Mushoku Tensei (LN) – Tome 11 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Norn Greyrat

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Chapitre 5 : Norn Greyrat

Partie 1

Je ne savais pas quand j’avais commencé à avoir peur de mon frère. Mais ce n’était pas le jour de notre première rencontre.

La première fois que j’avais rencontré Rudeus, c’était le jour où il avait frappé mon père au visage.

J’aimais mon père. Il avait d’énormes défauts, mais je savais qu’il se souciait beaucoup de moi, et qu’il me faisait toujours passer en premier. Plus important encore, j’avais moins de cinq ans à l’époque. La plupart des enfants aimaient leurs parents inconditionnellement à cet âge.

J’adorais mon père. Et Rudeus avait débarqué de nulle part et avait commencé à le frapper.

Je n’avais pas vraiment compris la conversation qui avait mené à ça. À ce stade, des années après les faits, je pouvais reconnaître que mon père avait en fait provoqué la bagarre. Rudeus venait d’achever un long et difficile voyage dans un pays dangereux, et papa s’était moqué de lui sans ménagement. Mais à l’époque, tout ce que je voyais, c’était mon frère assis sur mon père, le frappant à plusieurs reprises. Et tout ce que je pouvais penser, c’était il allait le tuer. C’était la seule chose qui comptait pour moi à ce moment-là.

Naturellement, je n’étais pas prête à accepter le fait qu’un tel monstre fasse partie de ma famille.

Je n’avais pas peur de Rudeus à l’époque. Je le détestais, tout simplement.

Je continuais donc à le détester bien après ça. Et le fait que tout le monde ait ressenti le besoin de le complimenter ne m’avait pas aidée.

Ce n’était pas uniquement mon père, quand j’avais rencontré ma sœur et la bonne de la famille plus tard, elles avaient aussi parlé de lui en termes élogieux. Mais plus ils le louaient, plus je m’entêtais à le mépriser.

Je détestais ma sœur presque autant que je détestais Rudeus. À l’école où nous allions ensemble, Aisha insistait pour être constamment en compétition avec moi. Elle me mettait au défi en classe et sur le terrain où nous nous entraînions, et elle me battait toujours à plate couture. Elle me mettait le nez dans mes échecs.

Avec elle dans les parages, je passais chaque jour à me sentir comme une perdante. Je ne pensais pas que je pourrais un jour être amie avec elle.

Ma grand-mère était au courant de cet état de fait, et elle n’aimait pas du tout ça. Elle n’avait que du mépris pour Aisha, qu’elle appelait « illégitime ». Mais elle avait aussi de grands espoirs pour moi… ou du moins de grandes attentes. Elle avait dit que j’étais une « dame de la famille Latria ». Apparemment, cela signifiait que je devais être un minimum « compétente ».

J’avais été obligée de suivre des cours d’étiquette et des leçons pour me préparer à des cérémonies spécifiques. Rien de tout cela n’était inné en moi, je faisais des erreurs à répétition et j’étais réprimandée tous les jours. Chaque fois que je me mettais dans l’embarras, ma grand-mère marmonnait : « Je suppose que ces aventures doivent polluer le sang ainsi que l’esprit ».

Je savais qu’elle insultait à la fois ma mère et mon père avec ces mots. Mon père travaillait dur pour moi, et c’était tout ce qu’elle avait à dire sur lui. Il n’avait pas fallu longtemps pour que je commence à la détester aussi.

Alors, quand la professeur de mon frère était arrivée et nous avait dit où était ma mère, je m’étais décidée à suivre mon père dans son voyage au lieu de rester avec ma grand-mère.

Papa était hésitant. Il pensait que ce serait plus sûr pour moi de rester derrière. Ma mère venait de l’aristocratie Millis, et mon père d’une maison noble d’Asura. J’avais une bonne lignée, du moins en ces termes. Grâce à cela, mon grand-père était prêt à me prendre dans sa maison de façon permanente.

Mais je détestais cette idée, j’avais donc supplié mon père de me prendre avec lui. J’avais pleuré et supplié. Et finalement, j’avais pu venir avec lui.

Et pourtant…, mon père m’avait finalement envoyé vivre avec Rudeus.

Il avait dit que les choses seraient trop dangereuses à partir de maintenant. Il avait dit que Rudeus vivait dans le nord, et que je devais y rester et l’attendre. Il avait dit qu’il me suivrait là-haut une fois qu’il aurait retrouvé ma mère.

J’avais pleuré. J’avais refusé. Je l’avais supplié de me prendre avec lui. La dernière chose que je voulais était d’être séparée de lui maintenant, après que nous soyons allés si loin ensemble. Si Ruijerd n’était pas arrivé, j’aurais peut-être fini par épuiser mon père. Et puis je serais probablement tombée malade ou blessée pendant ce dur voyage à travers le continent Begaritt. Je lui aurais probablement causé toutes sortes de problèmes.

Mais grâce à Ruijerd, on n’en était pas arrivé là.

Je me souvenais très bien de lui. Le jour où j’avais rencontré mon frère, Ruijerd avait tendu la main et m’avait rattrapée quand j’avais trébuché dans la rue. Il m’avait tapoté la tête et m’avait donné une pomme. Je ne connaissais pas son nom à l’époque. J’avais appris qu’il était le garde du corps de mon frère, mais je n’avais jamais eu l’occasion de lui demander son nom.

Il était tout aussi gentil la deuxième fois où nous nous étions rencontrés. Il m’avait encore tapoté la tête et m’avait gentiment persuadée de faire le bon choix.

Et ce fut ainsi que j’avais fini par me diriger vers le nord, vers la nouvelle maison de mon frère.

Aisha était pleine d’énergie et d’enthousiasme dès que nous avons pris la route. Elle avait laissé tomber ses manières de bonne fille qu’elle montrait devant papa et Lilia, et commença à agir comme le chef de notre expédition, venant ainsi avec toutes sortes de plans fous.

Je pensais qu’elle était stupide. Le fait qu’elle essayait de prendre les choses en main alors que nous avions deux adultes qui voyageaient avec nous me semblait ridicule. Mais pour une raison quelconque, Ruijerd et Ginger l’avaient pris au sérieux et avaient même accepté la plupart de ses idées.

Cela ne semblait pas du tout juste. Ses opinions semblaient toujours avoir plus de poids. Tout ce que je disais était ignoré.

Ruijerd était la principale raison qui avait fait que j’avais pu supporter ça. Il avait au moins de la considération pour mes sentiments. Il prenait toujours le temps de me réconforter et d’écouter mes plaintes.

Mais même lui passait beaucoup de temps à complimenter mon frère.

Il disait que Rudeus était un homme remarquable. Il m’avait dit à quel point il avait hâte de le voir. Il souriait même légèrement lorsqu’il parlait de lui, lui qui ne souriait presque jamais. Le Rudeus que je connaissais et le Rudeus dont il parlait semblaient être des personnes totalement différentes.

C’était peut-être à ce moment-là que j’avais commencé à avoir peur de mon frère.

Rudeus était un puissant magicien. Il était digne de respect. Tout le monde le disait. Mais le Rudeus que je connaissais était l’homme qui avait jeté mon père au sol et l’avait battu. C’était une personne violente. Si je l’énervais, il n’y avait aucune garantie qu’il ne me frappe pas comme il avait frappé mon père.

J’avais peur de le rencontrer, et l’idée de vivre avec lui pendant des mois était terrifiante. Parfois, je me réveillais au milieu de la nuit, tremblante. Parfois, je ne pouvais pas m’endormir du tout, mais Ruijerd était toujours là pour me réconforter. Il me mettait sur ses genoux et nous regardions les étoiles ensemble pendant qu’il me racontait des histoires de son passé. La plupart étaient tristes, mais pour une raison quelconque, elles m’aidaient toujours à m’endormir.

Et au moment où je m’apprêtais à revoir Rudeus pour la première fois depuis des années, celui-ci était ivre et s’accrochait à une femme.

Apparemment, c’était une de ses amies d’enfance du village de Buena, et ils s’étaient mariés récemment. Je ne me souvenais pas du tout d’elle. J’avais le vague souvenir d’une gamine plus âgée qui traînait avec Aisha et Lilia, mais je ne me souvenais plus si elle ressemblait à cette Sylphie. Elle avait dû beaucoup changer au fil des ans.

Rudeus profitait visiblement pleinement de sa vie ici.

Voir cette scène m’avait mise en colère. Mon père n’avait pas perdu de temps à jouer avec les femmes pendant des années. Il avait dit qu’il mettait ça en attente jusqu’à ce qu’il trouve ma mère. Il n’avait même pas touché Lilia, et encore moins les autres femmes proches de lui.

D’un autre côté, la priorité de mon frère était son propre bonheur. Cela m’avait rendue folle.

Cependant, je ne pouvais pas me résoudre à dire quoi que ce soit. J’avais peur de lui. J’avais peur qu’il commence à me frapper si je le mettais en colère.

Ruijerd interviendrait-il pour me défendre si cela arrivait ? C’était difficile à dire. Il semblait vraiment heureux de revoir Rudeus. Peut-être qu’il ne serait pas de mon côté. Peut-être qu’il dirait que j’étais impolie ou égoïste.

Je n’avais rien pu dire cette première nuit. Et puis, dès le lendemain, Ruijerd était parti pour de bon. J’avais supposé qu’il resterait avec nous un peu plus longtemps. Je ne voulais pas qu’il parte. Mais il était parti quand même.

J’avais encore plus peur qu’avant. Les seules personnes restantes dans la maison étaient Rudeus, sa femme et Aisha. Ma petite sœur était ravie d’être à nouveau avec Rudeus. Sylphie semblait être une personne assez gentille, mais elle n’était pas de mon côté. Je n’avais personne de mon côté.

Et j’étais coincée ici jusqu’au retour de mon père. J’allais devoir vivre dans la peur pendant des mois et des mois.

Rudeus sera probablement gentil avec Aisha, mais strict avec moi. Il féliciterait ma sœur et me dirait de faire plus d’efforts.

Aisha disait toujours que c’était ma faute si je ne faisais rien de bien. Elle disait que je ne faisais pas d’efforts. Mais il y avait des choses que je ne pouvais pas faire, même si j’essayais très fort. Même si je voulais m’améliorer, même si je m’entraînais beaucoup, je ne pouvais toujours pas me comparer à elle. Alors qu’est-ce que j’étais censée faire ?

Pour l’instant, tout ce que je pouvais faire était de rester à l’écart. Je m’étais cachée, en espérant que personne ne se fâche contre moi. En espérant que personne ne me dise à quel point j’étais inférieure.

La ville dehors était couverte de neige. J’avais peur d’être jetée dans le froid toute seule.

Rudeus décida subitement que je devais commencer à aller à l’école.

Cette « université » semblait assez différente de l’école que j’avais fréquentée à Millishion. Je pouvais m’inscrire en première année, mais cela ne signifiait pas que tous mes camarades de classe auraient mon âge. Il y avait toutes sortes de personnes qui étudiaient là, et la plupart d’entre elles étaient plus âgées que moi.

Pour être honnête, je ne voulais pas y aller. Je savais que je finirais par être à nouveau comparée à Aisha. Mais il s’était avéré que ma sœur n’avait pas l’intention de retourner à l’école. C’était enfin une bonne nouvelle pour moi. Sans elle dans les parages, je pourrais peut-être faire un peu mieux.

Mon frère posa cependant une condition à Aisha. Elle devait passer l’examen d’entrée de l’université. C’était un test que tout le monde devait passer avant d’entrer dans l’école — ce qui signifiait que je devais le passer aussi.

Cela m’avait profondément découragée. Il n’y avait aucune chance que je réussisse un test sans même l’étudier. Je l’avais ainsi signalé à Rudeus, mais ce dernier me dit qu’il pouvait simplement m’acheter une place à l’université. C’était une chose tellement irréfléchie et impolie à dire que je m’étais mise en colère malgré moi. Aisha s’était alors mise en colère contre moi parce que j’étais en colère, et ça s’était transformé en bagarre.

« Arrêtez, vous deux. »

Le ton froid de mon frère déclencha un pincement au cœur en moi.

Pendant une seconde, j’avais cru qu’il allait me frapper. J’avais tellement eu peur que j’en avais un peu pleuré.

Est-ce que j’allais devoir continuer à vivre comme ça, à trembler constamment de peur ?

Le jour de l’examen, Rudeus m’avait parlé des dortoirs. Apparemment, l’Université de Magie laissait ses étudiants vivre dans de grands bâtiments sur le campus, pour les aider à devenir plus indépendants. Cela semblait être la solution à tous mes problèmes.

Je ne doutais pas que ma sœur réussirait l’examen, ce qui signifiait qu’elle n’aurait pas à aller à l’école. Si je m’installais dans les dortoirs, je n’aurais plus à la voir ni à voir Rudeus. Personne ne me comparerait à personne. Je pourrais juste être moi-même et vivre ma propre vie.

Plus j’y pensais, plus ça me semblait parfait.

Quelques jours plus tard, nous avions reçu les résultats du test. Mon frère m’avait alors demandé ce que je voulais faire maintenant. Hésitante, j’avais admis que je voulais vivre dans les dortoirs.

J’avais peur qu’il se mette en colère. Mon père avait voulu que je reste avec Rudeus, et il avait probablement dit à Rudeus de garder un œil sur moi dans sa lettre. Je pensais que mon frère pourrait se mettre en colère contre moi. Peut-être qu’il me frapperait pour avoir été si égoïste.

Mais à ma grande surprise, Rudeus accepta immédiatement.

Ce fut Aisha qui se mit en colère. Elle trouvait injuste que j’obtienne ce que je voulais. Jusqu’à présent, elle avait toujours été mieux traitée que moi. Je suppose qu’elle n’avait pas apprécié le fait que Rudeus l’ait testée et pas moi.

Mais pourquoi mon frère avait-il accepté ma demande ? Je ne le savais pas. Je ne le comprenais pas du tout. En y repensant, je m’étais rendu compte qu’il ne s’était jamais énervé contre moi depuis mon arrivée ici, à l’exception de la fois où je m’étais battue avec Aisha.

… Peut-être qu’il ne s’intéressait pas du tout à moi.

Peut-être qu’il pensait que prendre soin de moi n’était rien de plus qu’une nuisance, et qu’il avait vu là une occasion en or de me mettre dehors. Pour ce que j’en sais, il avait déjà prévu de me larguer dans les dortoirs.

Mais en ce qui me concerne, ce serait pratique. Mais pour une raison inconnue, cette pensée me rendait un peu triste.

***

Partie 2

Tout ce qui concerne la vie dans les dortoirs était nouveau pour moi. C’était vraiment excitant.

Pour la première fois de ma vie, j’avais une colocataire. J’allais vivre avec une fille plus âgée appelée Marissa. C’était un démon.

Ma grand-mère disait toujours que les démons étaient des créatures maléfiques, des monstres ne vivant que de chasse et de destruction. Si je n’avais pas rencontré Ruijerd, j’aurais probablement continué à le croire. Mais j’avais rencontré Ruijerd, je m’étais donc présentée poliment à Marissa, et elle m’avait accueillie chaleureusement en réponse. J’avais besoin de beaucoup d’aide, puisque je commençais au milieu du trimestre scolaire, et Marissa était vraiment là pour moi. Elle m’avait appris comment fonctionnaient les repas ici, où étaient les toilettes et les règles du dortoir.

Alors qu’elle me faisait visiter les lieux, une fille démone à l’air effrayant de la « brigade d’autodéfense » nous avait repérées et s’était présentée à moi.

« Nous sommes tous une grande famille ici, alors nous devons veiller les uns sur les autres. », avait-elle dit

J’étais un peu intimidée par elle, mais Marissa m’avait dit que c’était une personne au grand cœur qui prenait ses responsabilités au sérieux.

Dans l’ensemble, j’avais hâte de commencer ma nouvelle vie ici. C’était ennuyeux de devoir retourner chez mon frère tous les dix jours, mais il ne me posait pas trop de questions spécifiques, alors ce n’était pas si grave.

Et ce fut ainsi que commença ma nouvelle vie d’élève d’internat.

J’avais tout de suite compris que les cours ici étaient très difficiles. Je pensais que cela était dû au fait que les professeurs expliquaient tout différemment de ceux de Millis. Cela aurait pu être différent si j’avais assisté à tous les cours dès le début, mais j’étais arrivée à mi-chemin. Il y avait beaucoup de cours que je ne pouvais pas suivre.

À Millis, nous avions eu beaucoup de cours sur la religion, mais ce n’était même pas un sujet ici. À la place, nous avions des leçons pratiques de magie. Je n’étais pas non plus très douée pour ça. Les professeurs n’avaient pas pris la peine d’expliquer les bases.

C’était un peu décourageant. Mais si mes notes étaient trop mauvaises, je pourrais finir par être traînée chez mon frère. J’avais essayé d’étudier dans ma chambre, mais ça ne m’avait pas aidée. Et puis, alors que j’étais au bout du rouleau, Marissa a eu la gentillesse de me donner des cours particuliers. Avec son aide patiente, j’avais finalement réussi à comprendre certains des concepts que j’étais censée apprendre en classe.

Aisha aurait probablement compris tout ça instantanément. Parfois, je me détestais d’être aussi stupide.

Le campus était très grand, et je me perdais régulièrement.

Les leçons pratiques de magie et de condition physique étaient particulièrement mauvaises. Ils les tenaient dans un tas de salles différentes que je ne pouvais jamais me rappeler comment trouver. Chaque fois que je me perdais, je devais demander mon chemin à un élève plus âgé ou attendre que quelqu’un de ma classe vienne me chercher.

Une de ces fois, j’étais même tombée sur Rudeus. Pour une raison inconnue, il marchait avec l’élève le plus important de toute l’école. C’était incroyablement embarrassant.

Tout le monde à l’université avait peur de mon frère.

D’après ce que j’avais entendu, il était le chef d’une petite bande de six voyous qui faisaient tout ce qu’ils voulaient. Deux de ces personnes vivaient dans mon dortoir. C’était des grandes filles à l’air effrayantes qui se pavanaient comme si l’endroit leur appartenait. Marissa m’avait prévenue de ne pas me mettre sur leur chemin si je pouvais l’éviter.

La rumeur disait que Rudeus avait ordonné à ces deux-là de collecter une paire de culottes de chaque jolie fille de l’école.

La femme de mon frère était-elle au courant ? Probablement pas. Je n’avais aucune idée de ce qu’il comptait faire avec tous ces sous-vêtements, mais ça me mettait hors de moi. Mon père était parti risquer sa vie pour sauver ma mère, et mon frère s’amusait comme un idiot. Mon opinion de lui était de plus en plus basse.

Mais malgré ses actions bizarres, la réputation de mon frère était étrangement positive. Les gens disaient qu’il ne s’en prenait jamais aux élèves ordinaires. Même s’il faisait ce qu’il voulait, il ne faisait de mal à personne et ne les harcelait pas. En fait, il avait soi-disant dit à tous les durs à cuire d’arrêter de s’en prendre à plus faible qu’eux. Un des enfants les plus effrayants de ma classe s’était même vanté d’avoir parlé à Rudeus une fois.

Rudeus était meilleur en magie que quiconque à l’Université, et apparemment, c’était aussi un bon professeur. Les gens disaient qu’il était le tuteur d’une fille encore plus jeune que moi.

Mes camarades de classe, mes professeurs, et même Marissa m’avaient dit que je devrais essayer de suivre ses traces. Ils voulaient que je sois comme lui. Que je sois comme… le frère que je craignais, que je détestais et que je ne comprenais pas du tout.

Je ne voulais pas être comme lui.

Mais plus que tout, ça me faisait mal de savoir que je ne pouvais pas me comparer à lui. Il était meilleur que moi en tout, tout comme Aisha.

Peu importe à quel point j’essayais, je ne serais jamais de taille pour lui.

Je détestais Rudeus. Je pensais que c’était une personne terrible.

Mais le fait était que je ne pouvais même pas commencer à rivaliser avec lui.

Un jour, j’étais retournée dans mon dortoir et m’étais écroulée sur mon lit.

Un grand fouillis d’émotions s’était développé en moi depuis des semaines. Amertume, tristesse, apitoiement sur soi, colère et je ne sais quoi encore.

Je ne pouvais plus les retenir. Je ne pouvais pas m’empêcher de m’effondrer.

Marissa était revenue dans la chambre un peu plus tard. Elle m’avait vu pleurer dans mon oreiller et m’avait demandé gentiment ce qui n’allait pas. Je lui avais simplement répondu que « Ce n’est rien » et j’avais mis ma couverture sur ma tête.

Qu’est-ce que j’étais censée faire maintenant ?

Avais-je tort à propos de Rudeus ? Ou est-ce que c’était tout le monde ?

… C’était probablement moi. Il n’était probablement pas aussi mauvais que je le pensais.

J’étais très jeune le jour où j’avais vu Rudeus frapper mon père. Après cela, mon père avait essayé d’expliquer qu’il avait traversé une période difficile, mais je n’avais jamais pu comprendre ce que cela signifiait. Mais maintenant, après tout ce temps, ça avait finalement pris un sens pour moi. N’étais-je pas en train de « traverser une période difficile » moi-même en ce moment ?

Si je travaillais dur, que je changeais les choses et que je parvenais à me remonter le moral, ce serait vraiment nul d’entendre quelqu’un dire : « Wôw, regarde-toi. Ça doit être bien d’avoir une vie aussi insouciante ». J’aurais probablement aussi envie de les frapper. Même si c’était mon propre père.

Au fond, Rudeus et moi étions probablement des personnes similaires. Il n’était finalement pas un monstre inhumain.

Mais ceci dit… comment étais-je supposée parler de tout ça avec lui maintenant ? Que voudrait-il de moi ? Comment avait-il réussi à se réconcilier avec papa, d’ailleurs ?

J’y avais pensé, et j’y avais encore pensé, rien ne me venait à l’esprit. Et finalement, mon ventre commença à me faire mal. J’avais eu une crampe à l’estomac, et j’avais commencé à avoir la nausée. Je m’étais donc enfouie plus profondément dans mon lit et je n’avais rien fait.

Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais même pas me résoudre à aller voir mon frère.

 

 

Dans ces moments-là, papa était toujours là pour moi. Quand quelque chose de grave arrivait et que je me recroquevillais dans mon lit, il entrait et me frottait doucement le dos pendant un moment. Et après notre séparation, Ruijerd avait pris sa place. Il me prenait sur ses genoux, me tapotait la tête et me racontait des histoires.

Je n’avais personne comme ça ici. Marissa était gentille avec moi, mais elle n’était pas de mon côté. Tout ce qu’elle avait pu suggérer, c’était que je devrais parler à mon frère, ou essayer de retourner en classe.

Je savais déjà tout ça. Le problème était que mon corps ne voulait pas bouger.

*****

Combien de temps s’était écoulé depuis que je m’étais pelotonnée dans mon lit ?

J’avais continué à penser en rond pendant ce qui m’avait semblé être de nombreuses heures, puis je m’étais endormie d’épuisement. J’avais répété ce cycle plusieurs fois, cela devait donc faire quelques jours maintenant.

J’étais assise sur le bord de mon lit. Et pour une raison inconnue, Rudeus était juste en face de moi. Il était assis en arrière sur une chaise et me fixait.

« Norn, je — »

« Uhm, Rudeus — »

C’était comme si c’était la première fois que je prononçais le nom de mon frère à voix haute.

Nous avions tous les deux rompu le silence exactement au même moment. Apparemment, je n’hallucinais pas. Comment était-il entré dans le dortoir des filles ?

J’étais si confuse que je ne savais pas quoi dire. Mon frère était silencieux aussi. Pendant un moment, on s’était juste regardés.

C’était la première fois que je regardais aussi attentivement le visage de Rudeus. Il avait l’air un peu anxieux. Ses traits me rappelaient un peu mon père, ce qui était plutôt rassurant. Mais bien sûr, ils se ressemblaient.

« Je suis désolé, Norn. Cela n’a pas été facile pour toi ici, n’est-ce pas ? Je suppose que je ne te comprends pas très bien… Je sais que ça doit être dur pour toi, mais je ne sais pas trop quoi faire. », dit Rudeus d’une voix hésitante.

Était-ce moi, ou bien était-il vraiment nerveux ? Ça me faisait aussi penser à mon père.

« … »

Mon frère s’était de nouveau tu. Il était resté assis là tranquillement, sans bouger d’un pouce.

Il me regardait avec anxiété, mais il n’avait pas bougé de sa chaise. Mon père m’aurait probablement déjà entourée de ses bras, et Ruijerd m’aurait tapé sur la tête. Mais mon frère ne s’était même pas approché de moi.

« Oh. »

J’avais soudainement compris pourquoi.

Il ne pouvait pas m’approcher. Il avait trop peur que je le rejette.

À l’instant où cette pensée m’était venue, j’avais senti toutes mes émotions négatives commencer à fondre. Je ne détestais plus Rudeus. Je ne le trouvais pas effrayant non plus. Il ressemblait trop à mon père.

Il n’allait jamais me frapper, quoi qu’il arrive. Et il n’allait probablement plus jamais frapper mon père.

« Sniff… »

J’avais besoin de lui pardonner.

« Hic ! »

Des larmes coulaient sur mes joues maintenant. Ma gorge tremblait.

Après un moment, j’avais commencé à sangloter.

« Je suis désolée, Rudeus ! Je suis désolée… »

Lentement, prudemment, mon frère s’était levé et s’était assis à côté de moi. Il avait doucement posé sa main sur ma tête, puis il m’avait serrée contre sa poitrine. Sa main était chaude, et sa poitrine était ferme.

Il sentait aussi un peu comme mon père.

J’avais passé le reste de la nuit à pleurer dans ses bras.

Rudeus

Au final, je n’avais pas fait grand-chose.

Norn ne m’avait pas dit ce qui se passait. Elle ne m’avait jamais dit ce qui la contrariait, ou ce qu’elle ressentait. Elle pleura simplement pendant un long moment.

Et puis, quand c’était enfin terminé, elle leva les yeux et marmonna : « Je vais mieux maintenant. »

Et ce fut tout.

Mais pour une raison inconnue, elle avait enfin l’air vraiment bien. Elle avait même réussi à me regarder droit dans les yeux.

Je m’étais senti énormément soulagé. Quelque chose me disait qu’elle allait s’en sortir maintenant.

J’avais donc laissé le reste à Sylphie et je m’étais glissé hors de la chambre de ma sœur.

Norn était devenue sensiblement plus gaie après cet incident.

Les changements n’étaient pas vraiment spectaculaires. Elle avait juste commencé à me dire bonjour quand on se croisait dans le couloir. Nous ne parlions toujours pas beaucoup, et elle ne s’était pas mise à me coller comme sa sœur. Elle était probablement toujours comparée à moi dans ses cours, mais je suppose que cela ne la dérangeait plus autant.

Je ne comprenais toujours pas ce qu’elle ressentait. Je n’avais vraiment rien fait de significatif. Ça me rendait un peu pathétique. Je savais ce que ça faisait d’être méprisé, et je savais ce que ça faisait de s’isoler dans sa chambre. Mais je n’avais toujours pas réussi à trouver quelque chose d’utile à dire.

Finalement, je pense que Norn s’était débrouillée toute seule. Elle avait mis de l’ordre dans ses sentiments et avait surmonté l’obstacle sur son chemin.

C’était un accomplissement très impressionnant.

Paul et Aisha semblaient penser que Norn n’était qu’une enfant maladroite et timide sans aucun talent particulier. Mais j’avais une opinion très différente d’elle maintenant. Elle avait réussi à sortir d’un trou dans lequel j’avais passé toute ma vie.

Si j’avais été à moitié aussi forte qu’elle, ma première vie n’aurait peut-être pas été aussi misérable. Peut-être que je ne me serais pas fait frapper au visage par mon frère au grand cœur.

Il m’était bien évidemment impossible d’en avoir la certitude. Ma situation était différente de celle de Norn. Même si je m’étais débarrassé de mes sentiments, je n’aurais peut-être jamais quitté ma chambre. Peut-être que j’avais besoin de renaître et de rencontrer Roxy pour que cela soit possible.

Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas changer le passé. Les relations que j’avais brisées ne pourraient jamais être réparées. Et je ne saurai jamais avec certitude ce qui se passait dans la tête de mon frère à l’époque.

Pourtant, je me sentais un peu… comme si quelque chose qui était coincé entre mes dents depuis très longtemps venait de se libérer. Si Nanahoshi réussit à retourner dans notre ancien monde un jour, je devrais lui demander de transmettre un message à mon frère.

« Merci d’avoir essayé de me faire comprendre certaines choses à l’époque. Et je suis désolé. »

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