Chapitre 1 : Le Saint Pays de Millis
Table des matières
***
Chapitre 1 : Le Saint Pays de Millis
Partie 1
Je m’appelle Rudeus Greyrat.
J’étais un adulte dans ma vie précédente, mais dans mon incarnation actuelle, j’étais un joli garçon de onze ans. La magie était mon domaine d’expertise. Je pouvais lancer des sorts personnalisés sans avoir besoin d’une incantation, un tour qui m’avait valu une certaine notoriété.
Il y avait environ un an et demi, une catastrophe magique de grande envergure m’avait téléporté dans un endroit amical connu sous le nom de Continent Démon. Malheureusement, le Continent Démon se trouvait à l’autre bout de la planète par rapport à ma patrie, la région de Fittoa du Royaume d’Asura. Pour y retourner, il fallait faire la moitié du tour du monde.
J’étais rapidement devenu un aventurier et j’avais commencé le long et difficile voyage de retour.
Dix-huit mois s’étaient écoulés depuis lors. Durant ce temps, j’avais traversé le Continent Démon… et maintenant, j’avais aussi traversé la Grande Forêt.
◇ ◇ ◇
Millishion est la capitale du saint pays de Millis. En s’y approchant par la route de la Sainte Épée, les voyageurs ont une vue spectaculaire de la ville dans son ensemble.
Tout d’abord, vos yeux seront attirés par le Gran Lake, un plan d’eau d’un bleu éclatant, alimenté par la rivière Nicolaus, qui descend des montagnes de la Wyrm Bleu. Au centre même du lac, le grand Palais blanc semble flotter au-dessus de ses eaux.
Plus loin sur les rives du Nicolaus, vous apercevrez deux autres points de repère caractéristiques : la cathédrale dorée et rayonnante de la ville et le siège en argent brillant de la guilde des aventuriers.
La ville qui entoure ces bâtiments remarquables est disposée aussi soigneusement que les carrés sur une feuille de papier quadrillé. Sur ses bords extérieurs, vous remarquerez sept tours imposantes, avec de vastes plaines vertes s’étendant au-delà.
C’est un endroit non seulement riche en majesté, mais aussi en parfaite harmonie avec la nature. Aucune autre ville au monde n’est presque aussi belle.
Extrait de « Errer dans le monde »
par l’aventurier Bloody Kant
C’était le genre de ville que l’on s’attendait à trouver dans un monde imaginaire. Je n’avais jamais vu une grande métropole avec autant de bleu et de vert auparavant, et les rues étaient disposées en une grille magnifiquement propre qui rappelait Sapporo ou le vieil Edo. Cette vue m’avait ému d’une manière que je n’avais jamais ressentie à Rikarisu. C’était magnifique.
« Oh wôw… »
La fille assise à côté de moi — qui avait actuellement la bouche et les yeux grands ouverts à cette vue — s’appelait Éris. Éris Boreas Greyrat, pour être précis. C’était la petite-fille de Sauros, seigneur de Fittoa. Pendant un certain temps, j’avais été son tuteur personnel.
Éris était de nature extrêmement féroce. Elle faisait généralement ce que je lui disais, mais c’était le genre de fille qui frapperait un Président au visage s’il l’énervait suffisamment. Mais la seule mention des voiliers suffisait à la faire craquer. Elle était sujette à un terrible mal de mer.
« Hmmm. »
Le type à la peau claire et au crâne rasé, qui regardait également la ville avec admiration, était notre compagnon démoniaque Ruijerd Superdia. On ne pouvait pas le dire pour le moment, mais sa couleur naturelle de cheveux était une nuance vive d’émeraude. C’était un trait qu’il avait en commun avec tous les autres membres de la tristement célèbre race des Superds. Pour la plupart des gens dans ce monde, les démons aux cheveux verts étaient synonymes de mort et de destruction. Mais si Ruijerd pouvait être dangereux et impulsif par moments, il était en fait un vieux monsieur gentil avec un faible pour les enfants, Éris et moi en particulier.
Je n’avais jamais pensé que ces deux-là étaient des gens particulièrement romantiques, mais apparemment ils pouvaient reconnaître une belle chose quand elle les frappait au visage.
« C’est vraiment magnifique, pas vrai ? »
Le dernier membre de notre petit groupe était un homme nommé Geese, qui ressemblait beaucoup à un singe. Geese était un aventurier de métier et un bon à rien dans l’âme, le genre de type qui s’était fait jeter en prison pour avoir triché au jeu. Il n’était pas membre de notre groupe, mais il avait demandé à nous accompagner à Millis, donc nous avions voyagé ensemble depuis la Grande Forêt.
Je lui aurais bien demandé pourquoi il se vantait de cet endroit comme s’il l’avait construit, mais c’était compréhensible maintenant que je pouvais la voir. J’aurais fait exactement la même chose à sa place.
« Oui, c’est certainement quelque chose. Mais ce lac est énorme… ça ne cause-t-il pas toutes sortes de maux de tête pendant la saison des pluies ? »
J’étais honnêtement juste à contre-courant. Je ne voulais pas qu’il devienne trop suffisant. Pourtant, je me posais vraiment des questions à ce sujet. Ce lac était au centre même de la ville, et dans la Grande Forêt juste au nord d’ici, il y avait trois mois de pluies torrentielles d’affilée chaque année. Cela devait sûrement avoir un impact sur la météo des environs également.
« Heh. J’ai entendu dire que c’était effectivement une vraie nuisance à l’époque. Mais maintenant, ils ont le contrôle total sur le temps, grâce à ces sept tours magiques. Sinon, ils n’auront jamais laissé construire un château au milieu d’un lac. As-tu remarqué qu’il n’y a aucune sorte de mur extérieur ? C’est parce que les tours la protègent avec une barrière magique. », répondit Geese.
« Sans blague. Donc, il faudrait d’abord abattre ces tours si vous vouliez capturer la ville, hein ? »
« Euh, ne plaisante pas avec ça. Les Saints Chevaliers te jetteraient en prison s’ils entendaient ça. »
« Entendu. Je ferai attention. »
Geese poursuivi en expliquant que tant que les sept tours étaient debout, la capitale était à l’abri des catastrophes naturelles et même des épidémies. Je ne pouvais pas imaginer comment cela fonctionnait, mais cela me semblait très pratique.
« Allez ! Allons-y ! »
Poussé par une Éris excitée, notre chariot recommença à rouler.
La ville de Millishion était divisée en quatre districts.
Au nord se trouvait le District résidentiel, où la plupart des blocs étaient bordés de maisons familiales. Il y avait quelques différences entre les zones où vivaient les gens ordinaires et celles où résidaient les familles de nobles et de chevaliers, mais pratiquement chaque bâtiment de ce district était des maisons ordinaires.
À l’est, vous aviez le quartier commercial, où se trouvaient la plupart des grandes entreprises de la ville. On y trouvait quelques magasins de détail, mais il s’agissait généralement de petites entreprises. Le quartier était surtout dominé par des entreprises plus importantes. C’était là que se trouvaient les forgerons et les salles de vente aux enchères de Millishion.
Au sud se trouvait le district des aventuriers, avec le siège de la guilde en son centre. Il était rempli d’auberges, de bars et de magasins destinés aux professionnels en quête de fortune. Il y avait aussi quelques salles de jeu et des bidonvilles où vivaient des aventuriers ratés, alors il fallait faire attention à soi. Pour une raison quelconque, le marché aux esclaves de la ville était situé ici plutôt que dans le quartier commercial.
À l’ouest se trouvait le District divin, où vivaient de nombreux membres de l’église de Millis. On y trouvait l’énorme cathédrale de la ville, ainsi qu’un cimetière spacieux. Les Saints Chevaliers de Millis y avaient également leur siège.
Alors que nous nous approchions des portes, Geese nous avait expliqué tout cela avec des détails surprenants.
Nous avions fini par tourner autour de la périphérie de Millishion avant d’entrer dans le quartier des aventuriers. Selon Geese, les étrangers qui entraient par un autre district étaient généralement considérés avec une certaine suspicion et soumis à des inspections plus longues. Cette ville avait d’après les rumeurs quelques bizarreries gênantes.
Au moment où nous avions franchi les portes, nous nous étions retrouvés dans le chaos.
Millishion était magnifique de loin, c’est sûr, mais elle ne semblait pas si différente des autres villes à l’intérieur. Il y avait des écuries et des auberges bon marché regroupées près de l’entrée de la ville. Un peu plus loin, des marchands qui tenaient des étals en plein air vendaient leurs marchandises à la foule en faisant du bruit. Je pouvais voir des armureries encore plus loin sur l’avenue centrale. Il y avait sans doute des auberges un peu plus belles dans les rues secondaires plus tranquilles. De plus, le brillant quartier général de la guilde argentée était assez grand pour être visible depuis les portes.
Tout d’abord, nous avions déposé notre chariot dans une écurie voisine. Il s’était avéré qu’ils étaient prêts à livrer nos bagages à l’auberge de notre choix sans frais supplémentaires. Cela n’avait jamais été une option dans aucune autre ville que nous avions visitée, mais dans une grande ville comme celle-ci, je suppose qu’il fallait se distinguer de la foule si l’on voulait survivre en tant qu’entreprise.
Une fois que nous avions quitté l’écurie, Geese s’était tourné vers nous et avait fait une annonce abrupte.
« Très bien alors, les amis ! Je sais où je vais ensuite, alors je suppose que c’est l’heure des adieux ! »
« Hein ? Tu pars déjà ? »
C’était un peu surprenant. Je m’attendais à ce qu’il nous accompagne au moins à l’auberge.
« Qu’est-ce qu’il y a, patron ? Je vais te manquer ? »
« Eh bien, oui. Bien sûr. »
Je savais que Geese était très taquin, mais j’avais répondu honnêtement. Nous ne nous connaissions pas depuis longtemps, mais ce n’était pas un mauvais garçon. Un compagnon de voyage avec qui on s’entendait bien était une chose précieuse lors de longs voyages comme celui-ci. Il avait rendu ma vie beaucoup moins stressante pendant un certain temps.
Sans compter qu’avec son départ, nos repas allaient être beaucoup moins savoureux à partir de maintenant. C’était vraiment nul.
« Ah, ne sois pas triste, patron. On va probablement se croiser en ville un de ces jours ? »
Avec un petit haussement d’épaules, Geese s’était penché et m’avait tapoté la tête. Mais alors qu’il se retournait pour partir, Éris lui bloquait le chemin.
« Écoute, Geese ! »
Elle avait pris sa position caractéristique, les bras pliés et le menton en l’air.
« Tu ferais mieux de m’apprendre à cuisiner la prochaine fois, compris ? »
« La réponse est toujours non, ma petite dame. Tu parles d’une persistance… »
En se grattant l’arrière de la tête, Geese passa devant Éris, puis jeta un coup d’œil vers Ruijerd.
« Hé, toi aussi prends soin de toi, chef ! »
« Bonne chance à toi aussi. Ne fais pas trop de bêtises, d’accord ? »
« Oui, entendu. »
Avec un petit salut, Geese était finalement parti dans la foule. C’était un adieu décontracté. Vous n’auriez jamais pu savoir que nous avions passé deux mois entiers sur la route ensemble.
« Oh, c’est vrai. Une dernière chose, patron ! »
Juste avant qu’il ne disparaisse, le visage familier du singe s’était retourné vers moi pendant un moment.
« N’oublie pas de t’arrêter bientôt à la Guilde des Aventuriers, d’accord ? »
« … Hm ? Euh, bien sûr ! »
Nous irions éventuellement à la guilde, car nous aurions besoin de gagner un peu d’argent. Mais pourquoi en parlait-il maintenant ?
Je n’avais pas eu l’occasion de poser de questions complémentaires. Dès qu’il entendit ma réponse, Geese avait disparu dans la foule.
***
Partie 2
Notre priorité immédiate pour le moment était de trouver une auberge. C’était toujours notre priorité lorsque nous arrivions dans une nouvelle ville.
La plupart des auberges de Millishion semblaient être situées à une certaine distance des avenues principales, nous avions donc fini par errer dans les rues secondaires pendant un certain temps jusqu’à ce que nous en ayons trouvé un petit groupe. Après un rapide coup d’œil, je m’étais installé dans un endroit appelé Auberge du Lever du Jour. L’endroit n’était pas trop proche des rues principales de la ville, mais il était à bonne distance des bidonvilles. La zone semblait assez sûre. Il offrait toutes les commodités que je recherchais, et semblait avoir un prix permettant d’attirer les aventuriers de rang C ou B. Le principal inconvénient était qu’il ne semblait pas y avoir beaucoup de luminosité, mais je pouvais vivre avec cela.
Une fois que nous avions notre chambre, l’étape suivante consistait à déballer nos affaires et à nous organiser, après quoi nous allions visiter les lieux les plus importants de la ville, en particulier la guilde locale. Si nous avions le temps, nous ferions aussi un peu de tourisme, puis nous retournerions à notre auberge pour une réunion d’équipe. C’était notre routine habituelle à ce moment-là, en tout cas.
« On n’aurait pas pu s’installer dans un endroit moins cher ? », demande Éris, en regardant l’auberge d’un air interrogateur.
Je devais admettre qu’elle avait raison, surtout que je la sermonnais toujours, elle et Ruijerd, sur la nécessité de faire attention à notre argent. Mais pour l’instant, nous avions une certaine marge de manœuvre financière. Nous avions été bien payés pour les trois mois que nous avions passés à monter la garde à Doldia, et le chef guerrier bestial, Gyes, nous avait aussi donné une belle somme d’argent. Ces fonds s’élevaient à un peu plus de sept pièces d’or Millis. Nous devions éventuellement gagner plus d’argent ici, mais à court terme, nous pouvions nous permettre une vie un peu plus luxueuse.
« Ça ne peut pas faire de mal de se revaloriser de temps en temps, non ? »
Parfois, il était agréable de dormir dans un lit beaucoup plus moelleux.
Un rapide coup d’œil sur Éris me fit penser qu’elle n’était pas entièrement convaincue. J’avais quand même ouvert la porte de notre chambre.
C’était un petit espace propre et bien rangé. J’avais apprécié le fait qu’ils nous aient déjà fourni une table et des chaises dans le coin le plus éloigné. La porte avait une serrure fonctionnelle, et les fenêtres étaient munies de volets. Ce n’était pas tout à fait comparable aux hôtels d’affaires au Japon, mais selon les normes de ce monde, elle faisait certainement partie des auberges les plus agréables.
Maintenant que nous avions atteint notre chambre, nous avions quelques petites choses à régler.
Tout d’abord, notre équipement avait besoin d’un entretien régulier. Ensuite, nous devions faire l’inventaire de nos biens consommables et noter tout ce qui nous manquait. Ensuite, il fallait faire les lits, laver les draps, et faire un peu de balayage et de nettoyage général. Tout cela était devenu une routine pour nous trois, nous nous étions donc mis au travail sans échanger de mots.
Quand nous avions terminé, le soleil se couchait déjà et il faisait nuit dehors. C’était logique, puisque nous n’avions atteint Millishion qu’en début d’après-midi. Nous n’allions donc pas avoir le temps de passer à la Guilde aujourd’hui… non pas que cela ait trop d’importance.
Après un dîner rapide au bar à côté de l’auberge, nous étions tous les trois remontés dans notre chambre. Une fois que nous nous étions installés en cercle sur le sol, je m’étais éclairci la gorge et j’avais commencé les discussions.
« Très bien, je déclare ouverte cette réunion de l’équipe de Dead End. C’est notre première réunion depuis que nous avons atteint la capitale de Millis ! Faisons en sorte que ce soit une réunion mémorable ! »
J’avais dû dire « Applaudissements, s’il vous plaît » et taper dans les mains plusieurs fois avant qu’Éris et Ruijerd ne suivent avec hésitation. Honnêtement. Ces deux-là n’avaient jamais manqué de me décevoir.
« Bon… Nous sommes enfin arrivés jusqu’ici, les amis. C’est un véritable exploit. »
Il y avait une réelle émotion dans ma voix lorsque j’avais dit ces mots. Il avait fallu beaucoup de temps et d’efforts pour en arriver là. Nous avions passé plus d’un an sur le Continent Démon, et quatre bons mois dans la Grande Forêt. Nous avions enfin atteint la région du monde où résidait l’humanité. La partie la plus dangereuse de notre voyage était maintenant derrière nous. À partir de là, les routes seront bien entretenues, et le terrain sera en grande partie beau et plat. Comparé à ce que nous avions vécu auparavant, ce devrait être du gâteau.
Bien sûr, en termes de distance, nous avions encore un très long voyage devant nous. La distance entre Asura et Millis représentait environ un quart de la circonférence de la planète. Même si les routes étaient belles, nous n’allions pas y arriver en une semaine. En fait, nous avions probablement encore une bonne année de voyage devant nous.
Compte tenu de cela, notre plus gros problème à long terme serait probablement de nature financière.
« Pour l’instant, je pense que nous devrions rester dans cette ville pendant un certain temps pour économiser un peu d’argent. »
« Pourquoi ? », demanda Éris en fronçant les sourcils.
C’était une question raisonnable. J’avais essayé de répondre aussi clairement que possible.
« Eh bien, nous avons bien traversé le Continent Démon et la Grande Forêt, mais les choses ont tendance à être beaucoup plus chères en territoire humain. »
J’avais repensé à l’étude de marché que j’avais réalisée en venant ici. Je n’avais jamais eu l’occasion de faire des recherches à Port Zant, mais je m’étais quand même souvenu de ce qui se passait dans les différentes parties du Continent Démon et dans la petite ville où nous nous étions arrêtés après les montagnes de la Wyverne Bleue. Presque tout était plus cher à Millis et dans le royaume d’Asura. Le tarif de nuit de cette auberge aurait été complètement ahurissant par rapport aux standards du Continent Démon.
L’humanité était évidemment une bande de rapaces. Nous nous souciions beaucoup plus de l’argent que toutes les autres races.
« La valeur de la monnaie Millis est très élevée. Et à ma connaissance seules les pièces d’Asura ont plus de valeur. Cela signifie que tout est cher ici, mais cela signifie aussi que les emplois à la Guilde locale seront très bien payés. Au lieu de nous arrêter une semaine dans chaque ville comme nous l’avions fait sur le Continent Démon, je pense qu’il est plus efficace pour nous de rester ici pendant environ un mois et d’économiser beaucoup d’argent d’un seul coup. »
Une fois que nous aurons une belle pile de pièces Millis de valeur dans nos poches, le reste du voyage se déroulerait beaucoup plus facilement. Elles nous aideraient beaucoup à traverser les régions sud du continent central.
« D’abord, on ne sait pas combien ils vont faire payer un Superd pour son passage sur le bateau vers le continent central », avais-je dit.
Éris fit une grimace au mot « bateau ». Notre précédent voyage en mer avait été un misérable souvenir pour elle. Je me sentais bien sûr très différent. Mes souvenirs de l’avoir réconfortée alors qu’elle avait le mal de mer avaient continué à être une source de grand plaisir.
« Tout bien considéré, je pense que nous devrions nous concentrer sur le fait de gagner de l’argent à Millishion pendant un certain temps, puis aller directement au Royaume d’Asura. Nous ne pourrons peut-être pas faire grand-chose pour améliorer la réputation des Superds pendant un certain temps, mais… ça te va, Ruijerd ? »
« Bien sûr », répondit Ruijerd, en hochant légèrement la tête.
Je ne m’attendais pas vraiment à ce qu’il fasse une objection. À ce moment-là, je l’aidais parce que je le voulais.
Personnellement, j’aurais été heureux de m’installer ici pendant un certain temps et de faire un réel effort pour changer l’opinion du public sur son peuple. Six mois ou un an de travail assidu dans une grande ville comme celle-ci pourrait avoir un impact considérable.
Cela dit, nous avions déjà passé un an et demi à nous rendre jusqu’ici. Je ne voulais pas faire durer ce voyage marathon encore plus longtemps que nécessaire. Je voulais dire, j’avais « disparu » depuis dix-huit mois maintenant, non ? Paul et Zenith étaient probablement très inquiets.
Je me demandais ce qu’ils faisaient en ce moment… Oh, oups. Je n’ai jamais eu le temps de leur envoyer une lettre.
J’en avais toujours eu l’intention, mais les événements conspiraient constamment pour me distraire. Ça avait dû m’échapper une demi-douzaine de fois maintenant. Eh bien, je peux bien le faire maintenant…
« Très bien. Faisons de demain un jour de repos, d’accord ? »
Ce n’était pas un concept nouveau pour nous. J’avais déjà annoncé plusieurs fois des « jours de repos ». Au début, c’était par souci pour Éris, mais à un moment donné, j’avais commencé à les appeler principalement pour mon propre bien. La jeune fille ne montrait aucun signe de fatigue, et Ruijerd était l’homme le plus coriace que je connaisse. J’étais sans aucun doute la mauviette de cette bande.
Bien sûr, j’étais beaucoup plus fort que je ne l’avais jamais été dans ma vie précédente, mais je ne pouvais pas tenir la chandelle à ces deux-là. J’étais quand même au moins au niveau d’un aventurier typique. L’épuisement physique n’était généralement pas un problème.
Par contre, l’épuisement mental? C’était une autre histoire. D’une part, j’avais encore des complexes à tuer des êtres vivants. Plus on abattait des monstres, plus le stress s’accumulait en moi.
Mais je n’appelais pas ce jour-là « jour de repos » à cause de la fatigue. Je voulais juste m’assurer que je n’oublierais pas d’écrire cette lettre. Si nous passions la journée de demain à rassembler des informations, à vérifier la liste des quêtes de la Guilde et à nous occuper de toutes les autres choses de notre liste à faire, cela allait encore me sortir de l’esprit. Cette fois-ci, j’allais prendre une journée pour m’occuper enfin de tout ça.
« Tu te sens encore mal, Rudeus ? »
« Non, celui-ci est un peu différent. J’ai besoin de prendre du temps pour écrire une lettre. »
« Une lettre ? »
J’avais fait un signe de tête à Éris.
« On devrait faire savoir à tout le monde à la maison qu’on va bien, non ? »
« Hmm… c’est vrai. Je suppose que je vais te laisser faire. »
« Oui, je m’en occupe. »
Demain, j’allais enfin y arriver. Je prendrais mon temps, je repenserais à l’époque où j’étais au village de Buena et j’écrirais à Paul et à Sylphie.
Lorsqu’il m’avait envoyé pour servir de tuteur à Éris, Paul m’avait averti de ne pas lui envoyer de lettres… mais dans ces circonstances, cela ne le dérangerait sûrement pas.
Les chances qu’une lettre leur parvienne n’étaient pas si bonnes, bien sûr. Lorsque Roxy et moi correspondions entre Asura et Shirone, nous avions l’impression qu’une lettre sur sept passait, et nous devions donc toujours envoyer plusieurs copies du même message. Il faudrait que je fasse de même cette fois-ci aussi.
« Au fait, qu’est-ce que vous allez faire tous les deux ? », avais-je demandé.
Éris avait répondu rapidement et énergiquement.
« Je vais aller tuer des gobelins ! »
« Des gobelins ? »
Attendez, attendez. Des gobelins ? Est-ce les gobelins que je connais ? Comme… des types jaune-vert, qui mesurait la moitié d’un homme normal, avec des massues grossières ? Ceux qui figurent toujours en bonne place dans les jeux pornos ayant des thèmes fantaisie ?
« Oui. J’ai vu quelqu’un près de moi qui a dit qu’il y en a beaucoup qui surgissent par ici. C’est exactement le genre de choses auxquelles les aventuriers devraient faire face, non ? »
Éris répondit avec joie.
Pour être parfaitement honnête, j’avais entendu parler d’eux pendant notre voyage. Dans ce monde, les gobelins étaient essentiellement considérés comme une sorte de vermine. Ils se reproduisaient rapidement et causaient toutes sortes de problèmes aux gens. Ils étaient assez intelligents pour communiquer verbalement, on pourrait donc techniquement les classer dans la catégorie des démons, mais la grande majorité d’entre eux vivaient comme des animaux sauvages. Donc, quand leur nombre commençait à échapper à tout contrôle, ils étaient généralement exterminés.
***
Partie 3
« Très bien. Ruijerd, tu peux aller avec elle et… »
« Oh, allez ! Je peux m’occuper de quelques gobelins tout seul ! »
Éris m’interrompit avec indignation. L’expression de son visage laissait penser qu’elle était plus qu’un peu offensée.
Qu’est-ce que j’étais censé faire ici ?
Éris était une combattante très compétente. Et les gobelins étaient des monstres classés E. Ce n’était pas vraiment un ennemi redoutable. Ils ne vivaient pas sur le Continent Démon, donc je n’en avais jamais vu, mais d’après ce que j’avais entendu, même un enfant qui avait appris les bases du maniement de l’épée pouvait les maîtriser sans problème.
Lui faire emmener notre garde du corps pourrait paraître comme de la surprotection. Après tout, Éris pouvait très bien se défendre contre les monstres de classe B... mais quand même. Quand une aventurière se fait battre par un gobelin, n’allait-elle par finir par devenir une esclave sexuelle, non ? Je ne connaissais pas grand-chose au sujet des gobelins de ce monde, mais c’était vraiment leur affaire dans le mien. Et je veux dire, si j’étais le Gobelin chanceux qui avait réussi à assommer Éris, je me sentirais certainement en droit de le faire.
Si quelque chose d’aussi terrible arrivait à Éris au moment où je la quittais des yeux, je ne pourrais plus jamais me présenter devant Ghislaine ou Philip…
« Tout va bien, Rudeus. Laisse-la s’occuper de ça toute seule. », dit Ruijerd en me sortant de ma rêverie.
C’était inhabituel. Normalement, il restait en dehors de ce genre de disputes. Depuis un an et demi, Ruijerd donnait à Éris des leçons sur la façon de combattre toutes sortes de monstres et d’ennemis. Ses méthodes pédagogiques étaient un peu trop obscures pour que je puisse les suivre, mais il était clair qu’elle avait beaucoup appris de lui. S’il était convaincu qu’elle pouvait le faire, tout allait probablement bien se passer.
« Très bien. Ne sois pas négligente juste parce qu’ils sont faibles, Éris. »
« Ouais, je sais ! »
« Assure-toi que tu es aussi bien préparée avant de partir. »
« Bien sûr ! »
« Si les choses deviennent dangereuses, il suffit de faire demi-tour et de s’enfuir, d’accord ? »
« Bien, bien ! Entendu ! »
« Et si le pire devait arriver, il suffit d’attraper le petit salaud par la main et de crier “Ce gobelin est un agresseur !” au sommet de ta… »
« Oh, ça suffit ! Je peux m’occuper de l’extermination de quelques gobelins, Rudeus ! »
Oups. Maintenant, j’avais réussi à la mettre en colère.
Pour être honnête, j’étais encore un peu anxieux à ce sujet, mais je devais me fier au jugement de notre ancien combattant.
« Dans ce cas, je n’en dirai pas plus. Bonne chance, Éris. »
« Merci. Ne t’inquiète pas, je m’en occupe ! », dit-elle en hochant la tête de satisfaction.
« Et toi, Ruijerd ? Que feras-tu demain ? »
« Je pense que je vais aller saluer l’une de mes connaissances. »
C’était la première fois que je l’entendais utiliser le mot « connaissance ».
« Vraiment ? Je ne savais pas que tu… en avais, en fait. »
« Bien sûr que oui. »
D’après ce que je savais de son histoire, Ruijerd avait erré seul dans la nature pendant un certain temps… mais après cinq cents ans, je suppose qu’il avait probablement rencontré quelques personnes par hasard. Il semblait juste un peu étrange qu’une de ces personnes vive ici, à Millishion. Mais c’était une ville immense, alors peut-être que c’était logique d’un point de vue statistique.
« Quel genre de personne est-il ? »
« C’est un guerrier. »
Ah. Probablement quelqu’un qu’il avait sauvé dans les plaines du Continent Démon à l’époque, hein ? Eh bien, d’une manière ou d’une autre, je n’allais pas m’en mêler. Je n’étais pas le père de Ruijerd et je n’avais pas ressenti le besoin de l’interroger sur les personnes avec qui il traînait pendant son temps libre.
◇ ◇ ◇
Le lendemain matin, Éris et Ruijerd étaient partis faire leurs courses respectives, j’étais donc allé en ville pour acheter du papier, des stylos et de l’encre. Je m’étais dit que je pourrais en profiter pour me promener un peu dans les étals en plein air jusqu’à ce que j’aie une idée précise de ce que coûtent la plupart des choses à Millis.
Il s’était avéré que la nourriture était en fait un peu moins chère que sur le Continent Démon. Naturellement, la sélection était aussi beaucoup, beaucoup plus vaste. Il y avait beaucoup de viande et de poisson frais, et ils avaient même une belle gamme de légumes.
Mais la plus grande surprise, c’était les œufs. Il y en avait beaucoup, ils étaient tous fraîchement pondus, et ils étaient incroyablement bon marché. J’avais déjà vu des œufs en vente plusieurs fois sur le Continent Démon, mais ils étaient pondus par des monstres plutôt que par des oiseaux. L’idée était de les faire éclore, de laisser la petite créature se laisser s’amadouer, puis de la dresser comme vous le souhaitiez. Naturellement, personne ne mangeait ces choses. Elles étaient bien trop chères pour être transformées en omelette.
Les poulets étaient d’ailleurs une race vivant dans ce monde. Quelques personnes les avaient élevés dans le village de Buena et, d’après ce que l’on voit, la volaille était également une industrie importante à Millis.
Tout d’un coup, je mourais d’envie de manger à nouveau des œufs sur du riz. Je sais, je sais… c’était des choses assez basiques. Mais allez ! C’est un repas nutritionnellement complet en soi !
Malheureusement, alors que j’avais beaucoup d’œufs à ma disposition en ce moment, il ne semblait pas y avoir de riz ou de sauce soja pour les accompagner. Le pain était apparemment la pierre angulaire du régime de Millis, tout comme il l’était à Asura.
Le riz existait dans ce monde, même s’il n’était pas en vente sur le marché ici. C’était l’aliment de base dans les régions du nord et de l’est du continent central, et Roxy avait mentionné un jour qu’il était également disponible dans le royaume de Shirone. Ils l’utilisaient surtout comme base pour des plats tels que le riz frit ou de la paella, avec beaucoup de viande, de légumes et de fruits de mer. Malheureusement, il semblerait qu’ils ne pratiquaient pas l’élevage de volaille à Shirone, et les œufs étaient donc censés être une denrée rare. Peut-être que le climat n’était pas propice à l’élevage des poulets.
Quant à la sauce de soja, je n’avais jamais rien vu de tel dans ce monde. Une fois, j’avais remarqué quelque chose qui ressemblait beaucoup à une graine de soja en feuilletant un dictionnaire de plantes, mais il était possible que personne n’ait encore essayé de les faire fermenter et de les transformer en sauce.
Non, non. Je ne peux pas tomber dans le pessimisme ! Il y avait des œufs et du riz ici, n’est-ce pas ? Dans ce cas, il devait y avoir aussi de la sauce soja quelque part. Il fallait juste que je cherche bien.
Un jour, je rassemblerais tous les ingrédients et je réaliserais mon rêve. Même si les œufs n’étaient plus mangeables, la magie de désintoxication pouvait très bien gérer une petite intoxication alimentaire.
Une fois que j’avais terminé mon enquête rapide sur le marché local et que j’avais acheté un ensemble de papeterie de base, j’avais commencé à retourner vers l’auberge tout en essayant de trouver exactement ce qu’il fallait mettre dans cette lettre.
C’était la première fois que j’écrivais à Paul ou Sylphie. Devrais-je commencer par mes années chez les Boreas… ? Non, l’important était de leur faire savoir que j’étais en sécurité. Il valait mieux commencer par notre téléportation sur le Continent Démon.
En y repensant, j’avais beaucoup de choses à leur raconter. J’avais commencé à voyager avec un guerrier superd légendaire, rencontré la Grande Impératrice des Démons, et même passer trois mois entiers dans un village appartenant à la race bestiale.
Hmm. Est-ce qu’ils allaient croire tout ça ?
Évidemment, je leur dirais de toute façon la vérité. Mais il semblerait peu probable que quelqu’un chez moi croie à mon histoire d’Œil démoniaque reçu de Kishirika Kishirisu elle-même.
En parlant de race bestiale… Ce serait bien de savoir si Ghislaine allait bien. Elle avait probablement été emmenée dans un coin du monde au hasard. En supposant qu’elle n’ait pas été jetée au milieu d’un volcan, j’étais certain qu’elle était en sécurité. Cette femme était après tout une force de la nature.
Mais de toute façon, combien d’autres personnes avaient été téléportées ? Le mur de lumière venait de la Citadelle de Roa, il semblerait donc possible que tout le monde dans le domaine de Boreas ait subi le même sort qu’Éris et moi. Hmm. Il y aurait donc Philip, Sauros, Hilda, Alphonse le majordome… mais aussi toutes les servantes. J’avais l’impression que le vieux Sauros pouvait très bien se débrouiller dans la vie, peu importe où il se retrouvait, mais quand même…
« Oui, ce n’est que maintenant que je me fais du souci… »
En me murmurant à moi-même, j’avais tourné dans une petite rue latérale. Il s’était avéré que Millishion en avait plusieurs. De loin, le plan de la ville avait l’air propre et net, mais à mesure que les vieux bâtiments étaient démolis et remplacés, de petites ruelles miteuses comme celle-ci avaient tendance à s’ouvrir entre elles.
Bien sûr, tout était toujours aligné comme une grille, de sorte que vous n’aviez pas à craindre de vous perdre dans un labyrinthe sinueux. C’était pourquoi j’avais décidé de prendre un chemin différent pour revenir à l’auberge. Cela ne pouvait pas faire de mal d’explorer un peu les rues de la ville. Si j’avais de la chance, je pourrais tomber sur une charmante petite ruelle d’amoureux ou quelque chose comme ça. Notre rousse avait une personnalité un peu violente, mais il semblerait qu’elle était capable d’apprécier un peu la beauté de temps en temps. Et si nous restions dans cette ville un mois entier, nous aurions probablement le temps pour un « rendez-vous » ou deux. Je pourrais me gagner quelques points d’affection en prime si je trouvais des endroits sympas pour l’emmener.
Juste au moment où je me perdais dans mes pensées, j’avais remarqué un groupe d’environ cinq hommes qui se dirigeaient rapidement vers moi depuis l’autre côté de l’allée. Au premier coup d’œil, ils ne ressemblaient pas à des aventuriers, mais plutôt à de vulgaires bagarreurs de rue. Leurs tenues semblaient destinées à intimider. C’était probablement juste une bande de gamins turbulents. C’était quand même un peu grossier de se disperser dans une petite ruelle exiguë comme celle-ci. Le piéton poli laissait toujours de la place pour quelqu’un qui se dirigeait dans l’autre sens. Un enfant comme moi n’avait pas besoin de tant d’espace, c’est vrai, mais à ce rythme, nous allions nous croiser. Ils devraient vraiment s’approcher de moi en file indienne et détourner les yeux de…
« Bouge-toi, gamin ! »
Je m’étais instantanément appuyé contre le mur de l’allée.
Ne vous méprenez pas. Je voulais juste éviter toute querelle inutile. Je voulais dire, ils semblaient très pressés ! Et je ne l’étais pas. Ce n’était pas comme si je m’étais écarté de leur chemin parce qu’ils avaient l’air un peu effrayants. Vraiment, je vous le promets ! Je n’ai pas peur des délinquants ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Pensez-y quand même. On ne pouvait pas juger un livre à sa couverture, hein ? Ils avaient l’air d’une bande de racailles de rue, mais pour ce que j’en savais, l’un d’entre eux pouvait bien être en fait un célèbre maître épéiste.
Si j’avais été trop confiant et que je m’étais opposé à leur impolitesse, je me serais peut-être fait découper en morceaux par le Noble de la Fureur, ou quelque chose comme ça. Je voulais dire, c’était un monde où une petite fille sur le point de mourir de faim dans la rue pouvait se révéler être une grande impératrice démoniaque, non ? Il n’y avait aucune raison de se battre pour rien.
***
Partie 4
C’était du moins ma conclusion initiale. Mais alors qu’ils me dépassaient, j’avais remarqué que deux types au milieu du groupe portaient un sac en toile de jute. Et il y avait une petite main qui en sortait. On aurait dit qu’ils ne transportaient rien de moins qu’un enfant dans un sac.
Encore des ravisseurs ?
Ce monde en avait suffisamment, si ce n’est plus. Les criminels enlevaient toujours les enfants dès qu’ils en avaient l’occasion. Ce n’était pas non plus un problème régional, cela se produisait partout, du Royaume d’Asura au Continent Démon, dans la Grande Forêt et dans Saint Pays de Millis.
D’après ce que m’avait dit Geese, le kidnapping était une activité très rentable. Le monde était pour l’essentiel en paix à l’heure actuelle, à l’exception de quelques conflits mineurs ici et là. Quelques esclaves arrivaient sur le marché en provenance des régions du centre et du nord du continent central, mais c’était à peu près tout. Et beaucoup, beaucoup de gens voulaient des esclaves. C’était particulièrement vrai dans les pays riches comme Millis et Asura, où les classes supérieures riches cherchaient constamment à acheter des gens. Au fond, l’offre n’était tout simplement pas suffisante pour répondre à la demande. Les victimes d’enlèvements se vendaient cher sur le marché, et tant que cela était vrai, le problème n’allait jamais disparaître. Pour éliminer complètement cette pratique, il faudrait apparemment déclencher une ou deux guerres massives.
En tout cas… que faire maintenant ?
Vu le nombre d’hommes, il s’agissait probablement d’un crime prémédité. Il ne serait pas surprenant que l’enfant dans ce sac soit le fils ou la fille d’une personne relativement importante dans cette région.
Pour être honnête, je ne voulais pas vraiment être mêlé à ça. La dernière fois que j’avais sauvé des enfants d’un gang de kidnappeurs, j’avais fini par être pris pour l’un des criminels et jeté dans une cellule de prison. Et c’était il y a quelques mois seulement, donc le souvenir était encore douloureusement frais.
Alors, allais-je laisser l’enfant à son sort ?
Non, non. Bien sûr que non. Il y aura certainement toujours des kidnappeurs dans la nature. Et cela me rappelait des souvenirs désagréables. Mais rien de tout cela ne justifiait le fait de n’avoir rien vu.
La première règle de l’équipe Dead End était « Ne jamais abandonner un enfant en péril ». Et la deuxième règle de l’équipe Dead End était « Ne jamais, jamais abandonner un enfant en péril. »
Dead End était une équipe de bons gars. Nous avions tenu bon face au mal, nous avions sauvé des enfants dès que nous en avions eu l’occasion. Et petit à petit, nous avions changer l’opinion des gens sur Ruijerd et les Superds.
Je m’étais retourné et j’avais tranquillement suivi les cinq hommes avec le sac en toile de jute.
◇ ◇ ◇
Mes compétences en matière de dissimulation s’étaient apparemment améliorées à un moment donné. Je suppose que suivre Éris et compagnie à Doldia était une bonne chose. Les ravisseurs étaient arrivés et entrèrent dans leur destination, un entrepôt indéfinissable, sans même un regard dans ma direction. C’était un groupe assez négligent. Pour commencer, ils avaient évidemment besoin d’améliorer leur perception.
L’entrepôt en question était situé dans un coin tranquille du quartier des aventuriers, encore plus éloigné de la foule que l’auberge où nous étions hébergés. On ne pouvait pas voir cet endroit depuis la rue, le seul moyen d’y accéder était de se faufiler dans une ruelle étroite. Il était impossible d’y accéder en calèche. Il n’était même pas possible d’en sortir quelque chose de volumineux. Je m’étais demandé pourquoi diable quelqu’un mettrait un entrepôt dans un endroit aussi inaccessible. L’entrepôt avait probablement été construit quelque temps avant les bâtiments qui l’entouraient maintenant. Parfois, les urbanistes pouvaient vraiment vous entuber, hein ?
Non pas que cela ait vraiment de l’importance. Une fois que j’avais eu la certitude que le groupe ne faisait pas que passer, je m’étais déplacé à l’arrière du bâtiment et j’utilisais la magie de terre pour faire flotter le sol, ce qui m’avait permis de me glisser dans le bâtiment par une fenêtre relativement haute. Je m’étais abaissé sur le sol, je m’étais glissé sur une pile de boîtes en bois, je m’étais caché à l’intérieur, puis j’avais regardé avec précaution pour connaître la configuration du terrain.
Les cinq ravisseurs se tenaient de l’autre côté de l’entrepôt mal éclairé, ils étaient en train de discuter. D’après ce que j’avais pu comprendre, ils avaient beaucoup d’amis qui buvaient dans le bar d’à côté, et quelqu’un devait aller les informer que le « travail » était en cours.
J’avais deux options de base à ce moment-là. Je pouvais essayer d’éliminer ces cinq-là avant qu’ils n’amènent toute la bande ici, ou je pouvais rester sur place, regarder attentivement le visage de leurs copains, et me faufiler avec le gamin quand j’en avais l’occasion. Cette dernière approche m’avait semblé beaucoup plus attrayante, j’avais donc décidé de m’installer dans ma boîte et de me mettre à l’aise.
Qu’est-ce qu’il y avait dans ce truc, d’ailleurs ? En raison du mauvais éclairage, je n’avais pas vraiment pu voir son contenu. Quoi qu’il en soit, ils étaient certainement faits de tissu. Mais ils étaient trop petits pour être des chemises ou des pantalons. Et pour une raison quelconque, être allongé dans une pile de ces vêtements me donnait une étrange sensation de tranquillité.
J’avais tendu la main et j’en avais attrapé un. Sa forme et sa texture m’étaient familières, un morceau de tissu soigneusement cousu, avec une certaine profondeur et trois trous distincts. Dans une section particulière, le tissu était deux fois plus épais. J’avais cru sentir une teinte de puissante énergie mystique lorsque j’avais touché ce morceau.
« Wow ! Attendez, c’est une culotte ! »
« Qui est là !? »
O-oh merde, ils m’ont entendu ! Merde… Je ne m’attendais pas à ce qu’ils posent un piège aussi diabolique !
« C’est quoi ce bordel ? Il y a quelqu’un dans les boîtes ? »
« Montre-toi ! »
« Hé, va le dire au patron ! On a besoin de tout le monde ici ! »
Eh bien, ce n’était vraiment pas bon. Pendant que j’étais assis, ils appelaient déjà la cavalerie. Il était clairement temps de changer les plans. Je devais juste prendre le gamin maintenant et m’enfuir rapidement, non ? Ça semblait être la meilleure option. Attendez, non… ils verraient mon visage.
Ah, à quoi je pensais ? J’avais un masque parfaitement adapté sous la main.
Woooo ! Je suis un morceau d’extase brûlant, bébé !
Je plaisante.
Pendant un moment, j’avais envisagé de me déshabiller pour mieux cacher mon identité, mais je m’étais ensuite souvenu que je ne le portais même pas. Je n’avais pas non plus mon bâton. Après tout, je venais de faire des courses.
Très bien. Allons-y !
« Wow ! »
« Il porte une culotte sur la tête, mec… »
« Quel monstre… ! »
Les hommes avaient été momentanément abasourdis par mon apparition soudaine et dramatique. J’en avais profité pour me lancer dans un monologue.
« Ecoutez-moi, mécréants cupides ! Comment osez-vous arracher des enfants innocents à leur famille ? Honte à vous ! Honte à vous ! Les gens appellent ça… un kidnapping ! »
Le public n’avait pas semblé apprécier mon spectacle de Rom Stol. Peut-être qu’ils ne connaissaient pas ce vieux animé rempli de mécha.
« Qui diable es-tu censé être ? »
« Je suis le Ruijerd de la Dead End ! »
« Quoi ? Dead End ? »
Oh merde ! J’ai foiré ! Je m’étais présenté de cette façon par pure habitude, alors les mots m’avaient échappé de la bouche. C’était un cas où je n’aurais vraiment rien dû dire.
Désolé, Ruijerd ! À partir d’aujourd’hui, tu es un gars bizarre qui sauve des enfants en portant une culotte sur la tête ! Mais ne t’inquiète pas. Je sauverai l’enfant, quel qu’en soit le prix !
« Malédiction, sales kidnappeurs ! À cause de vous, un homme innocent vient d’être gravement calomnié ! Votre méchanceté ne restera pas impunie ! »
« Écoute, petit, va jouer au héros ailleurs ! On n’est pas… »
« Je ne suis pas venu ici pour parler, imbécile ! Attaque de l’aube ! »
« Gurgh ! »
J’avais coupé court à la conversation en lançant un sort de Canon de pierre. C’était toujours agréable de pouvoir lancer quelques attaques préventives. C’était en fait la même approche que celle que j’avais utilisée pour sauver la Grande Impératrice des Démons de ce vieux pédo sale au Port Venteux.
« Prenez ça ! Et ça ! »
« Guh ! »
« Blagh ! »
En un clin d’œil, j’avais assommé les quatre hommes qui étaient restés dans l’entrepôt. Une fois qu’ils étaient tous à terre, je m’étais dépêché de venir voir leur prisonnier.
« Vas-tu bien, jeune homme ? ! Hmm. On dirait qu’il est inconscient… »
J’avais l’impression d’avoir déjà vu ce garçon quelque part. Il y avait en fait quelque chose… de vraiment familier chez lui. Mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Bizarre.
Eh bien, peu importe. Ce n’était pas le moment d’y penser. Il fallait que je sorte d’ici avant que le reste du gang n’arrive… Mais alors même que cette pensée me traversait l’esprit, toute une foule d’hommes était apparue à la porte de l’entrepôt.
« Wow ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Il les a fait tomber tous les quatre ! »
« Le gamin sait comment se battre ! Faites venir le capitaine ici, pronto ! »
« Sais-tu qu’il a beaucoup bu aujourd’hui ? »
« C’est toujours un sacré combattant, même quand il est bourré ! »
Deux hommes avaient fait demi-tour et s’étaient enfuis, sans doute pour chercher leur « capitaine ». Il me restait encore plus de dix personnes à gérer, et je devais maintenant supposer que d’autres renforts allaient arriver.
Ce n’était pas bon. Ce n’était pas bon du tout. Peut-être que j’aurais vraiment dû regarder ailleurs… ou attendre jusqu’à demain, quand j’aurais pu convaincre Ruijerd de m’aider. Charger en solo était définitivement une erreur. À ce stade, ma seule option était de faire tomber tout le gang.
« Quel genre de monstre est ce gars ? Il porte une culotte sur la tête… »
« Attendez, il était là pour voler nos sous-vêtements !? »
« Oh mon Dieu ! C’est une sorte de pervers sexuel !? »
Maintenant que j’avais regardé de plus près, il y avait aussi quelques femmes dans le groupe. Désolé, Ruijerd. Sérieusement… je t’en dois une.
En m’excusant une dernière fois auprès de l’homme que j’avais si profondément blessé, je m’étais concentré sur la tâche à accomplir. Heureusement, ces voyous n’avaient rien de spécial. Ils n’avaient pas cessé de se ruer sur moi en ligne droite, alors il était assez facile de tirer avec le canon de pierre avant qu’ils ne s’approchent trop. Ils n’étaient pas assez rapides pour esquiver ma magie, et un seul coup suffisait à en faire tomber la plupart d’entre eux. Aucun d’entre eux n’était même armé. Il n’y avait pas de magiciens à craindre non plus. Tout se passait mieux que prévu jusqu’à présent.
« Merde, on ne peut même pas s’approcher… »
« Mais qu’est-ce qu’il a ce gamin !? Est-ce qu’il utilise une sorte d’objet magique !? »
« Pourquoi le capitaine prend-il autant de temps !? »
Le temps que j’en assomme peut-être la moitié, les autres avaient commencé à s’agiter visiblement. Après tout, peut-être que je serais capable de m’en sortir sans trop de problèmes.
« Le capitaine sera bientôt là, tout le monde ! Nous devons juste tenir jusque-là ! »
Eh bien, tant pis pour ça.
***
Partie 5
Deux femmes étaient apparues dans l’entrée de l’entrepôt. L’une d’elles était une guerrière vêtue d’une armure de type bikini, l’autre était une magicienne en robe. Il n’avait pas fallu longtemps pour que cette vague de renforts arrive, mais je suppose que ce n’était pas surprenant. Toute leur bande était apparemment en train de boire juste à côté.
La femme guerrière montrait beaucoup de peau, pour une raison quelconque. Je n’avais pas vu un seul combattant sur le Continent des Démons habillé de façon aussi sommaire. Elle se distinguait encore plus du magicien, qui portait une tenue parfaitement ordinaire.
Mince ! Qui est cette femme ? ! Je ne peux pas… détacher… mon regard !
« Je vais l’occuper, Shierra ! Couvre-moi ! »
« Bien ! »
La dame en bikini dégaina l’épée à sa taille et se précipita vers moi. Pendant ce temps, la magicienne en robe à l’arrière pris son bâton et… oh, merde. Les seins de la dame en bikini se balançaient comme des fous à chaque pas. Ne les laisse pas se balancer aussi vigoureusement, ma fille ! Ils vont se libérer !
C’était vraiment bizarre. Au moins, on s’attendrait à ce que l’armure du bikini maintienne la poitrine fermement en place pour ne pas causer de problèmes au combat. Toute sa tenue semblait ne servir à rien de pratique.
Oh mec, regardez-moi ça ! A droite… à gauche… à droite ! Ils se rapprochaient, se balançaient d’avant en arrière… Pendant un moment, ils s’étaient affaissés, puis avaient rebondi vers ma…
« Hiyaaaa ! »
Tout à coup, j’avais remarqué que cette dame en bikini balançait son épée directement sur mon visage.
« Gaah ! »
En tombant par réflexe en arrière, j’avais réussi à éviter le coup d’un cheveu. C’était moins une ! Bon sang. Cette fille se bat salement !
Est-ce qu’elle portait ce truc pour faire diversion ? !
À ce moment, j’avais remarqué une faible voix qui marmonnait quelque chose à l’autre bout de la pièce.
« — Converge où tu veux et fais jaillir un seul et pur courant de cette voix — »
Oh merde. C’était une incantation magique ! Quelqu’un était sur le point de me tirer une boule d’eau !
En réfléchissant vite, j’avais tendu la main dans la direction de la magicienne. Le sort que j’avais choisi cette fois-ci était Mur de pierre. La meilleure façon de conjurer un sort magique à base d’eau était de mettre sur son chemin du sable et de la terre bien absorbants.
Alors que je me dépêchais de lancer le sort, j’avais rapidement jeté un coup d’œil par-dessus et j’avais trouvé la magicienne qui pointait son bâton droit sur moi, sur le point de lancer son attaque.
Au moment même où elle lançait sa Boule d’eau, mon Mur de pierre s’était élevé à sa rencontre. Le projectile à grande vitesse se heurta contre lui en faisant une grande explosion, plutôt qu’un éclaboussement. L’eau avait été pulvérisée dans toutes les directions dans tout l’entrepôt.
« Quoi !? Qu’est-ce que c’était !? »
D’après ce que j’entendais, la magicienne était assez agitée, alors j’avais tourné mon attention vers la dame en bikini.
« Ah… ! »
La force de son attaque avait laissé ses seins se balancer sauvagement dans les airs. Il semblerait qu’ils étaient sur le point de se libérer. Je pouvais presque… les voir !
« Hyaaaaaaa ! »
Rappelé à la réalité au dernier moment par son cri de guerre perçant, j’avais réussi à me mettre à nouveau en sécurité. Cette fois, j’avais mis un peu plus de distance entre nous avant de sauter.
La dame en bikini me fixa du regard, son épée toujours contre le sol où elle avait frappé.
« Arrête de te faufiler comme un cafard, petit pervers ! »
Tout en parlant, elle avait de nouveau levé son arme, la maintenant fermement au-dessus de la taille. Elle semblait avoir renoncé à me submerger par la vitesse et l’agressivité. Au lieu de cela, elle avait commencé à réduire la distance entre nous, lentement mais sûrement.
En suivant son exemple, j’avais reculé d’un pas vers… Ooh. Quand elle avait tendu son épée comme ça, le haut de ses bras avait poussé ses obus ensemble. C’était un décolleté impressionnant…
Argh ! Allez ! Arrête de tomber dans son piège, idiot !
Je ne pouvais pas garder les yeux sur sa satanée épée. Comment pouvais-je me battre dans cet état ?
Pour être honnête, ni la guerrière ni sa copine magicienne n’étaient particulièrement douées. Mais à ce rythme, je n’allais jamais les faire tomber. Que Dieu me vienne en aide si elle devait souffrir d’un dysfonctionnement critique au niveau de sa garde-robe. Je serais probablement coupé en morceaux instantanément.
Comment avaient-elles appris ma seule et unique faiblesse ? ! Qui m’a vendu, bon sang ? !
OK, calme-toi.
Je ne faisais que m’amuser jusqu’ici, c’était aussi simple que ça. Ce n’était pas une tactique délibérée de sa part. La question était… qu’est-ce que j’allais faire à ce sujet ? Si je voulais en faire un combat loyal, il fallait qu’elle se couvre la poitrine d’une manière ou d’une autre. Et d’ailleurs, son derrière agréablement bombé aussi. Comment pouvais-je la manipuler pour qu’elle mette de vrais vêtements ?
Peut-être que je pourrais dire quelque chose pour essayer de la mettre dans l’embarras… Hmm, non. Si elle avait choisi cette tenue délibérément, cette approche pourrait se retourner contre elle.
« Gasp ! »
Bien sûr ! Maintenant, j’avais compris !
Connaissez-vous tous l’histoire du vent du nord et du soleil ?
Il était une fois, le vent du nord et le soleil qui s’affrontaient pour savoir lequel d’entre eux pouvait obliger un certain voyageur à se déshabiller. Le vent du nord essayait de faire tomber ses vêtements par des rafales froides et perçantes, mais le voyageur se contentait d’empiler des couches supplémentaires de vêtements à la place. Le soleil, cependant, ne faisait que le réchauffer jusqu’à ce qu’elle commence à enlever ses vêtements de son plein gré.
En d’autres termes, si je faisais des choses bien chaudes maintenant, elle se déshabillerait complètement…
Non, non, non ! C’est exactement ce que nous ne voulons pas, vous vous souvenez ? !
C’est vrai. Sois calme. On avait besoin de calme ici.
« Tu n’as nulle part où aller », me disait la femme guerrière.
J’avais regardé derrière moi et j’avais réalisé que je m’étais appuyé contre le mur de l’entrepôt. Mais ce n’était pas un problème. J’avais déjà mis au point ma stratégie. Sans un mot, j’avais tendu mes deux paumes vers mon assaillante peu vêtue.
« Champs glacés. »
Au moment où j’avais canalisé mon énergie magique dans ma main droite, de l’air intensément froid sortit de nulle part pour remplir l’entrepôt. La température avait chuté de trente degrés centigrades presque instantanément. Tout d’un coup, c’était comme si nous étions à l’intérieur d’un réfrigérateur.
« Qu’est-ce que… !? »
Je voyais déjà la chair de poule sur le haut des bras de la dame en bikini, mais je n’avais pas encore fini. Cette fois, j’avais laissé mon énergie magique se diriger dans ma main gauche.
« Explosion. »
Une grande rafale fit reculer la femme. Le temps qu’elle cesse de tomber, je l’avais envoyée jusqu’à l’entrée de l’entrepôt. Je pensais appeler cette petite combinaison de sorts « Explosion polaire. »
« Haa-choo ! »
L’air ici était si froid que j’avais l’impression de prendre froid moi-même, mais j’avais parfaitement réussi ce que je m’étais fixé comme objectif. Frissonnant et éternuant, la femme en bikini fit un geste frénétique à ses amis pour leur demander un manteau. J’étais maintenant hors de danger. Une fois ces seins cachés à la vue de tous, il n’y avait aucun moyen pour elle de prendre le dessus sur moi. Il ne me restait plus qu’à assommer tout le monde et à m’enfuir…
« Je suis là, les gars ! Désolé de vous avoir fait attendre ! »
… ou du moins, c’est ce que je pensais, jusqu’à ce que mon nouveau challenger fasse irruption.
L’homme dans l’embrasure de la porte me semblait familier. Quelque chose dans son visage me faisait ressentir une sorte de… nostalgie. J’avais déjà vu ce type quelque part, non ? Mais où ? Il ne venait pas à moi.
« Tch. Ce petit voyou est vraiment une nuisance, hein ? Hic… Reculez, tout le monde ! Aucune raison de se liguer contre un morveux… Je vais l’abattre personnellement. »
L’homme était évidemment confiant dans ses compétences, mais il semblait également être ivre. Même de loin, je pouvais le voir avancer de façon instable, et son visage était teinté de rouge.
Franchement. Plus je regardais ce type, plus il me semblait familier. Avec ses cheveux bruns et son visage un peu voyou, il ressemblait un peu à Paul… En y réfléchissant, il lui ressemblait vraiment beaucoup. Oui. Si vous mettiez Paul au pain sec et que vous ne le laissiez pas dormir pendant quelques mois, il finirait probablement par ressembler à ça. Cela m’avait fait hésiter à lancer des attaques sérieuses sur ce type.
Mais bien sûr, il n’était pas question que mon père traîne avec une bande de kidnappeurs à Millis.
« Hé, toi ! Tu pensais que tu pouvais juste débarquer ici et frapper mes gens, hein ? Eh bien, je vais vite te le faire regretter ! »
L’homme s’était avancé devant son groupe, cracha quelques mots enflammés dans ma direction et sortit une paire d’épées de leur fourreau. Toute personne capable de manier l’épée avec habilité devait être un maître épéiste. Rien qu’à sa position, j’avais eu le sentiment qu’il était à un tout autre niveau que la dame en bikini. Est-ce que Canon de Pierre allait être suffisant pour en finir avec lui ?
Hmm… Je ne veux cependant pas vraiment utiliser quelque chose qui pourrait tuer le gars…
Sentant peut-être mon hésitation, l’homme s’était brusquement avancé.
« Wah... ! »
Il m’avait un peu pris au dépourvu, mais j’avais réussi à lancer tardivement mon Canon de Pierre. L’homme avait réagi instantanément, en tournant l’épée de sa main droite en diagonale pour dévier le projectile.
« Style du Dieu de l’eau, hein !? »
« Ce n’est pas tout ce que j’ai à offrir, mon pote ! »
Il était presque au-dessus de moi maintenant. Par pur réflexe, j’avais déclenché une onde de choc et m’étais envoyé en arrière dans les airs.
« Ha ! »
« Wow ! »
J’avais activé mon Œil de la Clairvoyance pour jeter un coup d’œil dans le futur afin de m’aider à éviter ses attaques ultérieures. L’homme était rapide avec ses épées, mais son jeu de jambes semblait un peu négligé. C’était probablement lié à l’alcool qu’il avait dans son organisme. Après tout, peut-être que je pourrais faire ça.
« Tch ! Il bouge comme ce gamin, bon sang… Vierra ! Shierra ! Venez me donner un coup de main ! »
Juste comme ça, la dame en bikini et son amie magicienne s’étaient à nouveau avancées. Qu’était-il arrivé à l’idée de me faire tomber tout seul ? De toute façon, quel genre d’homme es-tu ? !
La femme guerrière, maintenant couverte d’un manteau, tourna autour de moi. Et la magicienne commençait déjà à chanter une autre incantation. Ce n’était vraiment pas bon. Les attaques de l’homme étaient féroces et persistantes, et j’avais déjà bien de la peine à les esquiver toutes.
Heureusement, j’avais encore un ou deux tours dans les manches.
« Wah ! »
« Argh ! »
En utilisant la magie vocale des races bestiales, j’avais arrêté les mouvements de l’homme pendant un instant, me donnant le temps de l’envoyer voler avec une onde de choc rapide.
« Canon de Pierre ! »
En surveillant l’homme qui tombait en arrière, j’avais lancé un sort d’attaque rapide sur la magicienne. Ensuite, au moment où la femme en bikini se jetait sur moi avec son épée, j’avais utilisé mon œil de la clairvoyance pour éviter la frappe et obtenir une solide contre-attaque.
Le magicien étant concentré sur son incantation, mon sort l’avait frappée de plein fouet et l’avait rendue inconsciente. La guerrière tituba en arrière, mais elle n’était pas encore mise KO, à en juger par la fureur dans ses yeux.
Et bien sûr, à ce moment-là, l’homme revint vers moi.
« Shierra ! … Tu vas payer pour ça, petite merde ! »
Juste au moment où il fit un pas en avant, j’avais transformé le sol en dessous de lui en une petite parcelle de marécage boueux. Son pied plongea droit dedans, et il tomba maladroitement en avant sur le sol.
« Capitaine ! »
Pendant un moment, les yeux de la guerrière étaient tournés vers lui plutôt que vers moi. Mauvaise idée. Sans un mot, j’avais lancé un autre Canon de Pierre droit sur elle.
« Ah ! »
Deux en moins, plus qu’un.
« Vierra ! Bon sang ! »
Replaçant l’une de ses épées dans son fourreau, l’homme enfonça l’autre dans sa bouche. J’avais activé mon œil de la clairvoyance.
L’homme me court après à quatre pattes.
Ce type était un chien ou quoi ?
J’avais lancé plusieurs sorts Canon de Pierre pour le tenir à l’écart et j’avais reculé pour mettre plus de distance entre nous. Malheureusement, cet entrepôt n’était pas particulièrement grand. Il n’y avait pas de moyen facile de l’empêcher de combler l’écart.
« Raaaah ! »
En se tordant étrangement, l’homme sauta du sol. Il réussit à tirer l’épée à sa hanche, alors même qu’il se jetait sur moi comme un animal. Ses attaques étaient rapides et furieuses, à partir de positions si étranges que je n’avais jamais su à quoi m’attendre.
L’homme saisit l’épée dans sa bouche avec sa main gauche et la brandit en dessous.
Quel geste bizarre !
Ce type avait défié mes attentes chaque fois. Sans l’Œil de la Clairvoyance, je n’aurais jamais réussi à éviter cette dernière. En fait, sa lame m’avait effleuré le bout du nez. La coupure me donnait des frissons douloureux.
« … »
Mon cœur battait dans ma poitrine. Je n’essayais pas de tuer cet homme, mais il avait l’intention de m’ôter la vie. Pour une raison quelconque, ça n’avait pas vraiment marché jusqu’à ce moment. Cela aurait dû être évident dès le début. Si je n’avais pas donné tout ce que j’avais, je n’aurais pas pu sortir de cet entrepôt vivant.
J’avais serré les dents et je m’étais mis dans une position accroupie. J’avais repensé à ma formation avec Ruijerd et Éris. Le style féroce et bestial de cet homme était probablement proche de la façon dont Ruijerd attaquait lorsqu’il s’amusait dans les donjons, mais ses mouvements n’étaient pas aussi rapides ni aussi parfaits que ceux de Ruijerd. Le facteur de bizarrerie était son principal avantage. Je pouvais le faire.
La prochaine fois qu’il se jettera sur moi, je recevrai une contre-attaque et…
À ce moment-là, j’avais réalisé que l’homme avait cessé de bouger.
Un moment plus tard, j’avais remarqué que la culotte que je portais sur la tête était maintenant étendue sur le sol de l’entrepôt.
Merde, ce n’était pas bon. Ils voyaient mon visage…
« C’est… toi, Rudy ? »
Rudy ?
Il n’y avait qu’un seul homme qui m’appelait par ce nom.
Et cette voix… ce n’était plus cette voix rauque d’un ivrogne en colère. Soudainement, elle m’avait semblé très familière.
« … Père ? »
◇ ◇ ◇
Depuis la dernière fois que je l’avais vu, Paul Greyrat avait manifestement subi une transformation.
Son visage était décharné, il y avait des poches sous les yeux et des poils sur les joues. Ses cheveux n’étaient pas soignés, et son haleine empestait l’alcool. À tous les égards, mon père avait l’air d’une vraie loque. La différence avec l’homme dont je me souvenais était… dramatique, c’est le moins qu’on puisse dire.
Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.