Mushoku Tensei (LN) – Tome 12 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : Arrivée

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Chapitre 1 : Arrivée

Partie 1

La ville labyrinthique de Rapan était unique en son genre.

Rapan se trouvait au milieu d’un vaste désert, piégée dans une étrange et énorme cage blanche. Une personne curieuse qui s’approcherait découvrirait que cette cage est en fait construite en os, ceux d’un mastodonte mort depuis longtemps. Les côtes à elles seules étaient assez grandes pour contenir la ville entière.

À un moment donné, la ville n’était rien de plus qu’une petite oasis. Les restes du béhémoth l’avaient transformée, et elle était maintenant entourée d’un nombre impressionnant de labyrinthes, ce qui en faisait une destination attrayante pour d’innombrables aventuriers. Grâce à ces aventuriers venus du monde entier pour s’enrichir rapidement, la ville était devenue une scène où se jouaient aussi bien des fins heureuses que des tragédies.

Cette ville, enveloppée dans un tourbillon de chaos, était actuellement l’une des plus grandes et des plus importantes du Continent Begaritt.

Extrait de « Voyages à travers le Monde ».

par l’aventurier et auteur Bloody Kant

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J’avais un vague souvenir des informations contenues dans Voyages à travers le Monde. Rapan était une grande ville de couleur terre, nichée au milieu de ses douze piliers blancs caractéristiques, avec des bâtiments faits de boue et de matériaux obtenus à partir de bêtes régionales. J’avais vu beaucoup de villes ayant la même esthétique sur le Continent Démon.

Cela dit, cet endroit était étonnamment verdoyant, peut-être grâce à l’oasis située près des piliers d’os. Même de loin, je pouvais voir une ligne de ce qui ressemblait à des palmiers. L’atmosphère était également unique. Il y avait quelque chose comme une odeur grossière dans l’air, un peu comme dans les marchés d’esclaves bondés.

« Surpris ? Ces piliers sont en fait les côtes d’un béhémoth. »

Nous étions toujours en train de marcher pendant que j’examinais la zone. Galban m’avait parlé à ce moment-là avec arrogance. Grâce à la formation actuelle de notre groupe, je lui avais beaucoup parlé ces derniers temps. L’homme aimait se vanter. Ses histoires étaient toujours incroyables et flatteuses, d’une véracité douteuse, mais facile à apprécier si vous suspendiez votre incrédulité.

« Lorsque le grand héros Kalman, Dieu du Nord de deuxième génération, visita cette terre, lui et ses compagnons ont vaincu un béhémoth qui sévissait dans le désert. Ils se sont régalés d’une partie de sa viande et ont laissé le reste pourrir, laissant ce que tu vois maintenant — des os qui refusent de se décomposer, témoignant du passage du temps. »

« Wow. »

Cette terre avait donc un lien avec le Dieu du Nord Kalman, hein ? Je connaissais quelques contes à son sujet, mais je n’avais jamais entendu dire qu’il avait tué un béhémoth. J’avais moi-même vu un béhémoth au cours de notre voyage, mais il était bien trop gros pour que je puisse envisager de l’affronter. Il fallait être fou pour même essayer. Je me demandais comment il avait fait. Le Dieu du Nord avait apparemment vaincu un Roi-Démon immortel et un énorme dragon, alors peut-être que vaincre des monstres avec des quantités colossales de points de vie était juste un passe-temps.

« Les fourmis faisaient partie des nombreux monstres qui se sont régalés de la chair du mastodonte déchu, et elles sont à l’origine des nombreux labyrinthes de la ville. Lorsque des monstres dévorent d’autres monstres plus forts qu’eux, ils donnent naissance à leur tour à une progéniture puissante. Ces fourmis mutantes ont creusé d’innombrables nids, et ces nids se sont tous transformés en labyrinthes. »

« Oh, je vois. »

Quand le béhémoth fut mort, les insectes avaient afflué vers lui. Puis ils avaient commencé à se reproduire et à créer des nids. Au fil des ans, ces insectes commencèrent à mourir, les nids commencèrent à muter, et ainsi naquirent les labyrinthes.

C’est donc comme ça que ça s’est passé, avais-je pensé.

Mais l’histoire de manger des monstres puissants et de donner naissance à une progéniture puissante… Ce n’était qu’un conte populaire, pas plus crédible que les histoires selon lesquelles manger la chair d’une sirène vous donnerait l’immortalité. Si c’était vrai, alors les habitants du Continent Démon, qui consommaient quotidiennement de la viande de monstre, auraient dû être beaucoup plus forts qu’ils ne l’étaient. Les monstres étaient peut-être une exception à la règle, mais je n’y croyais pas.

Attendez. En fait, cela pourrait-il expliquer le taux plus élevé de personnes fortes, telles que Badigadi et Kishirika, nés là-bas ? Les monstres eux-mêmes n’étaient que des versions mutantes d’animaux normaux. Cela aurait un certain sens si les gens pouvaient aussi donner naissance à de tels mutants…

Oh, merde. J’avais moi-même mangé un peu de viande de monstre. Qu’est-ce que je ferais si mon enfant avec Sylphie naissait et déclarait soudainement, « Je suis l’empereur du monde des démons ! » ? Je pourrais me trouver une parenté soudaine avec les oiseaux qui avaient fait éclore leurs œufs pour trouver la progéniture d’un coucou cachée parmi eux.

« Des aventuriers et des marchands du monde entier se rassemblent ici, » continua Galban qui se parlait à lui-même.

Les objets magiques étaient sortis en masse. Les outils et armures magiques s’envolaient des étagères. Peu importe le nombre de cristaux magiques — également connus sous le nom de pierres magiques — ou de cristaux imprégnés de magie que vous aviez, il n’y en avait jamais assez. Tant que votre stock était d’une certaine qualité, vous pouviez être sûr que tout se vendrait à des prix élevés. C’était un pays où les rêves des marchands devenaient réalité.

Il était vrai que pour y arriver, il fallait déjà savoir traverser le désert. Seuls quelques privilégiés pouvaient en faire une habitude. Les autres trouveraient sûrement un commerce plus rentable et plus sûr en allant sur le Continent Central.

Mais là encore, un poisson dans une petite mare ne connaît rien de l’océan. Galban semblait assez ivre de son propre narcissisme, je n’allais donc pas gâcher son plaisir. L’économie ne fonctionnait que grâce à des marchands comme lui.

Nous avions fait nos adieux à Galban après notre arrivée à Rapan. Son groupe allait apparemment monter sa tente dans les faubourgs de la ville. Notre temps ensemble avait été court, mais j’avais beaucoup appris d’eux, et ils avaient pris soin de nous.

« Merci pour tout. »

« De même. Si vous avez encore besoin de quelque chose, dites-le. »

C’était une séparation rapide. J’avais fait des adieux minimaux, saluant juste Balibadom et Carmelita. Les choses avaient été un peu tendues à la fin, mais j’espérais qu’il n’y avait pas de mauvaise volonté entre nous.

Maintenant, nous devions chercher Geese, ou Paul. J’espérais qu’ils étaient ici, vu que nous avions fait tout ce chemin. Il restait encore un peu de temps avant le coucher du soleil, et d’ordinaire, nous aurions d’abord cherché une auberge, mais peut-être devrions-nous plutôt donner la priorité à la recherche de ces deux-là.

« Comment allons-nous procéder ? », avais-je demandé.

« Excellente question. Cette ville est suffisamment grande pour qu’il y ait une guilde d’aventuriers, alors allons-y en premier. », répondit Elinalise.

« Compris. »

J’aurais préféré déposer nos bagages en premier, mais bon, cela me convenait. De toute façon, je voulais si possible rester dans la même auberge que Geese et Paul.

Lorsque nous nous étions renseignés sur l’emplacement de la guilde, on nous avait indiqué le centre de la ville, l’endroit habituel pour ce genre de choses. Les gens qui naviguaient dans les rues étaient principalement des marchands. La plupart portaient les mêmes vêtements que Galban : un turban, un tissu simple et fluide qui enveloppait tout leur corps, et une barbe fournie. Ils marchaient dans les rues, tirant des chameaux avec eux, étalant leurs marchandises pour les vendre au bord de la route. Nombre d’entre eux étaient si bien vêtus que leur peau était à peine visible.

Parmi ceux qui érigeaient des avant-toits de tissu, il y avait un individu en particulier qui portait un costume tout droit sorti d’Aladin. Sa boutique était un magasin général. Il vendait des lampes en métal et des pots avec de curieux motifs dessinés dessus. Tout cela avait une saveur très arabe. Je parie que si vous jouiez de la flûte, un serpent rouge sortirait sa tête d’un vase pour jeter un coup d’œil.

Alors que nous approchions de la guilde des aventuriers, j’avais vu un certain nombre de personnes vêtues de vêtements d’aventuriers familiers. Il devait y avoir beaucoup de personnes originaires du Continent Central dans cette région. Ils avaient tous des visages usés par le combat, probablement des aventuriers de rang S spécialisés dans la plongée dans les labyrinthes. La plupart portaient des vêtements plutôt légers. Il était dangereux de sortir sous la lumière aveuglante du soleil sans un vêtement suffisant pour protéger sa peau, mais cela ne posait pas de problème tant qu’ils ne s’aventuraient pas trop longtemps dehors.

Le bâtiment de la Guilde des Aventuriers avait été taillé dans un énorme rocher, très probablement par magie. Je m’en étais immédiatement rendu compte, car il ressemblait à un bâtiment que j’aurais pu moi-même fabriquer, bien que la complexité de sa construction dépassait de loin mes capacités. Un relief exquis était sculpté dans l’entrée, et l’intérieur, une fois qu’on y était entré, était suffisamment bien ventilé pour être rafraîchissant.

L’ambiance au sein de la guilde était à peu près la même que dans le reste de la ville, mais étant donné le genre de ville qu’elle était, il n’y avait pas de nouveaux aventuriers visibles. Tout le monde avait l’air puissant. Ceux qui avaient particulièrement attiré mon attention avaient des cicatrices sur le visage et le corps. Ils semblaient tous avoir un passé mouvementé. Ce qui n’était cependant pas mon cas. J’avais mené une vie protégée, pas de cicatrices, pas de rayures, pas de taches.

« Bon, commençons à nous renseigner sur Paul et Geese », dit Elinalise.

« C’est bien. Je suis sûr que nous trouverons quelque chose si nous demandons. », dis-je en acceptant

« Geese doit déjà avoir un réseau d’information ici, alors je suis sûre qu’il en entendra parler si nous allons fouiner en utilisant son nom… Oh, on dirait que ce ne sera pas nécessaire. »

J’avais suivi le regard d’Elinalise pour découvrir un homme à tête de singe dans un coin de la guilde. Il était en pleine conversation avec un homme bête armé d’une épée.

« Allez, je te le demande. Tu lui en dois aussi une, je le sais. », plaida Geese

« Tu demandes l’impossible. »

« Ne peux-tu pas reconsidérer ça au moins une fois ? C’est une course contre la montre. »

« Ça fait déjà un mois, non ? Elle est morte. »

« Non. C’est impossible. Même si elle l’est, on doit au moins y aller et vérifier, trouver ses restes. Allez, je t’en supplie. J’ai moi-même vu tes compétences, c’est pourquoi je suis ici. Je te paierai même le double, si c’est ce que tu désires », dit Geese en secouant la tête.

Il avait un regard désespéré sur son visage. Je ne savais pas que la petite fouine pouvait faire ce genre de visage.

« Désolé, mais essaye avec quelqu’un d’autre. Je n’ai pas envie de mourir. »

Geese essaya pendant un moment de persuader l’homme, mais finalement, l’homme bête secoua la tête. Geese fit alors claquer sa langue assez fortement pour qu’on puisse l’entendre de là où nous étions.

« Tch, espèce de lâche ! Je ne peux pas croire que tu te donnes la peine de t’appeler un aventurier avec cette attitude ! »

« Oui, oui, dit ce que tu veux. »

L’homme franchit alors la porte sans même un regard en arrière.

C’était rare de voir Geese maudire quelqu’un. Non, honnêtement, je ne savais pas grand-chose sur lui. Le Geese que j’avais rencontré dans le passé était cependant plus léger.

« On dirait qu’il est vraiment acculé dans un coin. », dis-je

« Oh là là, c’est pourtant comme ça qu’il est d’habitude », dit Elinalise.

« Vraiment ? J’avais une autre impression de lui. »

« Il a dû essayer d’avoir l’air plus mature devant toi. Hé, Geese ! »

***

Partie 2

Geese tourna la tête pour chercher qui lui parlait. Il écarquilla les yeux quand il nous vit. Ce dernier marcha dans notre direction.

« Oh, hé ! Mais c’est Elinalise ! »

« Désolée de t’avoir fait attendre », dit-elle.

Geese émit un rire vide.

« Pas du tout, tu es en fait ici bien plus vite que je ne le pensais. »

Il se mit alors à sourire tout en lui tapant sur l’épaule.

« En fait, comment as-tu fait pour arriver aussi vite, hm ? Cela fait seulement six mois que j’ai envoyé cette lettre. Ahh, tu n’as pas dû la lire, hein ? J’ai dû te manquer pendant que tu voyageais. »

« Nous parlerons de ça plus tard. Qu’est-ce qui se passe avec Zénith ? », demanda Elinalise.

Son visage s’était assombri.

« Cela ne se passe pas très bien. Je t’ai envoyé cette lettre parce que je pensais que ce serait une affaire interminable. Mais, pour être honnête… On pourra aussi en parler plus tard. »

Apparemment, les choses ne se passaient pas bien, mais nous l’avions prévu. Mon espoir utopique consistant à penser qu’ils auraient tout résolu avant que nous arrivions ici s’était rapidement révélé faux.

Je les avais alors coupés : « Pour le moment, pourrais-tu nous guider vers l’endroit où est mon père ? »

Les yeux de Geese s’étaient ouverts au moment où il me regarda. Puis il commença à se gratter la lèvre supérieure.

« Oh, hey… c’est toi, n’est-ce pas, patron ? Tu as bien grandi. »

« Et tu n’as pas l’air d’avoir changé, Monsieur Geese. »

« Beurk, ça suffit. Ça me donne la chair de poule. Appelle-moi juste “le bleu” comme tu le faisais avant. »

Ahh, cet échange me rappela des souvenirs.

« Mon Dieu, vous avez l’air d’être proches tous les deux », commenta Elinalise avec amusement.

En entendant cela, Geese sourit : « Eh bien, nous avons partagé une cellule ensemble, hein, patron ? »

« En effet. Ça me rappelle des souvenirs. », avais-je dit

Ah, la nostalgie, le temps que j’avais passé complètement nu dans cette cellule du village de la tribu Doldia. C’était après avoir traversé la mer du Continent Démon au Continent de Millis, avoir été pris dans un incident de kidnapping, et traîné jusqu’à leur village. Chez les Doldia, ceux qui étaient confrontés à des crimes graves étaient dépouillés de leurs vêtements et jetés dans une cellule. On m’avait fait subir le même traitement pour le motif suivant : j’avais enlevé la Bête Sacrée et tenté de commettre des actes sexuels avec elle. C’était bien sur de fausses accusations. Qui diable essaierait d’avoir des relations sexuelles avec un chiot ? Bref, c’était là que j’avais rencontré Geese. Son crime était mineur, provoqué par sa propre cupidité. C’était un voleur très généreux.

« Ah, arrêtons de penser à ça pour le moment. Je vais vous emmener là où se trouve Paul », dit Geese tout en souriant à nouveau, alors que nous laissions la guilde des aventuriers derrière nous.

Paul logeait dans une auberge dans un coin de la ville. Le bâtiment était construit en terre et en pierre et s’adressait aux aventuriers de rang B, du moins selon les normes du Continent Démon. Il n’était ni somptueux ni délabré.

Une fois que nous étions arrivés à l’entrée, Geese nous déclara : « Écoutez bien, Paul est dans un sacré état en ce moment. Alors Elinalise, je sais que tu as beaucoup de choses à dire, mais garde-les pour cette fois. »

« Je ne peux rien promettre », avait-elle répondu en secouant la tête.

Geese força un sourire et haussa les épaules, laissant les choses en l’état. Pourtant, c’était bien d’Elinalise dont il s’agissait. Elle n’allait pas soudainement devenir hostile et agressive.

« Toi aussi, patron. Ne commence pas à te battre comme tu l’as fait la dernière fois, compris ? Je suis sûr que tu as beaucoup de choses à dire, mais… essaie de ne pas trop lui en vouloir, d’accord ? »

Pour que Geese se lance dans un si long préambule, il devait vraiment être dans un sale état. De plus, j’avais déjà vu Paul quand il était faible et qu’il fuyait ses problèmes. Je devais juste me préparer mentalement à quelque chose de similaire.

Bien que son apparence puisse suggérer le contraire, Paul n’était pas le plus résistant mentalement. Si quelque chose de grave arrivait, il sombrait immédiatement dans la dépression. Je n’irais pas jusqu’à le qualifier d’épave émotionnelle, mais il n’avait pas la résilience nécessaire pour faire face à de gros revers. Je pensais qu’il redeviendrait aussi sûr de lui que lorsque nous vivions au village Buena une fois que nous aurions trouvé Zenith, mais qui sait ?

C’était une étape essentielle. Je devais être suffisamment ouvert d’esprit pour que les gens m’appellent Bouddha Rudeus.

« OK, entrons », dit Geese.

Nous étions donc entrés.

Il n’y avait pas de porte, seulement un rideau qui séparait l’intérieur de l’extérieur. Le premier étage de l’auberge était comme tous les autres que j’avais vus, avec des tables pour manger. Les matériaux utilisés pour construire ces tables étaient différents, tout comme leur disposition, mais à part cela, c’était la même chose.

J’avais reconnu Paul en un coup d’œil. Sa moitié supérieure était renversée sur le dessus d’une table.

« Ah… ! »

Quelqu’un haleta lentement.

C’était Lilia, debout juste à côté de Paul. Même sur ce continent, elle portait toujours son uniforme de femme de chambre. Ses cheveux normalement soignés avaient poussé, et son visage était hagard d’épuisement. Pourtant, elle s’était éclairée lorsque nos regards s’étaient croisés. Elle s’était inclinée vers moi et avait immédiatement donné un coup de coude dans le dos de Paul.

La femme qui était assise juste en face de Paul s’était levée. Elle regarda mon visage et recula de plusieurs pas, puis baissa soudainement la tête. Son corps était recouvert d’une robe. Mais c’était qui déjà : Vierra ou Shierra ? J’étais presque sûr qu’elle était Shierra. Je l’avais rencontrée à Millishion, elle était comptable, non ?

Son visage était lourd d’épuisement. Tous les visages l’étaient.

J’avais pris son siège, me plaçant directement en face de Paul.

« Maître, le Seigneur Rudeus est venu », annonça Lilia.

« Hm… ? »

Amadoué par ses conseils, Paul leva lentement la tête. Il avait des cernes sous les yeux. Son corps tout entier était décharné et émacié. Il avait l’air terrible, mais il n’y avait pas de barbe autour de sa mâchoire et ses cheveux étaient plutôt bien entretenus. Et il n’était plus imprégné de la puanteur de l’alcool.

Pourtant, je pouvais dire qu’il était à bout de nerfs. J’étais finalement content d’être venu. En voyant l’état dans lequel il était, je me disais que c’était la bonne décision.

« Rudy… ? »

« Père. Ça fait longtemps. »

Il me regarda fixement, les yeux hébétés et non focalisés. Presque comme s’il n’était pas complètement réveillé. Non, peut-être qu’il avait dormi. Sombrant dans l’inconscience alors qu’il était affalé sur la table.

Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions pas vus. La dernière fois, il avait crié et m’avait réprimandé. Même s’il s’était senti acculé à ce moment-là, je lui avais rendu la pareille, et ça avait fini en bagarre.

Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, j’étais le Bouddha Rudeus.

« Huh ? C’est bizarre, je vois Rudy. Ha ha, quoi de neuf, Rudy ? Ça fait si longtemps. Tu as l’air de bien te porter. Comment vont Norn et Aisha ? », demanda-t-il, le visage sombre et couvert.

Honnêtement, sa réaction n’était pas celle à laquelle je m’attendais. Je pensais qu’il serait comme avant, ivre et fuyant ses problèmes. Avec une flasque dans une main, me criant dessus.

« Euh, je me suis occupée d’elles. Elles vivent dans la Cité Magique de Charia en ce moment. Elles se portent bien. Et juste au cas où, je les ai laissés aux soins de personnes de confiance. »

« OK, oui, ça se comprend. Toujours aussi fiable, Rudy. Ah, comment vas-tu, au fait ? Vas-tu bien ? »

« Oh, oui… je suppose que oui. »

Il avait souri, désinvolte et insouciant. Un sourire qui ne correspondait pas aux circonstances, comme s’il avait perdu tout courage.

« Bon, eh bien, c’est bien. C’est le plus important. »

Il n’y avait pas de vie dans ses yeux. Peut-être que son esprit s’était éteint et qu’il n’était plus qu’une coquille vide. J’avais jeté un regard nerveux à Geese, mais il avait simplement hoché la tête de manière sinistre.

Sérieusement ? Voici ce qu’était devenu Paul maintenant ?

« Rudy… »

Paul s’était levé et tituba autour du bord de la table vers moi. Puis il me serra dans ses bras.

« Je suis… un salaud sans espoir. »

Je lui avais rendu son étreinte en silence.

Peut-être qu’il était sans espoir. Peut-être qu’il ne redeviendrait jamais ce qu’il était. J’avais du mal à y croire, surtout au moment où il avait un petit-enfant en route. Mais tout irait bien maintenant que j’étais là. Je ferais quelque chose pour réparer ça. C’était la raison pour laquelle j’étais venu.

« Je ne peux pas sauver ta mère. Je ne peux même pas tenir les promesses que j’ai faites. J’ai aussi complètement échoué en tant que père. Je suis vraiment un salaud sans espoir. »

« S’il te plaît, ne t’inquiète pas. Je suis là maintenant. Les choses vont s’arranger. »

« Argh… Rudy, tu es vraiment devenu grand, hein ? »

Il me serra les épaules très fort. Ça faisait un peu mal, mais je ne me plaignais pas.

« C’est vrai. Je vais bientôt avoir un enfant moi aussi. Alors, laisse-moi faire le reste et prends le temps de te détendre. »

« Hein ? Un enfant ?! »

Un cri étranglé s’échappa de la gorge de Paul et la lumière revint dans ses yeux.

« Q-Quoiiii ?! »

Il avait l’air complètement désemparé en tapotant ses mains contre mon visage.

« Attends, tu es vraiment mon fils ? »

« C’est bien moi. »

« Alors ce n’est pas un rêve ? »

« Et je ne suis pas non plus sorti de nulle part. », dis-je en plaisantant.

« Oui, c’est bien toi. »

Il cligna alors des yeux plusieurs fois, puis regarda autour de lui.

Les yeux de Lilia avaient rencontré les siens.

« Bonjour, Maître. »

« Oh, c’est toi, Lilia. Combien de temps ai-je dormi ? »

« Depuis que le Seigneur Talhand est parti faire des courses, donc environ une heure. »

« Bon, je suppose que je n’étais encore qu’à moitié réveillé. »

Il secoua la tête et s’étira.

Ah-ha, il était donc juste à moitié endormi, pensais-je. Ce n’était donc pas une coquille vide. Bien. J’étais trop jeune pour être coincé à veiller sur mon vieux père.

Paul reprit son siège et se tourna vers moi. Puis, comme si on refaisait toutes les retrouvailles, il demanda : « Rudy, pourquoi es-tu là ? »

« Je te l’ai déjà dit. Je suis venu pour aider. »

« Non, ce n’est pas ce que je veux dire. »

J’avais secoué la tête. J’avais anticipé cette question. Nous avions déjà eu une confusion de communication similaire et cela avait tourné à la dispute, mais cette fois, tout irait bien. J’avais vu sa lettre, et Norn et Aisha étaient sous ma responsabilité.

« Tout va bien. Norn et Aisha vont bien aussi. On s’occupe d’elles », avais-je dit, répétant ce que j’avais déjà dit il y a un instant.

« O-oh, ok. »

Paul semblait confus. Il tendit la main pour tapoter mon corps à nouveau, presque comme s’il vérifiait que j’étais bien là.

« Non, mais… je veux dire…, n’es-tu pas arrivé ici trop vite ? »

« Nous avons pris un moyen de transport assez unique. Je suis sûr que je devrai te l’expliquer quand il sera temps de rentrer à la maison. »

« Unique, hein ? Eh bien, te connaissant, je suppose que c’est possible. »

Paul avait l’air abasourdi en baissant les épaules, la bouche toujours béante.

« Eh bien, pour que tout soit clair, pourquoi ne me dis-tu pas ce qui s’est passé après que Geese ait envoyé cette lettre ? »

« Euh, non, attends. Je suis un peu perdu. »

« Très bien. Pourquoi ne pas boire un peu d’eau afin d’essayer de se calmer ? »

J’avais utilisé ma magie de terre pour conjurer une tasse, ma magie d’eau pour la remplir, puis je l’avais passée à Paul.

Il la prit volontiers et engloutit le liquide. Une fois qu’il eut terminé, il poussa un gros soupir.

***

Partie 3

« Désolé, j’étais juste un peu choqué. Je savais que Geese était parti de son côté et avait envoyé cette lettre. J’ai juste pensé qu’il faudrait un certain temps avant que vous ne veniez. »

« On s’est dépêchés aussi vite qu’on a pu », avais-je dit.

Paul força alors un sourire.

« Se dépêcher est un euphémisme. »

Un mois et demi. Du point de vue de Paul, un peu plus de six mois s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient envoyé leur lettre. Était-ce considéré comme rapide ? Je suppose que oui. Normalement, il nous aurait fallu un an de plus pour arriver ici. Paul avait probablement pensé qu’ils avaient encore dix mois à attendre.

Il avait soudainement porté une main à son menton, se creusant visiblement la tête. Il avait l’air nerveux quand il me demanda, d’une voix lente et déterminée : « Alors, tu viens de dire quelque chose à propos d’avoir un enfant ? »

Oh oui, je l’ai dit. Ce n’était pas quelque chose que j’avais l’intention de lui cacher, mais peut-être était-il en colère contre moi, pensant : Pourquoi est-ce que tu t’amuses autant alors que je suis ici en train de me battre ?

J’avais construit ma réponse avec soin.

« Eh bien, si tu veux tout savoir, je me suis mariée pendant que j’étais à l’Université de Magie. »

Les sourcils de Paul s’étaient froncés : « Marié ? Avec qui ? Ah, peut-être Éris ? »

« Non, Sylphie. On s’est revus à l’université. », avais-je dit pour le corriger.

« Sylphie ? Tu veux dire celle du village de Buena ? Alors, elle était vivante, hein ? »

« Oui, mais elle a aussi eu des moments difficiles. »

Paul se caressa le menton, l’air toujours surpris. Je lui avais envoyé plusieurs lettres, mais apparemment, il ne les avait pas reçues.

« Pourrais-tu me dire exactement ce qui a conduit à ce mariage ? »

« Euh, bien sûr. Oui. Je devrais probablement aller de l’avant et faire ça. »

J’avais décidé d’expliquer ce qui s’était passé après avoir envoyé la première lettre. Comment je m’étais inscrit à l’université, et tout ce qui s’était passé depuis, jusqu’à mon mariage. J’avais choisi mes mots avec soin. Honnêtement, je n’avais que de bons souvenirs de mon passage à l’école. Il y eut des moments difficiles, mais il n’était pas exagéré de dire que j’y avais vécu les meilleurs moments de ma vie. Je m’étais fait des amis, j’avais trouvé ma femme et je m’étais beaucoup amusé.

J’avais essayé de rester aussi objectif que possible dans mon récit des événements, mais je ne pouvais pas le cacher. Je ne pouvais pas nier que j’avais passé un bon moment là-bas.

« Je vois. Donc… un enfant. Mon petit-fils… »

Je m’attendais à ce qu’il me gronde. Après tout, le fait d’avoir un enfant signifiait que j’avais fait l’acte qui avait mené à sa création à un moment où Paul travaillait désespérément pour essayer de sauver Zenith. Ce serait normal qu’il soit contrarié. Le plaisir était censé être partagé, et Paul vivait une vie d’abstinence.

Au moment où je pensais cela, la tête de Paul s’était affaissée.

« Je suis désolé. Tu es sur le point de devenir père, et pourtant il fallait que tu viennes ici parce que je ne vaux rien. »

Des excuses. De la part de Paul, en plus !

« Non, en fait, c’est moi qui me sens mal. On n’a même pas encore trouvé maman, et je continue à vivre ma vie. »

« Non, je ne peux pas du tout t’en vouloir pour ça. Après tout, j’ai aussi couché avec Lilia une fois. »

Après tout, ils étaient mari et femme, je ne voyais donc pas vraiment où était le mal.

« Je voulais attendre qu’on ait sauvé Zenith. Je suis vraiment pathétique. »

Paul baissa les yeux, comme s’il allait encore pleurer. Il était si fragile. Comme de la porcelaine.

Lilia ajouta soudainement : « On a été attaqués par une succube. On n’avait pas le choix. »

« Quand même, tu… Ahh, merde. »

Paul s’était pris la tête dans les mains tandis que les souvenirs lui revenaient.

Un succube, hein ? Dans ce cas, ce n’était pas vraiment sa faute. J’en avais rencontré moi-même, et on ne pouvait pas leur résister. Elles exposaient les coins les plus sombres de votre cœur… bien que leurs attaques puissent être annulées par une magie de désintoxication. Paul avait un guérisseur dans son équipe qui aurait dû être capable de le faire.

J’avais tourné la tête vers Shierra, qui paniqua dès qu’elle sentit mon regard sur elle.

« Je suis terriblement désolée. C’est juste que… j’étais tellement terrifiée par le capitaine. Je ne pouvais rien faire. »

« Rudy, s’il te plaît, ne la blâme pas. C’est moi qui suis en faute. »

Quand Paul était excité, il s’en prenait probablement aux femmes qui l’entouraient. Cela devait être effrayant de voir un homme comme lui submergé par la luxure — surtout si l’on considérait que Paul était le principal responsable des dégâts de leur groupe. La magie de désintoxication ne pouvait pas être exécutée à moins de toucher physiquement une personne. Ce n’était pas surprenant qu’ils n’aient pas été capables de l’immobiliser assez longtemps pour l’utiliser. Lilia avait dû s’avancer pour utiliser son corps afin de résoudre le problème.

« Oui, j’ai croisé des succubes en chemin. Je comprends à quel point elles sont terrifiantes. Tu n’aurais rien pu faire contre ça. »

« Mais Talhand n’a pas été affecté. J’étais le seul à ne pas pouvoir résister », se désespéra Paul.

En y réfléchissant, il y avait bien un autre homme dans leur groupe. Talhand était-il complètement résistant ? Comment cela avait-il pu se produire ? Difficile de croire qu’un homme puisse s’en sortir indemne. Peut-être que les ruses du succube ne fonctionnaient pas sur les nains ?

Alors que j’envisageais toutes les possibilités, Paul fixa son regard sur moi.

« Un problème ? », avais-je demandé.

Paul s’était gratté la lèvre supérieure.

« Rien, c’est juste que… Tu as l’air plus confiant et affirmé qu’avant. »

« Huh ? »

Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à ce qu’il me le fasse remarquer. En y réfléchissant, quand avais-je commencé à parler si librement devant les gens ? J’avais l’intention de séparer mon discours décontracté de mes habitudes polies, mais apparemment, je m’y étais habitué en parlant avec Zanoba et les autres.

« Oh, oui, je m’excuse. Je serai plus prudent à l’avenir. »

« Non, ce n’est pas grave. Tu ressembles maintenant plus à un homme quand tu parles comme ça. », dit Paul en riant.

Des larmes avaient commencé à perler dans les coins de ses yeux. Elles tombèrent, puis une autre, et d’autres suivirent bientôt. Elles venaient sans prévenir, refusant de s’arrêter.

« Rudy… tu as vraiment beaucoup grandi. »

L’entendre dire cela me fit aussi pleurer. Nous étions une famille, et pourtant, nous ne savions même pas à quel point l’autre avait changé.

« Je suis désolé d’avoir été un si mauvais père. »

Silencieusement, j’avais enroulé mes bras autour de lui. Je n’avais même pas eu besoin de m’étirer, j’ai pu facilement atteindre ses épaules. À un moment donné, sans même que je m’en rende compte, nous étions devenus de la même taille.

Et juste comme ça, nous avions pleuré tous les deux ensemble.

Après un petit moment, nous nous étions éloignés. Nos retrouvailles étaient terminées. Maintenant, nous devions changer de vitesse. Il y avait encore une question à régler.

« Hmph. »

Elinalise s’était assise sur une chaise voisine, l’air complètement désintéressé. Paul s’était lentement tourné vers elle et leurs regards s’étaient croisés. Les yeux de Paul s’étaient rétrécis. Les sourcils d’Elinalise s’étaient froncés.

C’était mal parti.

« Père, Mlle Elinalise est venue de la Cité magique de Charia pour nous aider, sachant que notre famille avait des problèmes. Elle est venue même si elle ne voulait pas te voir. »

« … »

Paul s’était progressivement mis debout. Puis il s’était dirigé avec précaution vers Elinalise. Elle regarda, les mains serrées en poings, et s’était aussi levée.

« Elle s’inquiète aussi pour nous. Je sais qu’il a dû se passer beaucoup de choses dans le passé, mais par égard pour moi, pourrais-tu s’il te plaît laisser tout ça derrière toi ? »

Elinalise dévisagea Paul, elle qui était plus grande que lui d’une tête. L’air se chargea de tension. « Volatile » était le mot qui me venait à l’esprit.

Peut-être qu’ils allaient finir par se frapper. Non, peut-être qu’ils allaient essayer de se tuer ! Merde, leur relation était-elle vraiment si mauvaise ?

« Geese… »

J’avais cherché de l’aide auprès de lui, mais cet abruti s’était contenté d’un haussement d’épaules impuissant et d’un sourire exaspérant.

Cet homme ne sert vraiment à rien, avais-je pensé.

« Elinalise ? »

« Oui, qu’est-ce qu’il y a ? »

Paul se retourna vers moi, puis vers Lilia et Shierra. Il semblerait y avoir une signification derrière son regard, mais je n’arrivais pas à la comprendre.

Soudainement, il s’était mis à genoux. Puis il appuya son front contre le sol. Il rampait !

« Je suis désolé pour ce qui s’est passé à l’époque ! »

Elinalise refusa de le regarder. Elle tourna juste la tête sur le côté, fit une moue et dit, sans se moquer de lui : « Moi aussi, j’étais partiellement fautive à l’époque. »

C’était complètement inattendu. Honnêtement, j’avais pensé qu’elle allait commencer à lui lancer des malédictions.

Paul continua à se prosterner.

« Je t’ai causé beaucoup d’ennuis depuis l’incident de téléportation. Je suis vraiment désolé pour ça. »

« Ce n’est pas grave. J’avais aussi quelqu’un à chercher, c’était donc pratique. »

« Merci. »

« De rien, Paul. »

C’était la fin de tout ça. Juste comme ça. Ils avaient tous les deux un soupçon de sourire sur leurs visages. On aurait dit que le problème qui existait entre eux, quel qu’il soit, venait de disparaître. Sans effort, même si Elinalise avait auparavant longuement expliqué qu’elle ne pouvait pas lui pardonner.

« Ouf… »

Paul laissa échapper une longue inspiration, se souleva du sol et s’épousseta les genoux. Puis il leva les yeux vers Elinalise, qui lui rendit doucement son regard.

« L’âge n’a pas été tendre », dit-elle.

« Il l’a été pour toi. Tu es plus belle que jamais. », lui répondit-il d’un signe de tête.

« Oh, mon Dieu. Je dirai à Zenith que tu as dit ça. »

« Ça veut dire que je vais la voir être jalouse à nouveau. »

« C’est quelque chose que je vais certainement attendre avec impatience. »

Ils avaient tous les deux rigolé. C’était agréable de les voir comme ça. Ils peignaient une belle image ensemble : une superbe elfe et un épéiste épuisé d’âge moyen.

Je n’avais aucune idée de ce qui avait ébranlé leur amitié. Peut-être que c’était juste Elinalise qui était obstinée, et que l’affaire était en fait très banale. Ou peut-être que c’était quelque chose qui avait besoin de temps pour guérir. Quoi qu’il en soit, l’amitié était une belle chose.

« C’est quand même impressionnant que tu aies pu supporter le voyage jusqu’ici. C’est un long chemin depuis les Territoires du Nord jusqu’ici, non ? »

« Oui, ça l’est », avait-elle convenu.

« Que s’est-il passé avec ta malédiction ? Ne me dis pas que toi et Rudeus l’avez fait ensemble ? », demanda Paul sans perdre une seconde.

« Certainement pas. Je suis arrivée jusqu’ici grâce à l’outil magique de Cliff. »

Paul inclina la tête.

« Cliff ? Qui est-ce ? »

« Mon mari. »

« Ton quoi ?! »

Paul écarquilla les yeux. Puis sa voix était devenue plus forte à cause de la surprise.

***

Partie 4

« Tu as donc un mari ? Cet homme doit avoir des goûts bien étranges ! Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? Es-tu sûre que cet homme a vraiment accepté de t’épouser ? Hé, Rudy, tu connais ce type ? Ce “Cliff” ? », dit-il en riant et en jetant un coup d’œil vers moi.

J’avais gardé un visage impassible et j’avais hoché la tête, surtout parce qu’Elinalise avait l’air prête à tuer.

« Père, tu es allé un peu trop loin. Oui, je pense que Cliff a des goûts bizarres, mais c’est un homme très respectable. »

Cliff avait parfois du mal à lire l’ambiance, mais il était honnête, et n’avait pas honte de proclamer son amour. C’était un individu étonnant.

« Sérieusement ? Eh bien, il doit être assez incroyable pour que tu dises ça. »

Paul fut choqué par ce qu’il entendit. Il baissa alors la tête, gêné.

« OK, désolé, j’étais dans l’erreur. N’oublie pas de me le présenter quand on rentrera. »

« Oui, tu devrais être désolé. C’est un homme bien plus étonnant que toi. », souffla Elinalise

Paul força un sourire et inclina la tête une fois de plus.

« Tout ça mis à part… Rudeus, Elinalise, merci d’être venus. »

« On n’avait fait que m’entraîner là-dedans », avait-elle plaisanté.

« Venir ici était normal pour moi. On est quand même de la même famille. »

Maintenant, il était temps pour nous d’entrer dans le vif du sujet.

« Père, explique-moi ce qui se passe. »

Paul commença par expliquer en détail comment il était arrivé ici, bien que je connaissais déjà l’essentiel. Roxy et Talhand l’avaient rencontré à Millishion, puis avaient rassemblé les informations qu’ils pouvaient et avaient traversé la mer jusqu’au Continent Begaritt. Grâce au nombre de membres de leur groupe, ils avaient pu se rendre à Rapan. Ce fut là qu’ils retrouvèrent Geese et découvrirent où se trouvait Zenith.

« Selon les informations de Geese, ta mère est à environ un jour au nord d’ici, capturée dans un labyrinthe. »

C’était vague. Par « capturée », il voulait dire que quelqu’un la retenait là ? Ou était-ce le labyrinthe lui-même qui la retenait ? Les labyrinthes qui capturaient les gens existaient-ils vraiment ?

« Pendant six années entières ? », avais-je demandé, incrédule.

Paul secoua alors la tête : « Je ne sais pas. »

« Et est-elle toujours en vie ? »

« Je ne sais pas. Un groupe y est allé il y a quelques années, et apparemment l’un des membres a dit avoir vu quelqu’un ressemblant à Zenith. Et nous n’avons pas eu de nouvelles depuis qu’ils y sont retournés. »

Ils avaient donc disparu. Ce n’était pas rassurant. Est-ce que ce n’était qu’un vœu pieux d’espérer qu’elle était toujours piégée là-dedans ?

D’après ce que Roxy avait dit, Zenith était encore en vie quand Kishirika l’avait vue. D’après les informations de Geese, les nouvelles du groupe susmentionnées avaient cessé d’arriver avant que Roxy ne s’entretienne avec Kishirika. C’était il y a deux ans. Les informations de Geese avaient été acquises il y a quatre ans. En d’autres termes, Zenith avait passé deux ans sans contact avec quiconque, et était toujours en vie lorsque Kishirika la vit. Cela signifiait qu’il y avait une forte probabilité qu’elle soit encore en vie aujourd’hui.

Apparemment, ils avaient parié sur cette lueur d’espoir pour continuer à la chercher. Même si elle n’avait pas survécu, il était important de confirmer sa mort. Bien sûr, j’espérais qu’elle soit toujours en vie. Quand j’avais entendu qu’elle pouvait être morte, mon cœur s’était effondré.

Je suppose que j’avais déjà compris qu’il était trop tard. Cela faisait quand même déjà six ans.

Soudainement, Geese était intervenu : « Tout ce que nous avons est une information de seconde main, donc nous ne savons pas. Peut-être qu’elle est morte. Peut-être qu’elle est possédée par une sorte de monstre. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle a été vue dans le labyrinthe. »

Paul ajouta alors : « Ce labyrinthe est très ancien et difficile. L’année dernière, nous y avons plongé de nombreuses fois, mais ça a été difficile. Nous avons quatre pros de la plongée en labyrinthe dans notre groupe, mais nous ne sommes même pas arrivés à la moitié. Plutôt triste, vraiment. »

Quatre d’entre eux… Paul, Geese, Talhand et Roxy ? Ils en avaient trois autres aussi, mais aucun n’était professionnel. Maintenant que j’y pensais, où étaient les trois autres membres ?

« Hm, vous avez de la compagnie ? »

Juste à ce moment-là, la lumière jaillit de l’entrée. Quelqu’un était entré.

« Oho ! On dirait que j’ai manqué une réunion touchante, hein ? »

C’était un homme de petite taille. Il était vrai que sa taille était la seule chose qui était petite chez lui. Il avait autant de circonférence que de taille. On pouvait dire que c’était un nain au premier coup d’œil. Il avait une longue barbe flottante, et un grand sac en toile de jute dans sa main. Ce devait être Talhand.

Une femme se tenait derrière lui, habillée comme une guerrière et portant un sac similaire. Elle ne portait pas l’armure en bikini qu’elle avait auparavant, mais je m’étais souvenu de son visage. Vierra, c’est ça ? Elle m’avait salué, puis s’était précipitée aux côtés de Shierra.

Le corps robuste de l’homme se balançait en s’approchant. Il m’examina du sommet de ma tête jusqu’au bout de mes orteils.

« Tu es le fils de Paul ? »

« Hum, oui. C’est un plaisir de vous rencontrer. Je m’appelle Rudeus. »

« Talhand. Tu sembles aussi intelligent que je l’ai entendu dire. Mm-hm. »

Il posa son sac sur le dessus de la table.

« Rudeus, tu ferais mieux de rester loin de lui. Il vole ce qui est cher aux hommes », prévient Elinalise.

Ce qui est cher aux hommes ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Leur fierté ?

« Aha, je trouvais que ça sentait un peu trop la femme ici. »

Talhand regarda Elinalise avec une expression sur le visage qui semblait dire qu’il venait juste de réaliser qu’elle était là.

« Qu’est-ce que c’est que ça, hein ? Tu es aussi venue ? »

« Oh là là, tu veux dire que je n’aurais pas dû ? »

« Bien sûr que je le dis. Ta seule présence ici crée des problèmes. »

Il fouilla dans son sac et en sortit une bouteille en verre remplie d’un liquide ambré. Il fit sauter le bouchon et l’avala d’un trait.

« Pwah ! Ça, c’est une boisson qui va te donner un sacré coup dans le ventre. »

La puanteur de l’alcool flotta dans l’air. Cela montrait assez bien que cette boisson était forte. Les nains aimaient donc bien leur alcool.

« Vas-y. »

Talhand poussa la bouteille vers Elinalise. Elle la prit sans mot dire et but une gorgée. Elle ne buvait pas autant que lui, mais je pouvais encore voir sa gorge blanche et pâle bouger tandis qu’elle avalait deux fois avant de roter.

« C’est un alcool plutôt vulgaire. »

« Ça va parfaitement avec quelqu’un d’aussi vulgaire que toi. »

Il remit le bouchon en place et rangea la bouteille dans son sac.

Qu’est-ce que c’était que cet échange à l’instant ? Était-ce censé être une salutation de style nain ? Personne d’autre ne l’a commenté. Que diable… ?

« Bien, maintenant que tout le monde est là, reprenons là où nous nous étions arrêtés, d’accord ? »

La voix de Paul me ramena à la raison. Talhand avait fait un sacré effet avec son entrée, si bien que j’avais complètement oublié que nous étions en pleine conversation.

Attendez, il avait dit tout le monde ?

« Attendez un moment. Qu’en est-il de Maître Roxy ? », l’avais-je interrompu.

Le visage de Paul s’était assombri au moment où je l’avais demandé. Mais il n’y avait pas que lui dans ce cas. Tous les autres portaient le même regard, sauf Elinalise. La belle aux longues oreilles semblait comprendre ce que cela signifiait, et ses yeux s’étaient agrandis.

« Quoi ? Ce n’est pas possible… »

Dès que je l’avais entendue dire cela, un seul mot surgit dans le fond de mon esprit. Le pire que je puis imaginer.

Morte.

« Il y a un mois, Roxy s’est fait avoir par l’un des pièges du labyrinthe. »

Je pouvais sentir mon cœur battre la chamade. Je n’avais pas envie d’entendre ça. Pas cette petite fille aux cheveux bleus. Ce n’était pas possible. Je ne voulais pas les entendre dire ça. C’était une aventurière compétente, qui s’était déjà aventurée seule dans un labyrinthe. Elle ne pouvait pas utiliser la magie silencieuse, mais elle avait réussi à raccourcir ses incantations. Elle était une magicienne de l’eau de niveau Roi. Ma sauveuse.

Je ne voulais pas en entendre plus. Malgré tout, j’avais demandé à contrecœur : « Elle n’est pas morte… hein ? »

À un moment donné, Elinalise s’était levée de son siège et s’était mise derrière moi, posant ses mains sur mes deux épaules.

« Non. Elle a marché sur un cercle de téléportation et a disparu. Nous n’avons pas confirmé sa mort. Il est fort probable qu’elle soit encore en vie dans le labyrinthe. », dit Paul.

C’était suffisant, du moins pour le moment. J’avais senti la tension me quitter. Mais mon visage s’était rapidement raidi à nouveau à la suite de la protestation de Geese.

« Voyons, Paul. Ce n’est pas possible. Je comprends que c’est de Roxy qu’on parle, mais ce n’est pas le genre d’endroit où un magicien peut survivre seul. Bien sûr, elle est peut-être encore en vie, mais les chances sont… »

Talhand s’était coupé : « Non, Roxy n’est pas une magicienne ordinaire. Il y a de fortes chances qu’elle soit encore en vie. »

« Tu dis ça, mais nous avons cherché tout le mois et nous ne l’avons pas trouvée ! », s’exclama Geese.

« On y est allés cinq fois, et rien ! »

« Geese. Combien de temps vas-tu continuer comme ça ?! », dit Paul de façon laconique.

Paul, Geese et Talhand commencèrent à se disputer entre eux. Geese — dont je me souvenais qu’il était si facile à vivre — était énervé et se chamaillait. On aurait dit qu’il donnait vraiment l’impression d’être à bout de nerfs.

Donc Roxy avait marché sur un piège de téléportation. Comme elle avait tendance à être négligente parfois, je suppose que je pouvais le comprendre. Mais s’ils n’avaient pas confirmé sa mort, je voulais croire qu’elle était vivante. Il ne me semblait pas possible que quelqu’un comme Roxy Migurdia puisse mourir si facilement.

Du moins, je voulais croire que c’était impossible. Je m’étais accroché à cette supposition.

Agh. J’étais encore plus choqué par cette nouvelle que par celle où j’avais appris que Zenith était peut-être morte.

« Désolé d’avoir interrompu la conversation. Revenons-en au point où nous en étions. Quel genre d’endroit est ce labyrinthe ? », avais-je demandé.

Les trois hommes échangèrent des regards. C’était comme s’ils se concertaient pour savoir qui serait celui qui transmettrait l’information.

Paul ouvrit finalement la bouche : « Un labyrinthe de téléportations. »

Au moment où il prononça ces mots, j’avais eu l’impression d’entendre un livre bruisser dans mes sacs. Comme si le livre avait entendu quelqu’un appeler son nom. Celui intitulé Compte-rendu exploratoire du labyrinthe de téléportations.

***

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