Mushoku Tensei (LN) – Tome 9 – Chapitre 3

***

Chapitre 3 : Le masque blanc

***

Chapitre 3 : Le masque blanc

Partie 1

Il semblerait que, récemment, certaines personnes aient un peu peur de moi. Et par « certaines personnes », j’entends pratiquement tous les étudiants de l’Université de Magie.

Au début, je pensais simplement que tout le monde m’évitait pour une raison inconnue. Non pas que je me sois trompé à ce sujet.

Voici un exemple concret : parfois, je me retrouvais à marcher dans un couloir vers un groupe de durs à cuire qui se dirigeait vers moi. Naturellement, je m’écartais du chemin pour qu’ils ne me harcèlent pas. Mais pour une raison inconnue, ils s’écartaient déjà de mon chemin. Parfois, ils regardaient même par la fenêtre et disaient qu’il faisait beau, même s’il neigeait.

Évidemment, j’étais simplement heureux qu’ils ne me harcèlent pas. Mais en y repensant, peut-être qu’ils pensaient exactement la même chose.

Je n’avais compris ce qui se passait qu’après un incident qui s’était produit un après-midi, alors que je rentrais de mon cours de désintoxication intermédiaire. En sortant de la classe après le cours, j’avais aperçu Goliade dans le couloir juste à l’extérieur. Oui, cette Goliade, cette énergique exterminatrice d’humains qui m’avaient faussement accusé d’avoir volé des sous-vêtements lors de mon tout premier jour ici. Elle m’avait remarqué au même moment que je l’avais remarquée. Nos yeux s’étaient croisés.

Comme nous nous connaissions tous les deux et qu’elle était ici depuis plus longtemps que moi, il me semblait impoli de partir sans même dire bonjour… et j’avais l’impression que je devais m’excuser pour notre dernière rencontre.

Alors que je m’approchais, Goliade tressaillit et détourna les yeux. Elle rentra ses larges épaules pour se faire aussi petite que possible, et regarda au loin avec une expression craintive, essayant consciemment de ne pas me voir.

« Euh, salut, Goliade. Je voulais vous parler de ce qui s’est passé lors de mon premier jour ici… »

Et alors lorsque j’étais en train de lui parler, celle-ci s’était immédiatement mise à trembler comme un faune nouveau-né.

« Je suis… je suis désolée pour ça. Vraiment… vraiment désolée. S’il vous plaît, je ne savais pas… », avait-elle lâché faiblement.

Son attitude semblait légèrement différente de la dernière fois que nous nous étions rencontrés. J’étais en fait un peu décontenancé. J’avais presque l’impression de la menacer ou quelque chose comme ça.

« Euh… J’allais en fait m’excuser auprès de vous. Je ne connaissais pas les règles concernant les dortoirs à l’époque. Mais je ne referai pas cette erreur, donc… »

Alors que je trébuchais sur ce que j’avais prévu de dire, un groupe de spectateurs commença à se rassembler autour de nous.

« Hé, regardez, c’est Rudeus. »

« A-t-il encore de la rancune pour ce qui s’est passé le premier jour ? »

« Oh bon sang. Pauvre Goliade… »

« C’est lui qui a enfreint les règles, non ? Quelle brute… ! »

« Tais-toi, idiot. Et s’il t’entend ? »

Leurs chuchotements étaient critiques à mon égard, et pleins de pitié pour Goliade. Je pouvais voir des larmes couler dans ses yeux. Honnêtement, j’avais aussi un peu envie de pleurer. Que diable se passe-t-il ici ? La façon dont ils me regardaient me faisait vraiment mal.

« C’est quoi tout ça, miaou ? Qui se bat dans le couloir ? »

« Quelqu’un a trop d’énergie, hein ? »

À ce moment précis, Linia et Pursena étaient arrivées. Elles traversèrent la foule et nous repérèrent, Goliade et moi. Après avoir étudié un instant son visage éploré, elles sourirent et hochèrent la tête, puis s’imposèrent avec assurance entre nous.

« Hey, Patron. Pourquoi ne pas en rester là, miaou ? Goliade ne voulait vraiment pas vous contrarier. Pourriez-vous la laisser tranquille pour nous ? On doit s’occuper des autres filles-bêtes. »

« Vas-y, Goliade, il ne se passera rien. Mais ne te mets plus dans le collimateur du patron, compris ? Tu as eu de la chance que son bras droit passait par là. Si je n’avais pas été là, il aurait pu te réduire en bouillie. »

« O-Okay ! Merci ! »

Goliade s’inclina avec reconnaissance devant elles deux, tourna sur elle-même et s’éloigna rapidement, paraissant considérablement plus petite qu’elle ne l’était en réalité.

« Les autres, allez vous faire voir ailleurs, miaou ! Ce n’est pas un spectacle ! », cria Linia.

La foule de spectateurs s’était rapidement dispersée comme un nid de bébés-araignées. J’avais laissé échapper un petit soupir de soulagement. Mais lorsque je m’étais tourné vers Linia et Pursena, dans l’espoir d’une explication, j’avais découvert qu’elles avaient déjà commencé à plaisanter.

« OK, Pursena. Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« De quoi parles-tu, Linia ? »

« Je suis le bras droit du patron, évidemment ! »

« Il a ramassé beaucoup de nouveaux larbins ces derniers temps. Tu es trop bête pour faire tourner les choses en douceur. »

« Miaou ?! Tes notes sont aussi mauvaises que les miennes ! »

Je les avais finalement interrompus : « Allez, vous deux. Vous pouvez être toutes les deux mes bras droit, ok ? »

« Miaou ne comprend pas, patron. On doit avoir une hiérarchie ! »

« C’est vrai. C’est important, merde. »

Je pouvais comprendre que les hommes bêtes aimaient les hiérarchies, mais je ne me souvenais pas d’avoir établi une sorte de gang, et je me fichais de savoir laquelle d’entre elles était quelle main. Cela mis à part, elles venaient de me tirer d’affaire. Je devrais leur offrir quelque chose pour leur exprimer ma gratitude. Du poisson cru et un morceau de viande feraient-ils l’affaire ?

« Quoi qu’il en soit, cette Goliade était vraiment stupide. Elle n’aurait pas dû vous contrarier, patron. Qu’est-ce qu’elle vous a fait, miaou ? »

« Euh, elle m’a pris pour un voleur de sous-vêtements lors de mon premier jour ici, mais… »

« Huh ? Je me souviens de ça ! Attendez, donc ce voleur de culottes fantôme… c’était vous depuis le début, patron ?! »

« Sans blague, c’est vraiment le bordel. »

Tout à coup, les deux me regardaient avec du mépris dans les yeux. Et si vous me laissiez finir ma phrase ? J’ai été accusé à tort ! Je devrais peut-être leur offrir une deuxième portion de désespoir et d’humiliation, plutôt que de la viande et du poisson.

« Maintenant que j’y pense, Goliade s’est vantée de cela pendant un moment. Elle a dit qu’elle avait attrapé un lâche de première année en flagrant délit, mais que Fitz l’avait protégé. Je suppose que c’est elle la lâche maintenant, hein ? Hilarant. »

« Elle disait du mal de vous, et vous l’avez laissée s’en tirer ? C’est très fort de votre part, patron, mais nous devons envoyer un message ici. On va s’en occuper, miaou. »

Ça sonnait comme un mauvais présage. Ces deux-là n’avaient pas dépassé leur phase de délinquance depuis le temps ?

« Ne lui fais pas de mal, s’il te plaît. Je ne veux pas me faire d’ennemis pour rien. »

« Pfft. Vous devez vraiment être plus ambitieux, Patron ! Qui se soucie des ennemis, miaou ? On pourrait diriger tous les dortoirs de cette école si on s’associait pour éliminer Ariel ! »

« Vous savez, elle a raison. Vous avez battu Fitz, patron, alors vous pourriez conquérir cette école en un rien de temps. »

De toute façon, c’était quoi le problème avec ces Hommes-Bêtes qui veulent prendre le pouvoir ? Sérieusement, c’était tous des Megatron duveteux.

« Supposons que je prenne le pouvoir dans les dortoirs et tout le reste. Que ferais-je avec ce pouvoir ? »

Je m’en fichais complètement d’être au sommet. J’essayais fondamentalement d’éviter les conflits autant que possible, et prendre une position de leader vous garantissait qu’au moins une personne allait vous détester. Dans ce monde, il suffisait de prendre la mauvaise route au mauvais moment pour se faire poignarder en plein cœur. Il était plus sûr d’être amical et respectueux envers tous ceux que vous rencontriez.

« Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, miaou. Eh bien… je suppose que vous ne pourriez pas faire grand-chose avec les filles, en fait… ooh, je sais ! On pourrait vous apporter une paire de culottes de toutes les filles des dortoirs au début de chaque année ! »

« Bonne idée. Le patron aime tellement les culottes qu’il les expose dans sa chambre, non ? Il serait super content. »

« N-Non, je ne serais pas… »

Ce n’était pas comme si je les avais mises là parce que j’aimais les culottes. Je veux dire, je les aimais bien… mais ça ne voulait pas dire que je voulais un tas de sous-vêtements de filles que je ne connaissais même pas. Je connaissais Goliade, et je savais que je ne voulais pas de ses sous-vêtements.

Mais bon, on voyait parfois des filles vraiment mignonnes se promener sur le campus. Bien que la plupart d’entre elles ne soient pas vraiment mon type. Honnêtement, je n’aurais pas refusé une culotte de Linia et Pursena. Ces deux-là avaient une odeur légèrement musquée, mais au bout du compte, elles restaient des filles sexy. Et l’odeur de leur fourrure n’était pas si mauvaise de près.

Quand même… Mais oui ! Fitz. Il n’aimerait pas que je fasse ce genre de choses. Ça veut dire que c’est hors de question. Nous y voilà. L’affaire est enfin réglée ! Je ne me laisserai plus tenter. Laisse-moi tranquille, Satan…

« Je ne suis pas du tout intéressé par les culottes de quelques filles lambda. Si vous voulez voler leurs sous-vêtements, faites-le vous-mêmes. Mais si vous causez des problèmes à Maître Fitz, je ne serai pas de votre côté. »

Ouf. Nous y voilà. Vous l’avez échappé belle, très chères filles de l’université. Si je n’avais pas été là, vous auriez pu avoir de sérieux problèmes.

« Guh… E-Entendu, si vous voulez garder les choses calmes, c’est votre droit, Patron. »

« … Oui. On fera ce que vous nous direz. »

En tout cas, cet incident m’avait permis de comprendre la nature de ma situation. De toute évidence, beaucoup de gens me craignaient. Ce n’était pas difficile de comprendre pourquoi, une fois que je l’avais compris. J’avais battu Fitz, qui était l’élève le plus puissant de cette école. J’avais dominé tous les élèves spéciaux délinquants. Et enfin, j’avais vaincu un Roi-Démon avec un seul sort dans un duel très public. Il n’était pas surprenant que les autres élèves me trouvent intimidant.

D’après ce que Badigadi m’avait dit après coup, son aura de combat ne pouvait être pénétrée que par des sorts ou des techniques d’épée de niveau Roi. Ce qui signifiait qu’il fallait être au niveau d’un Ruijerd ou d’une Ghislaine pour avoir une chance contre lui. Mais comme il s’en servait pour se protéger au combat, il avait apparemment du mal à battre les gens au-dessus de ce niveau.

Quoi qu’il en soit… en supposant qu’il me dise la vérité, mon Canon de pierre entièrement chargé était maintenant aussi puissant qu’un sort de niveau Roi. Il n’y avait vraiment pas de quoi se plaindre.

Bien sûr, j’étais aussi un véritable canon de verre. Les combattants de ce monde pouvaient s’envelopper dans le voile protecteur d’une aura de combat sans même y penser, mais peu importe l’intensité de mon entraînement, mon corps n’avait jamais acquis cette force et cette vitesse surhumaines qu’Éris et Ruijerd avaient si facilement exploitées. Mes muscles avaient bien grandi, mais c’était à peu près tout. Tout ce que j’avais vraiment pour moi, c’était ma puissance d’attaque. J’étais censé avoir la capacité de mana d’un Dieu Démon, et grâce à mon Œil de Prévoyance, je pouvais affronter des ennemis d’un niveau un peu plus haut que moi. Mais mon corps lui-même restait totalement ordinaire. Je n’aurais eu aucune chance contre un adversaire vraiment puissant.

***

Partie 2

Mais je ne pouvais pas attendre des étudiants qu’ils comprennent tout cela. Ils avaient vu une démonstration de ma puissance de feu et supposaient probablement que mes capacités étaient aussi impressionnantes dans tous les domaines. On pouvait difficilement reprocher à un étudiant moyen de se tenir à l’écart de quelqu’un de « plus puissant qu’un Roi Démon. »

« Quand même, vous devez avoir plus confiance en vous, Patron ! Je parie que ça vous aiderait pour régler votre condition, miaou ! »

« Ouais. Mais une fois que ça aura marché, assurez-vous de sauter sur Linia plutôt que sur moi. »

La confiance en soi, hein ? Était-ce la cause de mes problèmes en bas ? Ça semblait en fait plausible. J’avais perdu mon combat contre Orsted, je m’étais fait larguer par Éris et j’avais merdé avec Sarah. Je n’avais pas trouvé le moyen d’utiliser mes forces efficacement, et j’avais fini par sombrer dans le marasme. Peut-être qu’un peu de confiance était vraiment ce dont j’avais besoin pour surmonter cette épreuve. Et maintenant, j’avais une chance de la retrouver. Après tout, tout le monde ici avait peur de moi.

Pour faire un essai, j’avais essayé de marcher dans un couloir bondé avec Linia et Pursena qui me suivaient de près. La foule s’était alors séparée comme par magie devant moi.

C’était vraiment une toute nouvelle expérience. J’avais l’impression d’être le directeur d’un hôpital faisant sa ronde, ou peut-être Moïse séparant la mer Rouge. C’était difficile de ne pas fanfaronner. Dégagez, les enfants, c’est mon couloir…

Cependant, au moment où cette pensée m’avait traversé l’esprit, je m’étais arrêté dans mon élan. Et si les gars qui m’avaient brutalisé dans ma vie précédente avaient commencé de la même façon ?

Cette prise de conscience avait instantanément enlevé tout le plaisir de la chose. Peu importe ce que j’avais accompli jusqu’à présent dans cette vie, le fait était que j’avais passé toute ma dernière vie au bas de l’échelle. Cela n’allait jamais changer, même si ma condition se guérissait d’elle-même. Et si je l’oubliais, je finirais probablement par répéter exactement les mêmes erreurs que j’avais faites auparavant. J’avais bien sur une vision plus positive de la vie maintenant, mais j’étais toujours la même personne au fond. Je ne pouvais pas me permettre de l’oublier.

Cette fois-ci, je n’allais pas finir reclus.

◇ ◇ ◇

Peu de temps après tout cela, j’étais à la bibliothèque, poursuivant mes recherches habituelles.

Je me focalisais toujours sur la téléportation et l’invocation. Plus je les étudiais, plus je remarquais de similitudes. Appeler quelque chose à soi était fondamentalement différent d’envoyer quelque chose ailleurs, mais à bien d’autres égards, ils étaient comparables. J’avais l’impression que je devais faire un effort pour apprendre la magie d’invocation. J’y pensais depuis un moment, mais il n’y avait pas un seul professeur à l’université qui était spécialisé dans cette discipline. Il y avait bien quelques membres de la guilde des magiciens qui pouvaient au moins lancer des sorts, mais même eux étaient pour la plupart au niveau débutant ou intermédiaire. Tout ce qu’ils pouvaient invoquer, c’était des familiers inoffensifs et des esprits obéissants et sans âme. Je voulais apprendre d’un véritable expert.

Il y avait quelques personnes dans la ville qui avaient atteint le niveau avancé en magie d’enchantement, mais cela semblait être très différent des invocations conventionnelles. Ils ne seraient certainement pas en mesure de me dire quoi que ce soit sur la téléportation. Le vice-principal s’était vanté de la qualité du personnel ici, mais de toute évidence, il ne faisait que parler.

Mais peut-être que les choses étaient ainsi. Je n’avais pas non plus rencontré de magiciens spécialisés dans l’Invocation durant ma période d’aventurier. Il semblait possible qu’il n’y en ait pas beaucoup. Ou peut-être que c’était le même problème que la Barrière et la magie divine, et qu’un pays spécifique monopolisait les méthodes.

Pourtant, j’avais l’impression d’avoir rencontré au moins une personne ayant des compétences en invocation, mais je n’arrivais pas à me souvenir de qui c’était. J’avais l’impression que ça me reviendrait si je la rencontrais à nouveau. Je ne l’avais probablement pas vu depuis un moment, qui qu’ils soient.

En tout cas, j’avais maintenant lu la plupart des livres prometteurs sur la magie d’invocation dans la bibliothèque. J’avais honnêtement l’impression d’être dans une impasse. Étudier par moi-même ne pouvait pas me mener plus loin que ce que j’avais fait.

Et ce fut Fitz qui finit par me trouver un moyen d’avancer.

« J’ai enfin trouvé quelqu’un, Rudeus ! Il y a une personne ici qui fait des recherches sur la magie d’invocation de niveau expert ! »

« Ooh ! Vraiment ?! »

« Ouais. J’ai en fait appris son existence par le principal et le vice-principal », déclara Fitz avec un sourire légèrement malicieux.

« Qui pense-tu que ce soit ? »

Eh bien, ce n’était probablement pas un professeur. Il y avait une poignée d’autres étudiants qui essayaient d’apprendre l’invocation du mieux qu’ils pouvaient, mais aucun d’entre eux ne connaissait au mieux que des sorts avancés. Qu’est-ce que ça nous laisse, alors ?

« … Quelqu’un de la guilde des magiciens, peut-être ? »

Il ne serait pas étonnant qu’ils aient quelques experts en la matière quelque part. Peut-être que l’un de leurs chercheurs empruntait certaines des installations de l’école pour mener ses expériences.

« Hmm, en quelque sorte. C’est apparemment un membre de Rang A de la Guilde. »

« Wow… »

D’après ce que j’avais appris sur leur structure, un membre de rang A de la Guilde des Magiciens était l’équivalent d’un directeur de branche, tandis qu’un membre de rang S faisait partie du groupe central de direction. Le principal Georg était un membre de rang S, et le vice-principal était de rang B.

« Cela ne signifie-t-il pas qu’il est assez haut dans la hiérarchie ? »

« Oui. C’est vraiment quelque chose. »

Même les membres de rang B avaient droit à des avantages très intéressants. Vous pouviez créer une école de magiciens où vous vouliez, et la Guilde vous offrait un soutien financier et logistique.

« Alors… qui est-ce ? »

« Eh bien, je pense que tu connais probablement déjà au moins son nom. »

Ah bon ? J’avais l’impression que j’aurais pu me souvenir de quelqu’un d’aussi important.

« Allez, dis-le moi. »

« Heheh. Bon, d’accord. C’est Silent Sevenstar, de la classe spéciale. »

Ah. Maintenant, ça a du sens. J’avais effectivement entendu son nom avant. Et plus que le nom. J’avais entendu parler des choses qu’il avait aussi accomplies dans cette école.

Tout d’abord, il avait amélioré les menus des réfectoires. Il s’était arrangé pour obtenir un approvisionnement régulier en nourriture du Royaume d’Asura, ce qui leur permit d’utiliser des ingrédients que l’on ne voyait normalement jamais dans les Territoires du Nord. De plus, il avait fait découvrir au monde un plat appelé « soupe de Kerry », qui était censé être sa propre invention. Elle était préparée en faisant mijoter des ingrédients comme des pommes de terre, des carottes, des oignons et d’autres ingrédients dans une marmite, avec un mélange complexe d’épices pour donner du goût. On le mangeait en versant la soupe épaisse et brune sur un morceau de pain. C’était essentiellement du curry. La saveur était effectivement très différente du curry dont je me souvenais, mais l’idée était très similaire.

Silent était aussi celui qui avait proposé nos uniformes scolaires officiels. Il avait des contacts avec des designers et des fabricants à Asura, et il s’était arrangé pour qu’ils soient créés là-bas. L’introduction d’un uniforme universel avait permis à l’Université de présenter son corps étudiant comme un groupe unique avec un but commun, plutôt que comme un mélange chaotique de différentes tribus et races qui occupaient le même campus. Cela avait considérablement amélioré leur image publique.

Même les tableaux noirs que l’on trouvait dans toutes les salles de classe étaient l’une de ces innovations. Écrire sur une surface noire pure avec un petit bâton de calcaire était un concept assez simple, mais les professeurs l’avaient trouvé exceptionnellement utile.

Il y avait beaucoup d’autres petites améliorations qu’il avait apportées, si on les cherchait. Il avait donc contribué à l’Université de nombreuses façons, petites et subtiles. En reconnaissance de ces accomplissements, la Guilde des Magiciens lui avait accordé un rang élevé dans leur organisation.

Tout cela dit… ces « innovations » étaient aussi très familières. Cela semblait être des concepts nouveaux pour les habitants de ce monde, mais pas pour moi. Je n’étais pas le plus malin, mais j’avais des soupçons depuis un certain temps. Je pensais que je savais quelque chose sur les origines de Silent.

Jusqu’à ce moment, cependant, je n’avais pas exprimé mes soupçons. Je ne savais pas pourquoi. Peut-être que je voulais croire que j’étais spécial. Peut-être que j’avais supposé que j’étais quelque chose de totalement unique — la seule et unique personne dans ce monde avec des souvenirs d’un autre monde. Mais bien sûr, il n’y avait aucune raison logique pour que ce soit le cas.

Pour être honnête, j’étais un peu effrayé par l’idée de Silent. J’avais espéré ne jamais le rencontrer. Je ne voulais pas rencontrer quelqu’un qui avait reçu les mêmes avantages que moi et qui les utilisait bien mieux. J’avais peur qu’ils me demandent pourquoi je perdais mon temps à m’amuser alors que j’aurais pu accomplir tellement plus. Je savais à quel point cela me ferait mal.

Mais lorsque j’avais entendu Fitz prononcer le nom de Silent, j’avais rapidement décidé que le moment était venu.

« Entendu. Merci, Maître Fitz. Je vais voir si je peux le rencontrer. »

En y repensant, j’avais probablement été un peu arrogant. J’avais gagné la loyauté d’un Enfant béni, battu les deux meilleurs délinquants de l’école, gagné la sympathie de son plus grand génie, et même sympathisé avec un roi du Continent Démon. La moitié des étudiants me regardaient avec admiration. J’essayais de ne pas laisser ça me monter à la tête, mais je pense que c’était en fait le cas.

Ils ne peuvent pas se moquer de moi après tout ce que j’ai fait ici, non ?

◇ ◇ ◇

Le vice-principal Jenius m’avait appris où se trouvait Silent sans la moindre difficulté. L’école lui avait accordé un laboratoire, composé de trois grandes pièces situées tout au fond du troisième étage du bâtiment principal de recherche. Il y passait presque tout son temps, n’en sortant qu’en de très rares occasions.

J’avais décidé de lui rendre visite tout seul, pour des raisons dont je n’étais pas totalement sûr. Il aurait été plus logique d’emmener Fitz. Mais quelque part, je sentais que je devais y aller seul.

Je m’étais arrêté devant la porte qui menait à sa chambre pour prendre une profonde inspiration et essayer de calmer mes nerfs. Je n’allais pas me laisser aller à flancher, même si Silent était vraiment comme moi.

J’avais frappé légèrement à la porte.

« … Entrez. »

Il y avait une pointe d’irritation dans la voix qui répondit de l’intérieur. Lentement, j’avais poussé la porte.

Le fond de la pièce était dominé par d’innombrables piles de livres et de papiers éparpillés. D’étranges instruments magiques dont l’usage n’était pas clair se trouvaient partout, des pierres magiques et des cristaux gisaient en de gros tas. C’était bien un laboratoire.

Quelqu’un était assis tout au fond de cet espace encombré. Lorsqu’il se tourna vers moi, j’avais été frappé de stupeur.

« … Ah. Nous nous rencontrons à nouveau. »

C’était une femme. Une femme aux cheveux noirs.

Elle portait… quelque chose dont je me souvenais très bien. Quelque chose que je n’oublierais jamais.

Un masque blanc lisse, presque sans traits.

« Gyaaaaaaaaaaaaaaah ! »

J’avais fui la pièce en hurlant de terreur. C’était la fille au masque. Celle qui était avec Orsted. Je n’arrivais pas à me souvenir de son nom, mais je me souvenais parfaitement d’Orsted. Orsted ! Pourquoi Orsted ? ! J’étais prêt à rencontrer une autre personne réincarnée, mais pas Orsted !

***

Partie 3

La terreur que j’avais ressentie lorsqu’il m’avait tué refit surface dans mon esprit. La peur que j’avais ressentie dans les derniers instants de ma vie m’avait envahi. Je ressentais la douleur lorsqu’il m’avait écrasé les poumons. J’avais ressenti l’impuissance de le voir repousser toutes mes attaques. J’avais ressenti le choc quand il avait percé mon cœur. Et j’avais ressenti… la terreur de regarder la mort en face.

Tout ce que je pouvais faire, c’était courir. J’avais couru, et j’avais couru, et j’avais couru. Je n’avais pas la moindre idée d’où j’allais.

Quand je m’étais retourné, j’avais trouvé la fille qui me suivait. Je ne comprenais pas pourquoi. Pourquoi ne m’étais-je pas déjà éloigné d’elle ? Était-elle si rapide ?

Ce n’était pas ça, bien sûr. J’étais juste lent. J’étais à peine arrivé à quelque chose, malgré ce que mon esprit me disait. C’était juste mon cœur qui filait à cent à l’heure.

J’avais couru encore plus loin, désespéré et maladroit. J’avais trébuché et étais tombé. J’avais trébuché comme un ivrogne.

J’avais travaillé si dur sur mes jambes au cas où quelque chose comme ça arriverait, mais elles ne coopéraient pas du tout avec moi. J’avais presque l’impression de rêver, mes jambes vacillaient faiblement sous moi à chaque pas que je parvenais à faire.

Silent me suivait toujours de près. J’avais affronté un Roi-Démon sans trembler, et pourtant…

J’avais regardé la volée de marches devant moi. Fitz se tenait en bas. Il m’aiderait. Il me sortirait d’ici. Je m’étais senti légèrement détendu.

« Tu ne devrais pas crier à la vue du visage de quelqu’un. C’est un peu grossier. »

Quelqu’un me tapa sur l’épaule. Quand je m’étais retourné, j’étais face à face avec elle.

« Aheee ! »

Avec un petit cri bizarre, j’avais reculé d’un bond, terrorisé… et j’étais tombé dans les escaliers, m’assommant d’une manière un peu embarrassante.

◇ ◇ ◇

Quelqu’un me caressait doucement la tête. Et pour je ne sais quelle raison, c’était profondément réconfortant. J’avais presque l’impression que sa main émettait une sorte d’énergie curative.

J’avais levé les yeux pour vérifier, et j’avais trouvé le visage de Maître Fitz. Ses mains étaient plus chaudes que je ne l’aurais cru. Elles étaient aussi étrangement minces, douces et féminines.

Sans raison particulière, j’avais tendu le bras pour en attraper une.

« Oh. Tu es réveillé, Rudeus ? Tu m’as vraiment inquiété, en tombant subitement tout à coup de l’escalier. »

« … Je faisais un rêve terrible. Une femme avec un masque blanc était sur le point de me tuer. »

« Euh… »

Fitz répondit à cela avec un petit sourire gêné. Je ne savais pas pourquoi.

Je n’étais d’ailleurs pas sûr de l’endroit où je me trouvais. Ce n’était clairement pas ma chambre du dortoir… ou même les dortoirs tout court, d’ailleurs. Mais j’étais pourtant déjà venu ici. Il y avait des lits alignés en rang derrière Fitz…

Oh, c’est vrai. C’est l’infirmerie.

Je m’étais assis et j’avais regardé lentement autour de la pièce. L’endroit semblait presque vide, à part Fitz, moi-même et le guérisseur résident.

J’avais tourné la tête un peu plus loin…

« Gaaaah ! »

Elle était là aussi.

La femme au masque blanc était assise de l’autre côté de mon lit.

J’étais tombé de mon lit et j’avais heurté le sol avec un bruit sourd et douloureux. La femme répondit en laissant échapper un soupir irrité.

« C’est très impoli. Et d’ailleurs pourquoi es-tu si terrifié par moi ? Je t’ai sauvé la vie la dernière fois, n’est-ce pas ? Ou… ah, attend. Tu étais presque mort, hein ? Je suppose que tu ne t’en souviens donc pas. »

Effectivement, c’était bien elle. C’était bien la fille qui avait voyagé avec Orsted.

« O… Où est Orsted ?! »

« Il n’est pas là. C’est un homme très occupé. », répondit-elle avec désinvolture.

Il n’est pas là ? Vraiment ? Du genre, vraiment ? Ce n’était pas comme si elle avait une raison de mentir à ce sujet, non ?

« De toute façon, tu n’as pas à t’inquiéter de lui. Il ne s’en prendra pas à toi de sitôt. »

« De sitôt ? Ça veut dire qu’il finira par me tuer, ou quoi ? »

« Je ne pense pas qu’il ait l’intention de le faire… mais la possibilité existe. Tout dépend de toi. »

Au moins, je n’allais pas me faire assassiner maintenant. Dès que j’avais pris conscience de ce fait, une énorme vague de soulagement m’avait envahi. Je suppose que je n’étais bon qu’à penser sur le court terme.

« Euh, je ne comprends pas bien ce qui se passe ici. Pourriez-vous m’expliquer ? », dit Fitz, en se grattant les oreilles d’un air incertain alors qu’il se tournait de moi vers la fille masquée.

« Tout d’abord, qui es-tu pour Rudeus ? »

« Nous sommes de parfaits étrangers », dit la fille masquée sans ambages.

Fitz gonfla ses joues en signe d’irritation.

« Je n’ai jamais vu Rudeus aussi contrarié pour quoi que ce soit. Tu lui as manifestement fait quelque chose, hein ? »

Son ton était inhabituellement hostile. Il avait l’air d’un élève d’une classe supérieure qui s’interposait pour protéger son ami de première année sans défense. Honnêtement, le soutien était très apprécié.

« La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il a été battu par le Dieu Dragon. J’imagine qu’il se souvient de tout ça. »

« Le Dieu Dragon… ? Euh, l’une des sept grandes puissances ? »

« C’est exact. »

« Êtes-vous le Dieu Dragon ? »

« Bien sûr que non. Nous avons juste voyagé ensemble pendant un moment. »

Tout en répondant aux questions de Fitz d’un ton désintéressé, la fille masquée repoussa ses cheveux d’une main. Je venais juste de le remarquer, mais elle portait l’uniforme de l’Université de la Magie.

« Pourtant, je dois admettre que je ne m’attendais pas à te rencontrer ici… »

Elle s’était tournée vers moi. Même avec le masque, je pouvais voir qu’elle me regardait attentivement.

« Mais peut-être que c’est juste la nature de cette route. Cette rencontre à la mâchoire inférieure du Wyrm rouge a posé le drapeau afin que nous nous retrouvions dans cette école. »

Avant même que je puisse essayer de répondre, la fille masquée fouilla dans sa cape et en sortit une feuille de papier.

« Je vais te poser trois questions. Réponds-y honnêtement, s’il te plaît. »

Son ton était soudainement si autoritaire que j’avais dégluti et hoché la tête.

« Tout d’abord, cela te semble-t-il familier ? »

J’avais pris le papier qu’elle m’avait tendu. Quelqu’un avait écrit les mots « Shinohara Akito » et « Kuroki Satoshi » dessus.

En japonais.

J’avais instantanément reconnu que c’était des noms. Et en même temps, j’avais réalisé que mon intuition initiale était correcte.

« Deuxièmement, peux-tu comprendre ce que je dis ? Troisièmement, lequel de ces deux-là es-tu ? »

Ses deux dernières questions avaient été également prononcées en japonais. Il n’y avait plus aucun doute possible. Elle était exactement comme moi. Mais les noms inscrits sur ce papier ne signifiaient rien pour moi. J’avais hésité un instant. Mais je m’étais préparé à cela depuis le temps.

Lentement, j’avais répondu en japonais.

« Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je ne reconnais pas ces noms. »

« Je vois. Mais tu parles au moins japonais. »

« Hein ? », dit Fitz en baissant les yeux sur le papier avec confusion.

« Quelle… langue parlez-vous tous les deux ? Rudeus ? »

« Nous venons tous les deux de la même patrie, c’est tout », dit calmement Silent.

« Quoi ? Ce n’est pas possible ! »

Je ne savais pas trop pourquoi Fitz se sentait si confiant à ce sujet, mais ce n’était guère important pour le moment. Lentement, anxieusement, j’avais posé la question cruciale.

« Donc, tu es comme moi ? »

Silent hocha la tête.

« C’est exact. J’ai été jeté dans ce monde subitement, sans aucun avertissement. »

Tout en parlant, elle leva le bras et enleva son masque. Et à la vue de son visage, quelque chose fit tilt dans ma tête.

C’était la fille. Celle des derniers moments de mon ancienne vie. La lycéenne qui s’était battue avec un garçon et qui avait failli se faire écraser par ce camion. Ou du moins, c’était quelqu’un qui lui ressemblait exactement.

J’en étais sûr, mais quelque chose me semblait un peu étrange. Il m’avait fallu un moment pour comprendre pourquoi. Puis j’avais réalisé que son visage était exactement le même.

Quinze ans s’étaient écoulés depuis ce jour, mais elle n’avait pas du tout changé. C’était vraiment bizarre. N’aurait-elle pas changé au moins un peu pendant tout ce temps ?

Non… attends. Pourquoi est-ce qu’elle ressemblait à ce qu’elle était avant ? Si elle s’était réincarnée ici, elle aurait dû renaître dans un corps entièrement nouveau, tout comme moi.

Avant que je puisse lui demander quoi que ce soit, elle répondit à mes questions de manière préventive.

« Je ne sais pas comment j’ai été transportée dans ce monde cauchemardesque, mais je suis coincée ici pour le moment. »

Elle avait été transportée tout comme moi, mais nos situations étaient en fait assez différentes. J’avais été réincarné dans un nouveau corps, avec seulement mes souvenirs intacts. Mais à moins que je ne comprenne mal, elle avait été transportée ici comme elle l’était, dans le même corps, au même âge.

« Mon nom est Nanahoshi Shizuka, et je suis japonaise. J’ai cependant utilisé le nom de Silent Sevenstar ces derniers temps. »

La confusion et le doute tourbillonnaient dans mon esprit, s’emmêlant dans mes pensées jusqu’à ce que je ne puisse plus trouver un seul mot à dire. Mais mon silence n’avait pas semblé la décourager.

« D’où viens-tu, au fait ? D’Amérique ? Ou peut-être d’Europe ? Tu es manifestement de type caucasien, mais tu parles japonais… l’un de tes parents est-il japonais ? Ou peut-être es-tu un étranger qui a vécu là-bas ? »

J’avais l’impression qu’elle avait largement dépassé les trois questions qu’elle avait demandées à ce stade, mais je n’étais pas en mesure d’objecter. J’avais la langue bien pendue.

« En tout cas, c’est clairement une étape importante. J’ai eu raison de te laisser vivre. Je m’en doutais dès qu’Orsted a dit qu’il ne te reconnaissait pas. »

La jeune fille parlait rapidement maintenant, avec une pointe d’excitation dans la voix. Elle n’avait même pas semblé remarquer le fait que j’étais déconcerté.

« Eh bien, voyons si nous pouvons trouver un moyen de travailler ensemble… Euh, quel est ton nom ? »

« R… Rudeus. Je suis Rudeus Greyrat. »

« C’est juste le faux nom que tu utilises dans ce monde, non ? Je veux dire ton vrai nom. »

Je ne voulais pas dire le nom que j’avais utilisé dans ma vie antérieure. Je ne voulais vraiment, vraiment pas.

Alors que je restais silencieux, Nanahoshi acquiesça.

« Ah, c’est bon. Je comprends. Tu te méfies de moi, n’est-ce pas ? Je peux certainement comprendre cela, surtout après ce qui s’est passé lors de notre dernière rencontre. Mais ne t’inquiète pas, nous sommes du même côté. Pourtant, je n’étais même pas sûre qu’il y avait d’autres personnes comme moi ici jusqu’à maintenant. Tu es la première personne de la Terre que je rencontre dans ce monde. C’est plutôt réconfortant. »

Nanahoshi tendit la main pour me prendre par la main. Fitz fronça les sourcils, mais elle n’avait même pas semblé le remarquer.

« Trouvons ensemble le chemin du retour, d’accord ? »

D’une certaine manière, ces mots coupèrent à travers toute la confusion et l’incertitude dans mon esprit. Une réponse claire et définitive m’était venue à l’esprit instantanément : pas question.

J’avais mis sa main de côté.

« Je ne veux plus jamais retourner dans ce monde. »

« Huh… ? »

Pour la première fois depuis longtemps, Nanahoshi resta sans voix.

« Euh… Rudeus, Silent… Pourriez-vous tous les deux parler dans une langue que je peux comprendre ? »

Fitz, bien sûr, était encore plus perdu qu’avant.

L’ambiance dans l’infirmerie était devenue soudainement extrêmement gênante.

***

Partie 4

Nanahoshi Shuzuka, dont les noms signifient littéralement « sept étoiles » et « silence » en japonais, n’était pas comme moi. Au lieu de se réincarner dans ce monde en tant que bébé, elle était simplement apparue ici dans son corps d’origine.

Puisqu’elle m’avait ouvertement révélé tout cela, je lui avais raconté mon histoire également, en lui expliquant que j’étais né ici et que je n’avais pas été transporté. Je lui avais dit que j’étais mort dans un accident soudain, mais j’avais choisi de ne pas lui donner tous les détails. J’étais assez hideux dans ma vie précédente. Si elle se souvenait de ce à quoi je ressemblais, cela n’aiderait certainement pas l’opinion qu’elle a de moi. Vous savez, les apparences sont vraiment importantes.

De plus, il y avait une chance que ce soit de ma faute si elle avait atterri ici en premier lieu. Je ne voulais pas qu’elle s’en prenne à moi à cause de ça.

J’avais parlé avec Nanahoshi pendant un certain temps, parlant à nouveau japonais pour la première fois depuis de nombreuses années. Nous ne nous connaissions pas très bien à ce moment-là, alors Maitre Fitz s’était assis avec nous en tant qu’observateur. Mais la conversation étant elle-même entièrement en japonais. Je me sentais un peu mal à ce sujet. Il devait s’ennuyer ferme.

Au tout début de notre conversation, Nanahoshi fit une sorte de déclaration.

« Je ne suis pas intéressée par ce monde ennuyeux. Je n’ai pas l’intention d’utiliser mes connaissances pour le faire prospérer, comme un manga ou un light novel ridicule. J’agis en fait uniquement dans mon propre intérêt. Tout ce qui m’importe, c’est de rentrer chez moi le plus vite possible. »

En d’autres termes, ses priorités étaient l’exact opposé des miennes. Je voulais vivre le reste de ma vie dans ce monde.

Je n’aimais pas l’entendre dire à quel point elle trouvait ça « ennuyeux » et « ridicule », mais je pouvais comprendre ce qu’elle ressentait. Elle ne s’était en fait pas intégrée. Elle n’avait jamais trouvé sa place dans ce monde. Je savais ce que cela faisait d’être dans cette position, et je comprenais la tentation de regarder tout ce qui vous entoure avec ennui et mépris. Je n’avais pas l’intention d’essayer de « corriger » son point de vue.

Pourtant, Nanahoshi se méfiait déjà de moi. Mon refus initial de coopérer avait été une erreur. Je pouvais voir qu’elle me cachait des choses, ce qui était bien sûr parfaitement logique. Il serait stupide de faire confiance à quelqu’un qui pourrait s’avérer être un ennemi. Pour être honnête, je me méfiais encore un peu d’elle.

Cela dit, j’avais l’impression que j’aurais pu mieux gérer la situation. Si je ne m’étais pas enfui en hurlant au début, et si je lui avais dit quelque chose comme « Je vais rester ici, mais je vais t’aider à trouver un moyen de rentrer chez toi », elle aurait peut-être baissé un peu sa garde.

Mais bon. On ne peut pas revenir sur ce qui a été fait.

Nanahoshi m’avait dit qu’elle était apparue quelque part dans le Royaume d’Asura. Plus précisément, elle avait atterri au milieu d’un champ vide. Elle n’avait appris que plus tard que c’était dans Asura. Il n’y avait rien autour d’elle, et personne en vue. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. Mais heureusement, Orsted était apparu et l’avait prise sous sa protection.

« Pourquoi Orsted était-il là ? »

« … Je ne sais pas, mais il ne semble pas que ce soit lui qui m’ait amené ici. »

Au Royaume d’Asura, Nanahoshi avait appris à connaître ce monde — en commençant par la langue locale, puis en passant aux bases de la magie, au système économique et aux modes de vie de ses habitants. Elle était assez semblable à moi à cet égard.

Étonnamment, il ne lui avait fallu qu’un an pour maîtriser la langue humaine. Orsted était maudit pour être détesté par tous ceux qui le voyaient, alors je suppose qu’elle devait apprendre à parler elle-même aussi vite que possible. La nécessité peut être une grande source de motivation.

Au total, Nanahoshi avait passé deux ans à Asura. Pendant cette période, elle avait gagné de l’argent grâce à sa connaissance de la cuisine et des vêtements de notre monde, dépensé cet argent pour obtenir du pouvoir, et avait ensuite utilisé ce pouvoir pour s’assurer des flux fiables de revenus passifs. Elle s’était également assurée que les gens sachent que le Dieu Dragon, l’une des sept grandes puissances, la soutenait. Grâce à d’habiles négociations, elle avait réussi à convaincre de puissants marchands d’Asura d’organiser des circuits de distribution stables pour ses produits. À ce stade, elle avait assez d’argent pour vivre le reste de sa vie dans le luxe.

C’était bien qu’elle ait appris la langue et construit une base financière solide. Mais ce n’était qu’un tremplin vers son véritable objectif : retourner dans le monde auquel elle appartenait.

Elle avait laissé Asura derrière elle, et avait accompagné Orsted dans ses voyages pendant une année entière. Ils avaient parcouru le monde à la recherche d’informations sur la façon dont elle pourrait revenir, et à la recherche des deux connaissances qui auraient pu être envoyées ici également.

Orsted avait beaucoup d’ennemis, il y avait donc eu un certain nombre de batailles en cours de route. Mais dans presque tous les cas, il avait vaincu ses ennemis en un instant. Son combat contre moi avait bien sûr été l’un d’entre eux. Mais elle avait senti qu’il y avait quelque chose d’inhabituel chez moi, et avait apparemment conseillé à Orsted de me réanimer.

Je l’en avais sincèrement remercié. Peu importe comment nous en étions arrivés là, je serais mort si Nanahoshi n’avait pas parlé.

« Je dois demander, cependant… quel est le problème d’Orsted avec l’Homme-Dieu ? J’ai été vraiment surpris quand il m’a attaqué comme ça. »

« Je ne connais pas les détails, mais il semblerait qu’ils aient une querelle en cours. Il a également dit qu’il était préférable d’éliminer rapidement les apôtres de l’Homme-Dieu, car ils causeraient toutes sortes de problèmes si on les laissait faire. »

J’aimerais vraiment que les gens ne me tuent pas pour des querelles dont je ne faisais même pas partie. Et pour info, je n’étais pas non plus « l’apôtre » de ce type. Je faisais essentiellement ce qu’il me disait depuis un certain temps maintenant, bien sûr, mais nous ne nous voyions qu’une fois par an, tout au plus. Notre relation n’était même pas aussi étroite.

En tout cas… Nanahoshi avait voyagé à travers le monde, rencontrant toutes sortes de gens en chemin. Orsted était largement détesté, bien sûr, mais son titre était un outil précieux lorsqu’il était utilisé correctement. Une seule lettre signée par le Dieu Dragon suffisait à lui faire rencontrer personnellement des mages célèbres, des chevaliers de haut rang, et même des monarques.

« Vous avez fait le tour du monde en un an… ? »

Cette partie de l’histoire m’avait paru un peu étrange. Après tout, il m’avait fallu trois ans pour y parvenir.

« Oui. Nous avons cependant utilisé une méthode spéciale pour voyager. »

« Quel genre de méthode ? »

« Essentiellement des dispositifs de téléportations. Dans ce monde, on les appelle des cercles de téléportation. Tu en as entendu parler ? »

« Je reconnais le nom, mais c’est à peu près tout. »

Où avais-je entendu parler d’eux avant ? Quand on traversait le Continent Démon ? Oui, c’était Ruijerd qui m’avait parlé d’eux. Ça m’avait vraiment ramené en arrière…

« Attends une seconde. Ils n’ont pas tous été détruits il y a des siècles ? »

« Il y en a qui sont restés intacts. Ils sont cachés dans des ruines qui datent de la guerre entre humains et démons. »

« Sans blague ? Où pourrais-je trouver ces ruines ? »

« Je ne peux pas te le dire. Orsted m’a demandé de garder ce secret. La téléportation est apparemment une forme de magie interdite, il ne voulait donc pas que je parle de ça trop imprudemment. »

« … Ah. Entendu. »

« De toute façon, je ne faisais que le suivre. Je ne me souviens même pas où la plupart d’entre eux étaient exactement. »

Plutôt que de faire le tour du monde, ils s’étaient contentés de se rendre d’un cercle de téléportation à l’autre une vingtaine de fois. Elle disait probablement la vérité sur le fait de ne pas savoir où ils étaient. Si vous étiez téléporté sur une terre inconnue sans carte, vous n’auriez aucun moyen de déterminer votre propre emplacement avec précision.

Pourtant, ce serait bien de retrouver au moins une de ces choses… elles avaient l’air incroyablement pratiques. Après tout, on ne savait jamais quand on pouvait avoir besoin de voyager à l’autre bout du monde.

Bref, revenons au sujet principal :

Nanahoshi n’avait pas trouvé les personnes qu’elle cherchait, mais elle avait rencontré de nombreux autres personnages intéressants au cours de son voyage. Finalement, l’un d’entre eux lui avait dit : « Quelqu’un pourrait bien t’avoir convoquée dans ce monde. »

« … Qui t’a dit ça, exactement ? »

« Je ne peux pas le dire. Ils m’ont demandé de ne dire à personne que je les avais rencontrés. »

« Pourquoi ça ? »

« C’est pour ma propre sécurité. Si les gens apprenaient que tu m’as rencontré, tu te retrouveras harcelé par des essaims de chacals avides de pouvoir. Tu serais bien avisée de ne pas mentionner mon nom à qui que ce soit si tu préfères éviter cela, comme ils disent. »

Apparemment, ce mystérieux individu sans nom était une autorité de classe mondiale en matière de magie d’invocation, mais même eux n’avaient aucune idée de la façon dont une personne vivante d’un autre monde pouvait être invoquée dans celui-ci. Même en mettant de côté la partie « autre monde », il était théoriquement impossible d’invoquer un être humain de n’importe où.

Pourtant, Nanahoshi avait enfin quelque chose à faire. Elle décida d’établir une nouvelle base d’opérations à l’Université de Magie de Ranoa, où elle pourrait faire des recherches approfondies sur l’invocation à son aise. Une énorme donation provenant de ses économies avait suffi pour lui permettre de devenir membre de rang B de la guilde des magiciens et d’obtenir une place d’étudiante spéciale.

Une fois sur le campus, elle avait utilisé ses relations dans le Royaume d’Asura pour introduire les nouveaux uniformes et diverses autres améliorations. Elle avait même organisé une réforme du programme d’études général, attendue depuis longtemps, ainsi que des améliorations des outils pédagogiques des professeurs. En un clin d’œil, elle avait obtenu le statut de rang A à la Guilde. Ils avaient même été jusqu’à lui offrir un rang S si elle était prête à partager tout le savoir qu’elle possédait, mais elle avait décliné l’offre.

« Désolée de me répéter, mais je ne suis pas du tout intéressé à réformer ce monde pour le rendre meilleur. Ou d’en gravir les échelons jusqu’au sommet. »

À cause de cette attitude, elle ne fabriquait jamais de choses qu’elle n’utiliserait pas elle-même, et ne les fournissait pas non plus aux autres. Franchement, cela m’avait semblé un peu froid pour moi. Rendre ce monde un peu plus agréable pour tout le monde ne pouvait pas faire de mal, non ?

Sentant apparemment mon désaccord tacite, Nanahoshi poussa un soupir.

« Écoute, nous n’avons pas vraiment notre place dans ce monde. Si nous essayons de changer son histoire de manière radicale, nous pourrions finir par nous faire effacer. »

« Effacés ? De quoi parles-tu ? »

« Tu n’as jamais lu de science-fiction ? Et s’il y avait une sorte de… force cosmique qui essaye de faire en sorte que les événements suivent le bon chemin ? »

Maintenant qu’elle le mentionnait, je me souvenais avoir lu un manga où c’était un point majeur de l’intrigue. Je crois qu’ils l’appelaient la « loi de la causalité » ou quelque chose comme ça.

« … Y a-t-il vraiment quelque chose comme ça ici ? »

« Je n’en ai aucune idée. Mais ça ne peut pas faire de mal d’être prudent. »

***

Partie 5

J’avais l’impression que ces questions apparaissaient davantage dans les histoires de voyage dans le temps où les gens sautaient dans le passé. Ça ne semblait pas être quelque chose dont on devait s’inquiéter, puisqu’on avait atterri dans un monde totalement différent. Mais peu importe. C’était son choix.

Une fois qu’elle s’était assuré un espace de recherche privé où personne ne pourrait la déranger, Nanahoshi s’était consacrée à une étude intense de la magie d’invocation. Elle avait également choisi d’utiliser un faux nom ici, étant suffisamment célèbre pour que les gens l’aient retrouvée pour la harceler. Silent Sevenstar ne semblait cependant pas être un choix très subtil. J’aurais choisi autre chose qu’une traduction littérale. Peut-être voulait-elle que le nom soit suffisamment similaire pour que ses deux amis disparus puissent le reconnaître ? Mais qui sait si ces deux-là étaient encore là ? Je n’avais jamais entendu parler d’eux.

Quoi qu’il en soit, pour apprendre la magie d’invocation, il fallait commencer par se familiariser avec les cercles magiques. Alors que les magies plus dynamiques comme les sorts élémentaires et de guérison étaient principalement lancées à l’aide d’incantations, il fallait des cercles pour les magies statiques comme les Barrières et les invocations.

Nanahoshi avait dévoré toutes les informations qu’elle pouvait trouver sur les cercles magiques, apprenant tout sur les principes qui les sous-tendent. Plutôt que de se tourner vers les professeurs pour obtenir des instructions, elle avait appris par elle-même en se basant sur de vieux livres et registres.

« Les gens de ce monde sont très… fixés dans leurs habitudes. Je suppose que c’est logique, étant donné la dureté de leur environnement. Mais je cherche à faire quelque chose de totalement inédit, donc je ne peux pas m’attendre à ce que quelqu’un m’apprenne beaucoup. »

Hm. Est-ce que tu dis ça pour moi ? J’avais appris presque tout ce que je savais sur la magie grâce aux gens de ce monde… Peut-être que cela n’avait cependant pas tant d’importance. Je ne cherchais pas à accomplir quoi que ce soit de révolutionnaire, comme elle le faisait.

« Et bien sûr, nous n’avons pas de mana. Ça devient frustrant, car ils supposent constamment que vous en avez. », poursuivit Nanahoshi.

« Muh ? »

J’avais répondu de façon stupide. Elle n’a pas de mana ? Quoi ?

« Quoi ? Ai-je dit quelque chose de bizarre ? »

« Eh bien, en fait j’ai du mana. Je peux lancer de la magie sans problème. En fait, l’autre jour, quelqu’un m’a dit que j’avais une capacité de mana de classe mondiale. »

Nanahoshi pressa une main sur son masque. Je ne pouvais pas voir son expression, mais il était évident que cette nouvelle l’avait fait sursauter.

« Je vois. Je suppose que tu es différent parce que tu t’es réincarné. Ma capacité de mana… est apparemment nulle. »

J’avais cligné des yeux. Littéralement nulle ? Cela voulait-il dire qu’elle ne pouvait utiliser aucune magie ?

« Tout dans ce monde contient un certain degré de mana. Même les cadavres en ont un peu. Mais nous venons d’un monde où il n’existe pas, alors j’ai pensé qu’il était logique que j’en manque. »

Les cadavres ont du mana ? C’était une nouvelle pour moi. Mais si la magie était vraiment une partie si fondamentale de ce monde, en manquer ne vous causerait-il pas… des problèmes ?

« Dans ce cas, je suppose que cela ne s’applique pas à toi non plus ? »

Sur ces mots, Nanahoshi retira son masque une fois de plus. C’était étrange de revoir un visage si typiquement japonais après tout ce temps. Elle n’était pas un top model, mais elle était quand même assez mignonne. J’avais vu beaucoup de gens magnifiques depuis mon arrivée dans ce monde, alors mes critères étaient probablement trop élevés. Je la voyais bien être l’une des filles les plus mignonnes de sa classe au Japon.

« Cela fait environ cinq ans que je suis arrivée dans ce monde, mais je n’ai pas du tout vieilli. »

Cinq ans auraient dû la changer au moins légèrement, mais elle semblait toujours avoir seize ou dix-sept ans. Apparemment, son corps ne vieillissait vraiment pas.

« Eh bien… ça semble être au moins quelque chose de bon. »

Nanahoshi fronça les sourcils, puis remit son masque en place avec un petit grognement de rire.

« … Je suppose que c’est au moins préférable que de vieillir dans un pays étranger. »

En y réfléchissant, la version de moi qui apparaissait dans les rêves de l’Homme-Dieu ne semblait pas vieillir non plus. Peut-être que c’était juste comme cela que ça fonctionnait avec les gens qui venaient d’autres mondes.

« Je n’ai cependant pas la moindre idée de pourquoi je ne vieillis pas. C’est juste bizarre. »

« Juste pour info, je vieillis normalement jusqu’à présent. »

« C’est vrai. Je suppose donc que la raison est quelque chose d’inhérent à mon corps. Je vais devoir y réfléchir si j’en ai l’occasion. Il y a peut-être quelque chose que je peux faire à ce sujet. »

Nanahoshi ouvrit un petit carnet, et y écrivit une brève note. Elle gardait manifestement une trace des choses qu’elle avait réalisées ou qu’elle voulait suivre plus tard.

« Très bien, revenons à nos moutons. »

Nanahoshi avait tout appris sur les cercles magiques. En général, on les fabriquait en pulvérisant des cristaux magiques et en mélangeant la poudre avec certains ingrédients spécifiques pour créer une peinture spéciale, que l’on utilisait ensuite pour dessiner des motifs très spécifiques. Une fois que la peinture se déposait sur une surface appropriée, elle était absorbée, ce qui la rendait très difficile à effacer. En injectant du mana dans la peinture, vous amplifiez la puissance de votre magie et produisez un effet spécifique déterminé par la structure du cercle.

En règle générale, la peinture magique s’évaporait après une seule utilisation. Il fallait souvent des choses très spécifiques pour la fabriquer, et la liste des ingrédients variait en fonction de la nature du sort. En particulier, les sorts de grande envergure, de niveau Roi ou supérieur, nécessitaient des catalyseurs très inhabituels. Il fallait généralement le soutien financier d’un pays pour se procurer tout ce dont on avait besoin.

« Est-ce que ces cercles de téléportation dans les ruines disparaissent aussi après une utilisation ? »

« Non, ils fonctionnent différemment. Ils ont été taillés à l’aide d’une technique spéciale. »

Intéressant…

Fabriquer des cercles magiques à partir de peinture était apparemment la norme de nos jours, mais à l’époque de l’âge d’or, il y avait une bien plus grande variété de techniques utilisées. Certaines de ces méthodes n’avaient pas été complètement perdues dans le temps. Vous pouviez graver un cercle magique dans la pierre et le remplir directement de magie, par exemple. Nanahoshi elle-même ne pouvait pas utiliser cette méthode, aussi n’avait-elle pas passé beaucoup de temps à l’étudier, mais elle était largement utilisée dans la création d’outils magiques.

« N’est-ce pas plus courant que la peinture ? »

« Je ne peux pas utiliser la technique, donc je ne m’en soucie pas particulièrement. »

Les cercles magiques pouvaient être utilisés pour presque toutes sortes de sorts si vous aviez un bon modèle, la bonne peinture et suffisamment de mana, mais il y avait un problème majeur. Les modèles avaient été transmis oralement à travers les générations, et la plupart d’entre eux avaient été perdus au cours des siècles. Il n’y avait plus personne capable d’en concevoir de nouveaux. Si vous vouliez découvrir un « nouveau » cercle magique, votre seule option était de trouver un vieux parchemin oublié au fond d’un trésor royal, ou de tomber sur une gravure dans les profondeurs d’une ancienne ruine.

C’était l’état des choses depuis un certain temps, en fait… jusqu’à ce que Nanahoshi arrive pour secouer les choses. Elle avait analysé les modèles des cercles magiques connus, élaboré ses propres tentatives, et mené d’innombrables expériences. Finalement, elle avait réussi à créer ses propres modèles tout à fait nouveaux.

Tout cela était très impressionnant. Plus elle parlait, plus j’avais envie d’apprendre d’elle. Mais avant même que je puisse aborder le sujet, Nanahoshi m’avait descendu.

« Je ne peux pas distribuer mes découvertes à tous ceux qui le demandent. »

Je voulais objecter, mais elle n’avait pas encore fini. Levant une main, elle m’avait regardé calmement dans les yeux.

« Faisons un marché. »

C’était probablement ce à quoi elle s’attendait depuis un certain temps.

« Je n’ai pas de mana, ni les moyens de me défendre. Je ne vieillis pas, mais je suis presque sûre que je ne suis pas immortelle. »

« Exact. »

« Pour être honnête, je ne supporte pas ce monde. Rien de tout cela ne me semble réel. La nourriture est atroce, leur sens de la moralité est bizarre, et tout est si incroyablement incommode. Et mince alors, ils n’ont même pas de shampoing ici. Et plus importants encore, tous ceux que j’aime sont restés dans notre monde. J’ai très envie d’y retourner. Et toi ? »

« J’aime beaucoup ce monde. Et j’ai à ce stade plus d’amis ici que dans notre ancien monde. Je n’ai pas envie d’y retourner. », avais-je répondu immédiatement.

« Je vois. Tu n’as pas de famille que tu as laissée derrière toi ? »

« Je n’ai pas de regrets. »

Je ne voulais même pas penser à mon ancienne vie. Je ne le voulais vraiment pas. Il y a 15 ans, j’avais décidé de faire de mon mieux avec ma deuxième chance ici. Toutes sortes de choses s’étaient passées depuis, certaines merveilleuses, d’autres douloureuses. Mais en y réfléchissant bien j’étais assez satisfait de ma vie maintenant. Si quelqu’un essayait de me ramener « à la maison » après tout ce temps, je ne partirais pas sans me battre.

« Je vois. Je suppose que tu as dû avoir une bonne et longue vie… »

Nanahoshi avait légèrement mal interprété la situation, mais peu importe. Ce n’était pas comme si je lui avais dit que j’étais le loser puant qui avait sauté devant ce camion au dernier moment. Tout ce que j’avais dit, c’était que ma mort avait été accidentelle.

« Toi et moi avons donc clairement des objectifs différents. Mais nous avons tous deux quelque chose à offrir à l’autre, alors trouvons un moyen de coopérer. »

« Y a-t-il quelque chose que j’ai et que tu veux ? »

« Tu l’as dit toi-même tout à l’heure. Tu as un réservoir de mana de classe mondiale, non ? »

Elle voulait donc mon mana ? Je me souviens avoir vu des tas de cristaux magiques dans sa chambre tout à l’heure… N’était-ce pas suffisant ?

« J’aimerais que tu m’aides dans mes expériences. En échange, je t’apprendrai ce que tu veux savoir. Si tu cherches des réponses que je n’ai pas, alors je ferai de mon mieux pour les trouver. Je connais beaucoup de personnes influentes, et je suis une chercheuse assez douée. Je t’aiderai aussi de toutes les manières possibles, bien sûr. »

« Donc tu veux créer en gros une relation donnant-donnant ? »

« C’est ça. C’est vraiment assez simple. »

Nanahoshi semblait être une personne très intelligente et pleine de ressources. Je n’étais pas sûr de l’aide que je pourrais lui apporter. Peut-être qu’elle montrait juste de la compassion pour un compatriote terrien. Elle avait dit qu’elle était heureuse de rencontrer une autre personne de son espèce.

« D’accord, ça me paraît bien. J’accepte. »

« Heureuse de l’entendre. Ne change pas d’avis plus tard, d’accord ? »

« Un homme ne revient jamais sur sa parole. »

« … Heh. Je dois dire que c’est plutôt sympa d’entendre à nouveau un cliché japonais. »

« Je vois ce que tu veux dire. Personne ne comprend aucune de mes références ici. »

Nanahoshi s’était éclairci la gorge et s’était réinstallée dans son siège. Elle avait sorti trois bagues de sa poche et les avait enfilées une par une. Y avait-il un but à tout cela ?

***

Partie 6

« Alors, allons droit au but ? Y a-t-il quelque chose que tu veux me demander ? J’ai entendu dire que tu enquêtais sur l’incident de téléportation. »

« Euh, qui t’as dit ça ? »

J’avais jeté un coup d’œil à Fitz, qui était assis en silence sur le côté avec une expression vaguement boudeuse sur le visage. Peut-être avaient-ils parlé un peu pendant que j’étais inconscient ? Remarquant mon regard, Fitz inclina la tête de manière incertaine sur le côté.

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a, Rudeus ? Quelque chose ne va pas ? », m’avait demandé Nanahoshi, toujours en japonais.

« Nous allons parler de l’incident de déplacement maintenant. Nanahoshi, pourrais-tu parler en langue humaine pour cela ? »

« Très bien. »

Fitz s’était installé à côté de moi et s’était tourné vers Nanahoshi. À partir de maintenant, nous utiliserons une langue que tout le monde dans la pièce pourra comprendre.

« Je ne connais pas les détails de la raison pour laquelle cette catastrophe a eu lieu. Cependant, il a coïncidé de près avec le moment où je suis arrivée dans ce monde. », commença Nanahoshi à contrecœur.

J’avais bien sûr des soupçons, depuis le moment où j’avais appris quand et où elle était arrivée dans ce monde. Et elle avait sans doute appris de Fitz que j’étais l’un de ceux qui avaient été touchés par la calamité.

« En d’autres termes ? », lui avais-je demandé.

« L’incident était probablement un effet secondaire causé par ce qui m’a amené ici. En effet… »

Nanahoshi fit une pause avant de poursuivre.

« En fait, c’est arrivé à cause de moi. »

Bien. Ce n’est pas une grande surprise.

J’avais anticipé ces mots depuis un moment maintenant. L’invocation et la téléportation étaient similaires à bien des égards, et Nanahoshi avait apparemment été invoquée ici au moment où nous avions été téléportés. Tout s’emboîtait trop bien pour que ce soit une coïncidence. J’étais soulagé que le désastre ne soit pas lié à mon arrivée ici.

Fitz, cependant, avait réagi très différemment.

« Je vais te tuer ! », dit-il avec un cri étranglé.

Il s’était levé d’un bond et balança son bras de manière menaçante.

« Quoi ? ! Tu… ?! », glapit Nanahoshi en levant une de ses mains.

L’un de ses anneaux brilla de mille feux, et le sort de Fitz échoua. C’était quoi cette chose ?

Comprenant que sa magie ne fonctionnerait pas, Fitz bondit vers Nanahoshi et commença à lui donner des coups de poing. Mais le second de ses anneaux brilla, et ses poings rebondissaient sur une sorte de barrière invisible.

« As-tu… la moindre idée… de combien nous avons souffert ? ! Ma mère et mon père… sont morts à cause de toi ! »

Ces anneaux devaient être magiques. Aucune des attaques de Fitz ne passait.

« Ne reste pas planté là, Rudeus Greyrat ! Fais quelque chose ! », cria Nanahoshi, clairement énervée.

Faisant un pas en avant, j’avais attrapé mon ami haletant par le bras avant qu’il ne puisse à nouveau frapper la barrière de son poing.

« Calme-toi, Maître Fitz. »

« Tu es sérieux, Rudeus ? Elle vient d’admettre que c’était sa faute ! Comment peux-tu être si calme ? ! Tu… Tu as souffert aussi, n’est-ce pas ?! »

Je n’avais jamais vu Fitz si énervé avant. Il était normalement si calme. C’était bien sûr difficile de lui reprocher de perdre le contrôle. Il avait perdu des gens qu’il aimait dans ce désastre. Après cinq ans, il avait probablement réussi à accepter cette perte dans une certaine mesure. Mais cela ne signifiait pas qu’il pouvait rester calme face à la personne qui en était responsable.

D’après ce que j’avais entendu jusqu’à présent, l’incident de déplacement n’était pas la faute de Nanahoshi. En dehors de tout le reste, j’étais juste là avec elle au moment où nous avions tous les deux été convoqués dans ce monde… bien que je n’aie aucune idée de la raison pour laquelle elle était apparue dix ans après moi.

L’essentiel étant qu’elle n’avait pas choisi d’être amenée ici. Quelqu’un d’autre avait pris cette décision pour elle.

Oh, c’est vrai. Nous parlions en japonais quand nous avons discuté de ça, n’est-ce pas ? Pas étonnant que Fitz ait mal compris. Il ne savait pas dans quel contexte on parlait.

« Je suis désolé, nous n’avons pas expliqué ça assez clairement. Elle n’est pas venue ici de son plein gré, Maître Fitz. C’est aussi une victime. »

« Une victime… ? Attends… vraiment ? »

Fitz respirait toujours rapidement, mais il semblait prendre mes paroles pour argent comptant. Avec un long soupir, il s’était affaissé sur sa chaise.

« Je suis désolé. J’aurais pu formuler cela plus soigneusement. Il n’était pas mon intention de te contrarier. », dit Nanahoshi.

« … Ce n’est pas grave. Je m’excuse d’avoir tiré des conclusions hâtives. »

Fitz ne semblait pas encore complètement calme. Il y avait encore une lumière féroce dans ses yeux. Mais il semblerait qu’il se soit maîtrisé, du moins pour l’instant.

Nanahoshi avait-elle sorti ces anneaux en pensant que je deviendrais fou de rage et que j’essaierais de la tuer ? La fille avait du cran, je lui accorde ça. C’était de jolies petites babioles. Franchement, j’en voulais une ou deux pour moi. Peut-être que c’était son principal moyen d’autodéfense…

« Quoi qu’il en soit, je n’en sais pas beaucoup plus sur l’Incident lui-même. J’ai été convoquée ici à cause de lui, mais je n’ai aucune idée de ce qui l’a provoqué, de ses motivations ou de la raison pour laquelle il a conduit à un tel désastre. Personne ne le sait. »

« Orsted n’avait pas non plus de théorie ? »

« Non. Il a juste dit que c’était sans précédent. »

Eh bien, si un soi-disant dieu ne pouvait pas le comprendre, nous n’allions probablement pas non plus trouver de réponses. Je crois me souvenir que l’Homme-Dieu avait dit que c’était la faute d’Orsted… mais à cause de cette malédiction, tous ceux qui avaient rencontré Orsted l’avaient détesté. J’avais aussi senti que l’Homme-Dieu pourrait être sous ses effets. Et ils avaient une sorte de querelle même en dehors de ça. Il pourrait avoir blâmé Orsted par défaut.

Si Nanahoshi me disait la vérité, du moins, il était difficile d’imaginer qu’Orsted ait réellement joué un rôle dans la cause de l’Incident. Pourquoi l’aurait-il convoquée ici et aurait-il passé tout ce temps à l’aider à rentrer chez elle ? Cela n’avait pas beaucoup de sens.

« Pourquoi as-tu dit que c’était arrivé à cause de toi alors ? »

« Eh bien, dans un sens c’est le cas. Et je voulais que ce fait soit connu tout de suite. Je ne voulais pas que quelqu’un s’en serve comme excuse pour se retourner contre moi plus tard. »

« Je vois… »

Au lieu d’essayer de cacher quelque chose qui pourrait me monter contre elle, elle m’avait dit la vérité sans détour, puis s’était expliquée. C’était une meilleure approche, si l’on considérait le risque que je m’en rende compte à un moment ou à un autre.

Bien sûr, je devais toujours garder à l’esprit qu’il y eût une chance que Nanahoshi ou Orsted soit un très bon menteur.

« C’est cependant dommage. J’espérais que tu aurais une idée de ce qui s’est passé. »

« J’ai bien peur que non. Mais j’ai un plan pour avancer dans mes recherches. »

« Si tes recherches progressent suffisamment, penses-tu que tu découvriras la vérité sur l’incident de téléportation ? »

« Je devrais être au moins capable d’expliquer ce qui s’est passé à un niveau théorique. »

J’avais hoché la tête pensivement. La façon dont elle clarifiait prudemment ses promesses la rendait d’une certaine manière plus digne de confiance.

« Mais pour y parvenir, j’aurai besoin d’une grande quantité de mana. »

« Je vois. Je suppose que je suis donc l’homme de tes rêves. »

« Heh. Oui, je suppose que oui. »

Fitz s’était renfrogné pendant que nous parlions. J’avais le sentiment qu’il n’avait pas encore totalement confiance en Nanahoshi. Pourtant, je ne m’attendais pas à ce qu’un gars aussi gentil et amical que lui pète un câble comme ça. Il avait dit que quelqu’un qu’il connaissait était sorti indemne de l’Incident… mais je ne savais pas que ses deux parents étaient morts. Il était probablement plus sage de le laisser se calmer un peu avant de dire quoi que ce soit.

« Ok, Nanahoshi. J’ai besoin d’un peu de temps pour réfléchir à tout cela. Je reviendrai te voir dans quelques jours, d’accord ? On réglera les détails à ce moment-là. »

« Très bien. Je te verrai à ce moment-là. »

Après ce dernier échange de mots, j’avais quitté l’infirmerie avec Maître Fitz à mes côtés.

◇ ◇ ◇

Après avoir expliqué plus en détail la situation de Nanahoshi à Fitz, ce dernier avait finalement semblé se calmer un peu. Sa colère s’était visiblement estompée lorsque je lui avais dit qu’elle avait été amenée de force dans ce monde et qu’elle cherchait désespérément à rentrer chez elle.

Cependant, une fois que j’en ai eu fini, il me posa une question un peu étrange.

« Bref, Rudeus… que penses-tu d’elle ? »

La question était un peu délicate. Il m’était facile de croire à son histoire, puisque j’avais été réincarné ici moi-même, mais cela devait sembler sérieusement farfelu à Fitz. De la façon dont Nanahoshi parlait, il était évident qu’elle ne se souciait pas beaucoup de ce monde ou de ce qui arrivait à ses habitants. Elle voulait juste se barrer d’ici. Contrairement à moi, elle n’avait eu que du succès depuis qu’elle était arrivée ici. Peut-être que tout cela lui semblait insignifiant. Je n’allais pas me vanter de tout mon dur labeur… mais je n’aimais pas vraiment son attitude.

« Pour être honnête, il y a des choses chez elle que je n’aime pas beaucoup. Mais je pense qu’elle est relativement digne de confiance. »

« Hm… D’accord. Dans ce cas, c’est bon. »

Fitz sourit un peu maladroitement. Il avait peut-être l’intention de me faire la leçon sur le fait de faire confiance aux gens trop facilement si j’avais répondu différemment. Je ne savais pas vraiment comment Nanahoshi avait pu élaborer un plan pour me tromper, étant donné que je l’avais approchée en premier… mais je suppose que son histoire était difficile à croire.

« Tu étais inquiet pour moi, Maître Fitz ? Merci. »

« Hein ?! Non, je… je n’étais pas inquiet ou quoi que ce soit, mais… de rien quand même, je suppose… »

Voir le gars s’agiter comme ça était toujours étrangement réconfortant.

En tout cas, Nanahoshi et moi avions maintenant établi un partenariat provisoire.

Il y avait encore des dizaines de questions que je voulais lui poser, mais il n’était pas nécessaire de précipiter les choses. Je devais simplement faire mon chemin dans la liste une par une.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire