Mushoku Tensei (LN) – Tome 6 – Chapitre 12

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Chapitre 12 : La vérité au sujet de la Calamité

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Chapitre 12 : La vérité au sujet de la Calamité

Partie 1

Le camp de réfugiés était calme, et il était de la taille d’un village. Si on était sur le Continent Démon, il serait juste assez grand pour être considéré comme une ville, mais il n’y avait pas de vie. Le silence imprégnait l’air, et les occupants du camp étaient peu nombreux par rapport à sa taille. Je pouvais sentir les gens dans les maisons en rondins construites à la hâte, l’endroit était donc à tous les coups habité, mais il n’y avait plus rien qui animait ces habitants.

Je m’étais rendu au milieu du camp de réfugiés, où se trouvait un bâtiment qui ressemblait à une guilde d’aventuriers. C’était le siège du camp de réfugiés, selon la note qui était écrite à l’entrée. Quand j’étais entré, je trouvais que c’était tout aussi mélancolique.

J’avais un mauvais pressentiment.

« Rudeus, c’est… »

Éris pointa une feuille de papier. Tout en haut de la page se trouvait le nom « Seigneur féodal de Fittoa James Boreas Greyrat », et à côté, « Recherche d’informations sur le statut, décédé ou disparu ». Au-dessous se trouvaient les noms de ceux qui avaient disparu après l’incident, classés par ordre alphabétique de village et de ville.

« Voyons cela plus tard », avais-je dit.

« Oui. »

La liste des défunts était incroyablement longue. De plus, le Seigneur féodal nommé en tête du document n’était pas Sauros. Ces deux choses m’avaient rendu anxieux alors que nous nous enfoncions dans le bâtiment.

Lorsque nous avions donné le nom d’Éris au comptoir, la femme d’âge moyen qui s’y trouvait s’était rapidement rendue à l’arrière. Puis elle était revenue, heureuse, avec un homme et une femme à ses côtés. Leurs visages étaient familiers. L’un d’entre eux était barbu et avait les cheveux blancs, portant une tenue qui semblait légèrement plus fine que celle d’un citadin ordinaire. C’était Alphonse, le majordome de la maison. L’autre avait la peau couleur chocolat et portait une tenue d’épéiste.

« Ghislaine ! »

Éris avait un regard de joie pure sur son visage lorsqu’elle se précipita vers la femme. Si elle avait une queue, elle remuerait.

J’étais aussi heureux. Je n’avais pas eu de nouvelles de Ghislaine pendant tout ce temps, mais elle avait l’air bien. Si Paul n’avait pas entendu parler d’elle, c’était peut-être à cause d’une lacune dans le flux d’informations.

Ghislaine regarda le visage d’Éris et fit un grand sourire.

« Éris, non, Dame Éris, je suis contente de voir que tu as réussi… »

« … C’est bon, tu peux m’appeler Éris. »

Ghislaine avait l’air heureuse pendant un moment, mais très vite, son expression s’était assombrie. Même Alphonse la regardait avec sympathie. Ce n’est pas possible… Un sentiment de mal être s’était installé en moi.

« Éris… discutons un peu ailleurs. »

La voix de Ghislaine était dure. Sa queue se tenait droite. Son expression n’était pas celle de quelqu’un qui était simplement heureuse du retour d’Éris. Elle était nerveuse.

« Oui, d’accord. »

Éris vit le regard de Ghislaine et semblait comprendre. Elle suivit Ghislaine plus profondément dans le bâtiment.

Quand j’avais essayé de les suivre, Alphonse m’arrêta et m’avait dit : « Maître Rudeus, attendez dehors, s’il vous plaît. »

« Hein ? Oh, d’accord. »

Je m’étais dit que c’était logique. Honnêtement, je n’étais qu’un employé, alors je n’avais peut-être pas le droit d’écouter les conversations importantes.

« Non, Rudeus va venir aussi », dit Éris sur un ton strident, qui ne laissait place à aucune dissidence.

« Si c’est ce que vous souhaitez, Dame Éris. »

Les lèvres d’Éris étaient encore plus serrées que d’habitude, ses mains se recroquevillaient si fort sur les côtés qu’elles devenaient blanches.

Nous avions traversé en silence un court couloir et étions entrés dans ce qui ressemblait à une salle de travail. Il y avait un canapé au milieu, et un vase au bord de la pièce qui contenait une fleur de Vatirus. L’extrémité de la pièce était meublée sobrement et ne contenait qu’un bureau de travail d’apparence bon marché.

Éris n’avait pas attendu d’être invitée pour prendre place sur le canapé. Elle avait saisi ma main et m’avait traîné afin que je m’assoie à côté d’elle. Ghislaine, comme d’habitude, avait pris place au bord de la pièce. Alphonse se tenait devant Éris et s’inclina devant elle à la manière traditionnelle d’un majordome.

« Bon retour à la maison, Dame Éris. On m’a dit tout à l’heure que vous alliez venir ici et j’ai attendu patiemment votre… »

« Coupez les courtoisies et dis-le simplement. Qui est mort ? », intervint Éris.

Elle posa la question sans détour, sans aucun rembourrage pour amortir la dureté des mots. Elle s’était assise bien droite, le regard plein de force, mais je savais qu’il y avait de l’anxiété dans son cœur. Surtout parce qu’elle serrait ma main très fort.

« À propos de ça… »

La réponse d’Alphonse était évasive.

À en juger par ses manières, Sauros était probablement mort. Éris était la fille chérie du grand-père. Elle imitait chacune de ses manières. S’il était mort, cela lui aurait fait très mal.

Alphonse fit sortir ses mots avec beaucoup d’efforts.

« Le Seigneur Sauros, le Seigneur Philip et Dame Hilda… Tous les trois sont décédés. »

À la seconde où nous avions entendu ces mots, ses doigts avaient écrasé ma main. La douleur m’avait atteint le bras, mais ce furent les mots d’Alphonse, plutôt que la douleur, qui me laissèrent hébété. C’était forcément une erreur, non ? Ça n’avait pas duré si longtemps. Ça ne faisait même pas encore trois ans. Ou peut-être serait-il plus correct de dire que cela fera bientôt trois ans.

« N’y a-t-il pas d’erreur ? »

Il y eut un tremblement dans la voix d’Éris quand elle posa la question.

Alphonse fit un signe de tête.

« Le Seigneur Philip et Dame Hilda ont été téléportés ensemble et sont décédés dans la zone de conflit. Ghislaine l’a confirmé. »

Ghislaine secoua la tête.

« C’est exact… Où Ghislaine a-t-elle été téléportée ? »

« Au même endroit que le Seigneur Philip. Dans la zone de conflit, » dit succinctement Ghislaine.

Alors qu’elle traversait à pied la zone de conflit, elle était tombée sur les corps de Philip et Hilda. C’était tout ce qu’elle avait dit. Elle n’avait pas expliqué dans quel état étaient leurs restes ni comment elle les avait trouvés, mais à en juger par son regard, ce n’était pas beau à voir. Était-ce l’état des corps ou la façon dont ils étaient morts ? Ou bien avait-elle vu quelque chose qui lui donnait envie de se détourner ? Avait-elle entendu quelque chose qui lui donnait envie de se couvrir les oreilles ?

Éris n’avait émis qu’un faible bourdonnement, mais sa main tremblait alors qu’elle serrait la mienne.

« Et mon grand-père ? »

« … Il a été forcé de prendre la responsabilité de l’incident de téléportation de Fittoa, et a été exécuté. »

« C’est absurde. Quel sens y aurait-il à exécuter le Seigneur Sauros ? », avais-je dit sans réfléchir.

Il avait été forcé d’assumer la responsabilité d’une catastrophe naturelle et avait été exécuté ? C’était ridicule. Il n’aurait rien pu y faire. Ou s’attendaient-ils à ce qu’il l’arrête avant que cela n’arrive ? C’était arrivé soudainement et sans prévenir. Quelle était la responsabilité à assumer ?

« Rudeus, assieds-toi. »

« … »

Éris me tira la main et me força à retourner sur mon siège. Apparemment, à un moment donné, je m’étais levé. Il y avait dans ma tête des sentiments que je ne pouvais pas exprimer avec des mots. C’était peut-être la douleur extrême qui les rendait incohérents. J’avais mal à la main.

Non. En vérité, je comprenais. Même s’il n’y avait pas eu d’avertissement, même s’il n’aurait pas pu être évité, des gens étaient morts. Les champs et les récoltes avaient disparu. Les pertes étaient incommensurables. Les gens étaient plongés dans le mécontentement et ils avaient besoin d’un bouc émissaire. Même dans ma vie précédente au Japon, le Premier ministre prenait ses responsabilités en démissionnant immédiatement si quelque chose de honteux arrivait.

En mourant, Sauros avait emporté avec lui le mécontentement du peuple. Quelqu’un de capable pouvait prendre sa place. Au moins, les gens pourraient alors trouver un certain soulagement.

Mais il n’y avait pas que ça. J’étais sûr qu’il y avait une lutte de pouvoir entre les nobles. Je n’avais aucune idée de l’autorité que possédait le vieux Sauros, mais cela devait être suffisant pour que cette catastrophe justifiât sa mort.

Je pouvais tout rationaliser. Je le pouvais. Et ensuite ? Cela nous avait juste conduits à notre situation actuelle. Dans un camp de réfugiés couvert de silence. Dans un quartier général pratiquement déserté. Il n’y avait aucun signe que le pays allait sérieusement rétablir la région de Fittoa. Si Sauros était encore en vie, il aurait peut-être pris des mesures plus actives. Ce vieil homme était précisément utile dans ce genre de situation.

***

Partie 2

Mais non, ce n’était qu’une façade. Ce qui m’importait, c’était les sentiments d’Éris. Je ne pouvais pas rester calme en pensant à ce qu’elle devait ressentir en apprenant qu’elle n’avait plus de famille. Je ne savais pas quand les décès de Philip et Hilda avaient été annoncés. Cela aurait pu être avant ou après la mort de Sauros. Mais Sauros était au moins en vie, « était » étant le mot-clé. Ils n’avaient tout de même pas besoin de le tuer.

Combien pensaient-ils qu’il y avait eu de morts dans cette catastrophe, dans l’incident de téléportation ? Des centaines de milliers, un nombre incalculable, et pourtant ils avaient délibérément tué un homme qui était revenu vivant ? Éris avait-elle fait tout ce chemin pour rentrer chez elle juste pour apprendre ça ?

Ah, merde. Je n’arrivais pas à réfléchir. J’avais mal à la main.

« Maître Rudeus, je comprends ce que vous ressentez, mais… c’est l’état actuel du royaume d’Asura. »

Alphonse, le maître que tu as servi a été tué ! Ghislaine, l’homme qui t’a sauvé la vie a été tué ! Pensais-je... C’était ce que je voulais leur dire.

Pourtant… rien n’était sorti.

Principalement parce qu’Éris n’avait rien dit. Il n’y avait aucune raison de crier et de pleurer. Même s’ils avaient pris soin de moi et que nous étions parents, Sauros m’était toujours étranger. Si sa famille n’allait rien dire, à quoi bon me plaindre ?

« … Alors, qu’est-ce que je suis censé faire ? »

Dans un calme inhabituel, Éris ne s’était pas plainte et n’avait pas crié.

« Le Seigneur Pilemon Notos Greyrat a dit qu’il vous accueillerait comme sa concubine, Dame Éris. »

Même moi, je pouvais sentir l’intention meurtrière de Ghislaine se répandre soudainement.

« Alphonse, espèce de salaud ! As-tu sérieusement l’intention qu’elle accepte cette offre !? »

Elle avait hurlé, si violemment que j’avais cru qu’elle allait m’ouvrir les tympans.

« Je suis sûr que tu te souviens de ce qu’il a dit ! »

Alphonse garda son sang-froid même face à la fureur de Ghislaine.

« Quand bien même, si l’on pense à l’avenir de la région de Fittoa, cela peut paraître inconfortable, mais… »

« Comme si elle pouvait être heureuse d’être mariée à un homme comme ça ! »

« C’est une ordure, mais il a un nom de famille distingué. Il y a beaucoup de mariages non désirés qui se terminent dans la joie », déclara Alphonse.

« Je me fiche de savoir tout ça ! Penses-tu au moins à Éris !? »

« Je pense à la famille Boreas et à la région de Fittoa. »

« Alors tu comptes sacrifier Éris pour ça !? » cria Ghislaine en retour.

« Si c’est nécessaire. »

J’avais regardé avec un étonnement muet les deux se disputer soudainement. Éris se tenait debout avant que je ne réalise ce qui se passait. Elle lâcha ma main et replia ses deux bras sur sa poitrine, ses jambes s’étaient écartées sous elle et son menton s’était incliné vers l’avant.

« Assez ! »

Sa voix était assez forte pour que Ghislaine doive se couvrir les oreilles. C’était toute l’étendue du souffle d’Éris que je n’avais pas entendu dernièrement. Cependant, c’était toute l’énergie qu’elle semblait avoir.

« Laissez-moi juste… seule. Je veux réfléchir. »

Les deux avaient l’air choqué lorsqu’ils entendirent à quel point sa voix semblait découragée.

Alphonse fut le premier à partir. Ghislaine avait l’air réticente en regardant Éris, mais elle partit.

Au final, il ne restait plus que moi.

« Éris… euh… »

« Rudeus, tu ne m’as pas entendu ? Laisse-moi tranquille pour l’instant. »

Son ton ne laissait aucune place à la discussion.

Je m’étais senti un peu choqué. C’était probablement la première fois depuis longtemps qu’Éris me repoussait comme ça.

« OK, je… comprends. »

Mes épaules s’étaient affaissées quand je vis Éris me tourner le dos. À la seconde où j’avais quitté la pièce et fermé les portes, j’avais juré que je pouvais entendre un sanglot.

♥♥♥

Alphonse nous avait préparé des chambres. Il y en avait quatre, étroites et situées dans une maison près du quartier général, probablement destiné aux réfugiés. J’avais porté mes bagages dans l’une d’elles et j’avais rangé celle d’Éris dans la chambre voisine de la mienne. J’avais retiré mes vêtements de voyage pour en mettre d’autres afin de me promener en ville. Je m’étais débarrassé de ma robe difforme et rapiécée sur le lit et j’avais quitté la chambre.

J’étais retourné au quartier général. Je voulais essayer de parler encore un peu avec Alphonse et Ghislaine, mais je ne les avais pas vus. Je n’avais pas la volonté de les chercher, alors j’avais regardé le tableau d’affichage à la place. Le message de Paul y était épinglé, celui que j’avais vu à plusieurs reprises ces derniers mois. Il disait : « Cherchez sur le continent central ou dans la région nord ». Il l’avait écrit alors que j’avais quel âge, dix ans ? J’aurais bientôt treize ans. Le temps avait passé rapidement.

Mes yeux balayaient la liste des morts et des disparus. Ils atterrirent sur la section intitulée « Village Buena ». Les noms des personnes que je connaissais étaient alignés sur la liste des personnes disparues. Plus de la moitié d’entre eux étaient rayés. Un coup d’œil à la colonne des morts avait révélé que les mêmes noms avaient été écrits là-bas. Apparemment, comme leur mort avait été confirmé, leurs noms avaient été rayés et ils avaient été ajoutés à la liste des morts. Il y avait un peu plus de noms dans la colonne des disparus que dans celle des morts, mais la liste des morts était très dense.

J’avais vu le nom de Laws écrit dans la colonne des personnes disparues avec une ligne qui la traversait, et mes sourcils s’étaient plissés. Paul m’avait dit que Laws était mort. Mais je n’avais pas entendu les détails de sa mort.

Puis, juste en dessous, je l’avais vu. Là, dans la colonne des personnes disparues, il y avait le nom de Sylphie. Et une ligne rayait son nom.

Ba-thump.

Mon cœur battait fort.

Ce n’est pas vrai, pensais-je en regardant la colonne des morts. Je n’avais pas vu son nom près de celui de Laws. J’avais commencé par le haut et j’avais scanné la liste jusqu’à la fin, mais son nom n’était pas présent.

« Hum, il y a une ligne tracée à travers ce nom, mais il n’est pas dans la liste des morts… ? »

J’avais demandé à un membre du personnel, en exprimant mon doute.

« Oui, c’est l’une des personnes qu’on a confirmé qu’elle était encore en vie. »

Quand j’avais entendu ces mots, quelque chose dans ma poitrine fit un bruit sourd. C’était comme si mon cœur était tombé directement dans mon estomac et dans mes tripes. C’est pour vous dire à quel point j’étais soulagé de savoir que Sylphie était vivante.

« Alors, savez-vous aussi comment les contacter ? » lui demandai-je.

« Si cette personne n’est pas venue elle-même à notre quartier général ici, alors j’ai bien peur que non. »

« Pourriez-vous vérifier pour moi ? Son nom est Sylphiette. »

« S’il vous plaît, attendez un instant. »

Le personnel avait fouillé pendant une bonne vingtaine de minutes.

« Je suis désolé, mais ses coordonnées n’ont pas été enregistrées chez nous. »

« Oh, d’accord… »

Il y avait donc deux possibilités. Soit elle ne s’était pas encore installée et n’avait donc pas de coordonnées à inscrire, soit quelqu’un d’autre l’avait repérée et avait mis à jour la liste, ses coordonnées n’ayant donc pas été enregistrées. Il était possible qu’il y ait eu une erreur, mais je ne pensais pas que ce soit le cas. Il y avait une très forte probabilité que Sylphie ait survécu. Pour l’instant, je devrais m’en réjouir.

Bien sûr, j’étais aussi inquiet. À propos de sa couleur de cheveux, par exemple. C’était une nuance légèrement différente de celle des Superds, mais c’était pratiquement la même. Selon l’Homme-Dieu, la malédiction s’appliquait uniquement à la tribu des Superds. Pourtant, il y avait beaucoup de gens cruels dans le monde. Elle était peut-être quelque part, en train de pleurer à cause d’une remarque sur ses cheveux…

Non. Paul avait dit qu’elle pouvait utiliser la magie de guérison sans avoir besoin d’incantations. Cela signifiait qu’elle avait assez de force pour survivre par elle-même. Peut-être était-elle comme moi, travaillant comme une aventurière. Peut-être cherchait-elle sa famille, sans savoir qu’elle était déjà décédée. En fait, si elle avait survécu à l’incident, c’était la possibilité la plus probable. J’avais juste prié pour qu’elle ne soit pas devenue une esclave ou autre chose.

Pour le moment, j’avais pris sur moi de rayer les noms de Lilia et d’Aisha de la liste des disparus. Il y avait déjà une ligne à travers mon nom. Ils avaient entendu qu’Éris était en route pour venir ici, donc ils savaient probablement pour moi aussi.

Dans la famille de Paul, le seul nom qui restait était Zenith Greyrat, ce qui signifiait qu’elle n’avait toujours pas été retrouvée. Peut-être que je pourrais le demander à l’Homme-Dieu la prochaine fois qu’il apparaîtra dans mes rêves.

Quand j’avais fini de regarder le tableau d’affichage, Éris n’était toujours pas sortie de la pièce. Elle était normalement si rapide à se remettre. C’était la première fois que je la voyais aussi troublée par quelque chose. Mais nous avions fait tout ce chemin pour arriver ici, et maintenant qu’elle était arrivée chez elle, il n’y avait pas de famille ou de maison chaleureuse pour l’accueillir. Peut-être que cela suffisait à accabler même quelqu’un d’aussi fort qu’Éris.

Peut-être que je devrais retourner la réconforter, me suis-je dit. Non, attendons encore un peu.

J’avais décidé de retourner dans le bâtiment où j’avais laissé nos bagages. Je m’étais dit que je trouverais quelque chose que je pourrais faire en attendant, mais je ne savais pas quoi. Peut-être que je devrais simplement me reposer.

***

Partie 3

Alphonse m’avait appelé alors que je m’apprêtais à partir. Il m’avait emmené dans une pièce située dans le quartier général du camp de réfugiés et s’était assis devant moi. À ma droite, Ghislaine était assise. La seule raison pour laquelle elle était assise avec nous était probablement due au fait qu’Éris n’était pas avec nous. Contrairement à moi, elle semblait comprendre la hiérarchie maître/serviteur.

« Maintenant, Maître Rudeus, veuillez faire un rapport concis. »

« Un rapport ? »

« Oui, sur ce que vous avez fait ces trois dernières années. »

« Oh, oui, très bien. »

Je lui avais raconté comment nous avions été transportés sur le Continent Démon et rencontrés Ruijerd. Comment nous nous étions enregistrés en tant qu’aventuriers et avions utilisé cela pour gagner un revenu quotidien en nous déplaçant d’un endroit à l’autre. Je lui avais parlé de l’incident dans la Grande Forêt. Puis je lui avais raconté comment nous avions rencontré Paul et son équipe de recherche et de sauvetage de Fittoa, et que c’était aussi la première fois que nous avions appris la situation chez nous. Je lui avais raconté comment nous nous étions dirigés vers le nord en cherchant des informations, et les événements qui s’étaient déroulés dans le Royaume de Shirone. J’avais essayé d’être aussi concis que possible, en gardant la conversation centrée sur Éris.

Alphonse écouta calmement, mais quand je lui avais raconté comment nous nous étions séparés de Ruijerd, il me dit.

« L’homme qui vous a escorté est rentré chez lui ? »

« Oui, il s’est vraiment occupé de nous. »

« Vraiment ? Une fois que les choses se seront calmées, j’aimerais proposer à Éris que nous le récompensions officiellement pour son aide. »

« Il n’est pas le genre de personne à accepter quelque chose comme ça. »

« Vraiment? »

Alphonse fit un signe de tête et me jeta un regard silencieux. Ses yeux étaient ceux d’un homme épuisé.

« Eh bien, Maître Rudeus… de ceux qui ont servi le Seigneur Sauros, il ne reste que nous trois. »

« Et les autres servantes ? » Lui avais-je demandé.

« À en juger par le fait qu’elles ne sont pas revenues, soit elles sont mortes, soit elles sont retournées dans leur pays. »

« Oh, d’accord. »

Donc même les filles aux oreilles de chat avaient été éliminées ? Ou peut-être que certaines d’entre elles étaient retournées chez elles dans la Grande Forêt.

« Et le seigneur prit si bien soin d’elles, aussi. C’est terrible. »

« Je suppose que ce n’était finalement rien d’autre qu’une relation financière avec elles. »

Au moment où j’avais dit ça, la face d’Alphonse avait légèrement craqué. Mes paroles étaient peut-être un peu dures, mais j’étais sûr qu’elles étaient vraies.

« En raison de votre jeunesse, j’ai hésité à vous inclure ou non dans cette conversation. Mais si vous pouvez répondre comme ça, je suis sûr que vous en êtes plus que capable. Vous avez protégé Dame Éris et l’avez amenée ici en toute sécurité. En guise de reconnaissance, nous vous accueillons comme vassal dans la famille Boreas Greyrat. »

Un vassal ? C’était donc le but de cette réunion ?

« Dorénavant, je conduirai cela comme une rencontre entre vassaux. Je suppose que vous n’y voyez pas d’inconvénient ? »

Une réunion ? J’étais sûr qu’ils avaient probablement organisé ces réunions avant même que je sois envoyé en tant que professeur chez Éris. J’étais également sûr que Ghislaine n’avait pas été incluse à l’époque. Nous n’étions plus que trois maintenant, mais de nombreux vassaux s’étaient sans doute déjà réunis pour de telles discussions dans le passé.

« Merci. Quel est le sujet à l’ordre du jour ? »

Je n’avais pas l’intention de me lancer dans des plaisanteries oiseuses, alors j’avais été direct. D’ailleurs, Philip et Sauros n’étant plus là. L’ordre du jour était évident.

« C’est à propos de Dame Éris. »

Vous voyez ? C’était comme je l’avais dit.

« Plus précisément, j’aimerais parler de son avenir. »

« Son avenir ? » avais-je répondu en écho.

Éris était retournée dans sa patrie, mais il n’y avait rien ici. Elle n’avait pas de famille et pas de foyer. Elle ne pouvait pas revenir à la vie qu’elle avait connue avant.

« S’il est vrai que le Seigneur Sauros et le Seigneur Philip sont décédés, la famille Boreas elle-même n’est quand même pas complètement détruite, hein ? Ils peuvent au moins lui préparer un endroit où vivre ? » avais-je demandé.

« Le Seigneur James serait préoccupé par les rumeurs. Je pense qu’il refuserait probablement de prendre Dame Éris dans sa maison. »

James… En d’autres termes, l’oncle d’Éris. L’actuel Seigneur Féodal. S’il se souciait tant que ça de ce que pensent les gens, alors il ne voudrait probablement pas de quelqu’un comme Éris dans sa famille. Ses manières étaient un peu douteuses, et elle ne correspondait pas exactement à l’image que l’on se faisait d’une dame noble. James était également censé héberger les frères d’Éris, et probablement aussi un certain nombre de cousins. Il n’était pas difficile d’imaginer qu’Éris causerait des conflits avec un ou plusieurs d’entre eux.

« Même s’il était prêt à l’accueillir, il est douteux que les autres nobles l’acceptent comme l’un d’entre eux. Je ne l’imagine pas non plus assumer les tâches d’une femme de ménage. Par conséquent, je vais rejeter entièrement l’idée. »

Je lui avais fait un signe de tête. Il avait raison. Même si Éris s’était un peu adoucie, son caractère sauvage était toujours le même.

« Ensuite, j’aimerais discuter de l’invitation de Pilemon Notos Greyrat. Il a dit que lorsqu’Éris rentrerait chez elle, si elle n’avait pas d’autre endroit où aller, il serait prêt à l’accueillir comme l’une de ses concubines. »

Pilemon, mon oncle et le frère cadet de Paul. Il était l’actuel chef de famille des Notos. J’avais eu l’impression que le vieux Sauros ne l’aimait pas du tout.

Quand j’avais regardé Ghislaine, j’avais vu qu’elle avait les sourcils froncés et les yeux fermés.

« Ce n’est pas une mauvaise option, mais il y a des rumeurs troublantes à son sujet. », m’avait dit Alphonse.

« Des rumeurs troublantes ? » lui avais-je demandé.

« Oui, on dit qu’il essaye de gagner la faveur du haut ministre Darius, qui a rapidement gagné en pouvoir politique ces derniers temps. »

En quoi cela était-il inquiétant ? N’était-il pas normal que les puissants cherchent à gagner la faveur de ceux qui ont plus d’influence qu’eux ?

« Le Seigneur Darius a gagné en puissance ces dernières décennies, et soutient l’ascension du Premier Prince sur le trône. Il est également le principal responsable de la chasse de la deuxième princesse hors du pays. »

Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez quand vous évoquez soudainement le Premier — ceci et le Second — cela, pensais-je.

« Lord Pilemon a fait partie d’un groupe de partisans de la deuxième princesse, mais… »

« Mais quand elle a été chassée du pays, son groupe a perdu tout son pouvoir ? » avais-je deviné.

« Précisément. »

En d’autres termes, comme le grand patron de son groupe a perdu, il complotait maintenant pour essayer de passer dans l’équipe gagnante.

« Je ne vois pas le problème », avais-je dit.

« Seigneur Rudeus, vous souvenez-vous de cet enlèvement d’il y a quelque temps ? »

« Un enlèvement ? »

« Celui où de vrais kidnappeurs se sont emparés de Dame Éris. »

Le plan de kidnapping que j’avais moi-même proposé.

« Celui qui était derrière ce crime était le Seigneur Darius », dit Alphonse.

« … Hm. »

« Seigneur Darius ne s’est rendu qu’une seule fois dans la région de Fittoa, et à cette époque, il n’a fallu qu’un seul regard pour qu’il s’intéresse à Dame Éris. »

« Vous voulez dire dans un sens sexuel ? » lui avais-je demandé.

« Bien sûr. »

Ainsi, la vérité avait été révélée après toutes ces années. Non, il avait probablement déjà été identifié comme le coupable à l’époque, mais ils ne pouvaient pas se permettre de faire des histoires à cause de sa puissance.

Je m’étais demandé pourquoi Sauros avait refusé de le laisser avoir Éris. Est-ce parce qu’il détestait Darius ? Le vieil homme était du genre à laisser ses sentiments lui dicter ses actions. Quel que soit le fondement de sa décision, cela n’avait plus beaucoup d’importance maintenant.

« Si le Seingeur Pilemon devait prendre Dame Éris comme concubine, il trouverait probablement une excuse pour l’offrir au Seigneur Darius. »

Hmm, donc le fameux noble pervers était le Seigneur Darius. Apparemment, il y en avait beaucoup dans le royaume d’Asura. Certes, il avait bon goût s’il aimait Éris, mais ce goût était la seule chose non terrible chez lui.

« Eh bien, allons-nous rejeter cette idée ? »

« Pas tout à fait. Bien que je ne puisse pas m’empêcher de faire la grimace rien qu’en pensant à l’homme lui-même, c’est le Seigneur Darius qui a le plus d’influence dans la capitale en ce moment. Dame Éris ne l’aimera pas, mais cela garantirait son statut et le confort de sa condition de vie. »

« Mais quand même… »

« Et si elle faisait une demande un peu égoïste, il l’écoutera sûrement. Par exemple, si elle demandait le développement d’un village dans la région de Fittoa pour ses habitants. »

J’avais compris maintenant. Si elle devenait elle-même une femme puissante, alors elle pourrait puiser dans son argent et son influence. Malgré tout, je n’aimais pas l’idée qu’Éris soit avec ce pervers.

« Quelles sont nos autres options ? »

« Quant aux autres nobles… Depuis la mort du Seigneur Sauros et du Seigneur Philip, Dame Éris n’a plus aucune valeur en tant que fille d’une famille noble. »

Valeur, hm ? Peut-être que c’était comme ça qu’ils l’avaient vu. À mes yeux, Éris avait déjà elle-même beaucoup de valeur.

« Seigneur Rudeus, quelle est la meilleure voie à suivre pour nous ? » demanda Alphonse.

« Avant de donner mon avis, puis-je demander ce que pense Ghislaine ? »

Je n’avais pas encore rassemblé mes pensées.

« Je pense que Lady Éris devrait rester avec Rudeus. »

« Avec moi ? »

« Tu es le fils de Paul. Zenith était aussi d’une famille noble et puissante de Millishion. Avec ta lignée et ton passé, tu devrais pouvoir te faire une place parmi la noblesse Asurienne. »

Je n’étais pas si sûr de cela. J’avais regardé Alphonse pour mesurer sa réaction.

« Ce n’est pas impossible. Le Seigneur Paul a beaucoup accompli au cours de cet incident. Si vous utilisez cela à votre avantage, vous devriez être en mesure de consolider un certain pouvoir et une certaine influence. Cependant, obtenir du Seigneur Féodal qu’il vous laisse superviser la région de Fittoa serait bien plus difficile. Je ne peux pas imaginer Pilemon permettre au fils du Seigneur Paul d’avoir un quelconque pouvoir. Je ne peux pas non plus imaginer que Seigneur James et Seigneur Darius considèrent avec bienveillance le mariage d’Éris dans la famille d’une autre personne influente. »

Non, je ne le pensais pas. Pourtant, j’avais plus ou moins compris où Alphonse voulait en venir. Il réfléchissait à la manière d’assurer, à terme, la renaissance de la région.

« Dans ce cas, Rudeus devrait simplement prendre Lady Éris et s’enfuir », déclara Ghislaine.

« Et ensuite, qu’arrivera-t-il à la région de Fittoa ? »

Alphonse craqua.

« Peu importe »

Ghislaine répliqua froidement. Peut-être qu’elle et Alphonse ne s’entendaient pas du tout.

« Ne serait-ce pas la réalisation de notre souhait le plus cher, que Dame Éris prenne le contrôle de la terre que le Seigneur Sauros aimait tant ? »

« C’est votre souhait le plus cher. Ne me mettez pas dans le même sac que vous. Je veux juste que Dame Éris soit heureuse. »

« Et vous pensez qu’elle sera heureuse si elle s’enfuit avec le Seigneur Rudeus ? »

« Plus heureuse que si elle est forcée d’épouser Pilemon », argumentait Ghislaine.

« Et les gens de la région ? »

« Je ne me soucie pas d’eux. Dès le début, Dame Éris n’était pas censée s’occuper de ces questions. »

Il semblerait que notre groupe de vassaux était divisé. Alphonse voulait qu’Éris suive les traces de Sauros et Phillip et prenne en charge la gestion des terres. Si elle devait pour cela vivre avec un pervers, elle n’avait qu’à le supporter. Ghislaine, quant à elle, voulait juste qu’Éris soit heureuse. D’après elle, Éris devrait abandonner son pouvoir politique et son nom de famille pour s’enfuir avec moi.

Personnellement, je penchais pour la façon de penser de Ghislaine. Ce n’était pas logique, c’était entièrement émotionnel. Mais je ne voulais pas qu’une fille qui m’était chère soit prise par un porc. Si c’était nos options, alors nous ferions mieux de nous enfuir. Je ne me souciais pas du pouvoir politique.

Je comprenais ce qu’Alphonse disait et pourquoi il pensait que c’était important. Mais je n’étais pas d’accord avec lui.

« On dirait que l’on ne pourra pas se mettre d’accord », avais-je marmonné. Après avoir dit cela, les deux qui s’étaient disputés auparavant regardèrent dans ma direction.

« Que voulez-vous dire ? », demanda Alphonse.

« Quoi qu’il en soit, c’est Éris qui décide. Ça ne sert à rien d’en discuter. Alors, essayons de trouver un sujet de conversation plus constructif. Y a-t-il autre chose ? »

Alphonse me regarda avec stupéfaction. Ghislaine s’était tue à nouveau.

« Si ce n’est pas le cas, je vais me reposer. »

C’était ainsi que la réunion du jour se termina.

***

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