Mushoku Tensei (LN) – Tome 9 – Chapitre 2

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Chapitre 2 : Le fiancé insensible

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Chapitre 2 : Le fiancé insensible

Partie 1

Six mois s’étaient écoulés depuis mon inscription à l’Université de magie de Ranoa. C’était l’automne, la saison des récoltes. L’automne ne durait jamais très longtemps dans les Territoires du Nord, mais c’était une période de l’année très importante, où la nourriture était préparée, récoltée et stockée pour l’hiver douloureux qui s’annonçait. Il y avait même quelques festivals organisés dans les différentes villes.

Pour les hommes bêtes, c’était aussi la saison des amours… un événement culturel de longue durée qui s’accompagnait d’un ensemble compliqué de règles et de rituels. Tous étaient visiblement agités à l’approche de cette période, hommes et femmes confondus.

À proprement parler, il n’y avait pas beaucoup de personnes de leur espèce inscrites à l’université. Je dirais qu’ils représentaient 5 % du corps étudiant, qui comptait environ 10 000 personnes au total. Cela signifiait qu’ils étaient environ 500. C’était dans un certain sens un groupe important, mais pas très impressionnant vu la taille de notre campus. Pourtant, dès la rentrée, ils semblaient être partout, se livrant à des duels en tête-à-tête qui opposaient généralement un homme à une femme. Et pendant plusieurs mois après leur duel, le couple était collé l’un à l’autre. Ils finissaient par se marier. Celui qui gagnait le duel initial prenait le rôle de chef de la nouvelle « meute » qu’ils formaient.

Ces règles n’étaient pourtant pas gravées dans le marbre. C’était juste une vieille tradition que certains d’entre eux respectaient plus que d’autres. Pourtant, certains hommes bêtes avaient voyagé jusqu’ici depuis des terres lointaines pour défier nos étudiants dans un de ces duels romantiques.

En d’autres termes, nous avions des étrangers qui se promenaient sur notre campus. L’administration aurait normalement essayé d’empêcher cela, mais la saison des amours est un sujet très délicat en raison de son importance dans la culture des hommes bêtes. Toute tentative d’interdire leurs traditions entraînerait probablement de véritables émeutes. En guise de compromis, l’école avait autorisé les hommes bêtes non-étudiants à entrer dans son enceinte sous le prétexte d’assister aux cours, à condition qu’ils en demandent la permission au préalable.

Bref… cela nous amène à Linia et Pursena.

Ces deux-là étaient inaccessibles pour les hommes bêtes lambda. D’abord, elles étaient probablement les deux plus fortes combattantes de toute l’école. Mais le plus important résidait dans le fait qu’elles étaient des princesses Doldia. Si vous demandiez l’une d’elles en mariage, la combattiez et gagniez, vous deveniez candidat au poste de chef de la tribu entière. Tu ne recevras évidemment pas le pouvoir immédiatement. Mais lorsque le moment sera venu de choisir le prochain chef, il ne fait aucun doute que tu seras sérieusement considéré pour ce rôle.

Linia et Pursena étaient bien sûr venues dans ce pays lointain pour étudier, pas pour trouver un mari. Elles ne pouvaient pas choisir un partenaire sans en parler d’abord à leur famille. Elles avaient donc rejeté toutes les propositions dont elles avaient été bombardées après leurs quinze ans.

Pourtant, malgré leur désintérêt très public pour le mariage, il y eut encore plus de prétendants l’année suivante. Elles étaient toutes les deux très populaires. Apparemment, certains hommes bêtes avaient même lancé des attaques furtives contre elles, essayant d’obtenir leur consentement par la force. Elles avaient alors repoussé ces attaquants assez facilement… mais quand l’automne était revenu cette année, elles avaient décidé de s’enfermer dans leur dortoir. Le dortoir des filles n’était pas une forteresse impénétrable, mais tout homme qui tentait de s’y faufiler se faisait harceler par toutes les résidentes. Linia et Pursena étaient donc restées dans leur chambre et avaient même séché les cours.

Je suppose que c’était une sorte de congé médical. On pouvait aussi supposer qu’elles étaient elles-mêmes en chaleur en ce moment. L’idée de les voir se tordre de douleur dans leur chambre en miaulant et en gémissant passionnément était plutôt excitante. Non pas que ça me préparait à m’accoupler.

Elles m’avaient envoyé une lettre, qui disait grossièrement ceci : « Désolé pour le dérangement, patron, mais nous vous laissons gérer les choses pour l’instant. »

Cependant, je ne savais pas exactement comment j’étais censé aider. Peut-être qu’elles voulaient juste que je réponde pour eux quand le professeur faisait l’appel ou quelque chose comme ça.

En tout cas, il n’y avait pas que les hommes bêtes qui étaient « en chaleur » à cette époque de l’année. L’automne coïncidait avec une augmentation des cas d’agression sexuelle sur le campus, car certaines personnes profitèrent de tout le chaos. Ces règles strictes sur qui pouvait entrer dans quel dortoir avaient un peu plus de sens pour moi maintenant. Quand il s’agissait de deux hommes bêtes en chaleur, on pouvait considérer certaines agressions comme un phénomène naturel ou culturel… mais apparemment, certaines des victimes étaient des humains de première année qui ne savaient même pas ce qui se passait.

Comme on pouvait s’y attendre, le règlement de l’école interdisait strictement ce genre de choses. Pour garder les choses sous contrôle, l’administration faisait patrouiller des agents de sécurité sur le campus. Les duels consensuels étaient autorisés, mais on ne pouvait pas attaquer quelqu’un qui refusait de se battre. C’était la limite qu’ils avaient fixée. Notre professeur principal nous avait même donné un avertissement explicite sur la situation, nous disant de ne pas accepter de duels à cette époque de l’année. Il avait également encouragé ceux qui n’avaient pas confiance en leurs capacités d’autodéfense à se déplacer en groupe à tout moment.

En fait, maître Fitz m’avait également dit d’être prudent. Il semblait penser que certaines filles pourraient me défier en duel sous des prétextes, prétendant qu’elles voulaient juste s’entraîner contre un puissant magicien. Il m’avait conseillé de refuser catégoriquement, d’ignorer leurs tentatives de provocation et de quitter rapidement les lieux sans baisser ma garde une seule seconde.

Les filles en chaleur, hein… ?

Autrefois, j’aurais pu être tenté de me battre en duel avec chacune d’entre elles et de me constituer un harem. Mais dans mon état actuel, je ne ferais que remuer le couteau dans la plaie. La saison des amours était un événement auquel je ne participerai pas de sitôt.

Tu vois, je vais laisser ça à ces jeunes là-bas ? Le garçon humain et sa petite amie elfe, qui « étudie » assise sur ses genoux ? Cette femme est en chaleur toute l’année.

Honnêtement, ces deux-là ne se reposaient jamais. Je pouvais pratiquement voir les cœurs flotter au-dessus de leurs têtes. Pourtant… Cliff était manifestement un tout nouvel homme, mais j’avais l’impression qu’Elinalise le traitait comme elle traitait tous ses autres amants. Je n’avais pas l’intention de dire quoi que ce soit, bien sûr, mais tout cela ressemblait encore à une imposture. Est-ce que ça allait vraiment marcher pour eux ?

À un moment donné, alors que je regardais Cliff et Elinalise s’amuser, Zanoba s’était approché de mon bureau.

« Maître, ne penses-tu pas qu’il est temps de commencer une nouvelle création ? »

« Une nouvelle création, hein… ? »

Jusqu’à il y a quelques jours, je travaillais sur une figurine d’Éris à l’échelle 1/8, comme une sorte d’exercice thérapeutique, mais j’avais fini par tellement chialer que j’avais dû abandonner à mi-chemin. Depuis lors, je n’avais pas réussi à me motiver pour faire quoi que ce soit. J’étais tombé dans une sorte de marasme sans même m’en rendre compte.

« Ouais, je suppose que tu as raison. Des idées ? »

« Peut-être que faire une sorte d’animal ou de monstre serait un bon nouveau sujet. »

« Hmm, bien sûr. Je pense qu’un Wyrm Rouge pourrait être amusant. »

« Oh ! En effet ! Le même monstre que tu as déjà tué tout seul ? »

« Oui. Ce n’était pas facile, d’ailleurs. Je pensais que je serais certainement mort. »

« Hahaha. Tu es bien trop modeste. »

« Maître Zanoba, de quoi parlez-vous ? »

Julie semblait un peu curieuse, alors je lui avais raconté l’histoire de mon combat contre un Wyrm rouge à l’époque où j’étais aventurier. Très vite, ses yeux pétillèrent et son visage rougit d’excitation. Les enfants de ce monde semblaient aimer ce genre d’histoires. Je l’oubliais des fois de temps en temps, mais elle n’avait que six ans.

« Hm, d’accord. Pourquoi ne te ferais-je pas une figurine du Wyrm Rouge, Julie ? »

« Quoi… ? M-Maître, et moi ? Ne feras-tu rien pour moi ?! »

« Zanoba, tu es censé être mon élève, non ? Et si tu m’offrais ton aide pour faire ça ? »

« Oh ! Bien sûr, Maître ! Je t’aiderai de toutes les manières possibles. »

Cette vie n’était vraiment pas si mal. Je n’étais pas en pleine forme ces derniers temps, mais au moins, je m’étais installé dans une routine décente ici. Mes cours de magie divine et de barrière de niveau débutant allaient bientôt se terminer, et je devais décider de ce que je devrais faire ensuite. Peut-être la désintoxication intermédiaire ? Je m’étais bien débrouillé avec les sorts de niveau débutant jusqu’à présent. Je ne voyais pas l’utilité d’apprendre quelque chose de plus avancé que ça.

Je pouvais toujours essayer la Guérison avancée à la place. Mais là encore, je me sentais relativement satisfait de mon niveau d’expertise actuel. Les sorts intermédiaires étaient suffisants pour faire face à la plupart des situations.

Il y avait toujours l’Enchantement, que je n’avais jamais pratiqué auparavant. Techniquement, il s’agissait d’une forme de magie d’invocation, elle serait donc peut-être plus pertinente pour mes recherches. D’après ce que j’avais entendu, il s’agissait principalement d’apprendre à créer divers instruments magiques. Je n’étais toujours pas sûr du rapport avec l’invocation… mais ce serait au moins quelque chose de nouveau.

Bien sûr, j’étais tout aussi libre de ne pas prendre de nouveaux cours. Je pouvais simplement passer plus de temps à la bibliothèque à la place. Je commençais à avoir l’impression d’être dans une impasse en faisant des recherches sur l’incident de déplacement, mais il pourrait être intéressant d’essayer d’apprendre d’autres langues. Si j’optais pour cette voie, je pourrais demander à Cliff de me donner des cours de magie divine en parallèle… Mais il passait tout son temps avec Elinalise ces derniers temps. C’était probablement plus intelligent de les laisser seuls pendant un moment. Je ne voulais pas me mettre en danger.

Je pourrais peut-être essayer d’aller dans une direction complètement différente et apprendre quelque chose sans rapport avec la magie. Ça pourrait être amusant d’apprendre à monter à cheval, par exemple…

Les jours s’écoulaient paisiblement tandis que j’essayais de me décider.

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Partie 2

Et soudainement, les choses ne furent plus aussi paisibles.

« Il semblerait que tu sois Quagmire Rudeus, l’aventurier de Rang A qui a terrassé un Wyrm errant tout seul ! Je te défie en duel matrimonial, monsieur ! »

En me rendant à la bibliothèque, je m’étais retrouvé face à une personne me défiant.

Je m’étais retourné, je m’étais alors retrouvé face à une belle fille. Sa peau était bronzée, et ses cheveux soyeux bleu foncé étaient attachés en une queue de cheval soignée. Elle avait l’air d’avoir 17 ou 18 ans. Elle avait un visage fort et digne, et ses lèvres étaient serrées l’une contre l’autre. On pouvait dire au premier coup d’œil qu’elle était du type « femme guerrière ». Au lieu d’un uniforme scolaire, elle portait une tenue légère de combattante à l’épée d’un bleu profond saisissant.

Elle avait une poitrine modeste, mais ses muscles étaient impressionnants. Elle n’avait pas l’air d’une culturiste, mais elle était clairement en très bonne forme. À ses côtés se trouvait une longue épée incurvée, le type d’épée couramment utilisé par les combattants du style du Dieu de l’épée.

La fille regardait dans ma direction.

Pour être plus précis, elle fixait avec surprise la personne qui se tenait juste en face de moi — le grand homme bête poilu qui venait de me défier bruyamment en duel.

Oui, j’avais oublié de mentionner l’homme bête musclé et canin, mais c’était lui qui m’avait crié dessus. Lui aussi ne ressemblait pas du tout à un magicien. La fille avec l’épée était probablement juste passée par là. Vu la période de l’année, elle aurait pu penser qu’il lui parlait.

« Uhm… »

Eh bien, de toute façon. Oublions la jolie fille pour le moment.

Il y avait un problème assez fondamental ici. J’étais un mec, et ce mec était aussi un mec, et il venait de me défier en duel. C’était légèrement gênant.

« Un duel matrimonial ? Comme… un de ces trucs où on se marie plus tard ? »

« En effet ! »

Gaah…

« Je suis désolé… Je ne sais pas s’il y a des rumeurs qui circulent ou autre, mais en fait je suis hétéro. Je ne suis pas non plus vraiment intéressé par ce genre d’expérience. Je vais devoir décliner votre offre. »

Les oreilles de l’homme bête tressaillirent.

« Tu sembles mal comprendre la situation. »

« Oh non, il est déjà si tard ? Vous savez, j’ai une répétition de piano aujourd’hui. Je vais devoir partir maintenant, désolé… »

Maintenant que j’avais décliné son offre, je m’étais retourné et j’avais commencé à m’éloigner, ignorant totalement sa tentative de poursuivre la conversation. J’avais en d’autres termes suivi le conseil de Fitz à la lettre.

« Attends un peu ! »

Mais à ma grande surprise, mon nouvel ami poilu s’était levé d’un bond, s’était élevé à plusieurs mètres au-dessus de ma tête et avait atterri avec un bruit sourd juste devant moi. Ce type sautait comme un mécha à jointure inversée. Il aurait fait un solide Dragoon.

« Tu n’as pas le droit de me refuser. Je m’appelle Brook Adoldia ! Je suis venu me battre en duel pour obtenir la main de Mlle Pursena, afin de devenir un jour le chef de ma tribu ! »

« Pursena se repose dans son dortoir en attendant que la saison des amours soit terminée. Pourriez-vous peut-être y aller à sa place ? »

« J’ai envoyé à l’avance une lettre à Mlle Pursena pour l’informer de mes intentions ! Elle m’a expliqué que tu es maintenant le chef de sa meute. Sire Gyes m’a parlé de tes prouesses de guerrier, et j’ai entendu dire que tu avais tué un dragon errant tout seul. Il est clair que tu es l’homme le plus fort de cette université. Tu devrais être un adversaire de taille pour moi ! »

Bon, je n’ai pas vraiment abattu quoi que ce soit… Je suis un magicien, pas un épéiste…

« Que se passera-t-il si je refuse ? »

« En tant que chef de meute, tu es obligé de te battre contre moi ! »

J’avais pris un moment pour essayer de comprendre tout ça.

Après avoir réussi à battre Linia et Pursena lors d’un combat il y a quelque temps, elles avaient commencé à m’appeler chef. Apparemment, il fallait vaincre le chef d’une « meute » si on voulait épouser quelqu’un qui en faisait partie. Donc, si ce type me battait au combat, il pouvait prétendre à Pursena comme prix ?

Je n’avais pas l’intention de devenir le chef d’une meute, mais je sentais que ce type n’allait pas s’en soucier. C’était une question de primauté du règne animal. Si je perdais ce combat, je serais démis de mes fonctions de chef et Pursena se marierait avec un poilu quelconque.

« Alors… combattons ! »

Brook n’avait pas attendu que je réponde. Il hurla férocement et fonça sur moi.

« Quagmire. »

Comme il venait vers moi en ligne droite, il fonça rapidement en plein dans mon marais…

« Canon de pierre. »

Et un projectile de pierre bien placé l’avait assommé.

Cela cassait un peu l’ambiance. Il semblerait qu’il criait plus qu’il ne mordait. Je l’avais éliminé par réflexe sans trop y réfléchir, mais en y repensant, je n’avais pas vraiment de raison de le laisser gagner. D’abord, Pursena n’avait pas l’air de vouloir se marier pour le moment.

Cela expliquait au moins la lettre qu’elles m’avaient envoyée. Le fait qu’elles me faisaient porter le chapeau ne me rendait pas très heureux, mais je pouvais me débrouiller avec des types comme ça, sans problème. Ce n’était probablement pas un si gros problème.

Mes sentiments sur le sujet avaient changé au cours des minutes suivantes, après avoir été attaqués de cinq manières différentes sur mon chemin vers la bibliothèque.

On aurait dit que la moitié de la tribu Doldia attendait ce jour avec impatience. Linia et Pursena étaient très demandées. Qu’est-ce qu’elles avaient d’ailleurs de si attirant ? Leurs corps, peut-être ? Mais ça n’avait pas beaucoup de sens. Beaucoup de ces hommes ne les avaient probablement jamais vues en personne. Ça devait être leur position de « princesse ». Le premier type avait bien parlé de devenir le chef de sa tribu..

Être le numéro un était-il vraiment si important pour eux ? C’était quoi, une tribu entière de Starscreams ?

D’après ce que je vis, ils avaient même établi un ordre pour me défier. Un gars avait essayé de faire irruption à mi-chemin et s’était fait engueuler pour avoir « coupé la file ». Peut-être que c’était encore une de ces traditions des hommes bêtes.

Heureusement, ils n’étaient pas allés jusqu’à me poursuivre à l’intérieur de la bibliothèque elle-même. Je suppose que l’administration leur avait clairement fait comprendre qu’ils n’étaient pas autorisés à faire irruption dans les installations de l’école… à moins que les hommes bêtes aient aussi une ancienne règle à ce sujet.

Je ne m’en étais de toute façon pas soucié. Je pouvais au moins me réfugier ici pour un petit moment.

◇ ◇ ◇

Quelques heures plus tard, en début de soirée, Fitz s’était présenté lui aussi à la bibliothèque. Son regard était un peu réprobateur.

« C’est une sacrée scène dehors, Rudeus. Qu’as-tu fait pour énerver tous ces gens ? »

« Rien. Ils veulent juste me battre pour pouvoir épouser Linia ou Pursena. »

« Attends, quoi ? »

Pendant que Fitz clignait des yeux, je lui expliquais tous les détails de mon statut de « patron » et le fonctionnement des traditions des hommes bêtes. Après en avoir eu fini, Fitz fronça les sourcils.

« Cela n’a aucun sens. Tu n’es pas le chef de la tribu Doldia. Qui se soucie si tu les as battues dans un combat une fois ? Ça ne veut pas dire que tu as le droit de les distribuer comme prix à des étrangers quelconques. »

C’est assez vrai. Si j’avais autant de pouvoir sur elles, elles ne me grifferaient pas au visage chaque fois que je touchais leurs jambes.

« Tu as raison. Mais comment convaincre les gens là-bas ? »

Fitz mit une main sur son menton, et hocha lentement la tête.

« Sincèrement, tu as tout à fait le droit de les ignorer… mais il serait peut-être plus facile de les battre dans un combat. Ils vont probablement abandonner et rentrer chez eux. »

« … Donc au final, je devrais quand même les affronter en duel ? »

« C’est probablement pour le mieux. »

Facile à dire pour lui. Je n’étais pas sûr du nombre de personnes qui m’attendaient dehors, mais d’après ce que je voyais, il devait y en avoir des dizaines. Et bien sûr, c’était une foule d’hommes machos, grands et puants, qui voulaient diriger leur tribu. Il faudrait que je les assomme tous.

« Je préfère vraiment ne pas faire de la violence une part active de mon quotidien. »

« Je le sais, Rudeus. Mais à moins que tu ne fasses quelque chose pour eux, tu seras coincé ici pour toujours. Oh, et ils pourraient aussi perdre patience et charger ici. Nous ne voulons pas qu’ils mettent le bazar dans la bibliothèque, non ? »

« Oui, je suppose que tu as raison. Argh… juste ce dont j’avais besoin, une multitude de duels contre une horde d’hommes en sueur et en fourrure… »

Je ne voyais pas ce que je gagnerais dans ces duels, même si je faisais de gros efforts. Ça avait juste l’air d’être pénible.

« Uhm, il n’y a pas que des hommes, en fait. J’ai aussi vu une fille là-bas. »

« Sérieusement ? Était-elle mignonne ? »

« Rudeus… Ne me dis pas que tu vas accepter ce duel ? »

« Non, non. Bien sûr que non. Euh… »

J’avais secoué la tête, principalement pour que Fitz arrête de me fixer. Pourtant, j’étais un peu intrigué. Je voulais au moins savoir à quoi elle ressemblait. Et où elle avait entendu parler de moi.

« Je suis juste curieux, c’est tout. »

Quand quelqu’un exprimait de l’intérêt pour vous, il était parfaitement naturel d’être un peu intrigué en retour. De toute manière, les choses ne pouvaient pas aller très loin tant que je resterais dans cet état.

« Oh ? Tu es curieux, hein ? Hmm. »

Pour une raison inconnue, Fitz semblait mécontent de moi. En toute honnêteté, il m’avait mis en garde contre les duels de filles l’autre jour…

Oh, peut-être que Luke s’était attiré des ennuis de cette façon à un moment donné ? Oui, c’est logique. Fitz avait probablement été obligé de nettoyer le désordre après coup, alors il était irrité de me voir traiter la situation avec autant de désinvolture.

« Eh bien, peu importe. On dirait que ça cause beaucoup de chaos chaque année, hein ? Le conseil des élèves ne peut-il rien faire ? », avais-je dit.

« Nous n’intervenons pas dans tout ce qui concerne la saison des amours. Si nous essayions de l’interdire, les choses ne feraient probablement qu’empirer. »

D’après ce que Fitz m’avait dit, le conseil des élèves avait déjà fort à faire à cette période de l’année. Ils concentraient la plupart de leur énergie sur la protection des étudiants moins aptes au combat pendant cette saison chaotique, en faisant des choses comme patrouiller le campus en petits groupes, stopper toute situation dangereuse qu’ils trouvaient avant qu’elle ne devienne incontrôlable. En fait, Fitz devait participer à l’une de ces patrouilles le soir même.

« Donc, vous tentez de protéger la paix, non ? Vous pourriez donc vraiment m’aider ! »

« Euh… Pourquoi ne t’en occupes-tu pas toi-même, Rudeus ? Je ne pense pas que tu aies besoin de notre aide. »

Pour une raison inconnue, la voix de Fitz n’était pas très amicale aujourd’hui. Avais-je dit quelque chose qui l’avait énervé ? Attendez… peut-être qu’il pensait à ce qui s’est passé pendant mon examen d’entrée. Il avait prétendu que ma victoire ne le dérangeait pas, mais si je commençais à fuir les combats comme ça, les gens pourraient penser qu’il avait perdu contre un lâche. Ce ne serait pas bon pour sa réputation.

***

Partie 3

Fitz m’avait beaucoup aidé récemment. Je n’étais toujours pas emballé par tout ça, mais je lui devais de faire un effort.

« Très bien alors. Pour le bien de ta réputation, Maître Fitz, je vais tous les massacrer. »

« Quoi ? ! Ne les tue pas, Rudeus ! »

« C’était juste une blague. Désolé. »

Les gens prenaient ces duels au sérieux, mais il y avait une règle non écrite selon laquelle personne n’était censé en mourir. Pourtant, il y avait peut-être de puissants combattants qui m’attendaient dans cette foule. Je ne pouvais pas me permettre d’être négligent.

Finalement, résigné à mon sort, j’étais sorti de la bibliothèque pour la première fois depuis des heures.

« … C’est quoi ce bordel ? »

J’avais été accueilli par une scène légèrement surprenante. Des dizaines de corps étaient éparpillés sur le sol, mous et immobiles. C’était comme si j’avais erré sur une sorte de champ de bataille.

Tous étaient des hommes bêtes de différentes races, formes et tailles. Certains d’entre eux portaient des uniformes scolaires, mais beaucoup n’en portaient pas.

Oh, attends. Il y a aussi une fille.

C’était l’épéiste que j’avais vue plus tôt. S’était-elle d’une certaine manière mélangée à eux ? Ou peut-être… qu’elle était en amour avec moi depuis le début ?

Alors que je réfléchissais à cette question extrêmement importante, un éclat de rire retentit dans l’air.

« Bwahahahaha ! »

Un homme se tenait debout au milieu des personnes au sol, tenant le dernier de ses ennemis d’une main.

« Je vous reconnais le mérite de m’avoir défié, mes jeunes amis ! C’était une très mauvaise décision de votre part, certes, mais une décision courageuse ! Les étudiants de cette “Université de la Magie” ont clairement du cran ! »

Fitz et moi étions restés figés sur place, bouche bée. Après quelques secondes, j’avais finalement réussi à dire un timide « Euh… »

Jetant de côté le dernier guerrier homme-bête, l’homme s’était retourné pour nous faire face.

« Ohoh ! Ces jeunes hommes m’ont dit de les battre si je ne voulais pas attendre mon tour, et c’est ce que j’ai fait ! Et maintenant, vous êtes venus à ma rencontre, juste à temps ! Excellent, excellent. J’aime les hommes qui tiennent leurs promesses ! »

Il était évident au premier coup d’œil que cet homme était un démon. Sa peau était aussi noire que l’obsidienne, et il avait six bras. Ceux du haut étaient repliés, ceux du milieu pointaient vers nous, et les deux du bas étaient posés sur ses hanches. Ses longs cheveux, qui descendaient jusqu’à sa taille, étaient d’une nuance intéressante de violet.

« Je suis l’immortel Roi-Démon Badigadi ! »

Est-ce qu’il venait de se faire appeler Roi-Démon ? Est-ce qu’on parlait du même genre de Roi-Démon ? Comme celui qui enlevait les jeunes filles du village le plus proche pour satisfaire ses appétits ? Le type qui pouvait faire tout ce qu’il voulait, tant qu’il se battait contre le « héros » occasionnel venu pour le tuer ?

Oui, probablement pas.

La question la plus importante pour l’instant était : qu’est-ce qu’un Roi-Démon pouvait bien faire ici ?

« Je vois que tu as l’Oeil de la clairvoyance, mon garçon ! Tu dois être Rudeus Greyrat ! J’ai entendu parler de toi par ma fiancée, l’impératrice démoniaque Kishirika ! »

Eh bien, au moment où il s’approchait de moi…

« Je te provoque en duel ! »

Très bien. Au moins, il savait comment aller droit au but. Malheureusement, je n’avais toujours aucune idée de ce qui se passait ici. Peut-être qu’il me laisserait tranquille si je lui offrais deux jeunes filles légèrement poilues en sacrifice… ?

◇ ◇ ◇

La nouvelle s’était répandue dans les pays proches de l’Université de Magie de Ranoa à une vitesse remarquable : Un Roi-Démon était apparu.

Normalement, la nouvelle de l’apparition d’un Roi-Démon aurait dû leur parvenir bien avant son arrivée effective. Mais ce Roi-Démon s’était déplacé si rapidement qu’ils ne l’avaient appris qu’au moment où il traversait leur territoire. Les dirigeants de ces nations avaient été plongés dans un état de confusion et de panique.

C’était compréhensible. En règle générale, les Rois Démons ne s’aventuraient jamais en dehors du Continent Démon. Il y eut des Rois Démons belliqueux et agressifs il y a longtemps, bien sûr, mais ils avaient pratiquement tous été exterminés lors de la Guerre de Laplace il y a des siècles. Les survivants qui régnaient désormais sur le Continent Démon étaient pacifiques ou prudents par nature, et largement désintéressés par les conflits.

Mais, quelle que soit leur personnalité, ces rois étaient suffisamment puissants pour prendre le contrôle d’une partie du terrifiant Continent des Démons. Si l’un d’entre eux décidait de se déchaîner sur le territoire des Humains, les dégâts seraient incalculables. Ranoa, Neris et Basherant avaient tous réagi instantanément à l’arrivée de Badigadi, envoyant tous les chevaliers à leur disposition pour l’intercepter, ils avaient également fait appel à la Guilde des Aventuriers pour une assistance d’urgence. Mais leurs forces se trouvaient encore à une certaine distance de l’Université de la Magie.

En guise de palliatif d’urgence, les petites unités de soldats des Nations magiques déjà en garnison dans la ville de Sharia avaient rejoint tous les aventuriers locaux et les membres de la Guilde des mages et avaient encerclé le campus. Dans le pire des cas, ils avaient reçu l’ordre de ralentir le Roi Démon jusqu’à l’arrivée des forces principales.

Cependant, le but de la venue du Roi Démon ici restait un mystère total. Il n’était pas difficile de l’identifier. Il n’y avait qu’un seul Roi Démon avec une peau noire de jais et six bras : Badigadi l’Immortel. C’était l’un des anciens rois ayant vécu avant la guerre de Laplace. Son pouvoir le plus remarquable, comme son nom l’indiquait, était son indestructibilité. En raison de sa nature pacifique, on savait peu de choses sur ses capacités au combat, mais certains historiens pensaient qu’il avait déjà combattu contre Laplace lui-même. Cela signifiait que même le redoutable Dieu Démon n’avait pas réussi à le détruire.

Pourquoi une telle personne était-elle soudainement apparue à l’Université de Magie de Ranoa ? Et pourquoi avait-il erré sur le campus, assommant des étudiants innocents et des hommes bêtes en visite ?

Il faudra un certain temps avant que quiconque n’apprenne les réponses à ces questions.

Rudeus

À ce moment précis, je me tenais au centre du Terrain d’Entraînement Magique Avancé de l’Université… ce qui était le nom fantaisiste donné à cette cour plate et vide. Face à moi se trouvait le Roi-Démon Badigadi. J’avais gardé la tête haute et j’avais croisé les bras pour tenter de projeter une certaine confiance, mais pour être parfaitement honnête, je paniquais un peu. Mais peut-on vraiment m’en vouloir ? Dans quelle mesure seriez-vous calme si vous aviez un énorme démon tank à six bras qui vous regardait comme ça ?

Bon, d’accord. Je dois l’admettre que j’avais l’impression d’être assez puissant ces derniers temps. Mais on parlait d’un Roi-Démon là. C’était une entité que même une personne assez puissante ne pouvait pas affronter. J’avais l’impression que l’univers me punissait pour mon arrogance. J’avais honnêtement envie de m’enfuir en hurlant dans les collines.

J’avais regardé derrière nous et je vis qu’on avait attiré une énorme foule de curieux. Il semblait y avoir un mélange équilibré d’étudiants et d’étudiantes, ainsi qu’un bon nombre de professeurs. Si je tournais les talons et courais ici, qu’allaient-ils penser de moi ?

En y réfléchissant bien, je n’en avais en fait rien à faire de ça. Mais j’avais l’impression d’avoir perdu ma chance de m’échapper.

Tout à coup, quelqu’un traversa la foule des spectateurs et trotta vers moi à vive allure. C’était un homme âgé qui portait une perruque un peu voyante. Le look lui allait cependant bien.

« J’ai entendu parler de la situation par Jenius. Mes excuses, mais pourriez-vous nous faire gagner du temps ? Nous rassemblons nos forces aussi vite que possible. »

Sur ce, il se retourna et alla dans la foule.

Mais au fait, qui était censé être ce type ? J’avais l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Ça ne me revenait pas pour l’instant, mais je comprenais au moins ce qu’il essayait de me dire. Le vice-principal Jenius était au courant de la situation, et il allait me sortir de ce pétrin si je parvenais à gagner suffisamment de temps. C’était agréable d’avoir des gens avec de l’influence de votre côté parfois.

« Hrm. Le garçon prend certainement son temps… », dit Badigadi en me regardant les bras croisés.

« Je ne pense pas qu’il en ait pour longtemps », avais-je répondu.

Pour l’instant, Fitz était parti me chercher mon fidèle bâton Aqua Heartia. À ma demande, Badigadi avait accepté d’attendre qu’il arrive. Je ne m’attendais pas à ce que Fitz prenne autant de temps. La bibliothèque n’était pas très loin de mon dortoir, et j’avais laissé le bâton juste à côté de mon lit avec un drap dessus. Il devrait être assez facile à trouver.

« Hm. Je me suis précipité ici parce que je sais que vous, les humains, êtes toujours pressés, mais tu sembles être assez calme, mon garçon. Je n’en attendais pas moins de quelqu’un qui a intrigué ma fiancée. »

« Votre fiancée… je suppose que vous parlez de, euh… l’Impératrice Kishirika, correct ? »

« En effet », Badigadi acquiesça fermement.

Je n’avais bien sûr pas oublié l’impératrice démoniaque Kishirika Kishirisu. C’était elle qui m’avait donné mon Œil de Démon. Au début, je n’avais pas cru qu’elle était la vraie, et elle était partie si brusquement que j’étais trop abasourdi pour comprendre ce qui s’était passé…

Mais pourquoi son fiancé venait-il me combattre maintenant, après tout ce temps ? Il ne cherchait sûrement pas à épouser Linia ou Pursena.

« Vous savez, Votre Majesté, je n’ai eu qu’une brève conversation avec l’impératrice. Mais elle m’a accordé cet Œil de Démon. »

« Elle n’arrête pas de dire à quel point tu es impressionnant, mon garçon ! Cela fait des années que je ne l’ai pas entendue parler de quelqu’un avec une telle excitation dans la voix. Je suis un homme très tolérant, bien sûr, mais j’admets que j’étais un peu jaloux ! »

Jaloux ? Sérieusement ? Ce n’est pas comme si j’avais fait quelque chose avec elle, non ? Pourquoi serait-il en colère contre moi ? Était-ce à cause de la blague que j’avais faite sur le fait de vouloir coucher avec elle ? Ça n’avait cependant servi à rien. Elle m’avait rejeté parce qu’elle avait un fiancé… qui devait être ce type. C’est ça.

« Je n’ai rien de spécial, je vous assure. Je ne suis rien d’autre qu’un triste et pitoyable vermisseau humain. Je ne vois pas pourquoi un Roi-Démon comme vous serait jaloux de moi… l’Impératrice des Démons a dû exagérer quelque peu », avais-je dit de la voix la plus calme que j’avais pu faire.

Badigadi répondit en éclatant de rire, comme si j’avais fait une blague vraiment hilarante.

« Bwahahahaha ! Ne sois pas modeste, mon garçon ! J’ai entendu parler de cette étonnante réserve de mana que tu as en toi. »

Étonnante était un mot fort. Oui, il devenait évident que j’avais beaucoup plus de mana que la plupart des gens. Mais ce n’était sûrement pas assez impressionnant pour rendre jaloux un véritable Roi-Démon… non ?

***

Partie 4

Maintenant que j’y pense, Kishirika avait également fait un commentaire à ce sujet. Quels étaient ses mots exactement ? Tout ce dont je me souvenais, c’était qu’elle gloussait de rire sans raison apparente…

« Euh… eh bien, oui. Il semblerait que j’ai un peu plus de mana que la plupart des gens. »

« Ahahahaha ! Un peu plus, hein ? Oui, en effet ! »

Badigadi se mit à rugir de rire pendant un certain temps. Au bout d’un moment, il s’était brusquement tu et s’était laissé tomber au sol avec un bruit sourd.

« Assieds-toi, mon garçon. »

J’avais rapidement pris un siège. Badigadi était encore énorme, même assis. J’avais l’impression de parler avec une montagne de muscles. Il était dommage que je n’aie pas eu la chance d’avoir un tel physique.

« On dirait que tu ne comprends pas ce que signifie être appelé “étonnant” par l’impératrice démoniaque Kishirika Kishirisu. »

« … Eh bien, je suppose que non, en effet. »

« Elle m’a dit que tu avais une quantité incroyable de mana, même plus que Laplace. Tu es la première personne à qui elle dit ça. »

Laplace ? Comme… le Laplace ?

Apparemment, j’avais plus de mana qu’un Dieu Démon. Et franchement, ça ne me semblait pas normal. Il est vrai que je n’avais pas manqué de mana depuis très longtemps, mais ce n’était pas comme si mon corps débordait de puissance ou autre.

« Le Dieu Démon Laplace avait l’une des plus grandes réserves de mana de toute l’histoire. En d’autres termes, le tien est aussi l’un des plus grands de tous les temps. »

« Oh, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas possible. »

Malgré mes légères protestations, mon cœur bondissait toujours d’excitation. Après tout, je parlais à un Roi-Démon, quelqu’un avec des siècles d’expérience dans la bataille. C’était presque comme si un athlète professionnel me disait que j’avais du « potentiel » ou quelque chose comme ça.

« Je ne sais pas moi-même ce qu’il en est. Kishirika peut être un peu négligente parfois. Il y a une chance qu’elle t’ait mal jugé. »

L’expression de Badigadi était devenue légèrement aigre en prononçant ces mots. Peut-être se souvenait-il d’une erreur coûteuse commise par sa fiancée dans le passé ? Elle semblait en effet être du genre à faire des erreurs inconsidérées.

« Eh bien, j’admets que j’ai fait un effort pour augmenter ma réserve de mana au fil des ans. Je ne sais par contre pas si j’en ai plus que quiconque dans l’histoire. Cela ne voudrait-il pas dire que n’importe qui pourrait battre le record s’il s’entraînait comme je l’ai fait ? »

« Non. Une telle chose serait normalement impossible. »

Peut-être que cela avait quelque chose à voir avec le fait que j’avais été réincarné d’un autre monde ? Ou peut-être que l’Homme-Dieu avait en quelque sorte « triché » en mon nom sans que je m’en aperçoive…

« Il y a une chose que j’aimerais vous demander, votre Majesté. Si vous le voulez bien. »

« Qu’est-ce que c’est ? N’hésite pas à poser n’importe quelle question. »

« Euh, juste pour être clair, je ne suis pas un laquais de la personne que je vais nommer. Donc j’apprécierais que vous ne m’attaquiez pas soudainement. »

« J’ai déjà accepté d’attendre, mon garçon. Un Roi-Démon ne brise jamais une promesse. »

Vraiment ? Eh bien, c’est bon à savoir. Je vais te prendre au mot sur ce coup-là, d’accord ? Pas de violence, s’il vous plaît…

« Est-ce que le nom d’Homme-Dieu vous dit quelque chose ? »

« … Où as-tu entendu ce nom, mon garçon ? »

« C’est quelqu’un qui apparaît parfois dans mes rêves. »

Repliant ses bras, Badigadi commença à se caresser le menton pensivement.

« Hmm, je vois. Tes rêves, hein ? »

« Savez-vous quelque chose sur lui, votre Majesté ? »

Badigadi s’arrêta un instant, apparemment plongé dans ses pensées, puis secoua la tête.

« Je ne saurais le dire ! Je crois avoir déjà entendu ce nom, mais je ne me souviens pas où ! Cela fait au moins quelques siècles que personne ne m’a parlé de lui. »

« C’est vrai ? Eh bien, je vous remercie quand même. »

Quelques siècles… c’est un peu vague. Je suppose qu’il n’a pas la meilleure mémoire…

« Pas de problème ! Si je m’en souviens, je te le ferai savoir ! Bwahahahahaha ! »

« Je vous en serais reconnaissant. »

« Tu es tellement ennuyeux, mon garçon. Rigole avec moi pour une fois ! Bwahahahaha ! »

Badigadi semblait certainement être un homme qui profitait de la vie. Je n’avais rien dit de particulièrement drôle dans toute cette conversation, mais il ne semblait jamais s’arrêter de rire.

Je m’étais souvenu de la nuit où j’avais rencontré Ruijerd. C’était en riant ensemble que nous avions établi un lien personnel. Peut-être que le rire était une sorte de langage commun ici. Si la personne à qui je parle rit, il était probablement impoli de ne pas répondre de la même manière.

Très bien, alors, faisons ça.

« Bwaaahahahahahahaha ! »

« Bien ! C’est comme ça, mon garçon ! Kishirika disait toujours ceci : on rit d’abord, on réfléchit après ! En y pensant, ne riait-elle pas la dernière fois qu’elle est morte ? ! Bwahahahaha ! »

Badigadi se mit à rire une fois de plus. Malgré son apparence effrayante, il ne semblait pas être un si mauvais garçon.

Pendant que nous riions, le groupe de spectateurs derrière nous commença à faire un peu de chahut. Je m’étais retourné pour voir ce qui se passait. On aurait dit qu’il y avait une sorte d’agitation au milieu de la foule. Je pouvais à peine distinguer le son des voix qui criaient.

« Laissez-moi passer ! Je dois lui donner son bâton ! »

« Arrête ! Si tu le lui donnes, il devra commencer le duel ! »

« Mais si le duel commence quand même ? Tu vas juste rester là et le laisser mourir ?! »

« Ce n’est pas ce que je… »

« Laissez-moi faire ! »

« Ah ! Zanoba ! »

« Zanoba Shirone ? ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi… Aïe ! Aïe, aïe, aïe ! »

Soudainement, Maître Fitz jaillit de la foule et se précipita vers moi à une vitesse féroce. Ce type était vraiment rapide sur ses pieds. Il devait bouger trois fois plus vite que moi. Peut-être devrions-nous le peindre en rouge et lui coller une corne sur la tête…

« Hah… hah… Je suis désolé, Ru… Rudeus. Les professeurs ont essayé de m’arrêter… »

Haletant pour respirer, Fitz s’était arrêté devant moi. Il tenait mon bâton dans ses bras.

« Tu es, euh… un sacré bon coureur, Fitz. »

« Huh… ? Hah… Non. Mes chaussures sont des objets magiques, c’est tout… »

J’avais regardé les bottes que Fitz semblait toujours porter. Je n’avais même pas réalisé qu’elles étaient de nature magique. Sa cape était probablement enchantée aussi, hein ? Il ne l’enlevait jamais, même quand il faisait chaud dehors.

« Sans blague ? Ces lunettes de soleil sont-elles aussi magiques ? »

« Hah… hah… Oh, celles-ci. Oui, elles sont… euh, attends. Désolé, c’est un secret… »

Fitz rit doucement et sourit d’embarras.

Pourquoi ce type devait-il avoir l’air si mignon quand il riait ? Il faisait faire des choses bizarres à mon rythme cardiaque.

« Hah… Bref, voilà. Bonne chance, Rudeus… Mais ne te surmène pas, d’accord ? Si tu réalises que tu ne peux pas gagner, excuse-toi et fuis. Tu es face à un Roi-Démon. Personne ne va te blâmer. Ta vie est plus importante que ta fierté. »

En hochant la tête, j’avais pris l’Aqua Heartia de Fitz. Cela faisait un moment que je n’avais pas livré une vraie bataille avec cette chose dans mes mains. Faisons ce que nous pouvons, partenaire. Si on s’en sort en un seul morceau, je vais rentrer directement chez moi et épouser ma salade d’ananas adorée…

J’avais lancé un drapeau de mort juste pour le plaisir puis j’avais retiré le tissu d’Aqua Heartia. Fitz avait pris une grande respiration de surprise. Une idée malicieuse surgit dans ma tête, et je n’avais pas pu résister.

« … Fitz, jette un coup d’œil à la pierre magique sur mon bâton. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« C’est vraiment gros… »

Oh wôw. Je pense que quelque chose en bas vient de trembler. Qu’est-ce que ça peut être ?

Bon, assez joué.

Badigadi s’était déjà levé et était en train de fléchir joyeusement ses six épaules. Avais-je réussi à gagner assez de temps ? Cela semblait peu probable. Mais je n’avais honnêtement aucune idée de la façon dont j’étais censé lui parler assez longtemps pour que tous les soldats de la ville se rassemblent.

Fitz trotta vers la foule, semblant un peu réticent à me quitter. Personnellement, ça ne m’aurait pas dérangé qu’il reste dans le coin. Un peu de soutien serait bien en ce moment. Sérieusement. De l’aide ? S’il vous plaît ?

« Tu es prêt, mon garçon ? »

« Pour être honnête, je préférerais passer un peu plus de temps à bavarder… »

« Bwahahahaha ! On aura le temps pour ça plus tard ! »

Cela signifie-t-il qu’il n’allait pas me tuer ? Non, il n’était pas prudent de supposer quoi que ce soit. Ce type semblait assez imprudent pour me décapiter accidentellement, en supposant que quelqu’un avec beaucoup de mana pouvait encaisser un coup ou deux.

J’avais envisagé de dire quelque chose. Cela pourrait-il faire mal de lui demander un duel non mortel ?

Badigadi se tenait là nonchalamment, les mains sur les hanches. De ce que je pouvais voir, il n’avait pas l’intention de me charger. Peut-être attendait-il que je lui signale que le combat était engagé. Par mesure de précaution, j’avais activé mon Œil de Prévoyance.

« … Huh ? »

À ma grande surprise, il me montra… rien. Il n’y avait littéralement rien à l’endroit où je savais que Badigadi se trouvait.

« Qu’est-ce qui te fait paraître si étonné, mon garçon ? Ah, je vois. Tu as déjà essayé l’œil de Démon que Kishirika t’a donné, non ? Désolé, mais ces trucs ne fonctionnent pas sur moi. »

Badigadi laissa échapper un grognement de fierté en annonçant cela de manière désinvolte.

Attends, sérieusement ? L’œil du Démon est complètement inutile contre lui ? J’aurais dû m’y attendre de la part d’un Roi Démon… C’était vraiment problématique. Mes chances d’éviter un coup fatal venaient de chuter de façon spectaculaire. Je n’avais rien de spécial, physiquement parlant. S’il me frappait au mauvais endroit, ça pouvait être la fin pour moi.

« Votre Majesté… »

« Appelle-moi Badi. Je permets à ceux qui rient quand je le leur demande de m’appeler par ce nom. »

« Roi Badi, alors. J’ai une proposition à vous faire. »

« Quelle sorte de proposition ? »

« Je voudrais vous demander d’épargner ma vie, même si je perds ce duel. »

Badigadi éclata de rire une fois de plus.

« Bwahahahaha ! Tu supplies pour ta vie avant même que nous ayons commencé ? Tu ne cesseras jamais de m’amuser ! »

« Eh bien, une vie est une chose tragique à gaspiller, ne le croyez-vous pas ? », avais-je dit.

« Ah, oui. Vous, les humains, vous mourez si vite ! J’ai entendu dire que beaucoup d’entre vous le pensaient ! Mais pourquoi es-tu si sûr de perdre ? On pourrait penser qu’une telle masse de mana donnerait à un homme une certaine confiance », répondit le Roi Démon avec un gloussement.

« J’ai failli être tué par quelqu’un appelé le Dieu Dragon il n’y a pas si longtemps. Cela a probablement quelque chose à voir avec ça. »

Le rire de Badigadi s’arrêta brusquement.

***

Partie 5

« Le Dieu Dragon ? Tu veux dire Orsted ? Tu l’as combattu et tu as survécu ? »

« Oui, d’un rien. S’il ne m’avait pas épargné sur un coup de tête, je ne serais pas là aujourd’hui. »

Le visage du Roi-Démon devint soudainement très sérieux. C’était loin d’être idéal. J’avais baissé ma garde quand il n’avait pas réagi au nom de l’Homme-Dieu. Et si Orsted était celui que je n’aurais pas dû mentionner ? En parlant d’imprudence…

« Dis-moi, mon garçon. As-tu été capable de blesser le Dieu Dragon dans ce combat, même légèrement ? »

« Hein ? Oui, je crois. J’ai réussi à arracher un peu de peau de la paume de sa main. Mais c’est tout. »

Badigadi ferma sa bouche hermétiquement et me regarda férocement. L’effet était légèrement intimidant.

Allez, pourquoi ne pas recommencer à rire ? Bwahahaha…

« Dans ce cas, j’aimerais te faire une demande personnelle. »

« O-Oh vraiment ? Qu’est-ce que c’est ? », avais-je dit aussi humblement que possible, en observant l’expression de Badigadi.

« Tu as droit à un seul essai. »

« … »

« Frappe-moi avec ta magie la plus puissante. Je te donne une chance, pas plus. Utilise donc le sort qui a blessé le Dieu Dragon. S’il parvient à percer mon aura de combat et à me blesser, alors tu as gagné. Si je suis indemne, alors je gagne. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Ooh. Ça me semble bien ! Je n’aurais vraiment pas pu demander une meilleure offre. Je n’aurais même pas à me faire frapper au visage.

« Euh, bien sûr, mais n’est-ce pas un peu unilatéral ? »

« Unilatéral ? Unilatéral, tu dis ? Hm, c’est vrai ! Très bien alors. Si tu n’arrives pas à m’écorcher avec ta magie, alors je te frapperai avec une contre-attaque. Ce sera un seul coup, pas plus ! »

Merde. Je viens de creuser ma propre tombe.

Une seule attaque de ce monstre serait probablement suffisante pour pulvériser mon cœur. Je devrais probablement arrêter de parler maintenant avant de réussir à la creuser encore plus profondément.

« Je comprends. Faisons donc comme convenu. »

« Très bien ! »

Donc, j’avais tenu Aqua Heartia en avant et j’avais commencé à me concentrer.

« Whooo… »

J’avais pris une longue et profonde inspiration, et j’avais commencé à rassembler autant de puissance magique que je pouvais dans mon bâton. Je lançais le Canon de pierre, un des sorts qui m’était le plus familier. Mais j’avais fait en sorte que ce projectile soit beaucoup plus dur que celui que j’avais lancé sur Orsted. À l’époque, j’avais lancé ce sort rapidement, par pur désespoir. Je n’avais pas tenu mon bâton, et je n’avais utilisé qu’une seule main. Cette fois, il n’y avait aucune situation d’urgence. Une fois que j’aurais rassemblé assez de mana, je devrais être capable de rendre mon sort plusieurs fois plus puissant.

Projectile : Solide et incroyablement dur.

La création de la « balle » n’était pas fondamentalement différente de celle d’une figurine. Mais je m’étais entièrement concentré sur sa dureté, en ignorant des propriétés comme la solidité et la résilience. Je l’avais façonnée comme un fuseau, effilé jusqu’à une pointe fine, et j’avais ajouté un motif de rainures.

Modifications : Rotation rapide.

Plus ça tournait vite, mieux c’était. Je m’étais concentré jusqu’à ce que ma balle ne soit plus qu’un éclair. Je n’avais aucune idée du nombre de rotations par seconde que je regardais.

Vélocité : Maximum.

C’était la partie la plus critique, j’y avais donc consacré autant de mana que possible. Je n’avais jamais utilisé autant de mana pour un seul Canon de Pierre auparavant. Vu le temps de préparation, cette version du sort ne serait pas très utile en combat réel… et pour la plupart des monstres, ce serait probablement excessif. Mais cet homme était un Roi Démon. Il pourrait très bien se contenter de l’ignorer. Au moins, j’espérais pouvoir lui faire une égratignure. Je ne voulais vraiment pas que ces bras massifs me frappent au visage.

« Très bien. C’est parti. »

« Excellent ! Attaque-moi ! »

J’avais lancé le sort.

Ma balle fendit l’air avec un gémissement aigu. Il n’y avait pas de recul. Pour une raison quelconque, il n’y en avait jamais avec la magie. Mais cela ne rendait pas son pouvoir moins réel.

La pierre frappa Badigadi avec une énorme détonation. Toute la partie supérieure de son corps fut pulvérisée, ses six bras se désintégrèrent instantanément. Sa moitié inférieure, toujours intacte, s’était envolée à des dizaines de mètres en arrière et avait atterri mollement sur le sol.

« … Hein ? »

Ce qui restait de Badigadi n’avait même pas tremblé. Je m’attendais à ce que mon attaque… rebondisse sur lui avec un « twang » ou quelque chose comme ça. Mais qu’est-ce que c’est ?

Lentement, avec crainte, je m’étais approché afin de regarder le corps de Badigadi. Pour je ne sais quelle raison la partie intacte de son corps ne saignait pas. Était-ce comme ça que fonctionnait un Roi Démon ? Vu à quel point il riait, je pensais qu’il n’avait pas besoin de larmes… Mais peut-être qu’il n’y avait pas de liquide dans son corps.

« … Hein ? »

Attends, vraiment ? Ce n’est pas possible…

Était-il mort ?

Je ne comprenais toujours pas ce qui venait de se passer. Lorsque je m’étais retourné, j’avais trouvé la foule de spectateurs qui me fixait dans un silence total. Leurs regards me faisaient froid dans le dos. Personne ne bougeait.

J’avais avalé par réflexe. Le son que faisait ma gorge semblait étrangement fort. L’avais-je vraiment tué ?

Ce n’est pas possible. Il semblait si confiant. Hein ? Il a dit qu’il était immortel, non ? Il m’a demandé que je lui envoie ma magie la plus puissante ! Il n’avait pas l’air inquiet du tout ! C’est quoi ce bordel ?!

J’avais besoin de me calmer. Et m’assurer que je comprenais exactement ce que j’avais fait.

Lentement, avec crainte, je m’étais retourné pour regarder Badigadi une fois de plus.

« Bwahahahaha ! Je suis ressuscité ! »

J’avais failli tirer un autre canon de pierre immédiatement.

Badigadi se tenait juste devant moi, vivant à nouveau… et deux fois moins grand qu’avant. Il faisait à peu près ma taille, mais sa tête n’était pas plus petite qu’avant. L’effet était un peu bizarre. Mais ce n’était pas vraiment important pour le moment.

« Oh. Vous êtes vivant… »

C’était vraiment un soulagement. Je m’étais convaincu que j’avais tué un homme sans le vouloir. Heureusement que je n’étais pas face à un être humain normal.

« Bwahahaha ! Je pensais que j’étais fichu, mon garçon ! En tout cas, maintenant tout s’explique. Il était sage de ta part d’éviter une vraie bataille. Si nous nous étions battus pour de bon, toute cette zone aurait été réduite à un terrain vague ! »

Badigadi laissa échapper un éclat de rire soutenu. Je suppose qu’il avait trouvé l’idée amusante.

Au cours des instants suivants, ses six bras étaient venus vers lui en rampant à travers la terre et avaient rejoint son corps. Il grandit de plus en plus, mais il n’était pas encore tout à fait revenu à la normale.

« Tu m’as vraiment envoyé voler sur une bonne distance, mon garçon. On dirait que ça va prendre du temps avant que je ne redevienne comme avant ! »

Badigadi semblait inexplicablement excité à ce sujet.

« Tu as gagné, Rudeus ! Sens-toi libre de t’appeler héros ! », continua-t-il joyeusement.

« Je ne pense pas que je le ferai, mais merci quand même. »

« Donne au moins à la foule un cri de victoire, alors ! Bwahahaha ! »

Badigadi saisit ma main droite, qui tenait toujours mon bâton, et l’avait tirée en l’air comme un arbitre annonçant le vainqueur d’un match de boxe.

« Euh… »

Eh bien, peu importe. S’il dit que j’ai gagné, alors je suppose que ce soit vraiment le cas.

« J’ai gagnéééééééé ! »

Les spectateurs répondirent à mon cri par un silence total. Pour une raison quelconque, personne n’avait fait de bruit.

Après un long moment, Badigadi hocha la tête à lui-même.

« Ils ne sont pas très amusants, hein ? Bon, très bien alors. Il est temps pour toi d’encaisser mon coup de poing. »

« Quoi ? ! Ce n’était pas le marché ! »

Avant que je puisse objecter, il m’avait frappé directement au visage. Avec trois poings en même temps.

Il tenait toujours mon bras, bien sûr, je n’avais donc aucune chance de me défendre. Le coup me rendit inconscient.

Espèce de… gros menteur…

◇ ◇ ◇

Après cela, Badigadi était apparemment parti quelque part avec le gars à la perruque, un bel homme d’âge moyen en armure et un vieux monsieur en robe. On dirait que les gros bonnets avaient des choses à discuter en privé.

Quant à moi, j’étais resté allongé à l’infirmerie pendant un moment avant de reprendre connaissance. Une fois que j’avais repris connaissance, le vice-principal Jenius m’avait emmené dans une salle du bâtiment des enseignants et m’avait offert du thé et des collations pendant que je récupérais.

Il n’avait pas grand-chose à me dire. On aurait dit qu’il ne comprenait pas très bien lui-même ce qui se passait. Le Roi Démon était apparu de nulle part, avait déambulé en assommant aussi bien des étudiants que des hommes-bêtes, m’avait provoqué en duel, m’avait permis de revendiquer la victoire, puis m’avait assommé. C’était tout ce que nous avions comme matière à discussion, et ce n’était pas assez pour comprendre la situation. Pourtant, il semblerait qu’aucune personne assommée par Badigadi n’avait succombé à ses blessures. Il était supposé être un homme pacifique par nature, c’était donc probablement logique.

Un certain nombre de personnes très importantes essayaient de comprendre ses objectifs pendant que nous parlions. Le type avec la perruque était en fait le directeur de cette école. Il m’avait fallu une minute pour me rappeler qu’il s’appelait Georg, magicien du vent de niveau Roi. Je l’avais déjà vu une fois, lors de la cérémonie d’entrée. Le chef de la guilde de magie et le capitaine des chevaliers de la nation magique stationnés dans cette ville s’étaient joints à lui dans ses discussions avec Badigadi.

« Mais je dois dire, Rudeus, que c’était un effort vraiment remarquable. Tu as terrassé un Roi Démon d’un seul coup préventif, et il t’a même reconnu comme vainqueur ! Le directeur pensait qu’un aventurier solitaire comme toi ne pouvait que nous faire gagner un peu de temps… mais personne ne pouvait s’attendre à ça ! Tu m’as fait vibrer, chose qui ne m’était plus arrivée depuis des années ! »

Il y avait une véritable excitation dans la voix du vice-principal. On aurait dit que la foule n’avait pas entendu ma discussion avec Badigadi avant le début du duel. Rien de tout cela n’était impressionnant si l’on considérait qu’il m’avait laissé tirer le premier coup et que je n’avais jamais vraiment été en danger.

Jenius m’avait flatté un peu plus longtemps avant de me laisser partir. Il m’avait dit de rester dans mon dortoir jusqu’à ce que tout soit réglé.

***

Partie 6

Au moment où je quittais le bâtiment des enseignants, Zanoba était venu à ma rencontre en courant.

« Ah, te voilà, Maître ! J’ai vu chaque seconde de ton duel. C’était vraiment impressionnant ! Mais je suppose que j’aurais dû m’attendre à ce que tu triomphes. »

J’avais secoué la tête.

« Il m’a juste laissé m’entraîner avec lui, c’est tout. »

Il était vrai que mon sort avait traversé son aura. Mais il n’avait même pas essayé de s’y soustraire ou de se défendre. Et étant donné qu’il pouvait se régénérer complètement lorsqu’il était vaincu, je n’aurais probablement pas pu le battre dans une vraie bataille.

« Tu es bien trop modeste ! Je peux t’assurer que se battre à armes égales avec un Roi-Démon est assez impressionnant. », dit Zanoba en riant.

J’avais ensuite jeté un coup d’œil à Julie, elle avait l’air encore plus effrayée que d’habitude. Je suppose que le spectacle avait été assez horrible, même à distance. J’espère que je ne l’avais pas marquée à vie.

Sur le chemin du retour vers mon dortoir, j’avais croisé Cliff et une Elinalise à l’air très heureuse.

« Bonjour, Rudeus. C’était quoi toute cette agitation tout à l’heure ? »

« Euh, qu’est-ce que vous avez fait ces dernières heures ? »

« Oh, tu sais… une certaine sorte de chose. Hehehehehe. »

Cliff rougissait tandis qu’Elinalise gloussait.

« Tu n’as pas besoin de lui dire ! »

On dirait que ces deux-là s’étaient amusés comme des adultes pendant toute la durée de l’attaque du Roi-Démon contre l’université. Je suppose que cela était mieux ainsi.

« Le Roi-Démon Badigadi est apparu de nulle part et m’a provoqué en duel. J’ai réussi à gagner. »

« Hein ? Il est déjà là ? », dit Elinalise, l’air légèrement surpris.

Déjà ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

« Savais-tu qu’il allait venir, Elinalise ? »

« Oui, je le savais. Mais il restait avec la tribu des Ogres… il a dit qu’il y resterait un certain temps, et que je devrais y aller seule. Les démons comme lui ont tendance à ne pas prêter attention au temps qui passe. Je pensais qu’il resterait là pour encore une dizaine d’années au moins, et ça fait seulement deux ans qu’on s’est quittés… »

Vous seriez probablement assez négligent avec le temps après avoir vécu pendant quelques milliers d’années, non ? Je sais que les années glissent bien plus vite après avoir passé la trentaine dans ma vie précédente… bien que ce ne soit pas exactement comparable.

« En tout cas, ce n’est pas un mauvais homme, hein ? »

J’avais hoché la tête.

« Effectivement, il a l’air d’être un type bien. »

Il était probablement mieux que la plupart des membres de la royauté. Sa personnalité joyeuse était plutôt attachante. Il n’avait pas tenu sa promesse, mais il semblait normal de riposter quand quelqu’un vous faisait sauter la tête.

« Euh, de quoi vous parlez tous les deux ? »

« Oh mon dieu. Tu es jaloux, mon cher Cliffy ? Ne t’inquiète pas ! Je t’appartiens maintenant, corps et âme. »

« Ce n’est pas le p — Gah, arrête de t’accrocher à moi. Rudeus regarde… »

« Montrons-lui alors une chose ou deux… »

Les deux avaient commencé à s’embrasser, j’avais alors haussé les épaules et j’étais parti. En tournant au coin, j’avais entendu Cliff protester :

« Mais un Roi-Démon ne se pointerait pas ici comme ça ! »

Ouais. C’est ce que je pensais aussi, mon pote.

Maître Fitz m’attendait à l’entrée de mon dortoir.

Quand il m’aperçut, il prit une expression que je n’avais pas pu déchiffrer. Était-ce de l’excitation, peut-être ? Ses joues étaient un peu rouges, et ses mains étaient serrées. On aurait presque dit qu’il était trop excité pour mettre des mots sur ses pensées.

« Tu es… Tu es vraiment fort, Rudeus ! »

Wôw. Pas très éloquent aujourd’hui, hein ?

« Je n’aurais jamais pensé que tu l’aurais mis à terre en un seul coup comme ça ! »

« Eh bien, on s’était mis d’accord pour que je puisse lui lancer une attaque gratuite, et que sa puissance détermine le vainqueur. J’ai donc utilisé le sort le plus puissant que je possède. »

« Le sort le plus fort ? Mais c’est le même que celui que tu as utilisé sur moi lors de ton test, non ? Était-ce une meilleure version ? »

« Oui, c’était bien le Canon de pierre. Je l’ai juste chargé autant que j’ai pu. »

« Donc même un sort intermédiaire peut être aussi puissant si tu le maîtrises parfaitement, hein… ? »

Avec un bourdonnement admiratif, Fitz s’était tourné sur le côté et avait conjuré une balle de pierre rotative de sa propre initiative. Après un moment, il la tira. Celle-ci siffla dans l’air et perça le sol à une certaine distance.

« Eh bien, je ne suis pas sûr de pouvoir m’appeler un vrai maître. »

« N’utilises-tu pas surtout la magie de Terre ? »

« Je suppose que oui. Pendant un certain temps, je me suis appuyé sur les sorts d’eau, mais il y a quelques années, je suis passé à l’utilisation de la Terre presque exclusivement. »

« Je le savais ! On devient vraiment meilleur dans une discipline quand on l’utilise encore et encore, non ? »

Était-ce réellement possible ? Je suppose que cela pouvait au moins paraître plausible. J’avais vraiment l’impression de m’améliorer de plus en plus dans la fabrication de figurines.

« … Je suppose que oui. Je pense que je deviens au moins un peu plus précis. »

« Tu peux donc aussi utiliser plus de mana quand tu t’y mets ! »

« Oui, c’est sûr. Faire ces figurines demande beaucoup d’énergie. »

Fitz semblait vraiment apprécier cette conversation. En y réfléchissant, nous n’avions pas discuté de magie comme ça très souvent.

« Oh, je suis désolé de t’avoir tenu la jambe comme ça. Tu dois être fatigué, non ? Je ne voulais pas te retarder. Va te reposer. »

« Euh, d’accord. Merci. »

Sur ce, Fitz était parti et trottina vers les bâtiments de l’école. J’avais envie de poursuivre la conversation, mais il était probablement occupé. À la suite de cet incident, le conseil des élèves allait avoir beaucoup à faire.

J’étais enfin de retour dans ma chambre. J’avais posé mon bâton contre le mur. La journée avait été très longue, avec le Roi Démon et tout le reste. La fatigue physique et mentale m’avait envahi dès que j’avais jeté un coup d’œil à mon lit.

Je m’étais allongé et m’étais détendu.

◇ ◇ ◇

Le mois suivant s’était déroulé sans encombre. Après de minutieuses négociations, les trois membres des Nations Magiques avaient décidé de reconnaître Badigadi comme un invité d’état officiel pour la durée de son séjour dans leurs pays. Badigadi, pour sa part, s’était excusé pour les ennuis qu’il avait causés en offrant un de ses bras à la Guilde de Magie afin qu’ils puissent étudier son immortalité. Il avait également accepté de servir temporairement d’instructeur d’arts martiaux aux chevaliers stationnés à Sharia.

Mais ce n’était pas tout…

Lors de la séance suivante, mes deux subordonnées à fourrure étaient de nouveau assises à leur place. Badigadi s’était occupé de tous leurs prétendants, s’aventurer à nouveau en classe était donc apparemment redevenu sans danger pour elles.

« Tu es l’homme de la situation, patron ! Merci encore, miau. On te donnera bientôt quelque chose pour le dérangement ! »

« Je ne m’attendais cependant pas à ce qu’un Roi Démon se montre. On est trop sexy pour notre propre bien, hein ? Bien joué pour notre protection. Je te donne la permission de presser les seins de Linia. »

« J’apprécie. »

Puisque j’avais l’autorisation, je fonçais dedans.

« Myaaaaa ! »

Linia répondit en me griffant le visage.

Qu’est-il arrivé à ma permission, hein ? Qu’est-ce qui est arrivé au fait de me donner quelque chose pour ma peine ? C’est parfaitement atroce.

« Tu es toujours si… intrépide avec les femmes, Maître. Et pourtant, tu ne sembles jamais les poursuivre sérieusement… », dit Zanoba pensivement.

« Hé ! Arrête, Zanoba ! Tu te souviens de son état, non ? », dit Cliff en sifflant.

« … Ah oui, bien sûr. Toutes mes excuses. »

Ces derniers temps, Cliff était assis plus près de nous. On aurait dit qu’Elinalise lui avait dit des choses sur moi, ici et là. Je ne savais pas exactement ce qu’elle disait, mais ça ne devait pas être si grave, puisque Cliff était beaucoup plus sympathique maintenant.

D’ailleurs, tout le monde semblait supposer qu’Éris m’avait largué à cause de mon état. Ce n’était pas comme si ceci avait de l’importance. J’avais déjà tout oublié d’elle. Vraiment !

Dans un autre registre, Cliff et Elinalise ne s’embrassaient plus autant en public ces derniers temps. Ils n’avaient pas l’air d’avoir rompu pour autant. Tous les deux jours, je remarquais Cliff titubant dans le campus comme un zombie. Elinalise le gardait manifestement très occupé la nuit. Ils avaient probablement conclu un accord pour limiter les démonstrations publiques d’affection.

Mais tout cet amusement n’allait-il pas causer des problèmes à Cliff dans ses études ? Je n’allais bien sûr pas m’en mêler. C’était sa vie, et il pouvait la vivre comme il voulait. Au contraire, j’étais un peu jaloux. Juste un peu.

« … Grand-Maître, je n’ai pas assez de mana pour durcir cette partie. Pouvez-vous le faire pour moi ? »

Julie travaillait assidûment sur ses figurines, jour et nuit. J’avais commencé à lui donner des cours pour apprendre à les fabriquer à la main, parallèlement à nos leçons sur la méthode magique. Mais ce n’était pas ma spécialité, alors nous avions reçu l’aide d’un nain de la même année que Zanoba.

Quant au Roi Démon Badigadi… Je n’avais encore qu’une très vague idée de la situation. Il avait dit qu’il était venu jusqu’ici parce qu’il était jaloux de moi. Cela signifiait-il que je serais tenu partiellement responsable de tous les dommages qu’il avait causés ? Je voulais penser que Jenius ne voulait pas de ça. Après tout, c’est lui qui m’avait recruté.

Le bruit de la porte de la salle de classe qui s’était ouverte fit dérailler le cours de mes pensées. À l’exception de Silent, tous les étudiants spéciaux étaient déjà à leur place. Et il était trop tôt pour que le professeur arrive. Est-ce que Silent allait pour une fois se montrer ?

« Bwahahahahahaha ! »

Un rire retentissant résonna dans la classe. Un instant plus tard, il était entré à grands pas.

Sans la moindre hésitation, il s’était dirigé vers l’estrade et nous regarda d’en haut comme un empereur surveillant son domaine.

« Regardez ! C’est moi, Badigadi, l’immortel Roi Démon ! »

Est-ce que c’est sérieux ? Est-ce qu’il porte sérieusement… un uniforme d’école ? !

Le Roi Démon Badigadi s’était officiellement inscrit à l’Université de Magie de Ranoa afin de leur faire de la promotion. Il n’étudiait pas grand-chose, bien sûr, mais il avait l’habitude d’assister aux cours et de parler aux étudiants qui attiraient son attention… ce qui les amenait généralement à fuir désespérément pour trouver de l’aide. Ceux qui étaient assez courageux pour rester dans le coin étaient censés être récompensés par des extraits de ses vastes réserves de connaissances, mais ils étaient rares.

Cependant, d’une manière ou d’une autre, les choses s’étaient terminées de manière relativement pacifique.

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