Mushoku Tensei (LN) – Tome 3 – Chapitre 13

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Chapitre 13 : Échec, chaos et résolution

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Chapitre 13 : Échec, chaos et résolution

Partie 1

Après avoir tué le Cobra à tête rouge, notre groupe était retourné à la guilde des aventuriers. Comme toujours, nous avions rencontré Jalil à l’extérieur du bâtiment pour échanger nos cartes de tâches. Nous avions également remis les crocs et la peau du serpent, et nous avions élaboré nos histoires pour nous assurer qu’elles restent cohérentes.

Il y avait beaucoup de choses à transporter cette fois-ci, donc pour une fois, nous nous étions tous dirigés vers la guilde, même Vizquel. Dès que nous avions mis les pieds à l’intérieur, Nokopara s’était approché de nous. J’avais l’impression qu’il n’avait jamais quitté cet endroit… ou qu’il ne nous laisserait jamais seuls.

« Hé, salut ! On dirait que tu as attrapé une proie très intéressante. Ce sont des écailles de cobra à tête rouge que je vois ? Non ? »

J’avais jeté un coup d’œil à Jalil, l’incitant à raconter l’histoire que nous avions élaborée à l’avance.

« Oui, c’est vrai. On a eu de la chance et on est tombés sur le truc alors qu’il était déjà très faible. »

« Hmmm. Vous avez tué une tête rouge, hein… ? »

Nokopara fixa Jalil du regard avec quelque chose qui ressemblait à un sourire condescendant sur son visage de cheval.

Qu’est-ce qui se passe ici ? Il a l’air un peu différent aujourd’hui…

« On a trouvé les corps des gars de Super Blazers avant de tomber dessus. Ils ont dû l’affaiblir avant de mourir… »

« Quoi ? Attends, tu dis que Blaze est mort ? »

« Oui. »

« Merde. Je suppose que c’est comme ça que ça se passe quand on tombe sur une tête rouge…, » dit Nokopara avec un grognement désintéressé.

« Pourtant… même s’il était affaibli, c’est difficile de t’imaginer en train d’abattre un de ces monstres avec Vizquel… »

« Eh bien, il n’était pas seulement affaibli, vraiment. Il était presque mort. Je veux dire, on pourrait presque dire qu’il était mort. Il respirait encore, oui, mais il était presque mort. »

Jalil, parlant un peu trop vite maintenant, avait choisi ce moment pour s’éloigner précipitamment.

Mais Nokopara ne semblait pas encore satisfait et il s’est tourné vers nous.

« Alors ! Vous avez encore trouvé un animal perdu aujourd’hui ou quoi ? »

« Ouais. Maître Jalil nous a appris d’excellentes techniques. On a réussi à gagner un peu plus d’argent de poche aujourd’hui. »

« Hmmmmmm… »

Quelque chose ne tournait pas rond dans cette conversation. J’avais essayé de m’éclipser et de partir rapidement comme Jalil l’avait fait, mais au moment où j’avais commencé à bouger, Nokopara mit son bras autour de mes épaules d’une manière étrangement intime, et s’était penché pour me murmurer à l’oreille.

« Alors, dis-moi, comment chassais-tu les animaux en dehors de la ville ? »

Pendant un instant, j’avais arrêté de bouger. Mais je crois que j’avais réussi à garder mon visage impassible. C’était une situation que j’avais prévue. Il nous avait vus partir de Rikarisu. Je pourrais me débrouiller avec ça.

« Il était en train de flâner hors de la ville cette fois. »

« Oh vraiment ? Et alors… »

Cette fois, Nokopara saisit Jalil fermement par les épaules.

« Est-ce que ce Cobra à tête rouge se trouvait aussi à l’intérieur de la ville ? »

Il avait aussi vu Jalil et Vizquel en ville. En d’autres termes, le leurre était dévoilé.

« Hmm. Très étrange. Beaucoup de choses étranges se passent ces jours-ci. »

J’avais réfléchi à ce scénario. Nous avions des options pour y faire face. Par exemple, je pourrais tout mettre sur le dos de Jalil. Si j’insistais pour qu’il nous force à faire un travail dangereux et de haut rang contre notre volonté, je pourrais me sortir de la crise immédiatement.

Mais je n’allais pas prendre cette voie. Si je le faisais, Ruijerd pourrait couper les liens avec moi pour de bon. C’était après tout une conduite indigne d’un guerrier.

« Allez les gars, n’est-ce pas le bon moment pour tout confesser. »

« Confesser quoi exactement ? Avons-nous fait quelque chose de mal ? », avais-je demandé.

« Hein ? »

« Nous avons aidé les P Hunter à faire leur travail, et P Hunter nous a aidés à faire le nôtre. Est-ce si grave que ça ? »

Au lieu de mentir et de raconter des histoires, j’avais choisi d’essayer l’approche « Et alors ? » J’avais examiné les règlements de la guilde une deuxième fois il y a quelque temps, et il n’y avait certainement pas de règle claire contre ce que nous faisions.

Bien sûr, cela ne voulait pas dire que les gens seraient d’accord. Tu ne peux pas faire ce que tu veux juste parce que ce n’était pas techniquement illégal. Mais je n’étais pas sûr non plus que nous avions franchi la limite d’un comportement inacceptable. Autant insister sur le fait qu’on n’avait rien fait de mal.

« Tu es sérieux, petit ? As-tu déjà pensé à ce qui se passerait si d’autres idiots commençaient à faire ces conneries aussi ? »

« Pas vraiment. Que se passerait-il ? »

« Les emplois commenceraient à être vendus au plus offrant. Tout l’intérêt de la guilde disparaîtrait ! »

Hm. Je pourrais insister sur le fait que nous ne nous payions pas mutuellement pour nos tâches… mais cela ne volerait probablement pas, n’est-ce pas ? C’est vrai… Je suppose qu’on pourrait techniquement classer ça comme une forme d’« achat ou de vente de tâches de guilde ». Ce type est plus intelligent qu’il n’en a l’air.

Certes, si nos méthodes devenaient plus courantes, vous commenceriez probablement à voir certaines personnes vendre leur emploi pour un profit facile. Par exemple, quelqu’un pourrait tout simplement accepter tous les emplois de rang D disponibles en même temps, puis les vendre à la pièce aux autres gars de rang D. Le vendeur obtiendrait un flux régulier d’argent liquide et finirait par gravir les échelons, le tout sans lever le petit doigt lui-même.

Bien sûr, avec cette approche, vous finiriez par échouer à tous les emplois que vous n’arrivez pas à vendre.

« Qu’est-ce que ça peut te faire, Nokopara ? On ne te cause pas d’ennuis, pas vrais ? »

« Es-tu sûr de vouloir prendre ce ton avec moi, gamin ? Tu te trouves à un carrefour en ce moment, tu vois… Écoute aussi, Jalil ! »

À ce moment, Nokopara m’avait saisi par le devant de ma robe et m’avait soulevé du sol.

Regardant derrière moi, je secouai la tête vers Éris et Ruijerd, dont les yeux brillaient de colère. Pour l’instant, j’avais besoin qu’ils restent calmes, cette conversation n’était pas encore terminée.

« Hehehehe... »

C’était difficile d’interpréter l’expression de Nokopara, avec toute cette histoire de tête de cheval. Mais j’avais l’impression qu’il me regardait fixement.

« Si tu tiens à ton statut d’aventurier, tu ferais mieux de m’apporter deux pièces de fer par mois. »

Oh wôw. C’est presque rafraîchissant en fait. J’avais l’impression que c’était la première fois que je rencontrais un de ces types depuis ma réincarnation dans ce monde. Tous ceux que je rencontrais ces derniers temps étaient plus des personnages ternes, c’était sympa d’avoir pour une fois un méchant aussi clair. Au moins, je n’aurais pas à trop réfléchir à la situation.

Quoi qu’il en soit, je savais maintenant pourquoi Nokopara traînait dans la guilde toute la journée. De toute évidence, il surveillait de près les aventuriers qui n’étaient pas à la hauteur, afin de pouvoir en tirer de l’argent. Ça avait l’air d’un travail facile et agréable.

Je ne pourrais pas le dénoncer pour chantage ? Non… ça voudrait aussi dire exposer mes propres actions…

« Vous gagnez beaucoup d’argent en ce moment, non ? Héhé. Pas de quoi s’inquiéter. »

« Ça te dérange si je pose quelques questions ? » ai-je dit tout faisant de mon mieux pour paraître désespérément agité.

« Comme quoi ? »

« Je suppose que ce qu’on a fait sera probablement classé comme de la vente d’un travail, n’est-ce pas ? »

« Ouais, bien sûr. Ils vous prendront une jolie somme d’argent tout en déchiquetant votre carte s’ils l’apprenaient un jour. Ça ne te plairait pas, pas vrai ? »

« Non ! Non !. On… ne veut pas ça. »

Reste calme. Ce n’est pas la peine de paniquer. Je savais que quelque chose comme ça pouvait arriver. Nous allons bien. Nous allons toujours bien.

« On n’a pas ce genre d’argent en ce moment, alors… Jalil et moi, peut-on aller finir nos boulots ? »

« Bien sûr, peu importe. Mais ne t’enfuis pas, compris ? »

« Je n’y penserais même pas, chef ! »

Apparemment, ce type n’était pas si malin que ça. On s’était enfuis tous les deux et on s’était dirigés vers le comptoir.

« Hey… qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on va faire, mec ? »

« Calme-toi, Jalil. Tu dois faire comme si de rien n’était. »

Après avoir offert ces vagues instructions à Jalil, j’avais fait signe à Vizquel de venir nous rejoindre. Nous avions passé en revue nos fiches de travail remplies et avions reçu nos récompenses. Mais avant de quitter le comptoir, je leur avais aussi demandé de dissoudre P Hunters et de rejoindre le groupe Dead End.

Cette étape pouvait être significative ou non. Je n’étais pas sûr du niveau de détail des dossiers de la Guilde.

J’avais regardé de l’autre côté de la pièce et j’avais vu Ruijerd regarder Nokopara avec une envie de meurtre dans les yeux. Bien que nous ayons enfreint les règles de la guilde, il semblerait que la tentative arrogante de chantage de la face de cheval constituait une violation beaucoup plus grave du code du guerrier.

D’un petit geste, j’avais fait signe à Ruijerd de se retenir.

Éris ne semblait pas comprendre ce qui se passait. Si elle parlait la langue de Dieu-Démon, elle aurait probablement été la première à attaquer ce cheval odieux… et elle aurait probablement utilisé son épée, pas ses poings.

Alors que Jalil et moi rejoignions le groupe, Nokopara mit ses bras autour de nos épaules comme si nous étions de vieux amis ou quelque chose comme ça.

« Très bien alors ! Versez votre paiement pour ce mois-ci, les gars. »

Avec un sourire forcé sur son visage, Jalil commença à remettre les deux pièces de fer qu’il venait de recevoir, mais j’avais saisi sa main pour l’arrêter.

« Juste une chose avant de faire ça. »

« Quoi ? Fais vite, petit. Je ne suis pas du genre très patient. »

Je m’arrêtai un instant pour calmer mes nerfs et faire une petite prière silencieuse.

« As-tu une preuve qu’on a enfreint les règles ? »

Le « Tch ! » irrité de Nokopara résonna dans la guilde.

***

Partie 2

Nokopara commença par dresser une liste des tâches que la Dead End avait accomplies à partir des livres d’enregistrement de la guilde. La réceptionniste ne lui avait pas demandé pourquoi il voulait cette information, ce n’était probablement pas la première fois qu’il la demandait. Apparemment, nous utiliserions ces informations pour rendre quelques visites à nos anciens clients.

« Oh, et ne vous faites pas d’idées bizarres comme m’attaquer dans une ruelle », dit Nokopara, ses yeux se déplaçant de Ruijerd à Jalil.

J’avais l’impression que la rage sur le visage de Ruijerd était assez évidente, mais l’homme cheval ne semblait pas trop intimidé. Peut-être qu’il avait l’habitude d’être dévisagé par des hommes qui le voulaient mort.

« Si je meurs, mes potes iront directement à la guilde pour vous dénoncer. Oh, et contrairement à vous, les faux rangs C, j’en suis un vrai. Je pourrais atteindre le rang B quand j’en ai envie. »

Vous pouviez supposer que la dernière partie n’était qu’un bluff. Même Nokopara ne croyait sûrement pas qu’il pouvait nous vaincre à un contre cinq. Il nous mettait au pied du mur, oui, mais ça ne voulait pas dire qu’il voulait mourir.

Pourtant, cela semblait un peu négligent de sa part. J’aurais emmené au moins un garde du corps si j’étais à sa place.

« Okay, nous y voilà. »

Le premier endroit où nous étions arrivés était une maison ordinaire, mais peu familière.

Quand Nokopara frappa à la porte d’entrée, une vieille dame grincheuse apparut. Elle avait un bec en forme d’aigle sur le visage et portait une robe noire unie.

Une odeur sucrée s’échappait de l’intérieur même de la maison. Sans doute l’avons-nous interrompue en plein milieu d’un fouettage de Nerunerunerune…

La vieille dame nous regarda avec méfiance au début, mais dès qu’elle remarqua Vizquel, son visage s’était illuminé.

« Eh bien ! Si ce n’est pas Vizquel ! Qu’est-ce que c’est que tout ça, ma chère ? Tu m’as amené beaucoup de monde aujourd’hui. Oh, ce sont les autres membres de la Dead End, Ruijerd ? »

Nokopara regarda nos visages effrayés, puis regarda la vieille dame, qui ne reconnaissait clairement que Vizquel. Il lâcha un grognement amusé, un sourire désagréable se répandant sur son visage.

« Désolé, madame, mais ce n’est pas la Dead End. Vous vous êtes fait arnaquer. »

« Quoi ? »

Jetant un coup d’œil à Nokopara, la vieille dame grogna avec dédain.

« Comment ai-je donc bien pu me faire arnaquer ? Hein ? »

« Eh bien, ils… »

« Vizquel a très bien débarrassé ces insectes. On ne peut pas battre une Zumeba pour ce genre de travail, n’est-ce pas ? Je n’en ai pas revu un seul depuis. »

D’après ce que j’avais entendu, Vizquel avait dû faire face à une infestation d’insectes ici. Maintenant que j’y pense… cette vieille femme correspondait à ce que nous savions de l’un des clients pour lesquels Ruijerd l’avait vue travailler.

« Tant que tu fais le travail vite et bien, je m’en fous qu’il soit vraiment la Dead End! »

Nokopara n’était pas le seul à être surpris par ce commentaire. Les yeux de Ruijerd s’élargirent aussi.

« Écoutez, madame… »

« Je suis une vieille femme. Je n’ai plus beaucoup de temps de toute façon. Si j’avais la chance de rencontrer à la fin un vrai Superd, je le prendrais chaque fois. »

Les yeux de Nokopara devinrent incertains pendant un moment, mais il se tourna avec force vers Vizquel avec un air renfrogné.

« Vizquel ! Montre ta carte d’aventurier ! »

Vizquel feignit la surprise, mais un petit sourire s’était répandu sur son visage. Elle sortit sa carte et la montra à tout le monde. La dernière ligne, bien sûr, se lisait maintenant comme suit :

« Groupe : Dead End. »

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! Vous vous foutez de moi !? »

À ce stade, P Hunter n’existait plus. Un examen des dossiers de la guilde aurait probablement révélé pourquoi. Et avec un peu plus de travail, des preuves de notre non-respect des règles pourraient aussi avoir émergé. Mais au moins pour l’instant, Nokopara n’y avait pas pensé.

« Au diable tout ça ! On va au prochain ! »

Avec un petit sourire sur mon visage, je l’avais suivi alors qu’il se dirigeait vers la prochaine adresse sur sa liste.

 

◇ ◇ ◇

Au moment où nous avions rendu visite à plusieurs dizaines d’anciens clients, le visage de Nokopara était passé du rouge au bleu.

« Merde ! Qu’est-ce qui se passe ici !? »

Tous ceux à qui nous avions parlé avaient l’impression que Jalil et Vizquel étaient membres de la Dead End depuis le début. Leurs cartes d’aventuriers avaient même confirmé cette histoire.

Il y avait même eu un moment de bien-être vers la fin quand nous étions arrivés à la fille qui avait été notre toute première cliente. Elle avait gémi de joie et serra la jambe de Ruijerd dans ses bras.

« Je suis désolé, Nokopara, mais je ne pense pas qu’on puisse te payer si tu ne peux produire aucune preuve. »

« Nom de Dieu… »

Oublie ta paye, je le dénoncerai peut-être à la guilde. Je pourrais toujours l’accuser de nous « empêcher » de finir notre travail ou quelque chose comme ça.

« Heheheheh... »

Alors que je ricanais mal à moi-même, la dernière destination sur la liste de Nokopara était clairement visible

C’était… apparemment l’auberge Wolfclaw. Il semblerait que Jalil avait pris un petit boulot dans l’endroit où nous étions logés. Il serait peut-être plus difficile de bluffer si nous devions traiter avec quelqu’un qui nous connaissait vraiment, mais j’avais l’impression que nous avions à peine parlé avec l’aubergiste. On se débrouillerait sans doute d’une façon ou d’une autre.

« Ici. Ce sont les derniers. »

Deux personnes étaient sorties de la porte d’entrée de l’auberge Wolfclaw. Je m’étais figé en les voyant.

Ce n’était pas bon. Il y avait une quinzaine de sonnettes d’alarme différentes dans ma tête : Urgence. Urgence. Alerte rouge. Raid aérien en approche ! Éventualité imprévue ! Trop tard, j’avais compris à quel point j’avais été stupide et irréfléchi.

« Oh, Rudeus. Tu es de retour. C’est bon de te voir, mec… C’est quoi tous ces gens ? »

Nous étions face à face avec les membres survivants des Caïds du village Tokurabu. Il y avait un profond épuisement sur le visage de Kurt, mais il nous avait quand même salués d’un ton amical.

« Salut, petit. Tu te souviens de qui t’a sauvé dans la forêt pétrifiée ? C’était un individu de la Dead End, n’est-ce pas ? »

Ah, merde.

Je ne savais pas si Nokopara avait compris ma panique, ou s’il avait prévu de poser cette question dès le début. Mais de toute façon, il nous avait maintenant.

Le rang actuel du groupe la Dead End était D. La tâche que P Hunter avait acceptée était classée B. En d’autres termes, nous n’aurions pas pu accepter ce poste. Notre histoire était sur le point de s’effondrer.

« Quoi… ? »

Kurt nous avait regardés. J’avais secoué la tête frénétiquement, essayant de lui dire de se taire.

Allez ! Tu es un enfant fier ! Personne ne t’a aidé ! Tu as traversé ce bordel tout seul, pas vrai ?

Si au moins le gamin insistait pour dire qu’il n’avait aucune idée de ce dont parlait Nokopara, nous avions encore une chance. J’avais dû prier pour que son orgueil têtu nous vienne en aide.

Devant mon regard désespéré, Kurt acquiesça d’un signe de tête décisif.

« Bien sûr que ça l’était ! Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort que ces types ! »

Oh mon Dieu. Quel honnête garçon !

Il avait ensuite expliqué à quel point nous étions vraiment forts, décrivant la défaite de l’exécuteur et des anacondas-amande dans un style vigoureux qui comportait des tonnes d’effets sonores.

« Sérieusement, Rudeus est complètement fou! Cet exécuteur est effrayant, sans doute, mais il ne faut jamais devenir les ennemis de la Dead End! C’était un combat en face à face, non? Exécuteur contre Rudeus! Comment penses-tu que cela s’est passé? Boom! Splat! C’était fini d’un coup, mec! Un tir! Oh, et l’incroyable Ruijerd aussi! Il était juste, comme, fwoosh! Et puis kablam, voilà l’anaconda ! Il faisait toutes ces choses ridicules sans même sourciller ! Sérieusement, j’en avais la chair de poule ! »

Nokopara écoutait toute l’histoire avec un grand sourire sur le visage, en lançant de temps en temps, « Wôw, c’est incroyable, » ou, « Sans blague ? » Quand Kurt s’était finalement essoufflé, il se tourna vers nous.

« Eh bien, c’est terriblement bizarre. Vous n’avez pas pris un boulot en ville ? Pourquoi étiez-vous dans la forêt pour sauver des enfants de monstres ? »

« Euh, eh bien… nous avons suivi Jalil sur ce coup-là… »

« Désolé, mais Jalil et Vizquel étaient en ville à ce moment. »

C’était terminé. Plus la peine de faire semblant. Nokopara avait visiblement trouvé comment l’utiliser pour nous pousser le dos contre le mur.

Calme-toi ! Calme-toi ! Tu as encore une chance ici !

Concentre-toi, mec. Pour l’instant, nous avions quelques options parmi lesquelles choisir. Disons trois. Euh, d’accord. Nous y voilà…

  1. Tuer Nokopara

S’il avait vraiment eu une bande de complices, comme il le prétendait, ce plan se terminerait très mal. Mais il y avait aussi une chance que ça se passe bien.

En d’autres termes, on jouait tout sur un coup de dés. Mauvaise idée.

  1. Jeter le blâme sur Jalil

Nous étions des débutants, et Jalil était un vétéran. Si je me mettais à crier qu’il nous avait piégés et qu’il avait profité de nous, on pourrait se tirer d’affaire.

Cependant, essayer cette voie me coûterait l’amitié de Ruijerd. Trahir nos « camarades » serait après tout une erreur. Encore une mauvaise idée.

  1. Cracher l’argent maintenant, et trouver un moyen de s’en sortir plus tard.

C’était un autre jet de dés. Je trouverai peut-être un moyen de résoudre les choses rapidement, mais maintenant que Nokopara savait que nous étions dangereux, il allait probablement mettre en place un plan à plusieurs niveaux pour nous garder coincés dans cette ville et en sécurité dans les griffes de son gang. Encore une mauvaise idée.

Je devais choisir l’un de ces trois plans terribles. C’était clairement du temps bien dépensé !

Qu’est-ce que j’allais faire ?

La solution la plus simple était le plan deux, mais c’était probablement de loin le pire choix. Quels que soient ses avantages immédiats, nous nous paralyserions à long terme.

Trahir Jalil et Vizquel signifierait perdre la confiance de Ruijerd pour de bon. Il n’écouterait probablement plus jamais un mot de ce que je dirais.

Le plan 2 n’était pas permis. Absolument pas permis.

Le plan 1 n’était pas bon non plus. C’était juste… insensé. Je sortirais complètement du chemin que j’avais suivi jusqu’à aujourd’hui. La façon dont les gens voyaient la mort sur le Continent Démon n’avait pas d’importance, ce n’était même pas le problème ici. Si je tuais Nokopara maintenant juste pour me sortir d’affaire, je commencerais à résoudre tous mes problèmes de la même façon. Je n’étais pas prêt à m’engager à tuer tout au long de ma vie.

Mais le plan trois n’était pas mieux. En donnant de l’argent à ces gens, nous admettrions notre propre culpabilité. C’était la dernière chose que je voulais faire.

Il y avait aussi la possibilité réelle que nous finissions par enfreindre d’autres règles, ou même des lois, alors qu’ils nous extorqueraient de l’argent. Cela donnerait à Nokopara plus d’influence sur nous, ses demandes augmenteraient probablement. Il pourrait même essayer de mettre la main sur Éris… Je savais que je le ferais si j’étais lui. Si on en arrivait là, on serait dans l’obligation de le tuer.

Mais quand même… devait-on choisir le plan trois ?

Non, non. Comparé à cette voie, nous pourrions aussi bien choisir le plan un dès le départ. Il suffirait de tuer Nokopara. Et tous ses amis aussi.

Était-ce ma seule option ? Allais-je vraiment faire ça ? N’avais-je pas le choix ?

Honnêtement, je ne savais pas si je pouvais me résoudre à tuer quelqu’un. Et comment allons-nous gérer le reste de son gang, où qu’ils soient ? Peut-être que Ruijerd pourrait les retrouver d’une façon ou d’une autre. Mais comment ? S’il ne savait même pas qui il cherchait, son troisième œil ne nous aiderait probablement pas beaucoup.

Il y avait toujours la possibilité d’abandonner l’idée d’être des « aventuriers ». Nous pourrions trouver des moyens de survivre, même sans la guilde. J’avais une bonne idée de la façon dont nous pourrions gagner de l’argent sur ce continent à l’heure actuelle.

Mais… disons que j’avais renoncé à cette voie, aussi douloureux soit-il. Qu’arriverait-il à Jalil et Vizquel ? Non seulement ils avaient participé à notre projet, mais l’enquête de la guilde pourrait révéler des preuves de leur entreprise d’enlèvement d’animaux de compagnie. Notre groupe avait économisé de l’argent et n’avait aucun attachement particulier pour cette ville, mais ces deux-là étaient différents. C’était leur maison, et ils pourraient finir par en être chassés. Ces deux-là n’avaient pas les compétences nécessaires pour survivre dans la nature. Les abandonner, ne serait-ce pas une autre trahison ? Pouvons-nous les accueillir après leur bannissement ?

Non. Aucune chance. Il était déjà assez difficile de régler nos propres problèmes, nous ne pourrions pas nous occuper d’eux non plus.

OK, au diable tout ça. J’ai besoin de m’endurcir. Je deviendrai un tueur s’il le faut.

Souviens-toi du but. Je dois ramener Éris saine et sauve à la maison, quoi qu’il arrive. Pour cela, je suis prêt à trahir Jalil et Ruijerd. Je me fiche qu’Éris finisse par me haïr. Je m’en fiche de savoir si je ne pouvais plus jamais regarder Paul ou Roxy dans les yeux !

Je vais inonder cette foutue ville d’un sort de rang Saint. Éris et moi pourrions nous enfuir dans la confusion. Qu’ils me retirent mon statut d’aventurier s’ils le veulent. Je vais atteindre mon but, peu importe à quel point je dois m’abaisser.

Regarde !

***

Partie 3

L’esprit enfin décidé, j’avais commencé à rassembler de l’énergie magique dans mes mains… puis j’avais remarqué le regard sur le visage de Nokopara.

« Quoi… ah… ah… »

Tout à coup, il était devenu blanc comme un linge et ses genoux tremblèrent. Mais il ne me regardait pas, il regardait quelque chose derrière moi.

Je m’étais retourné. Ruijerd était là, debout, l’air très… mouillé. Une cruche à eau que j’avais remarquée derrière l’auberge gisait sur le sol à côté de lui.

« Ruijerd… ? »

Ses cheveux brillaient d’une teinte vert émeraude à la lumière du soleil. Ils étaient trempés. Il avait jeté l’eau sur sa tête et enlevé la teinture bleue. Il avait aussi défait son capuchon pour exposer la « gemme » rouge sur son front.

« C’est un… S-S-S-Superd… »

Nokopara était tombé en arrière, atterrissant sur ses fesses.

« Je suis Ruijerd Superdia, aussi connu sous le nom de Dead End. Il semblerait que mon identité ait été révélée. Je suppose que je vais devoir tous vous tuer maintenant. »

Ruijerd avait prononcé ses mots dans un monotone rigide et contre nature. Cet homme n’était pas fait pour être acteur. Pourtant, la rage dans ses yeux était réelle.

« Aaaaaaaaah ! »

Quelqu’un poussa un cri perçant.

Soudainement, tout le monde dans la rue se mettait à crier, filles, jeunes hommes et personnes âgées. Ils laissèrent tomber tout ce qu’ils portaient et s’enfuirent pour sauver leur vie.

Alors que le chaos s’étendait, Jalil avait été le premier à nous trahir. En criant : « Ils m’ont menacé ! Je ne savais rien ! Je ne suis pas de leur côté ! ». Il se retourna et se mit à courir, emmenant Vizquel.

Les jambes de Kurt avaient lâché sous lui. Peut-être se souvenait-il à quel point il avait parlé à Ruijerd l’autre jour… Son visage était d’une pâleur mortelle, et il avait l’air de se pisser dessus.

Pourquoi étaient-ils tous si terrifiés tout d’un coup ? C’était toujours Ruijerd. Sa couleur de cheveux avait juste changé, c’est tout. Je n’arrivais pas à comprendre.

Vous vous comportiez normalement jusqu’à maintenant, alors pourquoi ? Allez, Kurt. Tu parlais de Ruijerd comme s’il était une sorte de superhéros. Te souviens-tu d’avoir dit que tu voulais être comme lui un jour ? Tu le regardais avec un tel respect dans tes yeux ! Alors pourquoi ? Pourquoi as-tu si peur de lui maintenant que ses cheveux sont verts ? Regarde Éris, mec. Elle n’a aucune idée de ce qui se passe, mais elle reste calme, non ? Elle est là, les bras croisés, les pieds écartés et le menton en l’air. Regardant tranquillement tout cela les yeux grands ouverts.

Alors pourquoi tout le monde panique-t-il ?

Beaucoup de gens autour de nous fuyaient dans une panique aveugle. D’autres étaient assis dans la rue. Quelques-uns avaient sorti leurs armes, mais leurs jambes vacillaient. Il y avait eu beaucoup de gens différents dans le coin, mais ils tremblaient tous maintenant.

Tout ça à cause d’un type aux cheveux verts ?

Je savais que les gens d’ici craignaient la Dead End. Mais je ne savais pas qu’ils le craignaient autant. Je ne savais pas à quel point leur terreur était viscérale.

Hah.

Ça m’avait donné envie de rire. Quel était donc l’intérêt de tous mes plans et intrigues ? Ils avaient jeté un coup d’œil à sa vraie couleur de cheveux, et voilà ce qu’on obtient. Est-ce que je pensais vraiment que mon petit plan de relations publiques allait changer quelque chose ? Comme c’était ridicule. J’avais peut-être supposé que tout le monde finirait par le comprendre, comme l’avaient fait Éris et les Migurds. Mais cela n’aurait jamais été possible.

Il ne s’agissait pas de contrer quelques vilaines rumeurs. Pour ces gens, les Superds étaient la terreur incarnée. Et je voulais changer ça ? C’est une blague. C’était sans espoir depuis le début.

Alors que l’enfer se déchaînait autour de lui, Ruijerd se dirigea lentement vers Nokopara.

« Toi, là-bas. Tu t’appelles Nokopara, pas vrai ? »

Saisissant l’homme-cheval par le cou, il le souleva du sol. Le corps de Nokopara semblait lourd, mais Ruijerd le souleva sans effort.

« Ruijerd ! Ne le tue pas ! »

Même maintenant que j’en étais arrivé là, je m’étais retrouvé à crier cet avertissement. S’il tuait Nokopara dans ces circonstances, sous les yeux de tous, le nom « Dead End » serait entachée à jamais.

Honnêtement, ça ne l’était pas déjà ? Ça ne servait à rien de se retenir maintenant.

Non, pas vraiment. Oublie ça. Vas-y, Berserker !

« Je suis désolé ! Je ne savais vraiment pas que vous étiez le vrai Dead End ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! S’il vous plaît ! »

Le visage de Ruijerd était enragé. Nokopara tremblait comme une feuille.

« Hé, qu’est-ce qui se passe ? » siffla Éris, un peu énervée.

« Nous sommes au milieu d’un scénario catastrophe », répondis-je lentement.

« Alors pourquoi ne fais-tu rien !? »

« Parce qu’il n’y a rien que je puisse faire. Désolé. »

« Eh bien, je suppose qu’on n’a vraiment pas eu de chance ! »

La fille avait abandonné assez vite. Pour sa défense, j’avais déjà fait la même chose il y a un moment. Il n’y avait pas moyen de réparer ce désordre. Et tout était de ma faute. J’avais supposé que nous pourrions toujours « trouver quelque chose », même si quelqu’un s’en rendait compte. Je me laissais croire qu’on pouvait improviser pour se sortir d’un problème inattendu. Et ce désastre en avait été le résultat.

Maintenant que les événements étaient arrivés aussi loin, la seule vraie façon pour moi d’intervenir était de réaliser mon idée originale et de repartir à zéro.

Comme, lancer un raz-de-marée magique. C’était une bonne idée, n’est-ce pas ? Hahahaha.

« S’il vous plaît, vous devez avoir pitié de moi ! J’ai trois… non, sept enfants affamés à la maison ! »

Nokopara plaida pour sa vie d’une manière quelque peu incohérente. Il était assez évident que ces enfants n’existaient pas. Même moi, j’aurais pu trouver quelque chose de plus convaincant.

« … je quitte cette ville. Et tu vas oublier que tu m’as rencontré. »

Mais Ruijerd l’avait tout de suite libéré. Je supposais que la référence aux enfants avait probablement joué son rôle.

« D’accord, d’accord ! Merci beaucoup ! »

Le soulagement était visible sur le visage de Nokopara… pour un instant au moins.

« Cependant, tu ferais mieux d’espérer que notre statut d’aventuriers ne soit pas révoqué d’ici à ce que nous atteignions la prochaine ville. »

Ruijerd frappa son trident vers l’avant et fit une seule entaille peu profonde sur la joue de Nokopara. Une tache humide s’était répandue à l’avant du pantalon de l’homme-cheval, et quelque chose s’était épanoui à l’arrière.

« Ne présume pas que tu seras en sécurité dans les murs de cette ville… »

Nokopara hocha la tête vigoureusement et à plusieurs reprises.

Quand Ruijerd le lâcha, il s’écrasa par terre en produisant un bruit dégoûtant.

◇ ◇ ◇

Peu de temps après, Ruijerd fut chassé de Rikarisu. Prenant tout le blâme sur ses épaules, il s’était enfui dans le désert.

C’était une journée horrible et frustrante. Ruijerd s’était mis à courir tout seul, nous laissant derrière lui. Très vite, les gardes s’étaient précipités pour demander à tout le monde ce qui s’était passé, et j’avais insisté sur le fait que Ruijerd n’avait rien fait de mal. Mais à leurs yeux, bien sûr, je n’étais qu’un enfant. Ils pensèrent qu’il avait dû m’intimider pour que je dise ça.

Peu de temps après, tout le monde en arriva à la conclusion que Ruijerd avait planifié un complot maléfique ici, nous utilisant comme ses pions. Les détails de son plan n’étaient pas clairs, mais au moins il n’avait jamais eu l’occasion de le réaliser. Tout le monde autour de nous regardait Éris et moi avec de la pitié dans les yeux. Ils étaient convaincus que nous étions des enfants naïfs qui avaient été manipulés par un diable vicieux.

J’étais tellement en colère que j’aurais pu frapper quelqu’un. Qu’est-ce que Ruijerd avait fait de mal ? Tout ça, c’était de ma faute. Rien de tout ça ne serait arrivé si je n’avais pas été aussi complaisant.

Éris et moi étions retournés à l’auberge Wolfclaw, avions rassemblé nos quelques biens afin de la quitter pour de bon. On devait se dépêcher, sinon Ruijerd pourrait s’en aller quelque part. Ce n’était pas comme si nous pouvions rester dans cette ville nous-mêmes de toute façon. Nokopara était toujours en vie, tout comme ses prétendus alliés. Et le fait est que nous avions enfreint les règles de la guilde. Une fois que les choses se seraient un peu calmées, nous serions à nouveau coincés, et sans Ruijerd sur qui compter.

« Hé, Rudeus… »

Alors que nous sortions de l’auberge, Kurt s’était approché de nous avec une expression incertaine sur son visage. Je ne savais pas quoi lui dire honnêtement.

« Pourquoi voyagez-vous avec ce monstre ? »

« Ne le traite pas de monstre. Te rappelles-tu de la personne qui t’a sauvé dans cette forêt ? Comment peux-tu en arriver à te pisser dans ton pantalon à sa vue ? »

« Eh bien, euh… je suppose que tu as raison. C’est ma faute… »

OK, ça ne sert à rien de s’en prendre à Kurt. À ce moment-là, il a essayé de nous aider.

« Désolé, Kurt. Ce n’était pas juste. »

« Non, c’est bon. Ce n’est pas comme si tu avais tort. »

C’était vraiment un bon garçon. Bien qu’Éris le regardait encore avec ses poings serrés.

« J’ai une faveur à te demander. Je veux que tu nous remercies de t’avoir sauvé la vie. »

« D’accord, de quoi as-tu besoin ? » dit Kurt, son expression devenant plus sérieuse.

« Ruijerd n’est vraiment pas une mauvaise personne. Les gens ont peur de lui à cause de ce qui s’est passé il y a longtemps, mais c’est un type bien. Je veux que tu répandes ça dans toute la ville, même après notre départ. »

« Euh… d’accord. Compris. Après tout, je suppose que je lui dois la vie… »

Le gamin n’avait pas l’air entièrement convaincu.

Eh bien… Il avait l’air sérieux. Peut-être qu’il tiendra sa promesse.

Je m’étais arrêté à la Guilde des Aventuriers et j’avais exclu Jalil et Vizquel de la Dead End. J’avais aussi demandé à la greffière de leur transmettre un bref message : « Désolé d’en être arrivé là, mais merci pour votre aide. Vous avez aussi sa gratitude. »

***

Partie 4

Ces deux-là nous avaient trahis à la toute fin, mais on ne pouvait pas leur en vouloir pour ça. C’était la seule option qu’ils avaient pour eux-mêmes se sauver. Mis à part la façon dont les choses s’étaient terminées, ils nous avaient certainement beaucoup aidés.

Sur le chemin de la sortie de la ville, je m’étais arrêté pour acheter un reptile en forme de lézard entraîné pour transporter des personnes et des bagages. C’était une grande créature à six pattes et aux yeux joliment gonflés. Sur ce continent, on les utilisait essentiellement à la place des voitures hippomobiles. Cette espèce particulière pouvait facilement accueillir deux cavaliers adultes à la fois. Cela nous avait coûté dix pièces de fer, soit environ la moitié de tout l’argent dont nous disposions. Mais j’avais décidé il y a quelque temps d'en acheter un quand on reprendrait la route. Le fait d’en avoir un devrait soi-disant nous rendre le voyage sur le Continent Démon beaucoup, beaucoup plus facile.

Après un bref tutoriel du marchand sur la façon de contrôler la chose, je l’avais chargée avec nos sacs et nous étions partis de Rikarisu. Il y avait un grand nombre de soldats rassemblés autour de la porte. Peut-être qu’ils se préparaient à chasser Ruijerd ou quelque chose comme ça. Leurs visages étaient pâles, mais leurs expressions étaient excitées.

Quand je m’étais arrêté pour dire bonjour, ils nous avaient avertis de faire attention, puisque la Dead End avait fui la ville il n’y a pas si longtemps.

À partir de ce moment, ils avaient insisté sur le fait que la Dead End était un diable assoiffé de sang et avaient spéculé sur les actes maléfiques qu’il avait commis à l’intérieur de la ville. Ce n’était pas comme s’ils l’avaient déjà vu.

Au bout d’un moment, je ne pouvais plus me taire.

« Cet homme était en ville depuis presque deux mois, et il n’a causé aucun problème. »

Les gardes m’avaient regardé comme si j’avais une deuxième tête. Je les avais regardés fixement, j’avais claqué ma langue dans l’irritation, et finalement j’étais sorti de la ville. J’étais de mauvaise humeur.

Pour l’instant, nous avions besoin de rencontrer Ruijerd. Était-il encore dans les parages ? J’avais dû le supposer. Si sa fierté de guerrier était encore intacte, il n’y avait aucune chance qu’il nous abandonne… ou du moins Éris.

« Je suppose que l’on devrait être assez loin. »

Une fois la ville complètement hors de vue, j’avais envoyé un feu d’artifice magique dans le ciel. Il éclata dans les airs avec un boum féroce, produisant un éclair de lumière et une vague de chaleur.

On avait attendu un moment, mais Ruijerd n’était pas apparu.

« Éris, peux-tu aussi l’appeler ? »

Éris cria le nom de Ruijerd à pleins poumons. Ce qui était d’ailleurs assez bruyant.

Cette fois, au bout d’un moment quelque chose était apparu. Mais c’était un groupe de Pax Coyotes. J’avais passé mon irritation sur eux.

Rapidement, la zone rocheuse dans laquelle nous nous trouvions avait été transformée en un plateau parfaitement plat, et les monstres avaient été réduits en morceaux sanglants.

Pourraient-ils encore revenir en tant que zombies, même dans cet état ?

Hmph. Ce n’est pas mon problème. Cette ville peut s’en occuper.

« Regarde, c’est Ruijerd ! »

Peu de temps après la fin de la bataille, notre Superd rebelle avait finalement fait son apparition. Il avait l’air coupable, ça me fit sentir encore plus mal.

« Pourquoi n’es-tu pas venu quand on t’a appelé ? Prévoyais-tu de t’enfuir quelque part sans nous dire un mot ? »

Pourtant, pour une raison inconnue, les premiers mots qui sortirent de ma bouche étaient accusateurs. Ce n’était pas du tout ce que je voulais dire.

« Je suis désolé. »

Ruijerd commença par des excuses. C’était embarrassant.

Tout ce bordel était évidemment de ma faute. J’étais devenu arrogant et imprudent. J’avais décidé de faire équipe avec Jalil et Vizquel parce que je voulais une solution plus rapide et plus facile. Quand Nokopara nous avait menacés, j’avais juste supposé que nous réussirions à nous en sortir. Mais on s’était retrouvés dos au mur, et Ruijerd avait dû nettoyer ce bordel pour moi. S’il n’était pas devenu de lui-même le bouc émissaire, nous serions peut-être restés coincés dans cette ville pour de bon. Je ne pouvais même pas blâmer la malchance pour la façon dont les choses s’étaient passées. Nokopara était un pro du chantage. Il nous aurait coincés, même si Kurt ne nous avait pas trahis.

« Pourquoi faire ? C’est moi qui te dois des excuses. »

Je me sentais comme une vraie merde.

« Non. Tu as fait tout ce que tu pouvais, Rudeus. »

« Mais… »

« Même les meilleurs plans de bataille vont de travers. Je sais à quel point tu as pensé à chaque détail, à chaque pas que nous avons fait, jour après jour. »

Soudain, Ruijerd sourit et posa doucement sa main sur ma tête.

« Je ne savais pas à quoi tu pensais, bien sûr. Et j’admets que, jusqu’à aujourd’hui, je soupçonnais que tes objectifs étaient immoraux. Pour cette raison, il y a eu des moments où j’ai eu du mal à respecter tes décisions… »

Il s’arrêta pour jeter un coup d’œil sur Éris, puis hocha la tête.

« Mais maintenant, je comprends que tu voulais désespérément protéger quelque chose, quel qu’en soit le prix. Je viens de le voir dans tes yeux, quand tu étais prêt à tuer cet homme. »

Tout à l’heure… ? Oh, quand j’étais sur le point d’inonder la ville…

« Tu te bats pour protéger quelque chose, Rudeus. Et ça fait de toi un guerrier. »

Quand Ruijerd avait prononcé ces mots, je lui avais répondu par des larmes. Je ne méritais pas ce genre d’éloge. J’étais une personne superficielle et myope. Je ne pensais qu’à gagner de l’argent et à trouver des moyens d’aller de l’avant. J’étais même prêt à abandonner Ruijerd lui-même. J’avais failli mettre de côté le seul allié sur lequel nous pouvions compter jusqu’au bout.

« Ruijerd, je… Je suis… »

Je voulais être honnête avec lui. Je voulais lui dire quelque chose, des mots entièrement sincères, tout simplement, sans me cacher derrière une politesse superficielle. Même si je ne savais pas exactement ce que c’était.

« Ne dis rien. » Mais il m’avait coupé avant que je ne le puisse. « À partir de maintenant, mettez vos objectifs avant les miens. »

« Hein… ? »

« Ne vous inquiétez pas. Je vous protégerai tous les deux, même si vous n’améliorez pas ma réputation. Crois-moi, Rudeus… s’il te plaît. »

Je lui faisais confiance. Bien sûr que je lui faisais confiance.

Ce qui voulait dire qu’on n’avait plus besoin de l’aider.

C’était logique. Diffuser l’information sur Ruijerd n’avait pas été une tâche facile, et essayer de poursuivre deux objectifs en même temps nous avait vraiment empêchés de nous concentrer vraiment sur l’un ou l’autre. On s’était peut-être trop dispersé. J’étais tellement stressé ces derniers temps. J’avais négligé certaines choses qui auraient vraiment dû me venir à l’esprit, et je n’avais pas réfléchi à un certain nombre de détails importants. Une telle situation pouvait facilement mener à des catastrophes comme celle que nous venions de vivre.

Et donc, nous n’avions plus à aider Ruijerd.

Mais je ne pouvais pas accepter ça. Pas après avoir vu ce que je venais de voir. Pas après avoir vu tout le monde le chasser de la ville avec des fourches. Je n’arrivais pas à me résoudre à dire : « D’accord. Attends dehors la prochaine fois qu’on arrive dans une ville. »

« Je ne peux pas faire ça, Ruijerd. Je vais réparer ta réputation, quoi qu’il arrive. »

Au contraire, son offre n’avait fait que renforcer ma détermination. Je lui devais au moins ça pour tout ce qu’il avait fait. J’allais devoir faire un meilleur travail à partir de maintenant. Je n’allais pas me dépasser à nouveau, mais je ferais tout ce que je pouvais.

« N’as-tu pas retenu la leçon, Rudeus ? Suis-je vraiment si indigne de confiance ? »

« Je te fais confiance. C’est pourquoi je veux t’aider à atteindre ton but. »

À l’époque, j’avais moi-même été intimidé. Les gens m’avaient mis une étiquette que je n’avais jamais réussi à enlever. Et j’avais souffert à cause de ça. J’avais passé des décennies tout seul. Si Roxy ne m’avait pas traîné dehors, je n’aurais peut-être jamais échappé à cet isolement, je n’aurais peut-être même jamais rencontré Sylphie ou Éris.

Ruijerd était un cas plus compliqué, bien sûr, et l’ampleur de son problème était incomparable au mien. Mais ce n’était pas une raison pour que je l’abandonne. Roxy m’avait aidé sans même le vouloir, mais je n’étais pas Roxy. Il faudrait que je continue d’essayer, que je continue de merder et que je rampe lentement dans la boue.

C’était peut-être une nuisance totale, du point de vue de Ruijerd. Il pourrait y avoir d’autres désastres comme celui-ci en magasin, quand il aura à nettoyer mon bordel pour moi. Mais ça me convenait très bien.

Je préférais échouer plutôt que de ne pas essayer.

« … Tu es vraiment têtu. »

« C’est toi qui oses dire ça, Ruijerd. »

« Haha… Très bien. Essayons de faire ce que nous pouvons. »

Avec un sourire ironique, Ruijerd hocha légèrement la tête.

Pour une raison ou une autre… à ce moment-là, j’avais l’impression d’avoir enfin gagné sa confiance pour de bon.

 

◇ ◇ ◇

Quand je m’étais réveillé le lendemain matin, Ruijerd était aussi chauve qu’une boule de billard.

Cette vision m’avait laissé abasourdi. Honnêtement, j’étais aussi un peu paniqué. En combinaison avec cette cicatrice sur son visage, il ressemblait à un yakuza.

« Ce qui s’est passé hier montre clairement que mes cheveux font peur aux gens, alors je m’en suis débarrassé. »

Cela… Il avait dû prendre une réelle résolution. De retour au Japon, se raser les cheveux était une façon d’exprimer sa ferme détermination ou de montrer du remords pour une énorme erreur. Les choses étaient différentes dans ce monde, bien sûr. Mais quand même… voir Ruijerd comme ça, j’avais l’impression que je devais suivre son exemple.

Après tout, la meilleure façon d’expier était d’agir.

Est-ce que je veux vraiment moi aussi me raser ? Je veux dire que, j’ai merdé ici, pas vrai ? Mais… hmm… Mec, je ne sais pas…

« U-uh, Éris ? Penses-tu que je devrais aussi faire ça ? »

« Ne t’avise pas de le faire. J’aime tes cheveux comme ils sont, Rudeus. »

Oui, c’est vrai. J’avais fini par utiliser Éris pour me tirer d’affaire.

Allez-y, moquez-vous de moi. Je le mérite bien.

***

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