Mushoku Tensei (LN) – Tome 9 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : Le secret du prodige

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Chapitre 1 : Le secret du prodige

Partie 1

Cliff Grimoire, petit-fils du pape régnant de l’église de Millis, était un jeune homme très doué, et plus particulièrement pour la magie. Malheureusement, Cliff était aussi colérique, égoïste et très vaniteux. En conséquence, il n’avait aucun ami. Cliff avait seize ans à l’heure actuelle. En d’autres termes, il avait atteint sa majorité il y a un peu plus d’un an. Pourtant personne n’avait célébré cette étape importante avec lui.

Néanmoins, le jeune homme n’était pas dépourvu de qualité. Malgré toutes ses vantardises, il travaillait très dur pour réussir, et ne s’appuyait pas uniquement sur ses talents naturels. Certains, au moins, l’avaient remarqué et l’avaient respecté pour cela.

Cliff était venu à l’Université de Magie de Ranoa pour une simple raison : il s’était retrouvé mêlé à une vilaine lutte de pouvoir chez lui. Suite à la tentative d’assassinat d’un Enfant béni près de la ville de Millishion il y a plusieurs années, un conflit interne au sein de l’Église de Millis s’était intensifié et était devenu de plus en plus violent. Le grand-père de Cliff, qui se trouvait être le pape, l’avait envoyé à l’autre bout du monde pour sa propre sécurité.

Cliff se souvenait parfaitement des mots d’adieu de son grand-père : « Tu as le potentiel pour devenir un jour un grand homme, Cliff. Ne te laisse pas aller à l’autosatisfaction; connais tes défauts et travaille dessus. »

Le jeune homme savait qu’on attendait beaucoup de lui. Et à l’époque, il trouvait cela assez raisonnable. C’était après tout un prodige. Il n’était peut-être pas aussi talentueux que la brillante jeune épéiste Éris, qu’il avait vue vaincre un groupe d’assassins entraînés en un clin d’œil, mais il restait tout de même un prodige. Il avait toujours pensé qu’il possédait des dons particuliers.

Le Royaume de Ranoa, que Cliff avait atteint après un long et difficile voyage, s’était avéré être une terre rude. La nourriture ne lui convenait pas, le climat était rigoureux, et beaucoup d’habitants se comportaient d’une manière qu’il trouvait étrange et rebutante.

Pourtant, il était persuadé que son simple talent lui permettrait de relever tous les défis. Il était un étudiant spécial, le petit-fils du pape et l’homme qui, un jour, prendrait en charge l’ensemble de l’église de Millis, cela signifiait sûrement qu’il était au-dessus du lot.

Cependant, et à sa plus grande surprise, il avait été embarrassé deux fois au cours de sa première année à l’Université.

La première humiliation était venue des mains d’un jeune homme nommé Zanoba Shirone. Zanoba était un enfant béni, doté de certains dons divins à la naissance. Il est vrai que c’était un individu quelque peu instable, mais sa force physique était réellement étonnante. Cliff avait vu un jour Zanoba saisir un homme trois fois plus lourd que lui par la tête, le soulever du sol et le jeter sans effort sur le côté.

Malgré ses capacités redoutables, Zanoba s’était inscrit à l’Université de la Magie, où il étudiait la magie comme tous les autres. Selon les normes de Cliff, ses progrès étaient terriblement lents, mais ce n’était pas comme si un enfant béni avait besoin de magie. En fait, certains érudits avaient théorisé que la magie avait été développée par les anciens comme un moyen d’aider les gens ordinaires à imiter les pouvoirs divins. Et, bien sûr, un enfant béni était une manifestation humaine de ces mêmes pouvoirs. Il n’y avait guère de raison pour qu’un élu de Dieu s’amuse à jeter des sorts.

Finalement, Cliff s’était approché de Zanoba et l’avait pressé de s’expliquer.

« Pourquoi te donnes-tu la peine d’apprendre la magie, Zanoba ? »

« C’est assez simple. Je poursuis un objectif qui représente tout pour moi. », avait répondu le jeune homme.

En fouillant dans une boîte qu’il portait sur lui, Zanoba récupéra une figurine… dont il s’était ensuite mis à parler longuement. La majorité de ce monologue ne signifiait rien pour Cliff, mais il était clair que Zanoba ne faisait que des éloges pour la qualité de la conception et de la fabrication de la petite figurine.

« Je souhaite devenir l’apprenti de l’homme qui a fabriqué cette figurine et répandre des figurines aussi merveilleuses à travers le monde. Pour cela, je dois apprendre à fabriquer moi-même des figurines ! Avant de retrouver mon maître, je dois maîtriser au moins les sorts de base nécessaires à cette fin. Sinon, j’aurais trop honte quand je lui ferai face ! Et bien sûr, j’ai quelques figurines que je meurs d’envie de créer de mes deux mains. »

L’homme avait un rêve. C’était quelque chose que Cliff n’avait pas lui-même. Il avait renoncé à son propre rêve il y a quelque temps. Vu sa position dans le monde, il n’avait pas d’autre choix que de le faire. Pourtant… Zanoba, lui aussi, était une personne d’une certaine importance. En tant qu’enfant béni, il portait sur ses épaules les espoirs de ses compatriotes. Une fois rentré à Shirone, il n’aurait sûrement pas la possibilité de choisir son propre chemin dans la vie. Et pourtant, il s’accrochait toujours à ce mince espoir, prévoyant la possibilité qu’un jour, il puisse être libre. Si jamais il en avait l’occasion, il n’hésiterait pas à choisir son propre destin.

Telles étaient en tout cas les impressions de Cliff. Elles étaient basées sur des hypothèses qui n’étaient pas tout à fait exactes. Il ne savait rien des événements qui s’étaient déroulés à Shirone, ni de la position actuelle de Zanoba. Pourtant, son interprétation lui avait laissé une profonde impression. Il s’était surpris à regarder Zanoba avec un réel respect, voire de l’admiration.

« Qui est ce “maître” dont tu parles sans cesse ? »

« C’est un magicien connu sous le nom de Rudeus Greyrat. »

Cliff n’arrivait pas à trouver ses mots. Rudeus Greyrat. C’était un nom qu’il avait rangé dans un coin sombre de son esprit, depuis le jour où Éris l’avait rejeté. Il ne s’attendait pas à l’entendre à nouveau dans cet endroit, prononcé par un homme qu’il venait juste de commencer à respecter.

C’était un coup dur pour son ego.

La deuxième humiliation de Cliff fut donnée par les mains de deux étudiantes plus âgées.

Comme on pouvait s’y attendre, Cliff se considérait comme le mage le plus puissant inscrit à l’université. Il y avait bien sûr beaucoup de gens qui pouvaient l’écraser dans un combat rapproché, mais il se pensait au moins clairement supérieur en tant que magicien. Il était un véritable prodige, alors que les autres n’étaient que des étudiants. Même les professeurs n’étaient souvent pas à la hauteur de ses compétences. En bref, il se pensait essentiellement invincible.

Il n’avait fallu que deux mois pour qu’il soit brutalement ramené sur terre. Sa défaite était venue des mains de deux filles bêtes, réputées pour être parmi les étudiants les plus forts de l’université. Elles s’appelaient Linia et Pursena.

Il était difficile de dire ce qui avait exactement provoqué la bagarre. Cliff était un jeune homme à la langue bien pendue, et il leur avait parlé avec une arrogance non dissimulée. Linia et Pursena étaient moins agressives qu’auparavant, mais elles n’étaient pas prêtes à laisser un jeune homme arrogant de première année les rabaisser. Cliff ne se souvenait même pas exactement de ce qu’il avait dit pour les mettre en colère. Mais il se souvenait très bien du combat lui-même. Il avait tenté de lancer un sort avancé, mais Pursena avait rapidement lancé une magie de niveau débutant, interrompant son incantation et limitant ses mouvements. Linia s’était alors rapprochée de lui et l’avait battu à plate couture.

À la suite de cette défaite très publique, Cliff s’était retiré dans sa chambre pour pleurer dans la solitude. Il s’était dit que ce n’était pas un combat juste. Il était après tout en infériorité numérique. Il n’avait pas vraiment perdu.

Mais quelques jours plus tard, il apprit qu’un autre élève, Fitz, avait battu Linia et Pursena en un instant. Cette nouvelle fut un véritable choc.

Il y avait toujours quelqu’un de meilleur. Aussi évident que cela puisse paraître, Cliff n’avait jamais appris cette leçon personnellement jusqu’à présent. Le fait qu’il connaisse tant de magie avancée ne le rendait pas puissant au combat. Ça aussi, c’était quelque chose qu’il venait juste de commencer à comprendre.

Cliff avait pris tout cela très mal. Pourtant, depuis ce jour, il redoubla d’efforts pour s’améliorer. Il était trop fier pour apprendre de ses professeurs, et encore moins des autres élèves. Au lieu de cela, il essaya de trouver ses propres moyens pour affiner son art. Ce fut une lutte acharnée, mais il persévéra, cherchant avec acharnement à éliminer ses faiblesses.

Le temps passa, et il était entré dans sa deuxième année à l’université… et il reçut assez rapidement deux nouveaux chocs.

Le premier choc fut l’inscription de Rudeus Greyrat.

Le garçon portait une robe grise délabrée, et l’incertitude sur son visage trahissait un manque de confiance. Il était servile et soumis à tous ceux qu’il rencontrait, se rabaissant dès qu’il en avait l’occasion. Il lorgnait aussi régulièrement sur toutes les femmes du voisinage. Il n’y avait rien de viril ou d’attirant chez lui.

En d’autres termes, il était pratiquement l’opposé de ce que Cliff avait imaginé lorsqu’il avait entendu Éris et Zanoba parler de « Rudeus ».

Était-ce vraiment lui ? Pourrait-il s’agir de quelqu’un d’autre portant le même nom ? Cela semblait être une possibilité légitime.

Mais Zanoba reconnut Rudeus comme son « maître », et le garçon connaissait aussi Éris. Cliff en avait donc conclu qu’il ne pouvait être qu’un imposteur. D’une manière ou d’une autre, il avait trompé à la fois Zanoba et Éris avec un paquet de mensonges et quelques astuces sournoises.

Les preuves semblent confirmer cette théorie. Lorsqu’il avait été mis au défi par Linia et Pursena, le garçon s’était immédiatement plié en quatre pour éviter un conflit. S’il était un magicien vraiment puissant, il n’aurait sûrement pas hésité à les remettre à leur place.

En conclusion, Cliff pensait que Rudeus serait rapidement démasqué comme l’imposteur qu’il était. Linia et Pursena étaient des combattantes redoutables, et Zanoba était un jeune homme diligent qui disposait de pouvoirs divins. Dans un tel environnement, le bluff et la ruse avaient leurs limites. Des rumeurs circulaient selon lesquelles Rudeus avait vaincu Fitz. Mais il s’agissait vraisemblablement soit d’un malentendu, soit d’un mensonge que Rudeus lui-même répandait. S’il avait vraiment gagné, il avait dû recourir à une ruse sournoise. Cliff en était convaincu.

Cependant, Rudeus avait rapidement démontré que ses compétences étaient réelles. Il pouvait lancer de la magie librement sans avoir besoin d’incantations. En un rien de temps, il avait fait de Linia et Pursena ses fidèles subordonnés et avait gagné l’admiration de Zanoba. Même Fitz semblait reconnaître ses compétences : on les vit assez vite étudier ensemble à la bibliothèque tous les deux jours. Et malgré les capacités évidentes de Rudeus, Cliff l’avait même vu assister à des cours — des cours sur les sorts élémentaires de Divinité et de Barrière. Il n’avait pas vraiment besoin d’apprendre une magie aussi basique, mais il semblait avoir une soif innée de connaissances en tout genre.

Rudeus Greyrat était tout aussi diligent que Cliff, et considérablement plus talentueux. Plus important encore, ses réalisations actuelles étaient bien plus impressionnantes.

Cela aurait normalement été très douloureux à admettre pour Cliff. Mais pour une raison inconnue, il s’était trouvé facilement capable d’accepter les faits. Peut-être était-ce parce qu’il avait déjà rencontré Zanoba, et perdu contre Linia et Pursena. Il pouvait admettre, du moins pour lui-même, que ce Rudeus était destiné à de plus grandes choses que lui.

Évidemment, cela ne voulait pas dire qu’il aimait le garçon. C’était une tout autre histoire.

Le choc suivant et final fut d’une nature quelque peu différente.

Il frappa Cliff sans prévenir un soir, alors qu’il rentrait dans son dortoir et qu’il regardait vers le haut.

Il se retrouva à contempler une déesse. Elle était appuyée sur le rebord d’une fenêtre avec une expression apathique, laissant sa luxuriante chevelure dorée voler au gré de la brise. Le soleil couchant jetait une lueur rouge sur son visage aux formes harmonieuses.

Cliff fut instantanément conquis. Il tomba amoureux au premier regard. Il avait toujours été attiré par ce genre de beauté. À l’époque de son enfance, lorsqu’il rêvait de vivre comme un aventurier, il s’était également imaginé épouser une femme magnifique. En fait, une jolie jeune guérisseuse qui rendait parfois visite à l’orphelinat où il avait grandi avait été une des raisons pour lesquelles Cliff avait développé un intérêt si fort pour l’aventure.

Tout à coup, la femme à la fenêtre regarda Cliff. Avec un petit sourire, elle lui fit un signe de la main.

Tout était si… pittoresque. Si parfait. Cliff était profondément, profondément ému.

Je suis né pour rencontrer cette femme. Et elle était née pour me rencontrer, pensa-t-il

À cet instant, son premier amour, Éris, fut rétrogradé dans son esprit au rang de simple connaissance.

***

Partie 2

Rudeus

C’était l’heure de mon apparition mensuelle en classe. J’étais assis à mon bureau, entouré de Zanoba, Julie, Linia et Pursena. C’était plutôt agréable d’être pour une fois au centre de mon propre petit groupe.

Comme d’habitude, Linia était adossée à sa chaise, les pieds sur le bureau, exhibant ses cuisses sans la moindre honte. Un autre avantage de mon nouveau poste était de pouvoir les voir de près régulièrement.

« Tu n’arrêtes jamais de regarder mes jambes, patron. Héhé. Je suppose que tu n’es finalement rien d’autre qu’un matou, hein ? Je ne peux cependant pas t’en vouloir. Je suis criminellement sexy… Ehehehehe. Vas-y, jette un petit coup d’œil à l’intérieur… Myaaah ! Enlève ta main de là ! », dit Linia avec un sourire taquin.

J’avais mis la main sous sa jupe sans hésitation ni gêne. Mais tâtonner ses cuisses m’avait juste fait me sentir vide à l’intérieur. Rien ne rendait un homme plus malheureux qu’une libido frustrée.

« Miaou ?! N’aie pas l’air si déçu ! C’est toi qui as décidé de me tripoter ! Et qu’est-ce que mes jambes ont-elles de si mal ?! »

Pour être parfaitement honnête, j’avais dernièrement trouvé plus de plaisir à toucher ses oreilles ou sa queue. Au moins, caresser quelque chose de duveteux était relaxant.

« Tu es vraiment une idiote, Linia », grommela Pursena en grignotant un morceau de viande hors de portée de mes mains.

Cette fille n’arrêtait pas de manger de la viande. Parfois de la viande séchée, parfois grillée, parfois crue, mais elle en mangeait toujours sous une forme ou une autre. Elle-même était une fille dure et froide, mais si on agitait un peu de viande dans sa direction, elle venait en trottinant vers vous, la queue remuant sauvagement. Sa fourrure était plus douce que celle de Linia, et était très agréable sous la main. Mais contrairement à Linia, elle ne me laissait pas la caresser si je ne lui offrais pas d’abord de la nourriture.

D’un autre côté, si je lui apportais de la viande, elle me laissait faire pratiquement tout ce que je voulais. Elle avait l’air d’avoir des opinions assez démodées sur la chasteté, mais j’avais un peu peur que quelqu’un puisse en profiter.

« Hmm… Maître, regarde ici. J’ai dégradé l’angle de cette cheville, non ? », dit Zanoba

« Laissez-moi vous aider, monsieur », proposa Julie en regardant la figurine.

« Je préférerais que tu m’appelles Maître, Julie. Veille également à appeler Rudeus Grand-Maître. »

« D’accord, Maître. »

Notre prince résident semblait continuer comme si de rien n’était. Pourtant, j’avais l’impression qu’il était tombé au bas de la hiérarchie de notre petit groupe. Il m’avait accompagné lors de mon combat contre Linia et Pursena, mais j’avais fini par les vaincre tout seul. Linia l’avait comparé avec mépris à une hyène se cachant dans l’ombre d’un lion.

De son côté, Zanoba semblait plus préoccupé par son statut de « premier élève ». Il était ainsi techniquement la quatrième personne à qui j’avais enseigné, après Sylphie, Éris et Ghislaine. Mais avec Ghislaine, il y avait eu un échange mutuel d’informations, on pouvait donc probablement l’enlever de la liste… mais cela laissait Zanoba au troisième rang.

Quand je lui en avais parlé, il eut l’air si triste que je l’avais immédiatement regretté. Pour adoucir un peu le choc, je lui avais dit qu’il était mon premier élève en matière de figurines.

Julie, ma deuxième élève, écoutait toujours attentivement les longues diatribes de Zanoba sur sa figurine Roxy. Il lui avait communiqué suffisamment de sa passion pour qu’elle comprenne un peu de quoi il parlait. J’avais remarqué qu’elle s’intéressait de plus en plus à la fabrication de figurines. Pourtant, il lui faudra du temps avant qu’elle puisse discuter des points les plus fins du design et de la technique comme Zanoba et moi le faisions.

Mais ce qui était tout aussi important, c’est qu’elle avait commencé à faire ses premiers pas maladroits en tant que lanceuse d’incantations silencieuse. Maître Fitz avait raison quand il nous avait dit qu’apprendre la magie dès le plus jeune âge était le meilleur moyen de maîtriser cette compétence.

« … Je ne pourrais pas le faire, Grand Maître. »

« Ce n’est pas grave. »

Malgré tous les progrès de Julie, elle était encore jeune et faisait de nombreuses erreurs. Cette fois-ci, les jambes de la figurine étaient sorties gonflées comme des ballons d’eau. Elle n’avait pas le contrôle nécessaire pour utiliser la magie de terre avec précision à une si petite échelle. Mais je n’avais jamais été en colère ou frustré contre elle. Je l’avais encouragée à continuer d’essayer, en lui disant de ne pas s’inquiéter de ses erreurs. Le succès ne venait jamais facilement, et abandonner après un seul échec était un bon moyen de se transformer en un perdant boudeur et renfermé.

« Je suppose que tu n’es pas encore prête à réparer des poupées, hein ? »

« Je suis désolée… »

Peu importe la gentillesse avec laquelle je parlais à Julie, il y avait toujours de la peur dans ses yeux quand elle me regardait. Apparemment, je l’intimidais.

« Miaou… J’ai tellement sommeil… »

« Ouais. Il fait plus chaud dehors et tout. »

« Hé, patron. Sais-tu qu’on a un super endroit pour les siestes de midi ? Et si on te le montrait un jour ? »

« Hmm ? Je peux te faire des choses coquines pendant que tu dors, Linia ? »

« … Tu ne penses jamais à autre chose qu’au sexe, Patron ? »

« Ne dis pas n’importe quoi. Les figurines arrivent toujours en tête dans les pensées de mon maître. »

« Ah, calme-toi, Zanoba. On ne t’a rien demandé. »

« Mais je… »

« Ferme-la. Et si tu allais nous acheter de la viande ? »

« Il ne reste plus beaucoup de temps avant que le professeur n’arrive, miaou. »

« Je suppose donc qu’il ferait mieux de courir. »

« Maître Zanoba, je peux y aller à ta place… »

« Je ne vais pas laisser une petite fille faire des courses pour vous. Pourquoi n’irais-je pas à sa place ? »

« Miaou ? Ne sois pas stupide, patron ! Je préfère y aller moi-même ! »

« Ah oui ? Eh bien, fais-toi donc plaisir. »

« Miaou ?! »

Nous bavardions assez bruyamment tous les cinq. J’imagine que c’était assez ennuyeux, nous n’étions après tout pas les seules personnes dans cette pièce. Il y avait un autre étudiant dans la classe. C’était bien sûr Cliff Grimoire, qui étudiait tout seul devant pendant toute notre conversation.

Tout à coup, il s’était levé d’un bond et s’était retourné vers nous, les épaules tremblantes de fureur.

« Vous voulez bien vous taire ? ! Je n’arrive pas à me concentrer ! Si vous avez l’intention de vous amuser, retournez d’où vous venez et faites-le là-bas ! »

J’avais immédiatement fermé ma bouche. Zanoba avait également cessé de bavarder et s’était remis à instruire tranquillement Julie.

Nos deux ex-délinquantes, elles, avaient choisi d’interpréter la sortie de Cliff comme un défi.

« Tu crois que tu parles à qui, petit ? »

« À partir de maintenant, ton argent sera pour ma viande ! »

On aurait pu s’attendre à ce qu’elles hésitent un peu plus à se battre, vu que je les avais battues à plates coutures. Mais j’avais entendu dire qu’elles avaient fait un combat avec Cliff peu après son inscription et qu’elles l’avaient battu facilement. Après cela, il s’était consacré de tout son cœur à ses études.

Je devais admirer un gars qui utilisait ses échecs pour se motiver. Il ne serait pas juste de harceler un étudiant aussi assidu.

« Désolé pour ça, Cliff. Je ne voulais pas te distraire de tes études. Nous allons faire moins de bruit à partir de maintenant. Allez, vous deux. Plus bas. Moins fort ! », avais-je dit en l’interrompant.

« … Si tu le dis miaou, patron. »

« Putain… »

Linia et Pursena avaient regagné leurs places d’un bond, l’air plutôt maussade.

« Hmph. Eh bien, c’est tout ce que je voulais. Franchement, vous êtes ridicules… Je n’arrive pas à croire que vous ayez embarqué Zanoba dans vos bêtises. », dit Cliff en reniflant.

Linia et Pursena firent claquer leurs langues, visiblement irritées. Pourtant, je ne voyais aucune raison de m’en prendre à quelqu’un qui travaillait dur pour réussir dans la vie. Je ne me considérais pas non plus comme un fainéant, mais Cliff et moi étions clairement engagés dans des voies très différentes. Nous serons tout au plus que des connaissances.

Ou du moins, c’était ce que je pensais à l’époque.

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Partie 3

Une semaine plus tard, je faisais des recherches sur la téléportation avec Maître Fitz lors d’une de nos séances régulières à la bibliothèque.

Récemment, j’avais commencé à comprendre que la téléportation présentait certaines similitudes avec la magie d’invocation. Les cercles magiques utilisés étaient très similaires, et la couleur de l’énergie magique qu’ils libéraient lorsqu’ils étaient activés était presque identique.

Ils étaient néanmoins totalement différents sur un point. Il était totalement impossible d’invoquer un être humain. Il n’y avait tout simplement aucun moyen connu de le faire, même avec les techniques les plus avancées et les plus complexes. Vous pouvez invoquer des démons, des esprits et même des plantes, oui. Mais pas une personne. J’avais parcouru d’innombrables registres, mythes et histoires anciennes sans trouver une seule référence à quelqu’un invoquant une personne. Il y avait de nombreuses races dans ce monde, y compris les différentes tribus de l’humanité démoniaque, mais cette règle semblait s’appliquer à toutes de la même manière.

Cela n’avait évidemment aucun rapport direct avec ce que nous voulions savoir. Ce n’était peut-être pas un aperçu significatif. Mais il y avait quelque chose qui m’embêtait. Vous ne pouviez pas invoquer une personne en chair et en os. Mais qu’en était-il de leur âme ?

Je n’avais pas exprimé ces pensées, mais je les avais classées discrètement. Si je rencontrais un jour un véritable expert dans ce domaine, il faudrait que je lui demande s’il était possible d’invoquer l’esprit d’un mort d’un autre monde.

« Maître Fitz, peux-tu essayer de trouver des professeurs qui s’y connaissent en invocation pour moi ? »

« Hein ? Bien sûr. Mais tu sais qu’ils n’enseignent pas vraiment ça ici ? À l’exception bien sûr de l’enchantement. Je ne suis pas sûr que nous trouverons quelqu’un qui s’y connaisse dans le genre de choses que nous recherchons… »

En y réfléchissant bien, j’avais remarqué un manque évident de cours d’invocation dans la liste des cours proposés ici… bien que l’enchantement en soit techniquement une sous-catégorie, d’après ce que j’avais entendu. J’avais lu quelque chose à ce sujet dans un de mes manuels, non ?

« Eh bien, ça ne peut pas faire de mal de fouiller un peu et de voir ce que tu trouves. »

Pour être honnête, une petite graine d’incertitude poussait en moi à ce moment-là. Je ne l’avais bien sûr pas laissée paraître. J’étais probablement dans l’erreur. L’incident de téléportation s’était produit lorsque j’avais dix ans, une décennie entière après ma réincarnation dans ce monde. Ces deux choses n’étaient sûrement pas liées ? Après tout, dix ans avaient passé sans que rien ne se passe…

Avec un soupçon d’anxiété toujours présent dans mon esprit, j’avais quitté la bibliothèque et m’étais dirigé vers mon dortoir au soleil couchant. Les dernières chutes de neige avaient en grande partie fondu. Des plaques de terre rouge-brun étaient visibles dans la cour, et le chemin pavé était dégagé. Et alors que je le suivais vers ma destination, j’entendis un cri quelque part à proximité.

« Reviens ici, petite merde ! »

« Tu crois qu’on va te laisser jeter un sort ?! »

L’instant d’après, un jeune homme fit irruption de derrière un bâtiment scolaire, suivi par un groupe de six hommes plus âgés qui manifestement le poursuivaient. Le jeune homme essayait de prendre assez de distance avec ses poursuivants pour lancer un sort avancé, mais ils ne cessaient d’interrompre son incantation. Il passa alors à une magie de niveau Débutant, essayant de les ralentir, mais ce n’était pas suffisant. Le groupe de six personnes s’était rapproché et l’avait jeté à terre, puis lui donna des coups de pied vicieux alors qu’il se mettait en boule.

À en juger par l’apparence des choses, j’étais tombé sur un cas flagrant d’intimidation de cour d’école. C’était si pénible à regarder que je ne pouvais pas rester ici sans rien faire.

« Hey, allez. Laissez tomber, les gars. Pas besoin de s’en prendre à cette pauvre tortue. », avais-je crié en trottinant.

Les six brutes s’étaient retournées et avaient lancé un regard féroce dans ma direction. Ils étaient tous un peu plus grands que moi, je supposais donc qu’ils essayaient de m’intimider.

« Tu es censé être qui ? »

Cependant, après un moment, l’un d’entre eux m’avait reconnu.

« H-Hey, c’est Quagmire… »

« Quagmire ? Attends, tu veux dire Rudeus ?! »

« Ce Rudeus ? ! Le type qui a enfermé Linia et Pursena dans une pièce pour les dresser ?! »

Allons, allons. Je vous assure qu’il n’y a pas eu de dressage.

« Cette histoire est un tissu de mensonges. »

« Mais j’ai vu Pursena remuer la queue en l’appelant Patron… »

« Elle remue la queue pour tous ceux qui lui donnent de la viande ! »

« Mais elles font ce qu’il leur dit maintenant, non ? »

« Oui. Je les ai vus en classe avec cette inscription sur leur visage. »

« Qu’est-ce que ça disait déjà ? “Nous sommes les esclaves sexuelles de Rudeus”, non ? »

« Eh bien, je ne me souviens pas exactement comment ça s’est passé… »

« Merde. Il les a battues puis les a asservies ? »

« Ce sont des princesses de Doldia, bon sang ! »

« Ce type ne pense même pas aux conséquences… »

Après avoir chuchoté à voix haute ces rumeurs hautement inexactes, le groupe de brutes déglutit à l’unisson et me regarda avec quelque chose comme de l’admiration. Ils s’étaient regardés en face, hochèrent la tête, puis reportèrent leur attention sur le garçon allongé à leurs pieds.

« Très bien, petit. On va te laisser tranquille pour aujourd’hui. »

J’avais rapidement réagi à ce commentaire.

« Pour aujourd’hui ? Est-ce qu’on va avoir une récidive sur les bras demain ? Avez-vous l’intention de vous liguer contre lui à nouveau ? »

Les six brutes grimacèrent d’irritation.

« Tch… »

« Écoutez, euh… M. Greyrat. Cela n’a pas vraiment de rapport avec vous, hein ? »

Les types comme lui adoraient sortir cette phrase. Effectivement, ce n’était pas mes affaires. Je le savais avant même de mettre mon nez là-dedans.

« Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais le six contre un n’est pas un combat équitable. »

Le groupe échangea des regards, puis secoua la tête. De toute évidence, ils étaient plutôt bons amis, à en juger par leur capacité à communiquer silencieusement.

« Ok, c’est bon. On va laisser le gamin tranquille. Mais juste pour que vous le sachiez, ce n’est pas comme s’il était la victime ici. », dit l’un des membres du groupe.

Sur ce, il se retourna et s’éloigna, se dirigeant derrière le bâtiment. Les cinq autres le suivirent. Peut-être qu’ils avaient une sorte de petite base d’opérations installée là derrière.

Une fois qu’ils disparurent, j’avais poussé un petit soupir de soulagement. Ce n’était pas facile de garder son calme quand six personnes me regardaient comme ça. J’avais mis au point quelques stratégies de combat en cas d’infériorité numérique, mais il me fallait encore faire des efforts pour ne pas prendre la fuite. Je pouvais néanmoins très bien fixer quelqu’un en tête-à-tête à ce stade.

« Hey. Vas-tu bien ? »

Je m’étais approché du garçon malmené alors qu’il se relevait péniblement. Celui-ci balaya la poussière de ses vêtements, en murmurant rapidement l’incantation d’un sort de guérison. Dans cet endroit, même les enfants qui se faisaient harceler étaient apparemment des magiciens compétents…

Le garçon s’était retourné pour me faire face. C’était Cliff.

« … »

Honnêtement, la plupart de mes interactions avec ce type avaient été plutôt désagréables. Chaque fois qu’on se croisait, il était ouvertement hostile à mon égard. Il allait probablement dire quelque chose comme : « Je n’ai pas demandé ton aide ! » et ensuite partir en colère.

« Je n’ai pas demandé… »

Au milieu de sa phrase, Cliff s’était arrêté et fronça les sourcils en réfléchissant. Après un moment, il laissa échapper un petit soupir.

« … Désolé. J’apprécie ton aide, Rudeus. »

« Oh. De rien. »

Le jeune mage me fit une petite révérence, puis partit d’un pas rapide. J’étais resté là à le regarder partir, un peu surpris. Il était vrai que j’étais venu à son secours, mais ce changement soudain d’attitude me semblait très étrange. Cela m’avait presque fait penser qu’il complotait quelque chose.

Pourtant, il était probablement préférable de prendre les choses au premier degré pour le moment. Cliff avait été hostile envers moi pendant un certain temps, mais je ne lui avais jamais rendu la pareille. Peut-être qu’il avait finalement compris que je n’étais pas son ennemi. Honnêtement, je ne comprenais pas pourquoi il avait décidé de me détester en premier lieu, mais…

« Eh bien, peu importe. »

J’avais haussé les épaules tout en me dirigeant vers mon dortoir.

Le lendemain, Cliff m’avait demandé de lui parler derrière le bâtiment de l’école.

Il était en colère. Je n’avais pas la moindre idée de la raison, mais cela se lisait sur son visage. Comme il semblerait que cela pourrait devenir violent, j’avais activé à l’avance mon Œil Magique et je surveillais attentivement mon environnement. J’avais également accumulé une bonne quantité de mana dans ma main droite, prête à être utilisée.

Honnêtement, les tortues de nos jours. Vous parlez d’ingratitude.

« Ok, on devrait être bien ici. »

Après avoir vérifié qu’il n’y avait personne d’autre dans la zone, Cliff se tourna vers moi. Son visage était rougi d’une intéressante nuance de rouge.

J’avais rapidement réalisé que j’avais mal interprété la situation. Il ne m’avait pas appelé ici pour me combattre. Ça ressemblait plutôt à une scène classique de confession amoureuse. C’était un peu gênant. Il était vrai que je n’avais pas été capable de jouer avec les femmes dernièrement, mais ça ne voulait pas dire que j’étais prêt à étudier l’anatomie masculine.

C’est dur d’être aussi sexy, heh heh.

« Voici donc la raison de ma demande, Rudeus… »

« Oui ? »

Bien sûr, je savais déjà comment j’allais répondre. C’était important de lui donner une réponse claire et précise. Nous allions commencer en tant qu’amis. Et aussi finir comme ça.

« Eh bien, je suis tombé amoureux de quelqu’un », poursuivit Cliff tout en se grattant la joue et en étudiant le sol avec pudeur.

« Vraiment ? »

Bon sang, est-ce que j’allais vraiment devoir abattre ce pauvre gars ? Cette pensée me fit mal au ventre. Je ne pouvais m’empêcher de penser à la façon dont j’aurais pu réagir s’il avait été une fille… mais mon épée avait ses préférences, et elles n’étaient pas prêtes de changer.

Cependant, à ma grande surprise, Cliff leva les yeux et pointa du doigt un certain endroit.

« C’est elle, juste là. »

Il indiquait un bâtiment un peu au loin. Il y avait quelqu’un à l’intérieur, regardant par une fenêtre ouverte. Ses longs cheveux blonds flottaient dans la brise tandis qu’elle regardait le soleil couchant avec une expression mélancolique sur le visage.

« Je vous ai vu parler tous les deux cet après-midi. Tu la connais, non ? Euh… serais-tu prêt à me la présenter ? »

« … Euh, bien sûr. »

La personne qui se tenait à cette fenêtre était une femme que je ne connaissais que trop bien. C’était une perturbatrice notoire, objet d’innombrables rumeurs, et une prédatrice vorace qui dévorait ses camarades de classe avec toute la vigueur d’une succube.

En d’autres termes, c’était Elinalise Dragonroad.

***

Partie 4

Salut. C’est Rudeus Greyrat à l’appareil.

Euh, alors voilà mon problème. L’autre jour, mon camarade de classe Cliff Grimoire m’avait confié son amour pour Elinalise, et m’avait demandé si je pouvais les présenter.

C’est normal, non ? Je connaissais assez bien Elinalise. Elle était membre du groupe auquel mes parents appartenaient, et nous étions arrivés ensemble dans cette ville. Et puis… je ne savais pas trop comment fonctionnaient les histoires d’amour dans ce monde, mais Cliff était visiblement amoureux, et il avait très envie d’exprimer ses sentiments. J’aimerais l’aider si je le pouvais.

Je le pense vraiment ! Vraiment. Mais rappelons-nous ce que nous avons appris sur Elinalise jusqu’à présent.

Elinalise Dragonroad était une aventurière de rang S, une guerrière de première ligne et une étudiante de première année à l’Université de magie de Ranoa. Son âge n’était pas clair. À ma grande surprise, elle s’était révélée être une étudiante assidue et obtenait d’excellentes notes. Dernièrement, elle avait commencé à intégrer quelques sorts d’eau de niveau débutant dans son style de combat.

La plupart de ses anciens compagnons d’aventure semblaient la détester, mais c’était une combattante hautement qualifiée, une personne au grand cœur… et un monstre au lit.

C’est vrai. C’est là que résidait le problème.

Elinalise était atteinte d’une malédiction spécifique. Elle l’obligeait à se procurer une dose quotidienne régulière de fluides corporels masculins. De ce fait, elle évitait de s’installer avec un homme en particulier, préférant se contenter d’un régime régulier de coups d’un soir et de flirts occasionnels.

Elle m’avait dit qu’elle avait aussi donné naissance à plusieurs enfants… bien qu’elle ne m’avait jamais dit où ils étaient maintenant. Pour être honnête, je m’étais demandé si elle ne les avait pas simplement abandonnés au bord de la route ou vendus à des marchands d’esclaves. Mais elle m’avait expliqué plus tard qu’elle les élevait elle-même jusqu’à ce qu’ils soient prêts à être indépendant. De toute façon, le fait qu’elle tombe enceinte était relativement rare.

Mais revenons-en au point principal. Était-ce vraiment une bonne idée ? Devrais-je présenter cette femme à Cliff comme une partenaire romantique potentielle ? Il n’avait manifestement aucune idée de qui était Elinalise. Le simple fait de l’écouter parler d’elle me donnait envie de gémir de désespoir.

« Cette vision de la beauté chaste à travers la fenêtre s’appelle Elinalise Dragonroad, hein ? Un nom fort et charmant, bien adapté à celle qui le porte ! J’ai entendu dire que c’était une excellente élève, mais ce n’est pas une surprise. Et comme elle était aventurière jusqu’à récemment, elle sait comment utiliser la magie efficacement en combat réel. »

Jusqu’à ce passage, la seule chose qui m’avait donné envie de rouler des yeux, c’était cette histoire de vision de la beauté chaste à travers la fenêtre. Pour Elinalise, une fenêtre n’était qu’un endroit pratique pour placer ses mains tout en offrant son derrière à quelqu’un d’autre. Mais Cliff ne croyait manifestement pas que sa déesse était sexuellement active.

« Des rumeurs scabreuses circulent sur le fait qu’elle prendrait d’innombrables étudiants masculins comme amants. J’imagine qu’un de ses rivaux jaloux répand ces calomnies depuis un certain temps déjà. »

C’était son interprétation de la situation, et il s’y tenait fermement. La bagarre qu’il avait eue l’autre jour était en fait directement liée à ça. Ces six élèves badinaient à propos d’Elinalise, la traitant de salope qui se prostituait à qui le demandait, et s’encourageant mutuellement à passer à l’action. Cliff avait entendu ça et s’était énervé. Il avait réprimandé les hommes plus âgés pour avoir dit du mal de quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas, sur la base de simples rumeurs. Bien sûr, ces hommes savaient probablement de source sûre qu’Elinalise couchait à droite et à gauche, mais Cliff n’avait aucun moyen de le savoir.

Tous les six étaient des élèves de la classe supérieure qui possédaient une bonne musculature. C’était aussi des voyous à la limite de la délinquance qui n’aimaient pas se faire sermonner par un petit gringalet. L’un d’entre eux lui répondit vertement : « Écoute, mec, je connais quelqu’un qui l’a fait avec deux autres gars l’autre jour. Genre, tous en même temps. Et si tu acceptais la réalité, hein ? Peut-être qu’elle acceptera de te dépuceler si tu le lui demandes gentiment. »

Outré par ce commentaire vulgaire et narquois, Cliff tomba dans une rage aveugle, balançant ses poings sur le groupe d’hommes plus grands. Il se considérait comme un bon combattant. Mais c’était un combat à six contre un contre des gens bien en dehors de sa catégorie de poids. Il aurait pu avoir une chance dans un duel de magie, mais pas dans un combat de boxe. Heureusement pour lui, c’était à ce moment-là que j’étais apparu.

D’une certaine manière, c’était une belle histoire. Elle vous faisait vraiment apprécier l’importance de faire vos recherches en amont — et avec un esprit ouvert.

Quand même, euh… qu’est-ce que j’étais censé faire maintenant ?

Franchement, ce n’était pas comme si je devais avertir Cliff. Je pourrais simplement lui présenter Elinalise et la laisser briser ses illusions. Ce n’était pas mon problème. Mais était-ce vraiment bien de hausser les épaules et de m’en aller ?

Elinalise pourrait me remercier. Elle avait tendance à être très reconnaissante quand je lui présentais un homme. Dernièrement, elle s’était mise à chasser les vierges. Les nouveaux arrivants maladroits et incertains étaient apparemment charmants, et ceux qui se donnaient beaucoup de faux airs étaient « tout simplement adorables ». Elle aimait aussi observer comment ils apprenaient de nouvelles techniques et grandissaient au fil du temps.

J’imagine que je pouvais comprendre cet attrait. J’avais joué à de nombreux jeux pornographiques sur le thème de l’entraînement à l’époque. Je ne voulais pas faire de suppositions hâtives, mais Cliff était très certainement vierge. Elinalise serait probablement trop heureuse de le mettre dans son lit.

Et Cliff, alors ?

Il vivait avec une image d’Elinalise très imprécise. S’ils commençaient à « sortir ensemble », il se rendra vite compte de la vérité. Et s’il m’en voulait ? S’il décidait que je l’avais piégé pour qu’il souffre ? De mon point de vue, il n’avait personne d’autre à blâmer que lui-même, et ce quoiqu’il arrive. Mais si je les présentais simplement, sachant ce que je sais, j’avais l’impression que je pourrais être au moins légèrement responsable des conséquences.

Cependant, refuser catégoriquement ne semblait pas non plus être une bonne option. Cliff pourrait en tirer des conclusions ridicules. Il pourrait même décider que j’étais un rival amoureux d’Elinalise. Honnêtement, ça ne me dérangerait pas d’avoir une aventure avec une femme comme ça si ma maladie était guérie, mais je n’allais certainement pas la poursuivre. Et je ne voulais surtout pas qu’il le pense.

Qu’est-ce que j’étais censé faire ici ?

◇ ◇ ◇

Je ne pouvais pas penser à une solution intelligente à mon dilemme…

« J’espérais avoir ton avis sur quelque chose, Maître Fitz. Si ça ne te dérange pas. »

Et donc, lors d’une de nos visites régulières à la bibliothèque après l’école, je m’étais tourné vers mon fidèle ami Fitz.

« D’accord. Quel genre de conseil ? »

« Eh bien… je pense que c’est un conseil relationnel, en fait. »

« Quoi ?! »

Fitz s’était retourné et s’était penché sur la table. Il y avait quelque chose comme une grimace sur son visage.

« Es-tu amoureux de quelqu’un, Rudeus ?! »

J’avais été un peu surpris par l’intérêt qu’il portait à cette question. Malgré ses grosses lunettes de soleil sombres, j’avais l’impression de voir ses yeux briller de curiosité. Peut-être que ce n’était pas si étrange. La plupart des gens de l’âge de Fitz étaient relativement intéressés par les histoires d’amour.

« Non. En fait, c’est à propos d’un de mes amis. »

« Un ami… ? »

« C’est ça. »

« Uhm, d’accord. Dans ce cas, vas-y. »

« En gros, cet ami est tombé profondément amoureux de quelqu’un au premier regard, et… »

« Un coup de foudre ? Et tu viens me voir… ? Attends, ne me dis pas que c’est la princesse Ariel ! Ça… Ça ne marchera pas, Rudeus. Je veux dire, je sais qu’elle est vraiment jolie, mais… »

Pour une raison inconnue, Fitz semblait un peu agité à ce sujet. Il était probable que les gens tombaient régulièrement amoureux de la princesse. En tant que garde du corps, il était logique qu’il veuille décourager cela.

« Ne t’inquiète pas. La princesse Ariel n’est pas impliquée. »

« O-Oh. Ok, bien, c’est bon. »

« En fait, je connais la personne dont mon ami est tombé amoureux, et elle a quelques… problèmes qui me font hésiter à la présenter à mon ami comme une option romantique. Je ne sais pas si je dois continuer ou non. »

Il y avait maintenant une expression particulière sur le visage de Fitz. Il avait une main sur sa bouche et me regardait attentivement derrière ses lunettes de soleil.

« Ton ami est-il au courant des problèmes de cette femme ? »

« Non, je suis presque sûr qu’il ne le sait pas. »

… Hm ? Est-ce que j’ai dit que c’était une femme ? Peut-être que l’histoire de la princesse Ariel fit réfléchir Fitz dans ce sens ? Ça n’avait pas vraiment d’importance, puisqu’Elinalise était vraiment une femme, mais…

attend, il pense toujours qu’il s’agit de moi ?

« Désolé de me répéter, mais l’ami de cette histoire n’est pas moi. Je dis ça parce que je te fais confiance, mais c’est Cliff de la classe spéciale. »

« Oh ! Vraiment ? Désolé, je crois que je me suis fait une fausse idée… »

L’air un peu gêné, Fitz se gratta légèrement l’arrière de ses oreilles. On ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Demander des conseils à « son ami » quand on était trop timide pour admettre la vérité, cela faisait un peu cliché.

« Bref, comment penses-tu que je devrais aborder la question ? »

« Euh, eh bien… je pense que tu devrais probablement lui parler des problèmes de cette femme, non ? À moins qu’il y ait une raison pour que tu ne puisses pas… »

Fitz avait l’air étrangement incertain de ce conseil. Mais bon, n’était-il pas vierge lui-même ? Peut-être n’avait-il pas beaucoup d’expérience dans ce domaine particulier.

« Je n’hésiterais pas à le faire, mais Cliff a tendance à avoir ces idées fixes dans sa tête. Je ne pense vraiment pas qu’il me croirait. Il pourrait même croire que je lui mens parce que je suis moi-même amoureux de cette femme. »

« Oh. Oui, je suppose que ça pourrait arriver. »

« Bien. Alors, je me disais que je ne suis peut-être pas le meilleur messager pour annoncer cette nouvelle. »

Ça m’aidait un peu. Mes pensées commençaient à se rassembler. Peut-être que je pourrais demander à une fille de livrer la nouvelle… quelqu’un en qui Cliff avait confiance ? Même s’il serait préférable qu’Elinalise le lui dise elle-même.

« Uhm… Donc tu n’aimes pas vraiment cette femme, Rudeus ? »

« Nan. C’est une amie, mais je ne peux pas m’imaginer sortir avec elle un jour. »

Bien sûr, Elinalise était apparemment incroyable au lit, je ne refuserais certainement pas une nuit de plaisir avec elle… mais entamer une relation sérieuse avec elle n’était pas très attrayant. D’abord, j’avais l’impression qu’elle me tromperait au bout d’un jour ou deux.

« Je vois. Mais ça pourrait n’être que toi, Rudeus. Cliff pourrait finir par l’aimer, avec tous ses défauts. »

Cela semblait un peu improbable. Un type qui fantasme sur le fait d’épouser un ange pur et innocent ne me semble pas du tout être un bon parti pour Elinalise.

« Hmmm… »

Est-ce que c’était une bonne idée de les présenter ? Je n’arrivais pas à me décider.

Après quelques instants de silence, Fitz reprit la parole, dans un murmure grave.

« Je suis aussi amoureux de quelqu’un, donc je peux comprendre ce qu’il ressent. D’après ce que j’ai entendu, la plupart des gens ne peuvent pas non plus s’imaginer que je sors avec la personne qui m’intéresse… mais je l’aime quand même. »

Fitz était amoureux de quelqu’un ? Qui cela pourrait-il être ?

La Princesse Ariel semblait être la possibilité la plus évidente, surtout vu la façon dont il avait réagi quand j’avais abordé le sujet. Et je suppose que la plupart des gens auraient du mal à s’imaginer « sortir » avec un membre de la famille royale asurienne…

Non pas que cela importe vraiment de savoir qui c’est.

***

Partie 5

« C’est… assez difficile de rester assis à les regarder, quand on ne peut pas leur dire ce qu’on ressent. »

Le visage de Fitz était devenu à un moment donné rouge. Il rougissait jusqu’à la pointe de ses oreilles.

« Donc, euh, je pense que tu devrais les présenter. Donne-lui au moins la chance de se défouler. »

« Cela pourrait cependant conduire à toutes sortes de problèmes sur la route. »

« Eh bien, que peux-tu faire ? Une fois que tu les as mis dans une pièce ensemble, le reste dépend d’eux. »

Ooh. C’était assez vrai. Après avoir organisé la première rencontre, c’était à eux de décider de ce qui se passait ensuite. En d’autres termes, je pouvais m’en laver les mains. Si je pouvais être très clair à l’avance, c’était encore mieux.

« Entendu. Je vais essayer d’élaborer quelque chose dans ce sens. Merci pour le conseil, Maître Fitz. »

« De rien… Je suis toujours heureux d’aider… »

Fitz semblait encore un peu incertain de tout cela, mais j’avais pris ma décision. En quittant la bibliothèque, j’avais remarqué du coin de l’œil que Fitz s’était affalé sur la table, la tête la première. En y réfléchissant bien, c’était probablement un peu embarrassant de donner des conseils comme un vieux sage à son âge. Mais malgré son manque d’expérience du monde, il semblait toujours avoir quelque chose de perspicace à dire. J’étais sincèrement reconnaissant envers lui.

◇ ◇ ◇

Le lendemain, j’avais appelé Cliff afin de pouvoir lui parler seul à seul. Il était venu me retrouver derrière le bâtiment de l’école à l’heure prévue, l’espoir brillant dans ses yeux.

« Je suis prêt à te la présenter, mais il y a une chose que je voulais clarifier au préalable. », lui avais-je dit.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Tout d’abord… en tant qu’aventurier, j’ai fait partie d’un groupe avec Elinalise pendant un certain temps. Je pense que j’en sais plus sur elle que la plupart des gens ici. »

L’œil de Cliff tressaillit un peu à ce fait, que je n’avais pas mentionné auparavant.

« J’ai décidé de ne pas te dire ce que je pense d’elle. Ce n’est pas parce que j’essaie de te tromper ou quoi que ce soit. Je pense simplement que tu devrais la rencontrer en personne, lui parler, et ensuite décider par toi-même. », continuais-je.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« En gros, je ne veux pas que cela devienne un problème à l’avenir. Ne viens pas te plaindre plus tard en disant que je t’ai induit en erreur ou que j’ai essayé de te piéger, d’accord ? »

Avec un peu de chance, cela m’offrirait une certaine assurance si les choses tournaient vraiment mal. C’était aussi une indication qu’il pourrait avoir des problèmes ici.

« Je ne ferais jamais une chose pareille ! Je suis un membre fidèle de l’église de Millis, Rudeus. Nous montrons aux entremetteurs le respect qui leur est dû. »

Intéressant. Pensaient-ils que piéger les gens était un acte vertueux ? Je n’étais pas un croyant moi-même, donc la référence était un peu perdue pour moi. Aidez-moi, Dieu…

« Je n’appartiens pas à l’église de Millis, donc je ne sais pas ce que tu attends d’un entremetteur. Mais ne viens pas me crier dessus si je m’y prends mal. »

« C’est bon. Je ne ferais pas ça. »

« Très bien. Souviens-toi juste que tu le fais à tes risques et périls, d’accord ? »

Cliff hocha la tête avec impatience.

« Je suis parfaitement préparé à ce qu’elle me rejette ! »

Ce n’était vraiment pas le pire scénario que j’avais en tête, mais bon.

Nous avions trouvé Elinalise toute seule dans une salle de classe vide.

Elle était penchée, les coudes appuyés sur le rebord de la fenêtre, mais pour une fois, il n’y avait pas quelqu’un de nu juste derrière elle. Elle regardait simplement par la fenêtre, visiblement perdue dans ses pensées.

Je savais bien ce qu’elle avait en tête. Elle attendait impatiemment que le soleil finisse de se coucher. Une fois la nuit tombée, les bars de la ville ouvriraient leurs portes. Et dans ces bars, elle trouverait beaucoup d’hommes prêts à s’amuser. C’était le seul genre de chose auquel elle pensait. Pourtant, du point de vue de quelqu’un qui n’en savait pas plus, je suppose qu’elle ressemblait beaucoup à un ange.

« Oh. Bonjour, Rudeus. Es-tu venu me voir pour une fois ? »

Elinalise jeta un coup d’œil vers moi avec une expression de légère surprise. Je ne lui avais pas parlé souvent depuis notre inscription à l’université. De temps en temps, elle venait me trouver à l’heure du déjeuner pour voir comment j’allais, mais c’était à peu près tout.

« Hm ? Et qui est ce gentil jeune homme avec toi ? »

Cliff était apparu derrière moi, il appuya un poing contre son estomac et rapprocha ses pieds de manière ordonnée. On peut supposer qu’il s’agissait d’une salutation formelle de Millishion.

« Elinalise, voici Cliff Grimoire. C’est un étudiant spécial en deuxième année ici. »

« En effet ! Je m’appelle Cliff, madame. C’est un grand plaisir de vous rencontrer ! », dit Cliff en s’inclinant

« Bonté divine, quel jeune homme poli ! Je m’appelle Elinalise Dragonroad. Si je peux me permettre, puis-je faire quelque chose pour vous ? »

« En fait il voulait que je te présente à lui. C’est pour ça qu’on est là. », dis-je en l’interrompant

« C’est vrai. Mlle Elinalise, j’ai vu votre visage à plusieurs reprises, et votre beauté me séduit toujours ! Je serais très heureux de pouvoir faire plus ample connaissance avec vous ! », dit Cliff en hochant fermement la tête.

Le silence s’installa dans la pièce. Elinalise semblait quelque peu décontenancée. Après un long moment, elle se redressa lentement, me prit par le bras et m’entraîna sur un côté de la classe.

« Très bien, Rudeus. Combien veux-tu ? », me chuchota-t-elle à mon oreille.

Il m’avait fallu quelques secondes pour comprendre ce qu’elle voulait dire par là. Elle pensait que j’allais lui faire payer pour lui apporter un nouveau garçon-jouet ? Ugh. Je me sentais maintenant juste dégoûté.

« Je ne veux pas d’argent. »

« Qu’est-ce que c’est, alors ? Qu’est-ce que tu veux ? »

« Rien. Il est juste tombé amoureux de toi, c’est tout. »

« Oh, je t’en prie. Rudeus, tu sais comment je fonctionne. Pourquoi as-tu amené un petit enfant de chœur naïf comme lui afin de me rencontrer ? Tu devrais avoir honte de toi. »

Huh. Je ne savais même pas que tu étais familière avec le concept de la honte. On en apprend tous les jours…

« Je ne lui ai pas menti, Elinalise. Je te le présente simplement parce qu’il me l’a demandé. »

« Sérieusement ? »

« C’est aussi simple que ça. Si te le veux, je le jure sur le nom de Maître Roxy. »

Elinalise s’arrêta pour y réfléchir quelques secondes, puis fronça les sourcils.

« Bon, eh bien… si c’est le cas, c’est vraiment problématique, Rudeus. Je ne veux pas avoir affaire à quelqu’un qui est sérieux avec moi. »

Je devais admettre que j’avais été un peu surpris. Je m’attendais à ce qu’elle sourie et dise qu’elle avait une chambre à l’auberge pour ce genre de situation.

« Tu es au courant de ma malédiction, non ? Je ne peux pas avoir une relation exclusive avec quelqu’un. Ça ne marcherait pas. »

Ce n’était pas comme si elle préférait le sexe occasionnel et la fréquentation des bordels. Elle n’avait pas vraiment la possibilité de poursuivre une romance sérieuse, étant donné la nature de sa malédiction. C’était pourquoi elle n’avait jamais laissé les choses devenir trop sérieuses avec quelqu’un. Elle m’avait déjà expliqué tout ça, non ? Elle y avait plus réfléchi que je ne l’aurais cru. On dirait que Cliff allait probablement partir déçu.

« C’est dommage. Alors, vas-y et refuse-le. »

« En es-tu sûr ? Il ne va pas t’en vouloir si je le fais ? »

« C’est bon. »

Ce n’était pas comme si j’avais encore à m’inquiéter de ma réputation. S’il recommençait à me détester, je pouvais vivre avec ça.

« Quand même. Essaie de lui dire la vérité, si tu le peux. Ne te sert pas de moi comme une sorte d’excuse. », avais-je ajouté.

« Très bien, alors. Si tu le dis. »

« J’apprécie. »

Notre petite conférence étant terminée, Elinalise s’était retournée vers Cliff. Elle était plus grande de quelques centimètres. Cliff était vraiment un peu plus petit. Ils auraient fait un couple un peu inhabituel… mais ça n’aurait rien changé, s’ils s’étaient entendus. Ça commençait à faire mal rien que d’être dans cette pièce.

« Rudeus. Je pense que tu devrais nous laisser un peu d’intimité. », dit Elinalise.

« Oui, bien sûr. Excusez-moi… »

Je m’étais dirigé rapidement vers la sortie. Je ne pouvais pas m’empêcher d’être désolé pour Cliff, mais c’était probablement la meilleure issue qu’il pouvait espérer. La malédiction d’Elinalise était le plus gros obstacle, mais elle aimait bien s’amuser à ce stade. Et Cliff était un membre pieux de l’église de Millis, qui préférait les choses ennuyeuses et monogames. Ils étaient comme l’huile et l’eau dès le départ.

« Uhm… merci, Rudeus ! », me dit Cliff alors que je quittais la pièce.

La gratitude dans sa voix me fit mal à la poitrine.

***

Partie 6

Une semaine plus tard, j’étais arrivé à ma classe mensuelle et j’avais trouvé un certain couple se livrant à une démonstration publique et effrontée d’affection. Une grande femme était assise sur les genoux de son petit ami, le regardant amoureusement dans les yeux.

« La magie combinée n’est pas trop difficile une fois que tu as mémorisé tous les phénomènes physiques fondamentaux. Même si tu ne peux pas encore utiliser deux écoles de magie, tu peux imiter les effets de l’une d’entre elles en tirant parti des forces naturelles. »

« Comme c’est intelligent ! Tu sais vraiment tout, Cliff. »

« Eh bien, je ne dirais pas ça… »

Je connaissais les deux personnes concernées. C’était Cliff et Elinalise. Je m’étais lentement approché et je les avais simplement regardés, la tête inclinée.

« Hm ? Oh, Rudeus ! Merci encore pour l’autre jour ! »

Cliff essaya de se lever pour saluer, mais en raison de la femme sur lui, il avait dû se contenter de baisser la tête en signe de gratitude.

« De rien, Cliff. Elinalise, vous voulez bien m’expliquer la situation ? »

Elinalise m’avait souri gentiment depuis son nouveau siège.

« Eh bien, on sort ensemble maintenant. »

Okaaay. Mais pourquoi ? Ce n’était pas du tout comme ça que ça devait se passer…

« Euh, ce n’est pas… ce que tu as décidé à l’avance, si ? »

« Que veux-tu, Rudeus ? Sa proposition était si audacieuse et passionnée ! Il a dégelé mon cœur instantanément ! »

Attends, sa demande en mariage ? On a sauté quelques dizaines d’étapes à un moment donné, ou c’est juste moi ?

« Franchement, Elinalise. Tu m’embarrasses. »

« Je cite : je vais lever ta malédiction, quoi qu’il arrive ! Alors, s’il te plaît… épouse-moi ! »

« Hé, arrête ça ! »

« Oh, tu aurais dû aussi le voir à l’auberge cette nuit-là. Si innocent, si impatient… Oh non, je suis excitée rien que d’y penser… »

« Allez, sérieusement… On est en public, Elinalise… »

Le visage de Cliff était rouge vif. Malgré toutes ses protestations, il n’avait pas l’air d’être particulièrement contrarié.

Eh bien, je suppose que je dois te féliciter pour la perte de ta virginité. Tout ça était légèrement odieux, mais ça ne me dérangeait pas tant que ça, peut-être parce que j’avais au moins une certaine expérience maintenant. Ou peut-être parce que je connaissais les habitudes d’Elinalise. Mais bon… il était clair qu’elle lui avait parlé de la malédiction. C’était une bonne raison de ne pas entamer une relation exclusive avec quelqu’un, et c’était bien réel, mais…

pourquoi diable Cliff aurait-il réagi en demandant sa main ?

« À partir de maintenant, je vais me restreindre autant que possible. Pour le bien de Cliff, bien sûr. »

« Je te l’ai dit, ne te force pas. C’est une malédiction, ce n’est pas quelque chose que tu peux contrôler. Tant que ton cœur m’appartient, rien d’autre ne compte… »

« Oh, Cliff… tu sais que c’est le cas. C’était toujours purement physique, avec les autres… mais je suis à toi corps et âme… »

Elinalise se blottit contre Cliff, enchantée, tandis qu’il lui caressa doucement les cheveux. Un instant plus tard, ils se regardaient dans les yeux. À portée de main, naturellement.

« Elinalise… »

« Cliff… »

Super. Maintenant, ils s’embrassent. Ils avaient apparemment oublié que j’existais et ils avaient commencé à s’embrasser sans vergogne.

Était-ce ce que Cliff voulait ? Être ce mec ? Le genre de gars qui embrassait dans la classe ? J’avais l’impression qu’il devrait y repenser. Elinalise disait tout ce qu’il fallait, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle le gardait dans les parages comme une solution de secours. L’amour avait rendu ce pauvre gars aveugle ou quoi ?

J’avais pris une grande inspiration, sur le point de dire ce que je pensais, mais je m’étais forcé à m’arrêter. J’avais accepté de les présenter à la condition que personne ne se plaigne du résultat. Il serait ridicule pour moi de m’y opposer maintenant.

J’avais jeté un coup d’œil au fond de la classe et j’avais trouvé les trois autres totalement désintéressés. Pursena mâchouillait un morceau de viande séchée et Zanoba parlait à Julie d’un personnage qu’il avait aperçu sur la place du marché l’autre jour. Julie écoutait attentivement, sans même jeter un coup d’œil au couple qui se trouvait devant.

Linia était la seule qui semblait être dérangée. Elle arborait une mine renfrognée et irritable. Je m’étais approché pour lui parler en premier.

« Patron, c’est quoi le problème avec cette femme ? J’ai fait un petit commentaire et elle m’a traité de tous les noms… »

« Pour être honnête, je ne suis pas sûr non plus. »

La situation était vraiment bizarre, mais j’avais pris un moment pour essayer de la comprendre. Quand j’étais parti l’autre jour, Elinalise était déterminée à rejeter Cliff fermement et complètement. Et d’après ce que j’avais entendu, elle avait commencé la conversation sur cette note. Quoi que vous puissiez dire d’autre sur elle, c’était une personne honnête. Elle avait probablement donné à Cliff tous les détails sur sa malédiction, et expliqué que les rumeurs à son sujet étaient en fait vraies.

Et pourtant, il avait répondu en la demandant en mariage. En jurant de lever sa malédiction et en demandant sa main, il l’avait apparemment convaincue… d’une certaine manière. Je n’avais aucune idée de la façon dont ce plan avait pu traverser l’esprit de Cliff. Son processus de pensée était un vrai mystère.

Mais si je me plaçais du point de vue d’Elinalise ? Ce jeune homme avait promis de lui consacrer sa vie, et de l’aider à échapper à sa malédiction. Si quelqu’un te lançait une telle proposition comme ça, sans crier gare… ça pourrait marcher ? Est-ce que tu tomberais vraiment amoureux d’elle, juste comme ça ?

Je pouvais quand même voir cette proposition faire un grand effet. Cette malédiction affligeait Elinalise depuis de très nombreuses années. On ne savait pas si Cliff pouvait vraiment la lever, mais il avait promis de faire de son mieux pour que cela arrive. Cela signifiait probablement beaucoup pour elle. Même si elle appréciait surtout ses escapades nocturnes, la malédiction lui avait probablement causé beaucoup de tristesse et de douleur.

Peut-être que c’était aussi simple que ça. Peut-être que ses promesses étaient suffisantes pour la convaincre. Mais il y avait plus que ça, non ? Cliff lui avait montré de la vraie bravoure et de la passion.

« Hé, patron ! Je viens d’avoir une super idée ! »

« Laquelle, Linia ? »

« On devrait aussi commencer à sortir ensemble ! Mew ! Faisons goûter à ces crétins leur propre médecine ! »

Ce n’était clairement pas une idée à laquelle Linia avait sérieusement réfléchi, mais je m’étais surpris à vouloir tenter cette petite expérience.

« Je pourrais être prêt à tenter le coup. Dis-moi cependant une chose. Si je te prends au mot, tu m’aiderais à trouver un remède à mon impuissance ? », dis-je lentement.

« Hein ?! », dit Linia… et tous les autres dans la pièce, à l’exception d’Elinalise.

Toutes les têtes s’étaient tournées dans ma direction. Cinq personnes à l’air très confus me fixèrent en silence pendant quelques longues secondes.

Quoi ? Ce serait si bizarre que je sorte avec Linia ?

« Tu nous as entendus tout à l’heure ? », demande Linia, la voix hésitante et nerveuse.

« De quoi est-ce que tu parles ? »

« Eh bien, au déjeuner, euh… Pursena et moi parlions de la façon dont tu nous as attachées et déshabillées, sans même t’accoupler avec nous, tu vois ? Miaou… On disait que ta saucisse ne fonctionne même pas correctement. »

Petites crétines. Je vais leur donner une bonne leçon…

Au moment où j’avais jeté un coup d’œil à Pursena, celle-ci détourna immédiatement les yeux.

« On ne se moquait pas de toi, patron. C’est juste que… tu ne semblais pas très intéressé quand tu nous touchais. On s’était dit qu’il y avait peut-être un problème. »

Tout à coup, tout le monde dans la classe me regardait avec pitié et non plus avec confusion. Apparemment, ils avaient réagi au terme impuissance, pas au fait que je sorte avec Linia. Est-ce qu’un petit dysfonctionnement érectile était vraiment si inhabituel par ici ?

« Honnêtement, on n’allait pas le répandre, patron. C’est Linia qui a fait la blague de la saucisse. Elle est parfois un peu bête. »

« Tais-toi, Pursena ! Tu as dit que ce n’était qu’une mauviette inoffensive qui n’avait pas le courage de nous faire des avances ! »

« C’était un compliment, idiote. »

« Miaou ?! »

J’avais secoué la tête alors qu’elles se lançaient dans leur habituel va-et-vient, et je m’étais approché pour prendre mon siège.

« C’est bon, vraiment. Ce n’est pas comme si je faisais tout pour garder ça secret. »

« Oui ! Qui se soucie que tu sois impuissant, patron ? Ce n’est pas comme si on allait penser le contraire de toi ! Miaou ! »

« C’est vrai. Tu es peut-être impuissant, mais tu es toujours le chef, patron ! »

Super, c’est très touchant. Tu pourrais arrêter de répéter le mot « impuissant » maintenant ? Ça commence à m’énerver un peu. Peut-être que j’aurais dû finalement garder ça secret…

« Il ne faut pas te laisser abattre, Maître ! », dit joyeusement Zanoba en me tapant sur l’épaule.

« Nous avons nos figurines ! Laissez-nous vivre pour elles ! »

Julie inclina la tête d’un air incertain.

« Maître, ça veut dire quoi impo-tent ? »

« Eh bien, je suppose que cela signifie que tu ne peux pas remplir le rôle attendu d’un homme… mais ce n’est guère important. Cela n’a aucun rapport avec la création de figurines. »

« Hmm… »

Zanoba essayait-il vraiment de me remonter le moral ? Je voyais bien qu’il choisissait ses mots avec soin…

« Et moi qui pensais que tu n’étais qu’un pervers, patron… Je suppose que tu cherchais simplement un remède à ta maladie, hein ? J’en ai la larme à l’œil, c’est vrai… miaou. »

« Je t’aiderai du mieux que je peux, Patron. Tant que tu me donnes de la viande d’abord. »

Le chat et le chien avaient aussi offert quelques expressions forcées de sympathie. Mais ça ne m’apportait pas grand-chose. En tout cas, je ne tombais définitivement pas amoureux d’elles.

« Pour ce que ça vaut, Rudeus, j’ai appris à entendre les confessions dans le cadre de ma formation. Ils ont dit que je n’avais pas beaucoup de talent dans ce domaine, mais je pourrais peut-être discuter avec toi, au moins. Fais-moi savoir si tu as besoin de quelqu’un pour te prêter une oreille, d’accord ? »

D’un autre côté, les mots de Cliff semblaient chaleureux et authentiques. C’était vraiment le genre de chose qui pouvait gagner le cœur d’un homme. Dommage que je ne sois pas gay. Mais je pouvais comprendre ce qu’Elinalise avait dû ressentir l’autre jour.

Bref, passons. Cliff et Elinalise sortaient maintenant officiellement ensemble. J’avais du mal à croire qu’Elinalise serait capable de résister à l’envie de coucher à droite et à gauche. Et j’étais certain que Cliff ne pourrait pas supporter ça longtemps. Tout allait bien pour le moment, mais il était évident que leur relation allait finir par s’effondrer.

Mais je n’avais bien sûr pas l’intention de le dire.

Dans un autre ordre d’idées, les autres élèves spéciaux étaient maintenant au courant de mon état. La conversation avait été extrêmement gênante, mais au moins ils m’avaient offert leur coopération.

Peut-être que j’avais fait mon premier vrai pas en avant ici. Peut-être. Je voulais juste m’occuper de ce truc pour pouvoir échanger ma salive avec quelqu’un.

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