataille pendant un moment. », dis-je.

« Je ne t’ai pas vu créer un bourbier une seule fois. »

« Oui, ça ne serait pas très efficace contre les monstres du coin. »

Le sort était très utile contre les monstres rampants ou marchants, mais beaucoup moins contre tout ce qui pouvait se soulever du sol, comme une Succube ou un Gryphon. Et arrêter un insecte lent et lourdement armé dans sa course ne faisait pas une grande différence.

Et de toute façon, je ne prenais pas la peine d’arrêter les monstres avant de les cibler.

« Ta magie est toujours tape-à-l’œil. Si c’est ta spécialité, j’aimerais la voir au moins une fois. »

« Eh bien, en vérité Bourbier est un sort plutôt ennuyeux… mais j’essaierai de l’utiliser un jour, si j’en ai l’occasion. »

Avec un petit signe de tête, Tont s’était tu. Apparemment, il avait épuisé sa réserve de mots à l’instant.

Au fur et à mesure que notre groupe se déplaçait vers l’est, la terre autour de nous devenait de plus en plus verte.

La ville de Kinkara se trouvait dans cette direction, et la grande jungle juste au-delà. Je trouvais un peu étrange qu’une jungle puisse exister si près d’un désert aride, mais nous n’aurions pas l’occasion de la voir cette fois-ci. Lorsque nous avions atteint un grand rocher vertical que quelqu’un avait laissé derrière lui comme point de repère, Galban changea de cap et nous avions commencé à nous diriger vers le nord.

Après trois jours de voyage dans cette direction, nous avions rencontré la route régionale principale. Elle n’était pas pavée, et encore moins activement entretenue, elle ressemblait plus au produit naturel d’innombrables voyageurs allant dans la même direction. Comparée au terrain sablonneux sur lequel nous avions voyagé, elle semblait ferme et fiable sous mes pieds. Cela me convenait parfaitement.

« Monsieur, nous pourrions rencontrer des bandits maintenant que nous sommes sur la route. Je pense qu’on s’en sortira sans problème, mais si les choses tournent mal… »

« Je te paie bien, non ? Occupe-toi juste de garder les marchandises en sécurité ! »

« … Oui. D’accord. »

Balibadom voulait clairement que Galban envisage d’abandonner la cargaison en cas d’urgence, mais l’homme n’en avait pas l’intention. Peut-être que sa marchandise était plus importante pour lui que sa vie. Ça n’avait pas beaucoup de sens pour moi, mais qui étais-je pour juger ?

« On va s’en sortir, patron ? »

« Ne perds pas ton temps à t’en faire, crétine. »

Pour une raison quelconque, Balibadom et Tont se référaient souvent à Carmelita de cette façon. Je suppose que c’était une tournure amicale de l’histoire du Briseur d’Os… ou peut-être une tournure insultante. Dans tous les cas, j’avais l’impression qu’elle me frapperait au visage si j’essayais de l’utiliser.

« Quagmire, Dragonroad, je veux que vous colliez tous les deux à Galban comme de la colle à partir de maintenant. Tont, tu es sur les chameaux. N’en laisse pas un seul s’échapper. Briseur d’Os, tu prends l’arrière. J’irai en éclaireur devant nous et donnerai le signal s’il y a quelque chose. Vous avez intérêt à ne pas le rater. »

« Compris, patron. »

« Compris. »

« Entendu. »

Assumant nos nouvelles positions, nous partions prudemment. D’après ce que j’avais entendu, les bandits du coin tendaient surtout des embuscades et attendaient que les gens tombent dessus, si on les repérait à l’avance et qu’on prenait un détour, il était possible d’éviter complètement les problèmes.

***

Partie 3

Grâce à la capacité avancée d’éclaireur de Balibadom, nous avions pu détecter la première embuscade sur notre chemin bien à l’avance. Les groupes de personnes n’étaient pas aussi faciles à détecter avec son œil de démon, mais il avait réussi à les repérer à l’ancienne. Nous avions fait un long détour pour quitter la route et contourner le danger. Il y avait peu de gens qui acceptaient de traverser une crotte de chien qu’ils avaient remarquée devant eux, non ? Il était tout à fait naturel de la contourner.

Il s’était avéré que c’était une erreur.

Peut-être que Balibadom avait été repéré par l’ennemi pendant son expédition de reconnaissance, et qu’ils l’avaient suivi jusqu’à nous. Peut-être qu’il n’avait vu qu’une petite partie des forces des bandits, et que notre détour nous avait menés à leur armée principale.

Quoi qu’il en soit, nous avions été attaqués.

*****

C’était arrivé juste après que nous ayons mis une distance de sécurité entre nous et l’embuscade. Tout le monde commençait à respirer un peu plus facilement.

Et puis quelque chose siffla dans l’air.

Tout d’un coup, Tont avait une flèche dans la poitrine. Il tomba sur le sol.

Ne comprenant pas ce qui se passait, j’avais commencé à me précipiter, avec l’intention de lancer un sort de guérison. Mais Elinalise m’attrapa par le col et me tira en arrière.

Alors qu’elle faisait cela, une autre flèche frappa le chameau à côté duquel se tenait Tont.

« Courez ! Nous sommes attaqués ! Ils arrivent de l’ouest ! », cria Balibadom.

J’avais enfin compris que nous étions en grand danger et que nous devions fuir pour sauver nos vies. Elinalise me relâcha. Galban et les chameaux étaient déjà en train de sprinter désespérément en avant. Je les avais suivis, courant aussi vite que je le pouvais.

Il y avait un groupe d’hommes à cheval sur une colline à notre gauche, et ils nous chargeaient. Ils étaient à cheval, et nous étions à pied. Ils portaient tous un turban jaune sable identique.

« Monsieur, nous devons laisser les chameaux ! Ils nous laisseront peut-être partir si on leur donne tout ! »

« Aucune chance ! »

« Vous êtes suicidaire, ou juste un idiot ?! »

« Protégez ma cargaison, bon sang ! C’est pour ça que je vous ai engagés ! »

« Ce n’est pas possible ! Ils sont trop nombreux ! »

Alors que Balibadom et Galban s’engueulaient, notre chameau blessé trébucha maladroitement. Au moment où j’avais compris qu’il avait la bave aux lèvres, celui-ci tituba sur le côté et s’effondra.

Un frisson d’effroi me parcourut l’échine. Ces flèches étaient empoisonnées.

« Tch ! Ils viennent aussi de l’arrière ! »

Un autre groupe de cavaliers fonçait sur nous par-derrière, et les archers sur la colline préparaient leur prochaine volée. La plupart de leurs tirs n’arrivaient pas jusqu’à nous, mais quelques-uns pouvaient vraiment faire voler leurs flèches aussi loin. De temps en temps, une flèche s’approchait dangereusement de nous.

Il devait y avoir une cinquantaine de personnes. Non, une centaine. Et ce n’était que ceux que nous pouvions voir.

Le mot bandits m’avait bien trompé. C’était une armée que nous affrontions.

« … »

Le cœur martelant dans ma poitrine, j’avais essayé d’analyser la situation. Nous étions attaqués sur le flanc et à l’arrière. A tout du moins, il n’y avait pas d’ennemis directement devant nous. C’était là que nous devions fuir.

« Rudeus ! », cria Elinalise.

« Bien. Je vais utiliser Bourbier et Brouillard Profond. »

Ces sorts m’étaient venus à l’esprit immédiatement. Rien d’autre ne pouvait fonctionner ici.

« D’accord, très bien ! Fais-le ! »

Je m’étais retourné et j’avais invoqué le plus grand bourbier que j’avais pu créer. Je n’avais pas pris la peine de le rendre trop profond. Il fallait juste que ça fasse trébucher les chevaux.

« Balibadom ! Je vais nous couvrir de brouillard ! Continuez à courir droit devant vous ! »

« Quoi ? ! Euh… D’accord ! »

« Brouillard profond ! »

En invoquant une énorme quantité d’humidité dans une large gamme tout autour de nous, j’avais effectivement couvert la zone d’un épais linceul blanc de brume. On avait presque l’impression d’être à l’intérieur dans une sorte de nuage. Peu importe le talent de leurs archers, ils n’arriveraient pas à tirer sur nous maintenant.

Mais une fraction de seconde après que cette pensée m’ait traversé l’esprit, une flèche percuta le sol à quelques mètres devant moi.

« Gah ! »

Surpris, j’avais failli tomber en arrière, mais Elinalise me rattrapa avant que je ne touche le sol.

« Tout va bien, Rudeus ! Ils ont un archer brillant, mais il ne nous frappera plus ! »

Quoi ? Elle disait que c’était la même personne qui avait tué le Tont et le chameau ? Comment le savait-elle ?

Ça n’avait cependant pas d’importance. La brume était de notre côté maintenant.

« Allez, cours ! »

J’avais hoché la tête en tremblant et je m’étais mis en route. Il n’allait pas pouvoir nous viser à nouveau. Il n’allait pas me frapper. Ce n’était tout simplement pas possible. J’étais invincible !

Et merde ! J’aurais dû demander à Sylphie un porte-bonheur ou autre chose ! J’aurais peut-être pu prendre mon souvenir de notre première nuit ensemble dans le sanctuaire…

« Merde, ils nous rattrapent ! Dégaine ton épée, Carmelita ! »

Le cri de Balibadom me ramena à la réalité. En écoutant attentivement, j’entendais le bruit de sabots qui se rapprochaient de nous par-derrière. Certains des cavaliers avaient dû faire une embardée pour contourner mon bourbier. Et malgré le brouillard que j’avais créé, ils n’avaient qu’à charger directement dans la direction où ils s’étaient déplacés.

Nous étions face à des combattants montés ici. La cavalerie avait certes quelques faiblesses, mais sa vitesse était une arme mortelle en soi.

J’avais vu au moins cinquante cavaliers se précipiter vers nous : combien avaient réussi à passer mon sort ? Vingt ? Trente ? Je ne voulais pas essayer de combattre un groupe aussi important à bout portant.

« Je vais les ralentir ! Continuez à courir, tout le monde ! Mur de terre ! »

J’avais invoqué un mur épais de deux mètres derrière nous sans ralentir mon allure. Un cheval au galop ne pouvait pas s’arrêter soudainement. Dans ce brouillard, beaucoup d’entre eux le percuteraient probablement. Même s’ils se rendaient compte de sa présence, ils devraient ralentir et le contourner.

« Haah…haah… »

Il n’y avait plus de flèches qui tombaient tout autour de nous, mais je courais toujours comme si ma vie en dépendait. Toutes les quelques secondes, je faisais une pause pour invoquer un nouveau mur derrière nous.

En fuyant, je pensais à Tont, qui avait pris une flèche dans la poitrine au tout début de l’embuscade. L’avions-nous laissé mourir ?

Non. Il était de toute façon fichu. Cette flèche l’avait touché au cœur, et elle était empoisonnée. Même avec la magie de guérison avancée, c’était probablement une blessure mortelle. Et le plus important encore, c’était qu’il n’y avait aucune chance que nous puissions nous arrêter pour l’aider.

En serrant les dents, je m’étais concentré pour courir aussi vite que possible.

Je ne savais pas combien de temps nous avions couru, mais j’avais eu l’impression que ça faisait au moins deux heures. Probablement plus. Finalement, Balibadom regarda derrière nous et cria : « Je pense que nous les avons semés ». Tout le monde s’était alors arrêté en titubant.

« Haah…haah… »

J’étais évidemment épuisé et trempé de sueur. Mais toutes mes courses du matin n’avaient pas été vaines. J’aurais pu continuer si j’avais dû le faire.

Les trois guerriers du groupe n’avaient même pas eu à reprendre leur souffle. Ce truc d’aura de combat était vraiment injuste.

« Gaaah…haaah… Gweeeh… »

Galban s’était effondré sur le sol, le visage pâle comme un linge. Même pour un voyageur chevronné qui avait passé des années sur la route, courir pendant deux heures d’affilée n’était pas une chose aisée. Au moins, je n’étais pas le seul.

Nous n’avions perdu qu’un seul chameau dans le raid. Et aussi un garde du corps.

Pauvre Tont. Si j’avais pu arracher la flèche tout de suite et prendre le temps de lancer des sorts de guérison et de désintoxication, il aurait pu survivre. Peut-être que la flèche ne l’avait pas frappé en plein cœur. J’aurais probablement essayé de le sauver, si Elinalise ne m’avait pas attrapé par le col. Mais si je m’étais arrêté pour me concentrer sur lui, je n’aurais pas pu m’enfuir à temps. La flèche suivante m’aurait probablement atteint.

Elinalise avait eu raison de m’éloigner. Son expérience du combat m’avait probablement sauvé la vie. Même si je n’avais hésité que quelques secondes, cela aurait pu m’être fatal.

« … »

En regardant autour du groupe, j’avais remarqué que Carmelita me regardait fixement. Avais-je fait quelque chose pour la contrarier là-bas ? Rien ne m’était venu à l’esprit.

Pendant l’embuscade, elle avait été positionnée derrière moi, à l’arrière du groupe. Peut-être avait-elle été blessée à un moment donné et elle avait besoin de soins. Il ne semblait pourtant pas que des flèches l’aient touchée.

Tout à coup, elle s’était approchée de moi et m’avait attrapé par le devant de ma robe.

« Pourquoi ? ! Pourquoi ne les as-tu pas tués ? ! Tu aurais pu ! J’ai vu ta magie ! »

« Qu… »

Qu’est-ce qu’elle disait ? Elle s’attendait à ce que je tue tout ce groupe de bandits ?

Ça semblait fou. Mais après un moment, j’avais réalisé que je n’avais jamais pensé à tenter cette approche.

« Arrête, crétine ! »

« Tu l’as vu aussi, n’est-ce pas ? Il faisait s’enfoncer les chevaux dans le sol ! Il les faisait foncer dans les murs ! Il a rendu tout brumeux ! »

« Tu n’y penses pas, bon sang ! Utilise ton cerveau pour une fois ! »

« Tais-toi ! S’il avait utilisé sa magie, nous aurions pu venger Tont ! »

« Ils étaient trop nombreux, petite ! Je suis sûr que c’était le groupe de Harimaf là-bas. Il y en avait plus derrière ces collines ! »

« Mais-ah ! »

Elinalise s’était interposée entre Carmelita et moi. Elle avait appuyé son bouclier contre la guerrière et avait posé une main sur la rapière à sa taille.

« Tu n’es pas d’accord avec la façon dont nous avons géré ça ? », dit-elle.

« Quoi… ? »

« Rudeus a agi de manière appropriée, étant donné la situation. Nous étions largement en infériorité numérique et face à une force inconnue. Pire, ils nous lançaient des flèches empoisonnées. Il a arrêté leur cavalerie avec son bourbier, aveuglé leurs archers avec la brume, et nous a donné le temps de nous échapper avec ses murs. Il est la seule raison pour laquelle nous sommes en vie. Nous avons perdu un homme et un seul chameau, mais nous nous sommes échappés. Aurais-tu préféré rester debout et te battre ? Nous serions morts comme des idiots, et ils auraient tout pris. »

Les mots ne signifiaient rien pour Carmelita, puisqu’Elinalise parlait en langue humaine. Pourtant, le ton glacial de sa voix rendait sa signification assez claire. Il était rare qu’Elinalise parle de manière aussi agressive à quelqu’un, surtout à un allié.

Elle avait raison à propos de leur nombre brut. J’avais vu au moins cinquante bandits, mais ils devaient être une centaine ou plus. Et comme Balibadom l’avait fait remarquer, ils pouvaient en avoir plus en réserve.

Aurais-je pu tuer une force de cette taille à moi tout seul ? C’était difficile à dire. Mais je pouvais utiliser la magie de rang Saint et probablement assez de mana pour l’utiliser de façon répétée pendant un certain temps.

Après avoir arrêté la cavalerie avec un bourbier, j’aurais pu rapidement lancer un sort à large portée et décimer les archers. J’aurais pu faire tomber les cavaliers de leurs chevaux avec un souffle de vent, puis les rôtir avec la magie du feu. C’était théoriquement possible.

Mais je n’étais pas sûr que cela aurait marché. Pour ce que j’en savais, ces bandits avaient l’expérience du combat contre les mages. Si un seul archer avait survécu, une flèche empoisonnée aurait pu m’atteindre. Certains des cavaliers auraient pu se glisser dans mon bourbier et nous abattre. Et si ça s’était transformé en mêlée, je n’aurais pas pu lancer mes sorts sans tuer mes alliés.

Elinalise était au courant de tout cela. C’était pour cela qu’elle prenait mon parti avec tant de fermeté.

« Et pour rappel, » poursuit-elle, « nous sommes des gardes du corps, pas des soldats mercenaires. Nous n’avons pas signé pour combattre une armée entière à nous seuls. »

« … »

« Y a-t-il une raison pour laquelle tu me regardes toujours avec insistance ? Tu veux te battre, c’est ça ? Quel enfant têtue ! Je vais te laisser faire, si tu insistes. »

Perdant finalement patience, Elinalise dégaina sa rapière. Carmelita s’empressa de prendre son épée. Mais avant que les choses ne puissent aller plus loin, Balibadom s’était interposé entre elles.

« Arrêtez, toutes les deux. Écoutez, c’est vraiment malheureux pour Tont, mais Quagmire a fait le bon choix. Le seul qui voulait se battre, c’était toi, crétine. Tu es vraiment bête parfois, tu sais ça ? »

« … Tais-toi. »

Avec un fort grognement, Carmelita recula. Elle se dirigea vers l’endroit où les chameaux se reposaient, s’accroupit à côté d’eux et enfouit son visage dans ses genoux.

***

Partie 4

Balibadom la regarda pendant un moment, puis soupira.

« Vous deux, désolé pour ça. »

« Uhm, c’est bon… »

« C’est juste que… Carmelita a eu un enfant avec Tont. »

« Huh ?! »

« Donc, eh bien… Je pense que tu peux comprendre ce qu’elle ressent. Elle s’est juste défoulée. »

Ces deux-là avaient eu un enfant ?

J’avais supposé que les guerrières de ce continent ne s’attachaient pas émotionnellement à un homme en particulier, mais ce n’était pas toujours le cas. Peut-être que c’était différent quand elles avaient un bébé avec quelqu’un.

Alors que je ne savais pas quoi dire, Elinalise rengaina sa rapière et se retourna pour me faire face.

« Tu n’as aucune raison de te sentir déprimé, Rudeus. »

« … Aucune raison ? »

« Il y a des aventuriers qui mettent un point d’honneur à ne jamais tuer un autre être humain. Pas beaucoup d’entre eux, certes, mais ils existent. Et tu vas bientôt devenir père. Je peux comprendre que tu hésites à prendre tant de vies. »

Ses tentatives pour me réconforter étaient un peu à côté de la plaque. Mais bien sûr, elle ne savait pas ce que Balibadom venait de me dire.

Pour être honnête, je n’avais pas du tout hésité. L’idée de tuer ces hommes ne m’avait même pas effleuré l’esprit, malgré le danger mortel auquel nous étions confrontés.

Bien sûr, quelques cavaliers avaient probablement perdu la vie en fonçant tête baissée dans ces murs que j’avais érigés dans la brume. Je n’avais pas non plus ressenti de culpabilité à ce sujet. Mais l’idée d’utiliser la magie pour tuer quelqu’un directement me mettait mal à l’aise.

… Et c’était franchement un peu pathétique.

« Merci, Elinalise. »

Je l’avais quand même remerciée d’avoir essayé de me remonter le moral. En y repensant, elle avait couru à mes côtés pendant toute la course, quand j’avais perdu l’équilibre, elle était là pour me soutenir. On aurait dit qu’elle s’était positionnée pour me protéger des flèches perdues.

J’avais l’impression qu’elle se considérait comme mon garde du corps, plus qu’autre chose.

« Pas besoin de me remercier, mon cher. Je veillerai toujours sur mon petit-fils. », dit-elle tout en me tapotant l’épaule.

Ton petit-fils, hein ? Hmm.

Le temps que nous rentrions à la maison, le ventre de Sylphie serait très gros. Ce bébé allait être l’arrière-petit-fils d’Elinalise. J’étais sûr qu’elle voulait que son arrivée soit un événement heureux. Ou peut-être ne voulait-elle pas que Sylphie lui demande en larmes pourquoi elle n’avait pas réussi à me protéger.

Dans tous les cas, la solution était assez simple. Il fallait juste qu’on se remette ensemble.

« Uhm, Elinalise… »

« Qu’il y a-t-il ? »

« Merci. Vraiment. »

Cette fois, j’avais mis plus de sentiments dans mes mots.

En réponse, Elinalise m’avait juste tapé sur les épaules.

*****

Malgré l’atmosphère gênante, notre groupe continua à avancer.

Balibadom était étonnamment calme et posé, si on considérait que nous venions de perdre un autre de ses hommes. Sa première préoccupation était de retravailler notre formation. Loin de s’arrêter pour pleurer son camarade, il n’avait même pas prononcé le nom de Tont. Il resta le même, un garde du corps professionnel et concentré tel qu’il avait toujours été. Cela semblait un peu froid, mais c’était probablement la façon dont les choses se passaient dans son métier.

Son peuple était habitué à cela. La mort était un compagnon constant pour eux, une seule erreur ou un peu de malchance suffisait à mettre fin à leur vie. Rétrospectivement, c’était aussi une attitude commune sur le Continent Démon. C’était une façon de penser que je ne pouvais pas vraiment comprendre.

Quelques jours sans histoire plus tard, nous avions atteint l’oasis qui marquait le milieu de notre voyage. Tout comme Bazaar, il s’agissait principalement d’un marché entourant un petit lac central. Je ne l’avais pas remarqué auparavant, mais tous les autres groupes armés que nous avions croisés avaient au moins une femme parmi eux. C’étaient probablement aussi tous des guerriers du désert.

Galban et les autres montèrent nos tentes dans un coin dégagé de la petite ville. Pendant que nous étions dans l’oasis, au moins, les gardes du corps pouvaient apparemment dormir également à l’intérieur.

« Balibadom, penses-tu que nous devons engager quelqu’un pour remplacer l’homme que tu as perdu ? », demanda Galban.

« Ça ne devrait pas être nécessaire, Galban. Ces deux-là sont plus utiles que la moyenne des guerriers. Je pense qu’il est plus intelligent d’aller à Rapan avec notre groupe actuel, puis d’engager de nouvelles personnes là-bas. Nous ne devrions de toute façon plus rencontrer de bandits. »

« Je vois. Très bien alors, faisons cela. Quand même, c’est dommage qu’on ait perdu ce chameau… »

« Ce sont des choses qui arrivent. On a eu de la chance de s’en tirer à si bon compte, vu leur nombre. »

Balibadom et Galban semblaient être en bons termes. En toute honnêteté, on aurait presque dit qu’ils étaient partenaires en affaires.

« Qu’y a-t-il, Rudeus ? Ai-je quelque chose sur le visage ? »

Sentant mon regard, Galban s’était retourné pour me regarder.

« Ce n’est rien, vraiment. Je me disais juste que vous et Balibadom semblez bien vous entendre. »

« Ah, oui. Et bien nous travaillons ensemble depuis l’époque où je n’étais qu’un jeune marchand. Je lui fais confiance plus que quiconque. »

Intéressant. S’ils avaient passé autant de temps ensemble, peut-être que Balibadom avait toujours été plus proche de Galban que Tont, son compagnon de guerre. Après des années et des années à servir comme garde du corps principal, il était possible qu’il ait commencé à voir ses hommes et ses femmes comme jetables. Ou du moins interchangeables, vu la régularité de leurs allées et venues.

Nous nous étions arrêtés à l’oasis le temps de nous reposer et de nous réapprovisionner en denrées périssables, puis nous étions partis vers le nord.

Carmelita ne s’était plus disputée avec moi, mais elle n’était pas non plus plus amicale que nécessaire. Nous ne nous parlions plus pendant nos quarts de nuit.

J’avais essayé de ne pas me laisser abattre. De toute façon, nous allions prendre des chemins différents une fois arrivés à Rapan. Pourtant, je devais compatir à ce qu’elle traversait. Je ne pouvais pas imaginer ce que c’était que de perdre le père de son enfant si soudainement.

Je savais à quel point ça me ferait mal si Sylphie mourait dans mes bras. J’avais été submergé par la joie quand j’avais appris qu’elle était enceinte. Si je la perdais soudainement, le désespoir serait encore plus intense.

« … Et je suppose que je vais le regretter, hein ? »

En supposant que l’Homme-Dieu soit franc avec moi, ce voyage vers le Continent Begaritt allait me créer des regrets d’une manière ou d’une autre.

Il me l’avait dit pour la première fois quand j’avais rencontré Elinalise à l’âge de quinze ans. J’avais passé un certain temps à Ranoa, mais le raccourci de Nanahoshi signifiait que je n’arriverais pas à Rapan beaucoup plus tard que si j’étais parti quand j’avais rencontré Elinalise. Je devais supposer que le danger qui m’attendait à Rapan n’avait pas changé pendant ce temps.

Si c’était vrai, cela signifiait probablement qu’aucun mal ne serait fait aux personnes que j’avais laissées derrière moi à Ranoa. Après tout, si j’étais parti tout de suite pour Begaritt, je n’aurais pas rencontré Sylphie ni appris à connaître mes autres amis. Je n’aurais eu aucune raison de « regretter » un quelconque désastre qui se serait produit là-bas.

Mais maintenant que j’y pense, peut-être que les regrets qui m’attendaient étaient différents maintenant. Les choses pourraient se passer sans problème de mon côté, mais mal à la maison. Quelque chose pourrait arriver à Sylphie, ou au bébé.

« As-tu dit quelque chose, Rudeus ? »

« Non, ce n’est rien… »

Je devais arrêter de spéculer sur ce sujet. On pouvait devenir fou en pensant à toutes les façons dont les choses pouvaient mal tourner. Et un gars comme moi allait toujours faire des erreurs, peu importe à quel point il essayait.

On ne pouvait pas dire ce que l’avenir nous réservait.

C’était la première fois que j’allais directement à l’encontre des conseils de l’Homme-Dieu. Jusqu’à présent, je m’étais bien débrouillé en suivant ses conseils. Cela signifiait-il que ce choix allait se terminer en désastre, peu importe ce que j’essayais ?

Nah. Je n’y croyais pas. Je savais qu’il y avait du danger devant moi, il devait donc m’être possible de l’éviter. Pourtant, il y avait un risque réel que quelqu’un que j’aimais finisse comme Tont. Si je voulais éviter cela, je devais rester vigilant. Et s’il y avait quelqu’un dehors qui voulait nuire à ma famille, alors…

Arrête. C’est inutile.

Je pouvais me dire tout ce que je voulais, je n’avais aucune raison de croire que j’étais capable de meurtre. Je devais juste faire tout ce que je pouvais pour garder ma famille en sécurité.

Ça, au moins, je pouvais me le promettre.

Deux semaines plus tard, nous avions finalement atteint la cité-labyrinthe de Rapan.

Nous étions arrivés à destination. Les choses sérieuses allaient maintenant commencer.

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Illustrations

Fin du tome.

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Un commentaire :

  1. Super, merci, un très bon travail qui fais plaisir.
    Maintenant va falloir adopter le rythme du mardi jeudi 😁 pas l’habitude après deux semaines a tryhard le novel. J’adore cette histoire continuer comme sa.

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