Mushoku Tensei (LN) – Tome 3 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Les fondements de la confiance

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Chapitre 4 : Les fondements de la confiance

Partie 1

Si je devais décrire l’ancien village de Roxy en un mot, ce serait miséreux.

Il y avait moins de vingt ménages. C’était un peu difficile de décrire les bâtiments eux-mêmes. On aurait dit qu’ils avaient juste creusé dans le sol puis recouvert le trou avec quelque chose qui ressemblait à la carapace d’une tortue. Il était évident à première vue que les techniques architecturales utilisées ici n’étaient pas aussi avancées que celles du royaume d’Asura. D’un autre côté, même si vous aviez amené une équipe de constructeurs d’Asura ici, ils n’auraient probablement pas réussi à faire quelque chose de mieux, car il ne semblait pas que les bûcherons pourraient bosser ici.

Le petit champ que j’avais repéré de l’extérieur de la porte était bordé de rangées nettes de plantes feuillues et flétrissantes. En toute honnêteté, on aurait dit qu’elles étaient toutes à moitié mortes. C’était plutôt inquiétant. Malheureusement, le Dictionnaire de Roxy ne contenait pas beaucoup d’informations détaillées sur l’agriculture. Tout ce dont je me souvenais, c’était que leurs légumes avaient tendance à être « amers et désagréables ».

Outre les cultures elles-mêmes, il y avait aussi des fleurs à dents qui poussaient sur les bords du champ, ce qui était alarmant. Elles ressemblaient beaucoup aux plantes mortelles qui se cachaient dans les tuyaux verts d’une certaine série de jeux vidéo (NdT Mario), mais il semblait plausible qu’il s’agissait en fait d’une sorte d’animal, étant donné la façon dont elles grinçaient ensemble leurs vilains et inégaux crocs. On peut supposer qu’elles avaient été placées là pour protéger les récoltes contre les animaux affamés.

Près de la clôture du village, un groupe de jeunes filles s’était déplacé autour d’un feu. On aurait dit une bande de lycéennes en camping, mais elles semblaient se concentrer sur la préparation d’un seul repas énorme. Apparemment, elles préparaient leurs repas dans un grand pot et distribuaient ensuite des parts à tous les villageois.

Il n’y avait presque pas d’hommes dans le coin. J’avais remarqué quelques enfants qui étaient apparemment des garçons qui jouaient, mais à part Rowin et l’ancien, les adultes étaient tous des femmes. Les autres étaient probablement en train de préparer le dîner de demain. D’après mes souvenirs, ce sont les hommes qui chassaient le plus dans ces villages, tandis que les femmes s’occupaient de leurs maisons.

« Quelle sorte de proie y a-t-il à chasser par ici, Ruijerd ? » demandais-je.

« Des monstres », répondit-il.

Cette réponse était probablement tout à fait vraie, mais elle semblait manquer un peu de détails, comme un pêcheur qui vous dit qu’il attrapait du « poisson » pour gagner sa vie.

Eh bien… Je suppose que je vais devoir le presser un peu plus.

« Ces carapaces au sommet de leurs maisons viennent-elles aussi de monstres ? »

« Celles-ci viennent des Grandes Tortues. Leurs carapaces sont dures et leur viande est délicieuse. Vous pouvez même faire des cordes à arc à partir de leurs tendons. »

« Sont-elles les cibles principales des chasseurs ? »

« Oui. »

Une tortue savoureuse, hein ? C’était un peu difficile d’en imaginer une assez massive pouvant porter cette carapace. Celle qui couvrait la plus grande maison du village devait mesurer au moins 18 mètres de long.

Tandis que cette pensée me traversait l’esprit, Ruijerd et Rokkus étaient entrés dans ce même bâtiment. Une chose ne semblait jamais changer, peu importe où j’allais : le responsable avait toujours la plus belle maison.

« Excusez-nous. »

« Merci de nous avoir reçus. »

Tout en marmonnant quelques mots vaguement polis, Éris et moi y étions aussi entrés.

« Whoa... »

L’intérieur de l’abri était beaucoup plus spacieux que je ne l’aurais cru de l’extérieur. Son sol était recouvert de fourrures, et les murs étaient décorés d’œuvres d’art colorées. Un feu était allumé dans un foyer creux au centre de la pièce, éclairant très bien l’intérieur. Il n’y avait pas de pièces séparées ou de murs de séparation, la nuit, vous vous enveloppiez probablement dans une fourrure et vous vous endormiez près du feu. J’avais remarqué un certain nombre d’épées et d’arcs soigneusement placés près des murs extérieurs. On pouvait certainement dire qu’il s’agissait d’une communauté de chasseurs.

Pour une raison quelconque, les deux filles qui avaient suivi l’aînée jusqu’à la porte ne nous avaient pas suivies à l’intérieur.

« Eh bien, écoutons votre histoire », dit Rokkus, se jetant à côté du foyer.

Ruijerd s’était assis directement en face de l’ancien. J’étais assis avec les jambes croisées à côté du Superd. Je jetai un coup d’œil en arrière, cherchant Éris, et la trouvai debout maladroitement près de l’entrée, incertaine de ce qu’il fallait faire.

« On s’assoit par terre ? Même à l’intérieur de la maison ? »

« On s’asseyait tout le temps par terre pendant l’entraînement à l’épée, non ? »

« H-hmm. Oui, je suppose que tu as raison. »

Éris n’était pas du genre à s’agiter pour ce genre de choses. Elle était probablement simplement déconcertée par la différence entre la façon dont les choses fonctionnaient ici et ce qu’elle avait appris dans ses leçons d’étiquette. En la regardant tomber par terre, je craignais un peu que la jeune fille n’oublie complètement le concept de « manières » au moment où nous rentrerions à la maison.

En secouant légèrement la tête, je m’étais retourné pour faire face à l’ancien Rokkus.

◇ ◇ ◇

J’avais commencé par dire mon nom, mon âge, ma profession et mon lieu de résidence, puis j’avais expliqué qu’Éris était mon élève et la fille d’une famille noble. J’avais aussi dit clairement que nous avions été envoyés vraiment soudainement sur ce continent par des événements indépendants de notre volonté.

J’avais décidé de ne pas parler de l’histoire de l’Homme-Dieu. Je n’avais aucun moyen de savoir comment les Migurd voyaient cette divinité particulière, et la dernière chose dont j’avais besoin était de me faire passer pour le messager d’un dieu mauvais.

« … Et c’est ainsi que nous en somme arrivé-là. »

« Hrm. Je vois… », murmura Rokkus en se caressant la mâchoire avec l’expression réfléchie d’un lycéen en train de réfléchir à un problème d’algèbre délicat.

En attendant qu’il prenne une décision, j’avais remarqué qu’Éris commençait à s’assoupir. Elle avait l’air assez énergique quelques minutes plus tôt, mais peut-être que la randonnée avait tout de même fait des ravages. Ce n’était pas vraiment surprenant, ce genre de voyage était nouveau pour elle, et il semblerait qu’elle ne s’était jamais rendormie la nuit précédente. La fille était probablement sous l’emprise de la fumée.

« Éris, je peux m’occuper de la conversation. Pourquoi ne fais-tu pas une sieste ? », avais-je dit.

« … Comment suis-je censée faire ça ? »

« Je crois que tu dois t’envelopper dans une fourrure. »

« Mais il n’y a pas d’oreillers. »

« Hé, mes genoux sont disponibles », dis-je en me frappant les cuisses avec un sourire.

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

« Cela signifie que tu peux reposer ta tête sur mes jambes. »

« … Vraiment ? Eh bien… merci. »

Normalement, Éris m’aurait donné un coup de pied royal en retour à ma suggestion, mais il semblerait qu’elle était trop somnolente pour s’en soucier. Sans trop hésiter, elle posa sa tête sur mes genoux. En un instant, son visage se crispa et elle serra les poings, mais une fois qu’elle ferma les yeux, elle s’endormit en quelques secondes.

La fille devait être sérieusement épuisée. J’en avais profité pour caresser doucement ses longs cheveux roux et elle se tortilla un peu en dormant.

Au bout d’un moment, j’avais réalisé que Rokkus me regardait de l’autre côté du foyer. Il avait un sourire chaleureux et amusé sur son visage. Je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu gêné.

« … Uhm, qu’est-ce qu’il y a ? »

« Vous avez l’air de bien vous entendre. »

« Oh. Oui, absolument. »

Cela dit, nous étions encore en mode « bas les pattes » pour l’instant. La petite dame avait des idées bien arrêtées sur la chasteté, et je n’allais pas manquer de respect à ce sujet.

« En tout cas… comment comptez-vous rentrer chez vous ? »

Hmm. Il venait de poser la même question que Ruijerd la veille au soir.

« Nous voyagerons à pied et gagnerons de l’argent au fur et à mesure. »

« Pensez-vous qu’une paire d’enfants peut gagner assez pour subvenir à ses besoins ? »

« En fait, j’ai l’intention de m’en occuper tout seul. »

Ce n’est pas que j’étais moi-même quelqu’un de très débrouillard, mais je ne pouvais pas m’attendre à ce qu’une petite fille riche et protégée comme Éris s’occupe des réalités pratiques ici.

« Ils ne seront pas seuls, je vais aller avec eux », interjeta Ruijerd

Hmm. Ce serait certainement rassurant d’avoir ce type avec nous, mais l’histoire de l’Homme-Dieu était toujours un sujet de préoccupation. Peu importe à quel point je voulais lui faire confiance, c’était probablement mieux pour nous de nous séparer à ce moment-là. Pour autant que je sache, c’était une bombe à retardement.

Ceci dit… comment étais-je censé refuser cette offre ?

Avant que j’aie pu penser à quoi que ce soit, l’ancien Rokkus exprima sa propre désapprobation.

« Et à quoi cela servirait-il, Ruijerd ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? Je vais les garder en sécurité et les ramener chez eux. », répondit Ruijerd d’un froncement de sourcils.

« Mais tu ne peux entrer dans aucune ville, n’est-ce pas ? », soupira Rokkus.

« Euh… »

Attends, quoi ? Il ne peut pas… entrer dans une ville ?

« Pense à ce qui pourrait t’arriver si tu t’approchais une ville avec ces enfants. Tu te souviens de ce qui s’est passé il y a cent ans, n’est-ce pas ? Quand la garnison t’a viré et a formé une escouade pour te chasser ? »

… Il y a cent ans ?

« Eh bien, oui… Mais… je pourrais attendre dehors tout seul… », bégayait Ruijerd.

« Et tu ne sauras rien de ce qui arrivera à ces deux-là à l’intérieur ? Ce n’est pas une façon de les protéger », dit Rokkus en secouant la tête avec exaspération.

Ruijerd grimaça et grinça des dents.

Apparemment, les Superds étaient tout aussi craints et détestés sur le Continent Démon qu’ils l’étaient en Asura. Avaient-ils vraiment formé une escouade entière juste pour traquer un seul homme ? Cela semblait… un peu excessif. On pourrait penser que c’était un monstre déchaîné.

« S’il leur arrivait quelque chose à l’intérieur… »

« Oui ? Que feras-tu ? »

« J’irais les sauver, même si je devais tuer tous les habitants de la ville. »

Les yeux de l’homme étaient d’une gravité mortelle. Il n’exagérait même pas, je pouvais dire qu’il pensait chaque mot littéralement.

« On ne peut vraiment pas raisonner avec toi quand il s’agit d’enfants. Maintenant que j’y pense, tu as d’abord gagné notre confiance en sauvant un jeune d’un monstre vicieux, n’est-ce pas ? », murmurait l’aîné.

« Vrai. »

« Et ça fait déjà 5 ans ? Ah, comme le temps passe vite… »

En soupirant, Rokkus secoua la tête avec lassitude. Je savais que l’homme était de mon côté en ce moment, mais je m’étais quand même trouvé un peu irrité. Il venait d’émettre la même aura qu’un jeune lycéen odieusement précoce, exprimant son exaspération devant la stupidité des adultes.

« En tout cas, Ruijerd, crois-tu vraiment pouvoir atteindre ton but par des moyens aussi violents ? »

« Hm », grogna Ruijerd, froissant son front.

Son but ? Cela semblait important, alors j’avais décidé de m’en mêler.

« Ton but ? Qu’est-ce que c’est, Ruijerd ? »

« C’est très simple. Il veut convaincre le monde entier que les Superds ne sont pas les méchants monstres répandus par les rumeurs. », dit Rokkus

Avec un peu d’effort, j’avais réussi à m’empêcher de dire : « Eh bien, ça n’arrivera pas. » Les préjugés systématiques n’étaient pas le genre de choses qu’une personne seule pouvait surmonter, peu importe les efforts qu’elle faisait. Un enfant seul ne pouvait même pas empêcher sa classe d’intimider quelqu’un, et la haine du Superd s’était apparemment répandue dans le monde entier. Je veux dire, même l’audacieuse petite Éris cria à la vue de Ruijerd. L’humanité et les démons étaient tous deux convaincus que cette race était mauvaise, comment alliez-vous tous les convaincre du contraire ?

« Est-ce vrai que les Superds ont attaqué amis et ennemis pendant la guerre, non ? »

Je m’étais aventuré avec hésitation.

« Attendez ! Ce n’était pas… »

« Je sais que les rumeurs peuvent devenir incontrôlables, mais il semblerait qu’il y ait une bonne raison pour que tout le monde ait peur de… »

« Non ! Ce n’est pas vrai ! » cria Ruijerd, me saisissant soudain par le devant de ma chemise. Ses yeux brûlaient de colère.

Je me sentais tout tremblant. Oh merde…

« Nous avons été victimes du complot de Laplace ! Les Superds ne sont pas une race de bêtes monstrueuses ! »

Qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Arrête de me crier dessus, mec. Tu me fais flipper. Merde, je n’arrête pas de trembler. C’était quoi cette histoire de complot ? C’est un théoricien du complot ou quoi ? Et ce Laplace a vécu il y a 500 ans, non ?

« U-uh, qu’a fait ce Laplace exactement ? »

« Il a récompensé notre loyauté par la trahison ! »

L’emprise de Ruijerd sur ma chemise commença à s’affaiblir. J’avais tendu la main et tapoté plusieurs fois sur ses bras, lui demandant silencieusement de me relâcher. Il s’était immédiatement plié à ma demande. Pourtant, je pouvais voir ses mains trembler de fureur.

« Cet homme… Cet homme maudit ! »

« Pourrais-tu me raconter toute l’histoire, Ruijerd ? »

« C’est une longue histoire. »

« Eh bien, j’ai tout mon temps. »

L’histoire que Ruijerd me raconta décrivait une face cachée de l’histoire de ce monde.

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Partie 2

Le Dieu-Démon Laplace était connu comme un héros qui avait uni les races démoniaques, leur gagnant des droits que la race humaine leur avait longtemps refusés. Les Superds s’étaient ralliés à la bannière de Laplace très tôt dans sa campagne. Ils possédaient une agilité exceptionnelle et une capacité à sentir la présence de leurs ennemis. De plus, leur force au combat était inégalée. Ils servaient comme l’une des forces personnelles de Laplace, se spécialisant dans les embuscades et les raids nocturnes. Grâce au « troisième œil » sur leur front, ils n'avaient toujours pas conscience de leur environnement. Il était impossible de les prendre par surprise ou d’éviter leurs attaques meurtrières.

En d’autres termes, c’était un groupe d’élite. À l’époque, le mot « Superd » était prononcé avec des tons de respect et de crainte dans tout le Continent Démon.

Mais ensuite vint la guerre de Laplace.

Au milieu du conflit, au moment où les démons commençaient à envahir le continent central, Laplace fit appel à ses guerriers qui portaient un certain type d’arme, dont l’une d’entre elles, connut plus tard sous le nom de lances du diable. Il offrit ces lances à ses soldats en cadeau. Ils ressemblaient beaucoup aux tridents que les Superds maniaient au combat, mais ils étaient de couleur noir de jais. Même à première vue, il y avait clairement quelque chose d’inquiétant en elles.

Naturellement, certains guerriers s’opposèrent à leur utilisation, insistant sur le fait que la lance d’un Superd était leur cœur et leur âme, qu’ils ne pourraient jamais jeter leurs armes pour une chose maudite. Mais c’était un cadeau de Laplace, leur maître. Finalement, Ruijerd, le chef du groupe, ordonna à ses soldats d’utiliser leurs nouvelles lances, par pure loyauté envers Laplace.

« Hm ? Viens-tu de dire Ruijerd ? »

« Oui. J’étais le chef des guerriers superd à l’époque. »

« … Quel âge as-tu en ce moment ? »

« J’ai arrêté de compter quand j’ai atteint 500 ans. »

« D’accord… »

Le dictionnaire de Roxy avait-il mentionné que les Superds vivaient si longtemps ? Eh bien, peu importe.

Quoi qu’il en soit, le groupe avait jeté ses vieilles lances dans le sol quelque part et commença à utiliser les lances du diable au combat. Ces nouvelles armes étaient extrêmement puissantes, elles amplifiaient à plusieurs reprises les capacités physiques de leurs porteurs, annulaient les effets de la magie humaine et renforçaient encore les sens déjà aiguisés des Superds.

Les Superds étaient maintenant presque invincibles. Mais en échange, ils avaient été progressivement transformés. Plus leurs nouvelles lances goûtaient le sang, plus leurs âmes devenaient corrompues.

Les guerriers n’avaient même pas réalisé ce qui leur arrivait. Ils avaient perdu la raison petit à petit, aucun plus rapidement qu’un autre, et ainsi, personne n’avait remarqué comment eux-mêmes, ou ceux qui les entouraient, étaient en train de changer.

Avec le temps, cela conduisit à la tragédie.

Les Superds perdirent leurs capacités de faire la distinction entre ses amis et ses ennemis, ils commencèrent à attaquer tous ceux qu’il rencontrait, jeunes et vieux, sans distinction. Ils ne montraient aucune pitié pour les femmes ou même les enfants. Ils ne montraient aucune pitié pour personne.

Ruijerd se souvenait encore de cette époque avec une clarté éclatante. Peu de temps après, les races démoniaques en général en vinrent à appeler les Superds traîtres à leur cause, et la nouvelle se répandit parmi les humains qu’ils étaient des « diables sanguinaires ».

À cette époque, Ruijerd et ses compagnons sourirent joyeusement à ces insultes, les prenant pour les plus grands éloges. Les Superds étaient entourés d’ennemis, mais leurs lances maudites en faisaient une force avec laquelle il fallait compter. Tous les guerriers de leur bande se battaient maintenant avec la force d’un millier d’hommes, aucune armée ne pouvait espérer les détruire. Ils étaient rapidement devenus l’unité de combat la plus redoutée du monde entier.

Cependant, cela ne signifiait pas qu’ils n’avaient subi aucune perte. Étant ennemis détestés de l’humanité et des démons, ils avaient été forcés d’endurer des batailles quasi constantes, de jour comme de nuit. Lentement, mais régulièrement, leur nombre commença à diminuer.

Pourtant, aucun d’entre eux n’avait remis en question le chemin qu’ils suivaient. Dans leur folie, la pensée de la mort au combat leur apportait le bonheur.

Au bout d’un certain temps, une rumeur s’était répandue dans le groupe de Superds qu’un de leurs villages était en fait attaqué… c’était le village natal de Ruijerd. C’était un piège destiné à les attirer vers leur perte, mais à ce stade, aucun d’entre eux n’était assez lucide pour soupçonner quoi que ce soit.

Les guerriers retournèrent chez eux pour la première fois depuis un certain temps… et ils commencèrent à l’attaquer.

C’était simple. Ils avaient trouvé des gens, ce qui voulait dire qu’ils devaient les tuer.

Ruijerd avait assassiné ses parents, sa femme, ses sœurs et finalement son propre enfant. Le fils de Ruijerd était encore jeune, mais il s’était entraîné pour devenir guerrier. Le combat était loin d’être équilibré, mais dans ses derniers instants, le garçon réussit à briser la lance noire de son père.

À cet instant, le rêve agréable de Ruijerd prit fin, et son cauchemar commença. Il avait quelque chose de dur et de croquant dans la bouche. Réalisant que c’était le doigt de son fils, il le cracha avec horreur.

Il avait d’abord pensé au suicide, mais il chassa cela de son esprit. Il devait simplement faire quelque chose avant de pouvoir mourir, il y avait un ennemi qu’il devait détruire, quel qu’en soit le prix.

À ce moment-là, le village des Superds était totalement encerclé par une armée de démons envoyés pour les exterminer. Il ne restait que dix soldats de Ruijerd. Lorsqu’ils reçurent les lances du diable pour la première fois, il s’agissait d’un groupe de près de 200 combattants, courageux et audacieux. Une poignée d’entre eux survécurent, et ils étaient tous en mauvais état. Certains avaient perdu un bras, d’autres un œil ou le bijou sur leur front, mais même battus, meurtris et complètement dépassés en nombre, ils fixaient d’un regard belliqueux les forces armées qui les entouraient.

Ils allaient tous mourir. Et ils allaient mourir en vain.

Ruijerd arracha les lances du diable des mains de ses compagnons et les sépara. L’un après l’autre, ils revinrent à la raison, et leurs regards agressifs avaient laissé place à des expressions d’incrédulité choquée. Beaucoup commencèrent à pleurer de façon incontrôlable, déplorant le meurtre de leur famille. Pourtant, aucun d’entre eux n’avait demandé à être ramené dans l’oubli de leur transe, ils étaient faits de choses plus dures que cela.

Ensemble, ils prêtèrent serment de se venger de Laplace. Pas un seul n’avait blâmé Ruijerd pour ce qui s’était passé. Ce n’était plus des tueurs sans cervelle ni de fiers guerriers. Ils devinrent des créatures déchues et ruinées. Et seule leur vengeance leur donnait la volonté de vivre.

Ruijerd ne savait pas ce qu’étaient devenus les dix autres, mais il soupçonnait qu’ils étaient morts. Sans la puissance des lances du diable, les Superds n’étaient rien de plus que des soldats exceptionnellement efficaces. Ils n’avaient d’autre choix que d’utiliser les tridents qu’ils pouvaient trouver, plutôt que les tridents familiers auxquels ils s’étaient habitués au cours des années de bataille. Aucun d’entre eux n’aurait dû survivre. D’une manière ou d’une autre, Ruijerd réussit à percer l’encerclement de l’ennemi et à s’échapper. Mais il fut grièvement blessé dans la bataille et passa les trois jours et trois nuits suivants au bord de la mort.

La seule et unique chose qu’il avait emportée avec lui était le trident de son fils, avec lequel le garçon mort avait brisé la lance du diable et sauvé son père.

Finalement, après plusieurs années passées à se cacher, Ruijerd obtint sa revanche. Alors que les trois héros luttaient contre le Dieu-Démon Laplace, il alla à l’assaut pour les aider, réussissant à porter un coup à son ennemi détesté.

Mais bien sûr, la défaite de Laplace n’avait pas suffi à réparer tous les dégâts qu’il avait faits. Méprisés et persécutés, les Superds survivants furent chassés de leurs villages et dispersés à travers le monde. Pour les aider à s’échapper de leurs poursuivants, Ruijerd avait été forcé de tuer d’autres de ses anciens alliés démons. Dans les premières années qui suivirent la guerre, les attaques contre son peuple furent vraiment brutales, et il riposta avec autant d’acharnement.

Ruijerd n’avait pas rencontré un autre Superd depuis près de 300 ans. Il ne savait pas si les siens avaient été anéantis, ou s’ils avaient réussi à survivre et à former un nouveau village dans un endroit secret.

« Laplace est responsable de tout ça, bien sûr. Mais moi aussi, j’assume la responsabilité de la honte que j’ai causée à mon peuple. Même si je suis le dernier de ma race, je veux dire la vérité au monde. »

Une fois son histoire racontée, Ruijerd se tut une fois de plus.

◇ ◇ ◇

Ses paroles avaient été simples et directes. Il n’avait jamais fait appel à nos émotions. Et pourtant, Ruijerd avait parfaitement exprimé ses regrets, sa colère et son amertume. Soit tout cela était vrai, soit l’homme était un acteur étonnamment talentueux.

« Quelle horrible histoire », marmonnais-je en essayant de rassembler mes pensées.

Si nous croyons Ruijerd sur parole, les Superds n’étaient pas une tribu assoiffée de sang. Il n’était pas clairement expliqué la raison pourquoi Laplace leur avait donné les lances du diable. Mais peut-être qu’il avait prévu de les utiliser comme bouc émissaire pour tout crime commis par ses armées une fois les combats terminés.

Quelle vilaine chose à faire !

Les Superds avaient clairement été très loyaux envers Laplace. Ils auraient donné leur vie à sa cause. Les trahir si cruellement semblait inutile.

« D’accord. Je t’aiderai autant que possible. »

Une petite voix en moi chuchota une objection : es-tu vraiment en mesure de l’aider ? Et si tu te concentrais sur le fait de sauver ta propre peau ? Ce voyage va être bien plus dur que tu ne le penses.

Ce n’était pas suffisant pour empêcher ma bouche de bouger.

« Je n’ai pas de réelles idées, mais peut-être qu’avoir un enfant humain à tes côtés ouvrira de nouvelles possibilités. »

Bien sûr, je n’agissais pas seulement par pitié ou compassion. À certains égards, nous avions tout à gagner de cet arrangement. Ruijerd était un combattant puissant, du même niveau que les trois héros légendaires, et il nous offrait sa protection. Au moins, avec lui dans les parages, on ne se ferait pas tuer par un monstre sur le chemin de notre prochaine destination.

Sa présence rendrait les choses plus faciles sur la route, et plus difficiles lorsque nous atteindrions une ville. Tant qu’on trouvait un moyen de contourner le problème de la ville, il ferait un excellent allié. Non seulement il était fort, mais il était impossible de lui tendre une embuscade ou de le surprendre, même la nuit, ce qui nous permettrait d’éviter beaucoup plus facilement les voyous ou les racketteurs dans les villes inconnues.

Aussi… bien que ce ne soit qu’une intuition de ma part, j’avais eu l’impression que l’homme était fondamentalement incapable de mentir. J’étais sûr de pouvoir lui faire confiance.

« Je te fais la promesse que je ferai tout ce que je peux pour toi, Ruijerd », avais-je dit.

« Euh… merci », répondit-il, plus qu’un peu surpris.

Peut-être avait-il remarqué que la suspicion dans mes yeux s’estompait ?

Eh bien, peu importe. J’ai décidé de te faire confiance, d’accord ? Je suis tombé dans le panneau, j’ai mordu à l’hameçon, à la ligne et au plomb.

Dans ma vie antérieure, j’avais l’habitude de rire tout le temps en entendant des histoires sanglotantes… mais pour une raison quelconque, celle-ci m’avait vraiment touché. Si l’homme me piégeait d’une façon ou d’une autre, qu’il en soit ainsi. J’avais envie de faire stupidement confiance pour une fois.

« Mais mon garçon, le Superd est vraiment… »

« Tout va bien, Rokkus. Je trouverai une solution. »

Ruijerd nous protégerait sur la route, et je le protégerais dans les villes. Ce serait une relation d’échange.

« Partons demain, Ruijerd. Content de t’avoir parmi nous. »

Il n’y avait qu’une seule chose dans cet arrangement qui me rendait un peu anxieux… Et c’était la chose suivante : j’avais l’impression de faire exactement ce que l’Homme-Dieu voulait.

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