Mushoku Tensei (LN) – Tome 9 – Chapitre 6

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Chapitre 6 : Il pleut dans la forêt

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Chapitre 6 : Il pleut dans la forêt

Partie 1

La nuit était déjà tombée, mais il y avait encore trois personnes dans la salle de conférence des étudiants.

La première était une beauté frappante qui faisait tourner les têtes partout où elle allait — Ariel Anemoi Asura. La deuxième était un jeune chevalier au visage vif mais beau qui charmait les femmes avec facilité — Luke Notos Greyrat.

« … Alors, de quoi vouliez-vous discuter ? »

De l’autre côté du bureau, il y avait un jeune homme aux cheveux blancs, portant des lunettes de soleil et un uniforme scolaire masculin. Son nom était Fitz. Il avait porté ses mains à son ventre et tripotait ses doigts avec anxiété.

Ariel l’avait regardé pendant un long moment. Mais il ne semblait pas enclin à parler, alors elle avait continué.

« L’autre jour, Rudeus nous a croisés alors que nous faisions du shopping. Il a trouvé “tes” actions plutôt suspectes, Fitz. »

« … »

« Peu de temps après, il t’a jeté au sol dans la bibliothèque, après quoi tu t’es enfui en déclarant être un homme. C’est ce que disent les rumeurs. »

« … »

« Rudeus croit probablement que c’est un mensonge. Il a eu l’occasion de toucher ton corps plus ou moins longuement, d’après ce qu’on dit. »

« … »

« Cependant, il semble qu’il n’ait pas l’intention de révéler ton secret à qui que ce soit. Il prétend avoir peur de me contrarier, mais vu ses compétences, cela semble très improbable. Je crois qu’il essaie simplement de bien faire pour un ami. C’est vraiment admirable. »

Ariel lança alors un regard perçant à Fitz.

« La question à ce stade est… que vas-tu faire ? »

Les épaules de Fitz tressaillirent au ton dur d’Ariel, mais il n’avait pas répondu.

« Je pense que c’est une bonne chose de prendre son temps. Cependant, cela fait maintenant six mois que tu n’as pas fait le moindre progrès. Peux-tu me reprocher de vouloir dire quelque chose ? », poursuivit Ariel.

Elle attendit la réponse de Fitz. Grâce aux grosses lunettes de soleil qu’il portait, elle ne pouvait pas voir le regard qu’il avait. Mais elle comprit tout à la façon dont il tripotait le bout de ses doigts. C’était un signe révélateur qu’il était accablé, quelque chose qu’il ne faisait que lorsqu’il ne trouvait plus rien à dire. Si elle le laissait continuer comme ça plus longtemps, il pleurnicherait probablement quelque chose comme « je suis désolé » ou « j’ai besoin d’un peu plus de temps » pour essayer de repousser cette conversation.

Et donc, Ariel continua : « Je dois dire que j’en ai assez de te voir tergiverser comme ça. »

Ce n’était pas vraiment vrai. Ariel aimait regarder Fitz se tortiller. Elle était un peu jalouse de ses sentiments pour Rudeus, mais elle ne s’y opposait certainement pas. Cependant, Rudeus passait de moins en moins de temps avec Fitz en raison de sa nouvelle amitié avec Silent. Et Fitz était de plus en plus mélancolique. C’était plutôt douloureux à regarder pour elle.

« Je pense qu’il est temps que tu trouves le courage de lui dire qui tu es vraiment, Fitz… ou plutôt, Sylphie. »

Fitz serra « ses » lèvres l’une contre l’autre et leva la tête pour regarder Ariel. Et un moment plus tard, il enleva sa grande paire de lunettes de soleil.

Le visage qui se trouvait en dessous était nettement féminin. Il aurait été en fait difficile de le confondre avec celui d’un garçon.

C’était le visage de Sylphiette, l’amie d’enfance de Rudeus.

« Princesse Ariel, je… » commença-t-elle, semblant enfin prête à dire ce qu’elle pensait… mais elle s’arrêta presque immédiatement, semblant vouloir fondre en larmes.

Cela était suffisant pour Ariel. C’était quelque chose qu’elle soupçonnait vaguement depuis longtemps.

« Sylphie. Ça va être la troisième fois que je te demande ça, mais… Pour l’instant, y a-t-il quelque chose que tu veux faire ? »

Oui. Mais Sylphie secoua la tête. Ce qu’elle voulait était impossible, pour deux raisons différentes.

Tout d’abord, elle avait trop peur. Elle avait l’impression que Rudeus l’avait peut-être complètement oubliée. Deuxièmement, elle tenait trop aux amis qu’elle avait devant elle. Si elle choisissait de poursuivre ce nouvel objectif, cela pourrait signifier se séparer d’Ariel. Cela signifierait la trahir, elle et Luke, ces amis qui avaient combattu à ses côtés, luttant pour survivre et réaliser leur objectif. Tout cela fit en sorte de maintenir Sylphie dans le silence.

Mais cette fois, Ariel n’accepta pas un non comme réponse.

« Sylphie… tu m’as sauvé la vie de nombreuses fois. Si tu n’étais pas tombée du ciel dans les jardins du Palais d’Argent, je serais morte sur le coup. C’est également toi qui m’as protégée des assassins qui venaient me chercher pendant mon sommeil. Et tu t’es battu pour moi, désespérément en infériorité numérique, à la mâchoire supérieure du Wyrm Rouge. Tu m’as aidé d’innombrables fois ces dernières années. », dit-elle d’une voix douce et posée.

« Mais je vous devais cela, Princesse Ariel… et plus encore. Quand j’ai été téléportée dans le palais, je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait. Si vous ne m’aviez pas aidé… »

Ariel avait secoué sa tête lentement.

« Toute dette que tu me devais a été plus que remboursée lorsque nous avions fui le Royaume. Depuis lors, nous sommes sur un pied d’égalité. Je t’ai simplement manipulée pour que tu me serves. »

Sylphie cria, les yeux écarquillés : « Vous ne me manipulez pas ! Je veux vous aider, parce que nous sommes amies ! »

En réponse, Ariel sourit de satisfaction et hocha légèrement la tête.

« Je suis sûre que c’est effectivement le cas. Et pour cette même raison, j’aimerais t’aider maintenant. Parce que nous sommes amies, hein ? »

« Quoi… ? »

« Je te connais, Sylphie. Tu te retiens probablement pour moi, pas vrai ? Mais tu n’es pas ma servante, tu es mon amie. Il n’y a pas besoin que tu fasses passer mes objectifs en premier et que tu ignores les tiens. S’il y a quelque chose d’autre que tu veux faire, alors laisse-moi et donne-lui la priorité. »

Les mots d’Ariel étaient suffisants pour ébranler la détermination de Sylphie. Mais même si son cœur vacillait, elle parvint à émettre une objection.

« Mais ça voudrait dire… vous trahir. »

« Ce n’est certainement pas le cas. En fait, si je te retenais, je te trahirais. », répondit fermement Ariel.

Cette affirmation n’aurait peut-être pas passé l’examen s’ils étaient encore dans le Royaume d’Asura. Là-bas, Ariel était une princesse, et Sylphie simplement la fille d’un chasseur de village sans nom. Elle avait bien gagné le titre de Mage Gardien, mais elles étaient encore loin d’être égales en rang. Cependant, on était dans Royaume de Ranoa, et Ariel était essentiellement en exil. Pour cette raison, ses mots avaient des accents de vérité.

Si elle avait dit quelque chose de similaire à Luke, il aurait sans aucun doute objecté fortement. Il était très fier de son rôle de serviteur d’Ariel, et l’aurait supplié de lui donner des ordres et de l’utiliser comme bon lui semblait.

Sylphie, d’un autre côté, n’avait pas prêté un serment d’allégeance éternelle à Ariel. Mais elle considérait la princesse comme une femme digne de son service. Elle la respectait si fortement qu’elle se serait sacrifiée docilement si Ariel le lui avait ordonné.

Pourtant, elle ne parvenait pas à exprimer ces pensées en cet instant. Et tout simplement parce qu’Ariel lui parlait avec une si grande gentillesse.

« Dis-moi, Sylphie. As-tu l’intention de faire de moi une traîtresse, après tout ce que j’ai fait pour toi ? »

« Quoi ? Non ! »

Surprise par les paroles manipulatrices d’Ariel, Sylphie leva les yeux au ciel. La princesse croisa son regard avec une expression sévère. Sylphie eut envie de détourner les yeux, mais parvint à résister à cette impulsion. Elle ne put s’empêcher de déglutir bruyamment.

« Fais preuve de courage et dis ce que tu penses. Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? »

« Eh bien… Je… »

Sylphie pinça ses lèvres et serra fermement ses mains.

Elle savait ce qu’elle voulait faire. Il ne lui manquait plus que le courage de mettre des mots sur ses sentiments. À un moment donné, elle avait perdu ce courage. Mais maintenant, alors que sa bonne amie attendait patiemment, elle avait réussi à le trouver à nouveau.

« Je veux… être avec Rudy. »

« Bien joué. »

Ariel sourit à son amie. Mais pour une fois, ce n’était pas artificiel. C’était son véritable sourire, un sourire qu’elle n’utilisait que rarement.

« Je suis contente que tu l’aies finalement dit. Poursuis d’abord tes propres objectifs, Sylphie. Tu pourras toujours revenir pour m’aider quand tu seras prête. »

Il y avait aussi de la gentillesse dans les yeux de Luke.

« Elle a raison. Occupe-toi de tes affaires personnelles avant de te préoccuper des nôtres. »

Il avait en fait des sentiments quelque peu contradictoires à propos de cette situation. Mais il était heureux que son amie ait finalement exprimé ses véritables pensées, et il voulait faire confiance au jugement d’Ariel.

« Mais… je ne pense pas pouvoir le supporter si Rudy ne se souvient pas de moi. »

Ariel et Luke échangèrent un regard et sourirent ironiquement.

« Réfléchissons à cette partie maintenant, d’accord ? »

Sur ces mots doux d’Ariel, une conférence stratégique impromptue fut convoquée sur place.

◇ ◇ ◇

« Peut-être serait-il préférable de garder les choses simples. Pourquoi ne pas simplement lui dire que tu es Sylphiette du Village Buena ? »

« Je pense que c’est déconseillé. S’il ne se souvient vraiment pas du tout d’elle après tout ce temps, le nom pourrait ne pas lui rappeler quelque chose. »

Luc et Ariel réfléchirent aux paroles de l’autre pendant un moment. C’était une certitude, il y avait de fortes chances que Rudeus ait oublié Sylphie. Cela faisait huit ans qu’ils s’étaient séparés, ce qui était plus que suffisant pour oublier une amie d’enfance. Pour le moins, Sylphie n’avait pas entendu Rudeus mentionner son nom une seule fois au cours de l’année écoulée. Il était difficile d’imaginer que son nom seul suffirait à lui rafraîchir la mémoire.

Que pouvait-elle faire pour qu’il se souvienne d’elle ? C’était la question cruciale.

Ariel essaya de se mettre à la place de Rudeus. Elle ne se souvenait pas des noms de tous les préposés qui l’avaient servie huit ans auparavant, mais il y en avait quelques-uns dont elle se souvenait. Par exemple, Lilia, qui avait quitté la cour quand Ariel était très jeune. Ariel ne se souvenait pas clairement du visage de cette femme, mais elle se rappelait la façon dont elle avait repoussé un assassin pour la protéger.

« Sylphie, quel genre de souvenirs as-tu avec lui ? »

« Des souvenirs ? »

« Oui. Les gens se souviennent de nous par nos compétences et les souvenirs que nous partageons. C’est la raison pour laquelle les nobles organisent constamment des fêtes pour se présenter les uns aux autres. Ils apprennent par cœur des discours fleuris et pratiquent des danses complexes afin de laisser au moins une impression dans la mémoire de leurs pairs. Vois-tu, ils sont assez nombreux, il est donc impossible de se souvenir de tous ceux que l’on rencontre. »

Les compétences de Sylphie étaient certainement assez distinctives. Il n’y avait pas beaucoup de personnes dans le monde entier qui pouvaient lancer des incantations silencieuses, et encore moins des gens aussi jeunes que Sylphie ou Rudeus. Mais même avec le bénéfice de cet énorme indice, Rudeus n’avait pas pensé à elle.

Il y avait trois raisons à cela.

Premièrement, la tendance de Rudeus à se déprécier. Il pensait instinctivement que tout ce qu’il pouvait faire était assez facile à imiter pour n’importe qui.

***

Partie 2

Deuxièmement, il avait depuis rencontré Ruijerd, Kishirika, Orsted et Badigadi. Ses rencontres avec ces individus surpuissants lui avaient donné l’impression que le monde était rempli de personnes bien plus fortes que lui. Dans son esprit, il semblait raisonnable de penser qu’il existait de nombreux lanceurs d’incantations silencieuses.

Et enfin, il y avait Ariel elle-même. Les incantations silencieuses de Sylphie auraient pu sembler plus inhabituelles si elle n’avait été qu’une élève ordinaire, mais elle était la gardienne d’une puissante Princesse. Pour Rudeus, il était logique que tout mage ayant servi de garde du corps royal soit hautement compétent.

« Des souvenirs, hein ? Euh… Je vous ai raconté que j’étais victime d’intimidation, n’est-ce pas ? »

« Oui. Tu m’as dit qu’on te harcelait à cause de la couleur de tes cheveux. »

D’ailleurs, Sylphie n’avait jamais révélé à Luke ou à la princesse que ses cheveux étaient verts à l’origine. Elle avait peur qu’ils ne la traitent avec suspicion. Ce n’est pas qu’elle ne leur faisait pas confiance. L’idée de l’admettre était simplement effrayante. Elle avait donc décidé de prétendre que ses cheveux avaient toujours été blancs. Une fois que le mensonge était sorti, il était difficile de revenir en arrière. Et comme ses cheveux ne montraient aucun signe de retour à leur couleur d’origine, elle n’avait pas vraiment besoin de le faire.

C’était probablement le moment idéal pour révéler la vérité qu’elle leur avait cachée jusqu’à présent… mais les brimades qu’elle avait subies dans son enfance avaient laissé des traces dans son esprit, et elle ne pouvait pas s’y résoudre.

« La première fois que j’ai rencontré Rudy, c’est quand il m’a sauvée de ces brutes. C’est le souvenir le plus fort que j’ai de lui. »

« … Hmm, je vois. »

Ariel y avait réfléchi. Pourraient-ils s’arranger pour que Sylphie soit attaquée par un groupe de voyous, donnant à Rudeus la chance d’intervenir et de la sauver ?

Il y avait malheureusement un problème avec ce plan. Sylphie était une puissante mage. Vous ne le sauriez pas en la regardant maintenant, mais en combat réel, elle était décisive, rapide et mortelle. Une bande de voyous moyens ne tiendrait pas cinq secondes contre elle. Selon toute vraisemblance, Rudeus avait une certaine estime pour la force de son ami Fitz. Y avait-il des attaquants potentiels assez doués pour la mettre en danger ?

… La réponse était en fait oui.

La plupart des membres du clan d’aventuriers Thunderbolt, connu pour son habileté au combat, se trouvaient actuellement dans cette ville. Pour un bon prix, on pourrait probablement les convaincre de faire semblant d’agresser Sylphie. Cependant, la rumeur voulait qu’ils soient en bons termes avec Rudeus. Quelqu’un avait prétendu avoir vu « Quagmire Rudeus » boire du thé avec Soldat du groupe Stepped Leader dans un café récemment. Elinalise Dragonroad et Cliff Grimoire y étaient également. Sur la base de ces faits, engager Thunderbolt n’était pas une option convenable.

Choisir un autre groupe d’aventuriers au hasard pour jouer ce rôle ne semblait pas non plus être une bonne idée pour Ariel. Rudeus avait probablement plus de connaissances dans cette communauté qu’Ariel ne le pensait. Même si elle essayait de trouver un groupe qui ne le connaissait pas, il y avait de fortes chances pour qu’ils se soient déjà rencontrés quelque part.

Cela pourrait rendre les choses compliquées et désordonnées. Quelqu’un pourrait même finir par être blessé, et Ariel ne voulait certainement pas prendre ce risque.

« As-tu d’autres souvenirs de lui ? »

« Uhhh… Oh, oui. Une autre chose me vient à l’esprit… »

Le visage de Sylphie devint rouge, et elle s’arrêta un instant avant de poursuivre.

« Au début, Rudy pensait que j’étais un garçon. Un jour, il s’est mis à pleuvoir alors que nous étions dehors à pratiquer la magie, je suis donc venue chez lui pour prendre un bain. Mais alors il, euh, a commencé à arracher mes vêtements… »

À mi-chemin de son histoire, Sylphie jeta un coup d’œil à Luke. Ce dernier couvrit rapidement ses oreilles avec ses mains. On pouvait dire ce qu’on voulait de cet homme, mais il avait compris l’allusion.

« Euh, et puis… il-il a baissé ma culotte… et a vu mes, euh, parties intimes. C’est comme ça qu’il a réalisé que j’étais une fille… »

Sylphie poursuivit en expliquant comment Rudeus avait été un peu déprimé pendant un moment après ça.

Ariel avait en fait déjà entendu l’histoire de ce qui s’était passé après cet incident. Il lui semblait possible que ces événements aient quelque chose à voir avec la décision de Rudeus de garder le silence sur le sexe de Fitz. Même s’il ne se souvenait pas clairement de Sylphie, il avait alors appris une leçon qui lui collait toujours à la peau : on n’exposait pas les gens de force sans leur consentement.

« C’est… une belle histoire », dit Ariel en souriant.

Mais en son for intérieur, elle pensait que c’était la clé. Il leur suffirait de créer une situation identique et de faire en sorte que Rudeus déshabille Sylphie de ses propres mains. Avec l’excitation qui régnait de part et d’autre, elle pouvait espérer surmonter son anxiété et lâcher la vérité.

« Très bien. Faisons comme ça. »

Ariel avait pris sa décision, et il n’y aurait pas de débat.

« Luke, enlève tes mains de tes oreilles. Nous allons discuter de notre plan maintenant. »

À ce moment, cependant, la princesse se souvint de leur second plus gros problème : le penchant de Sylphie pour l’autosabotage. S’ils ne prenaient pas certaines précautions, sa lâcheté mettrait leur plan à l’échec.

« Mais avant d’entrer dans les détails, il y a un point sur lequel je veux m’assurer que nous sommes d’accord. »

« O-Ok… »

« Sylphie, tu nous as dit que tu voulais être avec Rudeus. Mais j’aimerais savoir ce que ça signifie pour toi, spécifiquement. »

Sylphie réfléchit à la question. Qu’est-ce qu’elle attendait spécifiquement de Rudy ? Que voulait-elle faire avec lui ? Elle voulait être au moins à ses côtés. Elle était amoureuse de lui depuis un certain temps, et ses sentiments n’avaient fait que croître depuis leurs retrouvailles.

Mais il lui arrivait aussi de se livrer à des fantasmes très spécifiques. Par exemple, elle rêvait souvent de ce que serait leur vie après leur mariage.

Dans ces fantasmes, la maison dans laquelle ils vivaient était celle que la famille de Rudy possédait au Village Buena, ou du moins une maison de la même taille. Tous les deux partageant naturellement le même lit. Quand elle se réveillait chaque matin, Rudy était couché à ses côtés. Il la saluait d’un « bonjour » et d’un baiser, puis s’habillait et partait faire son entraînement matinal.

En descendant les escaliers, Sylphie préparait le petit déjeuner. C’était l’une de ses tâches dans la maison. Ce n’était pas quelque chose de très compliqué, mais Rudy avait toujours un bon appétit, alors elle préparait beaucoup de nourriture. Le temps que tout soit prêt, Rudy était de retour. Il mangeait la nourriture et disait quelque chose comme « délicieux comme toujours » une fois qu’il eut terminé. Mais il ne parlait pas pendant qu’il mangeait. Sylphie le regardait simplement s’empiffrer, lui servant une deuxième portion quand il en voulait une.

Une fois le petit-déjeuner terminé, Rudy partait au travail. Sylphie lui tendait une boîte à lunch et lui faisait un signe d’au revoir, puis elle partait rejoindre la Princesse Ariel. Ils avaient tous les deux un travail, tout comme les parents de Rudy. Elle n’avait pas trouvé de travail spécifique pour Rudy, mais c’était juste un fantasme, donc ce n’était pas trop important.

Lorsque Sylphie avait fini sa journée de travail et rentrait chez elle, elle tombait sur Rudy à l’entrée. Il souriait un peu en la voyant, balayait la neige de ses épaules et la serra dans ses bras. Puis ils entraient ensemble et allumaient le poêle chauffant. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le bain était prêt. Une fois qu’ils s’étaient nettoyés et réchauffés, il était temps de dîner. Pendant que Sylphie travaillait à cela, Rudy faisait des figurines près du poêle.

Le dîner était un peu différent du petit déjeuner. Rudy était pour commencer beaucoup plus bavard. Il lui racontait sa journée et les choses qu’il avait vues au travail. Toutes ses histoires étaient incroyables… trop incroyables pour qu’elle puisse y penser à l’avance. Elle rigolait à ses blagues et se sentait impressionnée par ses réalisations.

Une fois le repas terminé, ils passèrent un moment tranquille ensemble sur le canapé près du poêle. Sylphie se blottissait contre Rudy, qui passait son bras autour de ses épaules. Parfois ils parlaient, parfois ils ne disaient pas un mot. Très vite, ils se mirent à se regarder dans les yeux, et leurs visages se rapprochèrent. Leurs ombres se chevauchaient lorsque Rudy prenait Sylphie dans ses bras, éteignait la cuisinière et l’emmenait dans la chambre.

Rudy était un peu pervers parfois. Il pouvait dire quelque chose du genre « Combien d’enfants veux-tu ? ». Mais je lui réponds alors : « Autant que tu veux m’en donner, Rudy ! » Il rirait probablement et dirait « C’est peut-être trop », puis il commencerait à me déshabiller… et je rirais aussi, et je dirais « Tu ferais mieux de t’y mettre, alors ! ». Hee hee hee !

« Hee hee hee ! »

« Ahem. »

« Gah ! »

Ramenée à la réalité par un raclement de gorge délicat d’Ariel, Sylphie mit fin à son monologue interne, rougit et regarda le sol en tripotant ses oreilles.

« Très bien. Prends ton fantasme et imagine une autre femme à ta place. », dit doucement Ariel.

Sylphie essaya d’imaginer Nanahoshi prenant la place d’épouse de Rudeus. Elle s’imaginait vivre dans la maison voisine, les observant par les fenêtres alors qu’ils vaquaient à leurs occupations. Mais quand Rudy et Nanahoshi la remarquèrent, ils eurent un petit sourire en coin et fermèrent les rideaux…

« Tu n’aimes pas cette idée, n’est-ce pas ? »

« N-Non ! Pas du tout ! »

« Alors c’est parfait. »

Avec un hochement de tête ferme, Ariel regarda Sylphie droit dans les yeux.

« Le succès ou l’échec de cette opération dépend entièrement de tes efforts, Sylphie. »

« En-Entendu ! »

Au cas où ça ne suffirait pas, Ariel choisit d’enfoncer le clou.

« Je ne te permettrai pas de te dégonfler à nouveau. Pas cette fois. Si tu reviens et que tu me dis que tu n’as pas trouvé le courage de parler au moment décisif, alors je ne t’aiderai plus jamais. En fait, je ferai pire que ça. De par mon autorité en tant qu’Ariel Anemoi Asura, deuxième Princesse du royaume d’Asura, je t’interdirai de contacter à nouveau Rudeus Greyrat. »

Sylphie déglutit bruyamment. Elle comprenait, bien sûr, qu’Ariel essayait seulement de la pousser en avant. Il s’agissait moins d’une menace littérale que de l’ordre d’aborder cette affaire très, très sérieusement.

Voyant la tension sur le visage de Sylphie, Ariel prononça lentement ses derniers mots sur le sujet.

« Donne tout ce que tu as. »

« Euh… oui, madame ! »

« Très bien. »

Ariel hocha profondément la tête une fois de plus, et commença à exposer son plan.

***

Partie 3

Sylphie

Nous n’avions pas perdu de temps pour mettre en place notre opération.

C’était l’heure du déjeuner un jour d’école, et je me trouvais au premier étage du réfectoire. La salle était remplie d’étudiants « communs » : d’anciens aventuriers, des hommes bêtes, des démons, et toutes sortes d’autres personnes.

Les étudiants nobles avaient tendance à se moquer impitoyablement de ce groupe dès qu’ils en avaient l’occasion. Mais la plupart de leurs insultes n’étaient basées que sur des préjugés. La Princesse Ariel trouvait cette attitude absurde. Elle aimait rappeler qu’il y a seulement quatre cents ans, certaines des tribus dont ils se moquaient si librement avaient presque conduit l’humanité à l’anéantissement,

non pas que tout cela soit très pertinent en ce moment.

J’avais repéré Rudy assis à la dernière table, discutant avec un petit groupe d’amis. Il était avec Zanoba, le roi Badigadi et Julie, qui était assise au bout de la table, une tasse à la main, tout en jetant des regards aux trois autres.

« Expliquez-nous, Sire Badi. Quelles sont les qualités les plus importantes d’une figurine, selon vous ? »

« Elles doivent être plus mignonnes que les vraies ! Et plus important encore, elles doivent être assez sexy pour exciter tous ceux qui les voient ! »

« Ah oui, l’élément érotique ! Vos goûts sont vraiment raffinés, votre Majesté. Tenez, prenez un autre verre… »

Badigadi engloutissait de grandes quantités de bière. Sa peau sombre semblait légèrement rougie. Rudy et Zanoba le regardaient avec de grands sourires, remplissant régulièrement leurs chopes. C’était étrange. Ce réfectoire ne servait même pas d’alcool. Étaient-ils allés en acheter à l’avance ?

« À propos, Monsieur Badi, que diriez-vous si je faisais une figurine de l’Impératrice Kishirika ? Une très sexy, bien sûr. »

« Tu souhaites dépeindre ma fiancée ? Mais tu ne sais même pas à quoi elle ressemble une fois adulte, mon garçon. »

« C’est justement pour cela que je veux la faire. Une fois qu’elle sera redevenue normale, vous ne pourrez plus voir la charmante version miniature d’elle ! C’est pourquoi nous devons préserver son apparence actuelle pour la postérité. »

« Je vois ! Tu as peut-être raison. Mais cette femme est parfois un peu négligente, et il lui est arrivé de se faire tuer assez brusquement. Je pense qu’elle reviendra sous sa plus petite forme tôt ou tard. »

« Mais le décor de votre château serait sûrement amélioré par une exposition de l’Impératrice Kishirika à différents âges ! »

« Tu es un humain, mon garçon. Tu ne vivras pas assez longtemps pour la voir à tous ses âges. »

« C’est bien là le problème. Si nous voulons que ce rêve devienne réalité, je dois transmettre mes techniques de fabrication de figurines aux générations futures. Et c’est pourquoi j’aurais vraiment besoin de votre soutien, votre Majesté ! Ehehehehe. »

« Bwahahaha ! Malgré toute ta puissance, tu joues curieusement bien le rôle d’un vendeur cupide ! J’approuve ta cupidité, mon garçon. Qu’est-ce que tu désires, alors ? De l’argent ? Des hommes ? »

« Oh, rien de tout ça. J’espérais simplement que vous pourriez glisser un mot en ma faveur de temps en temps… »

Rudy avait encore son sourire diabolique. Il avait vraiment l’air d’un vrai méchant. Il ne souriait pas souvent, mais quand il le faisait, c’était toujours comme ça. C’était une chose qui n’avait pas changé depuis que je l’avais rencontré.

Il y avait aussi quelqu’un qui souriait comme ça à la cour royale, un homme que je connaissais sous le nom de Ministre Darius. C’était notre ennemi mortel, et celui qui avait fini par nous chasser du pays. Mais son sourire ressemblait à celui de Rudy, je n’avais donc jamais bronché quand il l’avait tourné vers nous. Peut-être que c’était juste quelque chose qui appartenait en fait à toute personne intelligente.

Rudy et Zanoba semblaient vraiment dévoués à leur passion qui consistait à utiliser la magie de Terre pour faire des petites sculptures de personnes. Il m’était difficile de commenter la qualité de leur travail, mais au moins, les figurines étaient vraiment détaillées et précises. Lorsque Rudy m’avait montré une sculpture de Wyrm Rouge sur laquelle ils travaillaient, j’avais été sérieusement impressionnée.

Ils formaient également Julie, qui s’était révélée être une jeune naine talentueuse, afin qu’elle les aide. Et maintenant, ils essayaient d’attirer un Roi Démon dans leur entreprise. Il était évident qu’ils étaient vraiment sérieux à propos de ce projet. Je voulais les rejoindre et les aider, puisque j’étais moi-même un assez bon mage, mais ce n’était pas une option. Je devais garder mon mana pour protéger la Princesse Ariel.

« Bonjour, Rudeus. »

« Oh ! Bonjour, Maître Fitz. »

Au moment où je l’avais appelé, Rudy leva les yeux vers moi avec une expression de satisfaction. J’avais agi un peu bizarrement avec lui récemment, mais il ne semblait pas se méfier de moi. Honnêtement, il pouvait être assez inconscient parfois.

Pourtant… c’était la preuve qu’il me faisait entièrement confiance. Ça me rendait heureuse.

« Que puis-je faire pour toi ? »

« Uhm… »

J’avais hésité pendant un moment. C’était un peu difficile d’aborder le sujet avec Zanoba et le Roi Démon qui me regardaient.

« Euh, ça te dérangerait de sortir avec moi une minute ? »

« Pas du tout. Zanoba, tu peux t’occuper du reste ? »

« Bien sûr, Maître. Laisse-moi m’occuper de tous les détails. »

Rudy et Zanoba étaient très proches ces derniers temps. Je ne pouvais m’empêcher d’être un peu jalouse.

J’avais conduit Rudy hors du réfectoire et j’avais trouvé un endroit calme et isolé pour parler. Il était temps d’aller droit au but.

« Vas-y, je t’en prie », dit Rudy.

Il était si beau quand il avait cette expression sérieuse sur le visage. Ce n’était même pas juste.

« Euh… en fait, j’ai une assez grosse faveur à te demander. »

« Vraiment ? Eh bien, rassure-toi ! Je ferai évidemment tout ce que je peux ! », dit Rudy en se frappant légèrement du poing sur sa poitrine.

« Attends une seconde. Je ne t’ai même pas encore dit ce que je voulais de toi… »

« Je ne vais pas te refuser, Maître Fitz. Eh bien, sauf si c’est quelque chose que je ne dois absolument pas faire. »

Wôw. C’était en fait vraiment gentil. Le décevoir de cette façon me rendait mal à l’aise. Le fait que je ne puisse même pas me résoudre à lui dire qui j’étais était déjà assez mauvais…

« Très bien… tu te souviens que je t’ai dit que la Princesse Ariel passait quelques jours dans la maison d’un noble qu’elle connaît ? Eh bien, ils avaient ce garde du corps là-bas, et apparemment il est vraiment fort. »

« Ah. Tu veux de l’aide pour combattre ce garde du corps, non ? »

« Quoi ? Non, non ! »

« Oh, je vois. C’est bien, alors. Je n’aime pas trop me battre. »

Pas très doué pour la bagarre… ? Est-ce censé être une blague ? Je devrais rire maintenant ? Passons à autre chose…

« La princesse Ariel a commencé à s’agacer de la façon dont cette noble se vantait de son garde du corps. Elle a insisté sur le fait que “son Fitz” était encore plus fort. »

« Ahah. J’ai compris. »

« Alors le noble lui dit, “Mon garde du corps a bravé la Forêt de la Grêle avec une équipe de seulement quatre personnes, et a ramené la fleur qui pousse dans ses profondeurs”, sur un ton vraiment insolent… »

Rudy posa une main sur son menton et hocha pensivement la tête.

« Une fleur qui pousse dans les profondeurs de la Forêt de Grêle… elle doit vouloir dire la Frange de Givre, non ? Ses pétales peuvent être utilisés pour faire un tonique puissant, mais elle est connue pour ne pousser que là, et seulement en hiver. »

Wôw. Comme attendu de Rudy. Il connaissait ça sur le bout des doigts ?

Heureusement qu’on avait pris le temps de faire des recherches et de choisir une plante qui existait vraiment.

« La Forêt de la Grêle est dangereuse en hiver, mais si vous y allez avec un groupe de quatre aventuriers de rang A, ce n’est pas un exploit si impressionnant. Tant que tout le monde se déplace prudemment, vous pouvez obtenir la fleur et sortir sans prendre trop de risques. », poursuivit Rudy

Il continua à énumérer les noms des différents monstres qui résidaient dans la Forêt de la Grêle : Frelons des neiges, couguars blancs, tréteaux tachetés, et ainsi de suite. J’avais été un peu étonnée par la facilité avec laquelle il avait sorti ces informations de nulle part. Comment avait-il pu mémoriser tout cela ?

« Uhm, c’est vrai. Quoi qu’il en soit… la Princesse Ariel ne pouvait pas se résoudre à reculer, alors elle lui a dit “Fitz pourrait faire ça avec un groupe encore plus petit !”. Bon ce n’est pas comme si elle me l’avait demandé. »

« Maintenant, je vois. C’est donc ça le problème, hein ? »

Rudy hocha la tête avec un air de satisfaction.

« Je vais contacter un de mes amis aventuriers et lui demander de te vendre les fleurs à un bon prix. Ce noble ne saura jamais que tu n’y es pas allé toi-même. »

« Quoi ? ! Ce serait de la triche, Rudeus ! Je suis censé faire le travail moi-même ! »

« Le pouvoir se présente sous de nombreuses formes. Avoir des relations en est une. J’ai des tonnes d’amis aventuriers, et je suis ton ami. Tu ne fais que mettre à profit les relations que tu as construites. C’est une façon tout à fait valable de faire avancer les choses. »

Oh wôw, écoute-le jouer avec les mots. De quoi est-ce qu’il parle ?!

« Désolé, je ne peux pas faire ça. Si ça se savait, je finirais par humilier la princesse Ariel. »

« Hm, Je comprends. Allons donc chercher les fleurs nous-mêmes. »

Rudy changea d’avis assez facilement. L’idée d’affronter cette forêt dangereuse à deux ne semblait pas l’intimider le moins du monde.

… Enfin, c’était ce que je pensais, jusqu’à ce que la phrase suivante sorte de sa bouche.

« Donne-moi trois jours, et je vais rassembler quelques gars que je connais. Cela devrait être assez simple avec un groupe d’une dizaine de personnes pour nous aider. Ne t’inquiètes pas, Stepped Leader est en ville en ce moment. Je suis sûr que je peux convaincre certains d’entre eux de venir. »

Maintenant, j’étais complètement perdue.

« Quoi ? Rudeus, non ! Ariel a dit que j’irais avec un plus petit groupe ! Pourquoi est-ce qu’on emmènerait dix autres personnes ? »

« Oh, ne t’inquiète pas pour ça. Par chance, ils entreront dans la forêt quelques heures avant nous. Peut-être que certains d’entre eux y collecteront des matériaux, et d’autres chasseront des monstres pour un travail. Il se peut qu’ils éliminent toutes les menaces sur notre chemin, mais aucun d’entre eux ne touchera aux fleurs. Nous les prendrons tous seuls. »

Euh… wôw. En voilà un plan sournois. C’est comme ça que les aventuriers font les choses ?

Non, non. Rudy était un aventurier depuis des années, et il avait appris à quel point les forêts étaient dangereuses. Il s’inquiétait juste que je sois blessée, puisque j’étais une amatrice dans ce genre de choses. Oui, ça devait être ça. Probablement.

« Écoute, avons-nous vraiment besoin de toutes ces autres personnes ? Je parie que toi et moi, on peut très bien s’en sortir tout seuls, Rudeus. »

« … Oh, attends. Me demandes-tu juste d’être ton garde du corps, Maître Fitz ? »

N’était-ce pas ce que j’avais dit au début ? Peut-être pas, en fait…

« O-Oui, c’est ça ! Tu peux m’aider, Rudeus ? »

Rudy posa une main sur son menton et réfléchit juste un instant avant de hocher la tête.

***

Partie 4

« C’est entendu. Tu m’as aidé de toutes sortes de façons, Maître Fitz. Ce ne serait pas correct de ma part de refuser ta demande. »

« Me-Merci, Rudeus ! J’étais un peu nerveux à l’idée d’y aller seul. »

Malgré quelques frayeurs, j’avais réussi à passer le premier obstacle. Mais honnêtement, j’avais l’impression qu’il trouvait un nouveau plan chaque fois que j’ouvrais la bouche. Rudy était vraiment quelque chose…

L’opération était passée à sa deuxième phase. Rudy et moi allions nous rendre dans la forêt de la Grêle. Elle était située à environ trois jours de voyage au nord de Sharia, et se terminait juste à la frontière avec Basherant.

J’étais partie avec mon matériel de voyage normal, mais Rudy était arrivé lourdement équipé. Il portait un énorme sac à dos, qui était apparemment rempli de fournitures et de rations d’urgence. Je lui avais dit que je m’attendais à ce qu’il vienne les mains vides, vu sa force… mais il m’avait répondu : « Il ne faut pas sous-estimer les dangers de la forêt. Il y a des monstres qui peuvent esquiver un canon de pierre en plein vol. »

Cela me semblait totalement absurde, mais quand je l’avais pressé sur ce point, il me répondit qu’il y avait des tonnes de créatures comme ça dans les forêts du Continent Démon. J’avais d’abord pensé que c’était une blague, mais son visage était très sérieux.

Les monstres connus pour apparaître dans la Forêt de la Grêle étaient des menaces de rang B au pire. Je pouvais probablement m’en sortir sans problème…

« Désolé, Rudeus. J’ai l’impression de t’avoir fait faire tout le travail de préparation. »

« Pas besoin de t’excuser. Ça fait partie du boulot quand on est garde du corps. »

Attends. Si c’était comme ça qu’il voyait les choses… allait-il me demander de l’argent à la fin ?

« Euh… je dois donc te payer pour tes services ? »

« Ne sois pas stupide. Je fais ça parce qu’on est amis. Je ne veux rien de toi. »

Pour une raison inconnue, Rudy avait vraiment insisté sur le mot « amis ». Je n’étais pas sûre de ce que c’était censé signifier.

« Je veux dire, je pourrais me permettre de te payer, si tu veux. Ce n’est pas grand-chose. »

Ariel me versait un salaire régulier, même si ce n’était pas grand-chose. Et comme je n’étais pas une grande dépensière, mes économies s’étaient donc accumulées depuis un moment. Je pouvais me permettre de louer Rudy au moins pour quelques jours.

Oh, mais… il est censé être un magicien de niveau Roi maintenant, non ? Est-ce que j’en ai vraiment assez ?

« Heh. Tu sais, je ne suis pas bon marché. »

« Eh bien, je sais bien que tu ne l’étais pas, mais… »

Pour une raison quelconque, je m’étais souvenue du marché aux esclaves, et j’avais imaginé Rudy montant nu sur une scène. Acheter Rudy… ça pourrait être amusant…

Une drôle de sensation parcourut ma moitié inférieure. J’avais senti mon visage devenir brûlant d’embarras.

« Euh, de toute façon ! Allons-y ! »

« D’accord. »

Nous avions fait ensemble un pas en avant dans la Forêt de la Grêle.

À première vue, cela ressemblait à un bois parfaitement ordinaire, du genre de ceux que l’on trouvait partout dans les Territoires du Nord. Nous étions entourés de grands arbres recouverts de neige. Cependant, il y avait une sorte d’anomalie magique dans cette zone qui faisait que la grêle tombait très régulièrement. Quand on marchait sur la neige ici, elle faisait un bruit distinctif de craquement.

« Les fleurs fleurissent sur une falaise à l’autre bout de la forêt. Nous allons nous y rendre directement tout en dégageant la neige sur notre chemin. Suis-moi et surveille ce qui nous entoure, s’il te plaît. »

Suite à ces mots, Rudy se mit à marcher d’un pas ferme, faisant fondre la neige devant lui au fur et à mesure. J’avais essayé de l’aider aussi, mais je n’arrivais pas à comprendre. Je devais supposer qu’il utilisait la magie du feu, étant donné la portée limitée de ses effets… mais il n’était pas facile de générer continuellement assez de chaleur pour faire fondre une épaisse couche de neige. J’aurais pu le faire si j’avais voulu, mais cela m’aurait coûté beaucoup trop de mana. Rudy dépensait ses réserves de mana de manière vraiment prodigue.

La neige ici était assez profonde pour atteindre nos épaules, mais il continua à la dégager au fur et à mesure que nous avancions. Au début, je craignais que les nuages de vapeur d’eau n’attirent des monstres, mais d’une manière ou d’une autre, il n’en faisait aucun. Quand je lui avais demandé comment il faisait, il m’avait répondu qu’en contrôlant soigneusement la température, on pouvait obtenir une chaleur juste suffisante pour faire fondre la neige sans produire de nuages de vapeur. Combien d’entraînement faudrait-il avant de pouvoir faire quelque chose comme ça ?

Concentre-toi, Sylphie. Ce n’est pas vraiment important pour l’instant.

Il était temps de commencer le plan. Prenant une profonde inspiration, je désignai le bâton que Rudy portait.

« Je me souviens t’avoir apporté ça l’autre jour, Rudeus. C’est un bâton étonnant. Je n’en ai jamais vu un sur mesure avec une pierre magique colorée en dehors de la cour royale. »

« Oui. La jeune femme dont j’étais le tuteur me l’a donné en cadeau pour mon dixième anniversaire. »

Pour une raison inconnue, Rudy avait l’air un peu triste. En y réfléchissant, il ne m’avait jamais dit grand-chose sur cette jeune femme dont il avait été le tuteur pendant des années. On aurait dit qu’il ne voulait pas en parler. D’après tout ce que j’en avais entendu, elle avait l’air d’une fille vraiment violente… peut-être avait-il de mauvais souvenirs de cette période de sa vie.

« Crois-tu que je pourrais essayer le toucher ? Tout ce que j’ai, c’est ma baguette de débutant. J’ai toujours voulu utiliser un bâton comme celui-là. »

« Vraiment ? Je pensais qu’ils donneraient un beau bâton au garde du corps d’une princesse s’il en voulait un. »

« Ils ont dit que je n’en avais pas besoin, puisque je pouvais de toute façon lancer des incantations silencieuses. Tu parles d’une radinerie, hein ? »

Bien sûr, ce n’était pas la vraie raison pour laquelle j’étais restée si longtemps avec ma petite baguette. Rudy me l’avait offerte en cadeau, alors elle comptait beaucoup pour moi. C’était une baguette banale, sans intérêt. Je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas la reconnaître.

« Eh bien, vas-y. Saisis bien le manche, là. »

Pour une raison inconnue, Rudy avait un étrange sourire en coin en disant cela. Y avait-il quelque chose de drôle que je ne voyais pas ? Un peu décontenancée, j’avais serré le bâton de Rudy dans mes mains. C’était un peu gênant de tenir cette chose. Mes mains étaient trop petites pour ça.

« Oui, c’est super épais. Es-tu censé le tenir à deux mains ? »

« … Peut-être. Je pense qu’ils voulaient s’assurer que je pourrais toujours l’utiliser une fois que je serais grand. »

« Hmm… »

En souriant à lui-même, Rudy reprit sa marche en avant et ses tâches de déneigement. Je le suivais de près, tenant toujours son bâton.

OK. Jusqu’ici, tout va bien. Il est temps de passer à l’étape suivante…

Approchant l’anneau que je portais au petit doigt à ma bouche, j’avais murmuré le mot clé « Tour rouge » aussi doucement que possible. La petite pierre qui y était incrustée était passée du bleu au rouge.

Cette bague était l’un des instruments magiques que la princesse Ariel portait toujours sur elle. Lorsque vous prononciez le mot clé, sa pierre changeait de couleur, tout comme la pierre de son anneau compagnon. L’effet ne fonctionnait pas sur de très grandes distances. Mais en ce moment, l’autre bague de l’ensemble attendait mon signal juste à l’extérieur de cette forêt.

Est-ce que ça va vraiment marcher ?

J’avais regardé nerveusement le ciel et j’avais attendu que la prochaine étape de notre plan commence.

Malgré mon anxiété, c’était arrivé assez vite. Le ciel commença à se couvrir de nuages à une vitesse anormale. Tout se passait bien jusqu’à présent.

« Hm ? »

Il ne fallut pas longtemps à Rudy pour remarquer le changement de temps. Levant les yeux, il murmura pour lui-même : « Des nuages de pluie ? C’est étrange. »

La pluie ne tombait presque jamais à cette époque de l’année dans les Territoires du Nord. Par conséquent, l’équipement de protection que la plupart des gens portaient n’était pas très efficace contre la pluie. Les vêtements lourds que nous portions étaient faits de fourrure de hérisson des neiges. On pouvait brosser la neige avant qu’elle ne fonde, ce qui était très utile en hiver. Par contre la pluie s’y incrustait. Et une fois qu’il était trempé, une seule rafale arctique pouvait vous geler.

« On dirait qu’il va pleuvoir, Maître Fitz », m’avait rappelé Rudy en fronçant les sourcils.

Lorsque quelque chose comme ça arrivait, tes seules véritables options étaient de créer un abri de fortune sur place ou de te réfugier dans une grotte. Cette dernière option était considérée comme un peu plus sûre et plus fiable. Rudy était très bon en magie de terre, bien sûr, mais il ne voulait pas continuer à dépenser du mana juste pour nous garder au sec jusqu’à ce que la pluie cesse. C’était un travail sérieusement fastidieux.

Ainsi donc, j’avais une proposition alternative à offrir.

« Uhm, voyons voir. En regardant la carte, je pense… »

… qu’il y a une grotte juste devant, alors on va s’y abriter.

Mais avant que je puisse prononcer les mots, Rudy secoua la tête et m’interrompit.

« Ne t’inquiète pas. Je vais disperser ces nuages en un rien de temps. »

Il avait ensuite levé les mains vers le ciel.

Et mince !

À cet instant, j’avais réalisé que j’avais fait une grave erreur. Rudy était un magicien de l’eau de rang Saint. Manipuler le temps était une seconde nature pour lui. La princesse Ariel m’avait dit qu’elle avait engagé deux magiciens de l’eau de niveau avancé pour ce travail, mais ils ne feraient pas le poids face à Rudy. Il se débarrasserait probablement de ces nuages en un rien de temps.

Que dois-je faire ? Qu’est-ce que je fais ? S’il ne commence pas à pleuvoir, tout le plan tombe à l’eau !

Agissant par réflexe, j’avais commencé à canaliser le mana dans le bâton que je tenais dans mes mains. Je pouvais sentir qu’il amplifiait ma puissance à un degré remarquable. Peut-être que je serais capable de le faire…

« Hmmm ? »

Alors qu’il pointait toujours ses mains vers le haut, Rudy inclina la tête en signe de perplexité. Il était probablement troublé par le refus obstiné des nuages de se dissiper. Ce qu’il ne savait pas, c’était que je me battais pour les maintenir ensemble. Je ne savais pas si Rudy ne se donnait pas à fond, ou si le bâton me donnait un avantage, mais nous nous annulions tous les deux. Ce qui signifiait que les deux magiciens de niveau avancé à l’extérieur de la forêt pouvaient garder le contrôle.

En murmurant des prières silencieuses à personne en particulier, j’avais canalisé de plus en plus de mana vers le haut. J’avais visualisé les nuages de pluie grossissants et s’étendant dans le ciel. Je l’avais fait exactement comme Rudy me l’avait appris — recueillir l’humidité, la refroidir jusqu’à ce qu’elle se condense, et la laisser tomber !

« Hmm… »

Rudy avait de nouveau froncé les sourcils. Un instant plus tard, les premières gouttes de pluie froide étaient tombées sur nous.

***

Partie 5

« … Désolé, Maître Fitz. On dirait que je ne suis pas très performant aujourd’hui. »

Il avait l’air un peu contrarié par ce développement, ce qui était compréhensible.

« Ce n’est pas grave, Rudeus. C’est probablement parce que je tenais ton bâton. »

« Même sans mon bâton, j’aurais dû être capable de les disperser assez facilement. Je suppose que je n’ai pas fait ça souvent ces derniers temps… je suis juste rouillé ? Ou peut-être… », avait-il marmonné en étudiant ses mains.

Je m’étais dit qu’il s’était rendu compte que ces nuages de pluie pouvaient avoir été créés intentionnellement. Pourtant, il ne lui était probablement pas venu à l’esprit que je pouvais avoir activement interféré avec sa tentative de les dissiper.

« Bon, il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire maintenant que ça tombe. Il y a une grotte plus haut, n’est-ce pas ? Allons nous y abriter. »

« O-Oui ! Bonne idée ! »

J’acquiesçai énergiquement, et nous nous remîmes en marche aussitôt. Notre équipement de hérisson des neiges aspirait l’eau comme une éponge. En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, nous étions tous les deux gelés.

Tout se passait comme prévu.

« C’est là ! »

Enfin, frissonnants et trempés, nous avions trébuché dans notre abri. C’était une petite grotte naturelle, d’une profondeur maximale de dix mètres. Et c’était aussi notre vraie destination.

◇ ◇ ◇

Je savais dès le départ qu’il y avait quelque chose de louche dans cette affaire.

Maître Fitz agissait bizarrement depuis qu’il m’avait engagé, et les événements avaient pris une tournure vraiment étrange. Ces nuages de pluie s’étaient accumulés anormalement vite. Les averses soudaines en hiver étaient très, très rares par ici. Il y avait une bonne chance que quelqu’un ait créé cette tempête en utilisant la magie. Mais quel en serait l’intérêt ? Pourquoi juste… faire pleuvoir sur nous ? Voulaient-ils rendre plus difficile l’accomplissement de notre objectif ? Qui pourrait faire ça ? La noble qui se disputait avec la Princesse Ariel, peut-être ? Dans quel but ? Eh bien, sans doute pour empêcher Fitz d’obtenir la fleur.

Mais si c’était le but, pourquoi nous harceler avec un temps pourri ? Vous pouviez toujours faire pleuvoir des flèches à la place.

Est-ce que Maître Fitz avait compris tout ça ? Il avait les traits du visage énormément tendu, ce qui suggérait que la réponse était oui. Mais d’un autre côté, il semblait aussi étrangement calme. Peut-être qu’il s’attendait à ce que quelque chose comme ça se produise.

Si c’était le cas, je ne comprenais pas pourquoi il ne m’avait pas prévenu avant. Pourrait-il avoir l’intention de m’assassiner ? Cela n’avait pas beaucoup de sens non plus. Il aurait pu me tuer plusieurs fois à l’heure actuelle, s’il l’avait voulu.

Mais qu’est-ce qui se passe ici ?

Mes pensées étaient troublées alors que je travaillais à l’installation d’un feu que nous pourrions utiliser pour sécher nos vêtements mouillés. Heureusement, j’avais apporté du bois de chauffage prédécoupé, juste au cas où quelque chose comme ça arriverait. Il était possible d’entretenir un feu en n’utilisant que la magie, bien sûr, mais il s’éteindrait immédiatement si je devais porter mon attention sur un monstre itinérant. Cela pouvait être dangereux, car cela nous priverait de notre principale source de lumière, et je devrais en faire un nouveau par la suite. Il était plus judicieux de n’avoir que les bases sur soi.

« … Ok, je vais allumer le feu. »

Une fois le bois disposé, je l’avais allumé. Dès que j’étais sûr qu’il brûlait régulièrement, j’avais enlevé mon manteau. Il était complètement trempé, l’extérieur était recouvert d’une fine couche de givre. Je portais ma vieille robe grise en dessous, mais elle était également trempée. Au toucher, j’étais trempé jusqu’aux sous-vêtements. J’avais bien fait d’apporter un ensemble de rechange pour que je puisse donner la priorité au séchage de mes autres vêtements. En utilisant un mélange de magie du vent et de l’eau, j’avais soigneusement évaporé l’excès d’humidité dans ces vêtements. Je ne pouvais cependant pas forcer l’eau à sortir complètement. Cela endommagerait gravement le tissu si j’essayais.

Une fois que j’avais fait ce que j’avais pu, j’avais fabriqué un simple séchoir en utilisant la magie de Terre et j’avais suspendu tout sauf mes sous-vêtements pour les faire sécher.

Je m’étais tourné vers le feu et m’étais rapproché, mais il faisait encore froid dans la grotte. J’avais utilisé la magie pour sceller l’entrée de la grotte. Bien sûr, nous enfermer complètement ici serait un bon moyen de mourir d’un empoisonnement au monoxyde de carbone, alors j’avais ouvert un trou de ventilation dans le plafond pour laisser la fumée s’échapper.

J’avais rendu les choses au moins un peu plus confortables. Maintenant, la question était de savoir ce que je devais faire de mes sous-vêtements. Il pourrait être un peu gênant de se déshabiller totalement devant Fitz.

J’avais jeté un coup d’œil vers lui et je l’avais trouvé en train de se serrer les épaules, tremblant comme une feuille, et gémissant doucement. Il avait enlevé son manteau extérieur, mais portait toujours sa cape et tout ce qu’il y avait dessous. À ce rythme, ce type allait s’exposer à l’hypothermie.

« Ne devrais-tu pas, euh… »

Ne devrais-tu pas les enlever pour les faire sécher ? était la phrase que j’avais en tête, mais je m’étais arrêté à temps. Fitz avait beau prétendre être un jeune homme, je le soupçonnais d’être en fait une fille qui cachait sa véritable identité. Se déshabiller devant moi n’était peut-être pas une option. Mais c’était une situation vraiment dangereuse.

Que faire maintenant ? Hmm…

« Maître Fitz. »

« Qu… Qu’est-ce qu’il y a, Rudeus ? ! », m’avait-il répondu un peu trop fortement.

De toute évidence, il avait également réalisé le dilemme dans lequel il se trouvait. Ce n’était pas bon du tout. Je devais lui donner une porte de sortie.

« Tu sais, une fille que je connais m’a dit que les elfes ont pour règle de ne pas laisser les gens d’une autre race les voir nus. Pourquoi ne me retournerais-je pas pour me couvrir les yeux ? Tu n’as qu’à enlever ces vêtements, les sécher avec de la magie, et me dire quand tu as fini. »

« Huh ?! »

Fitz avait l’air plus que surpris. C’était logique, étant donné que j’avais tout inventé sur le champ. S’il y avait vraiment un tel tabou, Elinalise le violait tous les jours de sa vie. Cependant, les fausses informations que j’avais choisi de « croire » ici devraient être très pratiques pour Fitz, pour autant qu’il joue le jeu.

Je m’étais lentement retourné, j’avais fermé les yeux… et j’avais commencé à écouter attentivement. Je n’avais aucune raison de ne pas apprécier au moins les sons de son déshabillage. Mon imagination ferait le reste.

« … »

« … »

Pour une raison inconnue, je n’entendais rien. Ses vêtements étaient mouillés, oui, mais même ainsi… les enlever et les sécher avec un sort aurait dû produire au moins un léger soupçon de son. C’était vraiment étrange. Avait-il un moyen de se changer sans faire de bruit ?

En y repensant, il y avait une fille à mon école primaire qui pouvait se changer avec un maillot de bain sans se déshabiller avant. C’était un truc plutôt cool. Cette école n’était pas équipée de véritables vestiaires, alors les garçons et les filles étaient obligés de se changer ensemble dans les salles de classe. Rétrospectivement, c’était le bon temps. Plus tard, lorsque l’Internet était devenu populaire, j’étais tombé sur une explication de cette méthode furtive de changement de vêtements. J’avais développé un certain intérêt pour les astuces de ce genre. Mon intérêt pour cette question était purement académique, bien sûr. Ce n’était certainement pas un truc sexuel. Du moins, je le pense.

Si Fitz n’avait pas enlevé ses vêtements, il serait probablement gelé en ce moment. Avec cette excuse en tête, je m’étais lentement retourné.

Mes yeux avaient immédiatement rencontré ceux de Maître Fitz. Il avait toujours ses lunettes de soleil, mais je pouvais voir qu’il regardait mon visage. Je n’avais pas détourné le regard cette fois. Principalement parce que son visage était d’une pâleur alarmante.

« Maître Fitz ! »

Il se tenait toujours les épaules avec ses deux bras, tremblant plus férocement qu’avant. Il n’y avait aucune couleur sur son visage. Il était évident qu’il était glacé jusqu’aux os.

En hiver, les températures dans les Territoires du Nord étaient constamment bien en dessous de zéro. Le simple fait de marcher dehors prive très rapidement le corps de sa chaleur. Bon sang, j’étais moi-même encore assez froid. La température dans la grotte augmentait lentement, mais avec ces vêtements humides, Fitz s’offrait un bain de glace.

C’était incroyablement dangereux.

« S’il te plaît, tu dois enlever ces vêtements. Veux-tu que je te fasse une sorte de petite pièce ? Ou peut-être que je pourrais juste quitter la grotte ? Oui, c’est bien. Je vais sortir tout de suite… »

« Attends. »

Alors que je me dirigeais vers l’entrée, Maître Fitz m’appela. Il me regarda fixement pendant un moment, toujours tremblant. Puis, se levant sur des jambes tremblantes, il s’approcha lentement et regarda mon visage.

« … »

« … »

Il était juste… en train de me regarder. Comme s’il y avait quelque chose qu’il voulait dire. Mais qu’est-ce que c’était ? Qu’essayait-il de me dire ?

« Tu vas, euh… tu vas attraper froid, Maître Fitz… »

« O-Oui. T-Tu as raison, » avait-il répondu d’une voix tremblante.

J’étais plus que troublé à ce stade. Je ne pouvais pas commencer à comprendre ce qu’il pensait.

« Tu dois… enlever ces vêtements. C’est dangereux. Avoir trop froid peut te tuer… »

« Oui… Je suppose que je vais mourir, à ce rythme… »

Fitz hocha la tête, mais ne montra aucun signe de vouloir enlever ses vêtements. Euh, non pas que j’espérais qu’il se déshabille sous mes yeux.

Je ne sais rien ! Maître Fitz est un garçon ! Ce n’est définitivement pas une femme ! C’est ma position officielle sur le sujet, bon sang ! J’avais vraiment besoin de fermer les yeux maintenant, non ?

« Je ne peux pas les enlever moi-même. Fais-le pour moi. »

Mais de quoi parlait-il ?

« … Eh bien, si tu ne peux pas les enlever, je suppose que je vais devoir le faire. »

De quoi est-ce que je parlais, bordel ?

Merde. Mes mains étaient déjà en train d’avancer. J’avais d’abord touché ses épaules. Elles étaient froides… et minces, et douces. Son corps semblait très délicat dans mes mains.

« U-Uhm, Maître Fitz… pour être honnête, je suis conscient du fait que tu es une femme. »

« Ok. Mais si tu n’enlèves pas mes vêtements, je pourrais mourir, pas vrai ? »

« E-Effectivement… »

Confirmation de mes soupçons à part, ça ne collait pas. Je n’arrivais pas à comprendre sa façon de penser. Elle était manifestement en train de comploter quelque chose. Est-ce que ça pourrait être une sorte d’arnaque de chantage ? Genre, j'enlève ses vêtements, et un type effrayant débarque dans la grotte, me dit que j'en ai trop appris, et m'emmène dans un laboratoire d’Asura pour me disséquer ? Je n'aurais pas à me plaindre, étant donné que j'étais sur le point d'expérimenter moi-même sur Fitz…

Mes mains, qui avaient commencé à agir sans ma volonté depuis un bon moment, firent glisser l'épaisse cape à boutons de Fitz. Cela révéla la chemise blanche trempée en dessous.

Je ne voulais pas me répéter, mais c'était une chemise blanche. Comme vous le savez peut-être, les chemises de cette couleur avaient tendance à devenir transparentes lorsqu'elles étaient mouillées. Cela signifiait que j'avais pu voir les sous-vêtements de Fitz - plus précisément, quelque chose qui ressemblait à un soutien-gorge de sport. Le contenu semblait… modeste. Mais comme le soutien-gorge mouillé lui collait à la peau, il était impossible de nier sa présence. Fitz avait un rembourrage naturel du genre de ceux qui avaient tendance à captiver l'esprit masculin.

« Maître Fitz… »

« Qu'est-ce qu'il y a, Rudy ? »

En entendant ce surnom familier, j'avais senti un vieux souvenir remonter lentement à la surface de mon esprit. J'avais déjà vécu une expérience similaire à celle-ci. Quelque chose de très similaire à cela.

« Euh… alors, excuse-moi… »

« Vas-y. »

Le visage de Fitz était rouge vif jusqu'au bout des oreilles. D'une certaine manière, même ça me semblait étrangement familier. J'avais enlevé sa chemise blanche, exposant la peau pâle en dessous. Pendant un moment, j'avais regardé ses épaules délicates et son cou fin. Elle était plus mince que je ne le pensais.

Le fait de la voir de près… et de la toucher directement… avait un effet sur moi. Un chevalier invisible soulevait mon « épée » vers le haut, comme dans une cérémonie sacrée.

***

Partie 6

Qu’est-ce qui se passe avec Fitz ? Je ne pouvais pas mettre le doigt dessus, mais quelque chose en elle me rendait si… excité. J’avais dû lutter contre une envie soudaine de la pousser au sol à ce moment précis. Ignorant mes désirs du mieux que je pouvais, j’avais attrapé la ceinture de Fitz. Après quelques secondes maladroites et bruyantes, j’avais réussi à la défaire. J’avais tendu le bras pour attraper son pantalon par la taille… et là, une image du passé m’avait traversé l’esprit.

J’avais déjà fait quelque chose comme ça, il y a des années. J’avais cinq ou peut-être six ans, mais je n’avais pas oublié.

En baissant le pantalon de Fitz, j’avais découvert une culotte blanche. Contrairement à la première fois, je n’avais pas baissé en même temps ses sous-vêtements. Cela dit… la culotte était tellement imbibée d’eau de pluie qu’elle était presque transparente. Est-ce que je voyais des choses, ou est-ce que c’était une courbe douce en bas… ? J’avais dégluti bruyamment.

Fitz retira ses jambes de son pantalon en silence, puis s’était assise devant moi, les jambes écartées de chaque côté. Je m’étais assis sur mes genoux juste devant elle. Le sol de la grotte était accidenté et rugueux, mes tibias commencèrent à me faire mal immédiatement.

J’avais tendu la main vers elle une fois de plus. Elle avait toujours ces gants blancs trempés sur ses mains.

« Laisse-moi… les prendre aussi… »

En enlevant les gants, j’avais constaté qu’une de ses mains était marquée par une vieille cicatrice. J’avais reconnu cette main.

Comment était-ce arrivé, déjà ? Mais oui, c’est vrai. Elle avait mis sa main dans une cuisinière et s’était brûlée. Je me souviens de lui avoir demandé si cet accident avait quelque chose à voir avec sa lutte pour apprendre la magie du feu.

« Rudy… »

Fitz ne me regardait plus dans les yeux. Son regard était légèrement tourné vers le bas, vers une autre partie de mon corps. La tente que j’avais plantée quelques minutes plus tôt tenait toujours bon. Fitz était vraiment une faiseuse de miracles.

« Il reste encore une chose. »

Je savais qu’elle ne parlait pas de son soutien-gorge ou de sa culotte. À ce stade, j’avais enfin compris. J’avais attrapé ses lunettes de soleil et les avais enlevées.

En dessous, j’avais trouvé un visage familier, celui que je m’attendais à voir.

À l’époque, j’avais pensé que mon amie deviendrait une vraie tombeuse. Sylphiette était si jolie, même quand je pensais encore que c’était un garçon, même quand elle était une enfant. Et maintenant… elle était devenue encore plus belle que je ne l’avais imaginé.

Ses traits avaient toujours un soupçon d’infantilisme. Mais belle était la seule description qui s’appliquait. Ses yeux étaient vifs et clairs. Son nez était un peu long, et ses lèvres étaient légèrement fines. J’avais cru voir une ressemblance avec sa compagne elfe, Elinalise… mais d’une certaine manière, son visage était plus accessible et attachant. Peut-être avait-elle hérité cela de ses ancêtres humains.

« Euh, Maître Fitz… »

« Oui, Rudy ? »

La façon dont elle inclinait la tête pour écouter, même en rougissant, n’avait pas changé du tout. Pourquoi diable m’avait-il fallu autant de temps pour comprendre ça ? Ses cheveux ? Oui. Sa couleur de cheveux était différente. Elle avait eu les cheveux verts avant, mais maintenant ils étaient blancs purs. Mais bien sûr, les cheveux des gens changent de couleur tout le temps. On pouvait par exemple les décolorer si on le voulait.

« Est-ce que par hasard ton vrai nom est... Sylphiette ? »

« … Oui. »

Fitz — ou plutôt Sylphie — sourit timidement et hocha la tête.

« Oui… c’est ça. Je suis Sylphiette. Sylphiette… du Village Buena… »

Après seulement quelques secondes, celle-ci fut submergée par l’émotion, et son sourire s’était effrité et il avait disparu. Avant de s’effondrer complètement, elle avait réussi à se pencher en avant et à jeter ses bras autour de moi.

« J’ai finalement… dit ça… »

Son corps était très, très froid.

Nous étions restés comme ça pendant quelques longues minutes.

J’étais encore sous le choc, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais en même temps, je commençais à sentir que tout avait enfin un sens.

Sylphie sanglotait et reniflait doucement en me serrant fortement dans ses bras. C’était assez similaire à la façon dont cela s’était passé la dernière fois, en fait. On aurait dit qu’elle était encore une pleurnicheuse.

Son corps était toujours aussi doux. Elle était si mince qu’on aurait pu croire qu’elle n’avait pas une once de graisse, mais quand on la prenait dans ses bras, on avait l’impression d’avoir à porter un nuage. Elle se mettait de l’adoucissant dans le bain ou quoi ?

« J’ai attendu… Je t’ai attendu tout ce temps, Rudy. Je suis restée au Village Buena, et j’ai travaillé très dur… »

Je savais que c’était vrai. Paul m’avait déjà raconté comment Sylphie avait occupé son temps une fois que j’étais parti donner des cours à Éris. Ne disant rien pour le moment, j’avais juste caressé sa tête. Elle avait réagi en me serrant encore plus fort.

Après un moment, elle releva son visage pour me regarder. Ses larmes et son nez qui coulait l’avaient laissé dans un sale état. Je n’étais pas sûr de ce que je devais lui dire.

« J’ai toujours… »

Sylphie savait ce qu’elle voulait dire. Elle m’avait regardé droit dans les yeux et avait dit ce qu’elle avait à dire.

« Je t’ai toujours aimé. »

Tout ce que je pouvais faire, c’était de la regarder bêtement, sans rien dire.

« Je t’aimais tellement à l’époque, Rudy. Et maintenant, je t’aime encore plus. Ne me quitte plus jamais… s’il te plaît ? Je veux rester avec toi pour toujours… »

Mon esprit s’était court-circuité. J’étais littéralement abasourdi.

Bien sûr, Sylphie avait été très attachée à moi dans le passé. On pourrait dire que je l’avais arrangé de cette façon. Mais les choses étaient différentes maintenant. J’avais passé un an à apprendre à faire confiance et à respecter « Maître Fitz » comme mon ami et mon égal. C’était une personne différente maintenant, capable de se défendre. J’avais un réel respect pour elle. Ses sentiments pour moi n’étaient-ils que des traces persistantes de mes tentatives pour la conquérir quand j’étais enfant ? Cela semblait possible.

Mais… j’en étais venu à faire sincèrement confiance à Fitz. C’était une personne intelligente et bien informée qui écoutait mes problèmes et m’aidait à y réfléchir. Je n’étais d’ailleurs pas le seul à la tenir en haute estime. La princesse Ariel lui faisait également confiance.

Et elle me disait qu’elle m’aimait.

Un sentiment chaud et agréable gonfla dans ma poitrine. J’avais encore du mal à me faire à l’idée que Sylphie et Fitz étaient la même personne… mais j’étais tellement heureux que j’avais envie de danser.

Pendant un moment, je m’étais surpris à penser à Éris. Est-ce que je lui avais déjà dit que je l’aimais ? Nous avions parlé de former une famille à un moment donné, mais c’est elle qui en avait parlé. Je ne me souvenais plus de ce que j’avais dit.

Et pour Sarah ? Non, les choses n’étaient jamais allées aussi loin avec elle. Sincèrement, je n’étais pas sûr d’avoir vraiment aimé Sarah. Je l’aimais bien, et j’avais essayé de la mettre dans mon lit… mais j’avais l’impression qu’« amour » n’était pas le mot juste pour décrire ce que j’avais ressenti.

Bon, très bien. Et Fitz… ou plutôt Sylphie ? Qu’est-ce que je pensais d’elle ?

Pour être honnête, je voulais prendre le temps de bien y réfléchir. Je voulais vérifier mes propres pensées, et élaborer une réponse claire et précise. Mais si je ne lui donnais pas de réponse tout de suite… elle allait probablement disparaître, comme Éris.

Je m’étais retrouvé à prendre Sylphie par les épaules et à l’éloigner d’un bras. Elle essaya de résister, mais c’était un effort plutôt faible.

« Je t’aime aussi », avais-je dit.

Le visage de Sylphie était complètement désordonné à ce moment-là, mais ce n’était pas grave. Je lui avais caressé doucement la tête, puis j’avais approché mon visage du sien.

Ses lèvres étaient très douces. Elles étaient aussi légèrement gluantes à cause de la morve, mais ça n’avait pas d’importance pour le moment. Quand le baiser fut terminé, Sylphie avait enfin arrêté de pleurer. Elle leva les yeux vers moi, hébétée, le visage toujours rouge vif.

J’avais perdu la capacité de parler moi-même. Fort heureusement, les mots n’étaient pas vraiment nécessaires à ce stade.

Maintenant que nous avions confirmé nos sentiments l’un pour l’autre, la prochaine étape était évidente. Quand on était amoureux, on était censé faire l’amour, non ? Sans vouloir être vulgaire, mon petit pote avait passé deux ans sans aucune forme de défoulement et il était prêt à exploser.

Sylphie n’avait pas objecté quand j’avais fait mon mouvement. Elle m’avait laissé l’allonger doucement sur le dos sur la couverture de camping que j’avais apportée. Franchement, j’avais l’impression qu’elle était préparée à ce que cela arriverait depuis le début. Peut-être qu’elle avait organisé toute cette « mission » juste pour pouvoir me dire la vérité en toute intimité.

Mais ce n’était pas le moment de penser à tout ça. Pour l’instant, je devais juste m’assurer de ne pas tout faire foirer à nouveau.

« … Est-ce ta première fois, Sylphie ? »

« Huh ? Euh, oui. C’est la première fois. Est-ce que c’est un problème… ? »

« Bien sûr que non. »

Pourtant… ça voulait dire que je devais être prudent avec elle. Si je faisais une erreur, les choses pourraient se passer comme la dernière fois. Je ne voulais pas ressentir ça à nouveau. C’était déjà assez dur de se faire larguer par Éris… et Sarah. Je ne pouvais pas tout faire foirer. Je ne pouvais pas.

Lentement, prudemment, je m’étais penché pour toucher Sylphie…

« … Uhm, Rudy ? »

J’avais alors réalisé que ma tente s’était effondrée.

Une heure s’était écoulée avant que nous n’abandonnions finalement.

La pluie s’était arrêtée. Grâce au temps que nous avions passé serrer l’un contre l’autre, nos corps s’étaient considérablement réchauffés. Nos vêtements étaient aussi presque secs.

Mais pour l’instant, j’avais surtout envie de pleurer. J’étais douloureusement déprimé par mon incapacité à être performant à un moment aussi crucial. Mais au fait, combien de fois avais-je ressenti cette variété particulière d’agonie ? Ça ne semblait jamais devenir moins terrible. Et cette fois-ci, je n’avais pas affaire à une fille de bordel ou à une aventurière avec qui j’avais sympathisé dans une auberge. C’était quelqu’un que j’aimais vraiment. Quelqu’un avec qui j’avais une connexion spéciale.

J’étais terrifié à l’idée que Sylphie puisse se retourner pour me regarder avec la déception sur le visage, pousser un long soupir et sortir de ma vie. J’étais alors resté allongé, tremblant légèrement tout en lui tenant la main.

Sylphie n’était cependant allée nulle part. Elle semblait également choquée par la tournure des événements, même si elle n’était pas aussi dévastée que moi. Il y avait un petit demi-sourire maladroit sur son visage.

« Ce n’est pas ta faute, Rudy. Mes seins sont plutôt petits, hein ? Je sais que je ne suis pas vraiment sexy… »

« Ne sois pas ridicule, Sylphie. Tu es très belle. Le truc c’est que… je suis dans cet état depuis trois ans maintenant. »

« R-Rudy… »

Je lui avais raconté l’histoire. Toute la longue et humiliante histoire, en commençant par le jour où, il y a trois ans, j’avais couché avec quelqu’un pour la première fois. J’avais même admis que j’étais venu à l’Université de la Magie dans l’espoir de trouver un remède à mon état, et que je n’avais pas eu de chance jusqu’à présent.

« T’embarrasser était la dernière chose que je voulais faire, Sylphie. S’il te plaît, accepte mes excuses les plus sincères. »

***

Partie 7

Il n’y avait bien sur rien de mal avec son corps. Le simple fait de la regarder était excitant. Sa poitrine était petite, certes, mais elle était magnifiquement proportionnée. Elle était la définition d’une petite beauté — et j’étais un grand fan des petites beautés. Je veux dire, c’était la seule fille qui m’avait préparé à partir au cours des trois dernières années. Bien sûr, ce n’était pas sa faute. J’étais juste un lâche inutile.

« Ne parle pas comme ça, Rudy ! Cela ne me gêne vraiment pas. Allez, reviens à la normale. »

La voix de Sylphie était implorante et un peu triste. Cela m’avait juste fait me sentir encore plus pathétique.

« J’adorerais revenir à la normale, bien sûr. Mais il semble qu’il n’y ait rien que je puisse faire à ce sujet, j’en ai peur. »

« Non, non… Je voulais juste dire que tu peux arrêter de t’excuser aussi formellement… », avait-elle dit, une larme coulant sur son visage.

« Oh, euh… c’est vrai, c’est vrai. C’est ma faute. Je me suis juste un peu énervé. »

Mon dieu, je n’arrête pas de tout faire foirer. Je m’étais incliné, faisant des courbettes depuis un moment maintenant. J’avais tendance à revenir dans ce mode automatiquement quand je n’avais pas les idées claires.

« … Est-ce que c’est bizarre pour moi d’être un peu formel avec toi ? Je veux dire, je t’appelle Maître Fitz depuis des mois maintenant. »

« Oui, je suppose… mais quand tu parles comme ça, on a l’impression que tu tiens les gens à distance. »

Vraiment ? C’était la première fois que j’en entendais parler. Éris et Ruijerd avaient-ils ressenti la même chose ? Et Zanoba ? J’avais tendance à lui donner des ordres.

« À partir de maintenant, je veux que tu sois plus décontracté avec moi. »

« Comme tu veux. »

« Et bien, ce n’est pas très désinvolte. »

« Allez ! Ne peux-tu pas me lâcher un peu ? »

« Hehehe… bien, peut-être que je ferai une exception. »

Cette conversation semblait au moins améliorer légèrement l’ambiance. Pourtant, cela faisait un moment que je n’avais pas été consciemment désinvolte avec quelqu’un. Après être venu dans ce monde, j’avais surtout été « poli à l’excès ». J’avais passé quelques années à badiner avec Soldat et compagnie, mais j’avais ensuite atterri dans cette école et j’avais recommencé à faire des courbettes.

… En y réfléchissant, il y avait une autre exception. Au village Buena, j’étais plutôt décontracté avec ma petite amie Sylphie. Dans ce cas, peut-être que la décontraction était juste la norme pour nous.

Pendant un moment, nous étions restés assis, blottis l’un contre l’autre en sous-vêtements, sans rien dire de particulier, en écoutant le crépitement du feu. En tournant un peu le cou, j’avais pu voir la clavicule de Sylphie. Son soutien-gorge était légèrement desserré. Quand je regardais sous cet angle, j’apercevais parfois un joli petit quelque chose de rose.

Après un petit moment, cependant, j’avais rompu l’agréable silence.

« Je peux te demander pourquoi tu t’es travestie pendant tout ce temps, Sylphie ? Que t’est-il arrivé après l’incident de téléportation ? »

Je voulais savoir pourquoi elle était la garde du corps de la Princesse Ariel, pourquoi elle avait teint ses cheveux en blanc, et pourquoi elle cachait son identité. Je ne savais pas si j’avais le droit de poser ces questions, mais ça semblait valoir la peine d’essayer.

« Oh, d’accord. Uhm… par où commencer… ? »

Lentement, Sylphie commença à me raconter son histoire.

Elle commença par son entraînement au Village Buena, et ses tentatives pour découvrir où j’étais auprès de Zenith et Lilia. Elles avaient fini par la former respectivement à la magie de guérison et à l’étiquette. Elle avait également mentionné qu’elle m’avait fabriqué le pendentif que je porte encore aujourd’hui.

« Donc tu l’as fait toi-même, hein ? »

« Pourquoi est-ce que tu as ça, Rudy ? »

Cela faisait des années que je cachais le pendentif en question à l’intérieur de mes vêtements. Sylphie l’avait évidemment remarqué lorsque je m’étais déshabillé tout à l’heure.

« Lilia me l’a donné quand je l’ai trouvée. Mais elle n’a pas dit que tu l’avais fabriqué pour moi, Sylphie. »

« Eh bien, elle a probablement pensé que je pourrais être morte. »

« Ah, je vois. »

Certaines personnes pourraient être d’accord pour porter un souvenir d’un ami mort, mais d’autres pourraient être tristes et mal à l’aise.

« Uhm, ça te dérange si je continue mon histoire ? »

« Désolé pour ça. Vas-y. »

Après l’Incident de Téléportation, la vie de Sylphie avait pris une tournure orageuse et dramatique. Elle avait été éjectée au-dessus d’un jardin du palais royal avec un dangereux monstre juste en dessous d’elle. Après avoir sauvé la vie de la Princesse Ariel par pure coïncidence, elle reçut en récompense son rôle actuel de Mage Gardien.

Sans savoir pourquoi, ses cheveux avaient perdu leur couleur d’origine lorsqu’elle avait été téléportée. Et les gens de la capitale royale étaient si différents de ce à quoi elle était habituée dans leurs perspectives et leurs ambitions que cela lui donnait mal au ventre chaque jour. Elle avait dû repousser des assassins envoyés pour tuer Ariel, tandis que les membres de la famille royale et leurs partisans luttaient pour le pouvoir.

Finalement, ils avaient été chassés de la capitale et s’étaient lancés dans un voyage auquel aucun d’entre eux n’était prêt. Il y eut des trahisons, des déceptions, et des moments de danger désespéré. Mais finalement, ils avaient atteint l’Université de magie de Ranoa, où ils avaient commencé à préparer leur retour… et ce fut à ce moment-là que j’étais arrivé.

« Je sais que ce n’est pas ta faute, Rudy… mais quand tu t’es présenté à moi comme un étranger, ça a été un choc. »

« Je suis désolé pour ça. Mais tu sais, si tu m’avais dit qui tu étais un peu plus tôt, ça n’aurait pas pris autant de temps. »

« Oui… je suppose que tu as raison. Désolée. C’est ma faute pour n’avoir rien dit, hein… ? Je suis vraiment… désolée pour ça… »

Soudainement, des larmes coulèrent sur le visage de Sylphie. Il semblerait que cela faisait un moment qu’elle était angoissée par cette histoire. Ce n’était pas comme si elle avait caché la vérité juste pour m’embêter ou autre, et je n’avais pas l’intention de la critiquer.

« Hey, je suis aussi désolé. J’ai eu une année entière pour le découvrir, et je n’ai même pas réalisé. »

D’après l’histoire de Sylphie, elle avait caché son identité pour une bonne raison, et semblait penser que je l’avais complètement oubliée. Et si je l’avais oubliée, il y avait un risque que je dise la vérité sur elle à quelqu’un si elle s’ouvrait à moi. J’avais après tout des liens avec la famille Boreas. Il y avait donc une possibilité que je puisse même devenir un ennemi. Garder le silence était probablement la meilleure solution.

De plus, je n’avais pas vraiment donné d’indication que je cherchais Sylphie au cours de l’année dernière. Si elle pensait que je n’étais pas inquiet pour elle, on ne pouvait pas lui reprocher d’hésiter, non ? Oui, on ne le peut pas. Toutes sortes de circonstances s’étaient mises en travers du chemin. Et à la fin, elle s’était ouverte à moi. C’était ce qui comptait vraiment.

J’avais enroulé mes bras autour des épaules de Sylphie et elle appuya sa tête contre moi. Son corps était encore un peu froid. J’avais décidé de la garder serrée contre moi jusqu’à ce que ça s’améliore.

« Je n’ai pas pu trouver le courage, Rudy. Et je suppose qu’une partie de moi aimait les choses telles qu’elles étaient. »

« Oui. Je dois dire qu’être l’ami avec Maître Fitz n’était pas si mal. »

Cependant, elle avait apparemment commencé à s’inquiéter. Il y avait quelques jolies filles dans ma vie ces jours-ci, et elle pensait que l’une d’entre elles allait m’enlever si elle n’agissait pas rapidement. À cause de ma condition, ce scénario semblait plutôt improbable… mais on ne savait jamais. Et si Nanahoshi m’avait trouvé une sorte de remède magique. J’aurais été très reconnaissant envers elle, non ? Peut-être que notre relation aurait évolué d’une manière inattendue.

En tout cas, Sylphie avait décidé de tout risquer sur une opération majeure. J’avais prouvé que j’étais inconscient, et je sabotais régulièrement ses plans en essayant d’être prévenant. De son côté, elle avait tendance à toujours se dégonfler au dernier moment. Mais cette fois, elle allait se mettre au pied du mur… et me gifler avec la vérité jusqu’à ce que je comprenne enfin.

« Tu es vraiment inconscient, Rudy. »

« Oui, je plaide coupable. »

J’avais fait le serment silencieux d’agir comme un protagoniste ignorant, mais après ça, je ne pouvais plus me moquer de ces types. Parfois, quand il y avait beaucoup de facteurs de complication, il pouvait être difficile de réaliser que quelqu’un vous voulait.

Si j’avais été un peu plus excité dès le début, peut-être que j’aurais lu les signaux venant d’elle plus clairement. Est-ce que tous ces stupides héros à harem avaient aussi besoin d’une ordonnance de Viagra ? Ça expliquerait en fait beaucoup de choses.

« Donc je suppose que j’ai fini par tomber dans ton piège, hein ? »

« Uhm, oui. Désolée. Je me sens un peu mal de t’avoir piégé comme ça. »

« C’est bon. Je ne pense pas que ça aurait marché si tu n’avais pas poussé les choses aussi loin. »

Au rythme où allaient les choses, j’aurais continué à prétendre que Fitz était un homme indéfiniment, en supposant que je lui faisais une faveur. Et pour être honnête, je ne savais pas si je me souvenais bien de ma vieille amie Sylphie avant qu’elle ne me fasse ce rappel utile.

« Au fait… la Princesse Ariel sait-elle que tu fais ça ? »

« Oh, absolument. Elle a tout planifié. »

« Elle l’a vraiment fait ? »

« Oui. »

C’était un soulagement. Si Sylphie avait agi de son propre chef, il aurait été plus sûr de continuer à prétendre que je ne savais pas la vérité… bien que le personnage de « Fitz » n’allait pas disparaître dans les deux cas.

« Elle était cependant un peu inquiète à propos de tout ça. Elle n’avait jamais pu comprendre quels étaient tes objectifs, ou ce que tu pensais. Je pense qu’elle n’aurait jamais vraiment cru que tu sois venu ici à cause de ton, euh, problème. »

Il y avait des rumeurs sur mon état de santé qui circulaient, mais d’après ce que j’ai entendu, elle les avait probablement rejetées d’emblée. La vérité pouvait parfois être plus étrange que la fiction.

« Hmm. Dans ce cas, peut-être que je devrais tout simplement rejoindre son équipe ? »

Honnêtement, je voulais encore éviter de me mêler à de dangereuses luttes de pouvoir. Mais si ça pouvait aider Sylphie, je lui offrirais tout le soutien possible.

« La Princesse Ariel a beaucoup fait pour moi, alors personnellement, je serais heureuse de t'avoir à ses côtés… mais tu ne veux pas te mêler à la politique d’Asura, non ? Ne te force pas, Rudy. »

Sylphie me sourit timidement une fois de plus. Son côté mignon était vraiment amplifié par cent quand elle ne portait pas ces lunettes de soleil géantes. Pour la deuxième fois aujourd'hui, j'avais senti une montée de chaleur dans mon aine. Incapable de me retenir, je m’étais penché et j'avais léché son oreille.

« Aah ?! »

« Oups. Pardonne-moi. »

Le cri de surprise de Sylphie fit fuir mon petit ami turbulent qui retourna en hibernation. Je n'arrivais vraiment pas à contrôler ma propre libido ces derniers temps. Pourtant, c'était un soulagement d'avoir un peu de mouvement en bas. Il semblait que j'étais sur la voie de la guérison.

Tout ça était bien sûr dû à Sylphie.

« Merci, Sylphie. »

« Huh ? Pour quoi... ? »

Sylphie inclina la tête vers moi, confuse.

On n'avait pas encore fait tout le chemin, mais c'était suffisant pour le moment. Rome ne s’était pas construite en un jour, non ?

***

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Un commentaire :

  1. C’est cruel d’arrêter maintenant ! Merci pour le chapitre 😀

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