Mushoku Tensei (LN) – Tome 11 – Chapitre 7 – Partie 3

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Chapitre 7 : Le troisième tournant

Partie 3

Tout cela n’était, bien sûr, que des suppositions. Je n’avais absolument aucun moyen de savoir ce qu’il en était réellement. Pas à une telle distance.

Il fallait aussi penser à l’enfant de Sylphie. Quelle que soit la vitesse à laquelle on voyageait, il fallait une bonne année de voyage pour atteindre le Continent de Begaritt. Je connaissais la route menant à Port Est pour l’avoir empruntée lors de mon dernier grand voyage, il était donc possible de réduire considérablement la durée du trajet. Mais même si je parvenais à y arriver en six mois, je ne serais pas de retour à la maison avant au moins un an.

Ça n’allait pas marcher, hein ? Je ne pouvais pas laisser ma femme enceinte toute seule pour partir à l’aventure.

« C’est à propos de cette lettre, n’est-ce pas ? »

« … »

Je ne pouvais pas me résoudre à répondre. J’avais promis à Sylphie que je ne disparaîtrais pas à nouveau. Je lui avais donné ma parole.

Techniquement, ce ne serait pas « disparaître » si je lui expliquais tout avant. Mais c’était juste de la sémantique. Même si on en parlait avant - ou si je lui laissais une lettre détaillée — ce serait toujours angoissant pour elle d’être abandonnée.

« Euh, Rudy… tu n’as pas besoin de trop t’inquiéter pour moi, ok ? Aisha est là pour prendre soin de moi. »

Il y avait juste une pointe d’angoisse sur le visage de Sylphie. Elle était évidemment anxieuse. C’était sa première grossesse. Son ventre grossissait déjà de jour en jour. Tôt ou tard, il lui serait difficile de monter et descendre les escaliers. Et il y avait une chance que je puisse mourir pendant ce voyage. Je pourrais ne jamais lui revenir.

Elle avait combattu cette peur pour prononcer ces mots.

« … Je ne vais nulle part. Je reste avec toi, Sylphie », avais-je dit.

Au moment où j’avais dit ça, elle se mit à sourire, même si elle semblait encore un peu troublée.

Les mots de l’Homme-Dieu continuaient de s’attarder dans mon esprit. Quel que soit le choix que je fasse, avait-il insisté, je finirais par le regretter.

Les trois jours suivants avaient été longs et difficiles.

Chaque fois que je les voyais, Sylphie, Aisha et Norn avaient un air anxieux. Je leur avais déjà dit que je n’allais pas sur le Continent de Begaritt, mais plus j’y pensais, plus je me sentais incertain. J’étais déchiré entre mes deux choix, et il n’y avait pas beaucoup de personnes vers qui je pouvais me tourner pour avoir des conseils.

La première, Elinalise, avait hoché la tête lorsque je lui avais fait part de mes intentions.

« Je pense que c’est sage, Rudeus. Tu ferais mieux de rester derrière pour cette fois. »

La façon dont elle avait formulé cela m’avait surpris. Cela suggérait qu’elle avait d’autres plans.

« Tu vas y aller, Elinalise ? »

« Sylphie est ma petite-fille, Rudeus. C’est normal que j’accepte ce travail, pour son bien autant que pour le tien. »

Apparemment, elle avait elle-même reçu une lettre identique. Et contrairement à moi, elle était prête à partir, même si cela signifiait laisser sa vie ici derrière elle.

« N’es-tu cependant pas censée garder la princesse Ariel ? »

« Il y a très peu de danger réel pour sa vie tant qu’elle est inscrite dans cette école. En toute honnêteté, je ne faisais pas grand-chose. »

C’était probablement vrai la plupart du temps, mais on ne savait jamais quand les choses pouvaient prendre une tournure dangereuse. C’était tout l’intérêt d’avoir des gardes du corps. Mais bien sûr, c’était à Ariel de prendre cette décision, et Elinalise s’était essentiellement portée volontaire pour faire ce geste. Je doute que la princesse s’oppose à ce qu’elle fasse marche arrière.

« Et Cliff ? »

« Je vais devoir le quitter. Il risque de me détester à jamais, mais je n’ai pas vraiment le choix. »

« Pourquoi ne pas au moins lui expliquer la situation ? Je suis sûr qu’il comprendra. »

Elinalise secoua la tête avec un sourire mélancolique. Cela ne ressemblait pas vraiment à son rictus habituel.

« Cliff est un jeune homme au cœur pur. Il a du talent, de la volonté et une vision. Je ne serais pas surprise qu’il devienne le pape un jour. Il est préférable qu’il se souvienne de moi comme d’une simple aventure de jeunesse. »

Eh bien, ça me faisait sentir mal pour le gars.

Les membres de l’église de Millis devaient rester fidèles à une seule personne. Si Elinalise disparaissait, cela pourrait ébranler les fondations mêmes de la foi de Cliff. C’était quelqu’un de volontaire, mais il était difficile de savoir ce que la perte de sa religion pourrait lui faire.

« Et aussi… C’est moi qui t’ai dit de rester ici la dernière fois. C’est donc à moi qu’il incombe de réparer ce désordre, tu ne crois pas ? »

Les mots d’Elinalise étaient si fermes et clairs que je m’étais retrouvé à ne plus savoir quoi dire.

Prenant apparemment cela pour un accord, celle-ci avait hoché la tête.

« Tu me laisses ça et tu attends ici, mon cher. Je veux voir un arrière-petit enfant heureux qui m’attendra à mon retour. »

Il était clair que rien de ce que je pourrais dire ne la ferait changer d’avis.

J’avais ensuite demandé conseil à Zanoba. Son expression n’avait même pas changé pendant que je lui racontais l’histoire.

« Je vois. Je suis sûr que tu vas régler cette affaire assez facilement et que tu seras de retour assez rapidement. Je vais rester ici et poursuivre mes recherches, mais j’espère que tu reviendras aussi vite que possible. », avait-il dit calmement.

« Je pensais que tu me demanderais de ne pas y aller, Zanoba, ou bien que tu exigerais que je t’emmène. »

Quand nous nous étions séparés au Royaume de Shirone, il avait pleuré et s’était accroché à moi. Une partie de moi avait espéré quelque chose de similaire. Mais cette fois, son attitude était très différente.

« Si tu souhaites que je t’accompagne, je ne pourrais refuser. Mais je ne suis pas habitué aux longs voyages, et je crains d’être un fardeau. Et bien sûr… Je ne pourrais pas emmener la petite dans un tel voyage. », dit-il en jetant un coup d’œil à Julie.

Julie était encore une jeune enfant. La laisser ici aux soins de Ginger était une option, mais cela signifiait mettre leurs études et leurs recherches en suspens. Et si elle venait à la place, il serait dangereux qu’elle continue à s’épuiser en utilisant tout son mana.

« Penses-tu que je devrais y aller, Zanoba ? »

« C’est à toi de décider, Maître. »

Il avait l’air presque dédaigneux maintenant. J’avais espéré un vrai conseil…

« Cependant, si je peux faire une observation ? », dit-il.

« Hmm ? »

« La naissance d’un enfant ne nécessite pas la présence d’un père. Si tu es inquiet pour tes parents, pourquoi ne pas leur venir en aide ? Je garantirai la sécurité de ta femme et de tes sœurs en ton absence. »

Il y avait une réelle conviction dans les paroles de Zanoba. Il était logique que la royauté ait un point de vue différent sur ce genre de choses. La plupart des rois ne se précipitaient probablement pas pour assister à l’accouchement de leurs concubines.

« Je préférerais bien sûr t’avoir constamment à mes côtés, mais le choix t’appartient. », dit-il.

« Tu as raison, Zanoba. Merci pour le conseil. »

Sylphie n’était pas seule ici. Elle avait Aisha, Zanoba, et la suite de la Princesse Ariel.

Elle n’était pas seule. Nous n’étions pas seuls.

Finalement, que devrais-je faire ? Rester ou partir ?

Elinalise voulait que j’attende ici pendant qu’elle partait seule à Begaritt. Zanoba voulait que je m’en aille, en laissant les affaires ici entre ses mains. Quel chemin avait le plus de sens ? Où avait-on le plus besoin de moi en ce moment ?

La logique de Zanoba semblait saine. Tant que Sylphie restait en bonne santé, tout irait bien. Ma présence n’allait pas faire de différence. Pourtant, cette attitude ne me convenait pas. Je n’étais pas un roi, et je ne voulais pas agir comme tel. C’était évidemment mieux pour Sylphie de m’avoir ici, pour lui apporter un soutien émotionnel.

Sylphie m’avait encouragée à y aller, et m’avait dit de ne pas m’inquiéter… mais c’était sa première grossesse. Au fond de moi, je savais qu’elle devait être terrifiée. Elle luttait probablement contre l’envie de s’effondrer et de me supplier de ne pas partir.

C’est moi qui lui avais dit que je voulais des enfants, encore et encore. Je n’étais peut-être pas si sérieux à l’époque, mais elle l’avait manifestement pris au sérieux. Et maintenant qu’elle était enceinte, je pensais la laisser derrière moi pendant que je voyageais à l’autre bout du monde. J’avais ressenti ça comme une sérieuse trahison.

D’un autre côté… je devais admettre que je repoussais ma responsabilité d’aider Paul depuis longtemps maintenant. J’avais fait passer mon propre bonheur en premier pendant des années. J’avais donné la priorité à la résolution de mes problèmes de « performance » plutôt qu’à la recherche de ma mère.

Peut-être que c’était un appel au réveil. Peut-être qu’il était enfin temps pour moi de payer les pots cassés.

… Je n’arrivais pas à me décider. Les deux options me coûteraient cher.

C’était maintenant le quatrième jour après l’arrivée de la lettre. J’avais passé la plupart de ce temps à ruminer mon dilemme. Je ne dormais pas bien, et je n’arrivais pas à me motiver pour faire ma routine d’entraînement habituelle ce matin-là. J’étais resté assis au premier étage, les yeux fatigués, à ne rien faire de particulier.

Les matinées étaient fraîches ici, même en été, et je me sentais vraiment léthargique. Pendant un moment, j’avais juste regardé le soleil se lever.

« … Oh ! »

Au bout d’un moment, j’avais entendu un petit cri de surprise derrière moi. En me retournant, je vis que notre porte d’entrée était ouverte, et que Norn se tenait devant. Elle avait un grand sac sur le dos, le même que j’avais utilisé à l’époque où j’étais un aventurier. Il était plein à craquer.

Elle se préparait manifestement à un long voyage. Mais comme elle n’avait que dix ans, on aurait plutôt dit qu’elle allait faire un pique-nique ou autre chose.

Pendant un long moment, je l’avais regardée en silence. Norn avait évité mon regard. Elle avait l’air d’une enfant qui venait d’être prise en flagrant délit de farce.

« Où est-ce que tu vas ? »

« … »

Norn n’avait pas répondu, alors je m’étais répété.

« Où vas-tu, Norn ? »

Se mordant la lèvre, elle me regarda finalement dans les yeux.

« Eh bien… si tu ne vas pas aider, Rudeus, je suppose que je dois y aller à la place. »

J’avais étudié son visage pendant un moment. Aller où ? Elle ne pouvait pas sérieusement parler du continent de Begaritt ?

Norn était encore si petite. C’était d’une enfant de dix ans dont nous parlions ici.

« … »

Il n’y avait aucune chance que ce sac contienne tout ce dont elle avait besoin pour ce voyage. Elle avait probablement de l’argent, mais savait-elle comment le dépenser intelligemment ? Savait-elle même quelle route elle allait prendre ? Comment comptait-elle faire face aux dangers qu’elle rencontrerait en chemin ? Elle pourrait se faire kidnapper par des esclavagistes à la minute où elle mettrait le pied hors de cette ville.

« Norn, je ne peux pas te laisser faire ça », avais-je dit.

« Mais je… je… Rudeus, s’il te plaît ! Maman et papa ont des problèmes ! »

Elle pleurait maintenant, mais elle gardait ses yeux fixés sur les miens.

« Pourquoi… pourquoi ne vas-tu pas les aider ? »

Pourquoi ? Eh bien, parce que j’allais bientôt avoir un enfant. Je devais penser à ma femme.

« Tu es bien plus fort que moi, Rudeus ! Tu sais comment voyager ! Pourquoi n’y vas-tu pas ?! »

Elle n’avait pas tort. Je n’étais pas aussi expérimenté qu’Elinalise, mais j’avais passé cinq ans sur la route en tant qu’aventurier. J’avais au moins le savoir-faire. Et même s’il y avait beaucoup de gens plus puissants que moi, je pouvais me défendre dans un combat.

Tel que j’étais aujourd’hui, je pourrais probablement réussir à traverser le Continent Démon même sans l’aide de Ruijerd.

« … »

C’était vrai. Je pouvais le faire si je le voulais.

Cela faisait des jours que je pesais le pour et le contre d’y aller, mais c’était parce que je pouvais me permettre de choisir. Norn n’avait pas eu ce choix. Elle voulait aller aider, mais elle ne pouvait pas. Moi, d’un autre côté, j’avais la capacité d’atteindre le Continent de Begaritt, d’aider nos parents, et de revenir sain et sauf.

C’était la raison pour laquelle Geese m’avait envoyé cette lettre et pas quelqu’un d’autre.

« Ok, Norn. Tu as raison. »

« R-Rudeus ? »

Il y avait d’autres personnes qui pouvaient s’occuper de Sylphie pour moi. Mais j’étais le seul à pouvoir aller sauver mes parents.

Ça devait être moi. Je pouvais traverser le Continent de Begaritt jusqu’à la ville de Rapan. Je pouvais résoudre les problèmes que Paul et les autres avaient rencontrés. Il n’y avait personne d’autre à qui je pouvais confier cette tâche.

« Je vais y aller. Peux-tu t’occuper de la maison pour moi ? »

Le visage de Norn s’était éclairé. Mais un instant plus tard, elle serra les lèvres et hocha la tête avec l’expression la plus sérieuse qu’elle pouvait avoir.

« Absolument ! »

« Ne te dispute pas avec Aisha. Et aide Sylphie quand tu peux, d’accord ? »

« Bien sûr ! »

« Très bien. Gentille fille. »

Je me sentais mal d’avoir fait ça à Sylphie et à notre bébé. Si elle me larguait pour ça, je ne lui en voudrais pas. Mais ce n’était pas comme ça que je devais penser à ça. Je devais faire confiance à ma femme.

« Je vais donc aller sur le Continent de Begaritt. »

J’avais pris ma décision maintenant. J’allais sauver mes parents.

***

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5 commentaires :

  1. Mais on parle de Rudeus, le puit sans fond de mana… Il ne peut y aller un peu plus vite avec la magie ? Il doit pouvoir réduire considérablement le temps de trajet, non ?

  2. ThéodusNecrophilusse

    S’il utilise la magie du vent pour accélérer (en allant de d’onde de choc en onde de choc) je doute que sont corp tiennent sur le long terme

  3. merci pour le chapitre

  4. il avait déjà son puit de mana quand il a été envoyé sur le continent des démons et il lui a quand même fallu 3 ans pour en revenir avec l’aide de Ruijerd …
    la TP n’a pas de « formule » mais utilise des cercles donc ça ne marche pas qu’avec du mana …

  5. Merci pour le chapitre

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