Mushoku Tensei (LN) – Tome 4 – Chapitre 2

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Chapitre 2 : Rencontre manquée

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Chapitre 2 : Rencontre manquée

Partie 1

Le lendemain, j’étais sorti et j’avais chargé mes bras avec de la nourriture de l’un des stands avant d’errer un peu dans les ruelles. La nourriture avait été rôtie et mise en brochette. Il y avait des pétoncles semblables à ceux que nous avions au Japon, un poisson semblable au chinchard et quelques autres créatures marines que je ne pouvais pas identifier. Le propriétaire de l’étalage n’avait pas précisé quelles étaient ses marchandises, et les étalages de rue en avaient une variété. J’avais donc décidé d’acheter ce qui était le plus facile à transporter.

J’avais trop réfléchi la dernière fois que l’Homme-Dieu m’avait donné un conseil. Tout comme un cuisinier amateur ajoute trop d’ingrédients à un plat, trop réfléchir m’avait mis réellement dans la merde. Cette fois, j’allais suivre son conseil à la lettre. Je suivais ses instructions sans réfléchir, j’achetais la nourriture qu’il me demandait, puis je me frayais un chemin sans réfléchir à travers n’importe quel événement qui allait se produire dans l’allée du fond. C’était un jeu de rôle. Ce qui allait se passer à partir de maintenant ne sera pas du tout planifié. Je ne réfléchirais pas trop, j’agirais avec la plus grande simplicité d’esprit possible. Cet abruti aimait le divertissement. Il comptait sur moi pour repenser les choses. Tant que je ne faisais pas ça, il ne serait pas diverti.

Ces pensées me préoccupaient alors que j’errais sans but pendant plusieurs minutes. C’était à ce moment que je me suis rendu compte de quelque chose.

« Attendez, n’est-ce pas exactement ce qu’il attend ? »

J’avais été trompé ! Il m’avait guidé avec son discours impressionnant et maintenant j’étais sur le point de faire exactement ce qu’il voulait que je fasse. Je m’étais énervé à partir du moment où j’avais réalisé cela. Je dansais dans la paume de sa main.

Souviens-toi de son intention originelle, m’étais-je dit. Souviens-toi de ce que tu as ressenti la première fois que tu l’as rencontré. L’Homme-Dieu n’était pas quelqu’un en qui je pouvais avoir confiance.

D’accord, ce sera la dernière fois que je ferai ce qu’il me dit. Je suivrais ses conseils et verrais comment les choses se passeront cette fois-ci, mais il n’était pas question que je lui obéisse la prochaine fois. Il n’était pas question que je devienne sa marionnette et que je le laisse m’entraîner avec lui ! Point final !

◇ ◇ ◇

Je marchais dans l’allée. Tout seul, bien sûr.

De toute façon, pourquoi devais-je être seul ? C’était l’élément clé de son conseil cette fois-ci. Ce devait être quelque chose que Ruijerd et Éris n’approuveraient pas. Non, n’y pense pas trop, m’étais-je dit. Si tu veux penser à quelque chose, alors penses à quel point tu seras heureux si cela s’avère être quelque chose de sexy.

J’avais dit à Ruijerd et à Éris que je serais seul pour la journée. C’était dangereux de laisser Éris seule, alors j’avais confié sa protection à Ruijerd. Peut-être qu’ils étaient tous les deux partis voir la plage en ce moment.

« Attends… ce n’est pas un rencard ? »

Dans ma tête, je les avais vus tous les deux ensemble sur la plage juste avant que leurs silhouettes ne disparaissent à l’ombre d’un gros rocher.

Non, non, non ! Il n’y a aucune chance ! Calme-toi, d’accord ? C’est de Éris et Ruijerd qu’on parle, non ? Ce n’est pas un fantasme sexuel. Ce n’est rien de plus que du baby-sitting. Baby. Sitting!

Mais Ruijerd était après tout très fort, et Éris semblait le respecter beaucoup ! Dernièrement, elle me traitait comme un maître de chenil.

Non, non, pourquoi paniques-tu ? Je m’étais réprimandé. Respire profondément, tout va bien. Monsieur Ruijerd, ne me dis pas que tu veux la violer, hein ? Je n’ai pas à m’inquiéter, hein ? Quand j’y retournerai, vous ne vous serez pas mystérieusement rapprochés l’un de l’autre, non ? Je vous fais confiance, d’accord !?

Dans ma tête, j’avais simulé un combat entre Ruijerd et moi. Je ne pouvais pas gagner au combat rapproché. Si je voulais m’occuper de lui, je devrais commencer quelque part en dehors de sa zone de détection. Alors je devrais utiliser de l’eau pour l’achever. Après tout, il s’était opposé quand on avait voulu se rendre sur la plage. Je l’attaquerais avec de l’eau pour me venger de ça. Si je produisais une énorme quantité d’eau, je pourrais l’emporter jusqu’à l’océan. Et ce sera fini ! Il pourrait dériver en mer jusqu’à ce qu’il se noie. Mwahahaha !

Attendez, ne vous méprenez pas. Je faisais confiance en Ruijerd. C’était juste que, eh bien, vous connaissez ce dicton. L’amour est un champ de bataille, non ?

◇ ◇ ◇

Les ruelles étaient calmes. Dans mon esprit, le mot « ruelle » était associé à cette image négative d’une bande de personnages sans scrupules réunis en un seul endroit. En réalité, des garçons tendres et innocents comme moi risquaient d’être kidnappés pour avoir marché dans un endroit comme celui-ci. Dans ce monde, l’enlèvement était l’une des formes de criminalité les plus courantes pour gagner de l’argent. Bien sûr, si quelqu’un était assez stupide pour me kidnapper, je lui écraserais les bras et les jambes afin de lui arracher son adresse, puis je prendrais tout ce qui avait de la valeur chez lui avant de le livrer aux autorités.

« Heh heh heh heh. Petite fille, si tu viens avec moi, je te donnerai assez de nourriture pour te rassasier. »

Comme par enchantement, une voix se fit entendre dans une ruelle. J’avais rapidement jeté un coup d’œil dans sa direction et je vis un homme à l’air sombre tirer sur la main d’une fille qui était affalée contre le côté d’un immeuble.

Il était facile de déduire ce qui se passait. Celui qui bougera en premier gagnera. Je m’étais donc équipé de mon bâton. Puis j’avais créé un canon de pierre modifié avec la vitesse et la puissance d’un coup de poing d’un boxeur et je l’avais dirigé vers le dos de l’homme. J’avais réussi à limiter la puissance de mes sorts l’année dernière.

« Yowch !! »

Alors qu’il regardait par-dessus son épaule, j’avais tiré une autre balle. Cette fois, je l’avais un peu renforcée.

« Gah ! »

Avec un violent bruit sourd, le sort lui frappa le visage. La balle se fragmenta et s’effondra au sol. L’homme tituba et trébucha avant de s’effondrer. J’étais sûr qu’il n’était pas mort. J’avais fait du bon travail en limitant mon pouvoir.

« Ça va, jeune fille ? »

J’avais essayé d’avoir l’air aussi cool que possible en tendant la main à la fille qui avait failli être kidnappée.

« Oui… »

Elle était jeune et vêtue d’une tenue de cuir noir révélateur : des bottes à hauteur du genou, un pantalon coupe-vent et une camisole. La peau pâle de sa clavicule, sa taille fine, son nombril et ses cuisses étaient exposés. En plus de tout cela, elle avait des cornes semblables à ceux d’une chèvre et des cheveux volumineux, ondulés et pourpres.

D’un seul regard, je savais que c’était une succube. Une jeune en plus. Il ne faisait aucun doute qu’elle était plus jeune que moi. C’était peut-être une façon pour l’Homme-Dieu de me récompenser pour mon dur labeur. Après tout, peut-être qu’il avait un peu de bon sens en lui.

Non, attendez, ce n’était pas un succube. Pour autant que je sache, il n’y avait pas de succube parmi les races de démons. Si je me souvenais bien, les succubes habitaient le continent Begaritt. Paul avait l’air exceptionnellement tendu quand il m’avait dit :

« Notre race n’a aucune chance contre eux. »

Même moi, je serais sûrement impuissant face à une succube si j’en rencontrais une. Les succubes étaient l’ennemi naturel de la famille Greyrat.

Cela mis à part, il n’y avait pas de monstres dans la ville. En d’autres termes, ce n’était pas une succube. C’était juste une gamine démoniaque dans des vêtements minces.

« Toi… oui toi, qu’est-ce que tu as… ? »

Elle tremblait comme un faon.

« Cet homme est… Il est… ! »

Il y avait sur son visage un regard d’incrédulité total. Un regard disant : ô, mon Dieu, qu’est-ce que tu as fait !?

« Ah, désolé. Tu le connaissais ? » Avais-je demandé, tout en inclinant la tête.

Le regard de cet homme âgé ne m’avait pas donné l’impression qu’il connaissait cette gamine. Si je devais le décrire, c’était plutôt le regard d’un homme qui avait dépassé la fleur de l’âge et qui se fait exciter par une petite fille. Regardez-le, ce visage roux était déformé par un sourire alors qu’il était inconscient. Je n’avais aucun doute sur le fait qu’il l’emmènerait à la maison, lui fournirait un repas somptueux et la mettrait au lit, mais en retour, il s’attendrait à une longue et chaude nuit.

« J’ai mal au ventre à cause de la faim… et cet homme allait me fournir un repas. »

Un gargouillement bruyant ponctua sa phrase, assez fort pour qu’il puisse être le signe avant-coureur d’un tremblement de terre. Quand le bruit s’arrêta, les genoux de la fille s’effondrèrent sous elle et elle se recroquevilla.

« Est-ce que ça va ? »

Je m’étais agenouillé et je l’avais prise dans mes bras. Elle ne s’enfuyait pas. Ne vous méprenez pas, le seul but de ma présence ici était de suivre les conseils de l’Homme-Dieu et de la sauver. Je n’étais pas du même genre que ce pervers.

« Ça fait 300 ans que je n’ai pas repris connaissance. S’évanouir dans un endroit comme celui-ci est inconcevable. Laplace ne doit jamais le savoir. »

J’avais l’impression d’avoir trébuché sur le tournage d’un mini-feuilleton. Cette apparition était-elle en fait un cosplay ou quelque chose du genre?

« De toute façon, mange ça et récupère un peu de tes forces. »

J’avais fourré trois des brochettes frites que j’avais achetées dans sa bouche.

Munch, munch. Dès qu’elles étaient entrées dans sa bouche, ses yeux s’ouvrirent et restèrent comme ça pendant qu’elle dévorait la viande en quelques secondes. Puis elle m’arracha les autres brochettes. J’en avais douze au total, mais en un claquement de doigts, elle en avait déjà mangé dix.

« Wh-whoa ! Délicieux ! C’est la première chose que je mange en un an et c’est si bon ! »

La fille semblait s’en être remise. Elle sauta en l’air de sa position couchée, faisant une seule rotation avant d’atterrir sur ses pieds. Elle était inopinément en forme.

« Un an ? Je ne sais pas quelles sont tes circonstances, mais c’est un peu extrême. »

Ce n’était pas comme si elle était un isopode géant qui pouvait vivre des années sans manger et ne pas mourir de faim.

« Hm ? Ce n’est pas comme si j’avais compté les lever et coucher de soleil, mais comme j’avais l’estomac vide, ça devrait être une bonne estimation. »

Uh-huh. Donc elle n’avait donc probablement pas mangé depuis deux jours.

« Quoi qu’il en soit, tu m’as sauvée ! Toi ! Je peux sûrement tenir un an de plus avec ça ! »

La jeune fille avait finalement croisé mon regard. Elle avait des yeux mal assortis, un violet et un vert. Cela devait être un autre aspect de son cosplay. Non, les verres de contact colorés n’existaient pas dans ce monde, c’était peut-être la couleur naturelle de ses yeux.

« Oh ? » Son œil droit s’était retourné et était devenu bleu. Dégueux !

« Whoa! Whoa! Qu’est-ce qui ne va pas chez toi, tu es horriblement dégoûtant ! Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est !? Ahahahahaha ! Je n’avais jamais vu cela auparavant », cria-t-elle avec beaucoup trop d’excitation en me regardant en face.

Euh ouais, inutile de dire que c’était un choc. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu quelqu’un me regarder en face et me traiter de dégoûtant. Mais j’avais pensé la même chose quand je l’avais regardée. Au moins, on était quittes.

« Est-ce que c’est possible ? Étiez-vous deux dans le ventre de ta mère, mais que l’autre soit mort quand tu es né, c’est ça ? »

… Hein ? De quoi diable parlait-elle ?

« Non, je ne pense pas que ce genre de chose soit arrivé. »

« Es-tu sûr ? »

« Oui. »

« Mais ta réserve de mana… est plus grande que celle de Laplace. »

Mon quoi était plus grand que qui ? Je n’avais aucune idée de quoi elle parlait. Avec sa façon bizarre de parler et ses yeux bizarres, cette gamine était une déception.

« Cela mis à part, donne ton nom ! »

« Rudeus Greyrat. »

« Très bien ! Je suis Kishirika Kishirisu ! On m’appelle le Grand Empereur du Monde des Démons ! »

Elle poussa fièrement ses hanches vers l’avant, ses mains perchées sur sa taille.

Ses cuisses étaient apparues si soudainement devant moi que j’avais sorti ma langue sans réfléchir.

« Aaaaaah ! Qu’est-ce que tu fais !? C’est dégoûtant ! »

Elle tourna les orteils vers l’intérieur et frotta vigoureusement ses cuisses ensemble là où je l’avais léchée, avant de me regarder fixement.

***

Partie 2

Mais maintenant, j’avais compris. Le Grand Empereur du Monde des Démons Kishirika Kishirisu était un nom que j’avais déjà entendu : l’immortel Empereur Démon qui avait mené les démons dans la Grande Guerre Homme-Démon, uniquement pour subir une défaite écrasante.

Était-ce la vraie ? Après tout, j’étais venu ici sur le conseil de l’Homme-Dieu. Il était possible qu’elle soit vraiment celle qu’elle prétendait être. Pourtant, comment aurait-elle pu être ici, dans la ruelle d’une ville en bordure du continent Démon, sur le point de mourir de faim ? C’était peu probable, peu importe la façon dont on y réfléchissait.

Ah, c’était probablement ça, avais-je réalisé. Les enfants de ce continent aimaient prétendre être l’un des grands héros du passé. Le plus populaire de ces personnages était le Dieu Démon Laplace. C’était écœurant pour moi depuis que je connaissais la vérité sur lui, mais il était populaire. Même s’il avait perdu la guerre, il avait réussi à subjuguer toutes les tribus du continent et avait donné à son peuple un endroit fixe qu’ils pouvaient appeler chez soi, leur apportant ainsi la paix. Il était considéré comme l’un des plus grands démons de l’histoire. Les enfants jouèrent souvent ses histoires, en particulier l’épisode où il s’était battu contre un roi démon immortel. C’était celui que j’avais vu plusieurs fois sur le chemin de Port Venteux.

J’avais supposé que le Grand Empereur du Monde Démon, Kishirika, était un autre des grands personnages de l’histoire, mais je n’avais jamais vu d’enfants prétendant être elle avant. Cette fille devait être une fan passionnée du Grand Empereur. Et elle n’avait pas d’amis avec qui jouer, c’était pourquoi elle était toute seule dans une ruelle comme celle-ci. C’était la façon la plus logique d’interpréter la situation.

Hm. C’était si triste de jouer tout seul. Je n’avais donc pas le choix, je devais jouer le jeu.

« A-ah, oui ! Quelle impolitesse de ma part, Votre Majesté ! »

J’avais réagi à son introduction avec beaucoup d’exagération et m’étais agenouillé comme si j’étais l’un de ses serviteurs.

« Oh? Ooh oui! Très bien très bien! C’est la réaction que j’attendais! Vois-tu, les jeunes de nos jours n’ont plus de manières ! »

Elle hocha la tête avec satisfaction.

Oui, je le savais. Elle voulait vraiment que quelqu’un joue à ça.

« Quel imbécile j’étais pour ne pas avoir réalisé que tu étais ressuscité ! S’il te plaît, pardonne-moi mes mauvaises manières! »

« Très bien. Tu m’as sauvé la vie. J’accorderai tout ce que tu ce que tu désires, mais un seul. »

Sa vie? Je n’ai fait que lui donner à manger, car elle avait faim.

« Euh… que dirais-tu d’une abondance de richesse! »

« Imbécile! Tu peux voir que je suis sans le sou! »

Mais elle avait dit que je pouvais demander n’importe quoi ! Non, attendez, ça faisait peut-être partie du numéro. Il y avait peut-être eu un épisode où quelqu’un avait demandé de l’argent au Grand Empereur afin qu’elle puisse répondre qu’elle n’en avait pas.

« Très bien, dans ce cas donne-moi la moitié du monde, s’il te plaît. »

« Quoi!? La moitié du monde, dis-tu!? C’est énorme! Pourtant, tu l’as dit sans conviction. Pourquoi seulement la moitié? »

« Oh, c’est parce que je n’ai pas besoin des hommes. »

Oh merde, j’avais laissé accidentellement mes vrais sentiments surgir là. Ce n’était pas quelque chose qu’elle était supposée entendre.

« Je vois, c’est ce que tu veux. Tu es peut-être jeune, mais tu es lubrique. Je m’excuse quand même. Même moi, je n’ai pas réussi à prendre le monde pour moi. »

Il était vrai que Kishirika avait perdu toutes les batailles qu’elle dirigeait.

« Très bien, je vais donc me contenter de ton corps. S’il te plaît, paye-moi avec ton corps. »

« Ohh? Mon corps? Le fait que tu sois aussi plein de convoitise à ton âge me préoccupe pour ton avenir. »

« Ha ha, bien sûr, je ne fais que plaisanter. »

Alors que j’essayais de lui dire que je plaisantais, elle attrapa son pantalon.

« Oh bien, je suppose que je ne peux rien y faire. C’est la première fois depuis que je ressuscite, alors sois gentil avec moi, d’accord? »

Hein? Sérieusement? Je disais ça pour plaisanter. Non, attends! Il était maintenant trop tard pour lui dire que je ne faisais que plaisanter. Je devrais simplement observer comment elle se révélait, puis refuser en affirmant que j’étais indigne de Sa Majesté.

« Ah, non, je ne dois pas faire ça. »

Avant que j’aie pu faire ça, Kishirika s’était arrêtée.

« J’ai déjà un fiancé. Vraiment désolé, mais je ne peux pas faire ça. »

La peau qu’elle avait exposée disparut quand elle remonta son pantalon. C’était comme si elle jouait avec mon pauvre cœur pur.

Bref, c’était non pour l’argent, non pour le monde et non pour son corps.

« Très bien, alors que peux-tu faire ? » Avais-je demandé.

« Imbécile ! Je suis Kishirika, Grand Empereur du Monde des Démons ! Ce que je vais te donner n’est-il pas évident ! Des yeux de démon ! »

Alors, c’était ça. Je ne connaissais pas bien la mythologie héroïque de ce monde. En y repensant, Ghislaine n’avait-elle pas aussi un œil de démon ?

« Par “yeux de démon”, veux-tu dire des yeux qui peuvent voir la ligne de vie d’une personne ? Une ligne qui, si elle est coupée, tuera la personne avec une certitude absolue ? »

« Quelle horreur ! Qu’est-ce que c’est que ce pouvoir !? Je n’ai rien d’aussi terrifiant que ça ! »

Donc ce n’était pas ça. La seule autre sorte d’œil de démon que je connaissais était celle qui transformait la personne que vous regardiez en pierre. Je m’étais dit que les yeux qui tiraient des rayons ou des lasers ne pouvaient pas être considérés comme des yeux de démon.

« Pour que tu convoites un pouvoir si dangereux… Dis-moi, en veux-tu à ce point à quelqu’un ? » demanda-t-elle.

« Non, pas vraiment. »

« Rien de bon ne vient de la vengeance. J’ai été tuée deux fois, mais je n’en veux pas à ceux qui m’ont tuée maintenant. Une rancune est une chaîne qui vous pèse. C’est ce qui a déclenché la Grande Guerre des Démons Humains. »

Je me faisais faire la leçon par une petite fille ! Ce n’était pas comme si j’avais prévu de cibler un vampire quelque part et de le découper en morceaux.

« Pour être honnête, je ne connais pas grand-chose aux yeux de démons. Quels sont les types ? », avais-je dit.

« Hm, comme je ne suis revenue à la vie que récemment, je n’en possède pas tant que ça, mais il y a des Yeux de pouvoir magique, des Yeux d’identification, des Yeux de vision aux rayons X, des Yeux de vision lointaine, des Yeux de vision prospective et des Yeux d’absorption… Des choses comme cela. »

Ce n’était que des noms.

« Peux-tu m’expliquer ce que chacun d’eux fait ? »

« Hm ? Tu veux dire que tu ne le sais pas ? Honnêtement, les jeunes de nos jours ne passent pas assez de temps sur leurs études… »

Malgré ces plaintes, elle avait commencé son explication.

« D’abord, tu as les Yeux du Pouvoir magique. Avec ceux-ci, tu peux voir le mana directement. Ce sont les plus courants. Une personne sur dix mille en possède un. »

« Ah, le plus populaire à l’époque, hein. »

« Les yeux d’identification. Tu peux les utiliser pour identifier les objets et leurs détails. Cependant, ils ne peuvent te donner que les informations que je connais. Tout ce que je ne connais pas sera considéré comme inconnu. »

« J’ai compris. C’est un peu comme un dictionnaire. »

Elle continua.

« Les yeux de la vision aux rayons X. Ces yeux peuvent voir directement à travers des objets comme les murs. Tu ne pourras pas voir à travers des créatures vivantes ou dans des endroits ayant une forte concentration de mana. Mais tu pourrais t’en servir pour voir toutes les filles nues. C’est parfait pour un pervers comme toi, non ? »

« Tant que je ne vois pas que des os », avais-je paniqué.

« Les yeux de vision lointaine. Ils peuvent voir les choses de très loin. C’est cependant difficile de se concentrer sur les choses. Bien que tu puisses voir les choses de loin, tu ne pourras rien faire pour influencer ce qui se passe, alors je ne te les recommande pas. »

« Inutile de regarder si tu ne peux pas toucher », avais-je accepté.

« Les yeux de vision prospective. Ceux-ci peuvent voir des choses qui se produiront quelques instants à l’avance. Ils sont difficiles à mettre au point, mais je te les recommande. »

« Les entreprises qui aiment avoir une longueur d’avance adoreraient quelque chose comme ça. »

« Les yeux d’absorption. Ces yeux peuvent consommer du mana. Cela inclut les manas que tu utilises, donc je ne les recommande pas vraiment. »

« Consommer et récupérer, hein ? »

Kishirika était très bien informée. Elle avait dû apprendre tout ça quelque part. Peut-être que ses parents étaient bien éduqués. Ou peut-être qu’il y avait un livre sur tous les types d’yeux de démons.

« D’accord, alors j’en prends deux pour que mes deux yeux soient des yeux de démon. »

« Tu en veux deux dès le début ? Tu es plus avide que tu n’en as l’air. » Dit-elle.

« Viens, je vais te donner une autre brochette de viande. »

J’avais tendu mes deux dernières brochettes et elle les prit avec un large sourire.

« Yaay ! Non, non… Tu sais, ça ne me dérange pas de te donner deux yeux de démon, mais je ne te le recommande pas. »

« Pourquoi ? » avais-je demandé.

« Tu ne pourras pas les utiliser constamment. La plupart des gens couvrent généralement leur œil de démon avec un cache-œil. Si tu as deux yeux de démon, tu ne pourras plus rien voir. »

« Ahh, maintenant que tu en parles, je connais quelqu’un qui utilise un cache-œil. »

Mon maître-épéiste Ghislaine en portait un. J’avais découvert plus tard que ce n’était pas parce qu’elle avait perdu un œil, mais parce qu’elle avait un œil de démon.

« Aussi, une personne qui vit plusieurs centaines d’années pourrait être capable de contrôler deux yeux de démon à la fois, mais un enfant comme toi se casserait la tête à essayer. »

Je perdrais donc la tête ? Les utiliser avait donc un impact sur le cerveau. Effrayant.

« Très bien, dans ce cas je n’en prendrais pas deux. »

« C’est préférable. Eh bien, qu’est-ce que ce sera ? Je te recommande l’œil clairvoyant. »

Des yeux de démon, hein ? Si j’en obtenais vraiment un, qu’est-ce que je préférerais avoir ? J’avais beaucoup réfléchi à chacun d’eux, mais ils avaient tous leur utilité. L’œil pour le pouvoir magique semblait un peu inutile. Cela pourrait être utile, mais bon nombre de personnes semblaient en avoir un. Si j’en voulais un, j’en voulais un qui me semble plus unique.

Je n’avais pas vraiment besoin d’un œil d’identification. Ne pas savoir ce que sont les choses n’était pas un si grand inconvénient. D’ailleurs, tout ce que le Grand Empereur démoniaque ne savait pas serait répertorié comme inconnu. Je pouvais imaginer qu’il me sera inutile au moment où j’en avais vraiment besoin.

Je n’avais pas vraiment besoin d’un Oeil de la vision aux rayons X, non plus. Cela prendrait un certain temps avant que je puisse le contrôler correctement, et je m’imaginais devoir voir Ruijerd nu tout ce temps.

***

Partie 3

L’Oeil de la vue lointaine pourrait être bénéfique, mais pour le moment, je n’en avais pas envie. Je pouvais déjà deviner ce que Ruijerd et Éris faisaient sans vision lointaine, mais si j’en avais une, je verrais probablement Éris menacer quelqu’un pendant que Ruijerd essayait de l’arrêter.

Quant à l’Oeil clairvoyant, j’avais certainement compris pourquoi elle l’avait recommandé. C’était vrai que je ne pouvais pas battre Éris ou Ruijerd en combat rapproché en ce moment. Les créatures (et les gens) de ce monde étaient après tout rapides. Être capable de voir l’avenir ne serait-ce que quelques secondes seraient un énorme avantage pour moi.

L’Œil d’absorption était naturellement hors de question. Cela tuerait les avantages que j’avais en tant que magicien. C’était quand même bon de savoir qu’un tel œil de démon existait. Sinon, j’aurais paniqué si j’avais rencontré quelqu’un qui aurait pu rendre ma magie complètement inefficace.

Peu importe lequel je choisissais. Ce n’était qu’un jeu de toute façon.

« Très bien, donne-moi celui que tu m’as recommandé, l’Oeil de la Clairvoyance. »

« Es-tu sûr ? La plupart des gens ignorent mes recommandations et choisissent quelque chose d’autre pour eux-mêmes, en se disant : “Qu’est-ce qu’il y a de si bien dans le fait de pouvoir voir quelques instants dans le futur ?”. »

« Si tu peux voir ne serait-ce qu’une seconde dans le futur, tu peux contrôler le monde. »

Malgré tout, les épéistes de ce monde étaient rapides. Je ne pourrai peut-être pas les battre, même avec le pouvoir de la clairvoyance. Après tout, la longue épée de Lumière existait bien.

« Pas l’œil de la vision aux rayons X, hm ? Ne souhaites-tu plus voir toutes les filles nues ? »

Cette petite fille n’avait pas compris, n’est-ce pas ? Bien sûr, je pouvais voir le corps nu de n’importe quelle belle fille ou femme qui passait dans la rue et ça m’exciterait probablement. Mais c’était tout. J’en aurais vite marre de ça. De toute façon, ce qui me plaisait le plus, c’était la manière de les imaginer en train de se déshabiller.

« Je vois, je vois. Très bien, amène ton visage par ici. »

« D’accord. »

« C’est parti ! »

Squelch. Elle enfonça son doigt dans mon œil droit.

Une forte sensation de douleur me traversa.

« Gyaaaah ! »

Instinctivement, j’avais essayé de battre en retraite, mais Kishirika me rattrapa. Je ne pouvais pas bouger. Elle était plus forte que je ne le pensais.

Ça fait mal, ça fait mal, hurlait mon cerveau.

« Gaaaaah ! Qu’est-ce que tu fous, sale gosse !? »

« Oh la ferme. Tu es un homme, non ? Supporte un peu la douleur ! »

Elle avait mis ses doigts dans mon orbite comme si elle bricolait avec, puis les retira avec un pop ! J’étais complètement aveugle dans cet œil.

« L’iris de l’Oeil de la clairvoyance est un peu différent de ta couleur normale, mais les gens ne pourront pas faire la différence de loin. »

« Espèce d’abruti ! Il y a une différence entre ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire quand on joue ! »

« Je suis le grand empereur du monde des démons. Te donner un œil de démon n’est certainement pas un jeu. »

Merde, mon œil… Mon œil est… Aaaaaaaaah-attendez, quoi ? Je fis une pause dans ma confusion. Je pouvais voir. Mais j’avais l’impression de tout voir en double… ? Qu’est-ce qui se passait, bon sang ? Cela donnait la nausée.

« Selon la façon dont tu lui fourniras du mana, tu devrais être en mesure de le rendre aussi fin que possible. Eh bien, fais de ton mieux pour apprendre à l’utiliser. »

« Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? »

« Je dis que tout dépend de toi. »

Kishirika semblait satisfaite d’elle-même, même si ses paroles me laissaient perplexe. J’avais vu une image postérieure de son hochement de tête, et à l’intérieur de cette image postérieure se trouvait une ombre épaisse. Qu’est-ce que c’était ?

« Très bien, donc tu peux le voir. Alors, je m’en vais. Je dois chercher Badigadi. J’ai beaucoup apprécié la nourriture. »

Une fois qu’elle avait fini de parler, elle sauta dans les airs et atterri sur le toit au-dessus avec un bruit sourd.

« Adieu, Rudeus ! Bwahahahahaha ! Bwahahahahahah-gah ! »

Il y eut un effet Doppler au moment où elle était partie, le son de son grand rire s’estompant graduellement. Je l’avais écouté avec stupéfaction.

« Attendez… C’était la vraie ? »

Et c’était ainsi que j’avais obtenu l’Oeil de la clairvoyance.

◇ ◇ ◇

Un œil de démon. La plupart des gens seraient choqués de recevoir une telle chose si soudainement. Par hasard, elle se trouvait dans cette ruelle, et par hasard, elle me l’avait donné. C’était une telle tournure du destin, mon esprit n’avait pas compris ce qui se passait.

Cela mis à part, j’avais fait exactement ce que l’Homme-Dieu m’avait demandé. Donc ça voulait dire que les choses s’étaient passées exactement comme il le voulait. Cette pensée m’avait donné envie d’arracher l’œil et de l’écraser sous mes pieds. Je ne l’avais cependant pas fait, parce que ça semblait trop douloureux et effrayant.

En tout cas, j’étais retourné à l’auberge et j’avais maudit ma propre naïveté. Les gens qui se promenaient en ville étaient tous doublés. Quel était l’avenir, et quel était le passé ? Même si je pouvais le dire, les mouvements des gens étaient imprévisibles. Je n’arrêtais pas de les juger avec mes yeux tout en me cognant régulièrement contre eux.

« Tsk! Regarde où tu marches ! »

D’après l’apparence de l’homme, j’avais deviné que c’était un petit voyou. Il avait une barbe volumineuse sur le menton et une cicatrice sur le visage. Je n’avais pas eu l’impression que c’était un aventurier, mais plutôt un des nombreux ravageurs qui infestaient la ville.

« Oui, je m’excuse. Mes yeux ne sont pas en bon état. »

« Tes yeux ne sont pas en bon état, hein ? Alors, marche sur le bord de la route ! Connais-tu donc beaucoup des gens qui ne voient pas ou n’entendent pas bien s’excuser quand ils se promènent dans le coin ! »

Il essayait juste de se battre. Ses menaces étaient intimidantes, mais je pouvais dire qu’il n’était pas très en colère. Il était juste un peu irrité.

« Je ferai attention à partir de maintenant », avais-je dit.

« C’est ça, fais attention ! »

Je ne voulais pas que les choses s’aggravent, alors j’avais tenu ma langue et j’avais fermé les yeux.

Le voyou avait reculé d’un pas et cracha par terre avant de s’en aller. Puis il fit une pause.

« Tch… ah, c’est vrai, j’ai juste une question pour toi. As-tu vu un abruti bourré se balader par ici ? Il n’est jamais revenu hier. », dit-il

Je l’avais vu juste quand il m’avait regardé en arrière : un pot de fleurs allait se briser juste au-dessus de sa tête. Ce qui s’était passé ensuite avait été instantané. J’avais canalisé le mana avec ma main droite et je relâchais une magie du vent qui l’écarta du chemin.

« Gah ! »

Il fit un saut périlleux sur le sol, puis se mit sur ses pieds dans une position défensive. Il sortit son épée et la pointa vers moi.

« Bâtard, c’est quoi ce bordel ? »

C’était alors que le pot de fleurs s’écrasa contre le sol, se brisant. Nous avions tous les deux suivi sa trajectoire vers le haut. Une femme d’âge moyen nous regarda d’un air étonné.

« Je suis vraiment désolée ! Est-ce que ça va en bas ? »

« Ah, oui, on va bien ! »

Elle était retournée à la maison après que je lui ai répondu. Le regard du voyou vola entre moi, l’endroit où le pot était tombé et sa position actuelle. Il déglutit.

« À propos de cet ivrogne, il s’est évanoui dans l’une des ruelles. Il s’est sûrement disputé avec quelqu’un. Quoi qu’il en soit, je m’en vais. »

J’avais parlé aussi vite que possible avant de tourner le dos à la scène. Je ne voulais pas être plus impliqué avec ce voyou.

Après tout, cet œil semblait avoir son utilité, même si c’était une nuisance s’il causait constamment des problèmes de ce genre. Il fallait donc que je m’entraîne à le maîtriser rapidement.

◇ ◇ ◇

J’étais retourné à l’auberge. Quand j’avais dit à Éris et Ruijerd que j’avais rencontré le Grand Empereur du Monde des Démons, ils étaient tous les deux sidérés.

« Le grand empereur du monde des démons ? Je ne pensais pas qu’elle renaîtrait. »

Un rare regard de surprise se trouvait sur le visage de Ruijerd.

« Et je n’aurais jamais imaginé que j’aurais un œil de démon si soudainement. »

« Offrir des yeux de démon est un pouvoir que seul l’Empereur possède », expliqua-t-il.

Le Grand Empereur du Monde des Démons, Kishirika Kishirisu, était aussi connu comme l’Empereur Démon de la Résurrection. Un autre nom pour elle était l’Empereur Démon des Yeux de Démon. Apparemment, elle n’était pas très habile au combat, mais avec douze yeux de démon en sa possession, elle pouvait voir beaucoup de choses que la plupart ne pouvaient pas voir. Son pouvoir le plus redoutable était sa capacité à transformer l’œil d’une autre personne en œil de démon. C’était par ce pouvoir qu’elle avait donné des yeux démoniaques à tous ses disciples, leur donnant la capacité de régner sur toutes les tribus de démons. Il y avait même ceux qui étaient devenus ses disciples juste pour obtenir plus de puissance.

« Je me demande ce qu’elle faisait dans cette ville ? » avais-je dit.

« Qui sait ? Je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans l’esprit des Rois Démons ou des Empereurs Démons », dit Ruijerd avec un haussement d’épaules.

C’est vrai, pensais-je. Après tout, tu ne connaissais même pas les véritables intentions du Dieu Démon que tu as servi pendant tant d’années. Je n’avais pas l’intention de lui en dire autant, sachant que ça ne ferait que le déprimer.

Éris, quant à elle, avait les yeux rivés sur le titre « Le grand empereur du monde des démons ».

« C’est incroyable. Je veux aussi la rencontrer ! »

« Vraiment ? »

Éris et Kishirika. Quel genre de conversation auraient-elles toutes les deux si elles se rencontraient ? Même moi, j’étais un peu curieux. Aussi improbable que cela puisse paraître, elles pourraient trouver un terrain d’entente.

« Je me demande si elle est toujours en ville. »

« Je ne suis pas sûr », avais-je dit.

Qui sait ? Peut-être que si je retournais dans les ruelles demain, je la retrouverais évanouie par la faim. C’était un gag très plausible, vu son caractère. Mais quand même, c’était peu probable. Il semblait qu’elle cherchait quelqu’un, donc elle avait probablement déjà tourné la page. C’était comme si elle était une fille magique guidée par la Loi des Cycles, ou quelque chose comme ça.

« Je suis sûr qu’elle a probablement déjà quitté la ville. »

« Vraiment ? C’est dommage », dit Éris.

Elle irait probablement vérifier les ruelles demain de toute façon, malgré ce que j’ai dit.

« Quoi qu’il en soit, cela étant dit, je vais me terrer dans l’auberge. Vous êtes libres de partir tous les deux. »

Chacun d’eux fit un signe de tête.

***

Partie 4

Il m’avait fallu une semaine pour apprendre à utiliser l’œil démoniaque. Pour résumer, ce n’était pas si difficile. Vous pourriez contrôler l’œil par le mana. C’était très semblable à la façon dont j’utilisais la magie silencieuse, ce que j’avais fait plusieurs fois auparavant. Grâce au mana, vous pouviez contrôler ce que vous voyiez. J’étais confus jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait deux types de concentration. Puis, les choses s’étaient rapidement enchaînées.

L’un des types de focus contrôlait l’opacité. C’était équivalent au changement d’ombrage des fenêtres de dialogue dans un jeu érotique. Au début, il était tourné au maximum, de sorte que tout semblait entièrement doublé. J’avais rendu l’opacité aussi faible que possible. En canalisant le mana dans la partie interne de mon œil, j’avais pu affaiblir suffisamment ma capacité de clairvoyance pour voir le présent. J’avais donc ajusté l’opacité au point exact où elle n’était pas distrayante, mais quand même visible. Puis j’avais essayé de le maintenir comme ça. Si je perdais la mise au point ne serait-ce qu’une seconde, l’opacité changeait. Il avait fallu trois jours avant que je puisse maintenir la cohérence.

La suivante était la durée, ou plutôt la latence. Je pouvais changer la distance que je pouvais voir dans le futur en canalisant le mana au premier plan de mon regard. Le futur le plus éloigné que je pouvais normalement voir n’était que d’une seconde, mais avec l’utilisation du mana, je pouvais voir deux secondes ou plus dans le futur. Les choses s’estompaient en deux ou trois, comme la branche d’un arbre se séparant et représentant différentes possibilités.

Je pouvais voir jusqu’à trois ou quatre secondes avec plus de mana, mais si j’essayais de voir jusqu’à cinq secondes à l’avance, l’image se divisait et se brouillait tellement qu’elle me donnait mal à la tête. C’était représentatif du nombre de façons dont l’avenir pourrait changer. De plus, plus vous essayiez de voir loin dans le futur, plus cela vous mettait à rude épreuve. Kishirika avait même dit qu’avoir deux yeux de démon te paralyserait. C’était peut-être l’influence de tous ses yeux démoniaques qui l’avait fait passer pour une telle tête de mule.

Quoi qu’il en soit, je savais que je pouvais voir une seconde dans le futur en toute sécurité. Il m’avait fallu trois jours pour maîtriser cela, puis un jour de plus pour apprendre à contrôler les deux facteurs à la fois. Au total, il m’avait fallu sept jours pour apprendre les bases de l’utilisation de mon Œil de la Clairvoyance.

◇ ◇ ◇

Pendant que j’étais occupé à canaliser le mana dans mon œil et à le commander : fais ce que je te dis, Oeil de la Clairvoyance ! Éris et Ruijerd allaient quelque part ensemble tous les jours. À leur retour, Éris était toujours baignée de sueur tandis que Ruijerd semblait toujours aussi calme, ne transpirant qu’un peu plus que d’habitude. Que pouvaient-ils bien faire tous les deux pour être autant en sueur ? Et tous les jours, en plus !

« Pour votre information, j’aimerais vous demander. Qu’est-ce que vous faites tous les deux ? »

Éris était en train de tordre un chiffon trempé de sueur quand je le lui avais demandé.

« C’est un secret ! », répondit-elle.

Elle avait l’air de vraiment s’amuser.

Donc elle faisait quelque chose en secret qu’elle ne pouvait pas me dire ? Oh, j’ai compris. Une petite douceur d’après-midi, hein ? Je supposais que mon seul espoir d’action était de me noyer dans l’odeur de ce chiffon imbibé de sueur qu’elle tenait.

Ne vous méprenez pas, ça ne m’inquiétait pas trop. Ils étaient probablement en train de s’entraîner. Alors que son attitude aurait pu suggérer le contraire, Éris était en fait du genre à travailler dur en secret. Quand nous étions dans la région de Fittoa, elle faisait la même chose, s’entraînant souvent avec Ghislaine pendant ses jours de congé. À l’époque, quand je lui demandais ce qu’elle faisait, elle avait le même sourire sur son visage et disait : « C’est un secret ! » J’étais donc sûr qu’elle devait s’entraîner cette fois aussi.

Cette nuit-là, j’avais rêvé d’un trentenaire de trente-quatre ans qui me pressait la joue tout en me murmurant à l’oreille : « Désormais, ton surnom sera “pathétique perdant” ». J’avais pensé que c’était l’œuvre de l’Homme-Dieu. Ce salaud n’était vraiment bon à rien.

◇ ◇ ◇

Une semaine plus tard, j’informais Éris et Ruijerd de ma capacité à contrôler l’Œil de la Clairvoyance. Quand je l’avais fait, Ruijerd me suggéra ceci :

« Alors, pourquoi ne pas faire un combat avec Éris ? ».

Était-ce pour tester si cette chose était utilisable au combat ? Ou était-ce pour me montrer les résultats de son entraînement spécial ? Réaliser les deux à la fois serait une bonne affaire, alors j’avais accepté.

On s’était déplacé sur la plage. Ruijerd se tenait sur la ligne de touche pour observer pendant que nous prenions position l’un en face de l’autre, épées à la main.

« Crois-tu vraiment que tu puisses me battre maintenant juste parce que tu as cet œil de démon !? »

Éris se sentait particulièrement confiante aujourd’hui. Elle avait dû apprendre une nouvelle technique la semaine dernière.

Je voulais garder ce sourire effronté sur son visage.

« Non, c’est bon si je perds. Je veux juste savoir ce que je peux voir au milieu d’une bataille avec cet œil, c’est tout. »

C’était pour ça que je n’allais pas utiliser la magie aujourd’hui. Je voulais aussi voir les fruits de mon propre travail. J’avais ajusté mon œil pour pouvoir voir une seconde dans le futur. Le combat commença.

« Hmph, ça ressemble à quelque chose que tu dirais, mais… »

Je pouvais voir ce qu’elle allait faire même si elle parlait encore. Elle allait soudainement balancer son poing gauche vers moi. Si je n’avais pas eu cet œil, je n’aurais pas pu réagir à temps. Éris était naturellement douée quand il s’agissait de lancer des frappes préventives.

« Hah! »

« Oho! »

J’avais pu éviter son attaque. Je l’avais contrée en la frappant des mains sur le côté du visage.

Puis vint la vision suivante. Éris ne bronchera même pas, elle commencera plutôt un assaut d’attaques, avec l’épée dans la main droite. C’était le point fort d’Éris. Elle pourrait ignorer un certain nombre d’attaques et se lancer dans une offensive. Son bas du corps était si fort que la plupart des attaques ne l’ébranlaient pas. En fait, plus elle subissait de dégâts, plus sa rage s’intensifiait et plus ses attaques devenaient agressives.

« Tah ! »

« Très bien ! »

Je lui frappais fort l’avant-bras. Éris lâcha l’épée. Auparavant, j’aurais considéré la bataille terminée à ce moment-là. En lâchant ton épée, tu as perdu, du moins quand je m’entraînais avec Ghislaine. Cependant, j’avais pu voir de mes yeux que ce n’était pas encore fini.

Éris est déjà en train de lancer sa deuxième salve d’attaques.

En d’autres termes, ce n’était qu’une de ses feintes. Elle avait lâché l’épée pour que je baisse ma garde.

Elle va me frapper au menton avec son poing gauche.

En d’autres termes, elle avait délibérément lâché l’épée pour m’attirer dans un faux sentiment de sécurité, afin de pouvoir se lancer dans son style habituel de combat au corps à corps : le spécial coup de poing d’Éris Boreas.

« Quoi… ! »

« Tes jambes sont ouvertes. »

J’avais accroché mon pied autour du sien, la déstabilisant. Son poing avait glissé dans le vide et elle tomba au sol.

Pourtant, la bataille n’était pas terminée.

Elle va se rattraper avec ses mains, utiliser le rebond et un mouvement de torsion pour tourner, et s’accrocher à ma jambe droite.

« Uh-uh. »

J’avais reculé et, en même temps, j’avais baissé les genoux, l’épinglant pour qu’elle ne puisse plus bouger.

Grâce à la manière dont elle s’était tordue dans une tentative désespérée de me mordre, le corps d’Éris était tout tordu. Un bras était écrasé sous elle, tandis qu’une de ses jambes était pliée vers le bas. Je me demandais ce qu’elle allait faire ensuite, mais tout ce que je pouvais prévoir, c’était qu’elle se débattrait davantage.

« Ça suffit », cria notre arbitre.

Éris s’était affaissée, comme si l’énergie avait été drainée hors d’elle.

Ai-je gagné ? Ai-je vraiment gagné ? C’était la première fois que je battais Éris en combat rapproché et sans magie.

« J’ai échoué, hein… »

Éris avait un regard étonnamment calme sur son visage alors qu’elle me regardait.

Je l’avais lâchée. Elle s’était levée lentement et dépoussiéra sa tenue.

Elle va me frapper.

L’expression d’Éris s’était amoindrie quand j’avais arrêté son poing avec ma main.

« Je rentre chez moi ! » avait-elle déclaré haut et fort.

Ses épaules tremblaient en partant pour l’auberge.

L’ai-je vraiment énervée ? Je me le demandais. Non, ce n’était pas ça. Je lui avais probablement fait perdre confiance. Elle avait toujours eu du mal à me battre jusque-là. Tout à coup, j’étais devenu plus fort. Si j’étais à sa place, j’aurais probablement été aussi jaloux.

« Éris est encore une enfant », dit Ruijerd en la regardant partir.

« C’est normal pour son âge », répondis-je avant de le regarder en arrière.

Il me regarda dans les yeux tout en hochant la tête.

« Bon travail. »

« N’importe qui ayant un œil de démon pourrait faire ça. »

J’étais un peu plus en forme, mais il y avait des douzaines d’autres personnes dans ce monde qui avaient des capacités physiques similaires. Quiconque avait un œil de démon devrait pouvoir faire la même chose.

« Un œil de démon n’est pas quelque chose qu’une personne peut immédiatement maîtriser quand elle l’a. »

« Oh, vraiment ? »

« Il y avait un Superd dans ma troupe de combat qui avait un œil de démon. Il le surveillait constamment et n’arrivait jamais à le contrôler, pas même jusqu’au jour de sa mort. Il est étrange que tu puisses être capable de le contrôler après seulement une semaine. »

Oh, d’accord. D’accord, ouais. Oui, j’ai compris ce qu’il voulait dire.

Eh bien, j’avais travaillé très dur pour contrôler mon flux de mana, et je l’avais maîtrisé en seulement une semaine. Donc j’étais le seul capable de le contrôler aussi rapidement, hein ? Je vois, je vois. Mwahahaha !

« Je pourrais peut-être même te battre, Ruijerd. »

« Si tu utilises la magie », dit-il.

« En combat rapproché ? »

« Veux-tu essayer ? »

J’avais décidé d’accepter cette offre. Pour être franc, j’allais trop vite.

« Oui, s’il te plaît. »

Ruijerd mit sa lance de côté et prit position, les mains vides. En d’autres termes, il n’avait pas besoin de son arme contre un avorton comme moi.

« Tu peux utiliser la magie si tu veux », dit-il.

« Non, si on doit faire ça, on le fera à mains nues. »

Avant même que j’aie fini, une vision s’était manifestée devant moi. La paume de Ruijerd allait venir droit sur moi.

Je pouvais le voir. Je pouvais voir ce qu’il allait faire, et je pouvais réagir.

« Oho! »

J’avais tendu ma main pour l’arrêter.

Il va me prendre la main.

Dès que j’avais vu la vision, j’avais instinctivement retiré ma main. L’instant d’après, la vision s’était brouillée.

Il va m’attraper au visage avec son poing.

Maintenant, il y avait deux visions. En d’autres termes, deux avenirs potentiels distincts. Un dans lequel il m’attrapait le bras, et un autre dans lequel il me claquait le poing au visage. Qu’est-ce qui se passait ? Le doute s’était éveillé en moi. Ma vision n’était pas censée s’estomper en une seconde.

« Whoa! »

J’avais courbé mon corps en arrière, évitant de justesse son attaque.

Le poing de Ruijerd va me tomber dessus.

Je pouvais le voir. Je pouvais le voir clairement. Mais mon corps était déjà déformé à cause de sa dernière attaque. Même si je pouvais voir ce qu’il allait faire ensuite, je n’avais pas pu bouger à temps pour l’éviter.

« Bwah ! »

***

Partie 5

Son poing m’avait touché au milieu du visage. Ma tête heurta le sable de la plage tout en tombant au sol. J’avais été laissé allongé là, face contre terre.

J’avais tendu la main pour vérifier s’il n’y avait pas de blessures. J’allais bien, n’est-ce pas ? J’espérais qu’il n’abîmerait pas complètement mon beau visage. Je n’avais pas un visage détruit maintenant, n’est-ce pas ?

« Te rends-tu ? »

Je pouvais sentir que c’était au moment où il me le demandait.

« Oui, j’admets ma défaite. »

Je pensais que je pouvais gagner quand j’avais vu la première vision, mais les choses n’étaient pas si simples.

« Mais maintenant, tu comprends, n’est-ce pas ? »

J’avais pris la main qu’il m’avait tendue et je m’étais levé.

« Non, pas du tout. Le futur que j’ai vu s’estompait. Comment as-tu fait ça ? »

« Je n’ai aucune idée de ce que tu as vu, mais j’avais décidé que si tu essayais de te défendre avec ta main, je l’attraperai et si tu ne le faisais pas, je te frapperais. C’était tout ce qui m’était passé par la tête. »

En d’autres termes, tant qu’il pouvait deviner ce que j’allais faire ensuite, il pouvait y réagir. Il y avait une telle lacune dans nos niveaux de compétences que ma capacité de voir une seconde dans l’avenir ne signifiait finalement rien. On pourrait dire que c’était semblable au shogi. Même si un novice pouvait voir un coup d’avance, il ne lui était toujours pas possible de battre un maître.

Les habitants de ce monde étaient, à un degré inhabituel, hautement qualifiés. Il y en avait probablement beaucoup d’autres qui pouvaient se battre comme Ruijerd.

« Plus important encore, j’ai déjà combattu quelqu’un avec le même œil de démon. Depuis, je me bats avec l’idée que tout le monde a les mêmes capacités. Toi et moi avons différents niveaux d’expérience. »

« C’est vrai. »

Il avait donc utilisé son expérience pour combattre l’Oeil de la Clairvoyance. Peut-être que les styles d’épées de ce monde avaient aussi des moyens de contrer le pouvoir d’un œil de démon, par exemple, la longue épée de lumière du Style du Dieu de l’Épée. J’avais eu l’impression que même si vous pouviez le voir, vous ne pourriez pas l’éviter.

« On dirait que j’ai pris un peu d’avance sur moi-même. »

Il semblerait que les faiblesses de l’œil du démon étaient déjà établies de longue date, comme trouver un moyen de bloquer la vision du possesseur, utiliser un bouclier, attaquer par-derrière, ou même combattre dans le noir.

Tout cela mis à part, cet œil avait toujours son attrait. J’avais après tout battu Éris. Rien que de penser à la façon dont je pourrais l’utiliser à partir de maintenant me faisait battre mon cœur. J’avais prédit tout ce qu’Éris ferait. C’était un revirement complet de la façon dont les choses se déroulaient avant. En d’autres termes, avec de la pratique, je pourrais même être capable de prédire les mouvements de Ruijerd.

C’est alors que l’ermite était apparu avec un pouf dans ma tête, avec sa tête chauve et ses lunettes de soleil.

« Maintenant, tu n’as plus besoin de te faire frapper tout le temps pour voir jusqu’où tu es allé », dit-il.

Très bien, alors. Merci, ermite aimant les seins. Hmm. En pensant à toutes les façons dont je pourrais utiliser cet œil, mon cœur s’était envolé!

◇ ◇ ◇

Quand j’étais rentré à l’auberge, l’air rêveur, je trouvais Éris perchée sur le lit, les genoux serrés contre sa poitrine. Oh, c’était vrai, je l’avais oubliée. Elle était déprimée. Pendant ce temps, mon ermite intérieur avait sauté sur sa tortue et avait disparu ailleurs.

« Euh, Éris ? »

« Que veux-tu ? »

Après notre bataille, Ruijerd m’avait dit ce qu’ils avaient fait la semaine dernière. Apparemment, c’était un entraînement spécial. Pas du genre pervers, bien sûr. Pour se fortifier, Éris se consacrait chaque jour à la pratique de l’épée. En conséquence, elle avait réussi à le battre une fois.

Elle avait battu Ruijerd une fois. C’était extraordinaire. Je n’y arriverais probablement jamais de toute ma vie. Apparemment, Éris était devenue assez arrogante à cause de ça. C’était pour ça que Ruijerd m’avait utilisé pour dégonfler son ego.

Sérieusement, c’était quoi cette histoire ? C’était sa propre erreur et pourtant ce guerrier loliconique m’avait fait nettoyer son bordel. Pourtant, c’était efficace. Son ego avait tellement gonflé après avoir revendiqué la victoire contre un adversaire qu’elle n’avait jamais battu auparavant (Ruijerd), pour se faire ensuite percer en perdant contre un adversaire qui ne l’avait jamais battue auparavant (moi).

Cela dit, je ne pensais pas que c’était la bonne façon de procéder. Je savais ce que c’était de commencer enfin à penser ainsi, et peut-être que j’avais compris le problème. Vous vous sentiez complètement malheureux, comme si tout ce que vous aviez fait jusqu’à présent n’avait servi à rien.

Bien sûr, peut-être que ça l’avait aidée à se rafraîchir la tête. Peut-être qu’elle ne ferait plus de grosses erreurs maintenant. Mais Éris était probablement dans une période de croissance rapide. Je ne pensais pas que vérifier son ego était la bonne réponse. Au lieu de cela, il était préférable de la laisser monter aussi haut pour qu’elle puisse se développer encore plus vite. Ensuite, vous pourriez souligner ses lacunes et les corriger par la suite.

« Tu es vraiment devenue très forte, Éris. »

« C’est bon, tu n’as pas besoin de me réconforter. Je savais que je ne pouvais pas te battre, de toute façon. »

Toujours irritable, elle se mordit la lèvre inférieure.

Hmm, que pouvais-je lui dire ? Je n’avais pas de bonnes phrases pour ces moments-là.

Ruijerd n’était pas revenu dans la chambre avec moi. C’était de sa faute si son ego était devenu incontrôlable, alors j’avais souhaité qu’il fasse quelque chose, même s’il était vrai que c’était moi qui avais vraiment fait éclater sa bulle.

Mais si je pouvais la réconforter correctement, son compteur d’affection s’élèverait sans aucun doute. Elle tomberait follement amoureuse de moi, et nous resterons collés l’un l’autre, joue contre joue, dans une parade nuptiale. Ruijerd avait dû supposer que c’était ce qui allait arriver, et c’était pour ça qu’il nous avait laissés seuls.

« Ne perds pas toute ta confiance. J’ai entendu dire que tu as réussi à battre Ruijerd une fois. C’est incroyable, non ? »

J’avais pris place à côté d’elle pendant que je parlais. Quand je l’avais fait, Éris appuya son corps contre le mien. Le doux parfum de sa sueur me remplissait les narines. C’était une bonne odeur, mais j’avais dû me retenir. J’avais besoin d’être un gentleman dans cette situation.

« C’est de la triche, Rudeus. Tu as obtenu un œil de démon pour toi-même pendant que je me cassais la gueule… »

J’avais frémi. Ma tête s’était engourdie instantanément. Mon loup intérieur s’était rétracté, la queue fermement repliée entre ses pattes. Je n’avais rien pu répondre.

Elle avait raison. Qu’est-ce qui me rendait si heureux ? C’était de la triche. Ce que j’avais fait était malhonnête. Le pouvoir de l’œil du démon n’était pas quelque chose pour lequel j’avais travaillé durement afin de l’obtenir. C’était juste tombé sur mes genoux. Tout ce que j’avais fait, c’était d’acheter de la nourriture dans un stand et errer dans les ruelles. C’est vrai, il m’avait fallu une semaine pour maîtriser ses pouvoirs. Mais c’était tout. Je n’avais pas du tout lutté. Qu’est-ce que je faisais en utilisant ce pouvoir et en faisant semblant d’être heureux d’avoir battu Éris quand elle avait passé une semaine entière à travailler dur, trempée de sueur ?

« Je suis désolé. »

« Ne t’excuse pas. »

Éris était devenue complètement silencieuse après ça. Mais elle ne s’était pas éloignée de moi. Mon cœur battait normalement face à son odeur ou la chaleur de son corps, mais cette fois-ci, ce n’était pas le cas. Au lieu de cela, j’avais juste eu honte, comme si sa chaleur et l’odeur de sa transpiration me critiquaient. L’air était lourd.

Peut-être qu’il était préférable pour moi de ne pas utiliser l’œil du démon à moins que ce ne soit absolument nécessaire. Sa commodité pourrait entraver ma croissance. Je l’avais compris après avoir combattu Ruijerd.

Pour l’instant, le plus important n’était pas de savoir comment utiliser cet œil de démon. Au lieu de cela, j’avais besoin d’affiner ma capacité de combat. C’est vrai, j’étais un meilleur combattant quand j’utilisais l’œil. Mais mes compétences finiraient par plafonner si je comptais là-dessus. Compter sur une béquille ne reviendrait me hanter que plus tard. C’était dangereux. J’avais failli me laisser prendre au piège dans les projets de ce diable perfide, l’Homme-Dieu.

J’avais décidé de n’utiliser mon œil de démon qu’en ultime recours.

◇ ◇ ◇

Cette nuit-là, j’avais passé du temps à réfléchir par moi-même.

En fin de compte, nous n’avions pas encore trouvé le moyen de traverser l’océan. Avais-je foiré quelque part? J’avais assez bien suivi les conseils de l’Homme-Dieu, mais je n’avais gagné que l’œil du démon.

Était-ce censé aider d’une manière ou d’une autre? Comme avec le jeu? Mais les plaisirs comme le jeu n’existaient pas ici, sur le Continent Démon. Et s’ils existaient, ils seraient probablement en train de parier sur des bagarres entre deux personnes. Cela ne me rapporterait pas beaucoup d’argent. Nous pourrions utiliser Ruijerd comme gladiateur et facturer des frais de participation d’un fer brut avec une cagnotte de cinq pièces de minerai vert, mais il finirait par manquer d’adversaires.

Hmm. Peu importe à quel point j’y pensais, je ne pouvais trouver aucune solution. Nous étions toujours dans la même situation que lorsque nous avions reçu le conseil de l’Homme-Dieu. D’une certaine manière, nous avions perdu une semaine. Gaspillé une semaine entière.

« OK… je suppose que je vais devoir le vendre. »

Prononcer ces mots à voix haute m’avait aidé à renforcer ma détermination.

Heureusement, Ruijerd n’était pas là ce soir et Éris était déjà au bord de son lit avec son ventre découvert. Cela serait gênant si elle attrapait un rhume, alors j’avais mis une couverture sur elle.

Il n’y avait personne pour m’arrêter. Vraisemblablement, le prêteur sur gages de la ruelle était toujours ouvert, non? Après tout, les magasins qui traitaient d’articles suspects étaient toujours ouverts la nuit. Avec mon bâton dans une main, je quittais l’auberge.

Je n’avais descendu que trois marches à l’extérieur.

« Où vas-tu si tard dans la nuit? »

Ruijerd était sur mon chemin. Il n’était pas dans la chambre, alors j’avais pensé qu’il était ailleurs. Clairement, je m’étais trompé. Bon sang, qu’est-ce qu’il essayait de faire, espionner les gens? Je devais en quelque sorte le duper.

« Euh, j’allais juste dans l’un des bordels, afin d’aller m’amuser de manière sexy et dangereuse jusque tard dans la nuit. »

« Et tu as besoin de ton bâton pour coucher avec une femme? »

« Euh… c’est un accessoire pour des jeux sexuels. »

J’étais silencieux. Je savais que ça ne suffirait pas.

« As-tu l’intention de le vendre ? »

« … Oui. »

Sa question était si précise que j’avais dû avouer.

« Je vais te le redemander. Vas-tu vendre ce bâton ? »

« Oui. Ce bâton est fait de matériaux de très bonne qualité, donc il devrait se vendre assez cher. »

« Je ne parle pas de ça. Ce bâton n’est-il pas important pour toi ? Comme ce pendentif. »

Il avait tenu le pendentif de Roxy, pendu autour de son cou.

« Oui, c’est tout aussi important. »

« Si des problèmes similaires se produisaient à l’avenir, vendras-tu aussi ce pendentif ? »

J’avais fait une pause.

« Si c’était nécessaire. »

Il prit une grande inspiration. Je pensais qu’il allait crier, même s’il n’était pas du genre à élever la voix, à moins que cela n’ait quelque chose à voir avec les enfants. Mais il n’avait pas crié. Au lieu de cela, il poussa un soupir, me disant.

« Je n’abandonnerais jamais ma lance, même si j’étais accolé contre un mur. »

« C’est parce que c’est un souvenir de ton fils, non ? »

« Non, parce que c’est l’incarnation de l’esprit d’un guerrier. »

Un esprit de guerrier, hein ? C’était des mots élégants, mais ils ne nous feraient pas traverser l’océan.

Il y avait une tristesse dans les yeux de Ruijerd.

« Tu as dit qu’on avait trois options avant. »

« Oui », avais-je validé.

« Je ne me souviens pas t’avoir entendu dire que la vente de ton bâton était l’une de ces options. »

« Ça ne l’était pas. »

***

Partie 6

Il semblerait qu’il allait me reprocher de lui avoir menti. Non, je n’avais jamais eu l’intention de mentir. Vendre mon bâton faisait partie de l’option de l’attaque frontale.

« N’ai-je toujours pas gagné ta confiance ? »

« Confiance ? Je te fais confiance », dis-je.

« Alors pourquoi ne veux-tu pas en discuter avec moi ? »

J’avais détourné les yeux face à la question. Je savais qu’il n’approuverait pas mon plan. C’était pour ça que je ne lui en avais pas parlé. Après tout, peut-être que vous pourriez me dire que c’était la preuve que je ne lui faisais pas vraiment confiance.

« Je crois que j’ai appris à comprendre l’état actuel du monde au cours de la dernière année. Même si nous accomplissions des missions de la guilde ou si nous allions plonger dans un donjon, nous ne pourrions jamais économiser jusqu’à deux cents pièces de minerai vert. C’est trop d’argent. »

Ruijerd fit preuve d’un réalisme inhabituel dans son discours de ce soir. Avait-il mangé quelque chose de bizarre ?

« Tu le savais. C’est pour ça que tu as eu l’idée d’utiliser un contrebandier. Je n’y aurais pas pensé. Mais c’est le seul moyen pour moi d’aller sur le continent Millis. Tu as raison à ce sujet. Alors pourquoi essayes-tu de vendre ton bâton ? »

La seule chose que j’avais trouvée, c’était une bonne option, et pas la meilleure. La meilleure option, celle où tout fonctionnait parfaitement, était trop difficile et finirait probablement par échouer. Je ne connaissais donc pas la bonne solution, tout comme je ne l’avais pas fait auparavant. C’était aussi la raison pour laquelle je n’étais pas convaincu que l’utilisation d’un passeur était vraiment la bonne option.

« Même si c’est la bonne option, cela ne sert à rien si cela crée un clivage au sein de notre groupe », ai-je dit.

« Donc tu penses que si on se fie à un contrebandier, ça va créer une faille ? »

« Oui. Parce que selon tes valeurs, un contrebandier n’est rien de plus qu’un criminel. »

La contrebande… Les esclaves étaient inclus dans la liste des marchandises qu’ils transportaient. De plus, l’un des crimes les plus populaires au monde était l’enlèvement. Les enfants étaient faciles à kidnapper. En termes simples, les passeurs étaient complices de l’enlèvement et de la vente d’enfants.

« Rudeus. »

« Oui ? »

« C’est ma faute si les choses en sont là. S’il n’y avait que vous deux, vous n’auriez pas à vous soucier d’avoir deux cents pièces de minerai vert. »

D’un autre côté, s’il n’avait pas été avec nous, nous aurions pu être confrontés à un désastre en venant ici. Ruijerd nous avait aidés un nombre incalculable de fois.

« Même si tu résous le problème en vendant ton bâton, ma fierté ne pourra pas l’accepter. »

Sa fierté ne pouvait pas changer ce qui devait être fait.

« Si je vends le bâton, j’aurai l’argent. Ensuite, nous pourrons jouer selon les règles, payer et traverser la mer. Personne n’aura de regrets à avoir. Personne n’aura à faire de compromis. C’est la meilleure façon de procéder, pas vrai ? »

« Mais la honte que j’éprouverai parce que tu l’as vendu restera. Éris sera aussi dérangée par ça. N’est-ce pas la faille que tu voulais éviter ? »

Je m’étais tu pendant que Ruijerd me regardait droit dans les yeux.

« Cherche un contrebandier. Je fermerai les yeux sur leurs crimes. »

Il avait l’air sérieux. Il avait probablement décidé de ne pas intervenir même s’il rencontrait un enfant enlevé, juste pour que je n’aie pas à vendre mon bâton. C’était pour mon bien. Il déformait ses propres principes et croyances pour moi. Si sa détermination était si forte, je ne pourrais pas argumenter ce point avec lui.

« Si, pendant le voyage, tu vois un vrai sac à merde et que tu ne peux pas te retenir, dis-le-moi, s’il te plaît. On devrait au moins pouvoir aider un enfant. »

Si Ruijerd était si sérieux à ce sujet, j’abandonnerais ce plan, même si je pensais qu’il était intelligent. Nous allions compter sur un contrebandier pour traverser la mer. Mais cette fois, je n’allais pas m’occuper d’autres personnes. Si Ruijerd ne pouvait pas se retenir, nous les trahirions sans hésitation et aiderons ceux qui en auraient besoin. Nous utiliserons les criminels au besoin, puis nous les mettrons de côté.

« Très bien, alors commençons à chercher un contrebandier », avais-je dit.

« Oui. Faisons cela. »

« J’ai peur que tu sois obligé de voir beaucoup de choses désagréables en cours de route, mais passons à travers tout ça ensemble. »

« Pareil pour toi. »

Nous avons tous les deux échangé une poignée de main ferme.

Nous avions lâché nos mains et nous étions sur le point de nous rendormir quand le visage de Ruijerd s’était figé. Il avait soudain préparé la lance qu’il tenait dans ses mains.

« Qui est-ce !? Qu’est-ce que vous avez à faire ici ? »

Je tremblais de surprise devant la soudaineté et l’intimidation de ses actions, puis je suivais son regard. Là, dans l’obscurité d’une ruelle, il y avait la figure d’un homme seul. Un demi-sourire était dessiné sur son visage barbu. Il avait les bras levés comme pour démontrer qu’il n’avait pas de mauvaises intentions. Une épée pendait à ses côtés. On aurait dit qu’il était sorti d’une scène de combat dans un film.

« Ooh, effrayant. Et moi qui pensais que tout ce que j’avais entendu sur la race de Superd était des conneries, mais te voilà, tu es là, en chair et en os. »

Il portait un léger sourire en s’approchant. J’avais déjà vu ce type quelque part auparavant.

« Tout d’abord, pourrais-tu ranger cette arme dangereuse ? Ce n’est pas comme si je venais ici pour me battre. Je te cherchais pour te remercier. »

« Si tard dans la nuit ? »

« C’est un peu tôt pour partir au pays des rêves, non ? »

Ah, je m’en souviens maintenant. C’est l’homme que j’avais percuté la dernière fois, celui dont j’avais cogné l’épaule après avoir reçu mon Œil de la Clairvoyance. Je n’aurais jamais imaginé qu’il viendrait me remercier au milieu de la nuit. C’était vraiment un voyou.

« Ça m’a pris un peu de temps pour te trouver. Personne ne connaissait de magiciens malvoyants. Mais quand j’ai entendu les rumeurs sur la Dead End, j’ai su que c’était toi. Ta robe grise et ta capacité à jeter des sorts sans rien chanter, ainsi que ta taille courte comme un hobbit, et cette façon condescendante et polie de parler. »

Cependant, je n’étais pas vraiment un hobbit.

« Maître de chenil Ruijerd. Tu m’as aidé il y a sept jours. Et grâce à toi, j’ai aussi trouvé ce crétin. Quand je l’ai trouvé, il s’était fait fracasser le menton et s’était effondré dans une ruelle. Pauvre imbécile. Dans l’état où il est, il ne pourra rien boire d’autre que de l’alcool pendant un moment. Ce n’est pas comme s’il n’avait jamais bu autre chose, de toute façon. »

Sérieusement ?

« Non, je plaisantais, c’est tout. J’ai au moins un magicien guérisseur parmi mes amis. »

Bien. L’homme que j’avais croisé était peut-être un vieux folichon pervers, mais au moins il savait aussi retenir sa langue

« Est-ce pour ça que tu es venu me remercier ? ».

« Pour ça, et aussi pour avoir utilisé ta magie pour me pousser hors du chemin. Tu m’as sauvé la tête. »

« Alors c’est tout. Eh bien, content de l’entendre. »

L’homme parlait avec une extrême gravité.

« Dans mon métier, il n’y a rien de pire qu’une dette de gratitude. Aussi petite soit-elle, si vous ne la remboursez pas, elle finira par vous rattraper, et vous pourriez vous retrouver coincé dans une situation où vous devrez trahir vos camarades. C’est pourquoi il vaut mieux la rembourser et la rembourser rapidement. »

Il secoua la tête de façon dramatique et me montra du doigt.

« J’écoutais, maître du chenil, et tu as de la chance. Il se trouve que tu es tombé sur quelqu’un qui est membre d’une organisation de contrebande. »

Nous nous étions regardés, Ruijerd et moi. Ce type était membre d’une organisation de contrebande ? Quel développement commode ! Je l’aurais soupçonné de mentir, mais il y avait aussi le conseil de l’Homme-Dieu. C’était peut-être pour que je rencontre cet homme.

Alors que je luttais pour prendre une décision, l’homme semblait mal interpréter notre silence et tendit la paume de sa main vers nous.

« Cela dit, ne te méprends pas. Je te rends la pareille, mais la contrebande d’un Superd est à un tout autre niveau. Je ne pense pas que ma vie vaille deux cents minerais verts. »

Ne sachant pas ce qu’il voulait dire, j’avais tourné mon regard vers lui et l’avais encouragé à continuer.

L’homme avait juste souri.

« Je m’attends à ce que la Dead End soit assez fort, alors j’ai une faveur. As-tu envie d’écouter ? »

Il allait me rendre un service, mais il voulait aussi que je lui en rende un ? Ça semblait un peu faux. Mais il m’avait vu utiliser la magie silencieuse. Son discours sur le remboursement d’une dette n’était probablement qu’une couverture, il cherchait en fait quelqu’un de compétent pour faire un travail pour lui. C’était la raison pour laquelle il avait fait son apparition quand il entendit notre conversation.

Ruijerd me jeta un coup d’œil. Négocier, c’était mon travail, après tout.

« Cela dépend des détails de ta demande. »

« Rien de trop difficile. »

Pourtant, les conditions qu’il énuméra étaient un peu inattendues.

« Vous voyez, nous devons entreposer les marchandises de contrebande avant de les livrer, puis nous devons les garder en sécurité jusqu’à ce que le demandeur vienne les récupérer. Dans un mois, nous allons entreposer des marchandises avant de les expédier. Je veux que vous libériez ces gens. Si possible, j’aimerais que vous fassiez le nécessaire pour qu’ils rentrent chez eux. »

« N’est-ce pas la définition exacte de trahir ses amis ? »

« Non, c’est pour leur propre bien. Il y en a un qui est mélangé parmi ces biens… eh bien, les esclaves, comme vous les appelez… qui va nous causer des problèmes à l’avenir ? Les vendre nous rapporterait une fortune énorme, mais ils reviendront aussi nous hanter dans un an. »

Il haussa les épaules et continua.

« J’ai essayé de leur dire non, mais ce n’est pas comme si nous étions un seul groupe organisé. Je cherchais quelqu’un qui pourrait faire échouer leurs plans, à la fois capables et ne parlant pas. Alors, qu’en dites-vous ? »

Une fois de plus, Ruijerd et moi avions échangé nos regards. Nous n’étions pas des kidnappeurs, mais plutôt des sauveteurs. Si c’était le cas, je ne voyais pas le problème, mais…

« Pourquoi ne peux-tu pas le faire ? Avec ton épée et tes capacités, tu devrais en être capable, non ? »

« C’est exact. Je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis le plus fort de mes potes. Ce n’est pas comme si je voulais trahir mes camarades. Je dois penser à ce qui se passerait après, vous comprenez. Même si je les sauvais, je n’aurais plus nulle part où aller, donc ça ne servirait à rien. Ce n’est pas parce que tu es le plus fort que tu dois te tenir au sommet. »

« … »

À voir le visage de Ruijerd, il était difficile de dire s’il comprenait ou non d’où venait l’homme. Il avait l’air de le comprendre à un niveau logique, mais pas émotionnel.

« Rudeus, ça ne me dérange pas. C’est toi qui décides. »

Ruijerd venait de dire qu’il fermerait les yeux sur tout acte répréhensible. Peu importe à quel point l’homme devant nous était miteux, il obéirait si je décidais de le faire.

J’y avais réfléchi. Beaucoup de choses étaient suspectes. Pourtant, c’était quelque chose qui s’était produit à la suite des conseils de l’Homme-Dieu. Bien qu’il était vrai que je ne pouvais pas faire confiance au dieu lui-même, il était probablement préférable pour moi de ne pas trop réfléchir et de suivre le courant, comme je l’avais fait la dernière fois.

D’après ce que nous avions entendu, nous ne commettrions pas de crimes. Il y avait de fortes chances que la personne que nous aidions était un horrible monstre, mais il s’agissait avant tout de sauver quelqu’un, quel que soit son caractère.

De plus, on aurait bien besoin d’un contrebandier pour nous faire traverser l’océan. Ce n’était pas une mauvaise affaire si nous pouvions traverser sans frais ou honoraires en retour. Avec tout cela, il était facile de prendre une décision.

« D’accord, on va le faire. »

Ruijerd hocha la tête et l’homme rit.

« D’accord, je vous fais confiance pour faire du bon boulot. Je m’appelle Gallus Cleaner. »

« Rudeus Greyrat. »

C’était ainsi que nous avions échangé des noms et décidé d’accepter une mission d’une organisation de contrebande.

***

Partie 7

Roxy Migurdia, la femme qui était la maître de Rudeus, avait mis fin à sa traversée vers la ville de Port Venteux sur le Continent Démon.

Elle s’arrêta net dès son débarquement. Le paysage urbain de Port Venteux ressemblait beaucoup à celui de la ville septentrionale de Millis, Port Zant. Même ceux qui posaient leurs yeux pour la première fois seraient assaillis par un sentiment de déjà vu.

Cependant, le déjà vu n’était pas la raison pour laquelle Roxy s’était arrêtée. C’était parce qu’il y avait une nette différence dans l’air ici par rapport au Continent Millis.

Cela fait si longtemps, pensa-t-elle. La nostalgie montait du fond de sa poitrine. Quand était-elle venue ici pour la dernière fois ? Cela devait être il y a environ quinze ans. Maintenant qu’elle y réfléchissait, elle réalisa combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait commencé à envier les humains et à fuir son village.

À l’époque, quand elle était arrivée à Millishion sur le Continent Millis et qu’elle avait mangé les bonbons fabriqués par les humains, elle avait été choquée par la façon dont une telle nourriture délicieuse pourrait exister dans le monde. Elle décida alors qu’elle ne mangerait plus jamais d’aliments du Continent Démon et qu’elle n’y reviendrait plus jamais.

C’était un petit peu simpliste, si je puis me permettre, se dit-elle

En vérité, elle n’était pas revenue depuis qu’elle avait quitté le Continent Millis pour le Continent central, et elle n’avait même jamais envisagé d’y retourner. Il y avait tellement de choses sur le Continent central. Tout ce qu’elle voyait là-bas était frais et excitant, et avant même qu’elle ne le sache, elle avait déjà vécu sur le Continent central aussi longtemps qu’elle avait vécu sur le Continent Démon.

Pendant tout ce temps, le Continent Démon ne lui avait jamais traversé l’esprit. Pas même quand elle s’enfouissait dans les donjons et qu’elle frôlait la mort, elle ne s’arrêta pas pour penser aux parents qu’elle avait laissés sur le Continent Démon.

Malgré cela, elle était revenue maintenant.

Vous ne savez jamais où la vie vous mènera, pensa-t-elle.

« Roxy ! On y va ! »

Alors qu’elle se tenait là, une femme l’appela. Les oreilles de la femme émergeaient d’une crinière de cheveux dorés luxueuse ayant la couleur d’un pain fraîchement cuit. C’était une elfe, grande et mince, avec une taille fine et un joli dos rond. Le cœur de Roxy se remplissait d’envie chaque fois qu’elle voyait la femme de loin. Elle ne pouvait rien y faire. C’était comme ça que les elfes étaient, mais elle souhaitait toujours avoir un corps comme ça. Et tandis que leurs bustes étaient similaires, la femme elfe était bien équilibrée et belle, alors que Roxy avait l’air simple et enfantine.

« Ouais, je viens. »

Un soupir s’échappa de ses lèvres.

Le nom de cette magnifique femme était Elinalise Dragonroad. C’était une guerrière elfe, une combattante en première ligne. Elle était équipée d’un bouclier et d’un estoc, qu’elle utilisait principalement pour les attaques de poussée. Ses compétences étaient aussi magnifiques que son apparence.

Un estoc n’était pas une arme courante chez les aventuriers. Dans le royaume d’Asura, elle était utilisée par les nobles pendant les duels, et dans la région du nord, elle était utilisée par les guerriers lorsqu’ils étaient en armure complète. Celui qu’Elinalise avait en sa possession était un objet magique trouvé dans les profondeurs d’un donjon. Il était plus robuste que la plupart des épées et une seule vague pouvait créer un vide éolien qui pouvait abattre des arbres à des mètres de distance. Le bouclier était aussi un objet magique ayant la capacité d’atténuer toute attaque qu’il recevait.

« O-ooh… terre ferme, c’est la terre ferme… »

Un nain âgé était sorti du vaisseau en titubant de derrière Roxy. Son armure lourde claqua et sa barbe sinistre se balança alors qu’il s’accrochait à sa canne, son visage était pâle comme un fantôme.

Il s’appelait Talhand. Officiellement, il était connu sous le nom de Talhand de la Haute Montagne. Il avait à peu près la même taille de Roxy, avec plus du double de la circonférence. Cet homme, avec sa barbe sinistre et son armure lourde enroulée autour de tout son corps, était un magicien.

Pourquoi un magicien portait-il autant d’armures ? Même Roxy l’avait d’abord remis en question. Mais les pieds de Talhand étaient lents et son agilité inexistante. Si une bête l’attaquait, il n’avait aucun moyen d’y échapper. Cependant, avec une telle armure encombrante qui le protégeait, il pouvait utiliser la magie directement sur les lignes de front.

« Vas-tu bien, M. Talhand ? Dois-je lancer un sort de guérison sur toi ? »

« Non, ce n’est pas nécessaire. »

Il se secoua la tête et fit avancer son corps lourdaud. Il était normalement un peu plus agile que cela, mais il avait eu le mal de mer et cela l’avait affaibli.

Elinalise mit sa main sur sa hanche et le harcela.

« Sérieusement ? Tu es pathétique. C’est juste un bateau. »

Le visage de Talhand devint rouge de colère.

« Tu… qu’est-ce que tu viens de dire… !? »

Ces deux-là étaient toujours prompts à se battre l’un contre l’autre, c’était donc à Roxy d’intervenir.

« On en reparlera plus tard, s’il te plaît. Mlle Elinalise, tu n’as pas à tout commenter. Certaines personnes sont prédisposées au mal de mer. »

Roxy les avait rencontrés à Port de l’Est, dans le royaume du roi Dragon. Ils se battaient tous les deux dans la guilde des aventuriers et, au début, Roxy les ignora. Cependant, elle était intervenue lorsqu’elle avait entendu, au milieu de leurs disputes, qu’ils cherchaient des personnes portées disparues dans la région de Fittoa et qu’ils envisageaient de se rendre sur le Continent Démon. Aucun des deux ne connaissait bien la géographie du Continent Démon, ils avaient en conséquence des opinions contradictoires. Talhand fit valoir qu’ils devraient aller sur le continent Begaritt, car ils connaissaient la configuration de la région et de la partie nord du continent central. Elinalise, d’autre part, déclara qu’ils pouvaient toujours rechercher des personnes même s’ils ne connaissaient pas le chemin, et qu’ils pouvaient toujours embaucher quelqu’un une fois arrivé. Et il y avait Roxy, qui faisait face seule à son anxiété, était originaire du Continent Démon. C’était presque comme si elle était destinée à les rencontrer.

Alors que leur conversation se poursuivait, elle découvrit qu’ils étaient d’anciens membres du groupe de Paul et Zenith. Ils étaient appelés les Crocs du Loup noir. Roxy avait entendu parler d’eux. C’était l’un des groupes les plus célèbres de tout le continent central, mais c’était aussi un groupe mal assorti, composé de membres dotés d’une ou deux bizarreries qui faisaient jadis parler en ville. Ils avaient atteint le rang S en quelques années et avaient été dissous peu de temps après, mais Roxy se souvenait bien d’eux.

Pourtant, elle n’avait jamais réalisé que Paul et Zenith étaient des membres des Crocs du Loup noir. Elle ne pouvait pas cacher sa surprise. Et les deux autres étaient tout aussi surpris par elle. Après tout, il s’agissait de Roxy Migurdia, connue par le peuple comme étant une magicienne d’Eau de niveau Roi, une jeune fille aux cheveux bleus, originaire du Continent Démon. Elle était entrée à l’Université Magique et avait obtenu en quelques années le titre de Magicienne d’Eau de niveau saint. Elle avait ensuite traversé un donjon ayant une profondeur de vingt-cinq niveaux dans les faubourgs du royaume de Shirone. Après cela, elle prit place en tant que magicienne de la cour du royaume Shirone.

Un troubadour chantait des récits de ses premières aventures, les transformant en vers qui diffusèrent son nom au loin. C’était l’histoire d’une jeune magicienne qui avait quitté sa ville natale, rencontra trois aventuriers novices et parcourut le Continent Démon avant de partir pour le Continent Millis. Son nom n’apparaissait pas dans la chanson. Cependant, les aventuriers qui connaissaient la chanson surent qu’il s’agissait de Roxy d’après sa description.

Appeler ces trois-là (Roxy, Elinalise et Talhand) un groupe d’âmes sœurs aurait été une exagération, mais il était vrai que leurs objectifs coïncidaient. Roxy se rendait sur le Continent Démon pour rechercher Rudeus, tandis que les deux autres honoraient la demande de Paul de rechercher les membres de sa famille. Ils formèrent ainsi un groupe ensemble et se dirigèrent vers le Continent Démon.

Le groupe monta à bord d’un navire en partance pour le Continent Millis. Là-bas, dans la ville de Port Ouest, ils utilisèrent une énorme somme d’argent pour acheter des chevaux Sleipnir et une calèche. C’était une grosse dépense, mais cela ne leur posa que peu de problèmes compte tenu de la taille de bourse.

Ils évitèrent la Sainte Capitale, Millishion, car ces deux-là ne s’entendaient pas très bien avec Paul. Tous deux avaient également une mauvaise réputation auprès de leurs parents respectifs. Ils s’étaient donc tenus à l’écart de la colonie de la montagne de la Wyrme Bleue, où résidaient les nains, ainsi que de la colonie des elfes dans la Grande Forêt. Au lieu de cela, ils se dirigèrent directement vers le port de Zant.

Selon le duo, la saison des pluies arriverait bientôt sur la Grande Forêt, ils devraient donc aller vite tant qu’ils le pourraient. Mais avec la façon dont ils forçaient les chevaux à bouger constamment, même la nuit, il semblerait qu’il ne voulait tout simplement pas rester sur le Continent Millis une seconde de plus que nécessaire. Roxy supposa que la vraie raison était qu’ils ne voulaient tout simplement pas rentrer chez eux.

Quelles que soient leurs raisons, ils étaient arrivés sur le Continent Démon en un temps record, donc Roxy n’avait aucune plainte à formuler.

« Allons d’abord à la Guilde des Aventuriers », proposa Roxy. Ils se dirigèrent donc tous les trois dans cette direction. La guilde avait toujours été la première étape pour les aventuriers.

« J’espère que c’est un bel endroit ! »

Roxy fit une grimace aux mots d’Elinalise. L’elfe avait l’air chaste, mais elle aimait les hommes. C’était difficile à imaginer en la regardant, mais elle avait probablement eu de nombreux enfants. Selon elle, tout cela faisait partie de la malédiction qui lui avait été faite, mais elle ne se sentait pas du tout lésée. En fait, elle avait plutôt l’air d’aimer ça. Roxy ne pouvait pas le croire.

« Mlle Elinalise, nous ne cherchons pas des hommes. »

« Je le sais bien. »

Non, ce n’est pas vrai, s’inquiéta Roxy. Elinalise n’avait peut-être pas de problème avec sa soi-disant malédiction, mais Roxy souhaitait qu’elle pense au groupe qui voyageait avec elle. Elinalise pouvait faire ce qu’elle voulait dans son temps libre, mais c’était une urgence. De plus, si elle tombait enceinte, cela ne ferait que retarder encore plus leur voyage.

J’aimerais que tu te calmes un peu, pensa Roxy.

« Tu devrais peut-être te trouver un homme ou deux… »

« Je ne peux pas faire ça. »

Peut-être que si j’étais aussi belle que toi, pensa amèrement Roxy. Malheureusement, aucun des hommes auxquels Roxy ne s’était jamais intéressée ne la voyait comme une femme. Elle était populaire auprès des enfants, mais elle n’avait aucune chance quand il s’agissait des hommes.

***

Partie 8

La Guilde des Aventuriers du Continent Démon avait un côté unique par rapport à son homologue sur le Continent central. De nombreuses races différentes étaient appariées dans les groupes.

Quand Roxy était entrée, elle tomba par hasard sur un groupe qui était très clairement novice. Il y avait trois jeunes garçons, tous habillés en guerriers. Ils l’approchèrent timidement.

« U-um, est-ce que tu pourrais peut-être… faire un groupe avec nous !? »

Roxy sourit ironiquement face à leur plaidoyer.

« Non, comme vous pouvez le voir, je suis déjà dans un groupe. »

Tous les trois avaient souri amèrement face à son refus avant de faire leur retraite. Ce n’était pas la première fois qu’elle était invitée dans un groupe comme celle-ci, elle avait été invitée à plusieurs reprises par des groupes de trois jeunes garçons. Le troubadour lui avait dit qu’il écrirait des chansons sur elle, mais elle ne s’attendait pas à devenir aussi célèbre.

« Regarde-moi ça, Roxy. Tu te fais après tout inviter par de gentils garçons ! »

Elinalise l’avait tapotée sur la tête.

Cela arrivait souvent. Roxy n’allait pas se donner la peine d’y répondre. Ce n’était pas une enfant.

« Nos rangs sont trop éloignés. Nous ne pouvons pas former un groupe. »

Roxy était actuellement de Rang A. Les garçons séduits par la chanson du troubadour n’étaient, en moyenne, que des Rangs D. Elle n’avait jamais été approchée par quelqu’un qui était au-dessus du rang B.

La première fois qu’elle avait reçu l’une de ces invitations, elle s’était vantée d’avoir été le personnage principal de ces chansons, pour découvrir qu’elle n’y était pas nommée, ce qui l’embarrassait. C’était un souvenir qu’elle préférerait oublier.

Elle n’avait jamais imaginé que le troubadour ne reconnaîtrait pas sa race. Au lieu de cela, il avait supposé à tort qu’elle n’avait que douze ans et qu’elle était devenue un Rang A en seulement deux ans. De plus, la version actuelle de la chanson était tellement dramatisée qu’elle avait voyagé sur le Continent Démon qu’elle avait obtenu son Rang A en seulement un an.

Ne te fais pas d’illusions, pensa Roxy. En réalité, il lui avait fallu environ cinq ans pour atteindre le rang A. avec le Continent Démon comme base d’opérations, elle était passée au rang B en trois ans. De là, elle passa deux ans à passer d’un groupe à l’autre. Cependant, c’était quand même une progression rapide. Si elle repartait du Rang F, elle pourrait peut-être obtenir un rang A en seulement un an, mais un groupe d’enfants sans expérience ne pourrait jamais changer cela.

« Tu aurais pu en faire des hommes à mon goût. Quel dommage ! »

Les paroles d’Elinalise avaient déclenché un flash-back sur les trois aventuriers novices qui l’avaient abordée à l’époque. Ils s’appelaient eux-mêmes les Rikarisu Gang, trois jeunes garçons qui l’avaient aidée après qu’elle ait quitté le village des Migurds, alors qu’elle n’était rien de plus qu’une péquenaude de la campagne qui ne savait pas distinguer la gauche de la droite.

L’un d’eux était très sarcastique, inventant toujours des mensonges sur place, mais il était très doué pour s’occuper des gens. Un autre aimait maudire les gens et avait une bouche vulgaire, mais il était aussi très déterminé. Le troisième était incroyablement intelligent, c’était celui qui avait maintenu le groupe ensemble. Il était mort pendant leur voyage.

Leur groupe s’était dissous lorsqu’ils avaient atteint Port Venteux, mais elle se demandait ce qu’ils faisaient. Les deux autres étaient-ils encore en vie et en bonne santé ? Après s’être aventurée sur le Continent central, elle avait compris à quel point les conditions étaient dures sur le Continent Démon. Il y avait de fortes chances qu’ils soient déjà morts.

Nokopara et Blaze… J’espère qu’ils se portent encore bien. Elle s’était retrouvée en train de rire quand elle pensa à ça. Cela faisait vingt ans. Les deux n’ayant pas une espérance de vie particulièrement longue, ils n’étaient peut-être plus des aventuriers. La seule qui soit restée la même était elle.

Laissons la nostalgie pour une autre fois, décida-t-elle, en abrégeant ses souvenirs. Elle était ici pour trouver Rudeus ou sa famille.

« Très bien, commençons à recueillir des informations », proposa-t-elle aux deux autres avant de scruter l’intérieur de la guilde.

◇ ◇ ◇

D’après les informations qu’ils avaient recueillies, ils avaient découvert que la Dead End se trouvait dans cette ville, faisant partie d’un nouveau groupe d’aventuriers prometteurs qui s’étaient rapidement fait un nom par eux-mêmes.

Dead End. Il n’y avait personne sur le Continent Démon qui ne connaissait pas ce nom. Même chez les Superds, il était considéré comme particulièrement dangereux, c’était une bête qui visait principalement les enfants. Quand Roxy n’était qu’une enfant, sa mère la menaçait souvent avec ce nom.

« Si tu ne te conduis pas bien, Dead End viendra et te volera », disait-elle toujours.

Ils étaient retournés à l’auberge. Le visage de Roxy s’était aigri une fois qu’ils avaient rassemblé toutes les informations dont ils disposaient sur cette Dead End.

« C’est un peu difficile à croire. »

« Quelle partie ? »

« Difficile de croire qu’une personne saine d’esprit puisse prétendre être Dead End. »

Qu’est-ce qui était si terrifiant avec cette Dead End ? Le fait que le groupe réel existait. Ceux du continent central ne le savaient pas, mais ce nom faisait certainement référence à quelqu’un qui se trouvait là-bas. Bien sûr, Roxy ne les avait jamais vus elle-même, mais toutes les rumeurs qu’elle a entendues étaient terrifiantes. C’était les créatures les plus terrifiantes du Continent Démon.

La Guilde des Aventuriers n’avait jamais inscrit leur nom exactement, par crainte de représailles, mais s’il y avait une demande d’extermination pour ces démons, il s’agirait très certainement d’une quête de rang S. C’était le genre de travail qui permettait à un aventurier d’obtenir un classement S instantané s’il le faisait.

« Je n’en ai aucune idée non plus », dit Elinalise.

D’après les informations qu’elle avait recueillies, l’homme qui prétendait être avec Dead End était chauve, à la peau claire et portait, une lance avec lui. On disait aussi qu’il était très beau.

« Puisqu’ils disent que c’est un beau gosse, pourquoi ne l’inviterais-je pas dans mon lit pour avoir plus de réponses ? »

Talhand avait craché avec mépris. « Cette info est inutile. »

D’après ce que Talhand avait rassemblé, Dead End était un groupe de trois personnes. Ils se nommaient respectivement La Chienne folle Éris, Le Garde Chien Ruijerd et le Maître du Chenil. Ces deux derniers étaient frères. Le chien fou avait les cheveux roux, le chien de garde était un grand échalas et le maître du chenil était un nain. Le chien fou utilisait une épée, le chien de garde utilisait une lance et le maître du chenil utilisait un bâton qui était apparemment un objet magique. Ils n’avaient pas une très bonne réputation.

« Le chien fou s’énerve vite, et le maître du chenil n’a rien fait d’autre que des choses horribles. Apparemment, le chien de garde n’est pas un méchant. Il aime les enfants, a un sens aigu de la justice et refuse de fermer les yeux sur le mal. »

C’est une évaluation très étrange à faire sur des gens, pensa Roxy. Peut-être que le groupe avait-il lui-même lancé ces rumeurs. Si un groupe de mécréants faisait quelque chose de bien, ça se propagerait comme un feu de forêt. Apparemment, ils n’étaient pas seulement violents, mais ils étaient aussi malins à ce sujet.

« C’est un groupe dangereux. Faisons en sorte de les éviter. »

« Oui », dit le nain.

« Nous n’avons pas besoin d’attirer l’attention de mauvaise personne quand nous sommes censés chercher des gens. »

« Très bien, alors passons à l’ordre du jour principaux », dit Roxy, en réorientant la conversation. Leur but en se dirigeant vers la Guilde des aventuriers n’avait pas été de glaner des informations sur Dead End.

« Y avait-il des rumeurs sur des gens de la région de Fittoa ? »

« Pas une seule », dit Talhand.

« Non, je n’ai rien entendu », dit Elinalise.

Nous sommes arrivés trop tard, pensa Roxy.

Le Continent Démon n’était pas le genre d’endroit tranquille où l’on pouvait survivre en se téléportant sans l’équipement approprié. C’était un endroit où survivre un an pouvait s’avérer difficile, même pour la population locale. En outre, cela faisait déjà un an que la région de Fittoa avait été déplacée. Ceux qui avaient été téléportés avaient peut-être déjà péri.

« Ceux qu’on cherche, c’est la famille de Paul. »

« Alors Zenith, Lilia, Aisha et Rudeus. »

Roxy avait appris à Talhand et Elinalise comment identifier chacun d’eux. Aisha était la seule à propos de laquelle elle était vague, parce qu’elle ne la connaissait que par les lettres de Rudeus.

« Eh bien, Zenith devrait aller très bien », dit Elinalise.

« Aucun ne doute là-dessus. »

Ils connaissaient Zenith, ils n’avaient donc exprimé aucune inquiétude. Roxy, d’autre part, ne savait pas à quel point Zenith était capable, mais elle avait confiance en ces anciens membres des Crocs du Loup noir qui s’étaient portés garants pour elle. Si Elinalise et Talhand pensaient que Zenith irait bien, elle irait bien.

« Rudeus se distingue aussi, donc on devrait pouvoir le trouver immédiatement. »

Roxy se souvint de l’immense talent dont son élève de cinq ans avait fait preuve. Il serait sûrement le sujet de conversation de la ville, où qu’il aille.

Zenith et Rudeus seraient les plus faciles à trouver s’ils cherchaient des informations. Ils avaient aussi la force de survivre sur le continent des démons tant qu’ils débarquaient quelque part près de la civilisation. C’était pourquoi ils avaient priorisé la recherche d’informations sur Lilia et Aisha dès le début.

« Fixons une date limite. Deux jours pour recueillir autant d’informations que possible sur Lilia et Aisha, puis le troisième jour, nous faisons les préparatifs pour atteindre d’autres colonies dans la région. Est-ce que ça ressemble à un plan ? »

« N’est-ce pas un peu trop tôt ? »

Roxy secoua la tête devant les mots d’Elinalise.

« Il y a de fortes chances qu’ils soient déjà morts, et le continent des démons est grand. Nous ferons un seul passage dans les grandes villes et soumettrons des demandes de personnes disparues à chaque guilde en cours de route. »

Le Royaume d’Asura couvrirait les frais encourus lors de la recherche de résidents de la région de Fittoa. Tant que leur groupe soumettait des demandes à chaque guilde, la récompense pour l’accomplissement réussi serait fournie par le Royaume d’Asura, afin qu’ils puissent laisser les aventuriers mener les recherches. Ce n’était pas un processus automatisé, parce que la guilde exigeait que quelqu’un signe un formulaire de demande avant de pouvoir l’afficher. D’autre part, si la guilde ne postait pas ces demandes, alors le Royaume d’Asura n’avait aucune raison de payer la guilde.

Roxy se sentait vraiment irritée par l’atrocité avec laquelle le Royaume Asura gérait un désastre aussi généralisé. C’était une grande puissance, alors elle avait pensé qu’il devrait prendre des mesures plus proactives. En vérité, les seules personnes qui participaient réellement aux efforts de recherche étaient Paul et ceux qui lui étaient liés. En d’autres termes, seules les personnes touchées par la catastrophe.

On dirait que tout ce qu’on a dit à propos de la corruption dans les hautes sphères du royaume Asura était plus qu’une rumeur, pensait-elle. C’était le pays qui avait la plus longue histoire au monde, et il s’accrochait donc toujours, même si ses traditions et son pouvoir se détérioraient.

« Très bien, demain, occupons-nous de rassembler des informations. »

« D’accord, ça ira ! »

« Roger. »

Roxy n’était pas du genre à s’attarder sur les choses. Où qu’elle soit restée, elle n’avait jamais perdu de temps. Elle finissait toujours les choses rapidement et se mettait en route. Cette partie de sa personnalité s’était manifestée lorsqu’elle avait initié Rudeus. Elle lui avait enseigné sa technique spéciale et s’était ensuite immédiatement remise en route. Prendre des décisions rapides était son point fort, mais aussi l’une des raisons pour lesquelles Rudeus la voyait comme une tête de mule. D’autres le lui avaient fait remarquer, mais Roxy considérait toujours ceci comme une force.

***

Partie 9

C’était pourquoi elle s’était mise d’accord sur un planning : présentation d’une demande à la guilde le premier jour, recherche le deuxième jour et départ le troisième jour. Un calendrier rapide et concis pour être sûr. S’ils étaient restés une semaine, les résultats auraient pu être un peu différents.

Le second jour, la curiosité de Roxy avait pris le meilleur d’elle et elle était allée voir ce qui se passait avec la Dead End. Leur groupe s’étant démarqué, il était donc facile de les trouver.

Un duo s’entraînait diligemment sur la plage. Comme on le lui l’avait dit, l’un était une grande perche chauve et l’autre était une jeune fille rousse. Elle maniait son épée à deux mains avec un tel but, la balançant à une vitesse effrayante pendant que le chauve parait facilement les attaques.

D’après ses informations, il s’agissait d’un groupe de trois personnes composées d’une personne de grande taille et de deux personnes de petite taille. On dirait que le petit maître du chenil n’était pas avec eux, se dit-elle.

Le Chien de Garde et le Chien fou continuèrent leur affrontement à grande vitesse, de l’attaque contre la défense. Peut-être que l’affrontement n’était pas le bon mot, étant donné que le chien de garde détournait simplement les attaques du chien fou, mais les techniques qu’il utilisait étaient au-delà du niveau de Roxy.

Roxy les observait de loin, regardant depuis l’ombre d’un rocher. C’était presque comme si c’était du baseball professionnel, elle était la sœur aînée d’un lanceur qui utilisait des balles magiques comme arme au combat.

Les deux étaient forts, même pour Roxy, qui avait voyagé à travers le monde en tant qu’aventurière. Ce n’était pas la force qui pouvait être obtenue par la seule technique.

Il serait peut-être bon d’entrer en contact avec eux, après tout.

Dès qu’elle avait pensé ça, le chien de garde regarda par-dessus son épaule.

Ah… !

C’était comme si leurs yeux se rencontraient. Son regard était si intense qu’il donna à Roxy un sentiment de terreur indescriptible. Assez pour lui donner l’illusion d’être une proie chassée.

Elle s’éloigna précipitamment.

◇ ◇ ◇

Ruijerd l’avait sentie dès le début. Il ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait, ni si elle regardait. Quand il la regarda avec désinvolture, il vit le visage d’une fille furtivement derrière un rocher.

Non, pas une jeune fille, réalisa-t-il. Une femelle adulte migurd. Il ne pouvait pas le dire au premier coup d’œil, mais le troisième œil de Ruijerd n’était pas dupe. Il ne la connaissait pas, mais il y avait aussi plus d’un campement migurd.

Il pensa qu’elle observait probablement par curiosité, mais quand il se retourna, elle se détourna et partit en courant. Hm. Est-ce que je lui ai fait peur ? s’était-il demandé.

Il avait baissé sa garde momentanément et Éris plongea dedans. Elle avait mis beaucoup de puissance dans cette attaque.

« Guh! »

Après avoir échangé trois coups, Éris frappa Ruijerd du revers de la main et lui fit lâcher l’épée.

« Yay! Est-ce que je l’ai fait? Je l’ai fait, non!? Yeaaah! »

Éris frappa ses deux mains avec joie.

Dernièrement, ses compétences avaient commencé à prendre forme. À l’avenir, elle serait sûrement une bonne épéiste, mais pour le moment, elle était encore jeune. Si elle s’enorgueillissait maintenant trop vite, cela pourrait être catastrophique pour son avenir. Il n’avait pas prévu de la laisser gagner un combat depuis un moment, mais cette fille migurd avait attiré son attention et il avait baissé la garde un instant.

Ruijerd laissa échapper un soupir assez discret pour qu’Éris ne l’entende pas.

◇ ◇ ◇

Roxy regarda par-dessus son épaule un nombre incalculable de fois alors qu’elle se dépêchait de retourner vers l’auberge. Pendant tout ce temps, elle craignait d’être suivie et qu’une attaque ne se produise. Si elle voulait combattre quelqu’un de ce calibre, elle devait préparer un cristal magique. Elle pourrait même avoir besoin d’un cercle magique dessiné sur un parchemin.

Il ne semblerait pas qu’ils attaqueraient juste parce qu’elle les observait, mais s’ils étaient assez fous pour s’appeler eux-mêmes Dead End, Roxy voulait être prête.

« Aah ! Oui ! Juste là ! Plus vite, plus vite ! »

Roxy s’était sentie exaspérée quand elle entendit les gémissements derrière la porte d’Elinalise. L’elfe ne s’était même pas donné la peine de recueillir des informations, elle avait simplement trouvé un homme à amener à l’auberge pour qu’elle puisse s’amuser.

« Sérieusement… ? »

Roxy avait entendu parler de l’habitude d’Elinalise d’amener des hommes de Talhand dans sa chambre. Peu importe les circonstances, Elinalise tombait toujours amoureuse d’un homme qu’elle rencontrait et passait la nuit avec lui. Cela était aussi le cas lors de leur séjour au Port Zant. Selon Talhand, elle l’avait même fait quand ils étaient dans les profondeurs d’un donjon. Cette femme n’avait pas de principes.

En même temps, Roxy se sentait un peu soulagée. Elle se serait sentie impuissante si on l’avait laissée seule. Tant qu’Elinalise était dans la pièce voisine, elle pouvait se préparer au combat et l’attendre. Une fois que l’elfe aurait fini, Roxy la saisirait par l’oreille afin de se diriger vers l’extérieur pour reprendre la collecte d’informations ensemble. De cette façon, elle pouvait aussi surveiller l’elfe, faisant effectivement d’une pierre deux coups.

Bien que je doute qu’ils viennent jusqu’à l’auberge, pensa Roxy en entrant dans sa chambre pour mener les préparatifs du combat.

Les murs n’étaient pas particulièrement minces, mais elle entendait encore les gémissements d’Elinalise. En les écoutant, Roxy s’était mise dans un drôle d’état d’esprit.

Non, pensa-t-elle. Elle saisit sa main droite avec sa main gauche juste au moment où celle-ci se dirigeait par réflexe vers le bas. Elle n’avait pas le luxe d’avoir le temps pour ça en ce moment.

Ça fait un moment qu’ils y sont, pensa-t-elle alors que trois heures se furent écoulées. Roxy avait continué à attendre tranquillement. Il ne semblait pas y avoir de fin en vue pour le coup d’Elinalise. Certes, rien n’indiquait non plus que Dead End allait lancer des attaques contre eux.

Roxy se sentait idiote. Non seulement elle ne pouvait pas faire ce dont elle avait besoin, mais elle ne pouvait pas exprimer sa frustration face à Elinalise parce qu’elle était si égoïste. C’était d’autant plus exaspérant que, contrairement à l’elfe, Roxy faisait preuve de retenue et se disait que ce n’était pas le moment de s’y occuper.

Quand sa colère atteignit son apogée, Roxy défonça finalement la porte d’Elinalise.

« Combien de temps tu vas continuer comme ça ! On est censés se rassembler… »

« Oh, mon Dieu ! Roxy ? Quand es-tu rentrée ? »

« Ah… oh ? »

Il y avait cinq hommes au milieu de la pièce.

« Voudrais-tu te joindre à nous ? »

Il y avait une forte odeur masculine. Les hommes avaient tous des sourires vulgaires, et Elinalise était montée sur l’un d’eux, comme si elle était en proie à l’extase. Le fait qu’il y avait plusieurs personnes, et qu’elles étaient toutes consentantes dépassait l’entendement de Roxy.

« Euh, quoi… »

La scène devant elle était si répréhensible que Roxy ne pouvait pas la traiter.

« Aaaaaaaaaaaaaaaaaah ! »

Roxy poussa un cri futile alors qu’elle s’enfuyait de la pièce. Elle se précipita dans sa chambre, complètement essoufflée et elle s’empara de son bâton.

« Ô esprits des eaux magnifiques, je supplie le Prince du Tonnerre ! Avec ta majestueuse lame de glace, tue mon ennemi ! Lame glacée! »

L’auberge avait été partiellement détruite.

◇ ◇ ◇

Ils quittèrent la ville le troisième jour. Ils avaient à peine réussi à recueillir des informations après tout ce qui s’était passé, et ils avaient oublié de soumettre une demande à la guilde. Ils avaient aussi détruit une auberge, ce qui leur avait coûté très cher.

« C’est la faute de Mlle Elinalise. »

« Tu ne peux pas m’en vouloir. J’étais dans une ruelle à recueillir des informations quand ils sont venus me voir avec leur appel passionné. »

« Pourtant, sais-tu qu’il y en avait cinq… cinq personnes !? »

Roxy s’y était opposée.

« Tu comprendras un jour. Une aventurière forte et belle comme moi qui se fait maîtriser et traiter comme un jouet sexuel par cinq de ces voyous ? Ah, rien que d’y penser, c’est suffisant pour me mettre enceinte. »

« Je ne veux pas comprendre. »

Quand Roxy était à l’Université de Magie, elle était encore une enfant et ne comprenait pas l’attrait d’avoir un amant ou d’être mariée. La première fois qu’elle avait pensé à vouloir quelque chose comme ça, c’était quand elle avait vu à quel point Paul et Zenith étaient intimes l’un avec l’autre. C’est à ce moment qu’elle avait finalement décidé qu’elle voulait la même chose pour elle-même.

Mais quand même, comment ? se demandait-elle à l’époque. Puis elle se souvint de ce qu’une connaissance à l’université lui avait dit. Cette connaissance avait rencontré son mari dans les profondeurs d’un donjon. Leur lutte commune et la façon dont ils l’avaient surmontée avaient mené à leur mariage.

C’est ça, pensa Roxy. Si je plonge dans un donjon, je devrais pouvoir aussi trouver un partenaire.

Cette fantaisie prenait de plus en plus de place à l’intérieur de sa tête. Elle rencontrerait quelqu’un qui sera grand, viril et habillé à la mode, un jeune homme à l’allure jeune, dans les profondeurs d’un donjon, et il la sauvait. Puis ils unissaient leurs forces pour s’échapper et, ce faisant, leur amour bourgeonnerait et s’épanouirait. Les jeunes découvriraient qu’un de ses amis était mort, et Roxy le réconforterait. Ce serait leur première nuit ensemble.

Lorsqu’elle s’était retrouvée dans un donjon, ces fantasmes furent rapidement effondrés. Un donjon était un endroit rude, et les aventuriers qui y entrèrent étaient très sévères. La seule personne qui avait l’air jeune parmi eux était Roxy elle-même.

Au cinquième étage, il n’y avait pas d’autres aventuriers solitaires. Au dixième étage, elle avait décidé que les choses étaient suffisamment difficiles pour qu’elle ait besoin d’agir dans un groupe, mais les gens se moquaient d’elle pour son apparence enfantine. Ils se moquaient d’elle d’innombrables fois. Elle était devenue têtue par la suite et avait poursuivi sa descente à pied. Ah, la bêtise de la jeunesse. Elle avait failli mourir plusieurs fois, mais elle avait eu la chance d’échapper à ses griffes. Elle n’avait jamais voulu répéter ça.

« Eh bien, tu dois commencer par trouver ton premier homme, de toute façon. Qu’en dis-tu ? La prochaine fois, on peut toutes les deux… »

« Absolument pas. »

Le rêve avait été brisé. Pourtant, elle avait gardé un espoir. Il lui était peut-être impossible de trouver un beau mec au fond d’un donjon, mais elle pouvait encore tomber amoureuse d’une manière ordinaire et avoir un mariage ordinaire. En attendant, elle n’avait absolument pas l’intention de donner son corps à un homme dont elle ne connaissait pas le nom juste parce qu’Elinalise avait réussi à l’y ramener.

« En plus, je n’ai pas le temps pour tout ça. »

Au moins, Roxy décida qu’elle était mieux seule pendant qu’elle errait sur le Continent Démon.

C’est ainsi que Roxy fit son premier faux pas et commença son aventure à travers le Continent Démon.

***

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