Mushoku Tensei (LN) – Tome 9 – Histoire bonus 2

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Histoire bonus : La chienne folle fait rage

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Histoire bonus : La chienne folle fait rage

Partie 1

Le lieu connu uniquement sous le nom de Sanctuaire de l’Épée se trouvait à l’extrême nord, dans une région rude et impitoyable couverte de neige toute l’année. Ce fut là que le premier Dieu de l’épée avait choisi d’établir son école et qu’il avait passé ses dernières années à former ses élèves. À l’époque moderne, c’était une destination de choix pour de nombreux épéistes, et un lieu d’où émergeaient de nombreux nouveaux talents. Tous ceux qui souhaitaient vraiment étudier l’épée étaient encouragés à faire au moins un pèlerinage ici.

Les jeunes maîtres en devenir se rassemblaient ici en grand nombre. Beaucoup étaient des jeunes qui avaient révélé leurs talents à l’épée dès leur adolescence. À l’heure actuelle, trois véritables prodiges séjournaient au Sanctuaire de l’épée et leurs talents surpassaient même ceux de leurs pairs.

Tout d’abord, il y avait la fille de l’actuel Dieu de l’épée, Nina Falion. Nina avait actuellement dix-huit ans, mais même à seize ans, elle avait été qualifiée de talent hors pair. Elle avait déjà obtenu le rang de Saint de l’épée. La plupart des gens pensaient qu’elle était certaine de devenir Roi de l’épée avant l’âge de vingt ans, et Empereur de l’épée avant vingt-cinq ans. Aucun autre étudiant du Sanctuaire n’avait une telle réputation.

Ensuite, il y avait le cousin de Nina, Gino Britz. Gino était le deuxième fils de la famille Britz, une branche du clan Falion qui dirigeait l’école du Dieu de l’épée. À présent, il avait quatorze ans. Il avait obtenu son titre actuel de Saint de l’Épée à l’âge de douze ans, et restait le plus jeune élève à détenir ce rang. Bien qu’il ait toujours un pas de retard sur sa cousine, il n’y avait aucun moyen de savoir lequel d’entre eux se révélerait finalement supérieur.

Et enfin, il y avait Éris Greyrat.

Éris était une jeune fille de dix-sept ans qui semait la terreur dans le cœur de tous ceux qu’elle rencontrait, une chienne folle connue pour attaquer vicieusement tous ceux qui l’ennuyaient. Elle était venue ici il y a deux ans, accompagnée de son professeur, le Roi de l’épée Ghislaine.

Cette fille était totalement intransigeante à tous les égards. Chaque jour, elle se soumettait à un entraînement brutal, défiant la mort, torturant son propre corps sans relâche. Son arrivée au Sanctuaire de l’Épée avait été très mémorable. À tel point que c’était resté un sujet de discussion populaire, même des années après les faits.

 

Environ deux ans plus tôt

Éris suivit le sillage de Ghislaine alors qu’elles entraient dans le Hall Éphémère du Sanctuaire de l’Épée pour leur audience avec le Dieu de l’Épée. Le hall était bordé d’étudiants de haut rang du Style du Dieu de l’Épée, tous des Saints de l’Épée ou mieux. Nina et Gino étaient parmi eux. Ignorant les autres qui l’entouraient, Éris ne baissa pas la tête en s’approchant du Dieu de l’Épée — et elle s’agenouilla encore moins.

« Je ne suis pas intéressée par un poids plume comme toi ! »

Les premiers mots qu’elle adressa à Gall Falion, connu pour être le plus fort épéiste vivant, furent d’une impolitesse impensable.

« Quoi ?! Comment oses-tu insulter le maître ! »

« À genoux, ma fille ! Ne connais-tu pas nos préceptes ?! »

« Qu’enseignez-vous à cette petite idiote, Dame Ghislaine ?! »

Les Saints de l’Épée commencèrent à s’agiter, leurs visages tordus de colère. Mais le Dieu de l’Épée répondit : « Assieds-toi », et ils s’étaient tus.

Gall Falion allait abattre cet insolent cabotin. Ils le croyaient tous. Personne ne lui avait jamais parlé avec autant d’arrogance et n’avait quitté cet endroit vivant. Même Ghislaine, pourtant réputée pour son insolence, regardait Éris avec une expression choquée. Ses oreilles et sa queue se dressaient sur la pointe des pieds.

Mais pour une raison quelconque, le Dieu de l’Épée souriait simplement.

Lui seul comprenait ce que la petite bête en face de lui cherchait en ce lieu. Lui seul comprenait pourquoi elle insultait un homme qu’elle venait de rencontrer. Pourquoi elle essayait de le provoquer.

C’est donc avec un sourire sur le visage qu’il s’adressa à elle.

« J’aime ce regard dans tes yeux, ma fille. Dis-moi, qui veux-tu tuer ? »

Éris répondit immédiatement et de manière décisive.

« Le Dieu Dragon. Le Dieu Dragon Orsted ! »

Tout le monde dans la pièce reconnut les mots « Dieu Dragon ». Mais aucun d’entre eux n’avait entendu le nom Orsted auparavant — à une seule, exception.

« Haaahahahaha ! »

Claquant ses genoux, le Dieu de l’Épée avait rit.

« Eh bien, mince alors. Comparé à Orsted, je suppose que je suis un poids plume ! Tu veux tuer ce vieux salaud, hein ? Et moi qui pensais être le seul ! »

Les autres épéistes présents dans la pièce assistèrent à ce spectacle bizarre en retenant leur souffle. Le Dieu de l’Épée riait. Il avait été insulté en face, provoqué par une jeune fille, et il riait. C’était incompréhensible.

Mais le Dieu Épée comprit quelque chose qu’ils n’avaient pas compris. Cette fille voulait tuer le Dieu Dragon Orsted. Cela signifiait qu’elle voulait devenir la personne la plus forte du monde.

« Mais tu sais… »

Soudainement, son rire s’était arrêté. Pendant un moment, le silence s’était abattu sur la salle éphémère.

« Les paroles ne valent rien, ma fille. Peux-tu le faire ? »

« Je le ferai », répondit Éris sans hésiter.

Il n’y avait aucun soupçon d’hésitation ou de doute dans sa voix ni dans ses yeux.

Les coins de la bouche du dieu de l’épée s’étaient relevés.

« Bien. Voyons voir ton épée. Gino, danse avec elle. »

« Huh ?! O-Oui, monsieur ! »

Gino Britz s’était levé à l’appel de son oncle, son cœur battait vite. Cette fille n’était pas beaucoup plus âgée que lui, mais d’une manière ou d’une autre, elle avait fait rire son oncle avec ses blagues insolentes. Maintenant, il avait la chance de l’humilier.

« Cet enfant est mon plus jeune étudiant. Tu as quelques années de plus que lui, et il est encore tout mou, mais il n’est pas si mauvais avec une épée. », dit le Dieu de l’épée.

Sans un mot, deux des autres Saints de l’Épée lancèrent des épées en bois à Gino et Éris.

« Très bien. Nous allons commencer par le… »

« Raaaah ! »

Au moment où elle avait attrapé son épée, Éris la balança vicieusement vers Gino. Pris totalement au dépourvu, celui-ci n’eut pas le temps de se défendre. La lame de bois frappa son poignet droit, et son épée tomba de ses mains. Et avant même qu’il ait pu comprendre, et encore moins se rendre, Éris le mit à terre avec un second coup. La violence de son attaque était telle que Gino avait l’impression d’avoir été abattu par une véritable épée. Il perdit connaissance immédiatement.

« Qu… ?! »

La plupart des personnes présentes dans la salle éphémère étaient trop choquées pour parler. C’était absurde. Impensable. Un duel était censé commencer avec les combattants se faisant face au centre de la salle. Gino n’avait même pas regardé dans la direction d’Éris. Les Saints de l’Épée pensaient que son attaque soudaine était un acte de lâcheté indescriptible. Nina étant bien sur l’un d’entre eux. Elle enrageait de voir son cousin et camarade de classe abattu par une attaque sournoise aussi cruelle.

Cependant, quatre personnes dans la pièce voyaient la situation différemment : un Roi de l’Épée, deux Empereurs de l’Épée et le Dieu de l’Épée lui-même.

« Et bien, tu vois ce que je veux dire ? Le gamin est mou. »

« Sans blague. »

Éris secoua la tête avec dédain, laissant ses cheveux courts se balancer d’avant en arrière. Mais ses yeux observaient attentivement les mouvements de tous les autres dans la salle. La jeune fille était prête et attendait que l’un d’entre eux s’en prenne à elle. Elle était parfaitement consciente de ce qui l’entourait, et son corps était tendu pour bouger à tout moment.

Le Dieu de l’Épée n’avait pas condamné ses actions. Il avait simplement appelé son élève déchu « mou ». Si vous baissiez votre garde alors que vous teniez une épée dans vos mains, vous ne pouviez vous en prendre qu’à vous-même pour les conséquences. Seul un idiot négligerait la possibilité d’une attaque immédiate. C’était le message non exprimé.

« Bien. C’est à toi, Nina. Cette fois, affronte-la d’abord au centre de la salle. Il n’y a rien de mal à attaquer sournoisement, ma fille, mais j’aimerais voir comment tu gères quelqu’un qui est prêt à te faire face. »

Pendant que le Dieu de l’épée parlait, Nina s’était levée. L’un des Saints de l’épée lui lança une épée en bois. Et au moment où elle l’attrapa, elle jeta un coup d’œil à l’homme qui l’avait lancée. L’épée était étrangement lourde. Elle avait un noyau métallique.

Le Saint de l’Épée qui avait lancé l’arme hocha la tête presque imperceptiblement. Tue cette étrangère impudente.

Tout en tremblant légèrement, Nina acquiesça.

Nina était une Sainte de l’Épée à part entière. Elle avait déjà pris des vies auparavant. Utiliser une épée en bois avec un noyau métallique était peut-être lâche, mais cette fille avait été la première à violer les règles de la bienséance. Vu l’humiliation que Gino venait de subir, elle méritait son sort.

Les deux femmes se firent au centre de la salle et se mirent en position.

« Commencez ! »

Au signal d’un Saint de l’Épée, Nina balança sa lame. Elle avait pratiqué les formes du Style du Dieu de l’Épée des dizaines de milliers de fois. Son exécution était sans faille. Elle allait frapper cette impudente fille aux cheveux roux avec le style qu’elle avait si effrontément insultée. Sa colère et sa détermination la rendirent encore plus rapide que d’habitude.

Les deux épées se rencontrèrent.

Dans un craquement sec, l’épée en bois d’Éris se brisa en mille morceaux.

La victoire de Nina était à portée de main. Il ne lui restait plus qu’à asséner un coup impitoyable à la tête de la jeune fille, qui restait là, abasourdie.

Mais au moment où elle se délectait de sa victoire, un poing s’abattit sur son visage.

Le coup suivant la frappa au menton. Et alors qu’elle titubait en arrière, un coup de pied sec l’envoya au sol. Tout d’un coup, la fille était sur elle. Avant même que Nina ne comprenne ce qui se passait, ses bras étaient coincés sous les jambes d’Éris. En levant les yeux, elle vit un démon au regard meurtrier qui brandissait ses poings vers elle.

« S-Stop ! Stop ! Ça suffit ! »

Au moment où les Saints de l’Épée annoncèrent la fin du combat, Nina avait reçu une douzaine de coups de poing au visage. Son nez saignait abondamment, plusieurs de ses dents étaient cassées et elle était totalement inconsciente. Une flaque de liquide fumant s’étendait sur le sol sous le bas de son corps.

Éris se leva lentement et ramassa l’épée en bois de Nina, d’un poids suspect.

« Hmph. »

Avec un grognement, elle donna un coup de pied à son adversaire inconscient pour l’amener là où Gino gisait.

« As-tu quelqu’un qui n’est pas mou ici ? »

« Comment… Comment oses-tu ! »

Cette fois, les Saints de l’Épée perdirent leur sang-froid. Des cris de « Lâche ! » s’élevèrent de partout dans la salle. Ceux qui étaient classés Roi d’Épée et plus, cependant, regardaient froidement leurs élèves en colère. Ils avaient compris qui avait raison ici. Éris avait eu raison une fois de plus. Un vrai duel ne se terminait pas quand une épée était brisée. Il se terminait lorsque l’épéiste l’était.

« Désolé, ma fille. Je suppose que je t’ai un peu sous-estimée. Je vais jouer avec toi moi-même. »

Mais lorsque le Dieu de l’Épée lui-même s’était levé, les deux Empereurs de l’Épée dans la salle l’avaient regardé avec de la surprise sur leurs visages.

***

Partie 2

« Il n’est sûrement pas nécessaire que vous vous occupiez personnellement de cette affaire, Maître. »

« Ghislaine pourrait… Ah, mais je suppose que la fille est son élève. Alors dois-je le faire ? »

Ignorant leurs paroles, le Dieu de l’Épée ramassa son arme. Sa lame était réelle.

À cette vue, Éris décolla du sol, sautant en arrière jusqu’à l’endroit où elle avait laissé sa propre épée. Elle saisit le partenaire qui l’avait accompagnée tout au long de ses voyages, et le sortit rapidement de son fourreau.

« Ne t’énerve pas trop, ma fille. Je vais te donner un handicap… Oh, hé. Belle épée que tu as là. N’est-ce pas une de Julian ? »

« Je ne sais pas. Un membre de la tribu Migurd me l’a donnée. »

« Ah, d’accord. Eh bien… il se trouve que celui-ci est aussi une de Julian. »

Le Dieu de l’Épée dégaina son épée délibérément. Sa lame brillait d’une étrange lumière dorée. C’était l’une des sept épées divines. C’était également l’une des 48 épées magiques créées par Julian Harisco, un artisan légendaire du royaume des démons, à partir des os du Roi-Dragon Kajakut. Elle était connue sous le nom de Windpipe.

Le Dieu de l’Épée la tenait sans la serrer dans sa main, la laissant pendre vers le bas. Les Saints de l’Épée l’observaient en retenant leur souffle. Le Dieu de l’Épée ne tenait presque jamais une épée nue, sauf lors de ses duels fictifs avec les Empereurs de l’Épée.

Après un moment, le Dieu de l’Épée murmura trois mots : « OK, allons-y. »

Presque simultanément, Éris fut envoyée voler. Son corps s’écrasa contre les portes de l’entrée du Hall Éphémère et continua sa course, atterrissant dans un énorme tas de neige à l’extérieur.

Le Dieu de l’Épée se tenait là où elle se trouvait, parfaitement immobile, son épée entièrement déployée. Personne dans la pièce ne l’avait vu bouger.

« Splendide ! »

« Étonnant ! »

« Splendide, Maître ! »

Les Saints de l’Épée qui l’entouraient complimentaient son talent avec effusion. Ce n’était pas la puissance de son épée. C’était sa propre aura de combat écrasante qui avait envoyé Éris voler. Ils pensaient tous que l’intrus était enfin mort.

« Ugh… guh… ! »

Mais ils entendirent ensuite des gémissements provenant de l’extérieur de la salle, et les signes de quelque chose qui remuait faiblement dans la neige. Avait-elle survécu à un coup du Dieu de l’Épée ? Non, ce n’était pas ça. Il l’avait simplement ménagée. Mais bien sûr, Gall Falion n’avait pas besoin de prendre ce chien errant au sérieux. Maintenant, ils allaient simplement la bannir du Sanctuaire et la jeter dans la neige.

Et pourtant, les mots suivants du dieu de l’épée trahissaient leurs attentes.

« Ghislaine, soigne les blessures d’Éris. À partir de maintenant, elle est une Sainte de l’Épée. Je vais l’entraîner à partir de demain. »

Les sourires s’effacèrent des visages des Saints de l’Épée. Cela signifiait que la fille allait devenir une élève directe du Dieu de l’Épée lui-même. Aucun élève n’avait été aussi honoré depuis Ghislaine elle-même.

« C’est absurde ! Saint de l’Épée est un titre spécial, accordé uniquement à ceux qui maîtrisent la technique de l’Épée de Lumière ! Cette fille n’est rien d’autre qu’une sauvage, vicieuse… »

Un homme éleva la voix pour protester, mais il s’était tu lorsque le Dieu de l’Épée tourna sa lame vers lui.

« Elle a mis à terre deux enfants qui connaissent l’Épée de Lumière. C’est suffisant pour moi. »

« Mais Maître… »

« Écoute, tu ne deviens pas un Dieu de l’Épée en mémorisant quelque chose ou autre, non ? Je suis un gars spécial, mais mon titre n’a rien de spécial. Pourquoi le vôtre serait-il différent ? »

« … Mes excuses, Maître Falion. »

Le Saint de l’Épée s’était tu. Il avait réalisé qu’il parlait par simple jalousie. Tous ceux de son rang savaient que de telles émotions ne faisaient que ralentir leurs lames.

Il s’agissait cependant d’un malentendu de leur part. Le style de combat du Dieu de l’Épée était alimenté par l’émotion et le désir bruts. Lorsqu’elles étaient utilisées correctement, même les plus viles motivations pouvaient rendre votre épée plus rapide et plus mortelle.

Mais bien sûr, Gall Falion n’avait pas l’intention d’expliquer ces vérités cruciales à tous les étudiants qui se promenaient dans ses couloirs. Ceux qui avaient besoin qu’on leur dise ces choses ne profiteraient pas de ces connaissances.

Et ainsi, d’une manière plutôt mémorable, Éris avait atteint le rang de Saint de l’Épée.

Actuellement

Nina détestait Éris depuis le début. C’était compréhensible, étant donné que la fille l’avait battue si sévèrement qu’elle s’était pissée dessus devant ses camarades de classe. Elle avait eu honte. Elle fut humiliée.

Éris n’était rien d’autre qu’une chienne sauvage qui errait dans les rues. Quand son épée n’était pas à la hauteur, elle combattait avec les poings comme une enfant en colère. Un tel comportement était indigne d’un élève de leur style, et encore moins d’un Saint de l’Épée. C’était la ferme opinion de Nina sur le sujet, et elle la partageait librement avec qui voulait bien l’entendre.

Pendant près de deux ans, elle avait à peine parlé à Éris elle-même. En fait, elle avait travaillé avec Gino pour s’assurer qu’aucun des jeunes élèves ne lui accordait la moindre attention.

De toute façon, Éris passait le plus clair de son temps à s’entraîner avec le roi de l’épée Ghislaine. Les deux partageaient même une chambre à coucher. Elle n’avait aucun lien avec Nina ou les autres, et aucun besoin de leur parler. Elle n’avait certainement pas fait d’effort pour le faire. Les seuls mots qu’elles échangeaient étaient des insultes sardoniques, lorsqu’elles étaient opposées l’une à l’autre lors des sessions mensuelles d’entraînement général auxquelles tous les étudiants internes étaient obligés de participer.

Elles se valaient toutes les deux dans ces compétitions. Nina, du moins, pensait qu’elle gagnait plus qu’elle ne perdait. Tant qu’il y avait des règles en place, où une épée tombée ou endommagée signifiait que le duel était terminé, elle se croyait supérieure à Éris.

Il lui faudra un peu plus de temps pour réaliser que ces pensées étaient la « douceur » que son oncle avait identifiée chez elle. Pour l’instant, elle manquait encore de véritable expérience.

Éris et Nina étaient rivales aux yeux de leur entourage. Mais pour Éris, Nina ne valait même pas la peine qu’on y pense.

Un jour, à la fin de l’été, Nina discutait avec quelques filles de son âge. Elles parlaient de romance : quels étudiants elles trouvaient beaux, et quelles filles avaient passé leur première nuit dans un lit avec quelqu’un.

Nina avait consacré depuis le début sa vie à l’épée, il lui était difficile d’imaginer qu’elle puisse un jour entretenir une relation avec quelqu’un. Elle avait toujours trouvé ces conversations gênantes. Le seul garçon dont elle était proche était son petit cousin Gino, mais ils avaient été élevés comme des frères et sœurs. L’idée de le prendre comme partenaire amoureux la mettait mal à l’aise. Elle allait continuer à vivre pour son épée. Si elle se laissait distraire de son but, Éris la laisserait sûrement dans la poussière et il n’y avait rien qu’elle détestait plus que de perdre contre cette fille.

Par pure coïncidence, Éris passa par là alors que leur conversation était en cours. De la vapeur s’échappait de son corps. Elle s’était manifestement entraînée dur pendant qu’elles discutaient ici.

Nina ressentit une pointe d’anxiété à ce sujet. Ainsi donc, elle l’appela par réflexe.

« Hmph. Tu ne fais jamais rien d’autre que t’entraîner ? Je suis sûre que tu seras vierge jusqu’au jour de ta mort. Dommage que ton épée ne puisse pas te tenir chaud la nuit ! »

C’était de grands mots de la part de quelqu’un qui n’avait aucune expérience elle-même. Mais Nina avait choisi ces mots précisément parce qu’ils l’auraient blessée profondément. Elle supposait qu’ils auraient le même effet sur Éris.

« Heh ! »

Mais à sa grande surprise, Éris s’était contentée de rire aux éclats.

L’air suffisant qu’elle affichait sur son visage, fit blanchir Nina.

« Qu-Quoi ? »

« Désolée, mais je ne suis pas vierge. »

Sa voix était légèrement fière et son visage était légèrement rougi. Nina et les autres filles avaient tout de suite compris qu’elle ne bluffait pas.

« Quoi ?! Tu n’es pas sérieuse ! Qui était-ce ? Qui voudrait coucher avec toi ?! »

Incapable de dissimuler son choc, Nina pressa Éris pour obtenir des détails sur un ton agité.

« Un gars que je connais depuis que nous sommes jeunes. »

Normalement, Éris ne disait presque rien à personne. Mais sur le sujet de ce jeune homme, elle pouvait bavarder longuement. Elle raconta comment ils avaient grandi ensemble, et comment ils avaient voyagé du Continent Démon jusqu’à leur patrie. Elle raconta comment ils avaient rencontré le Dieu Dragon, et comment il avait réussi à frapper. Et elle raconta aussi qu’ils avaient passé une nuit ensemble.

Elle expliqua qu’elle voulait être plus forte pour lui.

C’était un récit sincère, livré avec la passion d’une fille heureuse en amour. Cela laissa Nina complètement abasourdie. Elle avait été vaincue. Totalement vaincue. Elles étaient peut-être égales dans leurs compétences à l’épée. Mais elle était plus âgée qu’Éris. Et Éris avait un petit ami.

La seule défense qui lui restait était de nier complètement son existence.

« Tu es… Tu es pleine d’illusions, Éris ! Père dit que le Dieu Dragon est protégé par une sorte d’Aura Sainte du Dragon. Un sort ordinaire ne peut même pas l’égratigner ! Tu as inventé ça. Cet homme n’existe même pas, n’est-ce pas ? Admets-le tout de suite, avant de te mettre dans l’embarras ! »

« Je ne mens pas, et Rudeus n’est pas ordinaire. C’est pourquoi je ne suis pas apte à être avec lui en ce moment. Il faut que je devienne beaucoup plus forte… »

En parlant, Éris serra fortement son poing. Il y avait un feu brûlant dans ses yeux maintenant. Elle se détourna brusquement de Nina et des autres, et retourna directement vers la Salle de Thermorégulation, où elle s’était entraînée jusqu’à présent.

Nina la regarda partir dans un silence étonné. Éris était la dernière personne à qui elle aurait demandé d’être en avance sur elle dans ce domaine. La nouvelle de son petit ami l’avait laissée pantoise.

Cette chienne sauvage avait un partenaire dans sa vie, et Nina n’en avait pas. Cela semblait ridicule à première vue. Ce devait sûrement être un mensonge. Ce Rudeus n’existait pas vraiment.

Sur la base de cette hypothèse, Nina utilisa son jour de congé suivant pour se rendre dans la ville la plus proche, où elle paya un courtier en informations pour chercher des informations sur Rudeus Greyrat. Elle s’attendait — ou espérait, du moins — qu’il ne trouverait rien, étant donné que Rudeus devait être fictif. Mais à sa grande surprise, il n’avait pas mis longtemps à rédiger un rapport.

Rudeus Greyrat : né dans le village de Buena, région de Fittoa, royaume d’Asura. À trois ans, il a commencé à étudier avec la magicienne de niveau Roi Roxy Migurdia. À cinq ans, il est devenu un magicien de l’eau de niveau Saint. À sept ans, il est devenu le précepteur d’Éris Boreas Greyrat, la fille du seigneur de la citadelle de Roa. Après cela, il a été porté disparu lors de l’incident de téléportation. Cependant, il était réapparu plus tard dans la partie nord du Continent Central, se faisant un nom en tant qu’aventurier « Quagmire Rudeus ». Il se trouve actuellement dans la Cité magique de Sharia. L’université de magie de Ranoa l’avait invité à s’inscrire en tant qu’étudiant spécial. De plus, il était respecté par beaucoup de ses compagnons d’aventure. La rumeur disait qu’il avait même tué un dragon errant à lui tout seul.

Le résultat final était assez simple : il s’agissait d’une personne réelle, et non d’un prince fantastique issu de l’imagination d’Éris. Nina trouvait ce fait déprimant. Mais en même temps, elle n’était pas si impressionnée. Ses réalisations jusqu’à l’âge de sept ans étaient incroyables, oui, mais il n’avait pas réussi à faire grand-chose au bout du compte. Il n’était pas question qu’il atteigne un rang supérieur à celui de Saint, et il gagnait sa vie comme un simple aventurier. Le surnom de « Quagmire » ne lui semblait pas non plus particulièrement flatteur. Ses talents s’étaient clairement estompés après son enfance.

***

Partie 3

Ce raisonnement l’avait conduite à une idée délicieusement mauvaise.

Comment Éris réagirait-elle si elle retrouvait ce Rudeus, le battait en duel et le ramenait ici comme prisonnier ? L’expression de son visage serait inestimable.

Le plan lui plaisait beaucoup, et elle le mit donc à exécution. Nina était aussi impétueuse que son père l’avait été. Le jour même, elle avait fait ses bagages, sauté sur un cheval et s’était mise en route pour le royaume de Ranoa.

Heureusement, sa destination n’était pas très éloignée. En hiver, le voyage aurait pu être plus difficile, mais à cette époque de l’année, c’était assez simple. Avec l’un des meilleurs chevaux du Sanctuaire de l’Épée à sa disposition, elle pouvait faire l’aller-retour en moins de trois mois.

Le voyage de six semaines de Nina vers Charia s’était déroulé sans encombre. Elle était donc arrivée à l’Université de la Magie dans les temps. Mais ce qu’elle y avait trouvé l’avait quelque peu surprise.

En toute honnêteté, Nina avait toujours méprisé les magiciens. Elle les considérait comme des faibles arrogants qui pensaient que le fait de savoir marmonner quelques incantations les rendait forts. Mais à l’intérieur de l’Université de Magie, beaucoup de gens dans les rues étaient des hommes musclés. Il semblait y avoir un nombre étrangement élevé d’Hommes-Bêtes, et la majorité d’entre eux étaient habillés comme des guerriers.

Elle vit quelques piétons plus petits qui portaient des robes ou une sorte d’uniforme mignon. Dans l’ensemble, cependant, il y avait beaucoup plus de personnes musclées ici qu’elle ne l’avait imaginé. Ils entraînaient manifestement leur corps avec autant de sérieux que leur esprit.

Nina avait eu un peu honte de sa propre ignorance. Pendant toutes ses dix-huit années, elle avait apparemment entretenu des préjugés injustes à l’égard des magiciens.

Après avoir regardé autour d’elle pendant un petit moment, elle s’était approchée d’un homme qui passait par là. C’était un jeune homme bête musclé, habillé comme un guerrier. Lorsqu’elle lui demanda où elle pourrait trouver Rudeus, l’homme bête répondit qu’il cherchait la même personne et qu’il avait une bonne idée de l’endroit où la trouver.

Comme c’est pratique, pense Nina. Elle se mit donc à suivre le mouvement.

Très vite, l’homme bête repéra un garçon qui portait un uniforme. Rudeus était plus ou moins comme Nina l’avait imaginé. Il n’était pas aussi maigre et faible qu’elle l’eût imaginé, mais il n’était certainement pas intimidant. Et si son visage n’était pas inintéressant, son langage corporel peu sûr le rendait très peu attirant. C’était un bon partenaire pour cette Éris galeuse.

Très bien alors, il est temps de le battre…

Mais avant que Nina ne puisse parler, le jeune homme bête s’approcha de Rudeus et commença à lui hurler dessus.

« Je te défie Quagmire Rudeus, aventurier de Rang A qui a tué un Wyrm errant à lui tout seul ! Je te défie en duel matrimonial, monsieur ! »

Nina était pour le moins surprise. L’homme bête ne lui avait pas dit qu’il défierait Rudeus en combat singulier.

« Vous savez, j’ai une leçon de piano aujourd’hui… »

Rudeus, pour sa part, refusa le duel de la manière la moins virile possible. Le jeune homme bête débita alors des justifications confuses, sauta juste devant lui et attaqua instantanément.

Nina pensait que Rudeus serait mis en pièces en quelques secondes. Cet homme bête était clairement un combattant compétent, bien que peut-être pas à son niveau, et Rudeus était un magicien. Toutes les épéistes du monde savaient que les magiciens étaient impuissants de près. Il n’y avait rien qu’un mage puisse faire quand quelqu’un leur mettait la pression.

Et pourtant, les choses s’étaient passées différemment. Rudeus avait vaincu le jeune homme bête en un rien de temps. Le combat avait duré une seconde, d’après le compte de Nina. Si vous aviez cligné des yeux, vous auriez pu le manquer. Sans même un regard en arrière dans sa direction, Rudeus partit, laissant son adversaire inconscient dans la rue.

Il fallut quelques minutes à Nina pour se remettre de ces événements surprenants. Elle dut prendre le temps de se renseigner à nouveau, mais finit par apprendre que Rudeus se trouvait maintenant dans la bibliothèque.

Le temps qu’elle obtienne des indications et qu’elle s’y rende, il y avait un grand groupe d’Hommes-Bêtes bien aligné à l’extérieur du bâtiment. Nina trouvait cela curieux, mais cela n’avait clairement rien à voir avec elle. Elle s’était dirigée directement vers l’entrée.

Mais alors qu’elle passait devant la foule, un homme bête l’interpella.

« As-tu également l’intention de défier Rudeus en duel ? »

« Euh, oui… c’est ça », répondit Nina sans réfléchir.

« Alors, va à l’arrière de la ligne ! Tu n’as pas le droit de sauter devant ! », cria l’homme.

Apparemment, toute cette file était composée de personnes qui souhaitaient défier Rudeus en duel. Confuse et étonnée, Nina se retourna et se dirigea vers l’arrière. Il semblait y avoir au moins trente personnes devant elle.

Et alors qu’elle s’y dirigeait, un homme bête situé à l’avant de la file lui dit : « Désolé, petite. C’est dommage. »

Elle ne savait pas ce que cela était censé signifier.

Quoi qu’il en soit, attendre semblait être sa seule option, alors elle attendit. Le matin faisait place à l’après-midi, mais Rudeus ne donnait aucun signe d’émergence.

Et puis il était apparu.

Un démon à la peau d’obsidienne et aux muscles ondulants se tenait soudainement à côté d’eux, regardant le groupe avec un sourire arrogant.

« Hoho ! C’est quoi cette queue, les amis ? Il y a un festival en cours ?! »

« C’est la file pour ceux qui souhaitent défier Rudeus Greyrat en duel ! »

« C’est vrai ?! Et vous êtes si nombreux, aussi ! Bwahahaha ! Le garçon est très demandé, je vois ! Je suis un homme patient, bien sûr, mais y a-t-il un moyen d’avoir une chance de le voir en premier ?! »

L’homme bête n’a pas du tout bien pris cette question. Des cris : « Faites la queue ! » et des insultes diverses fusaient de toutes parts. Nina était furieuse aussi. Elle avait fait un long chemin et attendait patiemment. Elle déclara au démon d’attendre son tour comme tout le monde.

Mais alors, au milieu de toutes ces railleries, un idiot dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû dire.

« Tu veux passer en premier, mon grand ? Alors tu ferais mieux de battre tous ceux qui sont arrivés avant toi ! »

« Bwahahahahaha ! Superbe ! J’aime ce son ! Venez vers moi, tous autant que vous êtes. En récompense de votre audace, je vous laisserai lancer un coup gratuit avant de vous écraser ! »

L’arrogance inouïe de cette remarque rendit tous les autres fous de rage.

« Mais qu’est-ce que tu viens de dire ?! »

« Tu vas le regretter, connard ! »

Se déplaçant presque à l’unisson, les hommes bêtes se mirent à l’attaque, désireux de donner une leçon à cet idiot pompeux. Avant même de comprendre ce qui se passait, Nina s’était retrouvée à se joindre à eux.

Pour faire court : elle avait perdu, et sévèrement.

Elle frappa le démon avec l’épée de lumière, avec l’intention de le tuer. Et il s’en était sorti. Sa lame n’avait pas pénétré sa peau. Elle avait fait une coupure superficielle, mais la blessure avait guéri instantanément sous ses yeux.

« Je suis l’immortel Roi Démon Badigadi ! Bwahahaha ! Je décernerai le titre de Héros à quiconque me vaincra ! »

Comparé à beaucoup d’autres, l’effort de Nina était assez respectable. Mais le Roi Démon était à un tout autre niveau. Avant même qu’elle ait pu penser à un quelconque plan, il l’avait attrapée, l’avait brutalement plaquée au sol et avait brisé son épée bien-aimée.

Alors qu’elle gisait là, gémissant de douleur, son esprit était rempli de terreur et de perplexité. Pourquoi combattait-elle un Roi Démon au milieu d’une école de magiciens ? Qu’est-ce qu’un souverain du Continent Démoniaque faisait ici ?

Bien sûr, tous les autres pensaient exactement la même chose.

Quelques instants après la chute de Nina, Badigadi acheva le groupe d’hommes bêtes. D’une manière ou d’une autre, bien que la plupart aient été blessés, aucun ne semblait être mort. Il y est allé doucement avec eux.

Au moment où elle s’en rendit compte, Nina versa des larmes amères sur ses poings tremblants. Mais peu importe la profondeur de sa frustration, elle ne pouvait rien faire maintenant que son épée était perdue.

« … C’est quoi ce bordel ? »

À cet instant précis, Rudeus était sorti de la bibliothèque. Il parla avec le Roi-Démon pendant un moment, après quoi ils étaient partis ailleurs.

Grimaçant, Nina se força à se lever et traîna son corps meurtri à leur suite. Rudeus et le Roi Démon se tenaient au centre d’une immense cour ouverte, se jaugeant l’une l’autre. Ils semblaient parler de quelque chose. Parfois, elle pouvait entendre des éclats de rire, mais il était impossible de comprendre ce qu’ils disaient.

Le duel commença finalement après qu’un garçon à la démarche étrangement rapide ait apporté un bâton à Rudeus.

Nina vit tout du début à la fin. Ce n’était pas comme si le combat avait été très long. Rudeus prit son bâton, le descella, prononça quelques mots et le pointa vers son adversaire. Et une fraction de seconde plus tard, le haut du corps du Roi Démon explosa violemment.

L’homme avait vaincu un adversaire avec lequel Nina ne pouvait même pas rivaliser. L’homme de sa rivale détestée, l’homme qu’elle pensait sans valeur, avait détruit un Roi Démon en une seule attaque. Et Éris essayait de s’élever à son niveau.

Face à ces faits, l’esprit de Nina s’était vidé à cause du choc. Elle ne se souvenait pas de ce qui s’était passé ensuite. Avant même de s’en rendre compte, elle était à nouveau sur son cheval, en direction du Sanctuaire de l’Épée.

Mais quand elle y était arrivée et qu’elle vit Éris brandir son épée avec une concentration sans faille, Nina ressentit quelque chose. Quelque chose qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant.

◇ ◇ ◇

Après ce jour fatidique à Sharia, Nina Falion tourna une nouvelle page.

Elle se consacra à son entraînement avec encore plus de vigueur qu’auparavant, et commença à porter une deuxième épée, au cas où la première serait brisée. Elle cessa de se moquer d’Éris pour sa tendance à se battre avec ses poings. Elle s’éloigna aussi des autres filles de son âge, dont elle n’avait jamais été vraiment proche.

Et quand elle regardait Éris, dont la détermination ne semblait jamais faiblir, son regard n’était plus aussi dur qu’avant.

Avec le temps, ces deux-là allaient devenir de véritables rivales. Mais ceci est une autre histoire.

Par ailleurs…

La rumeur dit que le Dieu de l’épée, qui avait aiguisé son épée avec enthousiasme après avoir entendu parler de l’arrivée du Roi-Démon, l’avait rengainée avec une expression déçue après que Nina ait rapporté ce qui s’était passé.

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