Mushoku Tensei (LN) – Tome 5 – Interlude 1

***

Interlude 1 : Éris, tueuse de Gobelins

***

Interlude 1: Éris, tueuse de Gobelins

Partie 1

Excusez la brusque digression, mais parlons d’un jeune homme nommé Cliff Grimor.

Cliff avait douze ans à l’époque, il était plus jeune qu’Éris, mais plus âgé que moi. Enfant, il avait vécu dans un orphelinat à Millishion. Cet établissement était géré par l’église de Millis, et servait de symbole de sa puissance et de son prestige. Naturellement, il ne manquait pas de fonds ou de soutien, ses enfants étaient bien pris en charge de toutes les manières possibles, et beaucoup avaient finalement été adoptés.

Après plusieurs années passées dans cette institution haut de gamme, Cliff avait été adopté à l’âge de cinq ans par son père adoptif actuel. Il s’agissait de Harry Grimor, un homme âgé et de haut rang de l’église de Millis.

Une fois que Cliff a rejoint le foyer de Harry, il suivit un programme éducatif rigoureux conçu pour faire grandir ses talents naturels. En quelques années seulement, il avait atteint un grade avancé en magie de guérison, de désintoxication et en magie divine. Il avait également appris à lancer des sorts de niveau intermédiaire dans toutes les disciplines de la magie offensive, et même des sorts de feu de niveau avancé.

En un mot, Cliff était un prodige.

Tout le monde autour du garçon le couvrait d’éloges. Tout le monde lui avait dit qu’un jour il laisserait sa marque dans le monde.

À cet égard, ses premières années étaient semblables à celles de Rudeus. Mais contrairement à Rudeus, qui conservait les souvenirs de sa vie précédente pour le garder humble, Cliff était devenu arrogant. Pour être franc, le gamin était imbu de lui-même.

Dans un sens, il était difficile de le blâmer. Même parmi ses instructeurs, il n’y avait personne qui pouvait utiliser une aussi grande variété de magie avec autant de compétence que lui. Il est vrai que certains pouvaient lancer des sorts de Guérison de Rang Saint, d’autres avaient maîtrisé les sorts de Désintoxication de Rang Saint. Cependant, seul Cliff était avancé dans quatre disciplines distinctes. L’étendue de ses compétences était telle que certains disaient qu’il était un sage en devenir. L’ego du garçon grandissait de jour en jour. Peu à peu, il cessa d’écouter ses tuteurs.

Un jour, Cliff devrait succéder à son père adoptif et prendre un poste à l’église de Millis. Cliff en était bien sûr conscient. Mais à présent, il aspirait à être un aventurier.

Pourquoi un aventurier, me demanderiez-vous ?

La cause se trouvait dans ses premières années à l’orphelinat. Beaucoup de ceux qui avaient été élevés dans cet établissement étaient devenus des aventuriers. Les enfants qui n’avaient pas été adoptés avant leur dixième anniversaire étaient envoyés dans une école gérée par l’église de Millis, où ils suivirent une formation de cinq ans dans les arts du combat à l’épée et de la magie. Après avoir obtenu leur diplôme, ils accepteraient des emplois adaptés à leurs talents particuliers. Ceux qui obtenaient de superbes résultats dans les études du maniement du sabre et la magie devenaient parfois chevaliers, mais la majorité de ces diplômés finissaient comme aventuriers.

Ces jeunes hommes et femmes s’arrêtaient fréquemment pour visiter leur ancienne maison. Ils se réjouissaient de pouvoir retrouver leurs anciens professeurs et de raconter des histoires passionnantes de leurs aventures aux enfants qui y vivaient. Beaucoup d’orphelins, captivés par ces récits, rêvaient de suivre leurs traces, et Cliff ne faisait pas exception.

Bien sûr, il ne croyait pas que son rêve se réaliserait un jour. Malgré ce que son cœur voulait, il comprenait clairement les circonstances actuelles. Un enfant adopté dans un orphelinat ne pouvait pas espérer choisir son propre destin.

Il pouvait l’accepter… du moins au début. Mais la routine ennuyeuse de sa vie quotidienne s’était abattue sur Cliff, et les louanges constantes qu’il recevait lui gonflaient la tête. C’était ainsi qu’un jour, il avait eu l’idée de s’enfuir de chez lui pour s’inscrire comme aventurier.

Il voulait simplement juste mettre ses compétences à l’épreuve. Même certains de ses instructeurs de magie s’étaient fait un nom en tant que jeunes aventuriers. Il devrait sûrement acquérir une expérience similaire dans sa jeunesse… du moins, c’est ce qu’il pensait. Avec le bâton que son père adoptif lui avait offert pour son dixième anniversaire entre les mains, Cliff se rendit du District Divin au District des Aventuriers, où il s’acheta une robe de magicien bleue.

Maintenant qu’il avait l’habit de l’emploi, il se dirigea vers la Guilde. Craignant que l’église ne le retrouve rapidement s’il s’inscrivait comme guérisseur, il avait décidé de mentionner sa profession de « magicien » à la place. Pour une raison quelconque, il pensait que cela ferait une différence.

Très vite, l’enregistrement de Cliff fut complet. Il était désormais officiellement un aventurier. Un tout nouveau monde de danger, d’excitation et de gloire s’était ouvert devant lui.

Son cœur palpitant de joie, Cliff regarda autour de lui. Presque tous ceux qu’il voyait étaient des hommes musclés. Il était clair que la plupart d’entre eux étaient des épéistes ou des guerriers de métier.

Cliff avait appris des aventuriers qui avaient visité l’orphelinat que les lanceurs de sorts talentueux étaient très demandés. Il supposait qu’en se présentant simplement comme magicien, il trouverait rapidement une place dans le groupe de quelqu’un. Il n’avait pas prêté attention aux explications de la réceptionniste sur le système de classement de la guilde. Il pensait qu’il pouvait rentrer directement dans n’importe quel groupe, quel que soit son rang.

« Ça ne va pas le faire, gamin. »

Inévitablement, il avait été rejeté. Tous ceux qu’il avait approchés l’avaient brusquement repoussé. Lorsque cela s’était produit pour la quatrième fois de suite, la patience du garçon avait fini par s’épuiser.

« Pourquoi !? Pourquoi ne me laissez-vous pas entrer dans votre groupe !? »

« Je te l’ai déjà dit. Nos rangs sont différents. »

« Qu’est-ce que ça peut faire !? Je suis aussi puissant que n’importe quel magicien de classe A ! Vous devriez être reconnaissants que je sois même prêt à travailler avec des gens comme vous ! »

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? J’en ai assez de tes conneries, sale gosse ! Tu veux vraiment te battre avec moi en duel !? »

« Tout ce que vous savez, bandes d’incultes, c’est comment brandir une épée. Je ne serais pas trop arrogant si j’étais vous ! »

« Espèce de petite merde… »

L’aventurier costaud devant Cliff s’était avancé et l’avait saisi par le devant de sa chemise. Il ne s’attendait pas à ce que les choses se passaient ainsi, mais s’il parvenait à battre cet homme, cela servirait à démontrer sa force.

« Arrête ça. Tu es puéril. »

Mais avant qu’il n’ait eu la chance d’essayer, une jeune fille rousse de son âge était intervenue.

♥♥♥ ♥♥♥ ♥♥♥

Faisons un petit retour en arrière.

Ce matin même, Éris Boreas Greyrat s’était séparée de Rudeus et Ruijerd pour rendre visite à la Guilde des aventuriers de Millishion. Alors qu’elle se dépêchait de descendre la rue principale menant au bâtiment, le sourire sur son visage était si grand que quiconque l’aurait vu aurait probablement souri aussi. Elle portait sa tenue d’aventurière habituelle : une chemise épaisse, un protège-poitrine en cuir, un pantalon en cuir et des bottes à semelles fines, mais résistantes. Avec son arme à la hanche, il était évident au premier coup d’œil qu’elle était épéiste de profession.

Aujourd’hui, elle avait choisi de ne pas porter sa cagoule habituelle. L’année dernière, elle avait appris que la porter dans une guilde était un bon moyen de se faire passer pour un magicien… ce qui avait tendance à encourager des hommes étranges à l’approcher.

En peu de temps, Éris avait atteint sa destination. La guilde des aventuriers de Millishion se tenait au bout d’une rue principale. C’était le siège de toute l’organisation, et le plus grand bâtiment du quartier des aventuriers.

Son imposante porte d’entrée n’était pas suffisante pour intimider Éris. Elle s’avança à l’intérieur. Mais la taille même du hall d’entrée du bâtiment l’avait presque obligée à s’arrêter et à croiser les bras. Non seulement la pièce était plus grande que tout ce qu’elle avait vu dans les autres bâtiments de la Guilde, mais elle était aussi plus grande que la salle de banquet de la maison de sa famille à Roa. Tout jeune homme ou femme qui y mettait les pieds pour s’inscrire à la Guilde aurait probablement hésité devant ce spectacle impressionnant.

Mais bien sûr, Éris n’était pas une nouvelle venue timide. C’était une aventurière de premier plan, une vétérante de longue date. Il lui avait suffi d’une seconde pour se rendre au tableau d’affichage.

Ce tableau était bien plus grand que tous ceux qu’elle avait déjà vus, mais il débordait néanmoins de feuilles de papier. Pliant les bras, Éris commença à regarder par-dessus.

Aujourd’hui, au lieu de se diriger vers les tâches de rang B, qui était le travail quotidien de la Dead End, elle étudiait la section du tableau de rang E, à la recherche de tâches classées comme des quêtes ouvertes. Il s’agissait de missions spéciales, affichées périodiquement par le pays dans lequel la guilde était située. Leurs récompenses se trouvaient en bas de l’affiche, mais comme elles étaient de haute priorité, tout aventurier pouvait les accepter, quel que soit son rang.

Évidemment, il n’y en avait pas eu sur le Continent Démon. Il n’y avait pas de « pays » à y trouver.

Parmi la poignée de Quêtes ouvertes, les yeux d’Éris s’étaient fixés sur une quête en particulier.

Mission spéciale

Mission : exterminer les gobelins

Localisation :

à l’est de Millishion

Durée de la mission :

Aucune

Date Limite :

Pas de date limite

Commanditaire :

Les Saints Chevaliers de Millis

Récompenses : 

10 pièces de cuivre Millis par oreille

Notes :

Les nouveaux aventuriers doivent se méfier des Hobgoblins, que l’on trouve parfois parmi des groupes de Gobelins. Ne retirez pas cette demande du tableau, apportez simplement les oreilles que vous recueillez directement au comptoir d’accueil.

Les gobelins étaient une espèce de monstre qui vivait principalement à la limite entre les forêts et les plaines ouvertes. Ils avaient une forme humanoïde et utilisaient des armes rudimentaires, mais ne pouvaient pas comprendre le langage humain. En petit nombre, ils étaient pour la plupart inoffensifs, mais si on les laissait seuls trop longtemps, ils se reproduisaient rapidement et commençaient à attaquer les villages voisins. Ils étaient considérés comme un parasite assez dangereux. Cependant, comme ils résidaient à la périphérie des zones boisées, ils servaient également de tampon naturel contre les monstres plus dangereux qui se reproduisaient à l’intérieur des forêts.

C’était des créatures faibles qui pouvaient être tuées sans trop de difficultés par n’importe quel jeune homme ou femme qui savait se servir d’une épée. La guilde des aventuriers en profitait pour proposer des tâches régulières d’extermination des gobelins avec des récompenses légèrement généreuses, comme une sorte d’introduction aux quêtes de combat.

De plus, bien qu’Éris n’en soit pas consciente, les créatures étaient parfois utilisées comme outil de torture contre des espions étrangers capturés. Pour toutes ces raisons, le Saint Pays de Millis ne fit aucun effort pour exterminer les gobelins à l’intérieur de ses frontières, préférant maintenir leur population à un niveau stable.

Éris était une aventurière de Rang A dont les compétences avaient été reconnues par Ruijerd Superdia, et qui était parfaitement capable de battre un guerrier moyen de rang C rien qu’avec ses poings nus. Vous vous demandez peut-être pourquoi elle s’embêterait avec un travail aussi basique à ce stade.

Il y avait deux raisons.

Premièrement : c’était quelque chose qu’elle rêvait de faire depuis très longtemps.

Pendant la brève période de sa vie où elle était à l’école, Éris avait souvent écouté un groupe de garçons dans sa classe. Ils parlaient constamment de ce qu’ils feraient une fois qu’ils seraient devenus des aventuriers. Leur plan était de commencer par chasser les gobelins. Après avoir économisé un peu d’argent et s’être renforcés, ils finiraient par se rendre dans les régions du sud du continent central, où ils pourraient occuper des emplois de haut niveau et plonger dans des donjons.

***

Partie 2

En écoutant leur bavardage excité, Éris commença à se livrer à ces mêmes fantasmes.

Un jour, elle s’était approchée du petit groupe et exigea qu’ils la laissent se joindre à la conversation, ce qui avait conduit à une bagarre dans laquelle elle les avait brutalement battus tous les trois. Elle avait été renvoyée de son école, mais elle avait vite rencontré Ghislaine, dont les histoires n’avaient fait qu’intensifier son désir de vivre une vie d’aventure.

Après avoir rencontré Rudeus, elle rêvait constamment de devenir une aventurière avec lui. Dans son imagination, ils formeraient un groupe de deux : Éris, l’épéiste, et Rudeus, le mage. Ensemble, ils allaient défier des donjons inconnus à la recherche d’un trésor.

Mais lorsqu’elle s’était retrouvée coincée avec lui sur le Continent Démon, les choses s’étaient déroulées à l’opposé de ces fantasmes. En particulier, Rudeus s’était avéré très pragmatique dans cette affaire. Il avait tenu le groupe éloigné des donjons et de leurs dangers inconnus. Si Éris leur avait proposé d’aller tuer des gobelins, il aurait probablement froncé les sourcils et dit : « Pourquoi nous donnerions-nous la peine de faire ça ? »

Bien entendue, Éris n’était plus une débutante. Elle s’était frayé un chemin à travers les dangers du Continent Démon, et elle savait qu’il n’y avait pas vraiment d’intérêt à prendre ce travail maintenant. Mais même si c’était inutile, tuer des gobelins avait toujours été en tête de sa liste des « choses que je veux faire une fois que je serai une aventurière. » Elle voulait à minima vivre cette expérience.

C’était sa première raison. La deuxième… était un secret.

« Je me demande si je peux revenir avant le coucher du soleil… »

En étudiant la tâche qu’elle avait repérée sur le tableau, Éris essaya de comprendre combien de temps prendrait le voyage aller-retour. Elle devrait cette fois-ci faire le voyage à pied. C’était encore le matin, mais il était préférable d’avoir une marge d’erreur confortable.

« … Hm ? »

Mais en y réfléchissant bien, elle remarqua une note affichée toute au bord du tableau, au-delà des tâches de rang F.

Mission spéciale

Mission : Citoyens déplacés de la région de Fittoa

Localisation :

Veuillez contacter l’adresse suivante…

Après avoir lu la première ligne, Éris détourna le regard. Elle avait également vu cette même note dans la guilde des aventuriers de Port Zant.

Rudeus n’avait jamais parlé de la région de Fittoa. Éris supposait donc que c’était juste parce qu’il ne voulait pas la rendre anxieuse. Elle soupçonnait que la raison pour laquelle il avait proposé ce « jour de congé » était pour pouvoir prendre des mesures sur ce front.

Éris essaya de ne pas trop réfléchir à des problèmes compliqués. Elle s’était convaincue qu’elle n’était pas assez intelligente pour le comprendre et elle avait demandé à Rudeus de réfléchir à sa place. Une fois le moment venu, elle était sûre qu’il lui expliquerait son plan de manière à ce qu’elle puisse le suivre. Elle n’aurait jamais imaginé que Rudeus n’était même pas au courant de l’existence de ces avis.

« Très bien ! »

Après avoir fait ce pour quoi elle était venue, Éris s’était éloignée du tableau avec beaucoup d’enthousiasme et s’était dirigée vers la sortie. Il ne restait plus qu’à se diriger vers l’est et à tuer quelques gobelins. Vu l’enthousiasme qu’elle ressentait en ce moment, elle allait probablement anéantir un ou deux nids avant d’avoir terminé. Il n’y avait rien ni personne qui pouvait l’arrêter. Un moment de silence pour nos petits amis verts, s’il vous plaît…

« Pourquoi !? »

Il semblerait que nous ayons pris nous-mêmes un peu d’avance. Au moment où elle s’apprêtait à quitter le bâtiment, Éris s’était arrêtée sur ses pas après avoir entendu ce cri.

En se retournant, elle vit un jeune garçon entouré d’un groupe d’hommes faisant près de deux fois sa taille.

« Pourquoi ne me laissez-vous pas entrer dans votre groupe !? »

Le garçon qui avait crié semblait être un magicien, vu sa robe bleue. Il était un peu plus petit que Rudeus, ses cheveux brun foncé étaient longs à l’avant, cachant ainsi ses yeux. Le bâton qu’il portait n’était pas aussi impressionnant que l’Aqua Heartia de Rudeus, mais on pouvait voir à la taille de son cristal magique qu’il était fait de matériaux de qualité. Sa famille était probablement aisée, mais pas aussi riche que celle d’Éris.

« Je suis aussi puissant que n’importe quel magicien de rang A ! Vous devriez être reconnaissants que je sois même prêt à travailler avec des gens comme vous ! »

Son attitude arrogante n’était pas très bien accueillie par les hommes qui l’entouraient. Ce n’était pas vraiment surprenant. Éris l’aurait frappé au visage sans un mot s’il lui avait dit quelque chose comme ça.

« C’est quoi ce bordel ? J’en ai assez de tes conneries, sale gosse ! Tu veux vraiment te battre avec moi en duel !? »

« Tout ce que vous savez, bande d’inculte, c’est comment brandir une épée. Je ne serais pas trop arrogant si j’étais vous ! »

« Espèce de petite merde… »

Un des aventuriers attrapa le garçon par sa chemise. Son visage était resté calme, mais Éris avait pu voir que ses jambes tremblaient légèrement.

Elle se dirigea vers le petit groupe et intervint pour intervenir.

« Arrête ça. C’est puéril. »

Si Rudeus avait été là, sa mâchoire aurait probablement touché le sol à ce moment-là. Ce n’était pas le genre de phrase qu’on s’attendrait à entendre de la part d’Éris.

Honnêtement, Éris avait trouvé toute cette affaire plutôt excitante. En tant qu’aventurière de rang A, elle était au-dessus de tous ces gens. Elle était la vétérante calme, intervenant pour protéger le nouveau venu contre une bande de brutes ! Très cool, se serait-elle dit à elle-même.

Bien sûr, Ruijerd devait souvent intervenir de cette manière pour l’empêcher de frapper un idiot malchanceux au visage, mais ce fait gênant lui avait complètement échappé.

« … Tch. Oui, je suppose que tu as raison. Je n’agissais pas de façon très mature. »

À sa grande surprise, l’homme recula immédiatement. Elle s’attendait à ce que cela se transforme en bagarre, alors cela lui a semblé un peu désagréable.

« Allez, les gars. Allons-y. »

Les hommes partirent, laissant le garçon magicien derrière eux. Éris attendait qu’il la remercie avec un petit sourire sur son visage. Dans son imagination, il se passait quelque chose comme ça :

Garçon : Merci de m’avoir aidé, mademoiselle. Qui êtes-vous ?

Éris : Oh, personne de spécial.

Garçon : Je vous en prie ! Dites-moi au moins votre nom !

Éris : Hmm. Très bien… dans ce cas tu peux m’appeler Ruijerd de la Dead End.

Rudeus aimait utiliser cette dernière ligne parfois. Elle avait l’intention de l’essayer.

« Qui t’a demandé de m’aider, hein !? »

L’expression de fierté d’Éris s’était figée sur place lorsque le garçon lui cria dessus.

« J’aurais pu maîtriser ces voyous avec ma magie ! Ne fourre pas ton vilain nez là où il ne doit pas être ! »

Dans un sens, le garçon avait eu de la chance. Après tout, il avait été assommé par son tout premier coup de poing, et les hommes de tout à l’heure étaient encore dans les parages. S’ils n’étaient pas revenus en courant pour l’arracher d’Éris, il se serait probablement réveillé en ayant perdu une partie plutôt délicate de son anatomie.

♥♥♥ ♥♥♥ ♥♥♥

De mauvaise humeur, Éris s’était rendue à la porte d’entrée de Millishion. D’habitude, elle mettait rapidement de côté les choses désagréables, mais cette fois, elle se sentait encore irritable. Il y avait évidemment une raison à cela.

« Attendez ! S’il vous plaît, attendez ! »

C’était parce que le garçon de la Guilde, ayant repris conscience, lui avait couru après.

« Je suis désolé pour ce que j’ai dit tout à l’heure. C’était juste que je l’ai dit sous le coup de la colère… »

Une fois qu’il l’avait rattrapée, il s’était immédiatement excusé et baissa la tête poliment. De ce fait, l’humeur d’Éris était restée dans la seule fourchette « un peu » mauvaise. Le garçon avait pour l’instant échappé de justesse à un sort horrible.

Bien sûr, s’il était resté conscient après ce premier coup de poing rageur, il n’aurait pas été assez fou pour la poursuivre de cette façon.

« Mon nom est Cliff. Cliff Grimor! »

« … Je suis Éris. »

Éris avait brièvement envisagé d’utiliser le nom de « Dead End » mais avait décidé de s’y opposer. Elle n’allait pas mentionner le nom de Ruijerd à quelqu’un qu’elle avait frappé.

« Éris ! C’est un nom merveilleux ! D’après votre tenue, je suppose que vous êtes une épéiste, oui ? Voulez-vous faire un groupe avec moi ? »

Cliff s’était planté en plein milieu de la route pour lui parler. Éris avait été cruellement tentée de lui donner un nouveau coup de poing au visage, mais elle avait réussi à se contrôler.

« Non merci. »

Elle tourna son visage de côté avec dédain et s’était remise à marcher.

Pour être honnête, elle n’était pas spécialement habituée à ce genre de choses. Rudeus était en fait la seule autre personne qui revenait en redemander après sa première raclée.

« Oh. D’accord. Dans ce cas, laissez-moi au moins vous soutenir par l’arrière ! Vous savez, tout le monde dit que je suis un sage en herbe. Je serai certainement utile ! »

Si Rudeus avait été là pour assister à cette demande désespérée, il aurait probablement fait un commentaire du genre : « Plutôt un prêtre en herbe, petit vierge effrayant », du moins pour lui-même.

Éris n’avait rien dit d’aussi grossier. Elle s’était cependant demandé, sans plus, à quel point le garçon pourrait être « utile » si elle le transformait en compost.

« Je suis sûr que vous n’avez jamais vue un lanceur de sorts aussi étonnant que moi, Éris. Je suis même meilleur que la moyenne des magiciens lambda de rang A ! », dit Cliff avec un sourire confiant.

Cette remarque avait un peu contrarié Éris. Pour elle, le magicien le plus étonnant du monde était clairement Rudeus Greyrat. Même Ruijerd avait reconnu ses compétences. Même s’il était un aventurier de premier plan, il n’avait rien de « moyen ».

« Vous devez vraiment voir au moins ce que je peux faire ! »

Très bien, Éris s’était retrouvée à réfléchir. Voyons si ce ne sont que des paroles en l’air.

« Très bien. Suis-moi. »

« Bien sûr ! »

C’était ainsi qu’Éris et le jeune magicien Cliff avaient entrepris de tuer quelques monstres.

♥♥♥ ♥♥♥ ♥♥♥

En un instant, une grande vague de flammes consuma sept gobelins d’un coup.

« Qu’est-ce que vous en dites ? Plutôt incroyable, non ? Votre magicien moyen ne pourrait jamais réussir ça ! », dit Cliff, en regardant les cadavres des monstres avec un regard de grande satisfaction sur son visage.

Éris avait également examiné les restes. Toutes les créatures avaient été réduites en cendres, ce qui signifiait qu’il n’y avait plus d’oreilles à ramasser.

« Tu crois ? Je ne peux pas dire que je suis impressionnée. »

C’était ce qu’elle pensait réellement. Elle n’aurait pas en fait pu être beaucoup moins impressionnée. Cliff avait utilisé un sort de feu avancé appelé « Flamme de l’Exode ». Éris avait vu également Rudeus faire exactement le même sort. Mais contrairement à Cliff, il n’avait pas fait de longues incantations, et ses flammes avaient également été plus puissantes. Bien sûr, Rudeus n’aurait pas utilisé un tel sort sur cette meute de gobelins. Il les aurait tués sans endommager leurs oreilles.

De plus, Éris avait gardé les monstres occupés jusqu’à ce que Cliff termine son incantation, lui donnant ainsi une chance de montrer ce dont il était capable, mais comme il ne l’avait pas avertie lorsqu’il avait terminé, elle avait presque été prise dans le rayon de son sort. Rudeus n’aurait jamais fait une gaffe aussi dangereuse.

« Ah, il semble que tu ne connaisses pas grand-chose à la magie, Éris. Tu vois, il y a beaucoup de sortes de sorts différents, et… »

***

Partie 3

Cliff lui avait ensuite donné une longue conférence sur les différents niveaux de sorts, expliquant que la magie qu’il venait d’utiliser était un sort de niveau avancé, si complexe que même la plupart des adultes étaient incapables de le lancer.

Bien sûr, Éris savait déjà tout cela. Elle l’avait appris au cours de ses leçons avec Rudeus. Et comparées aux explications décousues de Cliff, les cours de Rudeus avaient été dix fois plus faciles à comprendre.

« Et alors ? Maintenant, tu comprends à quel point je suis étonnant ? »

Éris voulait absolument frapper ce petit con au visage. Il mettait vraiment un bémol à sa journée tant attendue de chasse aux gobelins. Les bras encore pliés, elle avait froidement rendu son verdict.

« Bon, j’en ai assez vu. Tu ne vas pas m’aider beaucoup, alors tu peux partir maintenant. »

Si Rudeus avait été à la place de Cliff à ce moment, il aurait probablement choisi de battre en retraite. Mais Cliff n’avait pas conscience de l’hostilité dans les yeux d’Éris.

« Tu es sérieuse !? Je ne peux pas te laisser seule ici ! Tu luttais pour tuer une poignée de gobelins ! »

Dès que les mots quittèrent sa bouche, Éris l’avait frappé. Durement.

Cliff recula en titubant et posa une main sur son visage. Du sang jaillissait de son nez. Il s’était rapidement jeté un sort de base de guérison pour arrêter le flux.

« Hé, pourquoi as-tu fait cela !? »

Éris s’était mise à claquer la langue en signe d’irritation. Cette fois-ci, elle y avait été mollo avec lui, car le laisser inconscient au milieu d’une zone externe n’était pas vraiment une option. Apparemment, il avait besoin d’une plus sévère correction avant d’apprendre sa leçon.

Mais au moment où elle serrait le poing pour une nouvelle attaque, Cliff semblait enfin comprendre la situation.

« Attends, non ! J’ai compris ! Tu es manifestement très forte, Éris. Et si on allait dans la forêt un moment, alors ? Je ne peux pas vraiment démontrer ma vraie valeur en tant que mage contre une bande de gobelins. »

Il n’y avait pas de motifs sinistres derrière cette proposition. Cliff voulait juste frimer devant Éris. Ce n’était pas comme s’il avait le béguin pour elle, ni même qu’il voulait l’impressionner, il était simplement désireux de se délecter de son propre pouvoir.

« Les forêts sont dangereuses », déclara sèchement Éris. C’était ce que Rudeus disait toujours, et Ruijerd était d’accord avec lui. Elle avait une confiance totale dans leur jugement.

« Tu n’as sûrement pas peur, Éris ? »

« Bien sûr que non ! »

Mais bien sûr, Éris était une fille simple. Quand vous contestiez sa fierté, elle mordait à l’hameçon chaque fois. Après tout, aucun membre de la famille Boreas qui se respecte ne laisserait un aventurier novice leur parler comme ça.

« La forêt, c’est ça ? Très bien ! Allons-y ! »

C’était ainsi qu’ils firent un détour par un bois sombre et lugubre situé à proximité.

« Je suppose que même les bois ne sont pas trop mal à Millis, hein ? »

Éris avait abattu une créature ressemblant à un singe appelée Utan pendant qu’elle parlait. C’était un monstre de Rang D, considérablement plus dangereux qu’un gobelin, mais il ne représentait pas une réelle menace pour elle.

« Je suppose que non. Ces choses ne sont pas à mon niveau ! »

Cliff, pour sa part, tuait les Utans avec des sorts de vent de niveau intermédiaire tout en poussant de plus en plus loin dans les bois.

« Oh… »

Soudainement, Éris arrêta d’avancer.

« Qu’est-ce qu’il y a, Éris ? », dit Cliff, en se retournant et en s’approchant d’elle avec un grand sourire sur le visage.

En faisant une grimace, Éris plia les bras, écarta ses pieds à la largeur des épaules et leva le menton en l’air.

« Réponds-moi. As-tu suivi notre itinéraire pour sortir d’ici ? »

« Non, pas vraiment. »

Cliff n’avait même pas pensé à faire attention à cela. Tout ce voyage avait été fait sur un simple coup de tête, il n’avait donc pas fait de planification ou de préparation au préalable.

« Je vois. Cela veut donc dire que nous sommes perdus » dit Éris.

Cliff se tut. Au bout d’un moment, son visage devint très pâle.

« Euh… que devrions-nous faire ? »

Comme Éris semblait imperturbable, Cliff supposa qu’elle devait avoir une sorte de plan. Mais ce ne fut pas le cas.

Ce n’était pas bon du tout. Que diraient Rudeus et Ruijerd s’ils découvraient qu’elle s’était perdue dans les bois ? Comment pourrait-elle expliquer comment elle s’est retrouvée là-bas, alors qu’elle était censée chasser des gobelins ?

Bien sûr, Éris n’avait pas laissé transparaître son anxiété. En tant que femme de la famille Greyrat, on attendait d’elle qu’elle reste calme et posée en tout temps.

« Cliff, élève-toi dans le ciel et vois dans quelle direction est la ville. »

« Tu plaisantes ? C’est absurde. »

« Rudeus peut très bien le faire. »

« Rudeus ? Qui diable est Rudeus ? »

« C’est mon tuteur. »

« Quoi !? »

Éris laissa échapper un petit soupir. Il était inutile de se lancer dans une dispute pour l’instant. Que devrait-elle faire dans une telle situation ? Ghislaine ne lui avait-elle pas appris ce qu’elle devait faire si elle se perdait ?

Si. Tu devais ramasser des branches et allumer un feu, non ? La fumée serait visible de loin. Mais qui verrait le signal ? Ruijerd et Rudeus avaient tous deux d’autres affaires à régler aujourd’hui. Ils n’étaient pas à sa recherche.

Éris plia les bras et commença à froncer les sourcils. Elle ferma les yeux et essaya de réfléchir. Ghislaine disait toujours qu’il était essentiel de rester calme, surtout quand on se sentait anxieux. Éris ne se laissait donc jamais affoler.

« Qu’est-ce qu’on fait, Éris ? »

« Il y a probablement plusieurs autres aventuriers dans cette forêt, non ? »

« Oh, bien sûr ! On peut juste demander de l’aide… Essayons d’en trouver ! »

Cliff commença immédiatement à courir, mais Éris ne bougea pas. Ruijerd lui avait dit qu’il valait mieux ne pas bouger dans ce genre de situation. Il lui avait appris à rester immobile et à aiguiser consciemment ses sens. Éris n’avait pas son troisième œil, mais elle avait des oreilles et un nez. Et elle pouvait sentir le flux d’énergie magique dans la région. Elle était encore inexpérimentée à bien des égards, mais elle s’entraînait tous les jours.

« Euh, Éris…  ? »

« Tais-toi ! »

Les yeux encore fermés, Éris prit une grande respiration et se vida l’esprit. Elle écouta la forêt. Elle pouvait entendre le bruissement des branches, les monstres en mouvement, le bourdonnement des insectes volants… et quelque part au loin, les faibles bruits du combat.

« Très bien. Suis-moi. »

Sans un instant d’hésitation, Éris se remit à marcher.

« Qu’est-ce qui se passe ? As-tu remarqué quelque chose !? » dit Cliff, se dépêchant de la suivre.

« Très bien, il y a d’autres personnes ici. Ils sont par là. »

« Comment peux-tu le savoir !? »

« J’ai aiguisé mes sens pendant un certain temps. »

« Ton professeur t’a-t-il aussi montré comment faire cela !? »

Éris avait dû y réfléchir pendant une seconde. Ruijerd était-il son professeur ? Probablement. Il lui avait appris beaucoup de choses, sinon autant que Ghislaine. Elle pourrait même l’appeler son maître actuel.

« Oui, c’est ça. »

« Ce Rudeus doit vraiment être quelque chose… »

« Hm…  ? Oui, Rudeus est incroyable. »

Un peu confuse quant à la raison du changement de sujet si soudain, Éris s’était lancée dans l’aventure.

Au moment où ils atteignirent la lisière de la forêt, ils aperçurent un chariot couché sur le côté au milieu des ornières que ses roues avaient faites.

« Baisse-toi ! »

« Ack! »

Éris avait saisi Cliff par la tête et le poussa au sol, puis elle se baissa et se mit à côté de lui pour observer la situation.

Six personnes étaient encore debout à ce moment-là. L’une d’entre elles était un chevalier entièrement en armure et casqué, debout, le dos tourné à un arbre et l’épée tirée. Les cinq autres étaient des hommes tout de noir vêtus, positionnés en demi-cercle autour de ce guerrier solitaire.

Trois cadavres gisaient dans l’herbe à proximité. Ils portaient tous la même armure que le chevalier encerclé. Lentement mais sûrement, les hommes en noir se rapprochaient de leur proie.

Cette bataille était déjà perdue. Mais pour une raison quelconque, le chevalier ne fit aucun mouvement pour s’enfuir. En regardant de plus près, Éris réalisa qu’il y avait une jeune fille recroquevillée au pied de l’arbre derrière le guerrier en armure, une fille dont le visage était terrorisé et en larmes.

« Cette armure… C’est un chevalier du temple, Éris ! » chuchota Cliff.

Le cœur d’Éris battait maintenant. Elle connaissait bien les Chevaliers du Temple. C’était l’un des trois ordres militaires sacrés de Millis. L’élite des Chevaliers de la Cathédrale était chargée des questions de défense nationale. Les Chevaliers missionnaires étaient envoyés à l’étranger comme des sortes de mercenaires, afin qu’ils puissent diffuser les enseignements de l’église de Millis et démontrer sa puissance. Et les très craints Chevaliers du Temple, avec leurs tristement célèbres inquisiteurs, étaient chargés d’éradiquer l’hérésie.

Les Chevaliers de la cathédrale portaient du blanc, les Chevaliers missionnaires de l’argent et les Chevaliers du temple du céruléen. Même à distance, l’armure du chevalier acculé était d’un bleu très clair. Il n’y avait pas de place pour le doute. C’était un groupe de Chevaliers du Temple qui avait été pris en embuscade ici.

« Imbéciles ! Ne savez-vous pas qui est cette dame ? ! »

Ce n’était que lorsque le chevalier acculé cria ces mots que Cliff et Éris réalisèrent que c’était une femme.

Les hommes vêtus de noir se regardèrent et s’esclaffèrent de rire.

« Bien sûr que oui. »

« Alors, pourquoi chercher à lui faire du mal !? »

« Cela ne devrait-il pas être évident ? »

« Vous êtes donc les laquais du pape !? Saletés de brutes ! »

Éris ne comprenait pas grand-chose à cette conversation. Mais une chose était très claire pour elle : ces hommes menaçants vêtus de noir allaient tuer cette petite fille terrifiée. Elle avait attrapé l’épée à la hanche.

« Attends, tu ne vas quand même pas ? » dit Cliff.

« On ne peut pas se mêler de ça ! Cette fille est la Sainte Enfant qui est supposée être un futur Pape potentiel, d’accord ? Cela signifie que ces hommes en noir sont les assassins personnels du Pape actuel ! Ils sont bien entraînés et impitoyables. Même moi, je n’aurais aucune chance contre eux ! »

Éris ne s’était même pas arrêtée pour se demander pourquoi Cliff en savait autant sur tout cela. Elle n’avait qu’une seule chose en tête en ce moment : à moins qu’elle n’intervienne, cette fille allait mourir sous ses yeux.

Éris était une membre de la Dead End à part entière. Si elle restait assise et regardait un enfant se faire tuer, elle ne pourrait plus jamais regarder Ruijerd dans les yeux. Et plus d’une fois, elle avait vu Rudeus se mettre en danger pour des raisons très similaires.

« Allons. Restons silencieux et espérons qu’ils ne nous remarquent pas… »

« Désolée, mais c’est inutile. Ils savent déjà que nous sommes ici. »

L’un des hommes vêtus de noir avait remarqué leur présence au moment où elle poussa Cliff au sol. Éris n’avait pas négligé sa légère réaction.

Elle ne savait pas exactement ce qu’ils allaient faire une fois leur mission accomplie, mais cela n’avait guère d’importance. Elle avait l’intention de prendre l’initiative ici et maintenant.

« Cache-toi ici, Cliff ! »

« Éris ! Non ! »

Tirant son épée, Éris fit un bond en avant vers les assassins.

Les hommes vêtus de noir s’étaient immédiatement dispersés, mais…

« Trop lent ! »

Éris avait agi beaucoup plus rapidement qu’ils ne l’avaient prévu. Son attaque principale était la technique de rang Avancé « Épée Silencieuse » du style du Dieu de l’Épée, un mouvement moins complexe que « l’épée de lumière », mais mortel en soi. Son épée siffla dans l’air sans le moindre bruit.

Au cours de sa formation avec Ghislaine et Ruijerd, ses compétences en matière de maniement de l’épée avaient été remarquablement affinées. Sa lame avait touché un des hommes à l’épaule, lui tranchant la cage thoracique en diagonale, le coupant en deux.

***

Partie 4

Bien que ce fût la première fois qu’Éris tuait quelqu’un, elle n’avait pas faibli, même pas un seul instant. Son attention s’était déjà portée sur sa prochaine cible. Les hommes vêtus de noir se déplaçaient rapidement pour l’encercler, mais Éris était un pas plus rapide que n’importe lequel d’entre eux. Ruijerd lui avait fait la leçon sur la bonne façon de se déplacer lorsqu’elle était entourée de plusieurs ennemis. De nombreux monstres chassaient en meute, votre but était de les éliminer rapidement avant qu’ils ne puissent vous encercler.

« Haaah ! »

En un clin d’œil, Éris avait abattu un autre des assassins.

Les trois hommes restants étaient visiblement perturbés. Les mouvements de cette fille étaient erratiques, et ses attaques venaient subitement d’angles inattendus. Il était pratiquement impossible de les esquiver tout en essayant de faire autre chose.

Pourtant, c’était des tueurs professionnels. Au moment où ils virent Éris tuer leur camarade, ils l’avaient encerclée avec succès. Deux des assassins sautèrent vers Éris presque simultanément, en échelonnant délibérément leurs attaques.

Ils étaient rapides, mais pas autant que Ruijerd. Ils n’étaient pas non plus aussi parfaitement coordonnés que les Pax Coyotes du Continent Démon.

Ces hommes n’étaient pas assez bons.

« Il y a du poison sur leurs poignards ! Faites attention ! »

Le chevalier qui avait défendu la petite fille se précipita pour frapper l’un des assassins par-derrière en lui lançant ces mots d’avertissement.

Éris anticipa avec précision la réaction des hommes vêtus de noir et trouva l’opportunité de se libérer de leur encerclement. Au moment même où elle réalisa qu’elle allait gagner ce combat, son épée transperça un troisième assassin.

« Merde ! Battons en retraite ! »

Les deux hommes restants firent volte-face et ils se mirent à courir. Mais Éris n’avait jamais été du genre à laisser un travail à moitié terminé. En un clin d’œil, elle en rattrapa un et le découpa sauvagement par-derrière, l’éviscérant. Ses entrailles s’étaient déversées sur le sol alors qu’il tombait.

 

 

Le dernier assassin n’avait pas regardé en arrière. Le temps qu’Éris se tourne vers lui, il avait déjà disparu au loin.

Avec un petit soupir de dédain, elle avait vigoureusement brandi son épée pour retirer le sang qui était sur sa lame. D’après les apparences, elle était plus calme que jamais. Mais son cœur battait encore rapidement dans sa poitrine. Elle venait de vivre sa première bataille de vie ou de mort contre d’autres êtres humains. Pour la toute première fois, elle avait tué quelqu’un.

De plus, ses adversaires avaient manié des poignards empoisonnés, et même une seule égratignure aurait pu lui être fatale. Et Rudeus et Ruijerd n’avaient pas non plus été là pour surveiller ses arrières. Elle s’était jetée dans la mêlée sans trop réfléchir, mais sans cette femme chevalier, elle aurait pu mourir.

Naturellement, Éris garda ces pensées pour elle. Rengainant son épée, elle se tourna vers le Chevalier du Temple en armure.

« Désolé. L’un d’eux s’est enfui. »

Ces mots avaient laissé le chevalier quelque peu abasourdi. La fille qui se tenait devant elle n’était même pas adulte, mais elle avait réussi à se frayer un chemin à travers un groupe de tueurs. Et elle semblait en plus totalement imperturbable.

Sans même enlever son casque, la femme posa son poing sur son ventre et s’inclina dans le style des Chevalier Saint de Millis.

« Mes remerciements les plus sincères pour votre aide. »

Éris s’était souvenue de la façon dont Ruijerd avait répondu à des mots comme ceux-ci, et avait décidé de suivre son exemple. Ne faisant pas de courbettes, elle dit : « Je suis heureuse que l’enfant soit indemne » et rien de plus.

« Je suis Thérèse Latria des Chevaliers du Temple. Je suppose que vous êtes une aventurière, mademoiselle ? Puis-je vous demander votre nom ? »

« Je suis Er — »

Éris commença à donner son vrai nom, mais elle s’arrêta net. Ce n’était pas juste. Que faisait toujours Rudeus dans ces situations ?

« Je suis Ruijerd de Dead End. Croyez-le ou non, je suis en fait un Superd. »

Sous son casque, le visage de Thérèse s’était tendu. Bien qu’Éris n’en soit pas consciente, les Chevaliers du Temple dans leur ensemble avaient plaidé pour l’expulsion de toute les espèces démoniaques du continent Millis.

Bien sûr, Éris n’avait pas tous les traits distinctifs d’une vraie Superd. Il n’avait fallu qu’un instant à Thérèse pour se détendre à nouveau. Cette fille lui avait donné un nom clairement faux et avait pris l’identité d’un démon que les Chevaliers du Temple verraient avec hostilité. Cela semblait indiquer qu’elle n’avait aucun intérêt à s’impliquer davantage avec eux ou dans cette affaire.

En d’autres termes, elle ne s’attendait à aucune récompense, bien qu’elle ait sauvé la vie d’un personnage important. Thérèse trouva cela agréablement surprenant.

« Je vois. Très bien… »

Pendant un moment, elle s’était arrêtée pour étudier Éris alors que la jeune fille la regardait avec les bras croisés. Une fois son visage mémorisé, elle siffla fortement.

Peu de temps après, un cheval sortit de la forêt en courant.

C’était l’animal qui tirait leur chariot auparavant. Il s’était enfui lorsque la voiture avait été renversée, mais il était revenu à l’appel de Thérèse, comme il avait été entraîné à le faire. Après avoir soulevé sa jeune charge sur son dos, Thérèse sauta derrière elle.

« Si jamais vous avez besoin d’aide, demandez Thérèse des Chevaliers du Temple ! »

Avec ces derniers mots, la dame chevalier se mit en route au galop. Éris la regarda partir sans un mot.

Dans l’ombre, un jeune homme, toujours incapable de se tenir debout, la regardait également. Et à ses yeux, le chevalier en fuite et l’intrépide épéiste rousse qui l’avait vu partir ne ressemblaient à rien de moins que des personnages de conte de fées.

Il y avait quelque temps, un prélat de l’église de Millis était tombé amoureux d’une femme de la race des Hobbits. La femme lui avait donné un fils, et avec le temps, ce garçon avait grandi et avait aussi pris une femme. Cliff était le premier et unique enfant de ce couple.

Au moment de la naissance de Cliff, différentes factions au sein de l’église étaient engagées dans une lutte de pouvoir vicieuse. Cette violence avait coûté la vie à ses deux parents. Afin de tenir Cliff à l’écart du conflit, son grand-père, le prélat, l’avait temporairement laissé à l’orphelinat de Millishion. Il triomphera alors de ses ennemis, s’emparera de la papauté et ramènera Cliff dans sa famille.

En d’autres termes, Cliff Grimor était le véritable petit-fils de l’actuel pape de Millis… bien que peu de gens, même au sein de l’Église, en avaient eu conscience.

De ce fait, Cliff savait parfaitement pourquoi cette voiture avait été attaquée. Cette enfant bénie, dont on disait qu’elle possédait des pouvoirs miraculeux, était l’outil le plus puissant de l’arsenal d’un certain archevêque. Et la faction de cet archevêque était actuellement en conflit actif avec le grand-père de Cliff.

En fait, Cliff avait déjà rencontré la fille. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait dans cette forêt, mais il connaissait les assassins en noir qui l’avaient attaquée. Ces hommes étaient parmi ses instructeurs. Il savait depuis un certain temps qu’ils faisaient ce genre de travail pour son grand-père. Il savait aussi à quel point ils étaient puissants. Il s’était battu contre eux à de nombreuses reprises, mais jamais il n’avait eu la chance de gagner. Et pourtant, ils n’avaient aucune chance contre Éris.

En réalité, le combat avait été très serré. Mais aux yeux de Cliff, cette fille avait totalement dominé un groupe d’hommes qu’il n’aurait jamais pu vaincre en un million d’années. Alors qu’ils retournaient sur leur pas, il se mit à regarder son visage fatigué avec une profonde et sincère admiration.

Cette fille allait bientôt devenir quelqu’un.

Avec cette pensée bien ancrée dans son esprit, Cliff fit une offre impulsive.

« Éris, veux-tu m’épouser !? »

« Quoi !? N’y pense pas! »

Elle l’avait instantanément rejeté. Et en faisant en plus une horrible grimace sur le visage.

Il semblait bizarre à Cliff que n’importe quelle fille refuse une demande en mariage de quelqu’un d’aussi talentueux que lui, alors il commença à chercher une explication. Il repensa à toutes leurs conversations. Au bout d’un moment, il se rappela qu’elle avait mentionné un certain « professeur » à plusieurs reprises. Comment s’appelait-il déjà ? Ru… Ru…

« Rudeus. »

Éris se tourna au son de ce nom.

« C’est le nom de ton professeur, non ? Comment est-il ? »

En quelques minutes, Cliff en était venu à se maudire pour avoir posé cette question. Il avait eu l’impression qu’Éris n’était pas très bavarde, mais ce n’était clairement pas le cas. Une fois qu’elle avait commencé à parler de ce Rudeus, elle bafouillait fièrement et indéfiniment. Elle continua ainsi des plaines en dehors de Millishion jusqu’à la Guilde des Aventuriers. Tout ce qu’elle disait était exclusivement des compliments, et l’expression de son visage rendait l’intensité de ses sentiments très évidente. C’était plus que suffisant pour rendre Cliff profondément jaloux.

« Je vais rentrer chez moi maintenant », interrompit-il finalement, conscient que son expression était probablement plutôt maussade.

Éris semblait prête à continuer à parler pendant encore une heure ou deux, mais elle se contentait maintenant d’agiter la main avec un mouvement vague et désintéressé.

« Oh, d’accord. Bye. »

Il était difficile de croire que c’était la même fille qui avait parlé avec tant de passion de son tuteur quelques secondes plus tôt.

Cliff la regarda partir en silence jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Qui était ce « Rudeus » qui avait totalement enchanté cette fille puissante, belle et sans défaut ?

Avec des visions d’un rival mystérieux flottant dans son esprit, le jeune mage retourna au siège de l’église de Millis, où il reçut un discours sévère de la part des personnes qui l’avaient cherché.

Soit dit en passant, la lutte pour le pouvoir au sein de l’Église s’était rapidement intensifiée à la suite de l’incident avec la Sainte Enfant. Le pape avait rapidement décidé qu’il était trop dangereux pour son petit-fils de rester à Millishion, Cliff avait donc été envoyé vivre dans un pays étranger. Mais bien sûr, tout cela n’avait rien à voir avec Éris.

Quant à Éris elle-même, elle avait pratiquement oublié tous ces événements dès qu’elle était revenue à l’auberge et vit Rudeus assis misérablement sur son lit. Mais là aussi, c’est une tout autre histoire.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire