Mushoku Tensei (LN) – Tome 11 – Chapitre 14

***

Chapitre 14 : Guerriers du désert

***

Chapitre 14 : Guerriers du désert

Partie 1

Nous étions donc partis pour Rapan en tant que membres de la caravane de Galban.

Le chef de son équipe de garde était le guerrier Balibadom, également connu sous le nom d’Oeil de Lynx. Ses compagnons étaient Carmelita la briseuse d’os et Tont la Grande Lame. En ajoutant Elinalise et moi-même, nous avions cinq combattants et un marchand dans notre groupe.

Et il y avait aussi six chameaux. J’avais envisagé d’inventer des noms pour ces types aussi, mais j’avais décidé de ne pas le faire après avoir appris que nous devrions peut-être les manger si nous étions à court de nourriture dans le désert. Je ne voulais pas que la saveur de mon premier plat de viande de chameau soit empreinte de culpabilité.

Avant de partir, nous avions tenu une réunion pour mettre au point notre formation de base. En règle générale, nous garderions Galban au milieu. Balibadom était devant, accompagné de Carmelita à gauche et de Tont à droite. Elinalise et moi serions positionnés à l’arrière.

Nous formerions tous les cinq un cercle de protection autour de notre employeur et de ses chameaux. Quelle que soit la direction d’où nous étions attaqués, l’un d’entre nous devrait être capable d’intercepter la menace avant qu’elle ne puisse nuire à notre client. C’était une sorte de formation classique de la Croix Impériale.

J’avais l’impression que Carmelita ou Tont seraient des choix plus sûrs pour l’arrière-garde, mais ils voulaient me garder à l’arrière puisque j’étais un magicien — et il était logique de garder Elinalise plus près de moi, puisque nous avions l’habitude de travailler ensemble.

« Très bien. On y va. »

Nous commencions par voyager vers l’est depuis Bazaar jusqu’à atteindre la grande route régionale. Le nom des lieux ne me disait rien, mais cela ressemblait à la route fréquentée par les bandits. Par précaution, j’avais informé Balibadom de ce que j’avais entendu.

« Nous ne connaissons pas de route plus sûre dans le désert. Si les bandits attaquent, c’est pour ça qu’on est là. Parfois, ils demandent juste un péage et nous laissent continuer notre route. », dit-il.

Un péage, hein ? Je n’en avais pas entendu parler, mais si nous pouvions nous frayer un chemin sans avoir à nous battre, alors tant mieux. Les bandits essayaient juste de gagner leur vie. Tant que nous leur donnions ce qu’ils voulaient, ils ne devraient pas en demander plus.

Pour être honnête, l’idée de donner de l’argent à une bande de gens qui menaçaient les voyageurs au lieu de travailler honnêtement ne me plaisait pas trop. Mais je n’étais pas celui qui devait payer ici, alors je pouvais vivre avec.

Pourtant, il y avait une chance que nous tombions sur des bandits plus avides ayant un intérêt autre que l’argent et les marchandises. Par exemple, ils pourraient exiger qu’on leur remette Elinalise, vu son charme. Cela pourrait être problématique. Ce n’était pas comme si on était de vieux amis de Galban et compagnie. On leur avait sauvé la vie, mais ça ne voulait pas dire qu’ils risqueraient leur peau pour nous s’il le fallait. Il y avait toujours une chance qu’ils nous laissent tomber.

« Tu as l’air nerveux, Rudeus, mais ne t’inquiète pas trop. Avec un magicien de ton niveau à nos côtés, quelques bandits ne devraient pas être un problème. », dit doucement Elinalise.

« Tu crois ça ? »

« Je le pense. Et au pire, j’utiliserai un petit charme sur eux. »

« Euh, quoi ? Tu veux être transporté jusqu’à leur base, enchaînée, et brutalement… »

« Mon Dieu, c’est extrême. Tant que tu y vas de ton plein gré, même les bandits seront gentils avec toi. »

« Parles-tu en connaissance de cause ? »

« Nous faisons tous des erreurs dans notre jeunesse. »

Elinalise ne semblait pas du tout préoccupée. Pourtant, cette époque était bien révolue, et elle serait probablement moins désireuse de faire quelque chose comme ça maintenant qu’elle avait Cliff dans sa vie.

Eh bien, peu importe. Nous pourrions probablement repousser une attaque assez facilement, tant que les ennemis n’étaient pas trop nombreux.

Notre groupe traversa des champs arides pendant un moment, en direction de l’est.

Nous avions dû combattre de nombreux monstres en chemin. Il y avait des buffles de Begaritt, qui fonçaient sur vous en groupe, et de grandes tarentules, d’énormes araignées qui se déplaçaient furtivement. Nous avions également rencontré des aigles maîtres du vent, des monstres volants qui vous jetaient des sorts de vent depuis le ciel. Certains de nos amis du désert avaient également fait une apparition : principalement des Cactus Treants et ces lézards tueurs, qui étaient apparemment appelés Gyroraptors. Il y en avait beaucoup d’autres aussi.

Cependant, Balibadom s’était montré capable de repérer nos ennemis bien à l’avance, si bien que nous n’avions jamais été contraints à un combat sérieux. Il s’était avéré qu’il avait lui-même un œil démoniaque, ce qui lui avait valu le nom d’Œil-de-lynx.

L’homme était musclé et grand, et devait avoir la quarantaine, à en juger par les rides au coin de ses yeux. On pouvait dire au premier coup d’œil qu’il était le type de survivant rusé. Ses cheveux étaient coupés court sur les côtés et dans le dos; il me rappelait un peu le capitaine de l’équipe de ce vieux film de basket-ball. Je m’attendais à ce qu’il s’écrie : « Marque-le ! » ou quelque chose comme ça.

Son œil démoniaque était du même type que celui de Ghislaine : il lui permettait de voir le flux de mana dans le monde qui l’entourait. C’était le moyen le plus efficace pour détecter des ennemis.

« Nous avons des monstres devant nous. Prêt au combat, tout le monde. »

Jusqu’à présent, il avait parfaitement prédit chaque monstre en approche et chaque changement de temps. C’était presque comme voyager avec Ruijerd. Il n’était pas aussi précis sur les détails, mais il repérait les ennemis très rapidement. Ses nombreuses années d’expérience y étaient probablement pour quelque chose.

« Cela me ramène un peu en arrière. Ghislaine repérait les monstres comme ça, avec son œil et son nez. », dit Elinalise avec un sourire.

Lorsque vous aviez quelqu’un dans votre groupe qui pouvait détecter les ennemis à l’avance, le combat avait tendance à être beaucoup moins risqué. Lorsque les monstres arrivaient à portée, j’étais prêt à les frapper avec un sort. J’avais commencé par utiliser le Canon de pierre, mais le viser précisément devenait fastidieux, alors je les envoyais en l’air avec la magie du vent, puis je les écrasais au sol. Ça demandait un peu moins d’efforts.

« Tu utilises ces sorts terriblement librement, mon garçon. Ne vas-tu pas manquer de mana ? »

J’étais devenu tellement paresseux que Balibadom ait fini par revenir me parler, l’air un peu inquiet.

« Ça devrait aller. Je pense que je peux continuer comme ça toute la journée. »

« Je vois. Tu es donc un Grand Sorcier ? »

« Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? »

« C’est un titre donné aux magiciens qui ont atteint une profonde maîtrise de leur art. »

« Eh bien, euh, je ne dirais pas que je suis un maître de quoi que ce soit pour le moment. »

« En tout cas, il est rare de trouver un magicien prêt à utiliser ses pouvoirs aussi librement. »

De nombreux magiciens mettaient un point d’honneur à ne pas dépenser plus de la moitié de leur réserve de mana dans une journée donnée. C’était également la norme dans les Territoires du Nord. Comme la plupart des mages n’étaient pas très forts physiquement, leur réserve de mana était tout ce sur quoi ils pouvaient compter pour se défendre. Mais pour autant que je sache, je n’avais jamais vidé la moitié de ma réserve.

Garder un peu de mana disponible en cas d’urgence relevait du bon sens. Mais pour les guerriers du désert qui ne connaissaient pas grand-chose à la magie, la plupart des mages étaient probablement des fainéants. Balibadom semblait avoir assez d’expérience de combat en groupe pour comprendre la vraie raison pour laquelle les mages se retenaient. Pourtant, il ne semblait pas si bien connaître la magie en général, étant donné qu’il n’avait pas fait de commentaire sur mes incantations silencieuses.

« Je suis heureux d’avoir ta puissance de feu de notre côté, mais essaye de garder un peu de mana pour les situations inattendues. Nous sommes cinq dans ce groupe, tu sais ? Retiens tes attaques à longue portée jusqu’à ce que je les demande. », avait-il dit.

« Compris. »

Je n’essayais pas vraiment de cacher le fait que ma réserve de mana était massive, mais je ne voyais pas non plus de raison de le lui dire ouvertement. Et d’abord, je ne savais pas trop où se trouvaient mes limites. Je ne voulais pas être trop arrogant et finir par provoquer un désastre.

La nuit, nous étions cinq à monter la garde à tour de rôle tandis que Galban se reposait seul dans sa tente. Nous étions tous censés dormir dehors. Ce n’était pas comme si je m’attendais à un traitement égalitaire.

J’avais créé un abri et encouragé tout le monde à dormir dedans, mais Balibadom et les autres refusèrent, disant qu’ils auraient plus de mal à remarquer les monstres qui pourraient s’approcher. Cela semblait effectivement être une raison légitime pour dormir dehors.

Utiliser cet abri moi-même me fit sentir mal à l’aise, mais Elinalise était intervenue.

« Il n’y a pas à se sentir mal, Rudeus. Nous avons notre propre façon de faire les choses, et nous serons plus utiles si nous sommes bien reposés demain. »

Cela me paraissait logique. Nous avions donc fini par dormir dans notre petit refuge. C’était à coup sûr plus reposant que l’alternative.

Deux d’entre nous monteraient la garde à la fois pendant la nuit. J’avais supposé qu’un seul suffirait, mais apparemment c’était plus sûr ainsi, surtout quand on avait un groupe de cette taille. Nous avions changé les quarts de garde chaque nuit.

La première nuit, j’étais jumelé avec Carmelita.

« Hé, toi. Je suppose qu’on va travailler ensemble ce soir, hein ? »

« Oui. Ne t’endors pas. »

« Eh bien, je n’en avais pas l’intention. »

Bien que nous ayons techniquement un travail à faire ici, fixer silencieusement quelque chose en particulier pouvait devenir assez ennuyeux. Nous avions donc finalement commencé à faire un peu la conversation tous les deux.

« Merci pour ton aide l’autre jour. »

« Oh, je t’en prie. Ce n’était pas grand-chose. »

« Tu es fort. Comme l’autre. La femme. »

Carmelita la « Briseuse d’os » était une guerrière de profession et allait avoir vingt et un ans cette année. Son arme de prédilection était une épée à lame large et épaisse de plus d’un mètre de long, qu’elle balançait férocement en combat.

Il semblerait que la plupart des guerriers de cette région préféraient les armes énormes de ce type. Balibadom portait également une lame massive. Il semblait y avoir beaucoup de gros monstres avec des carapaces épaisses et résistantes par ici. Il était logique d’utiliser des armes qui ne se briseraient pas facilement. Même si vous étiez un bon épéiste, vous ne voudriez pas essayer de percer un trou dans une plaque de fer avec une petite rapière.

***

Partie 2

Et d’après ce que j’en avais vu, leur style de combat semblait également être unique.

« L’épée de ta femme est cependant beaucoup trop fine. Tu ne peux rien tuer avec ça. »

« Tu pourrais en fait être assez surpris. C’est un objet magique, et elle sait s’en servir. Je l’ai vue découper des Gryphons. Oh, et juste pour que tu le saches, ce n’est pas vraiment ma femme. On est juste des amis qui vont à Rapan ensemble. »

« Mais tu couches avec elle, oui ? Quand une Succube vient ? »

« Euh, non. Je connais un peu la magie de la désintoxication, donc je l’utilise juste… »

« Quand une succube vient, les hommes sont excités. Les femmes couchent avec eux. C’est comme ça que ça se passe, dans le désert. »

« Oh ? »

Carmelita continua à expliquer le lien entre les Succubes et le fonctionnement des bandes de guerriers dans le désert, en ayant l’air plutôt fière d’elle.

De nos jours, on pouvait trouver des Succubes sur tout le continent. L’espèce était à l’origine de la région sud-ouest, et leur nombre était relativement faible, mais lors de la guerre d’il y a quatre cents ans, Laplace les avait délibérément encouragées à se reproduire. Cela faisait partie de son plan pour briser la résistance obstinée des guerriers Begaritt.

Les succubes étaient mortelles pour les hommes. Leurs phéromones pouvaient neutraliser même les vétérans les plus déterminés. Je pouvais attester de cette partie personnellement. Si deux d’entre elles venaient à moi en même temps, ou si une apparaissait juste devant moi, je n’étais pas du tout sûr de survivre.

Une fois touchés par les phéromones d’une Succube, les hommes étaient réduits à l’état d’esclaves irréfléchis. Mais une Succube ne pouvait ramener qu’un certain nombre de victimes dans son repaire en même temps. Elles avaient donc tendance à choisir quelques morceaux de choix, laissant les autres derrière elles. Les hommes laissés derrière de cette manière se battaient ensuite entre eux jusqu’à la mort. Une fois que votre esprit était empoisonné par les phéromones, tous les autres hommes que vous voyez devenaient automatiquement vos ennemis. Franchement, cela ressemblait énormément à l’effet de statut Charme.

Pour guérir quelqu’un de cet état, il fallait soit le dissiper avec un sort de désintoxication de niveau intermédiaire, soit le laisser coucher avec une femme. Et il y a 400 ans, pratiquement personne sur ce continent ne pouvait utiliser la magie de désintoxication.

Par conséquent, de nombreux jeunes hommes vierges finirent par perdre la vie. Il n’y avait pas grand-chose à faire — ils n’avaient personne avec qui coucher. Ils étaient probablement morts en souhaitant avoir couché avec quelqu’un, même avec la Succube qui les avait condamnés. J’en compatissais presque…

Bon, revenons à notre sujet principal… Avec le temps, les guerriers du continent de Begaritt s’étaient adaptés à leur situation. Chaque groupe commença à voyager avec un certain nombre de femmes. Au début, il s’agissait souvent d’esclaves ou de prisonnières démoniaques, mais les guerriers s’étaient vite rendu compte que les non-combattantes les ralentissaient. Les femmes avaient peu d’endurance et avaient constamment besoin d’être protégées au combat.

Les guerriers avaient réfléchi à la question. Ils s’étaient creusé les méninges pendant des années et finirent par trouver une solution : ils pouvaient former les femmes pour qu’elles deviennent elles aussi des combattantes. Exactement le genre de solution que l’on pourrait attendre d’un groupe de personne de type Conan le Barbare.

Et ce fut ainsi que les femmes guerrières du continent de Begaritt virent le jour.

Actuellement, chaque groupe de combattants ou de gardes sur ce continent contenait au moins quelques femmes. Lorsque le groupe rencontrait une Succube, elles étaient chargées de la tuer puis de coucher avec les hommes pour briser le sort. Certains groupes comptaient même plus de femmes que d’hommes, car il était plus sûr d’affronter les Succubes de cette façon. Dans l’ensemble, les femmes de ce continent firent plus que leur part du combat.

Carmelita n’avait aucune objection à son rôle. Chaque fois que son groupe rencontrait une Succube, elle la tuait et couchait avec les hommes pour briser son enchantement. Bien sûr, cela entraînait parfois des grossesses, mais les guerrières l’acceptaient et rentraient fièrement chez elles quand cela arrivait. Le bébé était finalement confié aux habitants de leur village, et la guerrière retournait à ses occupations. Carmelita avait déjà elle-même donné naissance à un tel enfant.

Ces bébés étaient élevés par tout leur village, plutôt que par leurs parents. Tous étaient soignés et traités de la même manière, indépendamment de leur héritage ou de leur race. On leur apprenait à se battre dès leur enfance, et une fois qu’ils atteignaient l’adolescence physique, ils subissaient une cérémonie de passage à l’âge adulte et quittaient leur village. Lorsqu’un guerrier devenait trop vieux pour se battre, il gagnait le droit de rentrer chez lui et de se consacrer à l’éducation des générations futures.

Cependant, certains choisissaient de ne jamais rentrer chez eux, préférant passer toute leur vie à se battre. Balibadom était l’un d’entre eux.

Naturellement, il n’y avait pas de véritable concept de mariage dans ces villages. Il était difficile d’imaginer que quiconque dans cette société s’attache romantiquement à une personne en particulier.

Honnêtement, le choc culturel était réel. J’avais lu des articles sur des tribus ayant des arrangements similaires dans mon ancien monde, mais… c’était vraiment difficile à comprendre. Je n’avais même pas réussi à me convaincre que c’était sexy.

J’avais regardé Carmelita pendant un long moment, pour essayer de comprendre les choses de son point de vue.

« Je te suis reconnaissante, mais je déteste les mages. Si une Succube se montre, va voir l’autre femme. », avait-elle dit à sa manière hésitante

Pour une raison ou une autre, être rejeté sans avoir rien entamé, comme ça, me mit mal à l’aise. Je pouvais toutefois m’occuper de la Succube moi-même.

La Grande Lame Tont était un homme tranquille d’une trentaine d’années, avec une épaisse moustache, une peau brun clair et des muscles ondulants. Il n’était pas aussi grand que Balibadom, mais leurs visages se ressemblaient beaucoup. Sans la pilosité faciale, j’aurais pu facilement les confondre l’un l’autre. Nous avions un peu parlé lors de notre première garde de nuit ensemble, mais il n’était pas du genre bavard. C’était un vrai contraste avec Carmelita, qui semblait aimer parler.

Je n’avais rien de particulier à dire, mais le temps semblait passer plus lentement lorsque nous regardions l’obscurité en silence. Au bout d’un moment, j’avais essayé de le faire parler.

« Au fait, j’aime ton nom. La Grande Lame Tont. Ça sonne bien. », avais-je dit.

« Oui. La matriarche l’a choisi pour moi. »

« Oh, vraiment ? Tu n’as pas juste pris ce surnom à un moment donné ? »

« C’est la matriarche qui choisit nos seconds noms. Il en est ainsi pour tous les guerriers du désert. »

Apparemment, leurs titres n’étaient pas de simples surnoms, mais plutôt des noms de cérémonie qui leur étaient donnés par l’ancien du village le jour où ils le quittaient définitivement.

Pour ceux qui avaient une grande force, comme Carmelita, il s’agissait souvent de quelque chose comme Briseuse d’Os ou Bras-Puissant. Ceux qui avaient des yeux perçants, comme Balibadom, étaient généralement appelés Oeil-de-Lynx ou Oeil-de-Faucon. En d’autres termes, le nom d’une personne permettait généralement de déterminer son plus grand talent. Mais comme il n’y avait qu’un nombre limité de façons d’appeler quelqu’un « fort », vous rencontriez parfois un autre guerrier qui partageait votre nom.

Tont était connu sous le nom de la Grande Lame, mais son épée n’était pas exceptionnellement massive selon les normes de son peuple. C’était juste une façon de dire qu’il avait une puissance physique. Peut-être qu’il y avait un « Tue en un coup » là-bas aussi.

« Eh bien, les gens ont commencé à m’appeler Quagmire Rudeus. J’ai utilisé ce sort à chaque bataille pendant un moment. », dis-je.

« Je ne t’ai pas vu créer un bourbier une seule fois. »

« Oui, ça ne serait pas très efficace contre les monstres du coin. »

Le sort était très utile contre les monstres rampants ou marchants, mais beaucoup moins contre tout ce qui pouvait se soulever du sol, comme une Succube ou un Gryphon. Et arrêter un insecte lent et lourdement armé dans sa course ne faisait pas une grande différence.

Et de toute façon, je ne prenais pas la peine d’arrêter les monstres avant de les cibler.

« Ta magie est toujours tape-à-l’œil. Si c’est ta spécialité, j’aimerais la voir au moins une fois. »

« Eh bien, en vérité Bourbier est un sort plutôt ennuyeux… mais j’essaierai de l’utiliser un jour, si j’en ai l’occasion. »

Avec un petit signe de tête, Tont s’était tu. Apparemment, il avait épuisé sa réserve de mots à l’instant.

Au fur et à mesure que notre groupe se déplaçait vers l’est, la terre autour de nous devenait de plus en plus verte.

La ville de Kinkara se trouvait dans cette direction, et la grande jungle juste au-delà. Je trouvais un peu étrange qu’une jungle puisse exister si près d’un désert aride, mais nous n’aurions pas l’occasion de la voir cette fois-ci. Lorsque nous avions atteint un grand rocher vertical que quelqu’un avait laissé derrière lui comme point de repère, Galban changea de cap et nous avions commencé à nous diriger vers le nord.

Après trois jours de voyage dans cette direction, nous avions rencontré la route régionale principale. Elle n’était pas pavée, et encore moins activement entretenue, elle ressemblait plus au produit naturel d’innombrables voyageurs allant dans la même direction. Comparée au terrain sablonneux sur lequel nous avions voyagé, elle semblait ferme et fiable sous mes pieds. Cela me convenait parfaitement.

« Monsieur, nous pourrions rencontrer des bandits maintenant que nous sommes sur la route. Je pense qu’on s’en sortira sans problème, mais si les choses tournent mal… »

« Je te paie bien, non ? Occupe-toi juste de garder les marchandises en sécurité ! »

« … Oui. D’accord. »

Balibadom voulait clairement que Galban envisage d’abandonner la cargaison en cas d’urgence, mais l’homme n’en avait pas l’intention. Peut-être que sa marchandise était plus importante pour lui que sa vie. Ça n’avait pas beaucoup de sens pour moi, mais qui étais-je pour juger ?

« On va s’en sortir, patron ? »

« Ne perds pas ton temps à t’en faire, crétine. »

Pour une raison quelconque, Balibadom et Tont se référaient souvent à Carmelita de cette façon. Je suppose que c’était une tournure amicale de l’histoire du Briseur d’Os… ou peut-être une tournure insultante. Dans tous les cas, j’avais l’impression qu’elle me frapperait au visage si j’essayais de l’utiliser.

« Quagmire, Dragonroad, je veux que vous colliez tous les deux à Galban comme de la colle à partir de maintenant. Tont, tu es sur les chameaux. N’en laisse pas un seul s’échapper. Briseur d’Os, tu prends l’arrière. J’irai en éclaireur devant nous et donnerai le signal s’il y a quelque chose. Vous avez intérêt à ne pas le rater. »

« Compris, patron. »

« Compris. »

« Entendu. »

Assumant nos nouvelles positions, nous partions prudemment. D’après ce que j’avais entendu, les bandits du coin tendaient surtout des embuscades et attendaient que les gens tombent dessus, si on les repérait à l’avance et qu’on prenait un détour, il était possible d’éviter complètement les problèmes.

***

Partie 3

Grâce à la capacité avancée d’éclaireur de Balibadom, nous avions pu détecter la première embuscade sur notre chemin bien à l’avance. Les groupes de personnes n’étaient pas aussi faciles à détecter avec son œil de démon, mais il avait réussi à les repérer à l’ancienne. Nous avions fait un long détour pour quitter la route et contourner le danger. Il y avait peu de gens qui acceptaient de traverser une crotte de chien qu’ils avaient remarquée devant eux, non ? Il était tout à fait naturel de la contourner.

Il s’était avéré que c’était une erreur.

Peut-être que Balibadom avait été repéré par l’ennemi pendant son expédition de reconnaissance, et qu’ils l’avaient suivi jusqu’à nous. Peut-être qu’il n’avait vu qu’une petite partie des forces des bandits, et que notre détour nous avait menés à leur armée principale.

Quoi qu’il en soit, nous avions été attaqués.

*****

C’était arrivé juste après que nous ayons mis une distance de sécurité entre nous et l’embuscade. Tout le monde commençait à respirer un peu plus facilement.

Et puis quelque chose siffla dans l’air.

Tout d’un coup, Tont avait une flèche dans la poitrine. Il tomba sur le sol.

Ne comprenant pas ce qui se passait, j’avais commencé à me précipiter, avec l’intention de lancer un sort de guérison. Mais Elinalise m’attrapa par le col et me tira en arrière.

Alors qu’elle faisait cela, une autre flèche frappa le chameau à côté duquel se tenait Tont.

« Courez ! Nous sommes attaqués ! Ils arrivent de l’ouest ! », cria Balibadom.

J’avais enfin compris que nous étions en grand danger et que nous devions fuir pour sauver nos vies. Elinalise me relâcha. Galban et les chameaux étaient déjà en train de sprinter désespérément en avant. Je les avais suivis, courant aussi vite que je le pouvais.

Il y avait un groupe d’hommes à cheval sur une colline à notre gauche, et ils nous chargeaient. Ils étaient à cheval, et nous étions à pied. Ils portaient tous un turban jaune sable identique.

« Monsieur, nous devons laisser les chameaux ! Ils nous laisseront peut-être partir si on leur donne tout ! »

« Aucune chance ! »

« Vous êtes suicidaire, ou juste un idiot ?! »

« Protégez ma cargaison, bon sang ! C’est pour ça que je vous ai engagés ! »

« Ce n’est pas possible ! Ils sont trop nombreux ! »

Alors que Balibadom et Galban s’engueulaient, notre chameau blessé trébucha maladroitement. Au moment où j’avais compris qu’il avait la bave aux lèvres, celui-ci tituba sur le côté et s’effondra.

Un frisson d’effroi me parcourut l’échine. Ces flèches étaient empoisonnées.

« Tch ! Ils viennent aussi de l’arrière ! »

Un autre groupe de cavaliers fonçait sur nous par-derrière, et les archers sur la colline préparaient leur prochaine volée. La plupart de leurs tirs n’arrivaient pas jusqu’à nous, mais quelques-uns pouvaient vraiment faire voler leurs flèches aussi loin. De temps en temps, une flèche s’approchait dangereusement de nous.

Il devait y avoir une cinquantaine de personnes. Non, une centaine. Et ce n’était que ceux que nous pouvions voir.

Le mot bandits m’avait bien trompé. C’était une armée que nous affrontions.

« … »

Le cœur martelant dans ma poitrine, j’avais essayé d’analyser la situation. Nous étions attaqués sur le flanc et à l’arrière. A tout du moins, il n’y avait pas d’ennemis directement devant nous. C’était là que nous devions fuir.

« Rudeus ! », cria Elinalise.

« Bien. Je vais utiliser Bourbier et Brouillard Profond. »

Ces sorts m’étaient venus à l’esprit immédiatement. Rien d’autre ne pouvait fonctionner ici.

« D’accord, très bien ! Fais-le ! »

Je m’étais retourné et j’avais invoqué le plus grand bourbier que j’avais pu créer. Je n’avais pas pris la peine de le rendre trop profond. Il fallait juste que ça fasse trébucher les chevaux.

« Balibadom ! Je vais nous couvrir de brouillard ! Continuez à courir droit devant vous ! »

« Quoi ? ! Euh… D’accord ! »

« Brouillard profond ! »

En invoquant une énorme quantité d’humidité dans une large gamme tout autour de nous, j’avais effectivement couvert la zone d’un épais linceul blanc de brume. On avait presque l’impression d’être à l’intérieur dans une sorte de nuage. Peu importe le talent de leurs archers, ils n’arriveraient pas à tirer sur nous maintenant.

Mais une fraction de seconde après que cette pensée m’ait traversé l’esprit, une flèche percuta le sol à quelques mètres devant moi.

« Gah ! »

Surpris, j’avais failli tomber en arrière, mais Elinalise me rattrapa avant que je ne touche le sol.

« Tout va bien, Rudeus ! Ils ont un archer brillant, mais il ne nous frappera plus ! »

Quoi ? Elle disait que c’était la même personne qui avait tué le Tont et le chameau ? Comment le savait-elle ?

Ça n’avait cependant pas d’importance. La brume était de notre côté maintenant.

« Allez, cours ! »

J’avais hoché la tête en tremblant et je m’étais mis en route. Il n’allait pas pouvoir nous viser à nouveau. Il n’allait pas me frapper. Ce n’était tout simplement pas possible. J’étais invincible !

Et merde ! J’aurais dû demander à Sylphie un porte-bonheur ou autre chose ! J’aurais peut-être pu prendre mon souvenir de notre première nuit ensemble dans le sanctuaire…

« Merde, ils nous rattrapent ! Dégaine ton épée, Carmelita ! »

Le cri de Balibadom me ramena à la réalité. En écoutant attentivement, j’entendais le bruit de sabots qui se rapprochaient de nous par-derrière. Certains des cavaliers avaient dû faire une embardée pour contourner mon bourbier. Et malgré le brouillard que j’avais créé, ils n’avaient qu’à charger directement dans la direction où ils s’étaient déplacés.

Nous étions face à des combattants montés ici. La cavalerie avait certes quelques faiblesses, mais sa vitesse était une arme mortelle en soi.

J’avais vu au moins cinquante cavaliers se précipiter vers nous : combien avaient réussi à passer mon sort ? Vingt ? Trente ? Je ne voulais pas essayer de combattre un groupe aussi important à bout portant.

« Je vais les ralentir ! Continuez à courir, tout le monde ! Mur de terre ! »

J’avais invoqué un mur épais de deux mètres derrière nous sans ralentir mon allure. Un cheval au galop ne pouvait pas s’arrêter soudainement. Dans ce brouillard, beaucoup d’entre eux le percuteraient probablement. Même s’ils se rendaient compte de sa présence, ils devraient ralentir et le contourner.

« Haah…haah… »

Il n’y avait plus de flèches qui tombaient tout autour de nous, mais je courais toujours comme si ma vie en dépendait. Toutes les quelques secondes, je faisais une pause pour invoquer un nouveau mur derrière nous.

En fuyant, je pensais à Tont, qui avait pris une flèche dans la poitrine au tout début de l’embuscade. L’avions-nous laissé mourir ?

Non. Il était de toute façon fichu. Cette flèche l’avait touché au cœur, et elle était empoisonnée. Même avec la magie de guérison avancée, c’était probablement une blessure mortelle. Et le plus important encore, c’était qu’il n’y avait aucune chance que nous puissions nous arrêter pour l’aider.

En serrant les dents, je m’étais concentré pour courir aussi vite que possible.

Je ne savais pas combien de temps nous avions couru, mais j’avais eu l’impression que ça faisait au moins deux heures. Probablement plus. Finalement, Balibadom regarda derrière nous et cria : « Je pense que nous les avons semés ». Tout le monde s’était alors arrêté en titubant.

« Haah…haah… »

J’étais évidemment épuisé et trempé de sueur. Mais toutes mes courses du matin n’avaient pas été vaines. J’aurais pu continuer si j’avais dû le faire.

Les trois guerriers du groupe n’avaient même pas eu à reprendre leur souffle. Ce truc d’aura de combat était vraiment injuste.

« Gaaah…haaah… Gweeeh… »

Galban s’était effondré sur le sol, le visage pâle comme un linge. Même pour un voyageur chevronné qui avait passé des années sur la route, courir pendant deux heures d’affilée n’était pas une chose aisée. Au moins, je n’étais pas le seul.

Nous n’avions perdu qu’un seul chameau dans le raid. Et aussi un garde du corps.

Pauvre Tont. Si j’avais pu arracher la flèche tout de suite et prendre le temps de lancer des sorts de guérison et de désintoxication, il aurait pu survivre. Peut-être que la flèche ne l’avait pas frappé en plein cœur. J’aurais probablement essayé de le sauver, si Elinalise ne m’avait pas attrapé par le col. Mais si je m’étais arrêté pour me concentrer sur lui, je n’aurais pas pu m’enfuir à temps. La flèche suivante m’aurait probablement atteint.

Elinalise avait eu raison de m’éloigner. Son expérience du combat m’avait probablement sauvé la vie. Même si je n’avais hésité que quelques secondes, cela aurait pu m’être fatal.

« … »

En regardant autour du groupe, j’avais remarqué que Carmelita me regardait fixement. Avais-je fait quelque chose pour la contrarier là-bas ? Rien ne m’était venu à l’esprit.

Pendant l’embuscade, elle avait été positionnée derrière moi, à l’arrière du groupe. Peut-être avait-elle été blessée à un moment donné et elle avait besoin de soins. Il ne semblait pourtant pas que des flèches l’aient touchée.

Tout à coup, elle s’était approchée de moi et m’avait attrapé par le devant de ma robe.

« Pourquoi ? ! Pourquoi ne les as-tu pas tués ? ! Tu aurais pu ! J’ai vu ta magie ! »

« Qu… »

Qu’est-ce qu’elle disait ? Elle s’attendait à ce que je tue tout ce groupe de bandits ?

Ça semblait fou. Mais après un moment, j’avais réalisé que je n’avais jamais pensé à tenter cette approche.

« Arrête, crétine ! »

« Tu l’as vu aussi, n’est-ce pas ? Il faisait s’enfoncer les chevaux dans le sol ! Il les faisait foncer dans les murs ! Il a rendu tout brumeux ! »

« Tu n’y penses pas, bon sang ! Utilise ton cerveau pour une fois ! »

« Tais-toi ! S’il avait utilisé sa magie, nous aurions pu venger Tont ! »

« Ils étaient trop nombreux, petite ! Je suis sûr que c’était le groupe de Harimaf là-bas. Il y en avait plus derrière ces collines ! »

« Mais-ah ! »

Elinalise s’était interposée entre Carmelita et moi. Elle avait appuyé son bouclier contre la guerrière et avait posé une main sur la rapière à sa taille.

« Tu n’es pas d’accord avec la façon dont nous avons géré ça ? », dit-elle.

« Quoi… ? »

« Rudeus a agi de manière appropriée, étant donné la situation. Nous étions largement en infériorité numérique et face à une force inconnue. Pire, ils nous lançaient des flèches empoisonnées. Il a arrêté leur cavalerie avec son bourbier, aveuglé leurs archers avec la brume, et nous a donné le temps de nous échapper avec ses murs. Il est la seule raison pour laquelle nous sommes en vie. Nous avons perdu un homme et un seul chameau, mais nous nous sommes échappés. Aurais-tu préféré rester debout et te battre ? Nous serions morts comme des idiots, et ils auraient tout pris. »

Les mots ne signifiaient rien pour Carmelita, puisqu’Elinalise parlait en langue humaine. Pourtant, le ton glacial de sa voix rendait sa signification assez claire. Il était rare qu’Elinalise parle de manière aussi agressive à quelqu’un, surtout à un allié.

Elle avait raison à propos de leur nombre brut. J’avais vu au moins cinquante bandits, mais ils devaient être une centaine ou plus. Et comme Balibadom l’avait fait remarquer, ils pouvaient en avoir plus en réserve.

Aurais-je pu tuer une force de cette taille à moi tout seul ? C’était difficile à dire. Mais je pouvais utiliser la magie de rang Saint et probablement assez de mana pour l’utiliser de façon répétée pendant un certain temps.

Après avoir arrêté la cavalerie avec un bourbier, j’aurais pu rapidement lancer un sort à large portée et décimer les archers. J’aurais pu faire tomber les cavaliers de leurs chevaux avec un souffle de vent, puis les rôtir avec la magie du feu. C’était théoriquement possible.

Mais je n’étais pas sûr que cela aurait marché. Pour ce que j’en savais, ces bandits avaient l’expérience du combat contre les mages. Si un seul archer avait survécu, une flèche empoisonnée aurait pu m’atteindre. Certains des cavaliers auraient pu se glisser dans mon bourbier et nous abattre. Et si ça s’était transformé en mêlée, je n’aurais pas pu lancer mes sorts sans tuer mes alliés.

Elinalise était au courant de tout cela. C’était pour cela qu’elle prenait mon parti avec tant de fermeté.

« Et pour rappel, » poursuit-elle, « nous sommes des gardes du corps, pas des soldats mercenaires. Nous n’avons pas signé pour combattre une armée entière à nous seuls. »

« … »

« Y a-t-il une raison pour laquelle tu me regardes toujours avec insistance ? Tu veux te battre, c’est ça ? Quel enfant têtue ! Je vais te laisser faire, si tu insistes. »

Perdant finalement patience, Elinalise dégaina sa rapière. Carmelita s’empressa de prendre son épée. Mais avant que les choses ne puissent aller plus loin, Balibadom s’était interposé entre elles.

« Arrêtez, toutes les deux. Écoutez, c’est vraiment malheureux pour Tont, mais Quagmire a fait le bon choix. Le seul qui voulait se battre, c’était toi, crétine. Tu es vraiment bête parfois, tu sais ça ? »

« … Tais-toi. »

Avec un fort grognement, Carmelita recula. Elle se dirigea vers l’endroit où les chameaux se reposaient, s’accroupit à côté d’eux et enfouit son visage dans ses genoux.

***

Partie 4

Balibadom la regarda pendant un moment, puis soupira.

« Vous deux, désolé pour ça. »

« Uhm, c’est bon… »

« C’est juste que… Carmelita a eu un enfant avec Tont. »

« Huh ?! »

« Donc, eh bien… Je pense que tu peux comprendre ce qu’elle ressent. Elle s’est juste défoulée. »

Ces deux-là avaient eu un enfant ?

J’avais supposé que les guerrières de ce continent ne s’attachaient pas émotionnellement à un homme en particulier, mais ce n’était pas toujours le cas. Peut-être que c’était différent quand elles avaient un bébé avec quelqu’un.

Alors que je ne savais pas quoi dire, Elinalise rengaina sa rapière et se retourna pour me faire face.

« Tu n’as aucune raison de te sentir déprimé, Rudeus. »

« … Aucune raison ? »

« Il y a des aventuriers qui mettent un point d’honneur à ne jamais tuer un autre être humain. Pas beaucoup d’entre eux, certes, mais ils existent. Et tu vas bientôt devenir père. Je peux comprendre que tu hésites à prendre tant de vies. »

Ses tentatives pour me réconforter étaient un peu à côté de la plaque. Mais bien sûr, elle ne savait pas ce que Balibadom venait de me dire.

Pour être honnête, je n’avais pas du tout hésité. L’idée de tuer ces hommes ne m’avait même pas effleuré l’esprit, malgré le danger mortel auquel nous étions confrontés.

Bien sûr, quelques cavaliers avaient probablement perdu la vie en fonçant tête baissée dans ces murs que j’avais érigés dans la brume. Je n’avais pas non plus ressenti de culpabilité à ce sujet. Mais l’idée d’utiliser la magie pour tuer quelqu’un directement me mettait mal à l’aise.

… Et c’était franchement un peu pathétique.

« Merci, Elinalise. »

Je l’avais quand même remerciée d’avoir essayé de me remonter le moral. En y repensant, elle avait couru à mes côtés pendant toute la course, quand j’avais perdu l’équilibre, elle était là pour me soutenir. On aurait dit qu’elle s’était positionnée pour me protéger des flèches perdues.

J’avais l’impression qu’elle se considérait comme mon garde du corps, plus qu’autre chose.

« Pas besoin de me remercier, mon cher. Je veillerai toujours sur mon petit-fils. », dit-elle tout en me tapotant l’épaule.

Ton petit-fils, hein ? Hmm.

Le temps que nous rentrions à la maison, le ventre de Sylphie serait très gros. Ce bébé allait être l’arrière-petit-fils d’Elinalise. J’étais sûr qu’elle voulait que son arrivée soit un événement heureux. Ou peut-être ne voulait-elle pas que Sylphie lui demande en larmes pourquoi elle n’avait pas réussi à me protéger.

Dans tous les cas, la solution était assez simple. Il fallait juste qu’on se remette ensemble.

« Uhm, Elinalise… »

« Qu’il y a-t-il ? »

« Merci. Vraiment. »

Cette fois, j’avais mis plus de sentiments dans mes mots.

En réponse, Elinalise m’avait juste tapé sur les épaules.

*****

Malgré l’atmosphère gênante, notre groupe continua à avancer.

Balibadom était étonnamment calme et posé, si on considérait que nous venions de perdre un autre de ses hommes. Sa première préoccupation était de retravailler notre formation. Loin de s’arrêter pour pleurer son camarade, il n’avait même pas prononcé le nom de Tont. Il resta le même, un garde du corps professionnel et concentré tel qu’il avait toujours été. Cela semblait un peu froid, mais c’était probablement la façon dont les choses se passaient dans son métier.

Son peuple était habitué à cela. La mort était un compagnon constant pour eux, une seule erreur ou un peu de malchance suffisait à mettre fin à leur vie. Rétrospectivement, c’était aussi une attitude commune sur le Continent Démon. C’était une façon de penser que je ne pouvais pas vraiment comprendre.

Quelques jours sans histoire plus tard, nous avions atteint l’oasis qui marquait le milieu de notre voyage. Tout comme Bazaar, il s’agissait principalement d’un marché entourant un petit lac central. Je ne l’avais pas remarqué auparavant, mais tous les autres groupes armés que nous avions croisés avaient au moins une femme parmi eux. C’étaient probablement aussi tous des guerriers du désert.

Galban et les autres montèrent nos tentes dans un coin dégagé de la petite ville. Pendant que nous étions dans l’oasis, au moins, les gardes du corps pouvaient apparemment dormir également à l’intérieur.

« Balibadom, penses-tu que nous devons engager quelqu’un pour remplacer l’homme que tu as perdu ? », demanda Galban.

« Ça ne devrait pas être nécessaire, Galban. Ces deux-là sont plus utiles que la moyenne des guerriers. Je pense qu’il est plus intelligent d’aller à Rapan avec notre groupe actuel, puis d’engager de nouvelles personnes là-bas. Nous ne devrions de toute façon plus rencontrer de bandits. »

« Je vois. Très bien alors, faisons cela. Quand même, c’est dommage qu’on ait perdu ce chameau… »

« Ce sont des choses qui arrivent. On a eu de la chance de s’en tirer à si bon compte, vu leur nombre. »

Balibadom et Galban semblaient être en bons termes. En toute honnêteté, on aurait presque dit qu’ils étaient partenaires en affaires.

« Qu’y a-t-il, Rudeus ? Ai-je quelque chose sur le visage ? »

Sentant mon regard, Galban s’était retourné pour me regarder.

« Ce n’est rien, vraiment. Je me disais juste que vous et Balibadom semblez bien vous entendre. »

« Ah, oui. Et bien nous travaillons ensemble depuis l’époque où je n’étais qu’un jeune marchand. Je lui fais confiance plus que quiconque. »

Intéressant. S’ils avaient passé autant de temps ensemble, peut-être que Balibadom avait toujours été plus proche de Galban que Tont, son compagnon de guerre. Après des années et des années à servir comme garde du corps principal, il était possible qu’il ait commencé à voir ses hommes et ses femmes comme jetables. Ou du moins interchangeables, vu la régularité de leurs allées et venues.

Nous nous étions arrêtés à l’oasis le temps de nous reposer et de nous réapprovisionner en denrées périssables, puis nous étions partis vers le nord.

Carmelita ne s’était plus disputée avec moi, mais elle n’était pas non plus plus amicale que nécessaire. Nous ne nous parlions plus pendant nos quarts de nuit.

J’avais essayé de ne pas me laisser abattre. De toute façon, nous allions prendre des chemins différents une fois arrivés à Rapan. Pourtant, je devais compatir à ce qu’elle traversait. Je ne pouvais pas imaginer ce que c’était que de perdre le père de son enfant si soudainement.

Je savais à quel point ça me ferait mal si Sylphie mourait dans mes bras. J’avais été submergé par la joie quand j’avais appris qu’elle était enceinte. Si je la perdais soudainement, le désespoir serait encore plus intense.

« … Et je suppose que je vais le regretter, hein ? »

En supposant que l’Homme-Dieu soit franc avec moi, ce voyage vers le Continent Begaritt allait me créer des regrets d’une manière ou d’une autre.

Il me l’avait dit pour la première fois quand j’avais rencontré Elinalise à l’âge de quinze ans. J’avais passé un certain temps à Ranoa, mais le raccourci de Nanahoshi signifiait que je n’arriverais pas à Rapan beaucoup plus tard que si j’étais parti quand j’avais rencontré Elinalise. Je devais supposer que le danger qui m’attendait à Rapan n’avait pas changé pendant ce temps.

Si c’était vrai, cela signifiait probablement qu’aucun mal ne serait fait aux personnes que j’avais laissées derrière moi à Ranoa. Après tout, si j’étais parti tout de suite pour Begaritt, je n’aurais pas rencontré Sylphie ni appris à connaître mes autres amis. Je n’aurais eu aucune raison de « regretter » un quelconque désastre qui se serait produit là-bas.

Mais maintenant que j’y pense, peut-être que les regrets qui m’attendaient étaient différents maintenant. Les choses pourraient se passer sans problème de mon côté, mais mal à la maison. Quelque chose pourrait arriver à Sylphie, ou au bébé.

« As-tu dit quelque chose, Rudeus ? »

« Non, ce n’est rien… »

Je devais arrêter de spéculer sur ce sujet. On pouvait devenir fou en pensant à toutes les façons dont les choses pouvaient mal tourner. Et un gars comme moi allait toujours faire des erreurs, peu importe à quel point il essayait.

On ne pouvait pas dire ce que l’avenir nous réservait.

C’était la première fois que j’allais directement à l’encontre des conseils de l’Homme-Dieu. Jusqu’à présent, je m’étais bien débrouillé en suivant ses conseils. Cela signifiait-il que ce choix allait se terminer en désastre, peu importe ce que j’essayais ?

Nah. Je n’y croyais pas. Je savais qu’il y avait du danger devant moi, il devait donc m’être possible de l’éviter. Pourtant, il y avait un risque réel que quelqu’un que j’aimais finisse comme Tont. Si je voulais éviter cela, je devais rester vigilant. Et s’il y avait quelqu’un dehors qui voulait nuire à ma famille, alors…

Arrête. C’est inutile.

Je pouvais me dire tout ce que je voulais, je n’avais aucune raison de croire que j’étais capable de meurtre. Je devais juste faire tout ce que je pouvais pour garder ma famille en sécurité.

Ça, au moins, je pouvais me le promettre.

Deux semaines plus tard, nous avions finalement atteint la cité-labyrinthe de Rapan.

Nous étions arrivés à destination. Les choses sérieuses allaient maintenant commencer.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire