Mushoku Tensei (LN) – Tome 8 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Une puissance insaisissable

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Chapitre 5 : Une puissance insaisissable

Partie 1

Zanoba Shirone, troisième prince du Royaume Shirone. C’était un enfant béni doté d’un pouvoir surnaturel dès sa naissance. Et un pervers, sans aucun doute. On pourrait dire que c’était un otaku des figurines qui allait trop loin. Au moment où il s’en était rendu compte, il les regardait tous les jours, et quand le sentiment l’avait frappé, il les caressait doucement avec sa main.

Lorsqu’il s’excitait, il perdait le contrôle de son pouvoir monstrueux, mais il ne manipulait jamais ses figurines de façon brutale. C’était peut-être son amour pour elles qui assurait leur sécurité.

L’amour. Oui, il aimait les figurines. Il était très attaché à elles. Par exemple, il y avait une statue en bronze d’une femme nue dans sa chambre. Une femme svelte et légèrement lustrée qu’il avait achetée sur un coup de tête lorsqu’il l’avait repérée sur les marchés. Lorsque j’avais visité la chambre de Zanoba pour la première fois, c’était uniquement pour l’espionner, lui aussi complètement nu, les bras enroulés autour de la statue. C’était ma faute, j’aurais dû frapper. Zanoba s’était empressé de se rhabiller et s’était incliné devant moi, s’excusant de m’avoir montré quelque chose d’aussi laid.

Il n’avait pas besoin de m’expliquer ce qu’il faisait. Son amour était anormal. La neige tombait encore périodiquement dans les Territoires du Nord et il faisait froid si vous sortiez, il ne fallait donc pas être un génie pour comprendre à quel point une statue en métal devait être frigide. Il risquait des gelures pour satisfaire son désir. Personne ne pouvait simuler un tel dévouement.

Pourtant, je pouvais vraiment comprendre d’où cela venait. Après tout, j’avais fait des choses similaires dans ma vie précédente. Cela dit, je ne lui pardonnerais jamais s’il faisait cela avec la statue de Dieu (la figurine de Roxy).

En y repensant, je n’avais pas vu sa figurine dans sa chambre. Je m’étais demandé s’il l’avait laissée à Shirone.

C’était ce que j’avais pensé, jusqu’aux événements de ce jour-là.

J’étais face à Zanoba qui se prosternait soudainement devant moi.

« Maître, s’il vous plaît, apprenez-moi à créer des figurines ! »

C’était le soir et je tenais dans mes mains le début d’une nouvelle figurine. Depuis un mois, je n’avais cessé de dire à Zanoba d’attendre un peu plus longtemps. Il avait attendu comme un chien obéissant, mais il semblerait que sa patience atteignait ses limites.

« Ne m’avez-vous pas promis ! Pourquoi refusez-vous toujours de me donner des leçons ?! »

Zanoba semblait un peu en colère. Je n’avais bien sûr pas de raison de le repousser. Je lui avais promis, et j’avais mis à niveau mes compétences dans ce but. Si je n’avais pas encore commencé, c’était en partie parce que les choses ne s’étaient pas encore arrangées et en partie parce que je n’en avais pas trouvé l’occasion, car cela n’avait aucun rapport avec mon but en venant ici.

« Zanoba, mon élève, sois averti que mes méthodes d’entraînement sont strictes ! »

J’avais délibérément ajouté une touche dramatique à mon discours. Le visage de Zanoba était devenu sérieux. Il hocha la tête d’un air sinistre.

« Naturellement. Maître, je vous demande de ne pas sous-estimer ma détermination. Même si je me mets à cracher du sang, je fais le vœu d’apprendre les techniques secrètes de votre création de figurines. »

« Bien, c’est le bon état d’esprit. »

Et c’était ainsi que j’avais commencé à enseigner à Zanoba la fabrication de figurines. J’utilisais mon temps le soir avant de m’endormir, environ une heure ou deux par jour.

J’avais aussi une arrière-pensée. L’amour de cet homme pour les figurines était authentique, et il se trouvait qu’il était aussi une royauté, ce qui signifiait qu’il était riche. Bien que j’aie un jour abandonné l’idée, son aide pourrait me permettre d’ajouter de la couleur à mes figurines et je pourrais aussi commencer à les produire en série. Ce monde disposait de la technologie nécessaire pour créer des statues en bronze de style occidental. Si nous nous appropriions à nouveau cette technologie, nous pourrions produire des figurines en série, même si la qualité pourrait être inférieure à celle des originaux.

Je commencerais par la production de masse de la figurine Roxy. Ensuite, je travaillerais sur la figurine de Ruijerd. J’écrirais un livre glorifiant la tribu superd pour sa loyauté, racontant l’histoire du fossé existant entre un héros que le monde entier reconnaissait et un homme qu’il ne reconnaissait pas. Je décrirais les luttes et les conflits auxquels il avait dû faire face alors qu’il travaillait dur même si les gens ne l’acceptaient pas. Ensuite, j’intégrerais la figurine en guise de bonus pour l’accompagner. Ce serait un ensemble, un livre avec une figurine gratuite. Si cela réussissait, je pourrais publier un autre livre faisant l’éloge des réalisations de Roxy.

Oui, ça pourrait marcher ! C’était peut-être impossible pour moi de le faire seul, mais malgré ses défauts, Zanoba était toujours un membre de la famille royale. Il était suffisamment riche et il avait aussi de la passion. Il était le partenaire d’affaires idéal. On disait qu’il ne fallait pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais c’était ce que je faisais déjà.

« Très bien, alors je vais commencer à te transmettre mes techniques spéciales ! »

« Oui, Maître ! »

Notre création de figurines venait de commencer.

◇ ◇ ◇

Passons à la conclusion. Il n’avait pas pu le faire. Zanoba était incapable d’utiliser la magie silencieuse de terre pour créer des figurines.

Il y avait deux raisons à cela. L’une était qu’il ne pouvait pas manier la magie sans incantations, et l’autre était que sa capacité totale de mana était loin d’être suffisante.

Pour être juste, il y avait très peu de gens dans ce monde qui pouvaient utiliser des incantations silencieuses. Les seuls que j’avais rencontrés étaient Orsted, Fitz et Sylphie. Il y avait eu un autre exemple dans cette école, un professeur qui pouvait manier la magie du vent sans utiliser d’incantations, mais il était mort l’année dernière.

Je n’avais pas réalisé cela, puisque je le faisais depuis l’enfance, mais l’incantation silencieuse était une technique de haut niveau. Rétrospectivement, ni Éris ni Ghislaine n’avaient réussi à faire de la magie sans incantation. Il était logique que quelqu’un comme Zanoba, qui venait juste de commencer à apprendre la magie, ne puisse pas le faire.

L’autre problème était sa capacité de mana. Pour moi, la création de figurines était un moyen efficace d’utiliser ma réserve de mana qui ne cessait de s’accroître. Mais en réalité, cela signifiait que la création d’une figurine nécessitait une immense quantité de pouvoir magique. Ce fut à ce moment que j’avais réalisé pour la première fois que j’avais apparemment une réserve de mana considérablement plus importante que la plupart des gens.

J’avais pensé que ma réserve de mana était un peu plus grande que la plupart des gens, mais je n’avais jamais pensé que la différence était si grande. En tant qu’aventurier, en voyant d’autres magiciens utiliser tout leur pouvoir magique, je me disais que c’était simplement parce qu’il gaspillait trop leur mana. Pour démontrer la différence de chiffres, je pensais que si un aventurier normal avait un bassin maximum de 100, alors j’en avais probablement environ 500 en comparaison. En réalité, j’avais apparemment beaucoup, beaucoup plus.

De toute façon, moi mis à part, je n’avais jamais rêvé que Zanoba puisse être capable de créer seul une figurine. Il avait fait pourtant de gros efforts. Il s’était réveillé le matin, avait épuisé son mana jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, puis s’était réveillé et l’avait réutilisée jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Ses joues s’étaient tellement creusées que son visage ressemblait à un crâne avec des larmes et de la morve qui coulaient. La chose qu’il voulait le plus faire était une chose pour laquelle il n’avait aucun talent. Ce fait était évident.

Que lui avais-je fait ? J’avais réfléchi à mes actes et je m’étais excusé.

« Je suis désolé. »

Zanoba secoua la tête et répondit, fatigué : « Non, si seulement j’étais plus doué… »

Il avait le regard d’un homme frappé de chagrin. Le regard d’un homme si vaincu qu’il se noyait dans sa tristesse.

Mais nous ne pouvions pas abandonner.

« Très bien alors, essayons quelque chose de différent », lui dis-je.

« Il y a un autre moyen ? ! »

Zanoba, qui avait été frappé par le chagrin quelques instants auparavant, s’était soudainement remis et s’était assis en avant.

« Oui, faisons de notre mieux et trouvons un moyen qui n’utilise pas la magie », lui dis-je en évoquant un amas de terre argileuse.

« J’ai créé cela avec de la magie, mais tu devrais pouvoir aussi la trouver dans la nature. »

J’avais entendu parler d’un célèbre potier qui s’était caché dans les montagnes, mais les montagnes et les forêts de ce monde étaient un danger. Peut-être y avait-il des bêtes dans la nature, faites de quelque chose qui ressemblait à de l’argile ?

« Qu’allez-vous faire avec ça ? »

« La ciseler. »

Le Ciselage. C’était la méthode la plus primitive, la plus fiable, mais aussi la plus difficile. Vous ciseliez l’argile pour faire chaque pièce. Cela rendait possible la création de figurines même pour quelqu’un sans mana. Le seul problème était que nous n’avions pas d’outils de ciselage, mais nous devrions pouvoir les trouver en cherchant des objets magiques sur le marché. J’avais déjà vu un couteau quelque part qui pouvait sculpter les rochers comme si c’était du beurre.

« Maintenant, je comprends, Maître. Avec cette méthode, même moi je devrais pouvoir créer des figurines ! »

Zanoba éleva la voix en signe d’excitation. Son visage était plein d’espoir.

Cet espoir, cependant, avait été facilement anéanti une petite heure plus tard.

Le bout des doigts de Zanoba n’était pas très habile. Cela provenait du pouvoir avec lequel il était né, sa force surnaturelle. En effet, sa « bénédiction » se mettait en travers de son chemin. Il pouvait se retenir suffisamment pour ne pas casser les choses, mais c’était l’étendue de son contrôle. Faire un travail délicat, comme ciseler chaque pièce avec une précision minutieuse, était difficile pour lui.

Zanoba travaillait dur chaque jour, ses yeux devenaient rouge vif à mesure qu’il le faisait. Sa passion était authentique. Il était si dévoué à la création de figurines qu’il s’était endormi et travaillait jusqu’à la mort. Rien ne se passait comme prévu et il devait refaire son travail d’innombrables fois. À chaque fois, il pleurait, criait et émettait d’autres bruits étranges.

Finalement, il réussit à terminer une figurine qu’il avait créée lui-même à partir de rien. Ce n’était certainement pas une belle œuvre d’art. C’était un travail d’amateur et ceux de mon ancien monde seraient vraisemblablement pliés de rire ou en auraient fait des mèmes. Mais je savais que c’était une représentation de sa passion, donc je ne rirais absolument pas. Pourtant, même sans ma dérision, Zanoba lui-même savait qu’elle était mal faite.

« Maître, je ne peux pas le faire. Je… Je ne peux pas faire des figurines comme vous ! », sanglota-t-il.

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Partie 2

« Et voici l’a où on en est. »

J’avais décidé de me tourner vers Maître Fitz pour obtenir son soutien. C’était vraiment misérable pour moi, en tant que maître de Zanoba, de révéler ses défauts et de demander conseil à un étranger, mais je voulais emprunter la sagesse de quelqu’un d’autre. J’avais tellement eu pitié pour mon élève.

« Tu crées… des figurines ? Avec de la magie ? »

Fitz ne pouvait pas le comprendre. Nous étions assis côte à côte, et il inclinait la tête en écoutant mon histoire.

« Oui, comme ça. »

J’avais utilisé la magie de terre pour produire rapidement une simple figure humaine. Aussi discrètement que possible, bien sûr, puisque la magie était interdite dans la bibliothèque. La figure simple que j’avais créée instantanément ressemblait à un sarubobo nu (une amulette rouge de forme humaine étroitement associée à Takayama dans la préfecture de Gifu, une ville de mon ancien monde).

« Ouah ! Qu’est-ce que c’est, c’est incroyable ! »

Le regard de Maître Fitz était figé alors qu’il examinait de près la figurine que j’avais créée. Puis, comme pour tester s’il pouvait faire de même, il canalisa le mana dans le bout de ses doigts et évoqua une touffe de boue dont la forme tordue ressemblait à un slime.

Le fait qu’il avait immédiatement essayé d’imiter ce qu’il avait vu m’étonna. Sa magie, cependant, n’avait pas pris la forme qu’il espérait. Finalement, il poussa un soupir et abandonna.

« Je ne peux pas le faire », avait-il dit.

Ma technique pour créer des figurines était quelque chose sur lequel j’avais travaillé assidûment pendant une longue période. Je serais en larmes s’il pouvait la copier après ne l’avoir vue qu’une seule fois. Pourtant, il semblerait pouvoir le faire s’il s’entraînait. Après tout, il pouvait utiliser la magie silencieuse.

« Ce n’est pas une technique qu’une personne normale peut imiter », conclut Maître Fitz.

« C’est vrai. Comme méthode alternative, j’ai pensé qu’il serait possible d’essayer de ciseler une motte d’argile, mais… »

« Mais ses doigts ne sont pas assez habiles pour le faire », conclut Maître Fitz.

Il déclara cela tout en fredonnant et en posant sa main sur son menton. Il avait l’habitude de le faire lorsqu’il réfléchissait à quelque chose. Les lunettes de soleil lui donnaient un air exceptionnellement fringant dans cette pose.

De même, chaque fois qu’il était gêné ou troublé par quelque chose, il se grattait l’arrière de l’oreille. Un tel comportement était adapté à son âge et fit que je l’aimais davantage. Il était vrai que j’avais entendu dire que les elfes avaient une longue vie. Ils n’avaient donc pas nécessairement l’âge qu’ils paraissaient avoir.

« Hmm… oh oui ! Je ne sais pas si ça va t’aider, mais il y avait quelqu’un qui était un cas similaire à celui de Zanoba dans la capitale d’Asura. »

« Quelqu’un avec un cas similaire ? »

« Oui, il y avait quelque chose qu’il voulait faire lui-même, mais il n’avait pas les compétences ou les capacités nécessaires », précisa Maître Fitz.

« Alors qu’est-ce qu’il a fait ? »

Alors que je le lui avais demandé, ce dernier hésita à répondre, se grattant l’arrière de l’oreille.

« Euh, eh bien, il fit faire ça à un esclave. »

« Aha. »

Selon l’histoire de Maître Fitz, cette personne dans la capitale avait les connaissances nécessaires, mais pas les capacités, il avait donc acheté un esclave, avait demandé à quelqu’un de lui apprendre comment le faire, et avait ensuite demandé à cet esclave de créer ce qu’il voulait.

« D’après ce que tu as dit, euh, Zanoba aime les figurines que tu fais, et il en voudrait d’autres, alors il a dit qu’il voulait les faire lui-même, non ? » dit Fitz afin de clarifier les choses.

« Hein… ? C’est ce que j’ai dit ? »

« Euh, c’est ce qu’il me semblait bien avoir compris. »

Vraiment, c’était le cas ? Eh bien, alors que l’amateur de figurines normal pouvait remodeler ou peindre une figurine, il ne penserait pas à essayer d’en faire une à partir de rien. Le plus que j’avais fait dans ma vie précédente, c’était de profiter d’un peu de remodelage de nus.

« Je suis sûr que Zanoba aimerait que tu deviennes son créateur personnel de figurines, mais il sait que c’est impossible, c’est probablement pour cette raison qu’il demande cela à la place. »

« Mais je ne pense pas que ce soit impossible », avais-je ajouté.

Je pourrais vivre dans le palais royal de Shirone, employé par Zanoba, et fabriquer des figurines tous les jours. Ce ne serait pas une mauvaise façon de vivre ma vie. Travailler dans un palais royal me donnerait aussi un revenu fiable. Maintenant que j’y pense, combien Maître Fitz recevait-il de la princesse Ariel ? J’avais pensé qu’il serait impoli de demander.

« Eh bien, je vais essayer de suggérer cette option à Zanoba. Merci pour les conseils. »

« Aucun problème. »

J’avais baissé la tête et Maître Fitz me fit un sourire en coin.

Pourquoi avais-je été si secoué quand j’avais vu ce sourire ? C’était un mystère. Un mystère de l’homme déjà mystérieux connu sous le nom de Fitz.

◇ ◇ ◇

Acheter un esclave, lui apprendre la technique et lui faire créer une figurine. Quand j’avais parlé de ce plan à Zanoba, il sauta immédiatement sur ses pieds et commença à planifier joyeusement son achat d’esclave. Bien que cela m’avait surpris, la proposition de Fitz de faire appel à un esclave à la place était une méthode largement acceptée dans ce monde.

Cependant, comme nous étions dans une relation maître-élève, Zanoba avait dit qu’il trouvait impoli de me demander d’enseigner à un esclave à sa place. Après tout, c’était l’homme qui avait juré dès le début qu’il apprendrait à le faire lui-même, même s’il vomissait du sang. C’était pourquoi il n’avait jamais proposé cette méthode lui-même, et pourtant il s’était senti soulagé quand je l’avais proposée.

« Et donc nous avons décidé d’aller au marché aux esclaves pendant la pause du mois prochain. »

Je remerciais encore une fois Maître Fitz pour son aide. J’étais vraiment reconnaissant d’avoir quelqu’un à qui je pouvais demander conseil quand j’en avais besoin.

« C’est bien. J’espère que tu trouveras un bon partenaire. »

La conversation semblait terminée, mais Maître Fitz semblait un peu agité.

« Oh oui, je suis aussi libre pendant la pause du mois prochain », avait-il dit.

« Oh, vraiment ? »

« Oui, donc, euh, comme je n’ai rien à faire, je pensais aller en ville, mais je n’ai pas vraiment d’endroit en particulier où je veux aller, ni d’amis, donc je serais tout seul… »

Il faisait désespérément allusion à quelque chose avec ses mots. Un garde du corps comme lui pouvait-il vraiment aller en ville ? N’avait-il pas besoin d’être aux côtés de la princesse au cas où quelque chose arriverait ? Eh bien, ça ne me regarde pas. Luke trouverait probablement un moyen de faire en sorte que ça marche.

« Euh, voulez-vous venir avec nous pendant les vacances du mois prochain ? », avais-je demandé.

« Ça ne vous dérange pas ? Ne serai-je pas une gêne ? »

« Pas du tout. Et pour vous remercier de vos conseils, je vous offre un repas. »

« Vraiment ? Alors j’accepterai volontiers cette offre », dit Maître Fitz en me faisant ce sourire en coin en riant.

C’est ainsi que nous étions allés tous les trois au marché aux esclaves. La prochaine fois : Une fleur dans les deux mains ?! Une séance de shopping à couper le souffle avec l’elfe souriant et le prince à la force surnaturelle !

Je plaisantais.

◇ ◇ ◇

« Ravi de vous rencontrer. Je suis, euh, Fitz. »

Maître Fitz était un peu nerveux au moment de rencontrer Zanoba. Zanoba, par contre, s’était approché de lui.

« Je suis le troisième prince du royaume Shirone, Zanoba Shiro-aaah ! »

Il était si arrogant que je l’avais frappé aux genoux, le forçant à s’abaisser. D’habitude, je ne surveillais pas la façon dont les gens se comportaient avec un supérieur, mais Fitz était un élève de la classe supérieure, et Zanoba pouvait sûrement comprendre qu’il devait baisser un peu la tête lors de leur première rencontre.

« Zanoba, c’est Maître Fitz qui a proposé la solution que nous utilisons. Montre-lui le respect qu’il mérite. »

Après que j’avais dit cela, Zanoba s’était penché.

« Compris, maître. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Je m’appelle Zanoba Shirone, troisième prince du royaume Shirone. »

« N-non, vous n’avez pas à être si, euh… formel. Vous êtes un membre de la famille royale, donc s’il vous plaît ne faites pas tant de cérémonie. »

Maître Fitz agita les mains frénétiquement en se plaçant derrière moi.

Les yeux de Zanoba s’élargirent. Il y avait une grande dissonance entre a) les rumeurs sur Maître Fitz, b) l’apparence physique de Maître Fitz, et c) ses manières et son discours réels.

On l’appelait Fitz le Silencieux et on le craignait comme un magicien capable de manier une magie silencieuse, mais quand on lui parlait vraiment, il était comme n’importe quelle autre personne de son âge. C’était un élève gentil qui veillait sur ses camarades de classe.

« Eh bien, maintenant que vous vous êtes rencontrés, allons-y. »

C’était ainsi que nous étions partis tous les trois.

Le marché aux esclaves était dans le quartier commerçant. L’achat et la vente d’esclaves étaient une affaire peu courante sur le continent Millis et dans la région sud du continent central, mais les territoires du Nord étaient différents. Ici, la plupart des pays avaient légalisé la traite des esclaves, qui était un élément clé de l’économie.

Les gens devenaient esclaves pour diverses raisons. Il y avait les orphelins des guerres. Il y avait ceux qui étaient vendus enfants par leurs parents lorsque les récoltes échouaient et qu’ils n’avaient pas d’autres options. Il y avait aussi ceux qui se vendaient pour sauver leur famille. Il y avait même une rumeur selon laquelle un élevage d’esclaves existait dans les parties les plus sombres de la Guilde des Voleurs. Les nations magiques étaient généralement assez prospères pour que leurs citoyens n’aient jamais à recourir à de tels moyens, mais plus à l’est se trouvaient plusieurs villages désolés qui vendaient périodiquement leurs enfants à des esclavagistes. Ces esclaves étaient ensuite recrutés par les milices ou les bandes de mercenaires des Territoires du Nord, ou achetés par le gouvernement pour servir de chair à canon pendant la guerre.

Avant de partir, j’avais recueilli quelques informations auprès de la guilde des aventuriers. Les grandes villes avaient de multiples marchés d’esclaves, et celle-ci en avait cinq. Les marchés noirs étant des endroits effrayants, nous nous étions donc rendus dans un marché qui m’avait été recommandé comme étant à la fois adapté aux débutants et destiné à une clientèle ayant des poches plus profondes.

« Hm, c’est assez différent du marché de mon pays d’origine. »

Zanoba approuva de la tête, comme s’il était impressionné.

Au premier coup d’œil, le marché aux esclaves ressemblait à n’importe quel autre bâtiment. Il était simple, composé de trois bâtiments en terre et en pierre. Au-dessus de l’entrée, il y avait les mots « Compagnie Rium — Marché aux esclaves. » Un brasero crépitait près de l’entrée, et à côté de celui-ci se tenait un homme vêtu d’un épais vêtement arctique surmonté d’une armure de cuir.

« Le marché ne se trouve donc pas dehors, hein ? », remarqua Fitz avec surprise.

Pour une raison simple, les marchés aux esclaves étaient généralement à l’intérieur des bâtiments dans les Territoires du Nord.

« Allons à l’intérieur. »

Un souffle d’air chaud nous enveloppa lorsque nous étions entrés. Des feux crépitants s’étaient propagés à l’intérieur du bâtiment, ainsi que dans les huit scènes où des esclaves nus étaient alignés, ce qui n’était pas du tout possible si l’on se souciait de la santé des esclaves. Le marché qu’on m’avait déconseillé de visiter se tenait à l’extérieur.

« Hm, il y a beaucoup de magasins ici. Maître, où devrions-nous aller ? », demanda Zanoba.

« Je n’ai jamais fait ça avant. Jetons d’abord un coup d’œil aux alentours. »

Les huit magasins différents appartenaient tous à des marchands d’esclaves sous la juridiction du Groupe Rium. La clientèle rassemblée autour d’eux était assez diverse : Il y avait des aventuriers comme moi, des gens en costume noble comme Zanoba et Maître Fitz, des marchands, des citadins, des paysans et des étudiants. Il y avait même quelques propriétaires d’esclaves, qui se tenaient avec leurs esclaves nouvellement achetés et bavardaient joyeusement entre eux.

***

Partie 3

Les individus les moins bien habillés étaient peut-être des voleurs à la tire. Non, ils ne pouvaient pas se glisser dans un marché gardé comme celui-ci. Peut-être étaient-ils eux-mêmes des esclaves, envoyés par leurs maîtres pour trouver d’autres esclaves à acheter. J’avais en outre sécurisé le sac à pièces caché sous mes robes. C’était Zanoba qui finançait l’achat de l’esclave, mais c’était moi qui m’occupais de son portefeuille. Après tout, nous aurions de gros ennuis si quelqu’un venait le lui voler.

« Euh, euh, wôw… ils sont vraiment tous nus. »

Fitz regardait les magasins, les yeux écarquillés de surprise. Son visage était rouge vif. J’avais suivi son regard vers un groupe d’esclaves maigres et musclés, probablement des guerriers. La guerrière du centre était particulièrement… bien dotée. On pourrait penser que des melons comme ceux-là gêneraient au combat, mais je savais en regardant Ghislaine se battre que ce n’était pas le cas.

« C’est la première fois que tu viens ici, Maître Fitz ? »

« Hein ? Oh, hum, oui. »

Maître Fitz se grattait l’arrière de l’oreille tout en resserrant timidement sa cape autour de lui. C’était exactement le genre de réaction que l’on attendait d’un vierge.

« Alors, Rudeus, tu es habitué à ça ? »

Je me sentais un peu triomphant. Penser que j’avais peut-être plus d’expérience sexuelle qu’un élève de terminale. Mais je ne l’avais fait qu’une fois moi-même. Et ma partenaire s’était enfuie après. Il n’y avait pas de quoi être fier.

« Je suis sûr que tu te sentiras plus à l’aise une fois que tu auras acquis un peu d’expérience », lui avais-je assuré.

« Es-tu sûr de ça ? Hé, attends, ça veut dire que tu as de l’expérience… »

Il avait l’air soudainement effondré.

Ah, tu es encore si jeune, pensais-je.

« Maître, nous ne voulons pas de guerriers, n’est-ce pas ? Nous cherchons une race avec des mains habiles qui peuvent utiliser la magie, n’est-ce pas ? »

Zanoba nous avait lancé un coup de menton, comme pour dire que notre conversation n’avait pas de sens pour lui.

« Une race avec des mains habiles — ça doit être un nain, non ? », lui avais-je demandé.

« Un nain qui peut utiliser la magie de terre. Bien que cette dernière soit plus importante que leur race », répondit Fitz alors que nous faisions le tour des magasins.

Malgré la taille du marché, il n’y avait pas beaucoup de nains parmi les esclaves. La plupart des personnes en vente étaient clairement des guerriers, et aucun n’avait les mains habiles que nous recherchions.

« Hum, je pense que nous pourrions nous contenter d’un enfant même s’il ne sait pas encore utiliser la magie, vu que Rudeus pourra toujours le lui apprendre plus tard », déclara Fitz.

« Pourquoi un jeune ? », avais-je demandé.

« C’est plus facile d’apprendre la magie silencieuse quand on est jeune. »

« Oh, vraiment, c’est vrai ? »

« Oui, c’est presque impossible à apprendre quand on a plus de 10 ans. »

Sérieusement ? En y repensant, Sylphie avait réussi à utiliser la magie sans voix, mais pas Éris. Peut-être que leur âge y était vraiment pour quelque chose.

« Donc c’est lié à l’âge, hein ? »

« Oui. Je peux me tromper, mais c’est la conclusion à laquelle je suis arrivé sur la base de mon expérience personnelle, de ma maîtrise, et des paroles de nos professeurs. De plus, si tu commences à utiliser la magie à l’âge de cinq ans, la taille de ton réservoir de mana augmentera considérablement. Si tu veux apprendre à l’esclave à fabriquer des figurines en utilisant ta méthode, alors plus la réserve de mana est grande, mieux c’est. »

« Je pensais que la taille de la réserve de mana d’une personne était fixée à la naissance », avais-je dit.

« C’est faux. C’est ce que disent les manuels scolaires, mais la vérité est que la réserve de mana d’une personne cesse de croître lorsqu’elle atteint l’âge de dix ans », expliqua Maître Fitz.

Je vois. Cela expliquerait pourquoi ma réserve de mana était si grande, puisque j’avais commencé à utiliser la magie à l’âge de deux ou trois ans. Et comme Maître Fitz avait dit qu’il parlait par expérience personnelle, il avait probablement aussi une impressionnante réserve de mana.

« As-tu aussi utilisé la magie depuis ton plus jeune âge ? »

« Oui. Eh bien… il y a longtemps, mon maître m’a sauvé et je lui ai demandé de m’enseigner, c’est ainsi que j’ai appris. »

« Aha. »

Peut-être que son maître l’avait sauvé de monstres dans une forêt, ou quelque chose comme ça. Non… s’il était un enfant à l’époque, il était plus probable qu’il ait été kidnappé. Le trafic d’enfants était une activité florissante dans ce monde, et même avec des lunettes de soleil, Maître Fitz était beau.

« Ton maître était donc capable d’utiliser la magie silencieuse ? »

« Oui. Il est incroyable. Je le respecte profondément. »

« C’est génial. J’aimerais le rencontrer », avais-je dit. Rencontrer un autre professeur de magie silencieuse pourrait m’aider à améliorer mes propres capacités.

Maître Fitz fit échapper un rire amer.

« Euh, je suis presque sûr que c’est impossible. »

« Vraiment ? Je suppose que cela doit être une personne assez importante. »

Maître Fitz était après tout le garde du corps d’une princesse, son maître pourrait donc être un magicien de la cour ou quelque chose comme ça.

« Il n’est, euh… pas très bien classé, mais il est de la région de Fittoa. »

« Ah… »

Quelqu’un qui a été pris dans l’incident de téléportation ? Fitz ne savait donc probablement pas où il était maintenant.

« Je ne sais pas vraiment quoi dire, alors… j’espère qu’il est toujours en vie. »

« Il est toujours en vie. En fait, je l’ai retrouvé. »

En y repensant, il avait dit qu’il s’était lancé dans la recherche sur la téléportation afin de retrouver une connaissance. C’était donc son maître, hein ?

« Attends, alors pourquoi ne puis-je pas le rencontrer ? »

« Hehe. C’est un secret. »

Fitz sourit d’un air entendu.

Pourquoi mon cœur semblait-il battre quand je voyais son sourire ? Bien sûr, je me pâmais peut-être devant de jolis garçons fictifs, mais je n’étais pas gay. C’était peut-être mon corps qui prenait des mesures drastiques dans sa quête de guérison.

Conformément aux suggestions de Maître Fitz, nous avions établi trois critères dans notre recherche d’un esclave. Premièrement, il devait avoir environ cinq ans (ou plus jeune, mais il y avait une forte probabilité qu’il ne puisse pas parler). Deuxièmement, il devait être nain (pour leurs mains habiles). Et troisièmement, il devait s’agir d’une jolie petite fille (ma préférence personnelle).

« Une fille ? Ça ne me dérange pas, mais Maître, ne perdez-vous pas de vue notre objectif ? »

« Rudeus… »

Ma dernière exigence les avait amenés à me gronder tous les deux.

« Hein ? »

« Cela dit, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un enfant de cinq ans ait eu beaucoup d’éducation. Si tout ce qu’ils parlent est la langue du Dieu Bête, alors on peut oublier d’essayer de leur apprendre la magie. »

« Je parle le Dieu-Bête. Je peux l’éduquer. »

« Franchement, Maître, vous connaissez la langue du Dieu-Bête ? Vous ne manquez jamais d’impressionner ! »

« Heh, je suppose que oui. »

Je m’étais gonflé d’orgueil suite à son compliment. Je n’en avais peut-être pas l’air, mais j’étais multilingue, après tout ! J’avais même enseigné à un enfant de cinq ans dans le passé.

À ce propos, je me demandais comment allait Sylphie ? Elinalise et Maître Fitz témoignaient de ma fascination pour les elfes, dont la beauté élancée séduirait tous les amateurs de fantaisie de la vieille école. Sylphie avait du sang d’elfe en elle, et elle aurait environ quinze ans à l’heure actuelle. Je parie qu’elle était devenue une beauté aux cheveux verts, et à en juger par ce qu’avait dit Paul, ses talents de magicienne avaient vraiment progressé eux aussi. Sa renommée devrait s’étendre à l’infini, mais je n’avais pas entendu un seul murmure sur quelqu’un qui correspondait à sa description.

« En tout cas, maintenant que nous savons ce dont on a besoin, essayons donc de demander à l’un des commerçants. »

Je m’étais dirigé vers le centre d’information. Derrière le bureau, il y avait un macho avec une tête lisse et chauve et une moustache. Il semblait perplexe lorsqu’il nous vit, Maître Fitz et moi, mais il hocha ensuite la tête de satisfaction lorsqu’il repéra Zanoba.

« Hum, excusez-moi, nous cherchons en fait… »

Macho m’avait ignoré et s’était plutôt adressé à Zanoba.

« Salut et bienvenue. Qu’est-ce que vous cherchez ? Un type de combattant qui peut servir de garde du corps ? Nous en avons en ce moment qui peuvent apprendre à manier une épée. Nous avons aussi quelques magiciens, mais dans ce cas, vous feriez mieux d’aller à l’université. Ou bien vous êtes intéressé par le type qui peut, euh, vous savez ? Nan, vous n’avez même pas besoin de le dire. Je peux dire à votre face que vous n’attirez pas vraiment les femmes. Nous avons une jeune fille d’une vingtaine d’années. Une ancienne prostituée, donc elle est plutôt douée à… aaaah ! »

L’homme prit une griffe de fer au visage et fut soulevé en l’air.

« N’ignore pas mon maître. Je vais t’arracher ta ridicule langue branlante, et t’arracher la mâchoire tant que j’y suis. »

« H-hey maintenant ! Qu’est-ce que tu fais ? ! »

Deux gardes étaient venus pour maîtriser Zanoba, mais il n’avait pas bougé d’un pouce. En fait, tout ce qu’il avait eu à faire pour les repousser avait été de hausser légèrement les épaules. C’était franchement impressionnant. Cet otaku grand et sous-alimenté avait totalement maîtrisé deux gardes musclés sans même essayer. C’était donc la puissance d’un enfant béni, hein ?

Oh, attendez, je ne devrais pas être spectateur.

« Stop ! Zanoba, arrête. À terre, mon garçon ! »

« Oui, monsieur ! »

Au son de ma voix, Zanoba avait libéré l’homme. Je m’étais tourné vers le garde de sécurité et m’étais incliné rapidement.

« Je suis terriblement désolé, il s’est juste un peu énervé. »

« Non, c’est bon… juste, essayez de ne pas trop vous énerver, d’accord ? On dégainera nos épées la prochaine fois. »

Ils avaient joyeusement laissé glisser, et j’avais fait semblant de ne pas remarquer la peur dans leurs yeux.

Le plus inattendu, cependant, avait été la réaction de Maître Fitz. Au moment où les gardes s’étaient emparés de Zanoba, il s’était avancé devant moi avec sa baguette levée. Ses mouvements étaient incroyablement rapides, mais l’on devait s’attendre à ça pour un garde du corps d’une princesse.

Bon, peu importe, continuons la conversation !

« Nous cherchons un nain, d’environ cinq ans », dis-je en répétant notre demande à Macho.

L’homme trembla en parcourant des yeux la liste d’inventaire devant lui. Il feuilleta les pages et ses yeux s’étaient rétrécis.

« Nous n’avons pas vraiment beaucoup de nains par ici, surtout des enfants de cinq ans. »

Il semblerait que nos exigences étaient bien trop spécifiques. Les nains vivaient principalement sur le continent Millis, au sud de la Grande Forêt, au pied des montagnes de la Wyrm Bleue.

« Il n’est pas nécessaire que ce soit un nain. S’il est habile de ses mains, ça ira. »

« Oh, nous en avons un. Juste un. »

Le macho tapa du doigt sur un point de sa liste d’inventaire.

« Une fille naine de six ans. Ses parents étaient endettés, donc toute sa famille a été vendue comme esclave. Mais elle n’est pas en très bonne santé. Elle ira probablement mieux une fois que vous lui aurez donné à manger. Elle ne parle pas la langue des humains, et comme elle n’a que six ans, elle ne sait pas non plus lire. »

« Je vois. Et quel est le statut de ses parents ? »

« On les a déjà vendus tous les deux. »

« Eh bien, pourquoi ne pas aller la rencontrer ? »

Macho cria, et un marchand se présenta. Il avait la peau foncée et venait probablement du continent Begaritt. Il était trapu et en sueur, s’essuyant souvent avec le chiffon humide autour des épaules, mais le marché était chaud. J’avais enlevé ma robe, et Zanoba avait retiré son manteau, seul Maître Fitz restait entièrement vêtu. En fait, il semblait parfaitement à l’aise, à en juger par l’expression de son visage. Bon, d’accord, son visage était rouge vif, mais c’était pour une toute autre raison.

***

Partie 4

Le marchand se présenta, en tendant la main en direction de Zanoba.

« Salutations, je suis le directeur de la succursale du magasin Domani, une filiale du groupe Rium. Je m’appelle Febrito. »

Zanoba s’approcha du visage de l’homme. J’avais alors pris sa main avec force dans la mienne et je l’avais secouée.

« C’est un plaisir, je m’appelle Rudeus Quagmire. »

Lorsque j’avais donné mon nom, l’homme avait eu l’air empli de doutes pendant un moment, mais son expression s’était rapidement transformée en un large sourire.

« Oh, alors vous êtes Quagmire ! J’ai entendu parler de vous. On dit que vous avez tué un traînard l’année dernière. »

« J’ai juste eu de la chance. Mon adversaire était aussi affaibli. »

Febrito jeta un bref coup d’œil à Zanoba et à Maître Fitz.

« J’ai entendu dire que vous cherchiez un nain aujourd’hui ? »

« Oui, cet homme là-bas va financer l’ouverture d’une nouvelle entreprise. Nous cherchons un enfant qui pourra travailler avec les compétences nécessaires dès son plus jeune âge. »

C’était une explication hasardeuse, mais ce n’était pas un mensonge.

« Je vois, je vois. Je ne peux pas vraiment vous recommander cette personne en particulier, mais… pourquoi ne pas d’abord jeter un coup d’œil ? Par ici, s’il vous plaît. »

On suivit Febrito jusqu’à l’entrepôt d’esclaves. Je l’avais appelé « entrepôt », mais c’était juste des lignes de cages en acier reliées à des poulies. Chaque cage avait à peu près la largeur d’un seul tatami, avec une ou deux personnes entassées à l’intérieur. Les marchands les lavaient et les polissaient probablement avant de les exposer, mais ils étaient sales en ce moment, et une bouffée d’air suffisait à me faire plisser le nez. En y regardant de plus près, j’avais vu des enfants en pleurs et d’autres aux regards perçants et pleins d’intentions meurtrières se diriger vers nous. Il y avait quelques autres personnes comme nous, qui discutaient avec d’autres marchands dans l’entrepôt.

Febrito marchait rapidement dans les espaces entre les cages en acier, appelant quelqu’un qui se tenait au bord du chemin.

« Hé, est-ce que cette gamine naine est encore en vie ? »

« Oui, elle s’accroche. »

« Où ça ? »

« Par ici. »

On avait été plus profondément dans l’entrepôt. Les chauffages ne semblaient pas fonctionner jusqu’ici, alors il faisait un peu froid. Le subordonné de Febrito s’était arrêté devant une cage qui contenait une fille au regard vide, assise les genoux serrés contre la poitrine.

« Eh bien, faites-la sortir. »

« Bien reçu. »

Le subordonné de Febrito hocha la tête et ouvrit la cage d’acier, traînant la fille dehors.

L’enfant avait un collier autour du cou et des menottes aux pieds. Son corps squelettique était couvert de haillons pathétiques. Ses cheveux étaient peut-être orange autrefois, mais ils étaient maintenant ébouriffés et sales, avec des mèches grises partout. Son visage était pâle et ses yeux étaient creux lorsqu’elle s’enveloppait de ses bras en tremblant. Je m’étais rendu compte qu’il faisait froid, mais cela ne semblait pas être la seule raison de son tremblement. C’était un spectacle douloureux à voir.

« Déshabillez-la. »

Ses frissons ne semblaient pas déranger le subordonné de Febrito, qui lui avait rapidement arraché les chiffons. Son corps mortellement mince et sous-alimenté avait été laissé complètement exposé.

Le visage de Maître Fitz s’était déformé pendant qu’il regardait.

« Rudeus… »

Même moi, je n’avais trouvé cela que détestable. Je voulais juste me dépêcher de l’acheter pour qu’on puisse lui offrir un repas et un bain chaud. Cependant, les yeux de la fille me préoccupaient. Ces yeux vides. Je les avais déjà vus quelque part.

« Comme vous pouvez le voir, c’est une naine. Elle a six ans, elle n’a donc pas vraiment de compétences. Ses deux parents étaient des nains. Son père était forgeron, et sa mère fabriquait des bijoux. Elle devrait avoir les mains habiles que vous désirez, en supposant qu’elle ait hérité de leur talent, mais la seule langue qu’elle connaît est celle du Dieu Bête. Nous ne pensions pas vraiment pouvoir la vendre, donc sa santé n’est pas non plus au mieux. Nous vous ferons une remise pour ces raisons. »

Maître Fitz avait l’air troublé en s’approchant de la jeune fille, en lui mettant la main sur la joue. Après quelques secondes, son teint s’était un peu amélioré. Il lui avait probablement jeté quelque chose.

« Et elle est vierge, bien sûr. Nous allons la désintoxiquer au cas où, si vous décidez de l’acheter. Bien que je ne puisse pas vraiment vous le recommander. »

Maître Fitz me regardait comme un enfant qui aurait trouvé un chiot abandonné et l’aurait ramené à la maison. La fille répondait à nos critères… mais ces yeux me dérangeaient vraiment.

« Bonjour, mademoiselle. »

Je m’étais agenouillé et je l’avais appelée dans la langue du Dieu Bête.

« Je m’appelle Rudeus. Quel est votre nom ? »

« … »

« Vous voyez, il y a quelque chose que j’aimerais que vous fassiez. »

« … »

« Hum… »

Elle m’avait juste regardé avec ces yeux vides, sans offrir un seul mot en réponse. Le subordonné de Febrito prit le fouet qui reposait à ses côtés, mais je l’avais arrêté avec ma main.

« Maître, qu’est-ce qui se passe ? », demanda Zanoba.

« Elle a perdu tout espoir. Elle a le regard de quelqu’un qui ne veut plus vivre. »

« Avez-vous déjà vu quelqu’un comme ça ? »

« Assez souvent. Il y a longtemps. »

Zanoba et Maître Fitz semblaient tous deux inquiets, mais je n’avais pas l’intention de donner plus d’informations sur ma vie passée si je pouvais me le permettre. Rien de bon ne pouvait en résulter.

Le vide dans le regard de la jeune fille rappelait des souvenirs. J’avais eu le même regard que le sien quand j’avais environ vingt ans. Je n’avais pas fait d’études, n’avait aucun espoir pour l’avenir et aucune perspective d’emploi. Tout ce que je pouvais faire, c’était manger, chier et survivre.

Rétrospectivement, il n’était pas trop tard afin que je puisse changer les choses. Mais au lieu de cela, j’avais sombré encore plus dans le désespoir, je m’étais retrouvé complètement enfermé, j’avais perdu encore plus d’espoir. J’avais voulu mourir.

« Vous ne voulez plus vivre ? », avais-je demandé dans la langue du Dieu Bête.

« … »

« On a l’impression que tout est sans espoir. Je comprends ce que vous ressentez. »

« … »

Son regard s’était lentement posé sur moi.

« Si c’est si grave, dois-je y mettre fin pour vous ? »

Je pouvais faire de mon mieux pour sauver cette fille. Je pouvais lui acheter des vêtements, la nourrir, lui offrir des mots gentils. Mais j’avais besoin de savoir si elle voulait que je le fasse.

« … »

« Dites quelque chose », avais-je dit dans la langue du Dieu Bête.

La fille n’avait même pas bronché. Elle avait juste ouvert très lentement ses lèvres fendues.

« Je ne veux pas mourir », murmura-t-elle d’une petite voix.

C’était une réponse timide, mais ça suffisait. Ce n’était pas grave si elle ne « voulait pas vivre ». Au moins, elle ne voulait pas mourir, et ça suffisait pour l’instant.

« On va l’acheter. »

Je l’avais enveloppé dans la robe que je portais sur ses épaules. Puis j’avais utilisé la magie pour la réchauffer et j’avais lancé un sort de désintoxication. La magie de guérison n’aurait rien fait pour son endurance, alors il suffisait de lui donner un peu de nourriture.

« Monsieur Febrito, combien ? »

Elle valait l’équivalent de dix grosses pièces de cuivre d’Asura. C’était son prix.

◇ ◇ ◇

Nous avions emmené l’enfant dans un lavoir au bord du marché aux esclaves pour la baigner, puis nous nous étions rendus au quartier du commerce pour acheter des vêtements et d’autres produits de première nécessité. Nous nous étions finalement retrouvés dans un café chic, pas un endroit où je serais allé tout seul, mais c’était Maître Fitz qui l’avait choisi. Il s’était parfaitement intégré, tandis que Zanoba n’avait pas bronché, comme il sied à la royauté. La fille que nous venions d’acheter était entièrement concentrée sur l’absorption de nourriture, ce qui fit de moi le seul à me sentir mal à l’aise dans un environnement aussi chic.

Maître Fitz semblait être de bonne humeur.

« Content que ça te plaise », dit-il en caressant la tête de la fille.

« Au fait, Rudeus, quel est son nom ? »

« Comment tu t’appelles ? » lui demandai-je dans la langue du Dieu Bête.

La fille m’avait regardé, perplexe.

« Mon nom ? »

Hein ? N’avais-je pas communiqué les mots assez clairement ? Je n’avais pas utilisé la langue depuis environ trois ans, mais je m’étais bien débrouillé dans la Grande Forêt. Peut-être que les habitants du village de Doldia m’avaient fait la même chose qu’un japonais avec un américain qui se présenterait à Tokyo et prétendrait parler couramment le japonais ?

« Hum, comment t’appelles-tu ? »

« L’enfant de Bazar du Saint-Acier et de Lilitella de la belle crête de neige. »

Je n’avais aucune idée de ce qui se passait, alors j’avais juste traduit ses mots mot pour mot. Quand je l’avais fait, Maître Fitz avait simplement répondu : « Oh, d’accord » tout en hochant la tête d’un air entendu.

« Les nains n’ont pas de nom officiel avant l’âge de sept ans », avait-il expliqué.

Un « nom officiel » ?

« Quand ils ont sept ans, ils reçoivent un nom qui est façonné d’après quelque chose dans lequel ils sont bons, quelque chose qui les attire, ou quelque chose qu’ils aiment. »

C’était donc ça. Maître Fitz était bien informé, comme toujours.

« Il faut quand même qu’on lui donne un nom », lui avais-je dit.

« Ses parents sont partis. Nous devrons lui en donner un nous-mêmes. »

« Nous allons décider de ton nom, maintenant. As-tu des préférences ? »

J’avais moi-même demandé à la fille, mais elle avait simplement penché la tête.

« C’est une petite fille. Donnons-lui un joli nom. »

Le raisonnement de Maître Fitz ressemblait à ce que dirait une fille. Cela m’avait donné envie de faire le contraire et de lui donner un nom qui sonne dur… mais non, je ne pouvais pas faire ça. Nous devions faire ça bien.

« Zanoba, donne-nous ton avis ! »

Zanoba m’avait jeté un regard : « Hm ? Vous êtes sûr que je peux le choisir ? »

« Après tout, c’est toi qui as financé cette entreprise. »

« Alors ce sera Julias », dit-il, sans aucun signe de considération.

« N’est-ce pas un nom de garçon ? »

« Oui, c’était autrefois le nom de mon pauvre petit frère. Celui que j’ai tué quand j’ai mal jugé ma propre force. »

Je n’arrivais pas à contrôler mon visage quand il avait dit ça. Je savais que Zanoba avait tué son petit frère, mais je ne savais pas comment réagir face à l’indifférence avec laquelle il parlait. Maître Fitz avait l’air confus.

« Elle va rester dans ma chambre, n’est-ce pas ? Elle devrait porter un nom avec lequel je ressens un lien. »

« Fais au moins que ce soit Juliette. C’est quand même une fille. »

« Ça me va. Ce sera donc Juliette. »

« Juli… ette, hehe, c’est un bon nom. »

Maître Fitz rit joyeusement, comme s’il trouvait le nom amusant.

« À partir d’aujourd’hui, tu t’appelleras Juliette », avais-je dit à la fille dans la langue du Dieu Bête.

« Julie… ? »

« Juliette. »

« Julie », dit-elle avec un sourire maladroit. C’était assez proche.

Et c’était ainsi que Juliette (surnommée Julie) avait été remise aux soins de Zanoba. Le soir, je lui avais enseigné la magie silencieuse et la langue humaine, tandis que Zanoba lui donnait des conférences sur les propriétés des poupées et des figurines. Il lui faisait aussi faire des exercices pour développer sa dextérité, probablement parce qu’il voulait encore pouvoir faire des figurines tout seul un jour.

En attendant, rien ne laissait présager que j’atteindrais bientôt mon véritable objectif.

***

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