Mushoku Tensei (LN) – Tome 7 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Une forêt en pleine nuit

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Chapitre 4 : Une forêt en pleine nuit

Partie 1

Plusieurs mois passèrent et l’hiver venait de commencer. L’hiver dans les Territoires du Nord fut rude. Et vu l’abondance de neige qui semblait presque enterrer la terre, il était presque difficile de croire que cet endroit n’était qu’un peu plus au nord du royaume d’Asura.

Comme la neige bloquait la région, les importations des royaumes voisins cessèrent. Les habitants ne pouvaient donc plus se procurer de légumes frais. Leurs repas se composaient plutôt des tas de haricots qu’ils cueillaient avant l’hiver, de plats fermentés tels que les légumes marinés et de la viande de bêtes que les aventuriers chassaient. Dans cette région, la coutume voulait que l’on associe ces repas bruts et fades avec de l’alcool fort. Les gens autour de moi avaient longtemps eu pitié de moi parce que je ne buvais pas, mais cela m’importait peu. De toute façon, ces derniers temps, rien de ce que je mangeais n’avait de saveur.

Bien que ce soit l’hiver maintenant, ma vie était restée la même. Je faisais de l’entraînement physique, je priais, je mangeais, puis je partais faire mon travail d’aventurier. Telle était ma routine quotidienne. Cependant, cela faisait presque six mois que j’étais venu dans cette ville et je sentais qu’il ne me restait plus grand-chose à accomplir ici. Pour le meilleur ou pour le pire, le nom de « Quagmire Rudeus » commençait à se répandre. J’étais proactif en offrant mon aide à la jeune génération d’aventuriers, et j’étais également bien connu des vétérans. J’avais même des collaborateurs au sein de certains groupes d’aventuriers de Rosenburg, qui se renseignaient sur Zenith en mon nom lorsqu’ils s’aventuraient dans des villages lointains. L’un de ces groupes, qui était parti avant le début de l’hiver, m’avait assuré qu’il ferait passer le message.

Peut-être que, grâce à ce travail acharné, ma réputation s’était également répandue parmi les marchands qui faisaient affaire avec les aventuriers, comme ceux qui possédaient des magasins d’armes et d’armures. En plus de cela, j’avais également réussi à faire bonne impression sur un magasin spécialisé dans les outils magiques. S’ils avaient des problèmes, je les aidais et ils faisaient connaître mon existence en tant que paiement. Je n’étais pas sûr de l’efficacité de cette méthode, mais les commerçants avaient leurs propres réseaux. J’espérais que, grâce à l’une de ces connexions, la nouvelle pourrait parvenir à Zenith.

Mais, vu le silence radio obtenu malgré mes efforts ici, elle ne devrait probablement pas être dans la région. Une autre possibilité était qu’elle était déjà…

Non, arrête. Penser à cela ne servira à rien, me suis-je dit.

« Ouf… »

J’avais soupiré en enfilant ma tenue hivernale et j’avais quitté l’auberge. Ma destination était la guilde des aventuriers.

Il faisait froid dehors. La neige tombait à peine, et la brise n’était pas très forte. La fourrure du hérisson des neiges qui m’enveloppait me semblait chaude, mais le vent sur mon visage était glacial. Mon souffle se transformait en une brume blanche, et la salive dans ma bouche me donnait l’impression qu’elle pouvait geler. Bien que la température soit meilleure maintenant que pendant la nuit ou l’aube, il faisait toujours très froid.

Je frissonnais en traversant la rue enneigée. Je devrais probablement passer à la ville suivante au printemps, me suis-je dit, même si je ne me sentais pas du tout motivé pour le faire.

La guilde des aventuriers était remplie de gens en hiver. Cela s’expliquait en grande partie par le fait que peu de groupes choisissaient d’entreprendre des voyages de plusieurs jours alors que nos environs étaient enneigés. Au lieu de cela, ils poursuivaient leur travail dans la ville ou donnaient la priorité aux demandes qui pouvaient être satisfaites avant la tombée de la nuit. Sinon, ils pouvaient se rendre dans un village situé à un ou deux jours de distance et prévoir d’y rester.

En conséquence, cela signifiait que de nombreux groupes se prélassaient dans la guilde, en attendant que la bonne demande soit affichée. Bien sûr, mon travail n’avait pas du tout changé. J’approchais ceux qui hésitaient sur une quête, ou j’acceptais l’invitation d’un groupe afin de les accompagner. J’étais un aventurier extrêmement utile, étant donné que je pouvais lancer les quatre écoles de magie offensive sans incantation.

Évidemment, ce n’était pas une situation idéale. Je ne voulais pas simplement être utilisé pour mes capacités. Je voulais que les groupes apprennent à me connaître et utiliser cela pour répandre mon nom. Mais je ne savais pas non plus quoi faire ensuite.

Aujourd’hui, comme toujours, j’avais pris un siège près du tableau d’affichage. À un moment donné, j’avais commencé à considérer cela comme mon siège personnel. Je me demandais si quelqu’un d’autre l’occupait pendant que je partais en mission.

« Tch. »

Alors que je regardais les rangées de demandes sur le tableau, en attendant d’autres aventuriers, j’avais entendu quelqu’un claquer sa langue. Mon cœur s’était senti plombé lorsque j’avais jeté un regard en arrière et que j’avais aperçu le « Stepped Leader » s’approcher du tableau d’affichage. Celui qui avait rendu son dégoût audible était, sans surprise, Soldat.

Depuis cet incident dans le bar, il semblait nourrir un profond mépris pour moi, et chaque fois qu’il me voyait, il me disait ou trouvait un autre moyen de faire connaître ce mépris. Je préférais l’éviter le plus possible, mais maintenant que c’était l’hiver, lui et les autres ne pouvaient pas plonger dans les labyrinthes.

« Tu cherches encore des restes ? », demanda Soldat en se moquant.

« J’ai mes raisons pour faire ça. »

« Quelles raisons ? Tout ce que tu fais est à moitié fou », avait-il raillé, avant de se diriger vers le tableau d’affichage.

Je savais que j’étais à moitié perdu. Je n’étais pas sûr de savoir comment régler ce problème, mais personne n’était parfait. En ce moment, je faisais de mon mieux pour faire ce que j’avais à faire. Qu’est-ce qu’il trouvait de si désagréable en moi ?

J’aurais aimé qu’il reste en dehors de tout ça. Ça n’a rien à voir avec lui, pensais-je d’un air maussade.

Soldat choisit rapidement la mission suivante de son groupe, conclut son affaire à la réception et quitta la guilde. Il ne s’attardait jamais longtemps, soit parce qu’il ne supportait pas d’être en ma présence, soit parce qu’il voulait juste s’occuper de son travail. Il entrait, se dirigeait vers le tableau d’affichage, sélectionnait rapidement une demande et se mettait en route. Puis il revenait le soir même ou le lendemain, et si nous nous rencontrions, il se moquait encore de moi.

Ce n’était pas du harcèlement. J’étais sur que Soldat faisait aussi tout son possible pour m’éviter. Pourtant, à chaque fois qu’il me voyait, il me disait que j’étais un merdeux, que je n’avais aucune valeur ou que je faisais des choses à moitié. J’en étais vraiment épuisé. Peut-être que son véritable objectif était de me décourager de faire partie de la guilde.

De temps en temps, les membres de Counter Arrows intervenaient pour m’aider s’ils étaient présents, mais ils n’étaient pas là aujourd’hui. En y repensant, je ne les avais pas vus depuis deux jours entiers. Comme je ne les avais pas vus non plus en ville, cela devait signifier qu’ils étaient partis dans un village pendant une longue période afin de terminer des quêtes.

Je me sentais un peu seul sans eux.

Il n’y avait pas eu de demandes notables ce jour-là. La neige s’était accumulée immédiatement après mon entrée dans la guilde, et pendant les blizzards, les groupes qui n’étaient pas intéressés par un travail mal payé prenaient généralement un jour de repos. Bien sûr, il y avait aussi pas mal d’aventuriers qui avaient du mal à trouver de l’argent et qui se mettaient à faire des demandes non classées par eux-mêmes. Il s’agissait par exemple de pelleter la neige ou de déblayer les toits des gens. Pelleter de la neige me semblait être une tâche insensée, mais c’était mieux que rien.

Vu qu’il n’y avait pas de demande de travail, j’allais donc ne rien faire. Mais il n’était pas non plus normal de se contenter de mijoter dans l’atmosphère lugubre de la guilde des aventuriers. J’avais décidé d’essayer de prendre une de ces demandes non classées.

« Essayer quelque chose de nouveau » ne m’avait pas vraiment absous de la soi-disant « demi-mesure » de Soldat, mais ses paroles m’avaient certainement inculqué le besoin de faire quelque chose.

« Déneiger la route, déneiger les toits, déneiger le jardin de la maison du Seigneur féodal et déneiger les remparts. »

En regardant le tableau d’affichage, toutes les missions avaient trait à la neige. La seule différence entre les demandes était de savoir qui l’avait faite. Le simple fait de penser à partir dans le froid pour déplacer la neige et la jeter ailleurs était déprimant, mais je devrais peut-être être content du fait que ce soit un moyen de gagner de l’argent, non ?

Non, la récompense ne semblait pas en valoir la peine.

Pourtant, malgré mes réserves, j’avais quand même décidé de prendre un des emplois.

« Comme c’est inhabituel, Monsieur Quagmire, que vous acceptiez une telle demande. »

« Oui, eh bien, c’est un changement de rythme. »

« Un changement de rythme, hm ? Oui, je pense que ça a l’air merveilleux ! »

La réceptionniste avait souri joyeusement tout en traitant la demande.

 

◇ ◇ ◇

La mission était située dans ce qui était en gros un centre de collecte de neige. Et bien qu’il ne soit pas particulièrement grand, la neige provenant des alentours de la ville était transportée jusqu’à cette place relativement petite. Au milieu de cette place de la taille d’un parc se trouvait une énorme fournaise, et c’était tout.

J’approchais l’homme qui semblait être le responsable et je lui montrais la demande que j’avais reçue.

« Je m’appelle Rudeus Greyrat. C’est un plaisir. »

« Vous êtes le célèbre Quagmire ? », me demanda-t-il.

« Je ne sais pas vraiment si je suis célèbre ou non », lui dis-je maladroitement.

« Alors, dépêchez-vous de vous y mettre. »

Ce n’était pas les instructions les plus utiles.

« Hmm… puis-je demander quel genre de travail je suis censé faire ? »

« Ahh, alors c’est votre première fois, hein ? Le travail est simple. Les gens transportent de la neige ici, vous utilisez cette pelle là-bas pour la compacter vers l’arrière. En gros, vous emballez la neige. Nous avons mis en place un itinéraire pour accéder à l’outil magique, donc n’empilez pas la neige dessus. Une fois que vous en avez assez amassé, attendez le signal et activez l’appareil magique là-bas. Même si votre mana s’épuise, la neige continuera d’arriver, alors ne partez pas comme ça. Vous pouvez continuer à nous aider à l’organiser. »

« Très bien, compris. »

Je n’étais pas encore sûr de la nature de mon travail, mais je savais ce que j’étais censé faire, cela ne servirait donc à rien de trop réfléchir. Il fallait juste que je le fasse.

Un autre membre du personnel me donna une pelle. Conformément aux instructions, j’avais commencé à transférer les amas de neige désordonnés à l’arrière de la place. Les choses fonctionneraient mieux si les gens commençaient par les jeter là. Et puis, il y avait l’appareil magique au centre. Compte tenu des problèmes qui surviendraient si quelqu’un le cassait accidentellement ou l’enterrait dans la neige, c’était peut-être après tout la meilleure solution, m’étais-je dit.

Telles étaient mes pensées distraites pendant que je travaillais. J’avais échangé quelques mots avec les autres aventuriers qui se trouvaient à mes côtés, et nous avions pelleté la neige ensemble, la jetant au sommet d’une congère qui était à peu près aussi haute que moi. Il y avait aussi d’autres hommes en train de se déplacer au sommet de la congère. Le mur que nous avions finalement créé faisait environ trois fois ma taille.

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Partie 2

La neige était lourde, mais j’avais mon bras droit bien entraîné « Hulk » et mon bras gauche « Hercule ». Ils criaient de joie à l’arrivée soudaine d’un délicieux acide lactique. J’avais concentré ma force dans le bas de mon dos, renforcé mes jambes et bougé mes bras, laissant le levage à mes muscles pendant que je tirais la neige.

C’est une charge impressionnante, nous y voilà. La voix de Hulk fit un boum alors que le muscle de mon coude était bombé. S’il le fallait, Hercule semblait répondre à son tour alors que mon biceps reculait. Les triceps de chaque bras semblaient se déchirer.

« Vous avez de la force pour un magicien », commentait l’un des autres ouvriers.

« Même un magicien a besoin de force. Je me suis entraîné. », ai-je dit.

« Allons, un magicien n’a pas besoin de force. »

Mon corps s’était réchauffé, et la sueur commença à couler du haut de mon corps. En fait, je me sentais bien en bougeant des muscles que je n’utilisais pas d’habitude. Peut-être que j’avais pris la bonne décision en prenant cette mission.

« Ok, Quagmire, vas-y et dirige-toi vers l’appareil magique. Je te donnerai le signal. »

« Bien reçu. »

Répondant à l’ordre, j’avais rendu la pelle et m’étais dirigé vers l’appareil. Malheureusement, comme il était situé au milieu de notre mur, il fallait faire le tour de l’entrée de la place pour y accéder. J’avais pris un des chemins qui traversaient la place et j’avais commencé à m’y rendre. Je pouvais prendre un raccourci en utilisant ma magie pour brûler un chemin à travers, mais quand j’étais enfin arrivé à destination… j’avais décidé de prendre le chemin le plus long.

« Il y a beaucoup d’enfants ici aussi. »

La neige était encore apportée par l’entrée de la place. Il y avait des aventuriers, des citadins, et un groupe de miliciens. Il y avait aussi quelques enfants en bas âge.

Eh bien, on ne fait que transporter de la neige, alors même les enfants peuvent le supporter, m’assurais-je.

Leurs moyens de transport étaient variés. Il y avait ceux qui transportaient la neige dans des seaux, ceux qui la transportaient sur le dos dans des tonneaux, ceux qui la transportaient dans des chariots, et ceux qui la transportaient dans des boîtes en bois remplies de neige. Ils avaient tous le regard vide. Il est normal que personne n’ait l’air de s’amuser. Pelleter la neige n’était agréable pour personne, supposais-je.

Pourtant, les enfants semblaient un peu plus enthousiastes que les adultes. Je m’étais demandé si c’était parce qu’ils aimaient vraiment ça ou si c’était pour une raison plus réaliste, comme le fait de savoir que plus ils en portaient, plus ils étaient payés. Les jeunes garçons et filles tiraient leurs seaux en bois densément chargés, le visage rouge vif, faisant des allers-retours répétés.

Peut-être que les fortes chutes de neige avaient laissé les habitants sans rien d’autre à faire, et c’était pourquoi il y avait tant de gens ici.

Pendant que je regardais, une fille qui avait fait des allées et venues en transportant de la neige tomba soudainement. Le sol aurait dû être assez mou pour l’amortir, mais elle s’était agrippée à son pied endolori, les larmes coulant à flots.

Je m’étais retrouvé à m’approcher d’elle et à m’accroupir en lui disant : « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Oh… ! Ce n’est rien. »

Elle mit une main sur son pied comme si elle avait peur. Elle avait immédiatement essayé de se lever, mais son visage s’était froissé et elle tituba.

« S’il vous plaît, laissez-moi regarder. »

J’avais bougé sa main et j’avais enlevé sa botte. J’avais alors découvert que son pied était rouge et enflé, avec des orteils noircis et des ampoules. Ce devait être des engelures. Le simple fait de la regarder était déchirant.

« Que cette puissance divine soit une nourriture aussi satisfaisante, donnant à celui qui a perdu ses forces la force de se relever. Guérison ! »

« Ah ! »

Une fois que j’avais appuyé ma main dessus et que j’avais récité l’incantation, son pied était rapidement redevenu normal. La magie de guérison dans ce monde était bien pratique. Mais une fois que j’avais fini de soigner le pied opposé, la jeune fille s’était tournée vers moi avec un regard de désespoir. Après tout le mal que je m’étais donné pour la guérir, pourquoi faisait-elle cette tête ?

« Ai-je fait quelque chose d’inutile ? », lui demandai-je.

« U-um, je-je n’ai pas d’argent. Je ne peux pas… vous payer quoi que ce soit. »

« Oh. »

J’avais l’impression d’avoir entendu parler de voyous qui s’approchaient des blessés ou des malades sans invitation, guérissaient leurs blessures et demandaient ensuite un paiement qui ne pouvait pas être fait. Lorsque cela se produisait, en particulier dans les orphelinats, les orphelins étaient alors emmenés pour être vendus comme esclaves.

« Je n’ai pas vraiment besoin de quoi que ce soit », avais-je dit en me levant. Si je faisais quelque chose d’aussi répréhensible pour un enfant, je ne pourrais jamais faire face à Ruijerd.

« Hé, Quagmire, qu’est-ce que vous faites ?! »

Au moment où je m’étais levé, le manager me regardait, en criant. La place était ensevelie sous trois fois ma taille de neige. Elle était à moitié couverte quand j’étais arrivé, mais elle s’était vite remplie depuis.

« J’y vais. »

Je m’étais dépêché d’aller vers l’appareil magique.

« D’accord, Quagmire. Fais-le. »

« Ok ! »

Comme on me l’avait ordonné, j’avais mis la main sur l’appareil et j’avais commencé à déverser du mana. Je n’étais pas habitué à ce genre d’appareil magique, donc je n’avais aucune idée de la quantité nécessaire, mais j’étais sûr que le directeur me ferait savoir quand ce serait suffisant. Il fallait que je continue jusque-là.

Alors que je continuais à charger l’appareil et que je confirmais qu’il fonctionnait, j’avais regardé autour de moi.

« Ouah. »

L’appareil chauffait la zone la plus proche. La neige fondait progressivement et était absorbée dans le sol. Apparemment, le sol de la place était aussi un dispositif magique, car je pouvais voir une forme géométrique sculptée dans ce qui ressemblait à de la brique sous nous. Ou peut-être que toute la place elle-même faisait partie de ce dispositif ?

J’avais continué à regarder la neige fondre en versant une plus grande partie de mon mana. Je ne pouvais pas m’empêcher de la regarder. C’était comme si je regardais la neige fondre à toute vitesse, comme si j’étais témoin de l’approche du printemps, alors que le blanc faisait place à une étendue de briques orange en dessous. Mais le printemps n’était pas encore pour demain. Le ciel était encore d’un gris sombre, et la neige continuait à tomber.

La neige de la place disparaissait progressivement, et je pouvais voir les visages de tous ceux qui étaient rassemblés dans la zone.

« Oooh ! »

Une agitation éclata, accompagnée d’applaudissements. De quoi s’agit-il ? me demandais-je. J’avais retiré mes mains et je m’étais joint aux applaudissements.

« Oui, j’aurais dû m’en douter. C’est donc ce que peut faire le mana d’un magicien de rang A. »

Le directeur s’était approché, l’air un peu impressionné.

« Hum… est-ce que ça suffit ? », lui avais-je demandé.

« Oui, c’est plus que suffisant. »

« Mais je ne suis pas encore à court de mana, alors… ? »

La neige qui tombait se mettait à peindre rapidement la brique orange une fois de plus. À ce rythme, elle allait bientôt s’accumuler à nouveau.

« Non, c’est bon. Votre mission est terminée. C’est du bon travail. Ça nous aiderait vraiment si vous reveniez quand vous êtes libre », déclara le directeur, en signant ma validation dans le formulaire de la quête.

C’était rapide.

« Euh, vous êtes sûr que je n’ai plus besoin d’emballer la neige ? »

« Après tout ce que vous avez fait fondre, oui. Honnêtement, je ne pensais même pas que vous arriveriez à en faire un tiers. En plus, je ne peux pas vous donner plus d’argent que ça. »

Alors, c’était ça. En faisant fondre toute la neige, j’avais rempli la demande. C’était logique. Ce manager était aussi un type assez cool, vu qu’il aurait pu ne rien dire et me faire travailler.

Maintenant, je recommençais à m’ennuyer. Ce n’était pas que je voulais vraiment pelleter de la neige, mais plutôt que je ne sentais pas que j’avais donné le meilleur de moi-même. Je devrais peut-être demander à nouveau la pelle. Je me fichais même de savoir que le travail que j’effectuerais était gratuit.

Non. Si c’était le cas, il vaudrait peut-être mieux retourner à la guilde et choisir une autre mission non classée. Il n’était même pas nécessaire de pelleter la neige. Je pourrais, par exemple, me contenter de faire de l’entraînement physique ou…

« Monsieur le magicien ! »

Au moment où j’allais partir, un petit enfant m’avait fait signe de me baisser, interrompant mon débat interne. C’était une jeune fille, mais pas la même que celle que j’avais aidée il y a quelques instants.

« Quel est votre nom ? », me demanda-t-elle.

« Rudeus Greyrat », avais-je répondu, même si je ne savais pas pourquoi elle me le demandait.

Elle était partie en courant dès qu’elle entendit mon nom, sans même prendre la peine de répondre.

Mais qu’est-ce qui se passe ? Alors elle va juste me demander mon nom et s’enfuir ? Quelle enfant grossière !

C’était du moins ce que je pensais… mais la fille courut vers un groupe d’autres jeunes enfants. Alors qu’elle se blottissait parmi eux, ils semblaient se parler. Je pouvais entendre leurs voix étouffées d’où je me tenais. Mon nom valait-il vraiment tous ces chuchotements ? Au bout d’un moment, le groupe fit un signe de tête et disparut dans une ruelle. En regardant, j’avais aperçu la fille que j’avais guérie parmi eux. Elle me jeta un regard et s’inclina avant de s’enfuir.

« Hm. »

D’habitude, les commérages me mettaient de mauvaise humeur, mais pas cette fois-ci, probablement parce qu’ils ne me dénigraient pas. Peut-être qu’il serait bon de me faire un nom parmi ces enfants. Et même si c’était complètement inutile, je n’étais pas contre les actes de charité occasionnels. En fait, c’était l’une des rares fois où je me sentais bien dans ma peau.

Eh bien, revenons à la guilde, avais-je décidé.

***

Partie 3

Là, en début d’après-midi à la guilde, j’avais repéré quelques visages que je connaissais : Suzanne, Timothy et Patrice, tous les membres de Counter Arrows. Enfin, pas tous. S’ils étaient là à cette heure-ci, cela signifiait qu’ils venaient de terminer une demande, donc j’avais probablement manqué les autres.

C’était généralement eux qui m’abordaient, mais j’avais décidé que je devais les saluer de temps en temps. Après tout, j’étais de très bonne humeur aujourd’hui.

« Bonjour. »

« Oh, c’est Rudeus. »

Hm ? Ils avaient l’air un peu lugubres. Et pas seulement Suzanne, mais également Timothy et Patrice.

« Est-ce que quelque chose s’est passé ? », avais-je demandé.

« Oui… c’est Mimir et Sarah. »

Je n’avais pas vu ces deux-là dans le coin, mais ce n’était pas parce qu’ils formaient un groupe qu’ils devaient passer tout leur temps ensemble. C’était en tout cas comme ça que j’avais rationalisé leur absence. S’était-il passé quelque chose ?

« Est-ce qu’ils se sont mariés tous les deux ou quelque chose comme ça ? »

Je m’étais moqué d’eux.

« Alors tu fais aussi ce genre de blagues, hein ? »

« Je suis désolé. »

Le sourire habituel de Timothy avait disparu. En fait, son expression était tout le contraire — tout était embrouillé. Il semblerait que mes mots l’avaient ennuyé.

Avais-je raison ? S’était-il vraiment passé quelque chose ?

« Euh, ça te dérange si je t’en demande plus à ce sujet ? »

Timothy s’était tu. Au lieu de cela, ce fut Suzanne qui leva les yeux et dit : « Ils sont morts. »

Ma rare humeur joyeuse s’était évanouie en une seconde.

« Oh. Je vois », avais-je dit.

Je n’arrivais pas à digérer l’idée qu’ils étaient morts. Et ce n’était pas comme si c’était la première fois que quelque chose comme ça m’arrivait. En tant qu’aventuriers, la mort était notre compagnon de route. J’avais entendu dire qu’un autre groupe dont j’étais proche avait été anéanti.

Malgré tout, c’était déprimant. Après tout, accepter leur mort n’était pas la même chose que de ne pas en être affecté. Je n’étais pas particulièrement proche de l’un ou l’autre, et nous ne nous connaissions pas très bien. Pourtant, nous avions partagé des repas ensemble, surmonté la mort ensemble. Je ne pouvais pas m’empêcher d’être triste en apprenant qu’ils avaient perdu la vie.

Mais il n’y avait rien à faire. Tôt ou tard, tous les aventuriers allaient mourir. La possibilité de mourrir les suivait tant qu’ils poursuivaient ce travail. C’était comme ça.

« Non. Mimir mise à part, Sarah n’est pas encore morte. », dit Timothy.

Même si j’avais déjà accepté ce fait, Timothy prétendait maintenant le contraire. Son visage se tordait de frustration alors qu’il s’en prenait à Suzanne et Patrice.

« Nous étions juste séparés d’elle pendant la bataille. Ce n’est pas comme si nous avions vu son cadavre. Alors peut-être que si nous avions cherché un peu plus, nous aurions pu… »

« Abandonne. On ne pouvait rien voir dans cette forêt, pas dans ce blizzard. Il vaut mieux la considérer comme morte. », insista Suzanne.

« Mais… »

« J’ai dit : abandonne ! Si nous étions restés là plus longtemps pour chercher, nous serions morts nous aussi ! Nous le savions, et c’est pourquoi nous avons obéi à tes ordres ! »

Suzanne cria sur Timothy quand ce dernier baissa la tête.

Il semblerait que Timothy avait donné l’ordre de battre en retraite. Maintenant, il regrettait sa décision.

Je pouvais comprendre pourquoi. Le regret était inévitable une fois que vous aviez vu où votre décision vous menait. Lorsque vous étiez contraint d’abandonner quelque chose d’important, vous ne pouviez pas vous empêcher de vous demander si vous auriez dû parier sur cette lueur d’espoir, même si elle entraînait un pire destin.

« Tu sais, Timothy, tu n’as pas à assumer toute la responsabilité. Nous aurions pu ignorer les ordres à ce moment, mais nous avons accepté de revenir ici. Nous sommes tout aussi responsables », déclara Patrice.

« C’est vrai. Nous sommes avec toi. Alors, ne t’en prends pas à toi. », avait convenu Suzanne

Ils essayaient tous les deux de réconforter Timothy, même s’ils avaient sûrement eux-mêmes le cœur brisé. Peut-être s’étaient-ils accrochés à une mince lueur d’espoir pour Sarah, mais ils l’avaient gardée pour eux en raison du danger que représenterait la recherche. Ils avaient dû réfléchir à l’avenir qu’ils avaient encore devant eux. S’ils repartaient sur un coup de tête et n’avaient pas de chance, ils risquaient de perdre une autre personne. Peut-être deux. Peut-être même toute l’équipe.

En réfléchissant à cela, je m’étais souvenu de ce qui s’était passé dans cette grotte que nous avions explorée il y a quelques mois, avant le début de l’hiver. Sarah avait été la première à me venir en aide. Rétrospectivement, c’était un geste très dangereux. Elle aurait pu entraîner l’anéantissement de tout le groupe, ou au moins la mort de quelqu’un.

« Alors, où avez-vous été séparés ? » avais-je demandé.

« À l’ouest, dans la forêt de Trèves. La visibilité était si mauvaise à cause du blizzard que nous avons en quelque sorte erré dans ses limites. Au moment où nous avons essayé de sortir, un troupeau de buffles des neiges nous a attaqués. »

« Alors voilà ce qui s’est passé. Ça a dû être dur. »

La forêt de Trèves. Si je me souvenais bien, elle était située à une demi-journée de route.

« Eh bien, je dois y aller », avais-je dit, en me retournant pour prendre congé.

Timothy et les autres n’avaient rien dit de plus, et ils n’avaient pas non plus essayé de m’arrêter.

J’avais immédiatement quitté la guilde et m’étais dirigé tout droit vers l’auberge. Une fois à l’intérieur, j’avais monté les escaliers et m’étais précipité dans ma chambre. J’avais gardé mes vêtements arctiques et j’avais simplement secoué les perles d’eau qui s’étaient accumulées dessus. J’avais pris mon grand sac à dos dans un coin de ma chambre, j’avais jeté mes réserves de nourriture restantes et j’avais passé les sangles par-dessus mes épaules. Puis j’étais parti, j’avais descendu les escaliers et j’étais sorti par la porte.

Pourquoi avais-je fait cela ? Je ne saurais le dire. Je savais, d’une certaine façon, que c’était une course folle. Quoi qu’il en soit, je voulais partir. Je voulais voir par moi-même si cette jeune fille — qui était toujours vulgaire dans ses paroles et ses actes, imitant toujours Suzanne — était vraiment morte ou non.

Je ne savais pas pourquoi.

Oui, sérieusement, je ne le savais pas. Malgré tout, je m’étais retrouvé au milieu de ce blizzard aveuglant.

« Cette tempête est une vraie horreur. »

J’avais louché vers le ciel. C’était une tache grise cachée derrière un manteau de neige qui tombait. J’avais dirigé mon bâton dans sa direction. Roxy m’avait dit qu’il valait mieux ne pas se mêler du temps, alors j’avais écouté ses paroles du mieux que je pouvais.

J’avais déplacé les nuages en créant une tornade pour les disperser.

« Et voilà. »

Le ciel bleu clair brillait au-dessus de moi alors que je me mettais en route, les bottes crissant à travers la neige.

◇ ◇ ◇

La nuit était tombée, il faisait nuit noire quand j’étais arrivé à la forêt de Trèves. Grâce à ma manipulation du temps, je n’avais pas eu besoin de patauger dans un blizzard pour arriver ici. À l’intérieur de la forêt, les arbres formaient un dôme qui couvrait le ciel. Ma torche fournissait à peine assez de lumière pour voir, et la neige était dense et haute sur le sol. En avançant, je m’étais retrouvé enterré jusqu’à la taille. Il était beaucoup plus difficile de marcher que d’habitude. J’avançais, pas à pas. De temps en temps, un amas de poudreuse gelée tombait en cascade des arbres voisins, comme si on essayait de m’enterrer.

Accroche-toi… Elle ne tombait pas toute seule. Quelque chose la déversait sur moi.

J’avais levé les yeux et j’avais découvert le monstre derrière tout ça : un arbre des neiges. En été, c’était des arbres ordinaires, mais quand l’hiver arrivait, la neige s’accumulait sur leurs branches. Comme leur nom l’indiquait, ils essayaient de gêner les aventuriers de passage en les enterrant. C’était un arbre de rang inférieur, unique dans cette région. La plupart du temps, ils se contentaient de déverser de la neige sur vous, mais il y avait parfois des individus qui pouvaient utiliser la magie de la glace, en lançant des blocs de glace assez grands pour aplatir un humain en un seul coup. Il s’agissait d’une espèce de plus haut rang appelée « arbre des glaces ». Je n’en avais pas encore rencontré.

Si possible, je préférerais que cela reste ainsi.

« Brûle sur place. »

J’avais utilisé la magie du feu pour faire fondre la neige qui tombait d’en haut.

« Canon de pierre. »

Puis j’utilisais ma magie de la terre pour détruire l’arbre. Il cessa de bouger après que mon attaque ait fait un trou dans son tronc, envoyant des éclats partout.

À ce moment, leurs attaques n’étaient qu’une gêne. En fait, la neige épaisse à mes pieds était un obstacle bien plus important. La marche était difficile, je trouvais parfois mes pieds complètement avalés par la neige. Quand cela se produisait, j’utilisais la magie du feu pour me frayer un chemin à travers.

Mais mon équipement arctique était fait de peaux de hérisson des neiges. Comme elle absorbait l’eau, elle devenait plus lourde, je devais donc utiliser la magie du vent pour la faire sécher. Tout cela ralentissait mon rythme.

Peut-être qu’à l’avenir je devrais m’entraîner à mieux avancer sur ce genre de terrain.

J’avais avancé en silence en envisageant cette option. Une partie de moi se demandait même ce que je faisais. Il n’y avait aucun moyen de retrouver Sarah. Les trois autres l’avaient cherchée immédiatement après sa disparition et ne l’avaient toujours pas retrouvée. Comment pouvais-je réussir là où ils avaient échoué ? Je n’avais même pas eu le bon sens de leur demander où ils se trouvaient exactement avant de partir.

Je pouvais l’appeler et lui faire savoir où j’étais, mais je ne le faisais pas. Je m’étais dit que les monstres seraient avertis de ma présence si je le faisais, mais cela m’avait fait penser à ce que Soldat avait dit. J’étais à moitié foutu. Sérieusement, qu’est-ce que je faisais ? Cette recherche n’avait fait qu’apaiser mon propre ego.

Si ce n’était pas suffisant, alors qu’est-ce qui me satisferait ?

Trouver Sarah, bien sûr. Si je parvenais à trouver Sarah en utilisant mes propres méthodes, cela me satisferait. Peu importe qu’elle soit morte ou vivante. La seule chose qui comptait, c’était que je prenne des mesures et que j’aie quelque chose à montrer.

C’est tout.

Des résultats.

Pour l’instant, je voulais juste des résultats. Rien d’autre n’avait d’importance. Ce n’était pas comme si je voulais désespérément sauver Sarah, ou que je voulais rendre aux membres de Counter Arrows la gentillesse dont ils m’avaient fait preuve. Je voulais juste accomplir quelque chose. Ou peut-être que je voulais faire le choix actif de ne pas abandonner quelqu’un d’autre.

Éris m’avait abandonné et cela m’avait laissé très déprimé. Je ne voulais pas faire la même chose à quelqu’un d’autre. Je ne voulais pas faire l’horrible chose qui m’avait été faite.

Peut-être que ce n’était que cela. Je ne savais pas — je ne pouvais pas savoir — pourquoi j’étais là, à endurer tout ça.

« Les voilà. »

Alors que j’étais perdu dans le labyrinthe de mes propres pensées, j’avais repéré un troupeau de monstres devant moi : un groupe de Buffles des Neiges. Ils se blottissaient les uns contre les autres dans la mer blanche. Leur pelage gris leur permettait de se camoufler dans le blizzard et de lancer des attaques-surprises contre des aventuriers sans méfiance, mais le ciel était alors dégagé. Et bien qu’ils soient encore difficiles à voir lorsqu’ils sont cachés dans l’ombre des arbres, leur présence est indéniable.

Les Buffles des Neiges se rassemblaient dans les zones boisées, formant un troupeau unique dans chaque forêt. Ils passaient généralement l’hiver dans une zone, mettant bas et élevant leurs petits dans la neige. Si quelqu’un était attaqué par un troupeau, c’était généralement parce que cette personne avait pénétré sur son territoire.

En d’autres termes, il y avait une forte probabilité que ce soit la zone dans laquelle Timothy et Sarah s’étaient séparés. Il était également probable que son cadavre se trouvait dans le ventre d’une de ces créatures. Les buffles de ma vie précédente étaient herbivores, mais ces bêtes étaient carnivores.

J’avais canalisé mon mana dans les deux mains. Il était peut-être impossible de les vaincre tous à la fois, mais une attaque préventive réduirait leur nombre.

***

Partie 4

« Hérisson de Terre ! »

La magie que j’avais libérée de mes mains frappa le sol sous les Buffles des Neiges. En un instant, un grand nombre de pics surgirent vers le haut, aussi épais que des bras humains, embrochant et tuant une dizaine de Buffles.

« Brwooor ! »

Le troupeau avait été bouleversé par mon assaut soudain, et effrayé par leur environnement lorsqu’ils commencèrent à bouger.

« Lance de Terre ! »

Avec ce sort, j’avais tué ceux qui restaient, l’un après l’autre. C’était surtout un travail insignifiant. Ils s’étaient mis à me chercher dans la confusion, mais lorsqu’ils avaient découvert ma position, la plupart étaient déjà morts. Ceux qui m’avaient repéré avaient rapidement rejoint leurs rangs.

Lorsqu’il ne restait plus que quelques individus, le troupeau tenta de s’échapper. Mais il était trop tard. Je n’avais pas l’intention de laisser un seul individu s’échapper.

« Lance de Terre ! »

Je me déplaçais comme une machine, en leur lançant continuellement de la magie. Très vite, il n’en restait plus un seul en vie.

S’ils avaient fui un peu plus tôt, ou si les bêtes restantes s’étaient regroupées, ils auraient peut-être eu plus de chance. Le fait qu’ils n’aient pas fui instantanément lorsqu’ils avaient été attaqués est la preuve qu’ils étaient des monstres, et non des animaux sauvages. Ils n’ont cherché qu’à combattre, n’ayant essayé de s’enfuir que lorsqu’ils savaient qu’ils ne gagneraient pas. Les créatures assoiffées de combat étaient en effet redoutables.

« Ouf ».

J’avais l’intention d’être prudent, juste pour être sûr de ne pas prendre Sarah dans le feu croisé si elle était dans leur voisinage, mais ma prudence semblait inutile. J’avais pataugé jusqu’au tas de cadavres de buffles. La puanteur nauséabonde du sang m’entoura alors que j’atteignais le centre du troupeau tombé au combat.

Une montagne d’os gisait là, reste de la proie qu’ils avaient dévorée. La plupart étaient des animaux à quatre pattes, mais il y avait aussi d’autres os de Buffles des Neiges parmi le tas. Donc ces types sont des cannibales, avais-je remarqué mentalement.

J’avais cherché dans le tas. Les créatures avaient l’habitude de laisser des restes autres que des os, utilisant l’odeur pour attirer d’autres bêtes et animaux afin de constituer une réserve de nourriture constante. Ruijerd avait fait quelque chose de similaire. Il était effrayant de penser que les buffles avaient assez de sagesse pour faire la même chose que le redoutable Dead End du Continent Démon.

Je m’attendais à trouver ici les os de ceux qu’ils avaient mangés au déjeuner. En fait, j’avais repéré plusieurs crânes humanoïdes. J’en avais pris bonne note en écartant les autres os, en essayant de trouver ce que je cherchais : Le cadavre de Sarah, ou du moins quelque chose qu’elle avait porté sur elle. Si je trouvais cela, j’étais sûr que je serais satisfait.

« Ngh ! »

Un gémissement m’avait échappé alors que je pêchais dans les os. J’avais trouvé une tête humaine qui avait encore de la peau et j’avais vu le visage de quelqu’un que je connaissais.

« Mimir… »

C’était le guérisseur de Counter Arrows. La moitié de sa tête avait déjà été mangée. Ses joues avaient disparu, ne laissant derrière elles que son front et une partie de ses cheveux, ce qui était tout juste suffisant pour l’identifier.

« Gh…hah…argh. »

J’avais retenu mon souffle dans la gorge. Mimir était mort. Timothy l’avait déjà dit.

C’est vrai. J’avais oublié ça parce qu’ils avaient immédiatement commencé à parler de Sarah. Il n’était donc pas surprenant de le trouver ici.

Nous avions à peine parlé. La seule chose dont je me souvenais de lui était le regard gêné qu’il avait quand nous buvions au bar après notre retour de la ruine de Galgau, pendant tout le débat sur le fait de savoir si j’aurais dû être laissé derrière ou non.

J’avais sorti un sac plié de mon sac à dos et j’y avais glissé sa tête. Je voulais au moins ramener une partie de sa tête.

J’avais fait disparaître la sensation de picotement dans mes yeux, j’avais serré les dents et j’avais poursuivi les recherches. Si Mimir était dans un tel état, alors peut-être que Sarah l’était aussi…

« Hm ? »

Il y avait une bague, tombée au fond du tas. Pas seulement une bague, mais un assortiment d’ornements que les gens avaient portés. Je n’avais jamais entendu parler de Buffles des Neiges qui amassent des objets brillants, ceux-ci s’étaient probablement accumulés pendant que les bêtes festoyaient.

« Ah… »

Ce fut parmi ces autres objets que je l’avais trouvé, une décoration familière en forme de plume.

C’était la boucle d’oreille de Sarah.

« Haa… »

Un soupir m’échappa. J’avais senti la tension quitter mon corps. Elle était vraiment morte. Après avoir été séparée de Timothy et des autres, elle avait dû être poursuivie par les Buffles des Neiges jusqu’à ce qu’elle manque d’endurance. Et puis ils l’avaient mangée. Prise dans un blizzard, remplie de désespoir, essayant désespérément de rester en vie, manquant de pouvoir pour le faire…

Des pensées sombres me trottaient dans la tête.

C’est vrai, Sarah et moi n’étions pas si proches. Elle me ridiculisait ou se moquait de moi chaque fois que nous nous rencontrions. Pourtant, contrairement à Soldat, elle n’était pas si dure ces derniers temps. Je n’avais pas vraiment de rancune envers elle. Ses paroles ne m’avaient jamais vraiment blessé, sûrement parce qu’elle ne pensait jamais vraiment ce qu’elle disait. J’étais sûr que, si on en avait eu l’occasion, on aurait pu s’entendre.

En me mordant la lèvre, j’avais repoussé mes larmes et j’étais resté debout. Ce n’était pas le résultat que j’espérais, mais ma tâche était terminée. J’avais eu ce que j’étais venu chercher. Maintenant, il ne me restait plus qu’à nettoyer et à rentrer chez moi.

« … Whoof. »

J’avais inhalé, remplissant mon corps de force une fois de plus, puis j’avais commencé à rassembler les corps des Buffles de Neiges. Il serait difficile de les transporter avec ma simple force physique, alors j’avais utilisé la magie de la terre pour les empiler près de la montagne d’os.

On pourrait s’attendre à ce que d’autres bêtes soient venues ici, attirées par l’odeur du sang, mais peut-être savaient-elles qu’un troupeau de buffles s’y trouvait. Ou peut-être que j’avais juste eu de la chance. En tout cas, aucun n’était venu à ma rencontre.

J’avais mis le feu au tas de cadavres, et l’odeur de la chair brûlée avait rempli la zone. C’était une odeur fétide. J’avais jeté au hasard plusieurs bûches de bois. Elles crépitaient et craquaient, dégageant des effluves de fumée qui dérivaient dans le ciel nocturne.

Ce serait mon encens pour les morts. Leur bûcher funéraire.

Pendant un moment, j’avais regardé la fumée. Des pensées auraient dû me traverser l’esprit, mais pour une raison quelconque, mon cœur se sentait vide. J’étais resté là, à contempler les flammes et les fumées qu’elles produisaient.

« Je suppose que je devrais rentrer chez moi », murmurai-je un peu plus tard, après m’être assuré que le feu était maîtrisé.

Si je partais maintenant, l’aube se lèverait avant mon retour en ville. Une fois la guilde ouverte, je montrerais les restes de Mimir et la boucle d’oreille de Sarah aux membres de Counter Arrows. Ensuite, je dormirais. Le sommeil était préférable à un moment comme celui-ci.

Avec ces pensées en tête, j’avais tourné mon talon et…

« … Hm ? »

J’avais entendu quelque chose : c’était le léger grincement de l’eau qui gelait instantanément.

Je suppose que c’était un monstre. Mais y avait-il un monstre dans cette région qui pouvait faire ça ? Quoi qu’il en soit, le bruit semblait lointain, même s’il était étouffé par le crépitement du feu. Je m’étais dit que c’était un monstre qui avait été séduit par l’odeur du sang des Buffles des Neiges. Il valait sans doute mieux quitter cette zone immédiatement. Ma mission était déjà terminée. Il n’était pas nécessaire de s’attarder.

Mais j’avais un mauvais pressentiment.

La peur s’emparait de moi, comme s’il y avait quelque chose que je ne pouvais pas voir. Quelque chose me regardait, comme un tigre rôdant dans l’ombre.

J’avais inspecté la zone, mais je n’avais pas vu de bêtes. Le son avait également disparu. Tout ce que j’entendais, c’était le craquement des branches et le bruissement des arbres dans le vent, tous les bruits de la nature.

Juste pour être sûr, j’avais levé les yeux.

« Ouah ! »

J’avais immédiatement sauté sur le côté. Une fraction de seconde plus tard, un énorme bloc s’était écrasé à côté de moi, sa masse envoyant la neige environnante vers le haut en une vague. Ma vision était enveloppée d’un rideau de poudre gelée, mais mon œil de clairvoyance voyait clairement quel était l’objet : de la glace. Un bloc de glace venait de heurter le sol où j’étais auparavant. Que se serait-il passé si j’avais été en dessous ? J’avais frissonné et j’avais jeté un coup d’œil derrière moi.

Je la voyais maintenant, cette ombre aussi grande qu’une montagne. Il avait un tronc épais, sans doute vieux de plusieurs centaines d’années, avec un feuillage qui masquait le ciel. Ses racines, larges comme mon torse, grinçaient en me poursuivant.

« Un arbre des glaces ? »

Ayant traversé le Continent Démon et la Grande Forêt, j’étais habitué à la vue des arbres. Cependant, c’était la première fois que j’en voyais un aussi énorme. Quel âge avait-il ? Les arbres se renforçaient en vieillissant, mais celui-ci était anormalement ancien. Je m’étais donc demandé quelle devait être sa force.

J’avais dégluti et reculé au moment où ses gigantesques branches se balançaient. La taille gargantuesque du tréant le rendait impossible à éviter. Il m’avait envoyé voler comme un insecte écrasé par un balai. Je tombais dans la neige, mon corps entier recouvert de poudreuse blanche.

Le tréant s’était arrêté un instant. Et au moment où j’avais regardé, j’avais vu quelque chose se former sur ses branches. Une fleur ? Un fruit ? Non de la magie ! Il invoquait un autre bloc de glace.

Ce n’était pas la première fois que je voyais un monstre utiliser la magie, mais c’était la première fois que je voyais un énorme arbre créer une gigantesque plaque d’eau gelée.

« Gah ! »

J’avais immédiatement versé du mana dans mon bâton et j’avais provoqué une onde de choc qui s’était abattue sur mon corps. Comme un éclat de bois, je m’étais remis à voler et j’avais réussi à m’échapper du bloc de glace qui s’était abattu non loin de là, juste là où mon corps avait été. Un arbre voisin nous fit entendre un bruit retentissant lorsque son tronc fut fracturé.

En tombant dans la neige, j’avais de nouveau canalisé le mana dans mon bâton. J’allais utiliser le Canon à Pierre. J’avais mis tout ce que j’avais dans le sort et je l’avais lancé sur l’arbre. La créature était énorme, je ne pouvais pas la manquer.

Elle était en fait vraiment énorme.

Mon canon à pierre vola et fit un impact. Un souffle familier résonnait autour de moi, mais le tréant de glace était toujours en mouvement. Le canon dans lequel j’avais tout mis aurait dû faire un impact direct. La créature n’avait-elle vraiment subi aucun dommage ?

Abasourdi, je regardai le tréant, qui était illuminé par mon feu de joie déclinant. Son tronc était gelé, enveloppé dans une armure de glace. Ce maudit arbre était plutôt intelligent. Le bouclier avait effectivement affaibli l’impact de mon canon de pierre, qui était maintenant encastré dans la base de l’arbre.

Donc le canon à pierre avait eu peu d’effet, hein ? Que devrais-je utiliser à la place, alors ? Du feu ? Ou peut-être du vent ? De l’eau ? Que pourrais-je utiliser pour endommager la créature ? Non, attendez… Si je ne pouvais pas évaluer la force de mon adversaire, alors il serait plus sage de battre en retraite.

C’était à ce moment, alors que j’étais sur le point de fuir, que je l’avais aperçue. Dans les racines de la créature, il y avait une figure humaine. Je m’étais figé au moment où je l’avais vue. J’avais reconnu qui c’était.

« Sarah… ?! »

Pour une raison inconnue, le corps de Sarah était visible au pied de l’arbre. Était-elle morte ou respirait-elle encore ?

Les arbres tuaient généralement leurs proies avant de les vider de leurs nutriments, mais certains se contentaient de lier leur cible à la place, sapant progressivement leur vie. Elle semblait être dans un mauvais état, son corps était gonflé et couvert de bleus, mais pas assez blessé pour que je sois sûr qu’elle était morte.

Était-elle encore en vie ou non ?

« Hm… »

***

Partie 5

Quelque chose s’était produit. J’avais rétréci mes yeux et j’avais regardé de plus près. Un certain nombre de cadavres étaient emmêlés dans les vastes racines de l’arbre, à peu près à la même position que Sarah. Certains étaient des carcasses en décomposition, dont un grizzli à l’éclat complètement desséché. Une chose en particulier se détachait : un Buffle des Neiges. Il se débattait, pris dans les racines de l’arbre. Bien que piégé, il cherchait désespérément à s’échapper, luttant pour se libérer alors que de l’écume bouillonnait dans sa bouche.

Bien sûr, il n’avait aucun moyen de s’échapper de ses robustes racines. Mais sa présence prouvait que ce Tréant de Glace particulier avait pris sa proie vivante. Peut-être que Sarah n’était pas morte, qu’elle était juste inconsciente.

Comment allais-je la sauver ? Le Tréant de Glace était un arbre de la taille d’un gratte-ciel, dont la moitié du tronc était protégée par une barrière de glace. Franchement, je n’avais pas l’impression de pouvoir le vaincre. Même si je pouvais utiliser la magie avec une large zone d’effet, Sarah serait sûrement prise dans l’explosion. Elle n’était pas prisonnière de la glace, mais pouvais-je vraiment la libérer, la faire sortir et m’échapper ?

Pendant que j’étais préoccupé, le tréant continuait sa poursuite, ses branches se balançant vers moi. « Flamme Coupante ! »

Ma magie coupa un bloc de bois de la branche alors que je reculais.

Il m’envoya ensuite un autre glaçon surdimensionné, que je devais aussi éviter. Comme prévu, une masse d’eau gelée se dirigea vers moi. C’était facile à éviter, bien sûr, puisque je savais déjà qu’elle allait venir.

Ensuite, une autre attaque de ses branches. À droite, puis à gauche.

« Hm ? »

Alors que j’échappais à l’attaque, j’avais eu le sentiment que quelque chose n’allait pas. J’avais regardé le tréant avec suspicion. Dans l’obscurité, j’avais entendu le crépitement familier de l’eau qui gelait alors que l’arbre achevait son prochain bloc de glace.

Se pourrait-il que… Cette créature n’avait qu’un seul modèle d’attaque — lancer un bloc de glace, puis utiliser ses branches pour faucher son adversaire ? Est-ce que c’était juste une répétition de ce modèle, encore et encore ?

Mes soupçons avaient été confirmés après avoir esquivé les prochaines attaques de branches et de blocs de glace. Peut-être qu’il cachait un atout dans sa manche… Non, c’était un simple tréant. Aussi énorme qu’il puisse être, ce n’était en fait qu’un monstre de rang D. Il était difficile de croire qu’il ne connaissait pas d’autres types d’attaques.

« Mon sort Flamme Coupante a fonctionné. »

J’avais gardé cela à l’esprit et j’avais soigneusement examiné l’arbre, en notant que l’armure de glace ne couvrait que les parties les plus épaisses de son tronc. Sans l’obscurité, je l’aurais remarqué immédiatement, mais sa capacité à se défendre contre mon Canon de pierre m’avait déconcerté.

« Est-ce que je peux faire ça… ? »

La taille imposante de mon adversaire m’avait un peu intimidé. Mais je savais quel genre de créature c’était et qu’elle n’avait que deux types d’attaques. Et bien qu’elle soit grande, ce n’était qu’un tréant.

« J’ai compris ! », me suis-je dit en marmonnant avant de m’avancer.

J’avais évité le bloc de glace et j’avais utilisé Flamme Coupante pour couper les branches qui venaient vers moi. J’aurais pu utiliser un type de magie plus efficace, mais je n’étais pas sûr que le tréant n’avait pas d'autre atout dans sa manche.

Les faiblesses du tréant étaient devenues évidentes à mesure que je continuais. En raison de sa taille massive, seules quelques racines étaient assez longues pour atteindre le sol. Une fois que j’avais réalisé cela et que j’avais utilisé ma magie pour les trancher, la bataille était gagnée. Et bien qu’il n’ait jamais tenté de s’échapper, le tréant cessa de m’attaquer et se figea sur place, feignant la mort. J’avais profité de cette occasion pour m’approcher tout en maintenant ma garde, conscient qu’il pourrait tenter de m’écraser. Mais j’avais réussi à libérer Sarah et à la ramener en lieu sûr.

« Sarah… ! Sarah ! »

« Hm… »

Ses paupières battirent des ailes quand je l’avais appelée par son nom.

« Hein ? Qui est là ? », demanda-t-elle faiblement.

« C’est Rudeus. »

« Rudeus… ? »

« Je suis venu te sauver », lui avais-je expliqué en la hissant sur mon dos tout en battant précipitamment une retraite

J’avais littéralement coupé la capacité du tréant à attaquer avec ses branches, mais il n’y avait aucune garantie qu’il ne me poursuivrait pas avec sa glace ou une autre attaque.

Il ne donnait cependant aucun signe de poursuite, même lorsque je pataugeais dans la neige. J’avais continué à courir, aussi vite que je le pouvais, jusqu’à ce que le tréant soit hors de vue.

◇ ◇ ◇

Il y avait quelques heures que nous nous étions échappés de l’arbre.

Une fois que nous étions hors de danger, j’avais utilisé la magie curative pour soigner les blessures de Sarah, qui étaient graves. Elle avait reçu des coups partout, avec des gelures qui remontaient de ses extrémités. Ses os étaient brisés à plusieurs endroits, et particulièrement à la cuisse droite. Le fémur avait été brisé en deux et la zone environnante avait fortement gonflé. C’était probablement une fracture complexe ou quelque chose de semblable.

La guérison nécessitant un contact direct avec la peau, j’avais donc dû enlever sa chemise et son pantalon et appuyer sur ma main aux endroits appropriés. J’avais pensé qu’elle me dirait encore quelque chose, mais elle était restée silencieuse. Mais en tant qu’aventurière, peut-être que c’était aussi normal pour elle que de respirer. Mimir était aussi un guérisseur, il devait donc faire cela aussi pour pratiquer sa magie.

Cela dit, elle avait rampé dans la neige, donc ses sous-vêtements étaient distraitement translucides. J’avais fait de mon mieux pour ne pas regarder, même si cela se voyait sur mon visage.

« J’ai été frappée par la charge d’un Buffle des Neiges et je suis tombée d’une falaise », dit-elle soudainement.

« Hein ? », m’exclamais-je, confus au début.

« C’est pour ça que ma jambe est cassée. »

« Oh. »

J’étais sûr qu’elle avait remarqué que je regardais ses sous-vêtements, mais elle l’avait ignoré. Elle me raconta plutôt comment elle était séparée des autres. Peut-être que la raison pour laquelle elle n’avait pas essayé de se couvrir était de me récompenser pour l’avoir sauvée. C’était un beau spectacle pour les yeux.

« J’ai trouvé ta boucle d’oreille parmi les os que le troupeau avait rassemblés. J’ai cru que tu étais morte », avais-je avoué.

« Hein ? Oh, ça ? Cette boucle d’oreille est un objet magique. Si vous plantez le bout de la plume dans votre adversaire, il sera pris dans une illusion pendant un court instant », expliqua Sarah, en mettant une main à son oreille.

« J’aurais pu réussir si je n’avais pas atterri sur le territoire de ce Tréant de Glace. »

Apparemment, après s’être échappée du Buffle des neiges, Sarah s’était construit une grotte de neige pour tenter de supporter les températures glaciales, en utilisant ses flèches comme attelle de secours sur sa jambe. Alors qu’elle attendait toute seule de l’aide, le Tréant de Glace tomba sur elle et écrasa sa grotte avec un bloc de glace, la prenant en otage.

Si j’avais été à sa place, je doutais que j’aie pu avoir l’idée de construire une grotte de neige. J’aurais probablement plutôt été gelé à mort.

« Hé, as-tu fini ? » me demanda-t-elle, se couvrant de ses mains pendant que je réfléchissais à la question.

« Oh, oui. Merci. »

« Pourquoi diable me remercies-tu… ? », marmonna-t-elle, le visage rouge, en se retournant et en remettant son pantalon. Sa jambe avait été cassée, la peau était pâle et gonflée, mais elle semblait maintenant saine et souple. Une jambe digne de gratitude. Il était tout à fait naturel que je la remercie, quelles que soient les circonstances.

Pour une raison inconnue, j’avais l’impression que quelque chose n’allait pas. Comme s’il manquait quelque chose. Qu’est-ce que c’était ? J’étais sûr que ça ne pouvait pas être quelque chose de trop gros, mais quand même…

« Il n’y a plus rien qui cloche avec ta jambe ? »

« Oui, c’est bon. Tu vois, elle ne me fait même plus mal. »

Elle s’était penchée et s’était étirée devant moi.

Si ma magie de guérison n’avait pas échoué, alors qu’est-ce que c’était ?

« J’ai juste le sentiment que quelque chose ne va pas. Est-ce qu’il y a quelque chose dans cette situation qui te pose problème ? Peut-être que c’est à propos de l’endroit où j’ai trouvé ta boucle d’oreille… ? », lui avais-je dit.

« Non, puisque je l’ai fait tomber, je ne serais pas surpris de savoir où tu l’as trouvée. Oh ! Mais c’est bizarre que tu sois ici tout seul. »

« Oh, non, c’est juste que… j’ai entendu Timothy et les autres de ton groupe dire que tu avais disparu, alors… »

« Ils sont donc finalement rentrés chez eux », avait-elle dit en s’en rendant compte.

« Non, je ne voulais pas… »

« C’est bon. Je ne les blâme pas. C’est une décision évidente, vu les circonstances… Alors, tout le monde est-il en sécurité ? », dit Sarah.

« Non. Mimir est mort. J’ai une partie de lui juste ici », avais-je annoncé tout en soulevant mon sac. Elle me le prit et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Son visage s’était déformé quand elle vit son contenu. Puis, son expression laissa place à la tristesse.

« Je vois… Est-ce que tout le monde le sait déjà ? »

« Ils semblaient très sûrs de sa mort. J’ai pensé que si je ramenais ses restes, vous pourriez l’enterrer tout près. »

« Oui, ça rendrait probablement Mimir heureux. Hum, laisse-moi au moins porter ce sac. »

« Bien sûr, ça ne me dérange pas. »

Sarah serra les lèvres et porta le sac sur son dos. Au final, je ne pouvais toujours pas identifier l’étrange sentiment que j’avais. Il n’y avait rien à faire, sauf la laisser faire. Même si j’y parvenais, je ne pourrais probablement rien y faire pour l’instant.

« D’accord, alors rentrons maintenant. »

« Oui. »

Sarah fit un signe de tête. La façon douce dont elle le fit était mignonne. Presque comme Éri —

J’avais frénétiquement secoué la tête pour ne pas me souvenir d’elle.

« Hé », cria Sarah après quelques pas.

Je m’étais retourné pour voir un regard de soulagement sur son visage, souriant comme si elle allait pleurer à tout moment.

« Merci de m’avoir sauvée. »

Elle était pleine de gratitude, et pour une raison inconnue, j’étais captivé par ce sourire. J’avais souhaité le voir pour toujours.

Quelque chose en moi s’était alors mis en place. C’était presque comme si tout ce que j’avais fait jusqu’alors avait été pardonné.

J’avais été sauvé.

Le fait que je me retrouve à penser ainsi était étrange, vu que c’était moi qui l’avais sauvée.

◇ ◇ ◇

Il faisait presque jour lorsque nous étions retournés à la ville de Rosenburg. À mi-chemin, Sarah m’avait proposé de camper, mais j’avais refusé, impatient de revenir. Pour une raison inconnue, l’idée de nous voir camper tous les deux m’effrayait un peu.

« Ah ! »

Des visages familiers s’étaient rassemblés devant Rosenburg. Trois d’entre eux, en fait : Timothy, Suzanne et Patrice.

« Rudeus et… Sarah ?! »

« Suzanne ! »

Dès qu’elle les avait repérés, Sarah s’était immédiatement mise à courir et s’était jetée contre la poitrine de Suzanne.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Nous étions sur le point de partir à ta recherche. »

« Rudeus m’a sauvée ! »

Aucun d’entre eux ne pouvait cacher sa surprise lorsque Sarah raconta ce qui s’était passé. Une fois qu’elle eu fini, ils s’étaient tous tournées vers moi, les yeux écarquillés par l’incrédulité.

« Alors, ça veut dire que la nuit dernière… Après avoir entendu ce que nous avons dit, tu es immédiatement parti ? Tout seul ? »

« Eh bien, je veux dire… », avais-je commencé à dire.

« Et comment devait-on se sentir si tu étais mort là-bas, en faisant quelque chose d’aussi ridicule ? »

Mon corps s’était recroquevillé sur lui-même pendant que Suzanne me grondait.

Sarah s’était mise devant moi.

« C’est bon ! Suzanne, il n’y a pas besoin de le dire comme ça ! »

Suzanne l’étudia, les yeux écarquillés à nouveau de surprise, avant qu’elle ne se gratte la joue.

« Oui, je suppose que tu as raison. Ce n’est pas comme si j’avais le droit de dire quoi que ce soit… Ça m’a juste déstabilisée. Je veux dire, je suis reconnaissante. Donc d’abord, je suppose que je devrais dire merci d’avoir sauvé Sarah », dit-elle maladroitement.

Peut-être pensait-elle que j’aurais pu les rejoindre dans leur recherche au lieu de tout faire tout seul. Pourtant, c’était seulement parce que j’avais manipulé le temps que mon voyage s’était déroulé sans encombre. Je doutais que la neige se soit arrêtée autrement.

« Non, c’est moi qui devrais te remercier, en tant que chef du groupe. »

Timothy me prit la main. Il était solennel en me regardant, son doux sourire habituel ne se voyait pas.

« Si Sarah n’était pas rentrée vivante, j’aurais profondément regretté ma décision. Merci. »

Il ajouta ensuite : « Comment devrions-nous rembourser cette dette ? N’hésite pas à me demander n’importe quoi. »

Sa main était chaude. Ou peut-être que mon corps était juste aussi froid.

« Ce n’est pas nécessaire. Vous m’avez tous aidé tant de fois. »

Je le pensais aussi. J’avais vraiment l’impression que les membres de Counter Arrows avaient toujours été là pour moi. C’était aussi pour ça que j’avais réagi instinctivement dès que j’avais appris que Sarah avait disparu.

« Considérons que nous sommes quittes », avais-je dit, en parvenant à me forcer à sourire.

Timothy me regarda à nouveau, puis sourit comme il l’avait toujours fait.

« D’accord… Ouais. Alors on sera là pour toi si tu en as besoin. »

« Oui. De même. »

Timothy et moi avions échangé une poignée de main ferme. Et puis, comme s’il venait de penser à quelque chose, il me dit : « Ah au fait, Rudeus… »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« … Non, désolé. Ce n’est rien. »

Il avait un regard légèrement contradictoire en secouant la tête.

J’avais une assez bonne idée de ce qu’il allait me proposer, mais je n’avais pas l’intention d’insister sur la question. Si sa question était ce que je soupçonnais, j’hésiterais probablement avant de finalement décliner.

« Alors, rentrons à l’auberge », lui dis-je.

« Oui, on t’accompagne. »

Les membres de Counter Arrows m’avaient accompagné jusqu’à mon auberge, comme si c’était naturel. C’était encore tôt le matin, bien avant que les gens ne commencent à s’agiter. Dans la lumière de l’aube qui brillait sur la neige alors que le soleil faisait son ascension, nous avions marché tous les cinq ensemble, la poudreuse gelée crissant sous nos pieds. J’étais complètement épuisé, tout comme Sarah. Les trois autres avaient sûrement leurs questions, mais ils avaient donné la priorité au fait de me laisser retourner dans ma chambre.

« C’est assez loin. Merci », avais-je dit en les regardant.

« Rudeus, on se reverra ! »

Sarah avait crié après moi quand j’étais entré.

En y repensant, elle était restée debout toute la nuit. Contrairement à moi, qui avais passé un après-midi à pelleter de la neige, elle avait été prise au piège dans un blizzard déchaîné dans la forêt avec une jambe cassée, assaillie par une douleur horrible. Elle devait être elle aussi assez fatiguée. J’aurais peut-être dû accepter de camper à l’extérieur. Mais si nous l’avions fait, nous aurions peut-être manqué les autres en quittant Rosenburg. Les choses s’étaient arrangées pour le mieux.

« Oui, à plus tard. N’oublie pas de te reposer aujourd’hui. »

« Toi aussi ! »

« Je vais le faire. »

Je lui avais fait signe et avais disparu à l’intérieur.

Le hall de l’auberge était chaud, avec une odeur agréable qui imprégnait l’air. Le propriétaire s’était levé tôt et préparait déjà le petit déjeuner. J’avais quitté le premier étage, qui faisait office de réfectoire, j’étais monté au troisième étage et j’avais allumé un feu dans ma chambre. Comme il fallait un certain temps pour chauffer, j’avais brièvement ouvert la fenêtre pour aérer un peu la pièce. De là, j’avais pu voir les silhouettes de ceux de Counter Arrows qui s’éloignaient. Au même moment, l’une d’entre elles s’était retournée pour regarder en arrière.

Les yeux de Sarah avaient rencontré les miens. Elle bougea ses lèvres, comme pour dire quelque chose. Mais ses paroles étaient silencieuses. Je le savais parce que les autres ne s’étaient pas retournés.

Qu’avait-elle dit ? Comme je ne savais pas lire sur les lèvres, il m’était impossible de le dire. Je lui avais juste fait un signe de la main et je l’avais regardée partir. Elle avait l’air heureuse quand elle s’était retournée et avait couru après les autres.

J’avais été frappé par une soudaine vague de somnolence au moment où j’avais fermé la fenêtre. J’avais décidé d’aller me coucher, en choisissant de m’allonger dans mon lit et de dormir jusqu’au dîner. J’avais eu l’impression qu’aujourd’hui, pour la première fois depuis longtemps, je pouvais dormir profondément.

Dans cette optique, je m’étais effondré sur mon matelas.

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