Mushoku Tensei (LN) – Tome 11 – Chapitre 8

***

Chapitre 8 : Adieux

***

Chapitre 8 : Adieux

Partie 1

Le Continent de Begaritt était une île massive, il fallait donc traverser la mer pour l’atteindre. Et ma destination spécifique, la Cité-Labyrinthe de Rapan, était située près de la côte est.

Il y avait deux routes possibles que je pouvais prendre. La première consistait à me rendre à Port Est, la principale ville portuaire du Royaume du Roi Dragon, et à y prendre un bateau. Ce ne serait pas la route la plus directe, mais elle me permettrait d’entrer dans Begaritt par l’est, réduisant ainsi le nombre de voyages que j’aurais à faire sur ce continent. C’était l’option la plus sûre.

L’autre possibilité était de prendre un bateau depuis le Royaume d’Asura, ce qui m’amènerait sur la côte nord du continent. Cela impliquerait de couper à travers le territoire de Begaritt, ce qui rendrait le chemin plus dangereux, mais cela me permettrait de gagner du temps.

D’après mes estimations, le premier plan me prendrait 18 mois et le second environ 12 mois. Même le plan le plus efficace ne me permettrait pas de faire l’aller-retour dans les sept prochains mois. Je manquerais la naissance de mon enfant, quoi qu’il arrive.

Mais c’était évidemment loin d’être ma seule préoccupation.

Pour une fois, j’allais ignorer les conseils de l’Homme-Dieu. Le connaissant, il devait savoir que je n’allais pas être d’accord avec lui, mais je n’avais jamais fait exactement le contraire de ce qu’il recommandait auparavant. C’était comparable à… comme si j’avais entièrement évité le Royaume de Shirone en traversant le Continent Central. Lilia et Aisha seraient toujours captives là-bas, et je n’aurais jamais rencontré Aisha. Je suppose que cela m’aurait quand même empêché de rencontrer Orsted.

Où serais-je maintenant si les choses s’étaient passées ainsi ? Nous aurions probablement atteint le camp de réfugiés sans trop de problèmes. Mais les choses auraient quand même pu se terminer aussi mal avec Éris. Et dix ans plus tard, j’aurais peut-être découvert où étaient Lilia et Aisha, à mon grand regret.

Oui. Il avait dit que je regretterais ça aussi. Il l’avait répété les deux fois où j’en avais parlé avec lui.

En se basant sur ça, les raisons n’avaient probablement rien à voir avec mon timing. Peu importe quand j’allais à Begaritt, je finirais par avoir de nouveaux regrets. Mais je ne pouvais pas dire ce qu’ils seraient. Je pouvais imaginer toutes sortes de possibilités. Je pourrais finir par perdre quelque chose. Comme une de mes mains, peut-être… ou un de mes parents.

Il n’y avait pas de raison de perdre du temps à y penser. Si je n’y allais pas, je serais coincé ici à attendre anxieusement pendant au moins deux ans. Au final, je pourrais apprendre que quelqu’un que j’aimais est mort. Paul ou Geese pourraient se montrer, meurtris et blessés, et me reprocher de les avoir abandonnés.

Tout pouvait arriver, mais je devais y aller. Même si je savais que je le regretterais.

Mais avant toute chose, j’avais décidé de parler de ma décision à Elinalise. Si je commençais par Sylphie et qu’elle fondait en larmes, ma détermination pourrait vaciller. Je voulais m’endurcir en annonçant d’abord la nouvelle à mes amis.

J’avais demandé à Elinalise de me rejoindre dans une salle de classe vide sur le campus.

Quand je lui avais dit ce que je prévoyais, celle-ci fit une grimace de mécontentement.

« Écoute, Rudeus. Ne t’ai-je pas dit de rester ici ? »

« Si, tu l’as fait. Mais je… »

« Tu sais, il y a toujours une chance que Geese ait sautée aux conclusions. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Tu connais l’homme, Rudeus. Il réfléchit rarement avant d’agir. Ce ne sont que des pressentiments et des intuitions avec lui. »

Eh bien, elle n’avait pas tort à ce sujet. Geese aimait aussi garder les faits pour lui, et il n’était pas au-dessus de la manipulation des gens.

« La lettre pourrait être l’un de ces cas. Pour ce qu’on en sait, il y a déjà une autre lettre en route vers nous, qui dit : “Ne tenez pas compte du dernier message, Zénith est en sécurité”, ou quelque chose du genre. », poursuivit Elinalise.

« Oui. L’idée m’a traversé l’esprit. »

Il y avait une chance que nous allions là-bas pour découvrir que Paul avait déjà sauvé ma mère. On pourrait même se rater sur la route. C’était possible, mais…

« Réfléchis-y une seconde. N’est-ce pas étrange que Geese sache où me trouver ? », avais-je dit.

« … Quoi ? »

« J’ai envoyé une lettre à Paul il y a un an et demi, lui disant où je vivais. Geese était sur le Continent Begaritt il y a six mois, au moins. Quand a-t-il appris que nous étions dans cette ville maintenant ? Comment nous a-t-il envoyé ces lettres ? »

Se rendre à Begaritt prenait environ un an à un voyageur, et même les lettres ne se déplaçaient pas aussi rapidement. Ce n’était pas comme les textos sur votre téléphone. Il fallait compter six mois minimum, même avec un service de livraison express. Les dates ne correspondaient pas.

« Le seul moyen pour que Geese puisse savoir où je suis est qu’il ait rencontré mon père et les autres. Ils ont dû lui dire où nous étions. »

« Alors pourquoi est-ce Geese qui nous a écrit, et pas Paul ? »

« Soit Geese a décidé d’envoyer la lettre tout seul, soit la fierté obstinée de mon père s’y est opposée. »

« Oh. Je vois… »

Elinalise porta une main à son menton, en réfléchissant à la question.

Dans la dernière lettre de Paul, il m’avait assuré qu’il pouvait s’occuper tout seul du sauvetage de Zénith. Il lui aurait été plus difficile de me demander de l’aide, même s’il en avait eu besoin.

Elinalise m’avait étudié pendant quelques instants et avait laissé échapper un « Hmm » réfléchi. Mais finalement, elle hocha la tête.

« Très bien, alors. Je suppose que nous irons ensemble. »

Je ne savais pas exactement à quoi elle avait pensé, mais son sourire était un peu triste. J’avais eu le sentiment qu’elle s’attendait à moitié à ce que les choses se terminent ainsi.

Nous allions voyager ensemble sur le continent de Begaritt, tous les deux.

Une heure plus tard, on s’était retrouvés.

« Bien. Commençons par décider de notre itinéraire, d’accord ? »

Elinalise était retournée brièvement dans sa chambre pour récupérer une grande carte du monde. Elle l’avait probablement achetée il y a quelques jours pour préparer son voyage. Tous deux l’avaient étalée sur une table, puis s’étaient penchés dessus pour examiner nos options.

La carte était assez grossière. Elle n’indiquait pas les noms de routes spécifiques ou l’emplacement de nombreuses villes. Elle indiquait simplement la forme des continents, les principales chaînes de montagnes et d’autres caractéristiques géographiques de base.

Elinalise avait manifestement passé du temps à étudier les routes possibles. De petites marques sur la carte indiquaient l’emplacement approximatif de Rapan et les lieux importants que nous devions traverser en chemin. Comme je l’avais prévu, il y avait deux approches possibles.

« Pour commencer, je pense que nous voulons arriver à Rapan le plus rapidement possible. »

Elinalise désignait la route la plus courte, qui nous mènerait d’Asura au côte nord du continent.

« Mais la route du nord est plus dangereuse, non ? », avais-je demandé.

Cette approche comportait toutes sortes de risques. Nous ne connaissions pas les routes de Begaritt, et nous devions parcourir presque toute la longueur d’un Continent dangereux. J’avais confiance en ma capacité à tuer des monstres, mais une terre inconnue pouvait encore receler de nombreux dangers.

« Je crois me souvenir que tu peux parler la langue du Dieu Combattant, Rudeus. »

« Huh ? Eh bien, oui. Mais je ne suis pas vraiment à l’aise. »

« Dans ce cas, nous pouvons simplement engager un guide et des gardes du corps une fois arrivés. »

« Ah, je vois… »

Grâce aux nombreuses années d’expérience d’Elinalise sur la route, nous nous étions rapidement mis d’accord sur notre itinéraire de base. Cela fait, nous étions passés à la planification des détails de notre voyage.

Tout d’abord, nous avions acheté des chevaux ici à Ranoa et les avions chargés avec juste assez de provisions pour nous rendre au Royaume d’Asura. Nous ne voulions pas apporter trop de choses, car cela nous ralentirait. Nous remplacerons nos chevaux quand ce sera nécessaire et les conduirons aussi loin que possible jusqu’à ce que nous atteignions le port d’Asura.

Une fois là-bas, nous achèterions de l’équipement et des provisions. Les denrées alimentaires étaient difficiles à trouver à Begaritt, même quand on avait de l’argent à dépenser. Les prix à Asura étaient peut-être plus élevés, mais il était sage de faire des provisions quand on en avait l’occasion.

Et dès que nous aurions tout ce dont nous avons besoin, nous prendrions le prochain bateau pour Begaritt. Là, nous engagerons un guide, et éventuellement des gardes du corps si cela semblait prudent. Elinalise s’occuperait de ces négociations tandis que je ferais office d’interprète. Après cela, nous laisserions notre guide nous conduire à la ville de Rapan. Une fois là-bas, nous retrouverions Paul et les autres, nous sauverions Zénith, et nous prendrions le même chemin pour rentrer chez nous.

« J’ai fait le voyage jusqu’à Asura plus d’une fois, ce ne sera donc pas un problème. Le seul souci est de choisir ce que nous allons apporter avec nous à Begaritt… », dit Elinalise pensivement.

Nous ne pourrions pas transporter tout ce que nous voudrions. Un chariot aurait pu résoudre ce problème, mais Begaritt était apparemment couvert de déserts, et les roues des chariots ne sont pas très bonnes sur le sable. Nous aurions probablement dû acheter un destrier comme le lézard que j’avais utilisé sur le Continent Démon. Peut-être qu’ils avaient des sortes de chameaux.

« Je pense néanmoins que tu peux me laisser ces détails. J’ai plus d’expérience dans ce domaine », a-t-elle dit.

« La vieillesse a ses avantages, hein ? »

« Ne me provoque pas, s’il te plaît. »

J’avais passé cinq ans en tant qu’aventurier, mais comparé à un vétéran comme Elinalise, j’étais encore un jeune homme. J’avais fini par lui laisser la plupart des décisions difficiles à prendre.

« Heureusement, nous sommes tous les deux en assez bonne forme. Nous devrions être capables de nous pousser à bout quand c’est nécessaire. », déclara Elinalise.

« Oui, je suppose que c’est vrai… »

J’étais persuadé qu’Elinalise pourrait marcher toute la journée dans le désert, mais pas tout à fait aussi certain que je serais capable de la suivre. J’avais continué à m’entraîner, mais il y avait une chance que je la ralentisse un peu.

Néanmoins, cela ne me semblait pas être trop problématique.

« En tout cas, c’est pratique qu’ils élèvent des chevaux pour les voyages longue distance dans cette région. Nous devrions être en mesure de trouver des options très appropriées. »

Notre objectif initial était d’atteindre le port d’Asura en deux mois. Il était difficile de dire combien de temps prendrait la traversée vers Begaritt, mais nous avions estimé à un mois. Aucun de nous n’était allé sur le continent lui-même, mais le terrain était apparemment difficile. Nous avions donc prévu six mois supplémentaires pour atteindre notre destination.

Au total, nous devions compter environ huit mois pour un aller simple.

C’était plus rapide que ce que j’avais estimé. Je sentais qu’il y avait peut-être moyen de réduire encore le temps en utilisant ma magie de manière créative, mais je ne voulais pas risquer de nous ralentir avec des expériences d’amateur. Le plus important était d’y arriver en un seul morceau.

Nous avions passé un peu plus de temps à discuter d’autres détails dont nous devions être conscients pendant notre voyage. Elinalise avait éclairci quelques points que je n’avais pas compris avec une précision remarquable et nous avait fait prendre plusieurs décisions à l’avance pour éviter tout désaccord sur la route. C’était agréable de savoir que nous n’allions pas perdre de temps à nous disputer sur ce qu’il fallait faire une fois en route.

***

Partie 2

« Le plus gros problème… »

Après un moment, cependant, elle avait mis une main sur son menton et avait grimacé. J’avais l’impression d’avoir abordé la plupart des sujets importants, mais manifestement, j’avais oublié quelque chose.

« … va être ma malédiction. »

« Oh. C’est vrai. »

Si elle ne couchait pas régulièrement avec des hommes, Elinalise allait littéralement mourrir. Pour un voyage occasionnel, cela ne posait pas de problème : elle pouvait satisfaire ses besoins dans n’importe quelle ville où elle se trouvait. Lors de voyages plus longs, elle rejoignait souvent un groupe et trouvait un partenaire consentant. Mais dans une expédition rapide comme celle-ci, il y aura des moments où aucune de ces méthodes ne fonctionnerait.

Nous nous étions tus tous les deux pendant un moment.

Bien entendu, il y avait une réponse évidente. Je pouvais coucher avec elle quand c’était nécessaire. Mes problèmes de performance appartenaient au passé. Si une femme au hasard s’approchait de moi et me demandait de coucher avec elle, je pourrais probablement m’en sortir sans problème.

Mais je ne voulais pas trahir Sylphie.

« Je ne vais pas coucher avec toi pendant ce voyage », avais-je dit.

« Oui, ce ne serait pas une bonne idée. »

« Je suppose qu’on devra s’arrêter dans des sortes de bordels sur notre chemin. »

Nous deux, nous allions rester dans une relation strictement platonique. Je voulais que ce soit clair dès le départ. Sinon, on finirait probablement par le faire sur la route par pure commodité.

« Et cet outil magique, alors ? Il affaiblit la puissance de la malédiction, non ? », avais-je demandé.

« Eh bien, si j’essayais de le prendre, Cliff demanderait pourquoi… »

« Tu ne vas vraiment pas lui en parler ? »

Pour une raison quelconque, Elinalise semblait déterminée à disparaître sans un mot pour Cliff. Ça me semblait inutilement cruel.

« Écoute, je pense vraiment que tu dois d’abord lui parler », avais-je dit.

« Mais je… »

« Laisse-moi t’aider, d’accord ? Tout va bien se passer. »

Nous avions fini par aller voir Cliff tous les deux le soir même.

Lorsque nous étions arrivés à son laboratoire, Cliff était venu en trottant pour nous montrer la culotte magique en question avec un grand sourire.

« Regardez ça, vous deux ! Je l’ai déjà rendue plus petite ! Elle n’est pas non plus aussi lourde que l’ancienne. Tu devrais pouvoir la porter pendant un certain temps sans… »

« Cliff. Est-ce que tu aimes Elinalise ? »

Je lui avais coupé la parole au milieu d’une phrase. J’avais posé la question le plus crûment possible. Cliff m’avait regardé avec un air de confusion sur le visage.

« Quoi ? Bien sûr que oui. »

Son ton suggérait que je lui avais posé la question la plus évidente du monde. Jusque-là, tout allait bien.

« Tu continueras à l’aimer, quoi qu’il arrive ? »

« Naturellement. J’aime Lise du plus profond de mon cœur. Tu en es conscient, j’en suis sûr. »

« Eh bien, tant mieux. C’est ce que je voulais entendre. »

J’avais expliqué la situation à Cliff.

J’avais expliqué que ma famille était en grand danger. J’avais expliqué qu’Elinalise était une vieille camarade de mon père et qu’elle se sentait obligée de l’aider. Et j’avais expliqué que ce serait un long voyage, au cours duquel elle aurait probablement besoin de coucher avec d’autres hommes. J’avais été très long, couvrant tous les détails pertinents.

Cliff écouta en silence et ne m’avait pas interrompu une seule fois. Quand ce fut terminé, il s’arrêta un moment, puis murmura : « Je suppose que je serais un fardeau si je venais avec vous. »

Franchement, c’était vrai. Mais c’était difficile pour moi de le dire.

Comme j’hésitais, Elinalise était intervenue pour répondre.

« Oui, j’en ai bien peur. Tu ne serais pas capable d’endurer un tel voyage, Cliff. »

Elle l’aurait peut-être dit plus gentiment dans d’autres circonstances. Mais cette fois, elle avait été franche.

« Je vois… »

Fronçant les sourcils tristement, Cliff regarda le sol. J’avais ressenti un petit coup de poignard douloureux de sympathie dans ma poitrine.

Que devait-il ressentir en ce moment ? Elinalise n’aurait pas d’autre choix que de coucher avec d’autres hommes pendant ce voyage. Il comprenait parfaitement la situation, et il savait qu’elle l’aimait… mais cette pensée devait être douloureuse.

« Tu sais, Elinalise, on pourrait peut-être le faire venir ? Il peut utiliser la magie de barrière et les sorts divins de niveau avancé. Même s’il n’a pas beaucoup d’endurance, il pourrait nous être utile parfois… », avais-je dit.

« C’est bon, Rudeus. Je n’ai pas été utile la dernière fois que j’ai suivi un groupe d’aventuriers. Ce ne sera pas différent. »

En disant ces mots, Cliff s’était avancé et m’avait tendu la culotte magique.

« Rudeus… »

« Oui ? »

« Prends soin de Lise pour moi. »

Pour être honnête, je m’attendais à plus de gémissements et de grincements de dents. Mais il semblerait que Cliff comprenait très bien ses propres forces et faiblesses.

« Lise… »

Cette fois, il s’était tourné vers Elinalise. Se tenant sur la pointe des pieds, il l’entoura de ses bras.

« Cliff… »

Elle l’embrassa à son tour.

« Quand tu rentreras à la maison, marions-nous. Je sais que je n’ai pas encore guéri ta malédiction, mais je veux acheter une maison et y vivre avec toi. Je t’ai rendue anxieuse en attendant si longtemps pour te dire ça, non ? Tu avais peut-être peur que ce ne soit que des paroles en l’air ? », dit Cliff.

« Oh, Cliff… mais je suis une terrible personne. J’avais l’intention de partir sans même te dire un mot… »

« J’aimerais que la cérémonie se déroule dans le style Millis, si cela ne te dérange pas. Je sais que tu n’es pas un membre de l’église, mais… »

Cliff ignorait-il délibérément ce qu’elle venait de dire ? C’était peut-être mieux ainsi. Elinalise avait l’air ravie.

« Cliff, mon chéri ! Je t’aime tellement ! Plus que quiconque au monde ! »

Et après cela, elle le poussa sur le sol. Quand je vis la chemise de Cliff voler, je m’étais rapidement retourné et j’avais rapidement quitté la pièce. Il semblerait qu’ils avaient besoin d’un peu d’intimité en ce moment.

Je n’étais pas attiré par la façon dont elle avait promis de se marier après « un dernier travail », mais peut-être que j’étais juste trop familier avec les clichés de films.

J’avais passé le reste de la journée à informer toutes les personnes que je connaissais de la situation.

J’allais partir pendant près d’un an et demi au minimum. S’il y avait de vrais problèmes à Rapan, ça pourrait durer même plus de deux ans. Cela allait être une absence de très longue durée. J’avais au moins besoin de faire mes adieux.

Ma première destination était le bureau du vice-principal. C’était probablement mieux de s’occuper des formalités le plus tôt possible. J’avais trouvé Jenius derrière son bureau, comme toujours, face à une importante pile de papier.

« Bonjour, Vice Principal Jenius. »

« Ah, si ce n’est pas M. Greyrat. Très heureux de vous voir. J’ai entendu dire que vous avez aidé Mlle Sevenstar à réaliser une expérience plutôt ambitieuse ? »

« Oui, c’est vrai. Mais seulement parce que Zanoba et Cliff nous ont aidés. »

« Ah, je vois. »

Je n’avais aucune idée de la façon dont la nouvelle de l’expérience d’invocation s’était répandue. Peut-être que Jenius était mieux informé que je ne le pensais.

« En tout cas, que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? », avait-il demandé.

« Eh bien, je dois prendre un congé d’environ deux ans. Je voulais m’occuper de la paperasse tout de suite. », avais-je dit.

« Deux ans ? C’est une sacrée période. »

« Oui. Je crains d’avoir à m’occuper d’une situation assez complexe. »

« Vraiment ? Hmm. »

Il n’y avait aucune raison que je ne puisse pas expliquer les détails, mais Jenius n’avait rien demandé.

« Très bien. Je vais mettre votre inscription en attente pour le moment. Une fois que vous serez de retour parmi nous, venez me voir. »

« Une interruption de deux ans ne va pas me poser de problèmes ? »

« Nous ne l’autoriserions pas pour un étudiant ordinaire, mais les étudiants spéciaux comme vous ont droit à un peu plus de flexibilité dans ce domaine. »

Une chance que je sois l’un de ces étudiants spéciaux alors.

« Merci beaucoup. »

« Ce n’est pas grave. Le système des étudiants spéciaux est après tout conçu pour être aussi accommodant que possible. »

« Dans ce cas, pourriez-vous aussi mettre en attente l’inscription d’Elinalise Dragonroad… pour me rendre service ? Elle n’est pas une étudiante spéciale, mais elle va m’accompagner en tant que garde du corps. »

« Ah, je vois. Très bien, je vais trouver une solution. »

Eh bien, c’était facile. C’est bien d’avoir un ami dans la bureaucratie.

En remerciant Jenius une fois de plus, j’avais quitté le bâtiment de la faculté.

Quelques minutes plus tard, j’apercevais Linia et Pursena dehors. Elles me firent signe de l’autre côté de la cour et s’étaient approchées en trottinant. J’en avais profité pour leur expliquer la situation à elles aussi.

« Sans blague ? On va s’ennuyer sans toi, patron. »

« On aura notre diplôme quand tu reviendras, alors je crois que c’est un au revoir. »

Je n’y avais pas pensé jusqu’à présent, mais c’était vrai. C’était des étudiantes de sixième année. Dans deux ans, elles seraient probablement de retour dans la Grande Forêt.

J’étais un peu triste à l’idée de ne pas pouvoir les voir partir.

« Je suppose que tu as raison. C’est dommage… »

Maintenant que j’y pense, l’Homme-Dieu m’avait encouragé à « commencer une relation » avec l’une de ces deux-là. Si j’avais choisi de rester ici jusqu’à ce que la saison des amours commence dans deux mois, les choses auraient pu prendre cette direction.

« Quoi de neuf, patron ? Est-ce que j’ai quelque chose sur mon visage ? »

Linia était une fille attirante. Ces oreilles de chat frétillantes, cette queue qui se balançait et ces cuisses saines étaient ses traits les plus distinctifs, mais elle avait aussi de gros seins. Elle avait quoi, un bonnet E ? Toutes les filles hommes-bêtes étaient bien pourvues, donc c’était probablement la moyenne. Cette attitude arrogante la rendrait probablement amusante au lit aussi.

« Sniff sniff… whoa ! Veux-tu faire un tour avec nous avant de partir, patron ? »

Pursena avait aussi son charme. Ses oreilles de chien souples et son corps voluptueux étaient ses atouts les plus remarquables. Pour je ne sais quelle raison, les hommes bêtes de type chien semblaient avoir des seins particulièrement gros, elle devait être un bonnet G. J’avais tripoté ces choses quelques fois, donc je savais à quel point ils étaient doux. À quel point serait-ce bon d’y enfouir son visage ? Hmm…

« Euh, désolé. Quelqu’un m’a récemment conseillé de vous draguer une fois la saison des amours arrivée. Je me souvenais juste de ce qu’il avait dit. », avais-je dit.

« Whoa, sérieusement ? Je ne savais même pas que tu étais intéressé ! »

« Tu n’as jamais vraiment flirté en retour, alors nous avons pensé que nous n’étions pas ton type. »

Les deux filles avaient l’air surprises, mais aussi plus qu’amusées.

Bien sûr, coucher avec elles aurait signifié tromper ma femme. Mais d’après ce que l’Homme-Dieu avait dit, on dirait que Sylphie ne m’aurait pas viré de la maison pour ça. Est-ce qu’elle me pardonnerait vraiment de l’avoir trompé alors qu’elle était enceinte ? Peut-être qu’il y aurait une vilaine dispute avant que les choses ne se calment ? Difficile à dire. Dans tous les cas, c’était censé mener à un « plus grand bonheur » à la fin.

***

Partie 3

J’aimais ma femme, mais j’étais aussi un homme. L’idée d’un harem avait un certain attrait. Je m’étais surpris à imaginer un ménage à quatre avec Linia, Pursena et Sylphie. Dans une autre réalité, cela aurait-il pu être mon avenir ?

… Non, probablement pas. Ça n’avait jamais été une possibilité réelle.

« Linia, Pursena… »

« Oui ? »

« Quoi de neuf, patron ? »

Linia et Pursena m’avaient regardé nerveusement. Je crois que j’avais parlé sur un ton un peu sévère.

« Restons amis », avais-je dit.

Les deux femmes s’étaient instantanément détendues et avaient haussé les épaules.

« Si tu insistes. Un type comme toi a besoin de quelques amis. », dit Linia en me donnant un coup de coude sur le côté.

« Va pour les amis. Tâche de garder le contact. », dit Pursena en me donnant un coup de coude de l’autre côté.

On avait fini par se serrer la main avant de se séparer, ce qui était probablement une première pour nous. Certaines personnes aiment dire qu’il est impossible pour les hommes et les femmes d’être vraiment amis, mais ce n’était pas vrai. Vous pouviez être ami avec quelqu’un qui vous attirait, il suffisait de fixer les bonnes limites.

« Retrouvons-nous un jour, d’accord ? Même si c’est dans dix ou vingt ans. », avais-je dit.

« Ça me paraît bien, patron. On sera tous les deux des gros bonnets dans dix ans, alors tu pourras te prosterner devant nous et embrasser nos chaussures ! »

« On va conquérir la Grande Forêt, mec. »

Je devais sourire. C’était bien de savoir qu’elles avaient au moins des ambitions.

« J’espère que vous ne vous vengerez pas sur moi. »

Et ce fut ainsi que nos chemins s’étaient séparés. Avec un peu de chance, on se reverrait peut-être un jour ou l’autre.

Un peu plus tard, je m’étais retrouvé devant le laboratoire de Nanahoshi.

Je ne savais pas comment lui annoncer la nouvelle. Nanahoshi était tout de même une fille solitaire. Mais malgré son hostilité extérieure, j’avais eu le sentiment qu’elle recherchait désespérément de la compagnie. Et plus important encore, mon absence allait perturber ses recherches. Son projet de retour à la maison serait considérablement retardé.

Je m’étais imaginé qu’elle allait essayer de me convaincre de ne pas y aller. Elle pourrait même me faire chanter d’une manière ou d’une autre. Qu’étais-je censé faire si elle menaçait de tuer Sylphie si je partais ? Non pas que je m’attende à ce qu’elle devienne aussi folle…

Laissant échapper un petit soupir, j’avais frappé à la porte d’entrée et j’avais attendu. Le « entrez » était arrivé un moment plus tard.

Nanahoshi leva les yeux de son bureau lorsque j’étais entré dans la pièce.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas ton heure habituelle… »

« J’ai bien peur d’avoir de mauvaises nouvelles. »

« De mauvaises nouvelles ? »

L’expression de Nanahoshi était devenue suspecte. J’avais passé quelques secondes à me demander comment commencer, avant de décider que cela n’avait pas vraiment d’importance. Le mieux était d’aller droit au but.

« Je pars pour un long voyage. Mes parents sont en danger, et je dois les aider. Ils sont dans la cité-labyrinthe de Rapan, sur le Continent Begaritt. Il faudra environ deux ans avant que je ne revienne. »

« … Quoi ? »

Après un moment de silence, Nanahoshi s’était levée d’un bond, renversant sa chaise avec fracas. Elle appuya ses mains sur son bureau et me fixa, l’air plus abasourdi qu’autre chose.

« Rapan ? Begaritt ? Tu as dit… deux ans ? »

Elle répéta les mots lentement, comme si elle essayait de leur donner un sens.

« Je sais que j’ai dit que je t’aiderais dans tes expériences, et je me sens vraiment mal de partir maintenant. Mais je dois vraiment y aller. »

Les yeux de Nanahoshi s’ouvrirent en grand, et elle prit une grande inspiration… mais au lieu de crier, elle se laissa retomber sur sa chaise et regarda le plafond.

« Deux ans… », répéta-t-elle.

« Une fois que je serai de retour, je promets de t’aider à nouveau autant que je le pourrai. »

« … Deux ans… »

Nanahoshi croisa les bras et marmonna les mots pour elle-même quelques fois de plus.

Elle n’avait pas essayé de m’arrêter ou de crier de désespoir. Elle avait juste regardé le plafond, apparemment profondément dans ses pensées. Nous avions passé cinq minutes extrêmement gênantes comme ça.

« Eh bien… je crois que je vais y aller », avais-je dit.

Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire ici. Nanahoshi savait que je l’avais aidée par pure bonté d’âme. Elle voulait probablement me faire changer d’avis sur mon départ, mais avait choisi de se mordre la langue.

Je m’étais retourné pour partir…

« Attends juste une minute », avait-elle dit.

Et ainsi, je m’étais arrêté dans mon élan.

Pour être honnête, je ne voulais pas continuer cette conversation. Je savais qu’elle allait juste essayer de m’arrêter. Mais j’avais l’impression que je lui devais une explication complète, alors je m’étais retourné.

Pour je ne sais quelle raison, Nanahoshi fouillait dans le tiroir du bas de son bureau. Après un moment, elle avait sorti une sorte de livre ou de journal. Elle l’avait feuilleté jusqu’à une page spécifique, puis elle l’avait retourné pour me le montrer.

« Jette un coup d’œil à ça. »

Je m’étais penché en avant avec curiosité. Quelqu’un avait collé une section d’une carte sur la page. La carte m’était familière, elle représentait les environs de la ville, même si l’échelle était un peu plus grande.

Près du sommet de la carte, quelqu’un avait griffonné les caractères N1. Au sud-ouest de la forêt se trouvait un X rouge avec les caractères B3 au-dessus.

« Qu’est-ce que c’est, Nanahoshi ? »

« … »

Nanahoshi était visiblement hésitante à expliquer. Mais après quelques instants, elle prit la parole.

« C’est une carte des anciennes ruines qui contiennent des cercles de téléportation. On peut les trouver partout dans le monde. »

Des cercles de téléportation ?

« Hein ? »

Une fois de plus, j’avais regardé la carte. Sur les caractères B3 en particulier. Cela pourrait-il signifier…

« Juste là, il y a un téléporteur qui t’emmènera sur le Continent Begaritt. »

« Qu… »

Maintenant que j’y pense… Nanahoshi avait mentionné quelque chose comme ça une fois, quand elle me racontait ses voyages avec Orsted. Quelque chose sur la façon dont il utilisait les cercles de téléportation pour faire le tour du monde…

« Mais tu avais dit… que tu ne te souvenais pas où ils étaient ! »

Je me souvenais clairement de cette partie. Elle m’avait dit qu’elle n’avait aucune idée d’où les trouver.

« Orsted m’a fait jurer de garder le secret. C’est après tout de la magie interdite. J’ai accepté assez facilement, puisque je me suis dite que je ne serais de toute façon pas capable de m’en souvenir. »

Cependant, au bout d’un moment, elle avait commencé à prendre des notes sur l’emplacement des téléporteurs, au cas où elle aurait à les utiliser. Puis elle avait commencé à acheter des cartes en cachette ou à dessiner ses propres cartes. Parfois, elle demandait nonchalamment à Orsted où ils se trouvaient ou notait les noms des villes voisines… et, au lieu d’essayer de le mémoriser, elle se mit à écrire tout cela.

Stupéfait, j’avais feuilleté le journal.

C’était un dossier brut et incomplet. Parfois, elle ne pouvait pas se procurer de carte, ou ils n’avaient même pas visité une ville, elle avait donc écrit des notes comme « Montagnes à gauche. Environ trois jours de voyage vers l’est pour atteindre la rivière, puis deux de plus pour les atteindre. »

La partie lettre de ses notes indiquait le continent, et le nombre semblait correspondre à l’ordre dans lequel elles avaient été consultées. N était la région nord du Continent Central. S était la région sud, et W l’ouest. DE était le Continent Démon. M était le Continent Millis. Ils n’avaient apparemment pas visité le Continent Divin… mais il y avait quelques B pour Begaritt.

Quand elle ne savait même pas sur quel continent ils se trouvaient, elle utilisait des lettres comme X ou Y à la place. Il était évident qu’elle avait mis beaucoup de réflexion dans cette chose.

« J’ai entendu parler de cet endroit appelé Rapan que tu as mentionné. Je me souviens aussi de l’endroit où il se trouve. Il y a un endroit appelé Bazaar près de ce téléporteur, et Rapan est à environ un mois de voyage au nord de là. J’en suis sûre. », avait-elle dit.

« Est-ce si prêt que ça ? »

J’étais retourné à la page que Nanahoshi m’avait montrée en premier. Elle couvrait la zone allant de la ville de Sharia à la forêt du sud-ouest. L’échelle était un peu floue, mais cela ressemblait à un voyage d’une dizaine de jours. Peut-être même moins. Et le cercle de téléportation ici nous amènerait au point marqué B3.

J’étais retourné à la page correspondante. Depuis le téléporteur B3, il semblerait y avoir environ une semaine de voyage jusqu’à la ville la plus proche. Donc si Rapan était seulement à un mois de là…

Nous devrions mettre 47 jours, et un voyage aller-retour prendra 94 jours. Nous pouvions faire l’aller-retour en seulement trois mois. Même si on prenait un mois pour sauver Zenith, on serait de retour en quatre mois.

Je pourrais rentrer à temps. Je pourrais être là pour la naissance de mon enfant.

Je manquerais toujours la saison des amours, mais ça n’avait pas d’importance.

« Es-tu sûre de toi ? Orsted ne t’a pas dit de garder le secret ? », avais-je demandé.

« Je ne nierai pas que je suis un peu en conflit, mais je te dois beaucoup après la dernière fois. Mais ne partage pas cette information avec qui que ce soit, d’accord ? La magie de téléportation est un art interdit. Si le bruit court, les ruines seront détruites par les gouvernements locaux. »

Et cela rendrait la vie moins commode pour Orsted. Il se mettrait probablement en colère contre nous deux. Rien que de penser à ce type, je tremblais un peu. J’allais me taire, ça, c’était sûr.

« Merci, Nanahoshi. Tu as été d’une grande aide. »

« Je veux juste que tu reviennes ici aussi vite que possible, c’est tout », avait-elle dit avec un grognement dédaigneux. Cette fille était vraiment une pure tsundere.

Refermant soigneusement le journal, j’avais baissé la tête vers elle en signe de gratitude, puis j’avais fait demi-tour pour partir.

« Oh, j’ai failli oublier. Sur la première page, j’ai dessiné les signes qu’ils ont utilisés pour marquer ces ruines et j’ai décrit comment dissiper la magie de dissimulation qui les protège. Assure-toi de lire ça attentivement. », avait-elle dit.

« Entendu. Je t’en dois une, Nanahoshi ! »

« Non, tu ne me dois rien. Je ne fais que rembourser mes dettes. »

Souriant malgré moi devant son air renfrogné, j’avais laissé le laboratoire derrière moi.

***

Partie 4

J’étais immédiatement retourné voir Elinalise.

Nous pouvions donc faire ce voyage beaucoup plus rapidement que prévu. C’était une nouvelle fantastique. Elle en serait bien sûr ravie. Mais nous devions aussi modifier complètement nos plans. Le voyage ne devait plus durer qu’un mois et demi. Nous pourrions même être en mesure d’amener Cliff avec nous pour cela !

En me frappant les joues pour m’empêcher de sourire comme un idiot, j’avais ouvert la porte du laboratoire de Cliff… et j’avais été accueilli par quelque chose qui ressemblait à une peinture Renaissance de Vénus.

« Je suis désolé, Rudeus ! Je ne peux finalement pas y aller ! »

Elinalise se prélassait, vêtue seulement d’une couverture. Et elle avait apparemment perdu tout son sang-froid.

Ses membres fins et élégants et sa poitrine drapée avec goût avaient certes un certain charme classique, mais je n’avais aucune envie de l’exposer dans un musée. Je n’avais jamais été un grand amateur d’art. Il m’était néanmoins venu à l’esprit qu’elle ferait une figurine plutôt sexy.

Cliff était assis, affalé dans un coin de la pièce, ressemblant un peu à une momie égyptienne. Il avait un grand sourire sur le visage, mais il était visiblement dans les vapes. En fait, il ressemblait plus à un chef-d’œuvre qu’à son petit ami. Quel titre donnerais-tu à une statue comme celle-ci ? La mort bienheureuse ?

« Je ne peux pas supporter d’être séparée de Cliff pendant deux ans ! Je sais que c’est horrible de ma part, mais je ne le ferai pas ! », glapit Elinalise.

Hmm. Bon. On dit que les femmes sont davantage guidées par leurs émotions, non ?

« Je veux dire, si tu y vas, alors il n’y a pas besoin que je t’accompagne aussi. Ton père et moi ne sommes même pas en bons termes. Il ne voudrait probablement pas voir mon visage ! Ne devrais-je plutôt pas rester pour protéger ma petite-fille enceinte ? », bredouilla-t-elle.

« … »

Il était difficile de se rappeler que c’était la même femme qui m’avait sévèrement dit que je devais attendre ici pendant qu’elle s’occupait de tout. J’avais fait de mon mieux pour ne pas la juger trop sévèrement. Elle revenait à la réalité après un séjour au paradis, c’est tout.

« Bon, d’accord, Elinalise. Le truc, c’est que je viens de trouver un moyen de faire l’aller-retour en seulement trois mois, mais… »

« Hein ?! »

Elinalise s’était figée un instant, me fixant d’un air incrédule.

« De quoi parles-tu, Rudeus ? »

J’avais vérifié que Cliff dormait toujours, puis je m’étais penché pour chuchoter à l’oreille d’Elinalise.

« Donc en fait, Nanahoshi — »

« Ah ! Non, pas mes oreilles ! Elles sont sensibles… »

« Peux-tu vraiment faire attention, s’il te plaît ? »

« Je plaisantais, mon cher. »

J’avais montré le journal à Elinalise et lui avais donné une explication rapide, en insistant sur le fait que Nanahoshi nous avait fait jurer de garder le secret. Elle l’avait feuilleté plusieurs fois, sans pouvoir cacher son étonnement.

« Est-ce qu’on peut vraiment y arriver aussi vite… ? »

« C’est vrai. Si on fait comme ça, je pourrais même revenir à temps pour voir naître mon enfant. »

« … Cela pourrait marcher. »

Un voyage de six semaines était loin d’être aussi long. Elinalise semblait s’être remise en mode planification, à en juger par le sérieux avec lequel elle scrutait le journal.

« Oh, très bien. Dans ce cas, je vais quand même venir. », dit-elle après un moment.

Encore un changement d’avis soudain, hein ?

J’avais cependant bien compris où elle voulait en venir. Deux ans, c’était vraiment long.

« Vu que cette route est plus rapide, nous pourrions emmener Cliff », avais-je dit.

« … Non, on le laisse derrière nous. »

« Es-tu sûre ? »

« Je doute qu’il puisse garder ça pour lui s’il apprend l’existence de ces cercles de téléportation. »

Vraiment ? Cliff n’était-il pas un gars raisonnablement digne de confiance ? Mais bon… il était probablement du genre à laisser échapper des secrets sans même le vouloir. Ouais, c’était probablement mieux de garder le moins de personnes possible au courant. Plus il y avait de gens dans le coup, plus il y avait de chances que le mot se répande.

De plus, des problèmes nous attendaient à Rapan. Nous voulions nous présenter avec un petit groupe d’élite de personnes expérimentées.

Si j’avais dû emmener quelqu’un d’autre, j’aurais préféré quelqu’un comme Ruijerd. C’était à la fois un combattant puissant et un homme très discret. Badigadi m’avait aussi traversé l’esprit. Il était vivant depuis des milliers d’années, il était donc très possible qu’il connaisse déjà les cercles de téléportation. Et comme il semblait bien connaître Orsted, il serait facile de lui expliquer la situation.

Malheureusement, je n’avais vu aucun de ces deux-là depuis un certain temps. Personne d’autre ne m’était venu à l’esprit comme candidat probable. Zanoba était peut-être fort dans une bagarre, mais il n’était pas un voyageur expérimenté.

… En y réfléchissant, si nous avions des problèmes là-bas, nous pourrions toujours revenir et obtenir plus d’aide. Il valait donc mieux jouer la sécurité pour le moment, puisque nous ne connaissions pas notre itinéraire. Mais une fois que nous aurions fait le voyage, il ne serait pas si difficile de revenir et d’aller chercher quelques alliés supplémentaires. Nous devrions leur parler des téléporteurs, mais c’était mieux que de ne pas atteindre notre objectif.

Le voyage n’était évidemment pas court. Mais même si nous devions attendre trois mois les renforts, c’était au moins une option viable.

« Très bien. On partira donc juste tous les deux. »

« D’accord. Finissons-en avec ça et rentrons chez nous aussi vite que possible. »

Au moins, Elinalise semblait être de nouveau à bord. Pour l’instant.

Finalement, j’étais rentré à la maison pour l’annoncer à Sylphie.

Après l’avoir réunie avec Aisha et Norn dans le salon, je lui avais tout de suite annoncé la nouvelle.

« Je pense que je vais quand même aller aider mes parents. »

Sylphie émit un petit son de surprise, et une expression anxieuse traversa son visage. Je l’avais apparemment prise au dépourvu.

Mais au bout d’un moment, elle secoua la tête comme pour la clarifier, puis hocha sérieusement la tête.

« OK, je comprends. Je vais m’occuper des choses ici. »

« Je suis désolé de disparaître comme ça si soudainement, même si j’ai promis de ne pas le faire », avais-je dit.

« Tu ne romps pas ta promesse, Rudy. Ce n’est pas soudain, et tu ne disparais pas. »

Sylphie m’avait souri, mais cela semblait forcé. Peu importe ce qu’elle disait, il était évident qu’elle avait du mal à accepter la situation. Ça me faisait mal au cœur rien que de la regarder.

« Uhm, combien de temps penses-tu être parti ? Environ deux ans, non ? »

« Non. Nanahoshi m’a montré un moyen d’y aller en utilisant un cercle de téléportation. Je pense que je devrais être de retour avant l’arrivée du bébé. »

J’avais déjà pris la décision de lui parler de la téléportation. Si je ne pouvais pas faire confiance à Sylphie pour garder un secret, je ne pouvais faire confiance à personne.

« Hein ? ! Tu vas te téléporter là-bas ? Est-ce sans danger ? »

Elle était visiblement effrayée. L’anxiété était visible sur son visage une fois de plus.

Il était somme toute logique qu’elle soit inquiète. Nous avions tous deux beaucoup perdu à cause de l’incident de déplacement.

« Je ne peux pas encore en être sûr. Mais Nanahoshi semble avoir utilisé ces cercles personnellement dans le passé, donc je pense que tout ira bien. », dis-je.

« O-ok… »

Sylphie semblait toujours inquiète. Je l’avais donc attirée contre moi et j’avais murmuré la suite à son oreille.

« Ne t’inquiète pas. Je reviendrai, quoi qu’il arrive. »

« Bien sûr. »

« Désolé pour tout ça. »

« C’est bon… »

En tournant la tête, j’avais parlé à l’une de mes sœurs, qui se tenait à proximité.

« Aisha. »

« Euh, oui… ? »

Son expression était encore plus incertaine que celle de Sylphie en ce moment.

« Puis-je te confier les choses ici ? »

« Je… pense que oui. Maman m’a appris à m’occuper des femmes enceintes. »

« Si ça devient trop pour toi, demande de l’aide à tous ceux que tu peux. Ne sois pas timide, et n’essaie pas de tout faire par toi-même. Tu es une enfant talentueuse, mais tu es encore inexpérimentée. Tourne-toi vers les adultes quand tu as besoin de conseils. »

« D’accord. »

Aisha hocha la tête sérieusement. C’est vrai que je me sentais un peu nerveux à ce sujet, mais tout se passerait probablement bien. Il n’y avait pas de solution parfaite ici.

« Norn. »

« Oui, Rudeus ? »

« Si Sylphie et Aisha sont débordées, essaie de les aider, s’il te plaît. Peut-être, simplement leur parler quand elles se sentent stressées. Tu sais à quel point c’est dur de faire face à ce genre de choses tout seul, hein ? »

« Bien sûr ! »

« Et essaie de suivre tes études pendant que je ne suis pas là. »

« Je ferai de mon mieux ! »

Norn semblait très déterminée à jouer son rôle correctement. Espérons qu’elle n’aura pas à se battre avec Aisha.

Eh bien, alors. Qu’est-ce que ça laisse ? Y a-t-il autre chose que je dois leur dire ?

« … Oh, c’est vrai. Peut-être que nous devrions décider d’un nom pour l’enfant avant que je ne parte. »

J’avais prévu de rentrer à temps, mais on ne savait jamais ce qui peut arriver. Ça ne pouvait pas faire de mal de régler ça à l’avance.

Quel genre de nom serait le mieux ? Les gens ont tendance à aimer les noms « cool » ici, donc… hmm. Si c’était une fille, peut-être Ciel ou Sion… Si c’était un garçon, peut-être Nero ou Wallachia…

Nan, ce n’était pas un jeu vidéo.

On s’appelait Rudeus et Sylphie, donc on pouvait combiner des parties de nos noms. Peut-être quelque chose comme Sirius si c’était un garçon, ou Lucie pour une fille. Mais ça faisait un peu cliché… Je devrais peut-être demander conseil à Paul.

Après avoir réfléchi à tout cela pendant quelques secondes, j’avais finalement remarqué que tout le monde me regardait avec des expressions étranges sur le visage.

« R-Rudy… tu veux donner un nom au bébé ? »

« Pourquoi dis-tu une chose pareille ? »

« Rudeus… »

Elles semblaient sincèrement choquées. Aisha avait même des larmes qui montaient aux yeux. L’idée était-elle si étrange ? Je ne me souvenais d’aucune règle interdisant de nommer les enfants avant leur naissance.

« Si tu nommes un enfant avant de partir en voyage, tu ne reviendras jamais à la maison… »

Sylphie avait l’air plus anxieuse que jamais. Apparemment, j’avais trébuché sur un « drapeau de la mort » propre à ce monde. Un de ceux dont je n’avais aucun souvenir.

Non, attends. Je m’en souvenais maintenant. C’était à propos de ce truc de l’histoire de Perugius ?

Un des compagnons de Perugius était un mage de feu de niveau empereur nommé Feroze Star, connu sous le nom de « l’homme chanceux ». Feroze décida de donner un nom à son fils à naître avant de partir au front, au cas où il ne reviendrait pas sain et sauf, et choisit de donner son propre nom au garçon. Dans la bataille qui suivit, Feroze fut vaincu par le Roi-Démon Ryner Kaizel, et il mourut en pensant à l’enfant qu’il ne rencontrerait jamais. Son fils, héritant de l’héritage de son célèbre père, devint à son tour un magnifique magicien.

C’était du moins ce qu’on racontait. J’avais aussi entendu une version où le gamin s’avérait être un bon à rien. Quoi qu’il en soit, l’histoire était si connue que tout le monde pensait désormais que donner un nom à un enfant à naître avant de partir en voyage entraînerait un terrible désastre. Ce n’était pas comme si cette décision avait réellement causé la mort de Feroze, bien sûr, mais les gens pouvaient être superstitieux sur ces choses.

« Euh, ok, alors. Tu penses qu’on devrait attendre que je revienne ? »

« Je-je ne sais pas… Peut-être… »

« Mais je veux avoir en quelque sorte mon mot à dire, tu sais ? Et il y a toujours le pire des scénarios… »

« Ne parle même pas de ça, Rudy. »

« C’est vrai. Désolé. »

On parlait quand même de mon premier enfant. Ça ne semblait pas encore tout à fait réel, mais je voulais au moins participer au choix du prénom.

« Ahem. »

Aisha s’était éclairci la gorge de manière significative. Elle était clairement venue avec une sorte de proposition.

« Que dis-tu de ça, cher frère ? Si l’enfant naît avant ton retour, nous l’appellerons temporairement Rudeus Junior. Une fois que tu seras rentré, tu choisiras un nom plus approprié. On peut faire de Rudeus son deuxième prénom, comme le célèbre Dieu du Nord Kalman. »

Rudeus Junior, hein ? Eh bien, il n’était pas trop inhabituel de donner à un enfant le nom de ses parents dans ce monde. Et si on choisissait Lucie, ça donnerait quelque chose comme Lucie Rudeus Greyrat…

Ça ne me paraissait pas si mal. Il était vrai que c’était un peu gênant, car j’associais toujours ce genre de noms aux aristocrates fortunés, mais cela semblait plus courant ici.

Hm ? Eh, Attendez une seconde.

Et si c’était une fille, et que je ne revenais jamais ? Elle serait coincée avec Rudeus Junior pour toujours ? Et si on se moquait d’elle ? Si elle devenait un petit monstre furieux qui devait battre tout le monde pour défendre son nom stupide ?!

J’avais essayé de me convaincre que c’était peu probable. Le monde n’avait pas besoin d’un autre « chien fou ».

… Eh bien, peu importe. C’était une raison de plus pour rentrer à la maison sain et sauf.

« Je suppose que c’est bon. Sylphie… ? »

« Oui ? »

« Uhm… »

J’avais l’impression d’avoir plus à lui dire, mais je n’arrivais pas à trouver les bons mots. J’avais l’impression que tout ce que je pourrais dire aurait l’air étrangement sinistre.

« Viens ici. »

Au lieu de ça, je m’étais approché d’elle et j’avais mis mes mains sur ses épaules.

« Huh ? Ah… »

Après un moment de confusion, celle-ci ferma les yeux, leva son menton et croisa ses mains devant sa poitrine. En fait, elle tremblait un peu. Ce n’était pas exactement une première pour nous, mais je n’étais pas sûr que nous l’ayons déjà fait de manière aussi cérémonieuse.

J’avais jeté un coup d’œil à mes sœurs. Aisha se penchait en avant avec impatience. Norn avait couvert son visage avec ses mains, mais regardait quand même entre ses doigts.

Je leur avais adressé un rapide clin d’œil. Norn avait instantanément fermé ses mains sur ses yeux, mais Aisha m’avait répondu par un clin d’œil heureux. Quelle petite coquine. Voulait-elle vraiment voir une scène de baiser à tout prix ?

Eh bien, ça ne pouvait pas faire de mal de lui faire plaisir juste pour cette fois. C’était une occasion spéciale.

J’avais embrassé Sylphie profondément tout en écoutant ma petite sœur couiner doucement de plaisir.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire